Petit meurtre entre amis [première épreuve]

Viens de : Retour à la case départ


Ils étaient drôles, si drôles ! Oui, ce cancrelat de Fisher avait bien fait de les mener jusqu’à eux. La paire d’yeux morts glissaient sur les silhouettes de leurs « invités » alors que ceux-ci tentaient de se dépêtrer de leur proposition. Si la grande brune sombrait dans un mutisme glacé par la peur, la petite n’avait pas sa langue dans sa poche. Elle semblait sûre d’elle. Pire… elle n’avait pas peur. Comment était possible ?

- Elle est incomplète, murmura Chayan légèrement stupéfait.

- Bien sûr qu’elle l’est, tu le remarque seulement ? rétorqua Kay avec mépris.

La tension dans le couple monta d’un cran sans que personne mis à part Ace encore collée à la gardienne ne puisse percevoir des bribes de leur conversation. La psychotique profita de ce moment de latence pour demander à récupérer leurs affaires alors que le pyromane embrayait sur la nature exacte des épreuves auxquelles ils seraient soumis. Quelle naïveté ! C’était charmant.

- Nous vous rendrons vos affaires après les épreuves. Si vous vouliez d’ailleurs bien nous confier ce que vous avez caché sur vous nous vous en serions gré, badina Chayan en dardant de ses yeux chassieux le sac de Melena et le pantalon d’Elie.

On ne pouvait rien cacher à la mort, elle était partout. Ace en fit aussitôt l’expérience alors que Kay posait sa main glacée sur le front du jeune homme tout en s’approchant tellement que le voile noir de ses cheveux lui masquait toute vision des alentours.

- Chuuut… chut. Je t’entends… Ace Ridley. J’entends tout. Tes pensées, ta peur… tout vibre en moi de manière si claire… et je vois ton feu. Ton joli feu.

- Arrête de jouer avec lui Kay, siffla son mari avant de se tourner vers les voyageurs, Vous n’aurez rien et ne saurez rien. Les épreuves n’auront de sens que si vous les découvrez le moment venu. D’ailleurs le moment de la première est arrivée et débutera une fois que ces demoiselles se seront séparées de leurs biens.

Il n’en fallut pas plus pour que des zombies viennent dépouiller Melena et Elie de leurs derniers biens, y compris ceux cachés jusque dans les sous-vêtements de l’une d’elle. Dépouillés de tout, les membres du trio furent menés – ou plutôt poussés – jusqu’à un large espace vide situé vers le centre de l’étage. Une sorte d’arène avait été dessiné sur le sol à l’air d’une matière blanche qui rappelait de la poussière d’os, cercle macabre de 10 mètres de rayon.

Kay les accompagna jusqu’au centre du cercle alors que Chayan organisait un mur de zombies autour du cercle. On ne fuirait pas. La gardienne glissa ensuite de voyageurs en voyageurs, insufflant son poison à leurs oreilles. La première épreuve, celle qui briserait l’équilibre et la confiance de ce groupe fragile. Celle qui les rapprocherait de la mort.

- Vous allez devoir vous entretuer, malheureusement. Chacun aura une cible à abattre, et sera la cible de quelqu’un. L’hésitation n’a pas sa place ici, car celui qui ne tuera pas sera tué…

A l’écoute de ces sombres paroles un visage apparu dans l’esprit de chacun de nos trois protagonistes. Celui d’Elie apparu à Melena, celui de Melena à Ace, celui d’Ace à Elie. Ils savaient ce qui leur restait à faire mais en auraient-ils le cran ?

** C’est quoi ce bordel ?!**

Ils avaient perdu tout contrôle de la situation, si tant est qu’ils en aient eu à un moment quelconque depuis leur rencontre avec Fisher au Grand Tavernier. On leur refusait leurs deux pauvres requêtes mais en plus ils savaient. Tout. Lorsqu’Elie sentit des doigts glacés et poisseux de sang glisser dans sa culotte elle poussa un hurlement de rage pure. D’autres mains la maintenaient fermement, agrippées à ses bras nus, fouillant ses poches pour en tirer les achats qui venaient de la ruiner. Mais le pire restait ce zombie trop aventureux qui tentait de récupérer ce fouet représentant tous les espoirs de la mauvaise jumelle. Il réussit sa tâche en semant au passage une phalange dont le contact révulsait la jeune fille au plus haut point.

Une nuée de juron suivit son trajet jusqu’au cercle tracé pour délimiter l’espace de la première épreuve et ne s’arrêta que lorsqu’on l’eut lâché. Sa liberté enfin retrouvée, El’ plongea sa main dans ses dessous pour récupérer ce qui y avait été oublié. Le bout de doigt atterrit sur le sol et elle s’évertua une bonne dizaine de seconde à l’enfoncer dans la terre meuble à coups de pieds rageurs.

Une fois son manège accompli elle se rapprocha de Melena pour récupérer sa main, et c’est alors que Kay se mit en tête de leur révéler leur première épreuve. Au fil du discours de la revenante les lèvres de l’adolescente se plissèrent jusqu’à ce plus être qu’une fente vibrant de colère et d’indignation. Qu’est-ce que ça voulait dire à la fin ?

- C’est quoi ces conneries ?! On était pas censés tous devenir adeptes au bout du compte ? Alors comme ça un seul d’entre nous peut s’en sortir ?? Vous pouvez aller vous faire foutre nous on se tire !

Elie couru vers la limite de l’arène en tirant l’irlandaise derrière elle. Elle était prête à envoyer valser tous les zombies qui oseraient se mettre sur son chemin, la rage l’aveuglait complètement. Elle était déjà en pleine course lorsque son front heurta de plein fouet la barrière magique qui avait été dressée autour du lieu de combat. Ce qu’elle n’avait pris que pour une délimitation visible était en fait un cercle magique empêchant la fuite. Une onde de choc la projeta en arrière et Melena suivit son exemple de près, les donzelles roulant sur le sol sur presque 10 mètres avant de s’arrêter la bouche pleine de terre.

Ils étaient coincés, fais comme des rats. La psychotique se releva tant bien que mal en crachotant, la colère faisant trembler ses muscles. Il fallait se calmer, garder le contrôle… ou du moins le récupérer. Mais comment ?

- Faut s’en aller, faut trouver un moyen…

Sauf qu’il n’y avait pas de moyen. Cette idée s’imposait peu à peu à son esprit avec une horreur indicible et malgré ça elle n’arrivait toujours pas à avoir peur. Ce calme relatif lui permettait d’évaluer la situation avec une terrible clarté. Elle devait tuer Ace, et il était fort probable que leurs cibles composent un triangle, faisant d’elle la proie de Melena. Ils n’étaient plus amis, juste des ennemis ne comptant plus que sur leur propre survie. On aurait pu croire que cette situation lui était facile, une fille aussi violente ne devrait pas avoir de scrupules mais… mais…

… Elie n’était pas une tueuse. Elle était née pour protéger pas pour détruire.

- Jade… pardonne moi, murmura-t-elle inaudible de ses compagnons.

Le combat, si combat il y avait, ne serait pas débuté par elle. La mauvaise jumelle se battrait pour sa peau mais il était hors de question qu’elle cause la mort d’un voyageur de son plein gré. Ace avait beau ne pas lui être sympathique il n’était qu’une victime comme elle. Et on ne s’attaquait pas aux faibles.

Il n'eut pour seule réponse que le droit de voir des cheveux gras et morts se plaquer sur son visage. Tels des tentacules poisseuses elles s'accrochaient presque à sa peau, ou du moins c'était l'effet que Ace ressentait de ce face à face avec la mort.

*Toutes... Mes pensées..? Elle... Elle entend TOUT !? Même le passage où.. Oh non, merde !! Pas le feu !!*
Visiblement c'était raté pour la manipulation : il n'était pas de taille à se mesurer à des êtres tels que les gardiens. Le fantôme avait percé ses secrets les plus enfois avec une facilité déconcertante, ce qui était loin de rendre la situation appréciable.

D'ailleurs le couple macabre ne mit pas longtemps à découvrir les objets récemment acquis par Melena et Schtroumpf Grognon. Chier ! Il n'avait plus aucune carte en main... Que serait cette épreuve dans laquelle il allait certainement y laisser la vie... Déjà... Si tôt..? Non c'était impossible ! Ca ne pouvait pas !!
On accompagna le trio de voyageurs jusqu'à une sorte d'aire délimitée par le contraste entre le sol infertile et mort d'une part, et d'autre part un cercle de poussière blanche, broyée de manière grossière. Une fois au centre de ce périmètre improvisé, le fantôme leur révéla la nature ignoble de leur première tâche... Ils devaient... S'entretuer !

Aussitôt, une ombre matérialisa dans le cerveau d'Ace le visage de Melena : elle était sa cible, ce qui signifiait logiquement qu'Elie devrait le tuer lui... Ce qui emmerda profondément Ace. Avec un peu de recul, il remarqua qu'en tant que seul homme, il avait un avantage physique sur les deux filles, à condition qu'elles ne se lignent pas contre lui dès le début. Une angoisse profonde contracta ses boyaux lorsque Ace comprit qu'il allait sans doute mourir ici, maintenant : les soi-disant pouvoirs des filles lui étaient encore pour la plupart inconnus et pire encore, il ne connaissait même pas les siens !

Il détestait ces filles, mais de là à les tuer... Pour de VRAI... De toute évidence, Elie partageait la même réticence à tuer puisqu'elle improvisa une fuite, empoignant Melena au passage. Résultat ? Fail ! Elle se vautra à terre, repoussée par une sorte de vague, de distortion quelconque... comme un bouclier que délimitait le cercle blanc. Ils étaient coincés, ils n'avaient pas d'autres choix que de se battre... Et mourir.
- Alors c'est ça, être un adepte ? Je le savais ! Tout ce que vous vouliez c'était qu'on rejoigne le rang de vos zombies de merde, hein !? Je vous préviens que si je sors d'ici vivants... !! Aboya-t-il à l'adresse des deux gardiens qui arboraient un sourir effroyable. Ils étaient contents d'assister à un combat, à une mise à mort. C'était dégueulasse !!

Se concentrant à nouveau sur les filles qui se relevaient péniblement, il leva les poings. Plus en geste de défense qu'autre chose car il savait que s'il en attaquait une, l'autre viendrait à son secours immédiatement. Foutues femelles !
Il chercha au sol quelque chose, un truc à balancer, un os avec lequel frapper... Rien, rien du tout. Ils avaient leurs poigns et leurs pieds, cela présageait une mort lente, douloureuse et inhumaine.

- J'aimerais dire que j'ai rien contre vous, mais c'est pas le cas. Elie, t'as plus ton flingue, et Melena, toi, t'as que la trouille au ventre. Bah... Nous y voilà... Un seul d'entre nous va survivre et croyez-moi, je donnerai tout ce que j'ai pour que ça soit moi. Evitez de bouger partout, histoire que vous souffriez pas trop ! Huhuhuhuhéhéhé !! Un vrai rire de malade... Cette histoire lui montait à la tête. Qui sait ce dont est capable un humain pour survivre..?

Ace repassa en boucle toute l'histoire depuis son arrivée : la rencontre, le flingue, la chute, les insultes, le coup dans les parties... Putain !! Il en voulait plus à Elie qu'autre chose...
Les remarques lâches, les crises de "je-crève-de-trouille", le bouclier humain... AH ! Ca y est : il était remonté contre Mel. Ouaaaais ! Il leur avait promis une torgnole ? Elles allaient être servies !

Le visage du pyromane était déformé par la haine tandis qu'il faisait craquer ses poings. Toute sa beauté extérieure s'était envolée laissant place à ce qu'il était réellement : un monstre ignoble, un sale personnage.
Il s'avança à pas rapide vers le duo, bien décidé à en finir. A peine Melena fut-elle relevée qu'il lui asséna un violent coup de poing.
- ... Ca... C'est pour ta putain d'impertinence envers moi. Allez, reviens !! C'était pour rire !!

Un sourire carnassier naquit sur ses lèvres ; il n'avait pas pris autant de plaisir à se battre depuis longtemps. Mais heureusement, il avait gardé la forme. Par réflexe, il fit un pas de côté, se mettant hors de portée d'une contre-attaque de la part de Jade. Il était chaud comme la braise et bientôt ce cimetière brûlerait de toute la haine que le pyromane serait capable de déchaîner.

Melena avait très certainement sous-estimé les gardiens. Se serait-elle attendue à ce qu’ils sachent lire dans les pensées ? A ce que leur aura soit si écrasante ? Cette fois-ci, les zombies lui arrachèrent son sac. Pétrifiée par la peur et le dégout, elle n’essaya même pas de résister. Ils n’étaient que de vulgaires souris prises au piège par des félins morbides, des condamnés dont la vie ne tenait plus à rien du tout, lâcher en chute libre dans un gouffre noir.

On les conduisit au centre d’une arène circulaire, et toute l’horreur de l’épreuve leur fut révélée. Alors voilà, c’était ça que Fisher trouvait « amusant » dans les services que pourraient rendre les voyageurs à ses employeurs. S’entretuer, se déchirer à mains nues, comme des animaux. La main d’Elie retrouva la sienne, mais c’était trop tard : elle lui semblait glacée et lointaine. La tentative de fuite partagée fut balayée par une protection magique qui envoya la nécrophobe rouler jusqu’à l’autre extrémité du cercle.

Elle avait perdu le contact avec la psychotique alors que dans sa tête, un flash s’imposa pour lui désigner sa cible. Ce visage qu’elle adorait temps, ces traits doux qu’elle ne saurait se lasser de regarder, voilà que des créatures inhumaines lui ordonnaient de les réduire en pièces. L’irlandaise se redressa faiblement, toussant et crachant la terre qui s’était glissée dans sa bouche. Comment pourrait-elle fuir désormais ? Il était hors de question qu’elle se laisse assassiner, mais prendre la vie de sa meilleure alliée ?

Pendant ce court instant, ses pensées tournaient à toute vitesse. Si elle devait s’en prendre à Elie alors son bourreau était Ace, et il y avait de fortes chances que celui-ci ne se prive pas pour l’attaquer. D’ailleurs, à peine cette estimation avait elle filé dans son encéphale qu’un violent coup de poing au visage fit résonner son crâne en sa jetant au sol une seconde fois. Ses dents avaient écorché tout l’intérieur de sa joue gauche, le goût du sang envahissait sa gorge et coula sur son menton lorsqu’elle ouvrit les lèvres pour gémir faiblement.

Avant que le pyromane ne double la mise, Melena fit l’effort de rouler sur le coté pour se relever. Voilà, elle faisait face à ses ennemis maintenant, mais prit soin de s’éloigner le plus possible avant que l’un ou l’autre ne se décide à l’agresser. La colère commençait à prendre le pas sur la terreur, équilibrant suffisamment les forces pour que son pouvoir paralysant reste muet. Elle ne DEVAIT pas mourir. Cette exclamation éclata dans sa tête comme un gong de départ : elle ne se laisserait pas faire, jamais. Tout cela était de la faute d’Elie. C’était elle qui avait voulu venir voir les gardiens, elle qui avait assuré que c’était le meilleur des plans, elle qui les avait promis que tant qu’elles seraient ensemble dans cette tour, il ne lui arriverait rien. Foutaises.

Les yeux gris froid de la brunette se dressèrent vers leur ainé qui la dévisageait avec démence. Avant de parler, elle cracha un jet de salive rougi pour le sang.

- C’est tout ce que tu sais faire hein, t’attaquer aux filles quand elles sont déjà à terre. Ça te fait si peur qu’on puisse te coller une racler ?

Elle n’avait pas employé le mot « tuer » pourtant, c’est ce qu’elles allaient devoir faire. Melena attendait toujours que l’un des gardiens s’exclame que ce n’était qu’une plaisanterie, que épreuve était un test pour savoir ce qu’ils avaient dans le ventre, mais rien ne venait. Elle avait déjà prit la vie, dans le Colisée, et le lendemain en fuyant ; pourquoi avait-elle si peur de recommencer ? Parce que ces personnes, elle les connaissait ? Parce que son cœur battait un peu plus fort lorsqu’elle voyait Elie ? Parce qu’ils étaient ses semblables ? Parce qu’ils n’étaient comme elle que les marionnettes de monstres déments ?

L’irlandaise s’avança pratiquement jusqu’au centre de l’arène. Son regard croisa les yeux de la mauvaise jumelle, communiquant un message de peur qu’elle savait vain. Il n’y avait aucune issue, elles allaient devoir se battre… et un seul s’en sortirait.

Ils se trouvaient dans une voie sans issue, et Ace annonça clairement jouer le jeu jusqu’au bout. C’était compréhensif – qui accepterait de mourir ? – mais ça mettait Elie dans une rage folle. Jouer le jeu des gardiens la rendait malade, mourir pour ne pas l’avoir fait tout autant. Dans son état elle réagit trop tard lorsque le pyromane décrocha un coup de poing dans la mâchoire de Melena, son propre coup ne rencontrant que le vide. La psychotique cru lire l’espace d’un instant de la colère et des reproches dans le regard de son amie. Cette vision la glaça en la poussant à reculer de deux pas.

Elle avait pensée de manière utopique que l’irlandaise était fiable, sauf que rien n’était moins sûre. Elle devait lui en vouloir à mort c’était bien le cas de le dire. Même sans cette histoire de tour de la paresse leur nuit au motel et la trahison qu’elle avait représenté était encore trop fraiche pour être pardonnée. L’adolescente avait sûrement joué la comédie pour mieux l’abattre quand elle aurait baissé sa garde. C’était évident.

La paranoïa prenait peu à peu sa place dans l’esprit des voyageurs et Elie ne tenta même pas d’entraver sa route. Ils voulaient tous les deux sa mort. Et le meilleur moyen de survivre restait encore de les tuer mais… mais elle ne pouvait pas. Elle avait fait la promesse que tout irait bien, revenir dessus serait la pire des traitrises. Alors quoi faire à part reculer ? Reculer jusqu’à ce que son dos entre en contact avec la barrière en l’empêchant d’aller plus loin, jusqu’à avoir une vue globale de la situation, Ace et Melena se vociférant des choses sous l’œil mort des gardiens qui semblaient trouver la situation cocasse. Ils avaient fait amener deux énormes fauteuils sertis d’os et de pierres précieuses dans lesquels ils reposaient désormais avec nonchalance. Ne manquait plus que le pop-corn.

La mauvaise jumelle croisa brièvement le regard empli de peur de la nécrophobe et pinça les lèvres alors que ses ongles s’enfonçaient inexorablement dans la paume de ses mains. Son esprit cherchait celui de Jade, pour qu’elle décide à sa place. Elle était coincée, c’était beaucoup plus facile de laisser l’autre décider pour elle… et c’est ce qui se passa.

** Elie ça va ??

Non… ça ne va pas du tout. Qu’est-ce que je fais ? Qu’est-ce que je dois faire bon Dieu ??

Tu… tu dois te battre. Tu dois te défendre jusqu’au bout ! Ne me laisse pas toute seule !

Mais je vais quand même pas les tu…

BATS-TOI ! FAIS TOUT CE QU’IL FAUT POUR SURVIVRE !**

La peur de Jade était trop forte pour qu’elle puisse répondre autre chose que cet ordre immoral qui résonna dans le cerveau de son double comme un commandement inéluctable. L’esprit d’Elie se déconnecta presque aussitôt alors que son regard devenait vague. Juste se battre hein ? Elle savait faire. Les ordres gémélaires de la bonne jumelles ne pouvant être contournés elle était désormais prête à aller jusqu’au bout. Elle n’avait pas le choix.

- Comme tu voudras, répondit-elle d’une voix ensommeillée.

Avec lenteur l’adolescente fit craquer ses phalanges, son regard se portant tour à tour sur Ace et Melena. L’un était sa cible, l’autre voudrait la tuer. Par qui commencer ? La logique aurait voulu qu’elle les laisse d’abord se blesser mutuellement mais les échos de la voix de son double étaient encore trop présents. Il fallait se battre, et le sourire carnassier du pyromane en faisait une victime toute désignée. Elie sautilla sur place quelques secondes comme un boxeur avant un combat puis chargea, tête en avant. Comme au départ d’un sprint elle tenta de prendre une vitesse maximale et fonça droit dans l’estomac du jeune homme sans se soucier de la douleur qui envahissait son crâne. Emportée par son élan elle le souleva légèrement, agrippant les cuisses de sa proie pour aller la plaquer contre la barrière magique. Celle-ci les envoya sans douceur au sol et l’adolescente en profita pour rouer de coups sans réfléchir, sans viser, sans même regarder. Une vraie furie.

Elle sentait indistinctement qu’elle avait mal et qu’elle aussi subissait des dommages mais tout était noyé dans un flot d’adrénaline. Ses ongles entamaient la chair alors que ses poings la marquait d’hématomes et comme un réminiscence de sa nature lycantropique la psychotique ouvrit grand la bouche et referma ses mâchoires sur le lobe droit de l’oreille d’Ace. Parodie de Mike Tyson, elle tira de toutes ses forces jusqu’à arracher ce bout de chair dans un hurlement bestial…

[HRP : Miam =3]

Ca lui avait fait du bien d'envoyer son poing dans la figure de l'adolescente, mais ça ne suffirait pas. Il ne devait pas se contenter de juste ça !! Il avait autant de raisons de se battre qu'il le voulait alors pourquoi ? POURQUOI il hésitait encore !??

Cette hésitation avait laissé le temps à Melena de se relever et de lui envoyer une réplique cinglante à la figure.
- Et ça me servirait à quoi d'avoir peur alors qu'on va tous crever ? Nan, je suis plutôt content : c'est la première réplique que tu me dis en face. Je pensais que t'avais rien dans le ventre ; c'est con : je vais devoir frapper plus fo-
Le pyromane n'eut pas le temps de finir sa phrase, projeté par une tornade contre la barrière magique. C'était Elie qui avait chargé sur lui. Elle le plaquait au sol, lui assénait autant de coup de poings que Ace esquivait tant bien que mal. Manque de bol, Elie n'eut aucun mal à trouver l'oreille du pyromane qu'elle arracha avec les dents. S'en suivit un hurlement de douleur.

- Putain !! Mon oreille, sale con !! Par réflexe plus qu'autre chose, il décocha un crochet du droit dans le visage d'Elie. Dans le mille : la jeune fille s'affala au sol avec fracas. Soit. Sa cible était Melena, mais puisque le Schtroumpf insistait...
Son oreille lui faisait mal, le sang coulait sur sa joue et perlait sur le sol de l'arène. Sa rage augmenta. Il se jeta sur sa nouvelle cible, lui enfonçant son genou dans le ventre puis la frappa de toute ses forces. Il avait l'impression de se briser le bras à chaque coup mais oh putain c'que ça faisait du bien ! Et un pour le flingue, et un autre pour le coup de pied dans le cul, et deux pour le coup de genou dans les burnes. OOOh ! Et un dernier pour l'oreille !

La laissant pour morte, Ace se releva et dévisagea Melena. C'était son tour, maintenant que l'autre ne serait plus là pour l'emmerder, rien ne pouvait empêcher Ace de les tuer toutes les deux.
- J'vais finir c'que j'ai commencé. Et puis je t'arracherai la tête, t'entends !?

Tout son corps tremblait. D'excitement, certes, mais il y avait... Autre chose... Comme si une partie de son esprit était réticent à tuer... C'était une première après tout. La seule chose à laquelle il s'était toujours borné c'était allumer des feux, pas tuer des gens !!
Il stoppa sa réflexion. La dernière fois qu'il avait pensé, ça lui avait coûté une oreille.
Il secoua ses mains pour en enlever le sang avant de les remettre en face de son visage, comme le font les boxeurs. La douleur l'empêchait de se concentrer comme il l'aurait voulu, mais ça devrait suffire à mettre K.O. une adolescente : il avait le physique d'un mec, bon dieu !!

Il faudrait ensuite qu'il s'assure qu'Elie était effectivement morte ; il n'avait pas pris le temps de le vérifier... Et si..? Aucune importance, elle mettrait quelques minutes à se remettre de la raclée qu'elle s'était prise.
Il devait les tuer toutes les deux s'il voulait un jour être en l'état d'allumer un feu. Cette perspective n'était qu'un autre écho de cette envie qui n'avait jamais cessée depuis leur arrivée dans la tour. Il voulait un *Concentre-toi, bordel !!*

Il comptait laisser Melena attaquer en premier : elle semblait être décidée à se battre de toute façon. Avec un peu de chance il arriverait à retourner la force de sa cible contre elle, il lui suffirait alors de la tabasser brutalement, puis de les achever toutes les deux. Et alors il survivrait !!

Si elle avait hésité avant de se battre, Elie semblait brusquement trouver la force d’anéantir sa cible. Elle avait l’air dans un état second, comme hypnotisée par une force extérieure, mais le fait est qu’elle restait assez hargneuse pour sauvagement se jeter sur le pyromane. La tête de Melena lui tournait, son regard vola du public de zombies aux gardiens confortablement installés, mais rien n’indiquait une issue, rien ne lui désignait une autre solution qu’une barbarie sans nom. Combien de fois avait-elle promit la mort à ses compagnons ? C’était tellement différent quand il fallait coller des gestes aux paroles. Ici, elle n’était pas à Sextus, elle ne se battait pas contre des criminels qu’elle ne connaissait ni d’adam ni d’eve. Ses adversaires étaient des voyageurs ; c’était comme si à Londres, elle avait eu à tuer un camarade de classe ou un concitoyen. Elle abhorrait les autres, mais n’était pas une tueuse.

Un liquide glacé courut dans ses veines lorsque la mauvaise jumelle arracha l’oreille d’Ace avec ses dents. Visiblement, elle avait cédé à la démence, comme leur ainé, et la nécrophobe restait la seule immobile à trembler à la recherche d’une alternative. Ce n’était pas une bagarre de cours de récré, mais un véritable lynchage en règle que Kay et Chayan attendait. La riposte du pyromane fut à la hauteur de sa folie et bientôt, le corps de la mauvaise jumelle ne ressemblait plus qu’à une loque tuméfiée inerte. C’était son tour comme il le disait si bien, et si sa logique prudente l’incitait à préférer achever son ancienne ennemie en premier pour s’en servir avec ses pouvoirs, son cœur lui interdisait un tel acte. Elle n’arrivait pas à se résoudre à la tuer, pas alors que Ace était toujours vivant, pas après qu’il lui ait collé une véritable raclée.

- J’entends, répliqua l’irlandaise sans réfléchir, mais je crois que tu es en train de prendre tes fantasmes pour la réalité.

Explosant comme une bombe dans un espace confinée, la démence venait de pulvériser ses résistances à peine la menace du jeune homme formulée. Pourquoi avait-elle hésité si longtemps ? Si sa survie en dépendait, elle lui arracherait la peau de ses ongles s’il fallait. Il était déjà bien amoché par la psychotique, la perte d’une oreille devait être une source de trouble suffisante pour qu’elle puisse l’attaquer de front. Si seulement elle avait eu de quoi faire diversion…

Comme répondant à ses pensées, l’un de ses nouveaux pouvoirs se déclencha et lui offrit un cadeau bien emballé. Elle ne savait pas de quoi il s’agissait, peut-être une récompense depuis son épopée dans les terres gelées, mais l’heure n’était pas à la vérification. Melena serra les dents, fit quelques pas pour amoindrir la distance qui la séparait de son ainé avant de lui balancer sa trouvaille à la figure. L’objet assez lourd tourbillonna vers le visage du pyromane, l’obligeant à un mouvement qui l’empêcha de parer la charge de la nécrophobe. A l’instar d’Elie, la jeune fille s’était jetée en avant de tout son poids pour renverser son adversaire sur la terre molle.

Son premier coup visa soigneusement l’emplacement sanguinolent de son oreille manquante, le second également, puis une riposte d’Ace fit éclater sa lèvre inférieure. Dans le torrent de rage qui déferlait dans son encéphale, une solution radicale inspirée de son amie – ou de son pouvoir goulifique – éclipsa le reste de ses pensées. Hurlant comme une bête sauvage, l’irlandaise plongea dans le cou de son adversaire et le mordit violemment, sans aucune retenue, jusqu’à ce qu’elle sente la chair se déchirer en sectionnant complètement la carotide. Les frappes défensives du pyromane meurtrissaient son corps minces, causèrent contusions sur contusions, brisèrent même deux de ses cotes, et finirent par l’envoyer valser sur le coté.

L’adolescente roula sur plusieurs mètres, suite de tonneaux douloureux qui élançaient tout son corps, puis elle réussit à se stabiliser suffisamment pour se relever. Son visage blafard était barbouillé de sang, elle cracha les chairs arrachées sans que l’ombre du dégout ne survole ses traits. Son esprit était déjà ailleurs, elle n’était déjà plus que ce que les gardiens voulaient qu’ils soient : une machines à s’entretuer, une bête aliénée et sanguinaire. Elle haletait, porta une main à sa poitrine et recula d’encore quelques pas pour prévoir les prochaines attaques d’Ace.

- C’est tout ce dont tu es capable ?! provoqua-t-elle. Tu ne voulais pas… m’arracher la tête ?

L’éclat gris pâle de ses yeux défiait son bourreau. S’il mourrait, il ne serait plus assez vigoureux pour s’en prendre à elle, c’était une équation simple. Il ne resterait plus alors qu’à se tourner vers Elie… des tremblements violents secouaient la nécrophobe, quelque chose entre l’effroi et une adrénaline démente. Elle essuya maladroitement son menton ruisselant de sang frais, un goût qui lui devenait beaucoup trop familier.

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'Joyeux noël' :

Face contre terre, Elie ne bougeait plus. Sa mâchoire, son ventre, ses bras, ses jambes… tout lui faisait un mal de chien. Elle cracha un caillot de sang, dévoilant l’espace d’un instant ses dents rouge de son propre sang et tenta de bouger un muscle, en vain. Ses muscles tressautaient alors que les paroles du pyromane résonnaient dans sa tête comme une ultime humiliation. Il tuerait Melena et reviendrait l’achever ? Elle ne méritait même pas qu’on la finisse alors ? Il la jugeait inutile ? Faible ?

L’adolescente essaya encore de se relever, sans succès encore une fois. Plusieurs os avaient dû se briser sous la pluie de coups, mais elle suspectait quelque chose de plus grave dans le brouillard qui avait envahi son crâne. Ses organes devaient être touchés pour qu’elle crache autant de sang, et sa tête tournait tellement…

** Jade… Jade j’y arriverais pas…**

Et pourtant elle avait tout donné, même dans cet état de transe hypnotique où elle ne contrôlait plus rien. Elle avait juste été plus chétive, une injustice génétique parmi d’autres. Les filles d’1m60 ne faisaient pas le poids contre des Ken sous anabolisants.

Sauf qu’elle n’était pas juste « une fille ». Elle était une voyageuse, elle avait des pouvoirs, un but ! Elle pouvait pas crever comme une chienne devant des sadiques qui regardaient ce spectacle de mort comme on le faisait avec un bon film ! Mais malgré cette rage et ce désir de vivre, elle restait toujours clouée au sol avec son hémorragie interne gagnant du terrain. Puis une idée germa.

** Je les reprends vite. Fais-moi confiance.

Reprendre qu…**

La voix de Jade dans l’enceinte de son crâne se mua peu à peu en hurlement de douleur alors que les os d’Elie se ressoudaient, ses plaies se refermaient… Son sang regagna sagement son corps et ses organes se régénéraient pour redevenir comme neuf. Le transfert de blessures avait marché, elle était prête à repartir pour un tour et cette fois ci Ace ne se doutait de rien. La bonne jumelle n’aurait que quelques minutes à tenir et la mauvaise savait qu’elle pourrait le supporter.

La psychotique se redressa en silence, profitant de l’amorti offert par la terre meuble. Son regard noir dardait le dos de celui qui l’avait réduit en charpie alors que l’état hypnotique dû à l’ordre reprenait les manettes. Tout faire pour gagner ? Cette fois ci elle mettrait toutes les chances de son côté. Si elle avait pu bouger une armoire horriblement lourde avec une facilité déconcertante elle pouvait recommencer non ? Il suffisait de le vouloir, juste un peu de volonté. Et en le voulant assez fort peut-être même qu’elle pourrait profiter d’autres avantages comme des griffes ou des dents. Plutôt des griffes, juste ce qu’il fallait pour arracher le cœur de ce sadique arrogant.

Alors que ces pensées déferlaient dans son crâne retapé, ses muscles gagnèrent en puissance comme le jour précédent, et de longues griffes noires remplacèrent ses ongles. Elle regarda ses nouveaux jouets d’un air absent tout en avançant sans se presser vers celui qui n’était plus pour elle qu’une cible à abattre. Pour survivre. Pour Jade. Melena et lui étaient bien trop occupés à se taper dessus pour remarquer que la mourante ne l’était plus autant. C’était une boucherie qui se déroulait devant ses yeux, mais dans son état elle n’en frissonna même pas.

Alors que le pyromane se redressait, elle se glissa dans son dos et il planta ses longues griffes ce qui laissait au jeune homme tout le loisir d’en observer les pointes qui dépassaient de ses pectoraux.

- Tu croyais vraiment qu’on pouvait me tuer si facilement ? murmura-t-elle à l’oreille encore intacte qui s’offrait à elle.

Ses joujoux avaient percé les poumons et le cœur, si bien qu’elle n’eut plus qu’à balancer le corps déjà sujet à une violente hémorragie dans un coin comme une vieille chaussette. Pour faire face à la nécrophobe. Une vague de culpabilité montait en elle devant l’acte qu’elle s’apprêtait à accomplir, mais les ordres étaient les ordres. On ne pouvait lutter contre.

- Désolé, je pourrais pas tenir ma promesse. Mais j’ai essayé je te le jure, s’excusa-t-elle de ce même ton étrangement absent.

Sans aucune transition elle bondit en avant, balançant une baffe magistrale à la nécrophobe du revers de la main. Sous le coup de la force accrue celle-ci fit un vol plané jusqu’à heurter la barrière magique et y rebondit comme une poupée de chiffon. Elie profita du temps qu’elle mettrait à se remettre pour rejoindre et démembrer le corps d’Ace non sans une envie de vomir croissante... C’était un bain de sang atroce, inhumain, mais elle connaissait les pouvoirs de son amie et elle ne lui laisserait pas l’occasion de se servir du mort.

Il avait commis une erreur fatale en laissant pour morte Elie. Déjà engagé dans le combat contre Melena, il ne pouvait empêcher son esprit de rester sur ses gardes comme si le corps amoché du Schtroumpf grognon allait se relever. Non, aucune chance à moins que ses blessures s'envolent comme par magie.

Sa stratégie était bonne quant à la manière d'attaquer Melena, mais il ne s'attentait vraiment pas à ce qu'un objet tombe du ciel - à ses pieds ! C'était quoi ? Une... Bouteille..? Certes, une bouteille. Mais le fait est que ça constituait quand même une arme et ça, l'adolescente l'avait compris et ne tarda pas à lui envoyer le projectile à la figure. Il réussit à esquiver mais dans son inattention il n'avait pas pensé que cette dernière en profiterait pour le charger comme sa camarade l'avait fait tout à l'heure. Plaqué au sol une nouvelle fois, il s'en prenait plein la gueule mais rendait coup pour coup.

Puis arriva le moment où elle rendit coup pour cou. *PUTAIN ! Mais elles sont complètement CON ou quoi !!! Cannibales !!*
Ace aurait voulu hurler mais il étouffait dans son sang ; il avalait de travers... SON sang...
Dans un ultime espoir, il arriva à envoyer balader Mel. Il se redressa avec peine, chancelant, tremblant.

Il ne pouvait pas mourir comme ça !! Sa gorge saignait abondamment et le sang ruisselait sur le sol en empourprant sa chemise déchirée de toute part. La tête lui tournait et sa vision se troublait, mais il devait continuer. Il DEVAIT les tuer. Ça ne pouvait pas-...

L'espace d'un instant, le monde s'arrêta de tourner. Le combat cessait enfin et le silence remplaçait cette haine sourde. Il avait froid. Oui, froid... Une douleur grandissante naissait dans son abdomen. Ses yeux s'arrêtèrent sur les quatre pics ensanglantés qui sortaient de ses poumons.
Cet instant sembla durer des heures et le froid gagna rapidement tout son corps. Il avait besoin d'un feu ; il avait besoin de son feu. Il ne voulait pas mourir de la même façon qu'il avait vécu : seul... Seul et en plus haï de tous.

Il avait tué une fille, et cette fille le tuait... Il avait sorti sa main gauche de sa poche pour le combat... Il deviendrait l'un de ces zombies... Il ne reverrait jamais sa famille... Il... N'allumerait plus jamais de feu.
Et tout ça n'importait plus. Ni à lui, ni à personne. Il n'écouta que d'une oreille ces mots qui seraient les derniers qu'il entendrait. Elie...

Puis le brouillard qui s'était levé l'enveloppa tout entier. Il ne voyait plus, n'entendait plus, et son corps heurta le sol. Tout ce qu'il avait fait, vécu, ressenti... Tout ça défilait dans sa tête et il compris alors :
*Ce que je suis, ce que j'ai été... Rien de tout ça n'est-...

Ce ne fut que lorsque ses griffes transpercèrent la poitrine du pyromane que Melena s’aperçut qu’Elie n’était plus au sol. Comment se faisait-il que ses blessures avaient disparu ? Les avait-elle envoyées à Jade ? Si c’était le cas, elle était vraiment ignoble, pire que ce qu’elle avait pu penser de son compte. Elle disait protéger son double, et se servait d’elle comme éponge à hématomes pour pouvoir assassiner froidement ses compagnons de route ? La fin d’Ace avait l’éclat foudroyant de la cruelle réalité. Ce n’était pas un jeu, il fallait vraiment se battre à mort. Le voir s’effondrer fut l’élément qui fit basculer l’équilibre dans le cœur de la nécrophobe, la terreur reprit ses droits et les excuses absentes de la mauvaise jumelle n’y changèrent rien du tout.

Au moment où cette dernière lui assenait sa gifle phénoménale, son pouvoir morbide s’activait, paralysant son corps qui décolla du sol avec une légèreté effrayante. Enfermée dans une carcasse meurtrie, elle heurta violemment la barrière magique avant d’être projetée sur le sol tête la première. Sa nuque gracile s’était brisé ce coup-ci, décrivant un arc disgracieux avec le reste de son corps brisé. La douleur s’imposa et la peur submergea sa conscience, entravant ses réflexions qui lui dictaient de se servir du cadavre d’Ace pour tuer Elie. Que se passerait-il lorsque son organisme recommencera à fonctionner ? Est-ce qu’elle allait restée paralysée ? A la merci de la folie de la mauvaise jumelle ? Combien de temps durait son état au minimum ? Elle ne s’en souvenait jamais.

Les seuls sons qui lui parvenaient étaient des bruits de tissus qu’on arrache et de chair qui se déchirent. L’horreur et la souffrance clamaient leur symphonie juste dans ses oreilles, classant ces trente secondes parmi les plus longues que sa vie ait pu connaitre. Lorsqu’enfin, la vitalité réintégra son corps, Melena sentit ses blessures post-fausse mort se régénérer comme par magie. Incroyable, elle n’était pas au courant que son état morbide létal l’immunisait de la sorte. Elle se redressa fébrilement tandis que la psychotique achevait sa sale besogne. Le pyromane avait été totalement démembré et devenait alors totalement inutilisable pour l’irlandaise. Elle pesta intérieurement de réaliser qu’Elie avait songé à ce détail, mais ça n’était pas le pire : elle possédait visiblement toujours ses griffes et sa force. Dans ces conditions, il était impensable que la nécrophobe en vienne à bout seule.

- Tu t’excuses, lâcha-t-elle à bout de souffle, …mais tu t’en fiches de me tuer, tu pourras rentrer voir Jade et lui raconter comment tu t’es débarrasser de moi.

Les flammes accusatrices de ses yeux gris inhibèrent la peur qui dévorait ses iris. Qu’espérait-elle faire ? Résonner la mauvaise jumelle ? Elle semblait pourtant dans un tel état second que ça paraissait inutile. Tout ceci devait vraiment se terminer comme ça ? Par la main d’une amie ? Dans un monde qui n’était pas le sien ? C’était minable. Terrifiant. Elles avaient quitté San Francisco en assurant aux parents Martins que tout irait bien, qu’elles maitrisaient la situation ; mais le fait est qu’elles ne maitrisaient rien. Le piège des gardiens n’attendait que leur incrédulité pour les avoir et désormais, les portes de la mort s’ouvraient comme un gouffre affamé.

Ses yeux gris se posèrent sur le bout de chair rougie qu’elle avait arraché de la gorge d’Ace de ses propres dents. Maintenant qu’il avait rendu l’âme, ça restait un bout de charogne, inutilisable pour attaquer la mauvaise jumelle, mais sans doute pourrait-il lui servir à regagner un peu de vitalité. Lentement, sa respiration rendue difficile par ses cotes brisées, l’adolescente rejoint le morceau de viande et le ramassa afin de l’ingérer, non, sans une grimace de dégout. Elle n’avait plus à réfléchir en humaine, il fallait qu’elle soit capable de tout pour survivre, et elle irait jusqu’à dévorer les boyaux de ses acolytes si ça lui permettait d’y parvenir. Ses bleus se résorbaient, sa lèvre et l’intérieur de sa joue guérirent presque totalement. C’était évidemment loin du résultat optimum, mais écarter ces petites sources de douleur libérait un peu de place pour penser convenablement.

Melena avait réduit la distance qui la séparait de son ultime adversaire, mais ça n’était pas grave. Elle était prête à se débattre comme une furie, à résister jusqu’à ce que les capacités de la psychotique ne s’éclipsent et qu’elle puisse avoir raison de celle-ci. Rien ne l’empêcherait de survivre, rien du tout, même si après avoir été la dernière à se redresser dans l’arène, elle devait mendier un cadavre en décomposition avancée pour se régénérer ou faire appel à Labeau Nefaie.

Le sang imbibait désormais ses vêtements, couvrait chaque centimètre de sa peau. Penchée sur les restes de ce qui avait été Ace on aurait pu la prendre pour une anthropophage, cousine entre Carrie et Annibal Lecter, mais elle ne s’en rendait même pas compte. L’hémoglobine gouttait encore de ses griffes alors qu’elle se redressait pour faire face à Melena qui avait survécu à son vol plané. Increvable… pire qu’un cafard. Et elle lui faisait la morale ! Elle se trompait sur toute la ligne !

La mauvaise jumelle s’insurgeait contre cette opinion défaillante, ce qui arrivait n’était pas de sa faute. Même si elle le voulait de toutes ses forces son corps se mouvait de lui-même pour accomplir la triste besogne que lui avait confié son double. Elle ne faisait pas ça pour Jade, mais parce que Jade ne lui avait pas laissé le choix. Mais la nécrophobe ne croirait jamais ça. De toute façon elle serait bientôt morte, alors ce n’était pas la peine de s’étendre en explications vaseuses, elle préféra regarder d’un œil morne son ex-ex-ennemie ramper vers un bout de barbaque pour la gober toute crue.

** Et c’est moi qu’on blâme ? Je rêve… **

Il fallait mettre un terme à ça maintenant. Ça avait déjà trop trainé et plus les sévices prenaient du temps plus sa conscience la torturait.

- Je peux pas te laisser me tuer mais j’essayerais de faire vite, déblatéra Elie de sa voix monocorde.

Aussitôt dit aussitôt fait. Elle courut vers Melena les griffes en avant mais celle-ci esquiva comme un toréador pendant une corrida. Sans se laisser abattre la psychotique repartit à la charge, encore et encore jusqu’à réussir à planter l’un de ses longs jouets poisseux de sang dans l’épaule de sa camarade. Elle profita de sa prise pour tirer violemment et assener un coup derrière la nuque de sa proie pour la projeter à plat ventre sur le sol, mais celle-ci continuait à gigoter comme un asticot au bout d’un hameçon.

- Tiens-toi tranquille… bordel, je peux… pas t’arracher les…

D’un violent coup de pied entre les omoplates elle envoya Melena un peu plus profond dans la terre meuble et referma ses doigts fins et couvert de sang sur les poignets de la nécrophobe. Dans cette position les bras tirés en arrière empêchaient tout mouvement en entrainant un tiraillement particulièrement douloureux, mais ce n’était que le début.

- … bras ! acheva Elie dans un souffle.

Barbarie gratuite ? Bien sûr que non. Melena allait probablement activer son pouvoir et mourir, lui enlever ses bras restait le seul moyen efficace d’empêcher une riposte. Il faudrait ensuite les détruire, ou les enterrer, ou… Mais trêve de réflexions. La mauvaise jumelle tira violemment, si violemment que les os commencèrent à craquer en entrainant la fausse mort de l’irlandaise. Bientôt les chairs suivirent dans un déchirement écœurant pour dévoiler l’os à nu de l’articulation de l’épaule. Le sang ne coulait pas, mais la tâche était accomplie.

Elie regarda un moment, l’œil mort, les choses qu’elle tenait en main. L’envie de vomir était au bord des lèvres mais il ne fallait pas craquer, pas maintenant. Elle broya consciencieusement les deux membres, les éparpillant aux 4 vents comme s’il s’était agi de graines à planter et pour bien finir la tâche elle les enfonça dans le sol à coup de talons.

- C’est pas contre toi je t’assure, mais je peux pas me laisser mourir. Je peux pas tu saisis ? Le verbe pouvoir… la possibilité…

De sa démarche titubante elle revint vers le corps, tombant à genoux à côté de celle qu’elle avait juré de protéger. D’une poussée de la main elle la retourna sur dos et planta ses longues griffes dans son ventre pour en tirer une poignée de boyaux qui connut le même destin que les bras. L’ordre avait été suivi, tout avait été fait pour survivre… et elle émergea de sa transe.

- Merde… merde ! Non ! Désolé ! Je… on va recoller les bouts !

Devant l’idiotie de ce qu’elle venait de dire elle se prit la tête dans les mains, marquant un peu plus son beau visage de trainées rouge sombre.

La voix monocorde d’Elie lui répondit, plus effrayante encore que ne l’auraient jamais été les menaces démentes d’Ace. Face à la charge meurtrière de celle qui avait été sa rivale, puis son amie, elle était prête. Les griffes sifflèrent à ses oreilles au premier assaut, mais elle était indemne. Combien de temps son pouvoir durerait-il encore ? Combien de temps saurait-elle l’esquiver ? Deuxième attaque, ses cheveux y laissèrent quelques mèches. Troisième, quatrième, elle ne pouvait rien faire d’autre que d’éviter de se faire embrocher. C’était ridicule, mais sans la possibilité de manier la charogne de son ancien ennemi, passer à l’offensive restait une opération suicidaire.

Plus ça allait, plus sa poitrine lui faisait mal. Ses cotes allaient finir par percer ses poumons, la douleur l’épuisait bien plus que de raison, son souffle s’amenuisait inexorablement. Bientôt, trop vite, ses mouvements devinrent trop lents et les armes de la mauvaise jumelle se plantèrent dans la chair de son épaule. Elle poussa un hurlement strident : jamais elle n’avait été blessée de la sorte, jamais rien ne lui avait parut si réel. La nécrophobe voulut pivoter furieusement pour se dégager et asséner un coup de coude dans le nez de la psychotique, mais celle-ci l’envoya rudement au sol. La folie du désespoir se déchainait afin de l’aider à s’échapper, mais une nouvelle frappe l’enfonça plus encore dans la terre.

Melena eut l’impression de sentir tout ses os se fissurer. La douleur s’installait tellement dans son organisme qu’elle ne savait même plus ce qu’était de ne plus rien ressentir. Lorsque les mains d’Elie se refermèrent autour de ses poignets graciles, un pied posé au milieu de son dos, elle comprit en un flash ce que s’apprêtait à faire la mauvaise jumelle. La barbarie ultime, elle qui avait prétendu la protéger, elle serait capable de lui arracher les bras. L’irlandaise voulut remuer, mais il était trop tard : son corps n’était plus que souffrance, et la terreur de la mort si proche, plus proche que jamais, paralysa ses fonctions au moment où ses os cédaient à la force lycantropique. Les fermetures de sa combinaisons craquèrent, ses bras lui furent enlevés, comme on aurait ôté ses pattes à un insecte. Si elle avait pu vomir, Melena l’aurait fait, mais elle était prisonnière de cette enveloppe de charogne.

Elle aurait pu mettre fin à cette douleur sans nom qui lui grignotait le cerveau, elle aurait pu désactiver son pouvoir, mais c’était s’ouvrir les portes d’une hémorragie face à une adversaire encore en forme. Quelles seraient ses chances alors ? Aucune. Pas l’ombre d’une chance de l’emporter, la seule façon de ne pas mourir était d’attendre que tout soit fini et faire appel à Labeau Nefaie. Elle donnerait tout ce qu’elle a pour s’acheter une substance capable de la régénérer ; elle mangerait jusqu’aux dernières miettes d’un cadavre décomposé : tout pour ne pas mourir.

Pourtant, l’horreur n’était pas finie. Elie la retourna, et lui déblatéra une phrase d’excuse de cette voix absente. Elle ne « pouvait » pas ? Qu’est-ce que cela signifiait ? Elle pouvait ne pas se battre, elle pouvait ne pas lui arracher les membres, elle pouvait chercher avec elle une solution de sortir de ce cercle. L’adolescente aurait voulu pouvoir lire dans les yeux de celle qu’elle avait commencé à voir comme une amie un indice, quoique ce soit pour comprendre cette tirade mystérieuse, mais il n’y avait rien que le vide. Un vide inquiétant et absent… comme sous hypnose toujours. Si c’était le cas, alors la vraie Elie, celle qui lui avait promis qu’elle ne mourrait pas, referait peut-être surface à temps pour la sauver.

C’était une utopie, un rêve qui ne se voit que dans les films. Les griffes de la mauvaise jumelle se plantèrent dans son ventre pour lui en arracher les boyaux. Est-ce que son pouvoir pouvait amortir une telle mutilation ? Il y avait de fortes chances que non. Comment ressouder des membres et des organes réduits en charpie ? Il n’y avait rien à recoller, rien. Elle avait mal, mal… si mal que l’émergence de son ancienne complice lui passa au dessus de la tête.

L’irlandaise ne sentait plus vraiment son corps tellement il se noyait dans une bouillasse de souffrance. Ce pouvoir était son unique filin qui la raccrochait à la vie, mais qu’est-ce qui la sauverait une fois qu’il prendra fin ? Elle avait peur. Si peur… même aussi proche de son seuil, elle ne pouvait pas se pencher par l’entrebâillement de sa porte pour jeter un œil à la mort et savoir ce qui l’attendait. Elle s’accrocherait à la vie, comme un parasite, comme une vermine rampante qui attendait un miracle. Pendant son parcours à Dreamland en avait croisé, pourquoi pas maintenant ? Pourquoi tout devait s’arrêter ? Pourquoi Elie ?

Ses yeux sans couleur fixaient le plafond morbide, mais derrière leurs vitres sans teint, elle continuerait de lutter déraisonnablement, jusqu’à ce que sa capacité létale prenne fin. Elle n’aurait sans doute pas le temps de pleurer, ni de hurler à la mauvaise jumelle comme elle la détestait, comme elle avait su l’apprécier. C’était un peu la juste conclusion à la malédiction de sa famille, mais son esprit continuait de fuir l’évidence, se fabriquant des espoirs vains de toute pièce.

Ses mains toujours plaquées sur son visage elle pouvait désormais sentir ses griffes se rétracter jusqu’à redevenir des ongles, ses muscles perdre de cette extraordinaire force qui lui avait permis de massacrer ses camarades. Maintenant que sa lucidité était revenue elle ne pouvait que regarder en face l’horreur de ses actes et trembler, trembler de honte et de colère. De frustration aussi. Un sentiment poignant qui la prenait aux tripes en menaçant de la faire dégobiller sur le vrai-faux cadavre de son amie.

Elie retira ses mains et leva les yeux du corps mutilé pour fixer leurs véritables bourreaux affalés dans leurs horribles fauteuils aussi morbides que clinquants. Ils discutaient, elle pouvait voir leurs lèvres bouger à défaut de saisir leurs paroles, mais surtout elle les voyait sourire, et rire. Rire ! Comment pouvaient-ils prendre du plaisir devant un tel spectacle ?! Saisie de tremblement la mauvaise jumelle frappa le sol avec violence, des larmes de rage laissant des trainées blanches dans le sang qui barbouillait son visage. Le pire était peut-être le fait de ne pas pouvoir se venger.

Sa main se posa avec douceur sous la tête de Melena alors qu’elle la soulevait pour la faire reposer sur ses genoux, caressant la longue chevelure corbeau comme si cet acte avait pu apporter réconfort et guérison. Les lèvres pincées elle cherchait ses mots mais tout était si chamboulé dans son crâne qu’elle ne savait pas où commencer, persuader que ça ne servirait à rien. Elle se lança tout de même d’une voix blanche au bout de quelques secondes, son regard fuyant celui morbide de l’irlandaise.

- Je voulais pas ça, je te jure que je voulais pas ça. Je savais pas quoi faire, j’ai demandé à Jade de décider pour moi mais je… je lui avais pas bien expliqué… elle m’a juste dit de tout… de tout faire pour survivre. Je peux pas désobéir à un ordre qu’elle me donne, c’est l’un de ses pouvoirs. Je suis tellement désolée !

Ses mains tremblaient alors que ses doigts s’emmêlaient dans les crins ébène de son amie. Peut-être qu’elle était déjà morte, peut-être qu’elle ne parlait qu’à un fichu cadavre, peut-être que…

** Je peux plus ! Je peux plus ! Reprends les tu avais promis ! **

La voix de son double hurlant dans son crâne la fit sursauter. Avant d’avoir pu réagir elle récupérait déjà tout : les bleus, les os brisés, les organes abimés. Elle regarda avec horreur sa peau meurtrie alors qu’elle se penchait sur le côté pour cracher du sang dans une quinte de toux. Jade lui avait vraiment renvoyé la totalité et maintenant Elie n’osait pas lui demander d’en récupérer une partie mais… les blessures avaient empiré. Elle pouvait sentir dans son corps meurtri que l’hémorragie interne avait fait son chemin, que c’était trop tard pour y faire quelque chose. Mourir comme ça ? Maintenant ?

** Jade… s’il-te-plait repr…
NON ! LAISSE MOI ! CA FAIT TROP MAL ! **

Cette réponse coupa le souffle d’Elie aussi sûrement que sa côte perforant son poumon l’empêchait de respirer convenablement. La respiration sifflante elle s’étendit tant bien que mal à côté de la nécrophobe, son regard fixé sur le plafond lointain. La douleur envahissait maintenant chaque parcelle de son corps et elle sentait qu’elle ne pourrait plus se relever. C'était la fin... Cherchant à tâtons le corps de Melena elle y posa la main avant de souffler à peine audible :

- C’est… une fin bien pitoyable non ?

Un rire étrange s’échappa de ses lèvres alors que les soubresauts de son torse lui faisait souffrir le martyr. Elle s’était battu contre ses principes moraux, avait tué son amie et un pauvre mec aussi perdu qu’elle… tout ça pour venir au secours d’une fille trop pleutre pour vouloir partager ses maux une nouvelle fois. Crever comme un chien parce que la partie pleutre de son âme était aussi égoïste et stupide, tellement centré sur son nombril qu’elle ne savait plus reconnaître les choses importantes. Les gardiens avaient raison au fond, c’était drôle.

- Je… je m’excuse aussi pour cette nuit-là, et po… pour le reste aussi. Jay veut même pas me… me sauver tu sais ? C’est drôle non ? Moi je trou… ve ça comique.

La douleur la faisait bégayer, mais même la force de parler s'était évanouie désormais. Ses yeux se fermèrent alors qu’une dernière larme coulait sur sa joue, son esprit engourdi déjà loin. Elle ne sentait plus rien, et si c’était ça la mort elle voulait bien s’y rendre finalement. Peut-être même qu’Amber l’y attendrait avec un sourire au coin des lèvres, comme à cette époque où les voyous ne violaient pas les filles dans les ruelles avant de les égorger. Une époque bénie… le paradis.

Où était-elle déjà ? Ah oui, dans la tour de Freedoom. Dans l’océan de douleur qui faisait dériver son corps mutilé, ses pensées s’étiolaient et se dissipaient dans le néant. Le plafond macabre avait désormais la manie de tourbillonner, dans un sens, puis dans l’autre, jouant à parfaire le désordre de son esprit. A qui se raccrocher désormais ? Les images défilaient si vite qu’elle n’arrivait pas à les saisir. Sa mère d’abord, qui la contemplait avec un amour triste, un voile sombre sur ses yeux qui laissait présager le pire. Elle disparut à son tour comme un souvenir matérialisé dans la fumée, et Cécilia prit sa place. Melena revit la dernière fois qu’elles s’étaient parlé ; elle lui avait dit « à demain Cécilia », sans lui parler de ce qu’elle s’apprêtait à faire. Maintenant, même si la peur refoulait son idée le plus loin possible de sa raison, c’était une certitude : il n’y aurait pas de demain. Aucun autre.

Mince, où se trouvait-elle ? Ça lui échappait. La main d’Elie se posa sous sa tête pour la faire décoller de terre. Rencontrer le visage barbouillé de sang de la mauvaise jumelle lui rendit la mémoire, comme une étincelle dans la nuit. La tour de Freedoom, c’était vrai. Mais elle l’avait tué non ? L’irlandaise ne savait plus trop bien… les orbes bleus d’Elie la fuyaient alors que sa main caressait ses cheveux. Elle ne comprenait pas très bien, mais les mots que la psychotique vint poser sur ce comportement furent plus clairs. C’était de la faute de Jade alors ? C’était elle qui avait ordonné à sa copie de la tuer ?

La souffrance de son cœur passa inaperçu dans tout le reste, mais elle se sentit trahie, humiliée, oubliée. Une moins que rien que sa soi-disant meilleure amie n’avait pas mit longtemps à refourguer au placard. Les excuses de son ancienne rivale, ou ancienne amie, ne lui rendaient pas la vie, mais elles touchaient son cœur, seul organe rescapé du massacre. A cet instant, elle aurait voulu parler, lui dire quelque chose, n’importe quoi… qu’elle était trop conne, qu’elle devrait arrêter de se prendre pour une bad girl, qu’elle était assez humaine pour avoir une meilleure estime d’elle-même, qu’elle était jolie, que l’Irlande lui manquait, que les londoniens étaient constipés, que sa prof de français était bête comme ses pieds…

Melena perdait le fil encore une fois. Où était-elle ? Elle usa de ses dernières forces pour s’en souvenir. Sa paralysie artificielle la maintenait dans un sursis cruel, mais elle n’arrivait pas à lâcher prise, elle avait peur, trop peur. Elle ne voulait pas mourir, non, pitié ! N’importe qui, elle ferait n’importe quoi en échange, elle donnerait jusqu’à ce qu’elle a de plus précieux, jusqu’à sa dignité et sa fierté.

La voix d’Elie la tira de ses supplications silencieuses. Une fin pitoyable ? Oui. Elles étaient venues en héroïnes et se retrouvaient clouées au sol, agonisantes, prises au piège. C’était stupide, lamentable, pathétique d’avoir été aussi orgueilleuses. La dernière réplique de la mauvaise jumelle la raccrochait encore à la réalité, accentuant l’affection qu’elle lui portait et l’aversion qui naissait pour Jade. Cette même Jade qu’elle avait soutenu, protégé, aimé…

Son amie rendait l’âme, une main posée à coté du trou béant de son ventre. Elle était seule désormais, les images recommençait à défiler, indistincts, mais elle croyait y reconnaitre ses parents adoptifs. Dire qu’ils lui manquaient maintenant, alors qu’elle consacrait la majeure partie des conversations qu’elle avait avec eux à les envoyer bouler. Son corps ne supportait plus la douleur qui l’éreintait, passé en mode automatique, avec une force largement supérieur à ce qu’il restait de la volonté de Melena, il mit fin à son pouvoir. Sa vie lui fut rendue pour quelques secondes. L’hémorragie n’avait attendu que cela, les flots de sang se déversant subitement hors de son corps, comme une vague qui a fait cédé un barrage. Ses derniers efforts, elle les concentrait dans sa mâchoire, elle voulait dire quelque chose, même si c’était trop tard. Elle voulut prendre la main d’Elie, mais ses bras étaient absents, évidemment.

- Elie… je… j’ai…

Sa voix s’étrangla, noyée dans le sang qui envahissait sa gorge et ses voies respiratoires. Ses pensées se perdirent dans un brouillard épais, la douleur s’effaçait en même temps que sa vue et que tous ses autres sens. Il ne restait plus que la peur, une peur viscérale qui ne la retenait pas. Elle noircissait les abysses vers lesquels elle plongeait, les rendait glaciales et inhospitalières.

*Elie, j’ai peur.*

- Bravo ! Magnifique ! s’exclama Chayan en battant des mains avec mollesse pour ne pas perdre de doigts dans l’opération.

- J’aurais bien demandé de refaire la scène mais je crains qu’ils ne soient plus en état, ajouta narquoisement Kay.

Toujours affalés dans leurs fauteuils ils jetèrent un dernier regard aux corps mutilés des trois voyageurs avant de faire un vague signe de la main parfaitement synchronisé dans cette direction.

- Débarrassez nous de cette barrière.

- Et préparez les corps.

D’un nouveau mouvement une dizaine de zombies s’amassèrent auprès de chaque fauteuil osseux pour le soulever et l’entrainer vers les escaliers de pierres froides. Toute cette agitation les avait fatigués et les préparatifs dureraient jusqu’à demain le temps que leurs sous-fifres trouvent trois vierges à sacrifier. Ce n’était pas une étape obligée mais le goût pour le drame qu’avait ce couple défunt était au-delà des notions d’utilité. Ca donnerait de la grandeur, de la profondeur. Ca accrocherait le spectateur… tous les bons cinéastes savaient ça.

Quand ils eurent disparu, Fisher poussa un soupir de soulagement avant de disperser du pied la poussière d’os qui composait le cercle. Il n’était pas friand de ce genre de scène, elles le mettaient même mal à l’aise. Oh… non pas qu’il s’inquiète du sort des jeunes gens mais se remémorer le jour où il avait subi les même épreuves n’était pas un moment agréable.

Il passa les heures qui suivirent à récupérer chaque bout de macchabé éparpillé sur le sol ou carrément enfoncé dedans. Une besogne fastidieuse et répugnante qui froisserait son beau costume mais on ne pouvait compter sur les zombies pour ce genre de tâches délicates. Une fois la récolte finie vint le temps des sutures, des aiguilles perçant les chairs mortes jusqu’à faire d’Ace, Melena et Elie des parodies en patchwork de ce qu’ils avaient été de leur vivant. Il fallut près d’une journée entière pour recomposer le puzzle qu’ils représentaient et lorsque les douze coups de midi du jour suivant résonnèrent dans l’air froid de Freedoom, tout fut prêt.

Tous les êtres habitants la tour avaient l'air de ce réjouir de ce qui se préparait... sauf Azraël et ses mauvais souvenirs, ainsi que les 3 pauvres filles qui attendaient sagement attachées à un poteau. Pour les biens de la mise en scène elles avaient été vêtues - peu - de blanc, un tissu vaporeux qui laissait entrevoir leurs cuisses diaphanes en offrant un joli spectacle à l'oeil lubrique et à moitié énucléé de Chayan.

Les deux gardiens avaient réintégré leur place dans leurs fauteuils décadents, juste de manière à faire face aux trois tombes fraîchement recouvertes. Sous ces mètres de terre reposait dans des cercueils de cèdre les corps de nos trois amis, petit manège aussi inutile que sadique. Mais les forcer à sortir de leurs tombeaux était hilarant non ? Les gardiens le pensaient de toute évidence. A l'heure dite les trois jeunes femmes furent égorgées au dessus de chaque sépulture alors que le couple macabre psalmodiait en une langue inconnue.

Dans l'obscurité trois paires d'yeux s'ouvrirent brusquement avec autour d'eux l'odeur omniprésente de la pourriture, du bois et de plusieurs mètres cube d'humus faisant pression au dessus de leurs têtes...

... Bienvenue néophytes morts-vivants !


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