Par-delà la mort [deuxième épreuve]

[Provient de ce topic]

Qu'y a-t-il après la mort ? Depuis la nuit des temps c'est la question que tous les hommes se sont posés et même si chacun obtient la réponse un jour ou l'autre, rares sont ceux qui sont revenus pour en parler. Aujourd'hui à Freedoom, trois personnes reviennent d'entre les morts...

__________

Ce qu'il avait vu... Serait-il capable de l'expliquer ? Serait-il capable d'en parler..? N'était-ce qu'une illusion ? Ou bien son esprit ? Ce voyage, Ace savait qu'il était amené à le refaire un jour où l'autre. C'était naturel. Mais tous ces mystères qu'il avait dévoilés s'effaçaient maintenant de sa mémoire, son corps l'appelait au loin, par-delà le temps, par-delà l'espace... Par-delà la mort !

*...
...
Qu'est-ce que... Qu'est-ce que je fous ici ? Non. OÙ suis-je ? Que s'est-il-Aïe !!* la tête du pyromane venait de heurter quelque chose. Ce quelque chose se situait à quelques centimètres de son visage, lui renvoyant son propre souffle sur la figure. Il était très limité ; dans ses mouvements mais également dans sa perception. Il ne voyait rien, n'entendait que sa respiration encore saccadée.
Visiblement il était enfermé dans quelque chose, et pire : il y étouffait. Son seul reflexe fut de tambouriner ces murs qui l'entouraient dans l'espoir qu'ils se brisent.

Ses efforts furent vains. Il essaya de se calmer, de reposer ses muscles endoloris par l'action soudaine. Petit à petit, sa mémoire lui revenait. Il était mort. Il l'était. Le combat dans l'arène... Son oreille arrachée, sa gorge, les pics qui traversaient sa poitrine... Tout lui revint sauf la suite : trou noir.
Il tâta les parties de son corps précédemment arrachées en s'apercevant qu'elles étaient revenues. Son corps était entier, même s'il semblait simplement recousu avec une grossièreté affligeante au toucher.
Il se souvint des gardiens et de son envie de feu. Or pour qu'une flamme vive, il faut de l'air ! Second essai. Cette fois, ce fut concluant car le pyromane entendit un craquement dans la paroi. Il concentra ses coups à l'endroit où il avait entendu la première fracture. Ça ressemblait à du bois, ça sentait le bois et... La terre ??
*Ces salauds ont quand même pas osé m'enterrer, bordel !!?*
A priori, c'était le cas... Il força sur la brèche nouvellement créée. Il devait bien y avoir un mètre de terre au dessus de lui et le stress recommençait à monter. Il grattait, creusait, déblayait du mieux qu'il pouvait jusqu'à sentir une brise fraîche s'engouffrer dans la brèche. Dans un râle il poussa la terre qui le séparait encore de l'extérieur. Il pouvait enfin sortir même si le trou n'était pas vraiment à sa taille.
C'est vrai qu'en y réfléchissant... On ne construit pas ce genre de trucs dans l'optique que quelque chose en ressorte...

Il s'extirpa de son tombeau tant bien que mal et la première chose qu'il vit ne l'enchanta pas des masses : les deux gardiens le regardaient avec un sourire amusé, tandis que le vieux schnok regardait la scène de haut comme s'il s'agissait d'un acte répugnant que de vouloir s'enfuir de son cocon mortuaire. *Ben eh ! La prochaine fois t'y vas à ma place, ducon !*
Mourir n'avait jamais été dans les projets d'avenir de Ace et encore moins revenir à la vie. Mais une chose était sûre : il ne pardonnerait pas si facilement et était vraiment en rogne.

Il se releva, épousseta les loques tâchées qui lui servaient de vêtements et en profita pour se recoiffer rapidement. Une fois qu'il fut à peu près présentable, il jeta un œil autour de lui. Rien ne semblait avoir changé à part les deux mottes de terre de part et d'autre de sa tombe. Logiquement, il devait s'agir d'Elie et Melena. Il se demanda un instant si elles aussi reviendraient à la vie. C'était plus que probable car Azraël tournait désormais son regard vers les dites tombes. Les gardiens quant à eux continuaient de fixer le pyromane avec un air amusé, comme s'ils venaient d'assister à la naissance d'un nouveau zombie. Pas de bol : Ace était en pleine possession de son cerveau ! Enfin... C'était la seule chose qui semblait aller bien chez lui à en juger par le teint blafard qu'arboraient ses mains, ponctuées de tâches de sang brunies. Son corps portait encore les séquelles du combat qu'il avait mené et le pyromane se demandait vraiment comment il pouvait encore être vivant.

- Kesskiya !? J'ai de l'herbe entre les dents !? Oh oui, c'est très marrant de crever des gens pour le seul plaisir de les réanimer, vraiment !! Y en a encore des aussi marrantes ou c'est bon !?
Tant pis pour la politesse, ils n'en valaient pas la peine de toute façon. Il était trop en colère contre eux pour avoir peur. Le fait qu'il soit debout et eux assis devait aider également. Il voulut s'approcher mais le majordome le lui interdit d'un geste. Il devrait surement rester devant sa tombe le temps que les filles ressuscitent elles-aussi. Ça n'était qu'une question de temps.

Deux yeux s’ouvrirent dans l’obscurité.

Allongée au fond de son cercueil, Elie ouvrit grand la bouche par réflexe pour prendre une inspiration mais se stoppa net lorsqu’elle se rendit compte que ses poumons ne marchaient plus. Un réflexe humain la poussa à poser la paume de sa main et attendre dans le lourd silence qui emplissait le néant où elle se trouvait. Rien. Pas un battement de cœur, pas un seul mouvement comme si son corps était…

** Mort.**

Oui, elle était morte. Tout lui revenait avec une clarté sublimée par sa claustration. Sur l’écran noir et vierge se dessinaient ses derniers instants tout de pourpre et de blanc, celui d’un os qui pointait sa tête hors d’une articulation dénudée. Ses doigts glissèrent alors jusqu’à sa bouche pour ne pas vomir mais elle n’en avait à vrai dire pas vraiment envie. C’était comme si… comme si elle était toujours morte. Pourtant son cerveau fonctionnait, et elle pouvait sentir ses os encore brisés se déboiter à chacun de ses mouvements alors qu’est-ce qu’il se passait bon sang ?

Même dans la mort la peur n’existait pas, ne restait qu’une profonde et envahissante frustration qui balayait tout le reste à l’instar d’un ouragan dévastant une côte. Elle était morte et enterrée, voilà ce qu’elle était. Enfermée dans une boite, sous des litres et des litres de terre meuble qui l’isolaient complètement du reste du monde la laissant seule comme elle l’avait toujours été, au fond. Un sentiment de nostalgie l’envahit alors qu’elle fermait les paupières, comme si elle était de retour chez elle. C’était presque ça d’ailleurs, un espace sombre, un placard envahis par les araignées où elle était reléguée dans un coin de la tête de Jade par le passé. Les coulisses, les bas-fonds, l’endroit honteux où l’on cache nos pires secrets dans une nuit absolue. Et elle s’y sentait presque bien.

Pourquoi sortir d’ailleurs ? Se briser les mains à frapper cette boite en bois, traverser des mètres d’humus sans être sûr de revoir le soleil ? Plus rien n’avait d’importance. Jade l’avait trahis, elle l’avait laissé crever… pire même : elle l’avait poussé à bafouer la promesse qu’elle avait faite. Et puis n’était-elle pas morte ? Une sépulture était donc l’endroit où elle devait reposer. Sa conscience actuelle ne devait être qu’une nouvelle lubie dreamlandienne.

Un cloporte rampant sur son visage la fit grimacer et lever la main pour chasser l’insecte entreprenant. Alors qu’elle l’envoyait heurter la paroi de bois ses doigts entrèrent en contact avec quelque chose qui l’arrêta. Une… suture ? Elie tâta son visage à l’aveugle, sentant sous ses doigts le contour d’une plaie recousue au niveau de sa lèvre, une autre au-dessus de son arcade sourcilière alors qu’une dernière prenait naissance à la base de son cuir chevelu pour disparaitre sous sa masse de cheveux bruns. Ils l’avaient réparé… pourquoi ?

** Pour me faire revivre pardi… **

Les gardiens l’avaient probablement transformé en l’un de leurs jouets décomposés, une raison de plus pour rester là. Mais ça voulait aussi dire que Melena était peut-être ressuscitée comme elle. Et qu’elle l’attendait.

- … chier ! finit-elle par grommeler avant d’envoyer son pied heurter la paroi du cercueil.

L’adolescente s’aida de ses mains pour se stabiliser, frappant encore et encore jusqu’à ce que le bois craque, jusqu’à ce qu’un flot de terre humide se déverse dans son dernier refuge. Cela ne l’arrêta pas pour autant, bien au contraire. Ses mains se mirent à gratter furieusement pour se creuser un tunnel vers la surface, s’arrachant un ou deux ongles au passage sans même s’en rendre compte. Les points cardinaux, le haut et le bas, plus rien n’avait de sens… la mauvaise jumelle suivait juste son instinct qui lui disait qu’elle était sur la bonne voie.

Sa main droite finit par jaillir de terre, du sang coagulant là où s’était trouvé l’ongle de son index. La gauche suivit ensuite, puis la tête, et ensuite le torse… la psychotique s’extirpait de sa tombe avec toute la rage du désespoir. Elle avait la possibilité de réparer ce qu’elle avait fait. Elle pourrait s’expliquer, et rien que pour ça ça valait le coup de revenir voir comment se passaient les choses dans le monde des vivants.

Une fois hors de sa sépulture elle se redressa lentement, des mottes de terre se détachant de ses vêtements tâchés. Ses yeux morts glissèrent sur Ace qui présentait un nombre phénoménal de sutures qui, malheureusement, étaient dues à ce qu’elle lui avait fait.

- Où est Melena ? lâcha-t-elle abruptement.

[HRP : Melena t'a envoyé un MP pour tout ce qui ne colle pas, mais je me contenterais de te dire... Fisher n'est pas vieux XD.]

Ses yeux s’ouvrirent brusquement. L’ombre et le silence furent les premières des choses dont elle prit conscience, juste avant de réaliser qu’elle ne respirait pas. Les dernières images enregistrées par son cerveau étaient celles de son agonie, les paroles d’Elie résonnèrent à ses oreilles sans vie, mais il n’y avait rien d’autre. Melena fit bouger ses mains machinalement, et se rendit compte que ses bras avaient été ressoudés à son corps, tout comme son ventre semblait avait été refermé. On avait même eu l’amabilité de réparer sa combinaison techyoïte. Surprise, elle tata ses épaules et son abdomen pour sentir de fines coutures sur sa peau morte. La bonne nouvelle était donc qu’en dépits de ce qu’elle avait enduré, elle était en quelque sorte toujours vivante. Néanmoins, son corps lui, en plus d’être mort, n’était plus qu’une poupée rapiécée par nécromancie… ce qui pouvait constituer une mauvaise nouvelle.

- Enfoirés de gardiens, murmura-t-elle.

La peur était encore muette. Comment pourrait-elle avoir peur de mourir alors qu’elle venait d’échapper à sa pire ennemie ? Alors que son enveloppe charnelle n’était déjà plus de ce monde ?! Les odeurs qui l’envahissaient dans ce gouffre obscure n’étaient que trop parlantes : elle se trouvait dans un cercueil, enterrée, sous doute sous plusieurs mètres de terre. C’était encore une de leurs épreuves débiles ? Etait-ce finalement ça le prix à payer pour devenir adepte ? Jouer les pantins masochistes pour un couple de délurés ?

Sa main se posa doucement sur le bois au dessus d’elle. Il fallait qu’elle sorte, elle n’avait pas fait tout ça pour rester enfermer dans une boite en cèdre. Utilisant toute la rage dont elle était cabale en guise d’anabolisant, Melena se mit à cogner de toutes ses forces contre le couvercle de son cercueil. Ne pas respirer était pour le coup un avantage, car en bonne vivante, elle serait certainement morte asphyxiée ou étouffée par l’humus avant de regagner la surface. Ses poings et ses pieds finirent par fissurer le bois, puis le fendiller, et enfin le faire craquer en libérant une cascade de terre qui l’ensevelit avec fracas.

Néanmoins, il en fallait plus que cela pour venir à bout de sa volonté à survivre. Elle regagnerait la surface, coute que coute, et surmonterait chacune des épreuves excentriques imposées par les deux cinglés en décomposition. Qu’importe leur pouvoir et leur rang, un jour, elle deviendrait assez forte pour leur régler leur compte, et tout ceci ne serait plus qu’une vieille histoire.

Ses mains cherchaient loin dans la terre meuble, hissaient son corps recomposé au travers l’épaisse couche qui la séparait encore de la surface. Tout lui paraissait tellement irréelle, tellement surréaliste que sa raison ne savait plus comment fonctionner. Elle en avait connu de belles à Dreamland, mais cette mésaventure-ci était vraiment la pire de toute son existence. Pire encore que le job avec Liam dans les cachettes énigmatiques de Clampin, pire que le Colisée de Sextus, pire que tout.

Enfin, elle sentit le bout de ses doigts percer la surface, après des efforts qui lui avait paru interminables. Ses bras émergèrent en premier, puis son crâne sombre couvert de terre, puis sa face décolorée, et enfin le reste de son corps qui s’extirpa de sa tombe. Ses yeux se levèrent d’abord pour apercevoir les sépultures et les corps inertes des jeunes filles à demi nues attachées aux poteaux. C’était écœurant, horrifiant, irréel, mais son esprit était encore trop loin pour réaliser l’impact de la scène. Elle vit alors Chayan et Kay, confortablement installés dans leurs fauteuils pour les regarder sortir de leur tombeau avec la force du désespoir. Deux monstres sans vie qui continuaient de la pétrifier, malgré la haine qu’elle ressentait pour eux.

L’irlandaise se sentait froide, inhumaine, incomplète. Une boite de chair, d’os et de fil reconstituée pour accueillir son âme, sans aucun souvenir de son séjour dans l’outre-monde. Le froid de la journée grise ne l’atteignait pas, elle ne ressentait aucune douleur, mais son cœur silencieux laissait un vide étonnant dans sa poitrine. Ses mains qu’elle pouvait détailler étaient si blanche qu’elles avaient l’air verdâtre, de sa terre s’était enfoncée sous ses ongles, ses veines étaient molles, sa peau dure.

Ace et Elie étaient là eux aussi, dans le même état de mort-vivant. La peur fit alors son entrée, les rideaux se levaient pour son grand spectacle : et si elle restait ainsi toute sa vie ? Dans un corps suspendu entre la mort et la vie ? Sentir sa peau se désagréger, son cerveau se faire grignoter… elle ÉTAIT un cadavre désormais ! Constatation terrible, terrifiante, révulsant. L’irlandaise clos ses paupières mortes, mais si le monde s’effaçait, rien ne changeait, et la réalité était bien là, face à elle. Alors, comme une prière qui appelait un phare dans cette obscurité, ses premiers mots de revenantes furent :

- Elie…

Ce jeune manant gâchait toute leur mise en scène. Heureusement son allure rapiécée compensait son langage, mais c’est surtout le manque de motivation profond de Chayan qui l’empêcha de s’extirper de son fauteuil pour lui décapsuler la tête comme il l’aurait fait avec une bouteille de bière. Il laissa juste paraître son agacement sur ses traits ravagés alors que sa tendre épouse imposait le silence d’un geste avant de prendre la parole :

- Bienvenue dans votre nouvelle vie… pour cette nouvelle épreuve. J’espère que votre condition de morts-vivants vous sied car vous devrez la subir désormais. Monsieur Fisher vous a recomposé du mieux qu’il a pu mais j’espère que vous ne lui en voudrez pas si vous découvrez qu’il vous manque quelques bouts. C’est juste que mademoiselle Martins est une grande amatrice de puzzle.

Tous les regards morts des zombies rassemblés là se tournèrent vers Elie, aussi efficaces qu’un doigt accusateur pointé vers elle. Les gardiens marquèrent une pause pour bien marquer les esprits avant d’entrer dans les détails avec un plaisir non dissimulé.

- Vous faites désormais partie de notre horde, et vous vous devez donc de participer à l’assaut nocturne au moins pour cette nuit. Votre tâche est très simple et se résumera à ramener le plus de têtes citoyennes possibles.

- Têtes que vous aurez arrachées à des citoyens agonisants bien entendu.

Ils s’échangèrent un sourire complice contrastant de manière saisissante avec leurs éternelles disputes. A croire que ces deux-là ne pouvaient s’entendre que sur les sévices à faire endurer à leurs victimes. Cette révélation avait considérablement plombé l’atmosphère qui n’était troublée que par le bruit des gouttes de sang chutant des trois corps égorgés encore attachés à leurs poteaux de torture.

- Si vous rassemblez assez de trophées nous vous prêterons une arme pour la prochaine épreuve. Plus votre tas de victimes sera haut, plus cette arme sera utile. Ramener moins de 5 têtes sera éliminatoire. Vous aurez chacun 5 zombies pour vous assister, mais vous devrez être ceux qui arracheront les crânes et…

- Ca va nous causer un creux démographique, la coupa sèchement Chayan.

- On aura une livraison de prisonniers dans deux jours et il faut libérer des maisons, je pense que ce petit concours est parfait pour faire le ménage.

- Tu penses ? Première nouvelle.

Kay serra les poings sur ses accoudoirs sinistres alors que son regard meurtrier filtrait à travers le voile que formait sa chevelure. Il n’en fallut pas plus pour que l’explication se mue en une dispute puérile et si déplacée que l’on était en droit de se demander s’ils ne jouaient pas la comédie.

Mais malgré cette fin chaotique les directives avaient été données. Tuer un maximum de citoyens entre minuit et l’aube pour partir avec un avantage la fois suivante. Après le massacre qu’ils avaient accompli dans leurs rangs il s’agissait désormais de s’en prendre à la population locale. A des hommes, des femmes et des enfants qui n’avaient peut-être rien commis de grave et avaient échoué ici suite à une erreur judiciaire.

Midi et demi s’affichait désormais sur l’horloge macabre qui décorait le mur derrière les fauteuils des gardiens. Il ne leur restait que 5h30 pour se décider, s’organiser et accomplir leur triste destinée.

Elie ne tarda pas à sortir de terre. Ace se demandait encore comment elle avait pu le tuer dans un état aussi lamentable : os brisés, fractures apparemment ouvertes... Non, vraiment ça relevait du surhumain ! Ou de l'absurde.
Il n'eut pas le temps de répondre à la question de cette dernière qu'il entendit la terre remuer derrière lui. Comme prévu, Melena sortit également du sol pour venir se joindre à eux. Elle ne semblait pas en meilleur état que son amie et le combat avait dû être sauvage pour arriver à un tel résultat.

Une fois le joli trio fraîchement déterré, les gardiens leur firent part de la nature de la seconde épreuve. Elle était tout aussi horrible sinon plus que le première. Hm... En fait non, ça n'était pas pire : il n'y perdrait pas la vie, cette fois-ci.
Cela ne l'enchantait pas beaucoup, tout de même. Mais bon, tant pis ! Il choisirait des vieillards ou des malades, ça sera moins cruel. Mais si un morveux se pointait sur la route du pyromane, il allait avoir chaud aux fesses !

Les morts-vivants en chefs ne semblaient pas d'accord sur le nombre de têtes à ramener, mais Ace se fixa tout de même un minimum de cinq. C'était un chiffre sympa et puis ça ferait une tête à porter pour chacun de ses larbins. Oh la joie ! Il avait toujours aimé avoir des larbins. Le dernier qu'il avait eu c'était...
De tristes souvenirs se rappelèrent à lui alors qu'il laissait le monde défiler devant lui. Sa condition de zombie l'empêchait de verser la moindre larme et ça n'était pas plus mal. Quoi qu'il en soit, cette réminiscence fit rejaillir les habitudes du pyromane qui fourra sa main gauche dans sa poche comme à l'habitude. Si personne n'y avait prêté attention durant le combat, ça n'était pas une raison pour abuser.

Il leva son bras gauche et claqua des doigts. Aussitôt, les cinq zombies à sa botte se regroupèrent en face de lui, attendant les ordres, fixant le jeune Ken d'un œil toujours aussi mort et stupide. Se tournant vers les gardiens, Ace leur lança :
- Vous aurez vos têtes. De toute façon c'est pas comme si on avait le choix. Mais juste une question : c'est de la haine gratuite ou ça vous sert à quelque chose de voir des bains de sang ? J'ai pas payé pour ça, moi ! Voyant le regard mauvais que le couple lui lança, coupant net leur querelle, il n'insista pas d'avantage. C'était la tête des autres qui devait tomber. PAS la sienne !

Les trois mots "fermer", "sa" et "gueule" s'imposèrent d'eux même au pyromane qui préféra entamer une discussion avec celles qui l'avaient tué.
- Alors..? Heureuses ? Pauv' filles. Euh merde, c'est pas ce que je voulais dire. C'est juste que quand j'vous vois... il pouffa avant de reprendre bon ! Comment on s'organise ? Je paries que c'est chacun pour soi ? Dans le cas contraire prévenez-moi, je serai là-bas. Il indiquait de son bras mort la direction du village. Il n'aurait pas d'états d'âme pour les villageois imprudents. Il était mort alors pourquoi en priver les autres... En fin de compte c'était ça, l'égalité. C'était même sympa de sa part, d'une certaine manière.

Les dealers qu'il fréquentait vendaient la mort. A la seule différence qu'elle était vendue en poudre, seringue et pilules. Ace, lui, se proposait de distribuer des échantillons gratuits ! Quel brave homme !
Plus il y aurait de morts, plus l'arme qu'il recevrait serait efficace. Cela présageait un nouveau combat ou un affrontement contre quelque chose d'autre. Il valait mieux ne pas prendre à la légère les insinuations des gardiens.

*Je vous déteste tous...* fut la seule chose capable de lui donner le courage de continuer à servir ces tas de merde ambulants et d'accompagner les deux autres garces cannibales.
Il se demanda avec amusement si le dandy local comptait comme un citoyen. Ça pourrait être marrant de brandir sa tête à travers la ville, mais évidemment personne ne serait de son avis !
Il alla s'asseoir sur une tombe. Ou plutôt il se laissa tomber dessus. Il se rappela son état précaire et inspecta son corps pour voir si le choc n'avait rien décousu. Par chance, ça avait l'air solide. MERCI... Fisher..!

Si Ace ne répondit pas à la question qu’elle avait posé la réponse se manifesta d’elle-même par l’émergence de Melena qui sortait de terre à son tour. Elie s’attendait à se faire fustiger, mépriser, et Dieu seul sait qu’elle le méritait. Le son des os de la nécrophobe qui craquaient alors qu’elle délogeait ses bras de ses articulations résonnait encore aux oreilles de la mauvaise jumelle qui pinça les lèvres. Mais au lieu de ça, la seule chose qui vint fut son nom chargé de détresse, comme une bouteille qu’on jetait à la mer en guise de dernier espoir.

Elle aurait voulu rejoindre sa camarade mais les gardiens interrompirent sa démarche en se lançant dans des explications tout aussi tordues et glauques que celles de la première épreuve. La remarque qu’elle se prit dans les dents lui fit serrer les mâchoires pour retenir le flot d’insulte qui menaçait de se déverser sur le couple morbide avec une violence inouïe. Elle aimait les puzzles ? Comment si elle avait pu tirer plaisir de la boucherie accomplie en état de semi conscience ! Ils osaient la mettre aux niveaux des monstres qu’ils étaient et l’insulte était à la hauteur de la tâche qu’ils auraient à accomplir ce soir même.

Tuer des gens, encore. Ôter la vie de ceux qu’ils avaient servis le matin précédent, de familles blotties dans leur salon en priant pour passer la nuit, de pauvres erres qui n’avaient peut-être rien fait pour mériter leur place sur ce bout de caillou qu’était Freedoom. Ne pas les connaître rendrait l’épreuve plus facile mais ça n’en restait pas moins une destruction totale de leurs derniers remparts de morale à coup de boulet de démolition. Être mort n’aidait pas à ne pas se sentir coupable malheureusement, car si la douleur physique n’existait pas, celle de l’esprit perdurait. Pourtant les autres zombies avaient l’air aussi éveillés que blanche neige dans son cercueil alors pourquoi ? Avait-on préservé leur conscience pour le bien de ce petit jeu ?

Alors que Ace se mettait en tête de déverser sa bile comme un bon roquet qui n’attendait qu’un coup de pied au cul, Elie réfléchissait. Les ordres semblaient simple de prime abord mais cette simplicité commençait sérieusement à la déranger. A cause du temps avant l’attaque, de cette sorte de concours et… et de cette lueur malsaine dans les yeux de Kay et de Chayan. Ça sentait mauvais à 10 km.

L’adolescente se rapprocha de Melena et, sans chercher à réfléchir, la prit dans ses bras. Les mots se bousculaient dans sa tête mais elle ne savait pas par où commencer. Elle ne savait même pas si ses excuses avaient été entendues ou si l’irlandaise était déjà morte à ce moment-là. Est-ce qu’elle devait tout reprendre à zéro ? Elle voulut prendre une inspiration pour se donner de la contenance mais l’inactivité de ses poumons se rappela à elle. Tant pis, elle ferait sans.

- Désolé c’est de ma faute, j’ai déconné. J’aurais pas dû demander à Jay de choisir pour moi, je ferais en sorte de pas reproduire les mêmes erreurs. Je te le jure sur la tombe d’Amber.

Elle relâcha son étreinte et recula de deux pas, cherchant à capter le regard gris et mort de Melena. Tout pour ne pas fixer ses mains qui n’étaient plus qu’un amas de cicatrices à cause de son « amour des puzzles » comme s’amusaient à le penser les gardiens. La voix du pyromane la poussa à se tourner vers lui et il n’était à vrai dire pas mieux. Il portait visiblement les marques du démembrement qu’elle avait infligé à son corps mort ainsi que celles des combats qu’il avait mené. La seule chose qui n’avait pas pu être retrouvé était ce morceau de cou que mel’ avait ingéré.

La mort n’avait pas rendu le jeune homme aimable, ni même supportable. L’envie de faire sauter les sutures qui maintenaient ses jambes en place effleura l’esprit de la psychotique mais elle se retint en serrant furieusement les poings.

- Tire-toi avant que je ne m’amuse à te retirer tous tes fils un à un, sale blaireau, cracha-t-elle à l’adresse d’Ace alors qu’il s’éloignait pour s’asseoir sur une tombe.

Elle reporta son attention sur la necrophobe et reprit un ton en dessous pour ne pas être entendu de Ken et de son ego surdimensionné.

- Tu trouves pas ça louche leurs instructions ? Je veux dire… nous réveiller aussi longtemps avant l’attaque et tout. Ça a pas de sens sauf si on est censé mettre notre temps à profit pour s’organiser. Et puis cette histoire de concours là…

Melena pensait avoir touché le fond du gouffre de l’horreur, mais les gardiens venaient de lui apprendre que leur imagination morbide repoussait les limites de l’humainement envisageable. Pendant la dispute de Kay et Chayan, elle se prit la tête dans les mains. Ses coutures tiraient sur sa peau cadavérique. Le pire était sans doute que, pour quitter cette enveloppe morte et bonne pour la décomposition, l’irlandaise était prête à tout. Si pour fuir la mort et cet endroit maudit, il lui fallait d’abord fusionner avec l’atrocité dans son état le plus barbare, elle le ferait. Sa volonté était anéanti, son cœur ne battait déjà plus, elle n’était qu’un tas de viande pensant, et ne voulait pas disparaitre ainsi.

L’étreinte d’Elie l’a surprit, mais tout était froid, dur. Un frisson l’ébranla même lorsqu’elle réalisa que ce n’était rien d’autre qu’un zombie qu’elle embrassait, un mort vivant qui conservait peut-être la joliesse de ses traits sous les nécroses, mais dont la vie était aussi misérable que la sienne. Comme un boulet qui lui était tiré dans le ventre, la nécrophobe prit alors conscience d’une chose : si la deuxième épreuve était de participer à l’attaque nocturne, alors cela signifiait qu’ils « devaient » être morts pour y participer. Cela impliquait une condition qui révélait toute la cruauté et la fourberie des gardiens : aucun des prétendants au titre d’adepte ne devait survivre à la première arène. Un point final avait été mis à sa vie au moment même où elles engageaient la discussion avec Fisher.

La mauvaise jumelle s’éloigna, mais Melena fuit son regard. Ou plutôt, elle n’arrivait même plus à le relever, l’abattement était trop lourd, trop écrasant. Ace vint les aborder de toute son arrogance, mais même l’envie de lui coller son poing dans la figure avait disparu : à quoi bon ? Il était mort, elles étaient mortes, et peut-être que tout ceci n’était qu’un jeu sadique pour les jeter aux ordures une fois que leur trio sera réduit à une bande de pantins brisés. L’adolescente hocha simplement la tête aux questions de son amie, partageant son trouble, mais répondit d’une voix blanche et faible :

- Je le ferai, tu sais. J’ai peur mais… je suis déjà morte maintenant, je veux pas rester comme ça…

Son ton eut beau se muer en supplications, elle ne pouvait même pas pleurer. L’irlandaise ne put qu’enfouir son visage dans ses mains rafistolées ; pourquoi croyait-elle qu’à terme de cette horreur, il y avait la résurrection déjà ? Parce que c’était logique, ou parce que l’espoir chercher une raison à ce massacre ? Comme si ça ne suffisait pas d’avoir pillé son cœur et ravager son corps, les gardiens voulaient désormais écraser sa santé mentale. Elle deviendrait folle, mais peut-être était-ce la solution pour ne plus souffrir.

Melena se força à se recentrer sur Elie. Cette dernière avait juré sur la tête d’Amber, elle ne pouvait pas mentir. Sans oser la regarder, elle lui prit la main et l’entraina à l’écart. Un groupe de dix zombies – cinq pour chacune – les suivaient mollement, boites de chair vides de sens. Passant sur l’inspiration qu’elle ne pouvait pas prendre, la brunette attendit d’être assez loin de leurs bourreaux et d’Ace pour dire :

- Je t’ai entendu dans… dans l’arène… je n’étais pas morte. Je…

Elle mordit sa lèvre recousue. Aucune douleur. Aucun goût. Une mort totale, c’était dégoutant.

- Je ne t’en veux pas… de toute façon, je crois qu’on était tous censés y passer. Ils nous auraient tués eux-mêmes si on survivait… on devait être… « comme ça », pour cette épreuve. Je préfère que ce soit toi.

Melena ne prit pas la peine de se désigner, sachant que son amie comprendrait seule à quoi elle faisait référence. Seule l’amertume qui déchirait sa voix laissait entendre qu’elle ne pardonnait pas à Jade sa lâcheté écœurante, dire qu’elle et la mauvaise jumelle étaient venues la sauver, et qu’elles se retrouvaient mortes parce que leur protégée était pleutre et égoïste.

Ses pensées s’envolèrent vers leur nuit à l’hôtel. C’était stupide de croire qu’elle lui en voulait encore ; en fait, l’irlandaise avait passé l’éponge depuis un moment… mais elle ne savait plus trop quand. En réponse aux confessions que la psychotique lui avait fait ce soir là, et parce qu’elle avait de nouveau cité Amber, la nécrophobe aurait voulu lui parler de sa mère biologique, celle par qui sa pathologie avait commencé, mais ses lèvres refusaient de bouger.

Elles étaient loin maintenant, parmi un champ de tombes dressées avec une monotonie macabre. Melena scruta l’horizon : la ville se dessinait, grise et froide. Craintive. Elle n’imaginait pas le fléau qui les menaçait, pas plus que l’adolescente n’arrivait à se dire que dans moins de six heures, elle devra tuer et décapiter des gens qui ne lui avaient rien fait.

- Comment tu crois qu’on devra s’organiser ? demanda subitement la nécrophobe. Tu penses qu’on s’établir une stratégie, se fixer un nombre de cible et une manière de fonctionner à l’avance ?

Tout était plus confortable quand on était mort. Il avait un super pouvoir : celui de s'asseoir n'importe où, même sur un pal : aucune douleur, aucune sensation. Cette idée aurait sans doute plu à Logan. Et puis s'entre-bouffer devait entrer dans un de ses fantasmes à coup sûr.
Ahh ! Dommage qu'il se soit évanoui dans la nature. Franchement, il savait pas ce qu'il loupait ! Et Ace ne savait pas pourquoi il repensait à ce type. Sans doute parce que c'était la seule personne avec qui il se soit bien entendu pendant le voyage.

Le bilan était triste : tout le monde ici voulait sa mort et deux personnes l'avaient déjà obtenue. Ace Ridley, né le 6 novembre 1988, mort le... Merde... On était le combien, déjà ?
C'était pourtant une date assez symbolique, ne pas la connaitre était le lot des gens normaux, PAS de ceux qui ont... Vécu après leur mort ! Enfin bref. Comme d'habitude, les seules réponses qui s'offraient à lui n'étaient en fait que des questions dissimulées.

Retournant les termes de le deuxième épreuve dans tous les sens, il demeurait un coin d'ombre. Et comme à chaque fois qu'il n'avait pas de réponses, il se leva et s'approcha de ses meilleures amies du moment.

- Hey, euh... Je sais pas si vous avez compris ça comme moi, mais rien de ce que les gardiens n'ont dit nous empêche de travailler en équipe. Ouais, ouais ! Ça m'écorche la gueule de dire ça. Mais je pensais à un truc : si on nous propose des armes pour la troisième épreuve, c'est surement parce qu'on va devoir buter... Quelque chose... Donc au lieu de faire 3 groupes de 6, on fait un groupe de 18 : plus d'impact égal plus de têtes, égal de meilleures armes.
Mais je suppose que vous allez m'envoyer chier, encore une fois. De toute façon vous n'êtes que... Oh... J'en ai marre de ça. il tourna les talons et soupira j'veux du feu... plus à lui-même qu'à quiconque. Il fit quelques pas en direction d'une pierre tombale à sa hauteur pour se cogner la tête dessus. Et encore. Et encore. Et encore. Etc...

Ça ne l'amusait plus de tuer, d'insulter, de violenter. Même s'il n'éprouvait rien à tuer des péquenauds, il voulait finir ça au plus vite pour tracer son chemin, sans personne d'autre que lui pour l'emmerder. Au fond de lui, son espoir de rentrer un jour vivant chez lui luttait contre un défaitisme affligeant qui n'avait eu de cesse de croitre depuis sa rencontre avec les gardiens.
Et quand bien même ils réussiraient ces épreuves moisies, les gardiens ne voudraient-ils pas qu'ils restent ici à protéger la tour plutôt que de les voir arpenter d'autres régions que celle-ci ?
Plus rien n'avait de sens. La vie n'a d'intérêt que parce qu'elle est faite de mystères. Or pour l'heure, les seuls mystères - plus ou moins attrayants - à la disposition de Ace étaient : combien de morts, ce soir ? Quoi ensuite ? Pourquoi moi ? Pourquoi avec ELLES !? Pourquoi aucun feu..?

Ne plus rien ressentir, ne plus rien espérer d'une vie déjà finie... Quel sentiment horrible. Le pyromane avait l'impression de flotter dans un corps qui n'était plus sien. Il était un simple esprit, un nuage qui jouait au pantin avec des bouts de viande raccommodés par un timbré énergiquement lèche-cul et deux euh... Deux... Gentils gardiens très puissants qui savaient lire dans les pensées.. Hé hé !! Hum...
Holà, manants ! Voici deux beaux billets pour aller voir les monstres du cirque ! Ils sont laids, ils sont morts, et ils sont DÉSESPÉRÉS !!

Il cessa de s'abrutir contre la pierre tombale, gardant ses yeux morts rivés sur le sol. Humus formé par des centaines de cadavre, l'édifice tout entier était témoin de l'échec de dizaines d'autres avant eux ; tandis que les élus avaient continué le cauchemar. Combien y avait-il d'épreuves ? Était-il au mois possible de les réussir toutes ?
un lambeau de sa veste tombait à terre, lentement, porté par la brise morbide et froide pour l'humain sensible. Que signifiait la vie sinon une chute entre deux riens ? On pouvait parfaitement schématiser la vie ainsi : (rien]vie[rien). Si on se donnait la peine de considérer la mort à grande échelle comme composante essentielle du monde alors on marchait sur des cadavres de toutes les époques, de tous les âges...
La planète elle-même portait en elle plus de cadavres que d'être vivants ne marchaient à sa surface.

*Et moi, dans tout ça..?* se demandait Ace. *Je ne suis qu'un artiste des flammes, événement ponctuel d'une époque ponctuelle. Même si j'étais connu de tous, je disparaîtrais quand même, et on m'oublierait.* Inéluctablement... Il se promit d'y réfléchir plus tard, préférant déprimer virtuellement pour l'heure, en attendant l'heure du massacre.

Les paroles de Melena libérèrent le cœur d’Elie de sa culpabilité. C’était comme si on lui retirait un poids et aussitôt elle se sentit mieux. Oui, ils devaient mourir de toute évidence, et non seulement ce n’était pas sa faute mais ses excuses avaient été entendues et acceptées. Le fait que la nécrophobe ait préféré mourir de sa main restait par contre un mystère. Mourir c’était mourir, l’important ne résidait pas dans l’absence de douleur plutôt que dans l’identité du bourreau ? Quand elle se remémorait la manière cruelle dont elle avait fait souffrir son amie elle ne pouvait que sombrer un peu plus dans l’incompréhension la plus totale. Ça n’avait pas de sens.

- Ah. Ouais… je suppose, répondit-elle enfin tout sauf convaincue.

Si elle avait eu à choisir, la mauvaise jumelle aurait préféré mourir de la main des gardiens. Il y avait fort à parier qu’ils n’auraient pas fait trainer les choses en longueur, eux. Perdue dans ses pensées, la question de Mel’ la prit au dépourvu. Comment s’organiser ? Combien de personne tuer ? Comme si ce dernier point était de leur ressort !

- Je sais pas trop. On pourrait profiter des bâtiments fragilisés par le gros de la horde pour entrer plus facilement et doubler les zombies. Attaqué des bâtiments isolés risquerait de nous faire perdre trop de temps, faudrait cibler les zones fortement peuplées et… tu sais on peut pas planifier un nombre de victimes. On ne sait même pas si on arrivera à en avoir une.

Elie s’apprêtait à continuer mais elle capta du coin de l’œil le retour d’Ace, aussi déboussolé qu’il était mort. Dans son état il n’arrivait même plus à les insulter et bizarrement cela suffit à faire vibrer la corde sensible de la psychotique. Ce mec n’était pas là depuis une demi-journée qu’il était déjà transformé en mort-vivant et contraint d’accomplir des horreurs dans un monde dont on ne lui avait fait qu’une ébauche. Aussi désagréable qu’il avait pu se montrer, il n’en restait pas moins qu’une victime comme elles. Le moment de tendre la main était peut-être arrivé.

Elle grimaça lorsqu’elle le vit tourner des talons pour se fracasser le crâne contre la pierre froide d’une tombe. C’était inutile, la douleur ne leur était plus accessible, ça ne faisait qu’exacerber son désespoir. Une chance vraiment que la peur lui soit étrangère car c’était bien la seule chose qui permettait à l’adolescente de garder son sang-froid. Enfin façon de parler, son sang avait coagulé dans ses veines depuis de longues heures déjà. Ses pas la guidèrent sans qu’elle s’en rende compte jusqu’à ce corps à genoux et sa main se posa sur l’épaule devant elle.

- Arrête ça, tu te fais du mal.

Un soupir s’échappa de ses lèvres encore revêtues du bleu des hématomes.

- On peut bosser ensemble, ça reste effectivement l’option la plus efficace mais il faudra qu’on se partage les têtes équitablement. Tu peux au moins faire ça ?

La confiance était un sentiment qui lui était presque étranger, mais il y avait des moments où on n’avait pas vraiment le choix. Les gardiens voulaient qu’ils se dressent les uns contre les autres et Elie ne voulait pas leur offrir ce plaisir. Elle s’assit donc à côté d’Ace, ses yeux morts perdus dans le vide alors qu’elle cherchait ses mots. Il fallait remettre les compteurs à zéro mais ça restait plus que délicat.

- Et désolé pour… hier. Dans le monde réel je souffre de dédoublement de personnalité et ici on a été séparées. L’autre moi m’a ordonné de tout faire pour survivre et je n’ai pas eu le choix, je suis forcée d’obéir. Je t’aurais pas tué sinon. Je comprends aussi que ça soit perturbant de débarquer à Dreamland dans ces conditions mais… faut faire avec. Faut juste savoir que t’es pas tout seul. Melena et moi on sera là tant que tu seras réglo.

Profiter des autres bâtiments affaiblis par la horde ? C’était une option oui, même si l’idée de se trouver au milieu d’une foule de morts-vivants était très loin de la réjouir. Et s’ils ne les reconnaissaient pas comme les leurs ? Et si leur trio se faisait attaquer également ? Y avait-il quelque chose de pire que cet état intermédiaire ? Avant de connaitre les gardiens, l’adolescente aurait été tentée de répondre « non », mais désormais, plus rien ne lui semblait avoir de limite. En fait, l’horreur était infinie, et la démence aussi.

Ace les avait rejoint et, contre toute attente, proposa de coopérer sur la prochaine épreuve, avant d’aller se fracasser la tête sur une tombe. En temps normal, Melena se serait détournée sans autre réponse qu’un sourire dédaigneux et aurait ignoré sa manœuvre masochiste. Cependant, tout lui apparaissait désormais sous un nouveau jour, et à cette lumière, le pyromane était un voyageur, comme elle, totalement perdu de surcroit.

Elie fut la première à répondre, visiblement calmée elle aussi. L’irlandaise se mit à genoux devant leur acolyte masculin. Ses yeux morts le fixaient, ses mains recousues se triturant nerveusement l'une l'autre. Elle se mordit un peu l’intérieur de la lèvre en signe d’hésitation, et enchaina à la suite de son amie :

- Je suis d’accord, on peut coopérer et s’entraider tant que tu ne fais pas de mauvais coup.

La jeune fille aurait voulu pousser un long soupir, mais l’air refusait de gonfler ses poumons. Au lieu de cela, elle se contenta de lever les épaules, mouvement qui joua désagréablement sur les coutures qui reliaient ses bras à son tronc.

- Je m’excuse aussi. La peur de mourir me rend folle… mais ça ne m’a pas forcément aidé là…

Sa voix s'éteignit, un sourire moqueur étira ses lèvres. Où était passé la haine qu’elle ressentait à l’égard d’Ace ? Il ne restait que cette compassion irrationnelle, comme si ses autres sentiments s’étaient taris dans le décès ou étaient restés dans son cercueil. Melena baissa les yeux. Ce n’était malgré tout pas son fort d’être désolée, et elle n’avait pas nous plus envie de remettre sur le tapis toute leur entrevue de la veille… ou en tout cas, du jour où ils étaient encore vivants. L’irlandaise vit l’endroit où elle avait mordu le pyromane. Fisher l’avait recousu comme il pouvait dans la mesure où il manquait un morceau… morceau qui s’était retrouvé dans l’estomac de la nécrophobe.

Le mieux était peut-être d’éviter de remuer le couteau dans la plaie en parlant de cet épisode. D’autres questions importaient désormais ; des questions d’ordre pratiques et en lien avec les atrocités qu’ils allaient devoir commettre. Machinalement, l’adolescente passa une main dans ses cheveux encore plein de terre et proposa en regardant dans le vague :

- Si on travaille ensemble, il va falloir qu’on connaisse exactement nos ressources puis qu’on aura aucune arme. On a les zombies, mais aussi nos pouvoirs… je pense. Moi je peux faire bouger les… les cadavres. Ça n’est pas grand-chose, mais ça peut toujours être deux mains en plus…

Un frisson traversa son corps morbide. L’idée de se servir de cette capacité ne lui plaisait jamais, notamment parce que le souvenir de son contrecoup restait assez désagréable. Cependant, elle sentait que c’était un atout à ne pas forcément garder dans sa manche pendant leur nuit macabre. Une mimique gêné déforma un instant ses traits blafards et ses yeux sans vie se levèrent vers Elie :

- Toi, tu penses pouvoir réutiliser ta force ? Ne serait-ce que pour casser les barricades, ça nous serait utile…

Ensuite, ils devraient également penser à comment décapiter leurs victimes, car il y avait peu de chance que la mauvaise jumelle accepte de jouer le décapsuleur pour tout le monde. Melena préférait ne pas songer au fait qu’elle allait devoir le faire de ses propres mains, tout comme elle repoussait le plus loin possible les élans de culpabilité qui lui hurlaient que son entreprise était révoltante.

Les paroles d’Elie surprirent le pyromane décédé. Se faire du mal, est-ce que ça voulait encore dire quelque chose ? S’adossant contre la pierre tombale, il se fit glisser jusqu’à s’asseoir ; Elie fit de même. Elle semblait être du même avis que lui à propos de l’attaque groupée ce qui le réconforta un petit peu *au moins je ponds pas que des idées à la con…*

En quoi pourrait-il ne pas être réglo ? Tricher ne servait à rien si les gardiens avaient le pouvoir de les surveiller à distance. Cependant il n’avait pas l’intention de la jouer gangster. S’il se retrouvait avec une trentaine de têtes et les filles rien, il serait seul face au truc qu’ils devraient affronter ensuite et bien que Ace soit déjà mort, réitérer l’expérience n’avait rien d’appréciable. Il se contenta de hocher furtivement la tête en guise de réponse.

Ce qui acheva de déboussoler Ace furent les excuses qu’elle lui fit. Comme quoi on lui avait imposé de les tuer, Melena et lui. Un dédoublement de personnalité ? Il osait à peine se demander de quel bois se chauffait l’autre moitié, celle qui n’avait pas hésité à mettre à mort deux personnes et qui à l’heure actuelle n’éprouvait surement aucun regret…
Melena vint également s’agenouiller près de lui, lui assurant que l’idée de s’allier était bonne. Waouh… C’était Noël ou quoi ? Et si… Et s’il s’était totalement trompé à leur sujet ? Peut-être qu’il n’avait pas pris la peine de les connaitre, ce qui était en partie vrai… Mais si lui ne les connaissait pas, elles ne le connaissaient pas non plus. Il ne méritait pas tant d’apitoiements. En temps normal il aurait adoré ce petit jeu, mais quelque chose l’empêchait d’en profiter. La mort ? La peur ? La… Culpabilité ??
- Elie… Si ce que tu dis est vrai alors t’as pas à t’excuser. C’est à ta moitié de le faire. Tu dis… Que tu m’aurais pas tué, mais moi je n’ai pas hésité. Personne ne m’a obligé à vous tuer mais je l’aurais fait… Et pour ça je… *voulais m’excuser.* Je ne me le pardonnerait jamais. lâcha-t-il en détournant le regard. Il n’arrivait pas à s’excuser. Il n’avait pratiquement jamais eu à le faire et ça lui était tout bonnement impossible de s’avancer autant. Un jour peut-être..?

Il connaissait maintenant la maladie de ses deux compagnonnes de voyage ; viendrait le temps où il devrait avouer lui aussi. Bingo ! Ça n’avait pas tardé… Melena venait de leur dévoiler un de ses pouvoirs. Question implicite : « quels sont les vôtres ? » Evidemment…
Par chance, la question s’adressait d’avantage à la schizophrène qu’à lui. Elle était capable de décupler ses forces ? Ça serait un atout pour cette nuit. Avec un peu de chance, il arriverait à esquiver la question en répondant à une autre.

- Je veux bien faire équipe pour cette fois. Je serai réglo pour les têtes, promis. Perso, je n’ai aucune idée de ce qu’est mon pouvoir, mais on devrait pouvoir s’en sortir avec les zombies, non ? On les envoie sur les baraques : matraquage à 15, ça doit faire mal. Ensuite, quand les baraques sont déglinguées, on prend le relais comme ça y a aucun risque que les zombies nous piquent les têtes. Par contre si les gens qu’on doit buter ont dans l’idée de contre-attaquer... Il faudra envoyer les putrides en première ligne. Et... Je préfère que ce soit eux plutôt que moi.
Ou alors, on envoie les zombies attaquer l’avant de la baraque pendant qu’on passe par derrière. Ça serait peut-être plus humain s'ils mourraient sur le coup...

Plus humain !? C’était morbide, froid, sanguinaire… Mais ils n’avaient pas le choix. S’ils voulaient vivre, il faudrait tuer. Ace savait une chose, c’est qu’il n’avait pas du tout envie de mourir à nouveau ; et puis au pire, si ça lui restait sur l’estomac, il pourrait toujours boire comme un trou une fois ressuscité…
- On s’est déjà tué une fois, donc on devrait pas avoir de mal à tuer des innocents, au point où on en est… Il se dégoûtait presque lui-même...

Il se redressa un peu pour apparaitre moins avachi. Discuter un peu lui avait en partie remonté le moral. Il se sentait moins seul face aux épreuves et ça avait quelque chose de réconfortant. Un coup de main pour un coup de main, on était en territoire connu.
Il releva la tête vers Melena et Elie puis les fixa avec ses yeux morts dont le gris cendre avait pâlit jusqu’à les faire passer pour des yeux aveugles. Elles l’avaient soutenu, il devait rendre la pareille.
- Au fait… Merci de m’avoir… il cherchait ses mots, agitant ses mains comme s’il hésitait entre deux termes. * Consolé ? Ridicule. Remonté le moral ? Ça fait fillette… tendu la main..? Je renverrai l’ascenseur.

- De rien, répondit-elle simplement.

Après les insultes et les coups bas, voir les coups tout court, c’était les excuses qui pleuvaient. Chacun y mit du sien jusqu’à ce que l’ambiance devienne supportable à défaut d’être joviale, mais comment aurait-elle pu l’être dans ces conditions ? Le trio était au moins décidé à bosser main dans la main ce qui était une véritable prouesse lorsqu’on prenait en compte les débuts chaotiques de leurs relations respectives.

Commença alors leur tentative d’organisation pour la soirée meurtrière qui se dessinait devant eux. Melena remit sur le tapis la question des pouvoirs. On ne pourrait probablement pas compter sur Ken, trop nouveau sur ces terres pour avoir une utilité magique quelconque. Restait la nécrophobe et elle dont les pouvoirs n’étaient pas forcément à leur avantage dans les conditions actuelles. L’évocation de master of puppet tira un rictus étrange à Elie : c’était parce qu’elle avait vu ce pouvoir employé une fois sur le pont du SM qu’elle avait transformé Ace en meuble en kit. L’adolescente se passa bien de le souligner pour entrer dans le vif du sujet.

- Je sais pas, c’est tout nouveau. Il s’était passé environ un jour entre mes deux utilisations et je sais que je ne peux pas m’en servir deux fois de suite. Je ferais bien un essai maintenant mais j’aurais l’air maligne cette nuit à ne pas pouvoir m’en servir. C’est un possible atout mais faudra pas monter le plan dessus.

La mauvaise jumelle se gratta le cuir chevelu, pensive.

- Mais j’ai pas que la force je crois. J’ai pu avoir les griffes aussi et… je crois que je pourrais avoir d’autres trucs de loup-garou comme les dents, l’ouïe, l’odorat… ce genre de truc. Ou me transformer directement en lycan si Jay est en danger, mais ça je préfère pas. Sous cette forme je suis con comme mes pieds.

C’était le moins qu’on puisse dire. C’était pile le genre d’évènement qui pourrait compromettre leur épreuve, il n’y avait donc plus qu’à espérer que rien n’arriverait à Jade du crépuscule jusqu’à l’aube. Elie laissa échapper un rire en s’asseyant plus confortablement contre la pierre tombale puis reprit la parole pour poursuivre sur ses dons.

- Je peux parler par télépathie avec mon double et on peut se transmettre des blessures mais dans mon état ça ne servira à rien. Je suis déjà morte. Sinon c’est surtout elle qui des pouvoirs, pas moi.

Elle mit ses deux mains devant elle pour simuler le fait de tenir une batte de base ball avant de taper dans le vide.

- Si seulement j’avais ma batte ! Ou celle de jade j’m’en fous, juste de quoi forcer le passage et…

La vision de sa batte avait été brièvement remplacée dans son esprit par celle métallique de la bonne jumelle qu’elle avait pu voir pendant leur périple chez le père noël. Et alors qu’elle se représentait le long objet de métal poli à la poignée recouverte de bandes antidérapantes noires elle sentit quelque chose se créer dans sa main, comme si des milliers de particules s’aggloméraient dans sa paume. Sous ses yeux éberlués se recomposait l’arme qu’elle avait eue en tête et ne comprit que s’était vrai qu’au contact rugueux du manche.

- Putain de merde…

Elle retourna l’arme dans un sens puis dans l’autre, forcée de constater qu’elle était bien réelle.

- Je crois que je peux faire ça aussi, maintenant, acheva-t-elle en affichant un air sceptique.

L’adolescente finit par détacher les yeux de son arme pour la poser sur ses genoux. Elle essaya de reproduire le phénomène avec l’un de ses objets mais malgré tout sa concentration rien de se passa. Celle d’un autre objet de Jade ne donna rien non plus. Elle finit par abandonner à contre cœur. Si c’était un nouveau il était probablement encore bridé par un monceau de condition, il ne fallait donc pas trop porter d’espoir là-dessus. Il était même très probablement qu’il serait inutilisable ce soir. Juste pour ne pas détromper la malchance légendaire des voyageurs.

Son regard se tourna alors vers Ace qui conservait un mutisme trop marqué pour être naturel. Elle le fixa un moment sans rien dire puis finit par lâcher ce qui lui passait par la tête en faisant fi des conséquences :

- C’est quoi ton problème à toi ? On a tous un problème, pas de quoi avoir peur ou être honteux. Si on connait ta maladie on peut se faire une idée de l’utilité de ton pouvoir pendant l’épreuve. Est-ce que le fait que tu caches ta main bizarre est lié ?

Ace lui répondit via un long discours de prévisions pour la soirée. En quelque sorte, il venait d’énumérer tous les cas de figure auxquels ils risquaient d’être confrontés, ce qui signifiait une chose : qu’à ce stade, ils allaient devoir agir au cas par cas. Repérer les maisons fragiles, analyser ses habitants, attaquer efficacement, tout cela devrait se faire sur le terrain, la nuit avec la peur et le dégout au ventre. Rien de bien rassurant en vérité, et finalement, une brèche s’ouvrit dans l’assurance de l’adolescente. Et si elle réussissait à se cacher ? Il n’était pas encore trop tard pour qu’elle quitte cette ville ou fasse appel à Labeau Nefaie, peut-être possédait-elle une potion qui permettrait de lui rendre son corps de vivante.

Elle secoua la tête pour chasser ces espoirs parasites. La réalité était bien plus cruelle que ne pouvait l’être son imagination : ils ne ressusciteraient qu’en restant sur cette ile maudite, après avoir accomplies les épreuves jusqu’au bout. Son intuition lui criait ce fait si fort qu’elle avait envie de se boucher les oreilles, mais ça ne ferait par taire la voix inexistante.

Après les excuses, les remerciements. Dire que leur groupe avait commencé par une querelle puérile et des envies de meurtre, voilà que le décès les avait réunis dans une solidarité sincère – semblait-il. Là était toute la stupidité de l’être humain, se commenta Melena, il avait besoin de s’entredéchirer et de connaitre les pires des désastres pour accepter de coopérer avec son prochain. C’était pitoyable, mais ils suivaient ce cliché sans même sans rendre compte, parce que la volonté de vivre était plus forte que tout.

Elie révéla qu’elle pouvait se transformer en loup garou. La nécrophobe chercha dans sa mémoire, mais elle n’avait encore jamais vu la mauvaise jumelle sous sa forme lupine. Un nouveau pouvoir qui l’impressionnait, et qui lui apparaissait considérablement plus utile que les siens… même si la perspective de devenir un animal stupide s’avérait être un contrecoup assez embarrassant. Si jamais la psychotique se métamorphosait, ils n’auraient rien pour la stopper. Un éclair traversa l’encéphale de l’irlandaise pour lui souffler que son sifflet de dressage saurait peut-être calmer les ardeurs de son amie dans un cas de perte de contrôle, mais le fait que ses possessions étaient toujours entre les mains des gardiens de la tour sonna comme un glas de la fatalité. Dingue comme elle se sentait nue sans ses objets, comme si toute une part de sa personnalité dreamlandienne y était rattachée.

Melena s’assit en tailleur face à ses camarades, grattant son cuir chevelu à l’instar de la mauvaise jumelle avant elle. Cette dernière fit d’ailleurs apparaitre une batte que la nécrophobe connaissait très bien : c’était celle que Jade avait acheté à Sextus avant de partir en direction de Techyo. Du moins, il s’agissait du même modèle, mais était-il possible que les deux jeunes filles aient désormais la possibilité de s’échanger leurs armes au travers l’espace ?

L’irlandaise allait ouvrir la bouche pour le demander à son amie, mais cette dernière interpella le pyromane quant à sa pathologie. A vraie dire, elle n’avait pas encore fait attention qu’il cachait l’une de ses mains. Ses yeux morts descendirent jusqu’à la poche d’Ace qui dissimulait ses chairs brûlées, puis remonta jusqu’à son visage. Elle ne lui jetait pas un regard accusateur, ni compatissant d’ailleurs, mais simplement attentif et curieux. D’après sa jeunesse dans le monde des rêves, il était inutile de s’attendre à une capacité hors du commun.

Melena se souvint soudainement de l’insistance qu’avait eu le jeune homme à demander du feu, jusqu’à devenir complètement cinglé au rez-de-chaussée de la tour. Elle n’avait pas rencontré beaucoup de personne souffrant d’obsessions, à part Liam et son deuxième cerveau ou cette rouquine sur le Slavedog Millionnaire qui restituait des épouvantails partout où elle pouvait. Néanmoins, ça y ressemblait assez pour qu’elle ose un rapprochement :

- Ça a à voir avec le feu… non ?

Et voilà... Ça n'avait pas manqué : on était sur le terrain de "moi-j'ai-ce-pouvoir-là". Chié !!
Le pyromane était d'accord pour une trêve sinon la paix, mais quand même... Ça allait un peu trop vite en intimité... Mais ce petit manège avait au moins un côté didactique. Savoir quels pouvoirs possédaient Melena et Elie l’aiderait surement à maitriser son pouvoir lorsqu’il en aurait un. Si ça se trouve, il écoperait d’un don débile comme tirer des boules de feu de ses fesses… Pas très élégant.

Entre la télépathie, la métamorphose, la nécro… Euh… Y avait au moins un nom pour ça..? On avait vraiment un arc-en-ciel de pouvoirs qui pouvaient s’avérer aussi utile qu’ils étaient dangereux si on ne les maîtrisait pas. Le plus surprenant fut de voir se construire une batte de baseball dans la main d’Elie. Ace était à une trentaine de centimètres de l’objet ce qui était largement nécessaire pour rendre l’apparition de ce dernier simplement hallucinante ! Il en resta coi, les yeux rivés sur les mains de l’adolescente alors qu’elle semblait tout aussi surprise que lui.

On mettrait le mutisme de Melena sur le dos de la surprise aussi. Cependant le monde regorgeait de mystères : pourquoi on lui disait rien à ELLE alors qu’on remettait une fois encore sur le tapis le sujet sadique de "et toi, tu as quoi comme problème, histoire qu’on se foute un peu de ta tronche de gogol ??". Un seul mot venait à l’esprit d’Ace suite à cette question : MERDE.
Comme si ça ne suffisait pas, Elie semblait avoir fait le lien entre son obsession et sa main gauche. Là encore, le mot magique de cinq lettres s’imposa de lui-même, mais en plus long. Ouais, plus long du genre : MEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEERDEEEEEEEEEEEEEE !!!!!

Que devait-il répondre..? Etait-il encore temps de mentir ? Et sinon, que diraient-elles s’il leur avouait tout ?? Piochant dans le jeu de 56 cartes aux couleurs de la mauvaise foi, il tira la carte du refus méprisant. Pas de bol.
- Hein ?? Mais je m’en fous, de mon pouvoir ! Je suis pas fou, moi. Et ma main va très bien ! Y a rien à voir !

Melena aussi semblait avoir compris pas mal de chose au sujet du pyromane. Dieu qu’il était dans la merde !
- NON ! Ça euh… J’ai juste… Merde !
Plus jeune il s’était fait la promesse de ne rien dévoiler à personne. C’était son secret et personne de devait le connaitre. Il serait foutu sinon. Qui aurait envie de faire confiance à un type qui a une passion du feu ? Et pire, il pouvait même avoir des problèmes avec la justice de Dreamland. Or la justice locale semblait échoir aux gardiens. Et l’idée de se retrouver haché menu n’était pas plaisante du tout.

- J’ai déjà promis que je serai réglo ce soir, ‘faut pas abuser, quand même… Si j’avais eu un pouvoir, je l’aurais utilisé pendant le combat, vous pensez pas ? Et puis je sais qu’on vient de vivre un moment important sur le plan émotionnel avec les pardons et tout et tout, mais j’ai envie d’avoir encore un peu de vie privée, si vous voulez. Et si vous ne voulez pas, je m’en fiche.

Il fallait vite passer à un autre sujet de conversation ou sinon elles finiraient par le faire craquer, mais rien ne venait à l’esprit du pyromane. Aucun sujet intéressant de conversation : il ne faisait pas beau, la vie n’allait pas bien, il n’avait rien de prévu ce soir et pas de temps libre. Euh… En fait si, il avait quelque chose de prévu ce soir ! *Tu parles d’un putain de rencart..!*
Il préféra se murer dans un silence boudeur. Sa main droite imita sa gauche pendant qu’il détournait le regard. Elles ne sauraient rien ! Rien du tout ! La seule personne à qui il aurait voulu parler de ce qui s’était passé ce jour-là était… N’était plus. D’ailleurs Ace n’avait aucun souvenir de l’avoir croisé pendant son voyage dans l’au-delà. A quoi ça servait de mourir si on ne pouvait même pas voir ceux qu’on aime ??

Il niait tout en bloc, même l’évidence. C’était pourtant pas sorcier de dire ce qui clochait chez lui… d’accord c’était jamais agréable de se livrer mais ils étaient morts maintenant ils n’allaient pas s’arrêter à ce genre de détail non ? Et bien si visiblement, Ace se muant dans un mutisme boudeur qui agaça Elie plus que de raison. S’il n’y mettait même pas du sien ils n’y arriveraient jamais, c’était couru d’avance. Et puis à vrai dire il suffisait de quelques recoupements pour se faire une idée de sa pathologie.

- On a tous un pouvoir en arrivant, tous. Mais c’est bon on a pas besoin que tu le dises, comme le dit Melena ça doit être lié au feu. Pas pyrophobe parce que tu cours trop derrière pour en avoir peur mais… un toc associé peut-être. Ou alors tu fais une fixette dessus genre pyromane ou… je sais pas moi tout est possible après tout. Mais au moins on sait globalement dans quelle direction ça va se développer.

Elle darda Ken d’un regard provocateur qui signifiait « t’es fou que tu le veuilles ou non » avant de reprendre sa batte pour la faire sauter d’une main à l’autre. Ca réglé il fallait retourner au cœur du problème : l’attaque du soir. Mieux valait rester groupé comme l’avait proposé le seul mâle du groupe, mais ce n’était même pas une ébauche de plan. Ce ne serait pas sérieux de partir en guerre avec seulement ça en tête.

Déjà le fait de ramener des têtes posait problème. Ils allaient devoir faire pas mal d’aller-retour et perdre un temps précieux, il fallait donc trouver un moyen de transporter beaucoup de trophées d’un coup ou déléguer à un zombi cette tâche macabre. D’ailleurs comment diriger des zombies à qui ils ne pouvaient même pas donner d’ordres indépendamment ? Sans prénom c’était impossible… ne restait plus qu’à les baptiser.

Forte de sa nouvelle résolution Elie siffla pour appeler ses sbires, les poussant à se mettre en rang devant elle. L’adolescente les fixa un long moment, les sourcils froncés par la réflexion avant qu’elle ne sorte avec un sérieux dont on pouvait douter :

- Voilà vos noms, pour ce soir au moins : toi t’es Batman, toi le joker, toi Mr Freeze, toi double-face et toi… catwoman. J’ai l’impression que tu étais une femme avant d’être si décomposée que tes nichons en tombent.

Les morts-vivants la fixèrent un instant sans comprendre, puis s’entre regardèrent avec une légère inquiétude. Il y avait fort à parier qu’ils n’avaient pas vu ce genre de réaction très souvent. D’un ton impérieux El’ reprit la parole sans laisser le temps à leurs cervelles liquéfiées de se pencher sur l’affront qui leur était fait.

- Double-Face, je t’ordonne d’aller nous trouver un plan de la ville. Et vite ! Et perd pas de bout en route !

Le mort oscilla quelques secondes sur ses jambes avant de se mettre en route avec une vitesse insoupçonnée. Les zombies du coin avaient de la ressource, rien à voir avec ceux des vieux films qu’elle regardait en cachette quand elle était petite. Voir le mort s’éloigner dans sa course zigzagante lui déclencha un fou rire purement nerveux au point de la forcer à plaquer ses doigts sur sa bouche pour ne pas s’esclaffer trop fort.

- Et il court ce con en plus… au moins on sait que ça marche !

Après un nouvel éclat de rire étouffé elle se força à retrouver son calme non sans tenter d’essuyer des larmes qui n’avaient pas coulé. Ah oui, elle était morte aussi c’est vrai…

Cette constatation la poussa à retrouver un minimum de sérieux, mais à vrai dire elle ne savait même pas pourquoi elle se forçait. Elle était à moitié morte, elle le serait peut-être complètement sous peu alors pourquoi se prendre la tête ? Même Jade l’avait lâché, alors autant se détendre un peu. Mais il ne fallait pas perdre pour autant leur objectif de survie, ce pourquoi elle s’évertua à revenir au sujet initial.

- Vous feriez mieux de nommer les vôtres. Pour leur donner des ordres indépendamment les uns des autres. Dans le bordel de l’attaque un « hey toi là-bas » sera pas bien efficace. Quand on aura la carte faudra tenter de repérer les zones densément peuplées, pauvres de préférence pour des bâtisses moins bien entretenues. Et puis… charger un des zombies de faire les aller et retour avec les têtes sauf si on trouve une brouette, un sac ou n’importe quoi pour les transporter.

Ace niait tout en bloc, assurant qu’il n’était pas fou et que leur trêve coopérative ne laissait pas la place à ce genre de familiarité. Soit, s’il ne voulait pas participer au pot commun, il n’y avait aucune raison que l’adolescente s’évertue à communiquer. Ce n’était pas son fort de toute façon, et si Elie choisit de démontrer que sa pathologie était tellement visible que la planquer était foncièrement stupide, Melena soupira en détournant le regard. Du moins, elle aurait bien voulu, mais l’oxygène avait déserté ses poumons depuis longtemps déjà, et son geste d’exaspération fut alors uniquement mental.

Ses pensées s’enfuyaient déjà. Peut-être la mort avait-elle ralentit le rythme de ses songes, ou bien était-ce le temps qui passait plus lentement, mais il y avait longtemps qu’elle ne s’était pas sentit suffisamment calme pour méditer à sa guise. Pourtant, ce n’était pas comme si la situation jouait à son avantage, mais dans le cas présent, les dangers directs étaient écartés, au moins jusqu’à 18h. Elle se sentait si vide pourtant, si froide, si… inexistante. Son numéro du Dreamland soir ne venait pas d’ailleurs, malgré un retard depuis la veille… l’organisme était-il déjà au courant qu’elle n’était plus de ce monde ? Un frisson l’ébranla, menaçant une nausée entièrement psychologique de la faire dégobiller sur ses genoux.

Elie l’a rappela sur son présent en sifflant ses zombies, et la voir leur attribuer des noms de personnages de comics fit se soulever un sourcil de la nécrophobe. Elle avait presque envie de rire, mais l’idée que ce n’était qu’une façon de les identifier une fois l’assaut lancé refroidit sévèrement son hilarité. Ce soir, aucun des cinq individus illustres ne porteraient de costumes singuliers ; ils tueraient, un point c’est tout. Comme eux. Comme elle.

Double-face fut donc chargé de courir aller chercher un plan de la ville et si la mauvaise jumelle trouvait encore la force de rire, Melena se levait avec le poids du désespoir. Oui, c’était réel, cette mascarade, n’était pas une illusion. Obéissant autant à ses propres pensés qu’aux conseils de son amie, elle claqua des doigts pour attirer l’attention de tous ses sous-fifres. Leur proximité déclencha soudainement un pic de sueur froide qui la força irrationnellement à reculer d’un pas. Elle n’osait pas les regarder en face, pourtant il faudrait bien le faire pour les nommer. L’adolescente allait opter pour l’option du « A, B, C, etc… » mais inspirée par sa complice, une solution légèrement cathartique s’imposa afin de franchir ses lèvres :

- Toi tu seras Liam, toi Yoru, toi Georges, toi Alex et toi…

Un sourire mesquin et absent étira ses lèvres recousues :

- Fisher.

Voir les morts-vivants s’animer pour s’entreregarder provoqua un frisson désagréable au creux de ses entrailles, mais elle s’efforça de l’ignorer. Ses yeux gris éteints se portèrent sur une pierre tombale fendue en deux à environ trois cents mètres. Une idée germa dans son cerveau décédé et elle la formula en croisant les bras :

- Tous les cinq, courez jusqu’à la tombe cassée là-bas et revenez. Le plus vite possible !

Les putrides s’exécutèrent, certains plus maladroits que d’autres, et Melena apprit après plusieurs minutes d’observation que Liam et Yoru étaient de loin les plus doués en épreuves de vitesse. Ils lui apparaissaient soudainement plus agréables que les originaux. Cette pensée mauvaise lui tira un sourire teinté d’une tristesse indélébile alors qu’elle déclarait :

- Voilà, j’ai trouvé deux porteurs.

Par chance, seule Elie avait insisté, prétendant que la tentative du pyromane de cacher sa pathologie était stupide. Eh bien soit, il était stupide, mais un stupide qui tenait à son honneur personnel !
… Si ça pouvait encore avoir un sens aujourd’hui…
Quoi qu’il en soit, elle n’insista pas longuement et Ace y vit un consentement à respecter ses convictions. Hm... C’était à vérifier. Il était certain que la question lui retomberait dessus à un moment où un autre. Il y avait échappé pour le moment c’est tout ce qui importait. Il aurait le temps de réfléchir pour la prochaine vague de questions.

On revint enfin à la question de la planification de l’attaque. Si Ace avait lancé les grandes lignes, ça ne suffirait pas pour établir un plan solide et l’idée de nommer les zombies le fit sourire malgré son désir de continuer à bouder. Bon, tant pis. Il ferait sa tête de cochon plus tard. Les noms qu’Elie donna à ses larbins lui arrachèrent un sourire. Tous des personnages présents dans les comics Batman. C’était pas mal ! Elle en envoya un quérir un plan du patelin et la démarche grotesque du tas de chair ambulant retint toute l’attention du jeune homme. A la limite entre fasciné et ahuri devant un tel spectacle, il choisit la troisième option qui consistait à en rire. Que faire de plus quand on assiste à ça..? Il comprenait un peu mieux pourquoi les gardiens appréciaient tant la compagnie de ces choses immondes.

Ce fut ensuite au tour de Melena de baptiser ses monstres. Elle sortit des prénoms au pif sauf pour le cinquième. Bien trouvé ! Le pyromane esquissa un sourire moqueur tandis que les zombies s’affairaient à courir jusqu’à une tombe un peu plus loin. Il ne comprit le but de la manœuvre qu’une fois que l’adolescente déclara qu’elle venait de trouver ses "porteurs".
Pas bête du tout. Il fut d’ailleurs un peu frustré de ne pas avoir trouvé ça plus tôt – c’est-à-dire avant Melena…

Il se leva et marcha jusqu’à ses sbires. Il claqua des doigts et les zombies firent un cercle autour de lui.
- Nan ! En ligne, bande d’abrutis ! Précision faite, les pourris s’exécutèrent. Ace réfléchit quelques instants avant de leur distribuer des prénoms.
Ok, les demeurés ! Toi, tu t’appelleras Ducon, toi Fouille-latrine, toi, hm… T’as la tronche de Michael Jackson… Adopté ! Toi, ce sera Stan et puis toi, là-bas, je sais pas… T’as qu’à t’appeler Viandox. Ben ouais, gros lard ! T’as qu’à pas suinter de partout ! ME REGARDE PAS COMME CA !!

Être sympa et coopératif lui arrachait un peu la gueule alors asseoir son pouvoir lui procurait un bonheur intense. Pour sûr il se serait fait dessus si un quelconque afflux sanguin l’avait permis.
Il fixa les zombies qui se tenaient le plus correctement possible pour des êtres désarticulés et à moitié pourris. Ça cassait pas des briques…
Comme Melena avant lui, il ordonna à ses crétins se faire la course jusqu’à ce que deux d’entre eux s’illustrent par leur compétence à se vautrer. Bon… Ceux-là étaient disqualifiés. Ace en profita pour leur botter les fesses au passage. Enfin botter… Il shoota dedans pour être plus précis.
Je ne tolèrerai pas l’erreur ! Avec moi c’est marche ou crève, ducon ! NAAN ! PAS TOI, DUCON !!! Chié !!

Malgré tous ses efforts, ses sbires semblaient tous plus stupides les uns que les autres et les deux plus doués du tas s’avérèrent être Stan et Viandox. Pas mal pour un gros lard… lâcha le pyromane non sans un rictus de dégoût en regardant la chair putréfiée de Viandox danser dans les airs tandis qu’il courrait.

Il se tourna vers Elie et Mel avec une expression neutre. Il n’avait nullement envie de sembler être fier de ses zombies et de toute façon il ne pouvait pas l’être. Ils étaient 5 et pourtant c’était à se demander si on pouvait former ne serait-ce qu’un seul cerveau viable en les additionnant. Décidément, on était pas sorti de l’auberge…

Qu’ils le veuillent ou non les 10 zombies restant reçurent chacun un nom. Symbole de haine pour Melena, de mépris pour Ace. Les voir ensuite faire la course pour déterminer le meilleur sprinteur était un véritable spectacle comique dont Elie ne rata pas une miette… Freedoom avait ses bons côtés, il fallait juste savoir en profiter. Un sourire étrange éclairait désormais son visage couturé alors que ses yeux morts suivaient les allers et venues effrénés de leurs larbins. Le contexte avait beau être glauque et empreins de mort on se serait cru dans une cours de récréation, avec cette ambiance bonne enfant et un poil absurde que seuls les enfants savaient entretenir.

Un bref regard vers les trônes des gardiens lui appris qu’ils s’étaient déjà retiré au dernier étage de la tour pour rire d’eux en se frottant les mains. Ce n’était plus son problème, elle n’avait plus de problème. Juste l’envie de profiter un peu de l’once de vie qui résidait dans cette enveloppe pourrissante qu’elle habitait désormais, et pour ça il fallait juste survivre un peu plus longtemps.

- Je parie sur le gros lard ! s’écria-t-elle alors que Viandox et Stan étaient au coude à coude.

Elle se tourna vers Melena et lui fit signe de venir un peu plus près. Quand sa camarade l’eut rejoint elle se lança sur le ton de la conversation banale alors que ses yeux morts ne quittaient pas la scène offerte par les zombies d’Ace.

- Tu devrais… souffler un peu. Je sais que c’est pas facile pour toi, surtout dans ces conditions mais ça sert à rien de te prendre la tête ok ? Et je pense pas que tu risques grand-chose. Ça les fait marrer, ils ne casseront pas leurs jouets tout de suite, elle resta un moment plongée dans un silence pensif puis ajouta en cherchant bien ses mots, Tu vas probablement trouver ça bizarre, mais c’est pas un mal ce qui nous arrive. On en apprend plus sur nous et sur les autres, on en sortira plus fort. Si on survit à ça, on survivra à tout.

Par réflexe elle étira ses membres dans un horrible craquement d’os brisés qui la fit grimacer puis se remit debout en prenant appuis sur la pierre tombale qui lui servait jusqu’alors de dossier. C’est ce moment que choisi Ace pour tourner vers elles un visage désespérément neutre, comme s’il attendait quelque chose… mais quoi ? Qu’elle poursuive sur sa lancée d’élaboration de plan ?

C’était à vrai dire peu sûr de mettre la chose entre ses mains, mais faute de mieux il faudrait faire avec. Elle rejeta sa longue chevelure terreuse pour se donner du courage et en perdit une bonne poignée au passage sans même s’en rendre compte.

- Bon, on a des porteurs, mais ce sera pas un mal de chercher sur place de quoi limiter les allers-retours pour garder un maximum de main d’œuvre sur place. Maintenant j’aimerais juste savoir comment vous comptez… hum… détacher les têtes. Parce que si on trouve rien de tranchant faudra le faire à la main ou avec les dents. Et faut se préparer à cette idée… je dis ça surtout pour toi Mel’.

Alors qu’elle glissait un regard plus qu’explicite vers son amie, Double-face se décidait à revenir avec entre ses mains pourrissantes ce qui ressemblait à un vieux papier jauni. La mauvaise jumelle le lui prit des mains sans douceur en manquant de lui faire choir un doigt et y jeta un œil avant de maugréer, déçue :

- Un plan de cadastre… y’avait pas mieux ?

Le zombi la fixa longuement avec un air si stupide qu’elle décida de laisser tomber. Ils feraient avec. Jamais elle n’aurait eu la carte parfaite qu’elle aurait voulu avec plan de bataille intégré et conseils de meurtre griffonnés dans la marge. L’adolescente s’accroupi par terre pour y dérouler la carte qui comportait ce qui ressemblait à des traces de sang fraiches. Elle ne voulait pas savoir comment son larbin avait eu ce bout de papier et se nota mentalement de ne jamais se renseigner à ce sujet.

Ses doigts courraient sur le papier jusqu’à s’arrêter sur une zone qui présentait une multitude de petits terrains accolés. Petit taille et proximité étant souvent signe de pauvreté il devait s’agir de ce qu’elle cherchait. Et si elle se trompait… et bien tant pis.

- Je crois que c’est là qu’il faudra commencer. En plus c’est dans la périphérie de la tour, c’est tout bénef’…

Ce fut au tour d’Ace de nommer ses zombies. Si ceux d’Elie se taillaient la part de l’originalité et les siens de la rancœur, le pyromane s’appropriait le grotesque comique. Une nouvelle fois, l’adolescente aurait voulu rire, mais les mines stupides et décomposées des zombies étaient, sinon effrayantes, profondément affligeantes. Elle avait l’impression de baigner dans l’absurde, dans un monde qui n’avait plus rien d’humain et de logique, et ça lui ôtait toute vigueur de vivante.

L’homme de la bande décida donc de l’imiter et fit concourir ses sbires pour définir lesquels seraient les plus rapidement. Visiblement, ils étaient plus empotés – ou plus malchanceux – que les siens et deux d’entre eux se vautrèrent misérablement. Melena savait que son cœur avait envie de partager l’esprit bon enfant de ce moment, qui retardait la pression que leur nuit meurtrière, mais c’était comme si ses fonctions émotionnelles étaient bloquées. Elle ne pouvait même pas pleurer alors qu’elle avait envie de s’écrouler, c’était… indescriptible.

Elie l’appela à ses cotés. L’irlandaise s’approcha lentement pour entendre les suggestions de son amie. Souffler un peu ? Comment pourrait-elle faire une trêve alors qu’elle était morte ? MORTE ! Que des sadiques ne veuillent pas l’achever tout de suite n’était qu’une maigre consolation ; elle était une poupée de chairs pourrissantes et ça, c’était effroyable, à vomir. La mauvaise jumelle avait raison sur un point, c’est qu’une fois qu’elle serait sortie de là, elle saurait sans doute survivre à tout. Une fois qu’on avait échappé à la mort et à l’horreur ultime, il ne resterait plus rien capable de l’atteindre. Plus rien…

Ace se tourna alors vers elles, comme s’il attendait la suite. Cette dernière vint en la personne de la psychotique qui après avoir faire craquer ses os endommagés, se remit sur pieds et posa à haute voix un problème qui triturait la nécrophobe depuis un moment. La perspective de devoir décapiter ses victimes avec ses dents retourna son estomac hors d’état de fonctionnement. C’était tout bonnement écœurant, jamais elle ne pourrait faire ça, malgré le coup d’œil insistant de son amie. Manger des charognes pour survivre faisait partie des atrocités qu’elle se savait capable de commettre, tout comme mordre un homme jusqu’à lui arracher ses artères afin de se défendre. Mais tenter d’enlever la tête d’un corps en rongeant son cou avec ses incisives, c’était au dessus de ce qu’elle pouvait supporter.

Melena ferma les yeux alors que des images horribles s’imposaient devant son regard, tandis que le dénommé Double-face revint avec un plan cadastre. Elie repéra vite les zones qui devaient théoriquement être les moins bien loties. Penchée par-dessus on épaule, l’irlandaise ne put qu’acquiescer en essayant d’estimer le nombre de personnes qui devaient se trouver dans cette zone. Combien de têtes représentaient-ils ? Cinquante ? Cent ? Deux-cents ? Et combien serait-elle capable de tuer ?

Chassant ces pensées parasites d’un battement de cils, elle désigna deux emplacements semblables de la carte. Ils étaient plus éloignés de la tour néanmoins, mais représentaient des propriétés aussi petites et tassées, voire plus encore.

- Il y a ceux-là aussi, qu’on pourrait rejoindre après avoir… vidé le premier coin. Mais… les autres zombies risquent d’avoir ravagés la zone avant qu’on y arrive, on devrait peut-être se réserver des cibles un peu moins fragiles. Genre… qu’un zombie lambda complètement débile ne pourrait pas assiéger, mais que nous, si.

La nécrophobe songeait en réalité à une demeure plus riche, comme celle de Schtockause. Le propriétaire, plus ses domestiques, devaient représenter au moins une dizaine, voire une quinzaine de têtes à eux seuls. La condition de morts des voyageurs tombait à point nommé pour infiltrer une maison sans craindre d’être abattus par d’éventuels gardes.

Suite à la demande implicite du pyromane, Elie continua sur sa lancée. Bien qu’il ne soit pas le plus intelligeant de la terre, Ace buta tout de même sur l’épisode des dents.
-Et tu comptes vraiment arracher des têtes avec tes dents.. ? Ben bonne chance… Je te parie qu’on y arrive plus facilement avec les genoux ou des petites cuillères. C’était dit peut-être un peu crument mais le message était passé. Toujours est-il qu’il n’avait rien d’autre à proposer, il n’insista donc pas sur ce point.

Revint enfin le premier zombie, Double-Face, avec un plan – ainsi que quelques taches de sang qui ne semblaient pas y être la dernière fois que le pyromane l’avait vu… Bref ! Passons.
Il s’approcha du duo afin de regarder la carte avec elles. Melena ne semblait pas du tout dans son assiette, et ça se voyait à 10 kilomètres. Sans doute parce que l’heure du dîner approchait… Elie quant à elle, parcourait déjà le papier jusqu’à s’arrêter sur un terrain non loin de la tour. Enfin ça c’est ce qu’elle disait. D’une part le jeune Ken était nul en orientation, et d’autre part il ne voyait qu’une chose, c’était qu’ils devraient arpenter la ville toute la nuit et que ça l’emmerdait profondément. Il se réjouit une fois encore d’être mort pour ne pas faire souffrir ses pieds, et se maudit une fois encore de se réjouir de sa mort. Tout un programme !

Melena pointait une autre zone de la carte qui ne faisait aucun écho dans la représentation de la ville chez Ace. Non, vraiment, ça ne voulait rien dire, ce plan. Enfin bon… Du moment qu’elles se décidaient à établir une cible pour ce soir, il ne s’en plaindrait pas. Il suivra la petite horde jusqu’à ce qu’on lui dise "bousille ceci, bousille cela". Et pour les têtes, une idée germa dans la tête féconde en atrocités du pyromane :
- Pour les têtes, je pense à ça : tout le monde chez soi a un couteau ou une connerie du genre. Il suffira d’emprunter ça à notre première victime et une fois qu’on en a tous un… Enfin vous avez encore des mains et vos cerveaux semblent pas trop endommagés, donc vous devriez pouvoir vous servir d’un couteau, nan ?

C.Q.F.D. même zombifiés, ils avaient un avantage sur leurs sbires : un cerveau encore opérationnel. Qu’ils s’en servent !! C’était d’ailleurs ce que voulaient les gardiens : voir de quoi ils étaient capables à armes égales d’un zombie. Ou comment établir un test de Q.I. façon Freedoom…
*Je leur en foutrai, des test de Q.I. aux gardiens, moi… Et si vous m’écoutez, eh bien je maintiens : vous êtes dégueulasse de nous demander ça.* Remarquant que sa tête tenait encore sur ses épaules après avoir émis cette pensée, il en conclut que les gardiens ne devaient même plus l’écouter à force de ne trouver que de la haine dans son cerveau. C’était pas plus mal.

Ace ne pouvait s’empêcher de penser que la tâche ne serait pas aisée et que les citoyens se défendraient coûte que coûte… Dans les films les gens étaient terrés chez eux, n’osant pas bouger ni même hurler, mais ça c’était trop beau… A tous les coups on les aurait prévenu que s’ils arrivaient à abattre les trois zombies les plus glauques de la hordes ils auraient le droit à un beau cadeau…
C’était pas non plus le moment de devenir parano’. Il avait beau essayer de faire une remarque constructive, il n’y arrivait pas. Pas tant que ses yeux étaient rivés sur le plan qui se muait peu à peu en un parchemin de hiéroglyphes anciens et parfaitement indéchiffrables.
Il se releva, dépité de sa performance géographique. Il cherchait de quoi s’amuser ; envoyer un zombie faire une connerie ou deux en ville, l’envoyer se jeter du haut de la tour… C’était presque frustrant de devoir rester dans l’enceinte du bâtiment. Il se sentait comme un animal en cage qu’on ne relâcherait que pour la représentation du soir. *Oyez, manants ! Place aux lions !!*

- Ça va, vous vous démerdez, avec la carte ? demanda-t-il aux filles. De mon côté, je pensais qu’on pourrait se trouver ou se bricoler des sortes de brouettes pour transporter les têtes. Ou alors on fabrique des balluchons avec des vieilles fringues… ‘Faut que ce soit assez simple d’utilisation pour que les zombies comprennent comment ça marche au lieu d’essayer de mâcher ce qu’on leur mettra entre les pattes.
Sur ces mots, il appela un de ses zombies. Ducon arriva, gai comme un pinson – ou du moins c’est l’impression qu’eut Ace en le voyant accourir vers lui. Trouve-moi du tissu. N’importe quoi, mais ‘faut que ce soit solide. Je sais pas, moi… Pille des tombes, réfléchis !
Son dernier ordre fit naître en Ace une gigantesque vague de scepticisme et son visage arbora un air si neutre qu’il en révolutionnait les principes de neutralités ainsi que de dégoût et de mépris. C’est avec cette tête méprisante qu’il regarda le zombie s’éloigner et fouiner un peu partout avant de gratter le sol. Le Ken commençait à penser que son zombie avait l’air un peu moins stupide qu’il ne le faisait croire, jusqu’à ce que ce dernier déterre un morceau de tissus, l’arrachant de part en part à force de tirer dessus. Il revint enfin, guilleret, avec un lambeau de tissus noir entre les mains.
Ça partait d’une bonne intention, mais demander au jeune homme d’être sensible à ça était décidément trop. Il préféra claquer sa main contre son front, la faisant glisser le long de son visage mort. Un soupir de mépris teinté de haine s’en suivit, tout comme un phénoménal coup de pied dans le cul du zombie qui fit un vol plané d’au moins un mètre.

Les voir s’organiser tous les trois mains dans la main pour accomplir un massacre nocturne avec quelque chose de beau. L’amitié magnifiée dans les coups durs, ce genre de trucs qu’ils mettaient en avant dans les séries télé. Ace tentait même d’incarner le rabat joie de service en titillant Elie sur un point douteux de son discours, ce à quoi elle répondit par un sourire carnassier plein de sous-entendus.

- Possible…

Avec la possibilité de récupérer les dents de sa forme lycanthropie, cet exploit n’aurait rien eu d’impossible ni même de difficile pour elle. Et à dire vrai elle ne comptait pas perdre un temps précieux à rechercher un bout de métal pour leur scier la gorge, autant profiter de ce que mère nature lui offrait généreusement sur les terres dégénérées de Dreamland. Elle garda ces pensées pour elle, préférant se pencher sur la proposition de Melena qui lui fit hausser un sourcil alors que sur son visage se formait un masque de scepticisme. Quand ils auraient vidé le premier coin ? Le pourraient-ils seulement ? Et puis ces enfoirés de riches devaient avoir des armes efficaces sous le coude. Un autre détail la turlupinait aussi à chaque fois qu’ils voyaient la horde comme un concurrent ou un ennemi. Ça n’avait au final rien de logique.

Qu’avaient dit les gardiens déjà ? Qu’ils devaient ramener un maximum de têtes qu’ils auraient arraché eux même à des victimes du soir… mais jamais ils n’avaient dit qu’ils devaient les tuer eux-mêmes. On pouvait même pousser le vice jusqu’à se balader tranquillement derrière les zombies et se contenter de décapiter leurs cadavres sans avoir à se salir les mains. C’était légère paresseux, mais plus moral et… et… mais attendez ? Est-ce que j’ai dit paresseux ?

- Mais on est vraiment cons ! S’exclama-t-elle en balançant sa carte de cadastre sans autre forme de procès.

Elie fit signe à Ace de s’approcher de nouveau au lieu de massacrer l’un de ses zombies qui avait eu le malheur d’être con comme une valise. Comment attendre mieux d’un gars au cerveau qui s’échappait par ses oreilles de toute façon ? Quand il les eut rejoint, la psychotique prit la parole sans tact aucun, s’adressant parfois à l’un parfois à l’autre, parfois aux deux, sont buste obliquant selon son interlocuteur du moment dans un craquement dégoutant.

- Melena, si tu veux attaquer des riches tu vas juste te casser les dents contre leurs défenses, te faire découdre et on va devoir te ramener ici en pièce détaché. Ace… je sais qu’ils sont agaçants mais abimer nos zombies ne nous aide pas, là. Mais le plus important, c’est qu’on a été stupide ok ? Non mais franchement on est où là hein ? Freedoom. Et on trouve quelle tour à Freedoom ? Celle de la paresse. De la paresse vous comprenez ? La politique du moindre effort ! Pourquoi se faire chier à casser des baraques et se salir les mains en tuant des gens quand il suffit de passer derrière les autres pour récolter les têtes ?

Telle une italienne pure souche la mauvaise jumelle parlait avec les mains, véritable balai digital qui s’acheva par une pose sur chacune de ses hanches. Ses traits quant à eux exprimaient juste une profonde certitude, et il faudrait probablement l’intervention de deux mains et d’un pied de biche pour lui sortir ça du crâne.

- On doit juste arracher les têtes nous-même, on n’ a pas la contrainte de les tuer. On suit la horde et on arrache les têtes de leurs victimes. Ca peut paraitre de la fainéantise mais n’est-ce pas quelque chose dont doit faire preuve un adepte de la tour de la paresse ? Du coup on a juste à se soucier de comment couper les têtes et les porter. Moins d’efforts et plus de productivité !

Elie hocha la tête l’air assurée en tentant de se persuader dans les méandres de son cerveau qu’elle ne disait rien d’amoral en comparant des êtres humains à de vulgaires marchandises. Et puis c’est pas comme s’ils allaient leur en vouloir, dans quelques heures ils ne seraient plus en état d’avoir du ressentiment pour quiconque.

Elle croisa les bras, sûre d’elle, en attendant que l’un des autres crie au génie. Pour une fois qu’elle se servait plus de son cerveau que de ses poings il fallait marquer le coup non ?

Pour cette fois, et ça faisait du mal de l’admettre, Melena était d’accord avec Ace. Tout et n’importe quoi ferait l’affaire pour décapiter une victime, même dans une baraque démuni ; il était hors de question qu’elle s’y prenne avec les dents. La seconde proposition du pyromane lui fit lever ses yeux morts du plan pendant un instant : fabriquer de quoi porter les têtes ? Dans l’absolu, ce n’était pas une si mauvaise idée, mais confier cette tâche aux morts-vivants ne rimait parfaitement à rien. Suffisait de les voir accepter leurs noms ridicules pour savoir qu’ils ne savaient qu’obéir aux ordres simples ; porte, tue, viens, cours… au-delà, ça devenait difficile.

La nécrophobe n’eut pas le temps de faire une remarque au concerné car son amie s’exclama qu’ils étaient cons avant de balancer la carte qu’ils venaient d’acquérir. L’irlandaise faillit lui rétorquer qu’elle pouvait parler pour elle, mais le discours de la psychotique eu tôt fait de la convaincre qu’effectivement, leurs méthodes garantissaient une perte de temps et d’énergie. Bien qu’elle doutait du fait que les riches puissent avoir des défenses monstrueusement solides – Freedoom ne ressemblait globalement pas à une ville très évoluée – l’idée de passer derrière le carnage de la horde pour se servir était… plus séduisante ?

Difficile à dire pour elle. Cela impliquerait de jongler d’un cadavre à l’autre pendant des heures, se promenant comme une apprentie faucheuse dans le marché de la mort. N’en était-elle pas une future adepte de toute façon ? Elie croisa les bras, visiblement satisfaite, mais Melena fuit son regard pour préférer l’humus qu’elle piétinait. Il y a quelques secondes, elles discutaient de l’idée d’assassiner des gens de sang froid pour leur arracher leurs caboches. Désormais, il n’était question que de s’en prendre à des villageois déjà trépassés… qu’y avait-il de si terrible ?

Le visage de sa mère s’imposa comme un flash ; figé, inerte, ses yeux sans vie la fixait avec une obstination démente. Un peu comme si cet instant l’avait damnée, comme si elle avait échappé à la mort et qu’elle n’aurait pas dû. Mais l’adolescente n’était pas dans destination finale. Sa pire ennemie ne cherchait pas à lui nuire par un enchainement de coïncidences bénignes et douteuses, elle s’immisçait jusque dans sa chair pour en faire l’une de ses fidèles, une de ses émissaires. Était-ce là sa destinée ? Une criminelle ? Un monstre ayant pactisé avec la faucheuse ?

L’irlandaise posa une main sur son front. Il était glacé et couvert de terre. Elle n’avait pas de fièvre, c’était évident. D’une voix blanche, elle rétorqua à la mauvaise jumelle :

- C’est une bonne idée, c’est vrai.

La peur tourbillonnait étrangement dans ses entrailles depuis son réveil en l’état de zombie. Comme une bête endormie qui n’attendait que de jaillir de son ventre recousu, mais elle devait être forte et l’oublier.

- Décapiter ne sera pas le plus gros problème je pense, s’efforça-t-elle de reprendre, on devrait plutôt se concentrer sur comment ramener les têtes. Si on ne fait que passer derrière la horde, alors une fois l’attaque lancée, on pourrait d’abord essayer de trouver un truc comme… une charrette, une voiture, même des cercueils qu’importe. Une fois que c’est fait, suffira de couper les têtes, les charger, et faire un voyage pour revenir faire le plein, etc…

Elle plissa les yeux, sujette à une migraine imaginaire. On pourrait croire qu’ils discutaient de marchandises, mais il s’agissait bien de crânes humains arrachés à des cadavres encore chauds dont il était question. Rien que d’y penser lui donnait encore la nausée, si toutefois elle avait pu vomir.

Les zombies étaient d’une connerie parfaitement révolutionnaire ! Incroyable !! Pas étonnant qu’ils soient morts parce que vivre avec un QI aussi bas relevait de l’impensable.
Elie lui fit signe de s’approcher, ce qu’il fit sans réelle motivation. Avait-elle trouvé un plan ou voulait-elle juste qu’il arrête de martyriser ses sbires ?

Une fois au niveau de Melena et Elie qui venait de prendre son cas pour une généralité, il demanda :
- Quoi ? T’as trouvé quoi ? La question se perdit dans le flot de paroles de la jeune fille. Pas abimer ses zombies !? Mais il ont qu’à être moins cons, merde !! Bon sinon, pour le coup elle avait raison. Si c’était la… tour de la paresse, alors pourquoi se casser le cul.. ?
- Ouais, ben le plant où on fout rien j’aime, moi ! Après pour couper les têtes, on fait comme j’ai dit ! Tout le monde a pas des tendances cannibales, ici !! Il insista un peu sur sa dernière phrase, regardant tour à tour Elie et Melena à qui il en voulait toujours un peu de lui avoir bouffé l’oreille et la gorge. C’était les siennes, quand même !!

Melena avait pourtant raison : ils ne savaient toujours pas comment ils allaient faire pour rapporter les têtes et l’idée de confier une brouette aux pourris semblait ne pas avoir emballé des masses comme laissait sous-entendre le regard qu’Elie adressa au pyromane. Eh ben la prochaine fois il ne proposerait rien, et puis voilà !
Difficile de croire qu’un tête pesait lourd. Surtout après avoir parlé avec quelques citoyens. Deux en fait. Les aubergistes chez qui le Ken s’était réveillé. Il adressa une prière pour eux, intérieurement. S’il devait épargner deux personnes ce soir ça serait eux. Ils avaient été sympa, toute réflexion faite. Des gens sympas… Espérons qu’ils survivent.

Mais là n’était pas la question. Ben si on doit se la jouer branleur, les zombies nous servent à rien, on laisse la horde attaquer, et nos zombies à nous portent les têtes… Tout con. Ils ont deu-…. Euh… Généralement deux bras… Donc en tout, on peut ramener près d’une trentaine de têtes rien qu’en utilisant le personnel. Moi après, faire le sale boulot c’est pas mon truc. ‘Pour ça que je pense à ça.
C’est vrai que le monde semble plus simple quand on a des majordomes et des femmes de ménages comme chez les Ridley. On se lève, la baraque est nettoyée, le petit déj’ est prêt. On s’en va, on a tout dégueulassé. Normal. On revient ? Tout est propre : on peut repartir pour une deuxième couche de dégueulasserie, personne nous dira rien parce que c’est leur job. D’ailleurs pourquoi un mec chargé d’une équipe de travailleurs est appelé directeur des ressources humaines !? Ben c’est pas pour rien… Les pauvres sont des ressources d’un point de vue Acéen. Rien d’autre. Les autres, c’est des camés (donc des clients) ou des dealers (des pseudo-amis). La vie est si simple quand on ne doit pas arracher des têtes soi-même… Aaaah… Nostalgie de l’oreiller.

D’ailleurs où était-il, en vrai ? Dormait-il toujours ? Etait-il mort et enterré ? Pfff… La première sans doute. Ses parents se foutent bien de ce qu’il fait, de toute façon… Ils n’avaient même pas idée de l’épreuve qui attendait leur fils… Ils étaient surement en réunion, ou au boulot… Mais un jour il reviendrait et avec ses pouvoirs il capterait leur attention ! Il s’imaginait lançant du feu de la paume de ses mains, crachant des gerbes de flammes tel un dragon… C’est sûr : il serait une star !
Hm… Il avait rêvassé et du coup, il n’avait pas écouté si Mel ou Elie avaient proposé quelque chose d’autre. Chié !

- D’ailleurs ça commence quand, le carnage ? Histoire qu’on se marre un peu ? J’ai pas tout enregistré. Nan, parce que c’est bien, on s’organise et tout… Mais on se fait un peu chier, quand même. d’ailleurs y a pas du feu, par ici ?

Adjugé vendu, avec plus ou moins d’enthousiasme. Ils avaient mis environ 1h30 à se mettre d’accord sur le plan à suivre et se trouvaient désormais désœuvrés. Les bases étaient posées, fragiles mais pourtant là, et tout les points obscurs qui persistaient reposaient uniquement sur de la chance. La chance de trouver quelque chose pour couper efficacement les têtes, la chance de dénicher de quoi en transporter beaucoup à la fois, la chance de ne pas bourder tout simplement. Penser ne servait plus à rien, tout ce qui restait était l’attente. La mauvaise jumelle détestait ça.

Elle se cala contre une tombe dans l’espoir de dormir un peu, avant de se rendre compte qu’elle ne pourrait plus jamais dormir. A moins qu’on considère le repos éternel comme un sommeil à part entière… Ses paupières se fermèrent pour chasser toutes ces réflexions inutiles. Les morceaux de viande morte n’avaient pas à se casser la tête pour ce genre de conneries.

Et les minutes passèrent, se transformant en heures qui s’écoulaient dans un silence pesant. L’angoisse de l’échec avait ainsi tout le temps de grandir et de faire frémir leurs tripes en putréfaction, de les ronger jusqu’à leur cœur qui ne battrait plus jamais. Mais pas pour Elie. Même dans cette situation la peur ne l’atteignait pas, elle comprenait l’urgence mais rien de plus ne voulait s’infiltrer dans son âme. Ses pensées vagabondaient sur des sujets autrement plus importants, comme l’air étrange qu’avaient eu les gardiens pendant leurs explications et cette course aux trophées.

Ils étaient comme des ânes à qui on agitait une carotte devant le nez, elle en était bien consciente. Le minimum était de 5 trophées par tête de pipe, mais on leur faisait miroiter des merveilles de facilité pour la suite s’ils en ramenaient beaucoup. Seulement pourquoi leur faciliter ainsi la tâche ? Les gardiens devaient se douter qu’une fois la bonne organisation trouvée la seconde épreuve se révélait aisée, et se servir d’un jeu d’enfant pour simplifier l’épreuve suivante était suspect en soit. Ça devait cacher quelque chose mais elle n’arrivait pas à mettre le doigt dessus… par dépit elle abandonna.

A l’extérieur de la tour de soleil déclinait, lugubre sphère blanche qui perçait avec difficulté le brouillard humide qui s’étendait comme une maladie de peau avec la venue du crépuscule. A travers la porte ouverte de la tour, seule ouverture offerte à nos trois amis, on pouvait voir l’astre se faire engloutir par l’horizon pour y disparaître complètement. Au loin les églises de la ville, nombreuses, se mirent à faire tinter leurs cloches. Un coup, puis deux, puis trois, et ce jusqu’à ce que 6 coups aient résonné aux quatre coins de l’île. 18 heures avaient sonné, l’heure de la horde.

Tous les zombies qui erraient jusque-là l’air apathique et la mâchoire pendante eurent l’air de s’éveiller d’un long sommeil dans une série de gémissements déchirants. Comme un seul homme la masse de chair corrompue se dirigea vers la grande porte prête à faire subir des horreurs aux malheureux trainant encore dehors à cette heure tardive, et à aller les chercher chez eux s’ils étaient trop rares. Le temps de l’attente était passé pour faire place à l’action.

- C’est l’heure, constata simplement Elie avant de se mettre debout en époussetant la terre collée à son pantalon.

Elle tenta de prendre une grande inspiration puis délaissa l’idée faute de poumons fonctionnels.

- La Bat’ team, suivez-moi. Faut qu’on trouve un moyen de transport viable.

Ses zombies s’entreregardèrent stupidement avant de suivre l’adolescente qui se trouvait déjà à l’extérieur à les attendre les bras croisés. Depuis son emplacement elle observait la direction que prenait la horde. Les zombies avaient effiloché leur groupe massif en une dizaine plus petits pour partir dans toutes les directions. Les premiers cris commençaient déjà à faire vibrer l’air nocturne comme pour les presser de s’activer.

- On se sépare pour chercher ? interrogea-t-elle avant d’ajouter, On se retrouve ici dans 20 minutes, histoire de se donner le temps de pas bâcler. Quand on aura de quoi ramasser un maximum de tête on pourra passer aux choses sérieuses.

Personne ne lui avait répondu, et même si le pyromane suggérait que les zombies avaient assez de mains pour ramener une trentaine de têtes, Melena pensait que son idée n’était pas à jeter. Certes les gardiens avaient parlé d’un minimum de 5 trophées, mais en utilisant la méthode de la paresse, ils pourraient sans aucun doute faire beaucoup mieux que 10 victimes chacun. Vu comme cela, 30 à eux trois paraissait peu. Qu’importe. Même si son corps ne pouvait physiquement pas ressentir la fatigue, elle était lasse. Un épuisement mental qui menaçait de la faire s’effondrer d’un moment à l’autre : discuter de comment mutiler des cadavres… c’était aberrant. Ils étaient complètement devenus fous.

L’adolescente ne répondit pas à Ace lorsqu’il demanda quand débutait le carnage. L’attaque commençait à 18h, et bien que le ciel soit terne et froid, il était évident que le moment n’était pas encore proche. L’irlandaise s’éloigna pour s’isoler un peu, et s’allongea à même le sol, dos contre une pierre tombale. Les paupières abaissées sur ses yeux morts, elle écoutait toute l’immobilité de son enveloppe charnelle. Elle se rendait compte d’à quel point la vie lui manquait : se sentir chaude et humaine, avoir un cœur qui bat, des organes qui fonctionnent, de l’air qui circule au gré de ses respirations… cette mort-ci était peut-être plus effroyable encore que celle qu’elle avait toujours redouté, car elle lui mettait à portée de main tout ce dont elle voulait, et l’en privait à la fois.

Quand la jeune fille rouvrit les yeux, la nuit était tombée. Elle n’avait pas dormi, ça lui était désormais impossible, mais son repos s’était mué en une sorte d’état méditatif déconnecté du monde. Peut-être son cerveau avait-il basculé au bord de son inconscience pour lui permettre d’écarter les craintes et les angoisses pendant les longues heures d’attente, mais lorsqu’Elie déclara qu’il était l’heure, ses entrailles rafistolées se tordirent. L’heure du massacre, l’heure de commettre des horreurs dont ses cauchemars seraient teintés jusqu’au restant de sa vie. Fébrilement, Melena se remit sur ses jambes sans prendre la peine d’épousseter sa combinaison techyoïte. Aux consignes de la mauvaise jumelle, elle répondit « ok » d’un signe de tête et se tourna vers ses zombies pour leur ordonner d’une voix faible :

- Suivez-moi.

La mort la préservait de la nuit froide. Le cimetière de Freedoom, vaste champ de tombes, était piétiné par tous les putrides qui se rendaient en ville. Les volutes de brume de soulevaient, ondoyaient, dansaient à la lueur laiteuse de la lune sinistre. Aux hurlements des malheureux qui n’étaient pas rentrés à temps, les gémissements bestiaux des zombies se mêlaient pour une consonance macabre parfaite.

Parvenue aux portes qui séparaient la ville du territoire morbide de la tour, les yeux sans couleurs de l’irlandaise survolaient le massacre. Déjà, quelques cadavres gisaient dans les rues poussiéreuses, grignotés, lacérés, puis abandonnés. Ses mains tremblaient à l’idée de se mêler à cette foule de barbares décharnés. Si son cœur battait encore, il bondirait de terreur en songeant qu’elle puisse subitement être désignée comme victime, mais il n’en était rien. Rassemblant son courage, ses lèvres cadavériques s’ouvrirent pour dicter un ordre d’une voix laconique :

- Liam, Yoru. Trouvez-moi un objet tranchant, suffisamment grand pour décapiter quelqu’un, mais pas trop lourd.

Après un regard profondément stupide, les deux larbins obéirent et disparurent en se mélangeant à la horde grinçante. L’adolescente repassa rapidement en revue mentale une indication qu’elle aurait pu omettre pour qu’ils ne lui rapportent pas n’importe quoi, mais ça paraissait correct. Il fallait qu’elle trouve un moyen de transport désormais, quelque chose de pratique avec une grande contenance. Difficile de penser dans ce gigantesque chaos de cris, de pleurs, et de coups ; mais il faudrait bien pourtant.