Les voyageurs à l'école des sorciers

Les réponses de sa cadette la rassurèrent. Elle poussa donc un soupir de soulagement et attendit patiemment que la porte s’ouvre pour laisser sortir la phobophobe, précédée par son miroir en argent. Surprise, Selene resta immobile, n’osant même pas bouger de peur de se faire rater un test de la surdouée. Lorsqu’un sourire se dessina enfin sur les lèvres de cette dernière, Selene eut la même réaction en échos, avant que le contrecoup de l’objet se déclenche brusquement.

La rouquine pâlit et toute trace d’euphorie, aussi légère soit-elle, avait déserté son visage. Que pouvait-elle bien faire ? A voir les yeux couverts d’un voile blanc que la gamine dressait vers elle, il était évident qu’elle était réellement aveugle. Néanmoins, si mentir n’arrangerait rien, le fatalisme n’était sans doute pas ce à quoi s’attendait la blondinette. La toquée n’avait encore jamais vu sa comparse aussi désespérée et une nouvelle fois, ça ne faisait que mettre en exergue ce qu’elle était : une préadolescente maigre et blême, dont l’unique force résidait dans ses méninges ou ses pouvoirs de voyageuse.

A la lumière de ce que lui révéla Dakota sur l’utilité du miroir, Selene fut tentée de proposer une explication. Elle ne solutionnait rien dans les faits, mais c’était la meilleure alternative qu’elle avait trouvé pour essayer d’apaiser son amie. Tout ce qu’elle espérait, c’était qu’elle puisse ne pas être loin de la vérité.

- Ça… ça va aller. C’est sûrement temporaire… on ne devient pas aveugle comme ça… même ici.

La jeune fille se mordit la lèvre. Temporaire ? Peut-être… mais combien de temps maintenant ? La question était là. Encore incapable de trouver une autre explication, elle prit dans ses mains les doigts fins de la phobophobe, toujours vissés sur ses épaules, et l’entraina précautionneusement vers l’un des fauteuils pour l’y assoir doucement. A destination, elle ne lâcha qu’une seule des mains de Dakota, l’autre raffermissant sa prise chaleureuse et réconfortante, avant de s’agenouiller à ses cotés. L’angoisse de la gamine était contagieuse ; frappée par sa crainte, la toquée fut saisie par l’irrésistible envie de faire apparaitre un épouvantail. Il n’y en avait jamais assez.

- Ça me rappelle une histoire…, commença la rouquine, je crois que c’était dans la bible en fait… un type qui avait vu la lumière de Dieu était devenu aveugle en échange. Euh…, se reprit immédiatement la jeune fille, ce que je veux dire c’est que peut-être que cette objet fonctionne comme ça… pour avoir aperçut la vraie nature des gens, tu perds la vue pendant un petit moment en contre partie… il faut juste… hum… attendre.

Selene grimaça, trop peu convaincue. Et si rien ne changeait ? Et si Dakota était vraiment condamnée ? Non, c’était impossible. Il fallait qu’elle y croit, sans quoi la confiance de la blondinette achèverait de s’effondrer et elle ne saurait pas comment lui venir en aide. Sa main libre plongea fébrilement dans une de ses poches pour en sortir son rouge à lèvres, qu’elle utilisa cette fois pour se dessiner un compagnon sur la cuisse. C’était fait de la main gauche, mais c’était suffisamment bien réalisé pour qu’elle y reconnaisse un épouvantail. En même temps que le calme l’envahissait à la vue de cet ami fidèle, son pouvoir déferlait sur la phobophobe.

Apaisée, sans quitter des yeux le visage carmin qui la fixait depuis la peau blanche de sa jambe, la galloise put enfin s’adresser à sa comparse d’une voix beaucoup plus assurée :

- Ce serait logique que ce soit un tribut à payer en échange du pouvoir du miroir. En attendant que ça passe… je resterai avec toi, tu n’auras qu’à me dire ce dont tu as besoin.

Un sourire timide étira ses lèvres rosées, elle ne pouvait pas faire grand-chose de plus. Tout ce qu’elle espérait était maintenant que la cécité de sa cadette ne durerait pas trop longtemps, sans quoi ils allaient se trouver face à un problème plutôt épineux. Ceci étant dit, Selene était prête à tenir sa promesse et à épauler Dakota aussi longtemps que cela durerait.

Sydney avait beaucoup de mal à cerner le concept de "Jules". C'était qui ? S'il était invisible, il pouvait toujours parler, non ?? Dans ce cas pourquoi ne s'était-il jamais montré...
- Euh... Tu as l'air de le connaitre pas mal, ce Jules. Tu me le montreras à l'occasion ? Parce que ne pas voir quelqu'un moi ça m'angoisse. Imagine qu'il vienne derrière toi avec un couteau et... Ou même devant toi : on voit rien !!

D'un point de vue paranoïaque, il était hors de question que le cinquième membre du groupe ne se montre pas à eux sans qu'il devienne un suspect en puissance !
Et ça voulait dire quoi "il vient que quand j'ai besoin de lui"..? Était-il extérieur au groupe ? C'était à n'y rien comprendre pour le pirate qui essayait tant bien que mal de tourner la phrase dans tous les sens, au cas où un message caché se révélerait à lui au dernier moment.

La suite de l'argumentation de James le laissa perplexe, presque sceptique. Il ne se gêna pas pour lui faire remarquer :
- Écoutes. Que tu te sois fait trahir par quelqu'un, je comprends, je compatis. Vraiment. Mais pour les filles... Qu'est-ce qui te dis que tu ne te trompes pas à leur sujet ? Si ça se trouve, elles cachent super bien leur jeu ! Enfin je sais pas comment tu fais pour faire confiance à autant de monde. Je veux dire... Sans jamais douter un instant qu'ils puissent être mauvais !!

Faire confiance à cinq personne était tout bonnement impossible. Ou alors vraiment naïf, tout dépend du point de vue. Cependant, Syd venait de se rendre compte que s'il en venait encore à douter des trois autres compagnons, il avait concédé une confiance relative en James. Surement par empathie..? De tous, James semblait le plus inoffensif, désormais, passant même devant Selene dans le classement. Et là était tout le problème : établir des classements de dangerosité entre des gens suspects était normal pour le pirate. En revanche, c'était la première fois en dix ans qu'il établissait un rapport de confiance avec plus d'une personne (même le livreur de pizzas de son quartier n'était jamais entré dans la catégorie des gens "fiables" !)

En fait, ce type, James, dégageait encore moins d'ondes négatives qu'un yaourt à la fraise. Mais bon, 'fallait pas pousser quand même ; le pirate ne comptait pas lui faire savoir avant d'être sûr qu'il pouvait lui faire confiance sur ce point là. Il n'était d'ailleurs pas impossible que James souffre de mythomanie, ça expliquerait même le phénomène "Jules". La meilleure façon de le savoir était encore de le demander à l'intéressé et d'obtenir confirmation auprès d'une des deux filles.
- Hm... Au fait, je ne sais même pas de quoi tu souffres... Si j'ai bien compris, on a des pouvoirs en fonction de sa maladie - à part quelques exceptions : j'ai un pouvoir alors que j'ai juste du mal à faire confiance aux autres, pas de quoi fouetter un chat !

C'est vrai que ça ne devait pas être très rassurant de savoir que quelqu'un était invisible et pouvait nous faire du mal sans le voir arriver. Mais Jules ne le faisait jamais sans raison, tout d'abord il pensait en priorité à la protection de l'adolescent ce qui parfois pouvait s'avérer très embêtant, il en fait un peu trop...Mais heureusement pour le moment il n'avait rien fait de mal.

- Ca marche ! Vous vous entendrez peut être bien qui sait !

Il fit un sourire à Sydney puis avait continué ses arguments pour convaincre le pirate de revenir parmi eux. Tâche qui était quelque peu difficile pour lui, qui n'avais été un très bon auditoire mais peut être que sa sincérité pencherait la balance en sa faveur. Puis même il serait déçu que le nouveau compagnon les quitte à cause de sa maladie.
Enfin de compte Sydney doutait plus des filles que de James, ce qui était déjà un bon point mais comme ce dernier l'avait dit, son avis concernant Sélène n'était que pure instinct. A vrai dire toutes les deux auraient pu faire le mal quand elles le souhaitaient, surtout Dakota avec Bloody Mary, or ça n'avait jamais été le cas. La blondinette avait même accepter l'adolescent malgré ce qui c'était passé lors de la nuit sanglante...Rancœur qu'elle avait ressortit en étant devenue une méchante fée.

- Sincèrement, si Dakota aurai eu envie de faire quelque chose de mal elle aurait plusieurs occasions de le faire...Mais voilà elle ne l'a pas fait parce que c'est une personne bien, que c'est mon ami ! Je te le redis Sélène je l'a connait pas beaucoup mais tu crois vraiment qu'elle ferait du mal ?

La première fois qu'il l'avait vue c'était lors de son réveil chez le docteur Parkinson et puis le voyage avait continué ensemble. La rouquine avait participé pour revenir à Dreamland et essayait même d'aider Dakota, alors elle ne pouvait pas être mauvaise.
Enfin bon, maintenant Sydney s'intéressait à la maladie de James qui en fait ne savait pas du tout de quoi il en retournait. Mais par contre le pirate lui, avait un sérieux problème de confiance, ça c'était sur.

- Bah moi j'ai rien c'est ma mère qui a tenu à m'envoyer voir le Docteur Parkinson...et elle a mit tant de cœur à son travail pour pouvoir me payer une séance que j'y suis allé...Mais sinon je vais bien !

Devait il lui avouer ce qu'il pensait réellement du problème de son interlocuteur ? Il ne voulait pas réduire à néant tout ce qu'il avait dit et surtout le froisser.

- C'est quoi ton pouvoir alors ? Ca doit être lié à ça, tu m'a l'air sympathique hormis ta méfiance légendaire

*Ouais... On va bien s'entendre... A défaut de se voir.*

Sous le ton à demi sarcastique de sa pensée, Sydney espérait bien qu'il se ferait plus d'"amis" que d'ennemis, alors autant de mettre ce invisi-Jules dans la poche, tant qu'on y était.
Il en avait appris plus sur James dans la dernière minute qu'il ne l'avait jamais fait pour le groupe en toute une journée. Ce garçon ne pouvait décidément pas être mauvais. Ou alors juste un petit peu. Même quelqu'un qui a pour plan de dévoiler sa vie ne le fait pas autant !! C'est contre-productif.

Il se sentait moins seul, pourtant. Heureux de partager des points communs avec quelqu'un : ils avaient tous deux été trahis par des personnes qui leur était chères, et tous deux semblaient avoir obtenu des pouvoirs sans souffrir d'aucune maladie. Ça faisait si longtemps... Tant d'années passées sans nouer de liens avec qui que ce soit... Le pirate en avait même un peu peur. Peur de trop en dire, ou de ne pas en dire assez... Peur de ne plus savoir dire les choses...

L'adolescent continuait à vanter les mérites de Dakota et Selene, mais ça n'avait pas autant de valeur que ce dernier semblait le croire, aux yeux du paranoïaque...
- Oui, bon, ok ! Elles ont été sympa... Pour l'instant. Mais j'attends quand même de voir la suite. Si les bagues révélaient la vraie nature des gens, leurs sentiments les plus profondément enfouis à l'égard des autres, alors il n'avait pas de raison apparente de craindre Selene non plus, mais Dakota restait quand même dans la ligne de mire ! Et non, ça n'était pas de la frustration de voir qu'une gamine de 15 ans était capable de mener tout un groupe dont une personne de 23 ans !!

- Tu sais... Je crois que je suis comme toi : je suis arrivé ici parce que je suis allé voir une psychiatre. Mme Thorès, je crois. Ma "méfiance légendaire" est un don : ça me rend plus alerte, j'apprécie mieux les problèmes que n'importe qui ! Les gens pensent que je suis parano', et n'hésitent pas à me le dire, mais c'est faux ! Ce sont eux qui sont inconscients !
Quoi qu'il en soit, j'ai un pouvoir en rapport avec ma méfiance : dès que quelqu'un me veut du mal, j'entends un BIP dans ma tête... C'est... Étrange. Après, je sais pas si ça vient de moi ou autre chose, mais juste après ce BIP c'est comme si je pouvais capter des pensées. Version radio mal réglée : j'entends pas grand chose... Mais si c'est effectivement ça, ça sera hyper utile.

Il regarda un instant James. Si ce dernier ne le prenait pas pour un taré, c'était uniquement parce qu'il était à peu près dans le même cas que lui, sans doute. Ces pouvoirs restaient quand même assez spéciaux...
- S'il te plaît... N'en parle pas tout de suite aux filles, tu veux ? Disons que j'aimerais être sûr de ce que fait exactement mon pouvoir avant de le révéler. dit-il enfin à l'adolescent. Il était facile de déjouer le pouvoir quand on savait ce qu'il faisait. Et n'ayant pas entière confiance en Dakota, Sydney préféra naturellement qu'elle n'en sache rien lorsqu'elle tenterait de lui faire du mal une nouvelle fois.

Tout était noir, si noir… comme le fond de son immense placard quand elle était toute petite. Celui où se tapissait le croque-mitaine dont on la menaçait pour qu’elle soit sage. Sombre comme l’espace sous son lit où attendait sagement un monstre écailleux pour dévorer dans son sommeil. Obscur comme ce couloir vide qu’il fallait traverser la nuit malgré la présence du fantôme qui vous saisirait les chevilles. Rien de tel que l’inconnu pour stimuler la peur, l’absence de repaire était un puissant catalyseur pour l’imagination. Si toutes ces peurs puériles étaient maintenant dépassées, une armée de nouvelles attendaient sur le pied de guerre prêtes à faire entendre leur voix.

** Et si je restais toujours comme ça ? Et si je trébuchais sur quelque chose et me rompais le cou ? Et si les autres en profitaient pour lui faire les poches et la laisser sur le carreau ? Et si… et si… **

Lorsqu’on était privé d’un sens les autres semblaient dès lors prendre de l’ampleur. L’oreille tendue elle entendait les craquements du parquet sous le tapis, le bruissement des cheveux de Selene contre sa veste, mais surtout le silence pesant qui régnait autour en maitre absolu.

Non, elle ne pouvait pas rester comme ça, elle ne le supporterait pas. C’était inconcevable, irrecevable ! Tout ça pour avoir regardé dans un fichu miroir ! Tout ça pour avoir voulu stupidement guérir ! Mais guérir de quoi au juste ? D’un trop plein de lucidité ou d’un manque de courage ? Elle aurait mieux fait de rester cloitrée dans sa chambre sécurisée et aseptisée, là-bas au moins on lui laissait la possibilité de contempler son désespoir.

La voix de Selene en proie à une panique à moitié réprimée n’était pas pour l’aider, mais le contenu de son discours se tenait. Entrainée dans un fauteuil Dakota écoutait, les lèvres blêmes et tremblantes. Un prêté pour en rendu ? Quelque chose de temporaire ? Oui… oui c’était possible mais ça ne restait qu’une hypothèse. Et même si c’était le cas ça ne la rassurait en rien sur la durée de cet effet néfaste. La rouquine avait pris comme référence une histoire biblique, ce qui n’était pas pour gagner l’estime de la surdouée. La bible hein ? Un livre de contes comme un autre, Dieu n’était qu’une invention visant à discipliner les masses crédules.

Elle s’apprêtait à couper sa camarade pour lui faire part sèchement de son opinion concernant la religion, son côté désagréable amplifié par l’angoisse qui la secouait, mais Selene fit alors quelque chose que Dakota put deviner à défaut de le voir. Toutes ses peurs se voilaient comme ses yeux alors que le calme réintégrait peu à peu son enveloppe chétive… elle avait dessiné un épouvantail, quoi d’autre sinon ?

Un sentiment que la phobophobe ressentait rarement grandissait peu à peu dans son cœur glacé : la reconnaissance. La rouquine ne lui avait peut-être pas rendu la vue, mais elle avait fait en sorte qu’elle retrouve la paix et sa capacité de réflexion. Ca semblait ridicule, mais pour Dakota c’était tout ce qui comptait.

- … Merci, souffla-t-elle à peine audible.

Quoi dire de plus ? S’épancher n’était vraiment pas son truc. Les explosions sentimentales restaient du domaine de l’inconnu pour ce petit bout de femme dont les yeux morts fixaient désormais le vide droit devant elle. La gamine sentait qu’elle aurait dû dire ou faire quelque chose, mais rien ne lui venait. Sa main finit au bout de quelques secondes par se poser maladroitement sur celle de sa camarade après quelques tâtonnements, ses doigts gelées glissant dans la paume chaleureuse de Selene.

- Je n’oublierais pas. Même si… ces histoires de religion, tu m’excuseras mais ça reste de la pure invention.

Son ton avait été plus sec qu’elle ne l’avait voulu, mais c’était trop tard pour les reprendre. Revenir sur ce qu’on avait dit c’était bon pour les autres.

- On va attendre un peu pour v… on va attendre. Et si rien ne revient vous feriez aussi bien de me laisser là. Ce serait stupide de vous trainer une aveugle derrière vous. Je vous ralentirais.

Merci de quoi ? Selene ne comprenait pas bien, mais elle sourit. La main froide de la gamine dans la sienne accentua cette expression, même après qu’elle lui eu rétorqué un peu sèchement que la religion, c’était n’importe quoi. En fait, elle était d’accord, mais gardait le silence, le temps d’observer le visage de Dakota. Elle n’avait jamais eu l’occasion de le faire, emportée sans cesse dans l’urgence, la fuite ou la lutte. La phobophobe avait des traits tirés, pâles, comme une enfant qu’on avait oublié de colorier, qui était restée en noir et blanc. C’était dommage. La rouquine ne s’était jamais sentie utile pour quelqu’un, pas particulièrement du moins, mais un sentiment inexplicable la poussait à ne pas laisser tomber sa cadette. Son esprit trop cartésien ne lui rendait pas forcément service. Certes, elle était plus intelligente, mais était-elle heureuse ? Le serait-elle un jour ? La toquée s’offusqua de sa proposition et secoua la tête en serrant plus fort les mains qu’elle tenait.

- Je te laisserai pas toute seule, tu dis n’importe quoi. Dans le pire des cas, je resterai avec toi, et on trouvera une solution… dans une ville pareille, ça doit être possible.

Elle jeta un œil à l’épouvantail de sa cuisse. Il lui faisait un grand sourire carmin, ses yeux manifestés par des boutons grossiers étaient de travers, mais ça ne faisaient qu’accentuer son charme. Quelques souvenirs lui revenaient, des bribes plus ou moins heureuses, mais puisqu’il fallait attendre, elle préférait parler que de rester dans le silence ; ce serait aussi certainement mieux pour la blondinette.

- Mais je ne suis pas catholique tu sais, commença-t-elle comme en s’excusant, ma mère l’était, je crois que c’est elle qui me parlait de ces histoires quand j’étais petite.

Selene n’osa pas préciser « avant que mon père ne commence à sérieusement nous battre », mais sa voix marqua un flottement qu’elle ne put rétablir qu’après un coup d’œil sur son ami en graisse rouge. Une légère vague de calme et de sérénité glissa sur son cœur alors qu’elle poursuivait :

- Je préférais les contes celtiques sur les fées et tout ça. Je sais que c’est pas réel non plus… mais ça me plaisait, et ça restait une part du folklore de mon pays quand même.

Elle poussa un soupir.

- J’habite chez ma tante maintenant, à San Francisco, mais elle est assez terre-à-terre par contre. Je crois que ça la dérange que je puisse être… apaisée par des épouvantails… pourtant, c’est plus fort que moi, et je ne vois pas ce qu’il y a de mal.

Un sourire triste interrompit son discours. L’adolescente haussa les épaules en signe de résignation et les laissa retomber doucement. Elle tourna la tête pour jeter un œil vers la porte, mais ni James ni Sydney ne semblaient revenir ; elle espérait au moins qu’ils ne se soient pas perdus dans les escaliers. Une idée s’illumina soudainement, celle de demander à la phobophobe ce qu’elle avait vu à son sujet dans le miroir, mais elle n’était pas certaine qu’aborder à nouveau ce sujet puisse être favorable au calme de la blondinette.

- Il y en avait un dans mon jardin au Pays de Galles, reprit Selene en raccrochant le fil à sa dernière réplique. Quand ça… quand ça n’allait pas fort avec mon père, je courais me réfugier à ses pieds. Des fois je pleurais, des fois je lui parlais… ça me faisait du bien. Je rentrai souvent longtemps après, ou quand ma mère venait me chercher.

L’image de Mme Nymphadora qui venait la trouver, en pleurs, apparut doucement. Un œil au beurre noir, une marque de gifle rouge sur la joue, un bras crispé contre son ventre. Elle tendait la main à sa fille effrayée en lui demandant gentiment de retourner dans sa chambre, parce que dehors il faisait froid. Dehors, elle n’avait pas peur aurait-elle voulu répondre, mais elle obéissait, et courait jusqu’à grimper sur son lit pour apercevoir son ami par la fenêtre. Un souvenir triste, si lointain qu’il semblait appartenir à une autre vie, à une autre personne. Pourtant, c’était bien la sienne, et en se concentrant un peu, elle pouvait sentir les hématomes sur sa peau et entendre les hurlements de son géniteur.

L’angoisse s’était immiscée en elle par surprise. Il lui fallait un autre épouvantail, un nouveau qui la réconforterait encore mieux que les autres, mais elle n’osait pas lâcher Dakota tant qu’elle était aveugle. Selene se mordit la lèvre alors, angoissée, et attendit dans un silence mal-à-l’aise.

Bon, c'était pas gagné que Sydney fasse confiance aux filles alors même après tout ce que James avait dit de bien sur ces dernières. Il espérait que le pirate se forge rapidement un opinion positif sur les demoiselles, l'adolescent n'avait pas envie de lui courir après à chaque fois que son compagnon se sentirait menacé. Déjà c'était un bon point qu'il veuille bien voir non ? Il opina donc de la tête puis le sujet sur leur maladie et leur pouvoir était apparu.
Ils étaient tous les deux inconscient de leur problème ce qui était déjà un frein vers le chemin de la guérison. James écouta Sydney sagement parler de sa méfiance et il est vrai que point de vue qu'il défendait n'était pas faux...L'adolescent c'était fait avoir après tout en plaçant sa confiance envers un homme...pour récolter un bon chagrin. Dommage qu'il ai pas un peu de méfiance en lui ou au moins le BIP dont parlait Sydney. Ce dernier semblait avoir la faculté aussi de lire dans les pensées, mais de manière brouiller. James resta pensif un instant, réfléchissant à cela. C'était certain que ce pouvoir se développerai comme les siens alors tôt ou tard le pirate pourrait être genre comme un télépathe !

Ce dernier le supplia de ne rien dire sur son pouvoir avant d'en savoir plus dessus. Ce qui était assez compréhensible...

- Je dirai rien c'est promis !...Alors on va les rejoindre ?


Pas que être seul avec lui le dérangeait ou était ennuyant mais James n'avait pas envie d'avoir des ennuis ou que Dakota pense qu'une fois encore l'adolescent l'avait laissé tomber. les paroles de la blondinette étaient encore ancré dans son esprit. Tout ce qu'elle avait dit jusqu'à ce qu'elle parle de Jules restait dans sa tête et refusait de partir. Comment avait elle pu dire que son meilleur ami n'existait pas ? C'était ridicule ! Enfin...elle s'était excusé alors bon..

A la réflexion faite, James était la seule personne à qui le pirate avait confié autant de choses depuis dix ans. Est-ce que cet échanges était suffisant pour faire d'eux des amis ? Peut-être pas, mais des compagnons de routes acceptables, oui. Il appréhendait moins la perspective d'un voyage se sachant en compagnie de quelqu'un d'à peu près fiable.

Il avait au moins obtenu la promesse que James ne dirait rien pour le moment, c'était déjà ça. Ça semblait sincère, à voir le sourire que ce dernier arborait. C'est vrai qu'il fallait songer à retourner voir si tout se passait bien là-haut. Il n'avait entendu aucun cri, c'était bon signe. Ou alors... Il était trop loin..? Ou alors... Elles s'étaient entre-étouffées !!?? Il avait pu se passer tant de drames pendant son absence que ça ne le rassurait pas du tout, mais attendre d'avantage serait encore pire. A chaque seconde l'impardonnable pouvait avoir été commis ; c'était la même chose que l'expérience du chat de Schrödinger(1)... En deux fois pire !!!

- Oui, tu as raison. Elles doivent soit s'inquiéter pour nous soit courir un grave danger. Enfin c'est pas ce que je voulais dire, mais... Euh... Diantre !! Un petit fail pour le pirate paranoïaque ? Hip hip hip hourra !! Ou comment communiquer la crainte la plus tenace à son entourage nouvellement créé. *Tu le fais exprès, ou quoi !? Idiot !!*
Pestant contre lui même, il se leva du banc et entama le chemin du retours vers leur chambre. En espérant qu'ils ne se perdent pas dans les couloirs !

Soit le duo possédait un sens inné de l'orientation soit la chance était avec eux car ils trouvèrent sans beaucoup de peine la porte de leur chambre ou les deux Schrödincats les attendaient. Pour l'instant aucun son n'avait filtré et ils n'avaient pu entendre que le son de leurs pas se répercuter contre les murs de la mairie ainsi que les bruits émanant de l'extérieur.

Avançant dans le couloir, la pression commençait à monter chez Syd et il n'osa pas regarder James de peur de lui transmettre son angoisse ou bien de voir que celui-ci le serait déjà. Il arrivèrent enfin devant la porte. Sydney espérait vraiment que rien ne se soit passé de grave. Alors qu'il tendait la main vers la poignée, il fut saisi d'un délire paranoïaque. Et si la poignée était piégée ? Et si elles avaient été enlevées ET que le ravisseur avait piégé la poignée ?? Et si il était encore derrière ? et si... Et si...
Il perdait tous ses moyens et son bras tremblait légèrement, toujours crispé à quelques centimètres de la poignée en forme de bonbon strié rouge et blanc.

Il se tourna alors lentement vers James. D'un voix mal à l'aise il lui demanda
- Est-ce que... Est-ce que tu pourrais ouvrir la porte... Pour moi..? Je n'y arriverai pas ! Soit prudent, tout de même...
Il n'en revenait pas d'être aussi lâche... Il sacrifiait son nouvel ami parce qu'il avait peur de voir ce qu'il redoutait ? Pitoyable. Il se maudissait intérieurement. Il aurait tout aussi bien pu se contenter d'une fausse politesse en adressant un grand sourire à James en lui laissant la place : "après vous !"
Mais non, il avait réussi à dire le fond de sa pensée - au moins une fois. Cela n'en demeurait pas moins très lâche...

Comment pouvait-il espérer être lui-même digne de confiance avec des idioties pareilles..? Mais que voulez-vous, on ne contredit pas l'instinct de survie ! Son cœur battait la chamade. Pourvu que tout aille bien ! Pourvu qu'elles n'aient pas eu la stupide idée de tester un autre de ces objets ou bien de remettre ces bagues atroces !!

Et une victoire une ! Sur le coup James se retint de sauter de joie et, aussi de faire un câlin à Sydney car ça ne se faisait pas ce genre de chose voyons...Déjà que le pirate l'ait écouté et veuille bien retourner voir les demoiselles était un grand pas. par contre il aurait pu éviter l'hypothèse du danger, cela n'était pas du tout rassurant et en plus c'était possible avec les objets encore non découverts. L'adolescent avait donc hâte à présent de retourner dans leur salle et heureusement le retour se passa sans encombre, encore mieux ils ne se perdirent même pas comme si leurs jambes se souvenaient du chemin.

Inutile de préciser que même si ça ne se voyait pas, James était quand même un minimum angoissé mais se disait que les filles ne s’entretueraient pas sans une aide du mal. Les deux voyageurs arrièrent donc devant la porte et l'adolescent attendit que Sydney l’avouer mais ce dernier semblait avoir du mal et ce doute se confirma lorsque le pirate lui demanda de le faire. Ce n'était qu'une poignée...
James exécuta donc la demanda de son compagnon et posa sa main sur la poignée se retenant de lui faire une blague, comme par exemple pousser un cri mais bon...ça ne serait pas drôle pour le pauvre pirate alors il se contenta d'ouvrir la porte avec un sourire en espérant que derrière ne se cachait pas une scène de meurtre.
Il fut donc rassuré lorsqu'il pénétra à l'intérieur retrouvant Sélène et Dakota ni en sang ni blessé ou autre.

- Nous revoilà !

Lanca t-il gaiement avant de perdre d'un coup sa joie en voyant leur tête de déterré. Pire encore la blondinette avait l'air pas dans son assiette du tout et une angoisse terrible se lisait sur le visage de la rouquine.

- Qu'est ce qui se passe ?

Demanda t-il en s'approchant des deux filles, une boule de stress se formant au creux de sa gorge qui instantanément donna lieu à une transformation physique de James. Qui devint Jules. Si Sydney tenait à savoir qui était ce Jules, et bien il l'avait à présent devant ses yeux et l'avait même déjà rencontré auparavant dans l'arbre.

L’effet calmant du pouvoir de Selene disparaissait déjà mais ça avait suffi pour que Dakota reprenne ses esprits. Il lui suffisait d’attendre pour constater si l’effet était permanent ou pas, et paniquer n’apporterait pas d’eau à son moulin. Il fallait juste un peu de patience ce qui n’était à vrai dire pas trop demander. A Dreamland ils avaient tout le temps d’attendre, un mois entier si c’était nécessaire. La fait que la toquée refuse de l’abandonné fit légèrement sourire la phobophobe. C’était gentil. Stupide mais gentil. Si les situations avaient été inversées elle ne se serait jamais trainé un boulet aveugle, mais elle s’abstint de le souligner en préférant le silence.

Tout en attendant le retour de sa vue, Dak’ écoutait l’histoire contée par la rouquine… sa vie. Ses préférences en littérature, sa situation familiale, sa maladie. La gamine restait stoïque et silencieuse, trop peu habituée aux confidences pour se risquer à dire quelque chose qui interromprait ce processus. Vers la fin de son discours la main de sa camarade se mit à trembler imperceptiblement dans la sienne et ce fut le déclencheur pour qu’enfin la surdouée se décide à desserrer les lèvres.

- Je ne sais pas ce qui te trouble, mais… tu devrais oublier. Ce n’est pas bon de vivre dans le passé quand ton présent demande toute ton attention.

Sa voix était froide malgré ses efforts pour sembler sociable, mais à vrai dire elle n’avait aucune idée de ce qu’on attendait d’elle. Faire un câlin ? Venant d’elle cette démarche aurait forcément semblé ridicule. Lui demander de vider son sac ? A dire vrai servir de confidente la mettait plus mal à l’aise qu’autre chose. Tourner la page restait la meilleure option qui se présentait à elle.

- On a tous des secrets qui nous rongent. Parfois c’est de notre faute, parfois non. Je n’ai pas l’impression que ce soit ton cas alors tu devrais essayer de passer à autre chose et de ne pas gâcher ta vie avec les erreurs de quelqu’un d’autre.

Ses lèvres fines se pincèrent à défaut de trouver mieux à dire. Le bruit de la porte qui s’ouvrait la sauva d’un embarras grandissant, et entendre James la soulagea grandement. Il ne s’était pas sauvé, grand merci. La gamine leva ses yeux morts et blancs vers l’endroit d’où provenait la voix de son ami, ne profitant pas de sa transformation en Jules. Elle était persuadé d’avoir toujours affaire au grand naïf qui lui servait d’éternel compagnon et répondit donc comme si elle avait toujours affaire à lui.

- Le miroir m’a rendu aveugle, mais avant ça j’ai pu voir l’âme des gens dehors, la mienne et celle de Selene. Très belle d’ailleurs, ajouta-t-elle d’un point de vue purement scientifique, La cécité est un contrecoup de l’utilisation et on ne sait pas encore si c’est permanent.

Vers la fin de son explication sa voix se mit à vibrer, la peur commençant à s’exprimer à nouveau. Depuis combien de temps était-elle comme ça ? Deux minutes ? Quatre ? Six ? Dans cet état elle n’avait plus aucune notion du temps. Elle se rappelait avoir regardé à travers le miroir pendant environ 3 minutes et ensuite tout se brouillait au milieu de son flot de panique. Sa main se crispa une fois de plus sur celle de Selene puis… le brouillard se leva.

Ses yeux retrouvèrent peu à peu leur couleur de glacier alors que le voile noir qui masquait sa vision disparaissait. La première chose qu’elle vit fut le visage de Jules, vision qui lui dira une légère grimace qui fut bien vite remplacé par son éternel visage de marbre. Bon… au moins on savait maintenant que c’était vraiment temporaire.

- Je… crois que c’est fini. Mais j’ai été aveugle bien plus longtemps que mon temps d’utilisation. Ce n’est pas le genre de choses dont je me servirais tous les jours…

Sur ces mots elle lâcha la main de la toquée pour se remettre debout et récupérer son miroir qui trainait encore sur le sol à moitié enfoui dans le tapis épais. Maintenant qu’elle savait les points forts et faibles de cet objet elle le voyait d’un bien meilleur œil, d’ailleurs elle pouvait même lui trouver une utilité pratique. L’adolescente se retourna vers ses compagnons et agita l’objet pour attirer leur attention. Une fois qu’elle fut sûre de l’avoir capté elle prit la parole avec sérieux :

- Je pense qu’on devrait tous se regarder. Pas longtemps bien sûr pour éviter d’être aveugle sur une trop longue durée. Il est évident qu’il y a des tensions dans ce groupe, et vérifier que nous n’avons rien à craindre des autres me semble un bon départ. Ma symbolisation dans le miroir n’est peut-être pas chaleureuse, mais en tout cas elle n’a rien de menaçante. Je vous laisse vérifier.

[hrp : comme décris dans un de mes précédents messages, Dakota est une sorte de sculpture de glace, très jolie et avec un trou à la place du cœur. Quant à Selene c'est une sorte de nymphe des bois fragile et chaleureuse ^^]

Dakota avait raison. Elle avait même entièrement raison : l'adolescente n’avait pas à porter le fardeau de ce que son père avait laissé derrière lui. Pourtant, tout cela s’était ancré en elle, aussi sûrement que le lierre s’imposait sur un arbre, et elle ne savait pas vraiment si elle parviendrait à oublier un jour. Les dernières images qu’elle avait eu de ses parents étaient celles d’une dispute, une dispute inachevée d’ailleurs, car elle n’avait jamais vu la conclusion de la scène. Dans son esprit d’enfant, Mr et Mme Nymphadora n’avaient jamais cessé cette querelle ; et peut-être que maintenant, si elle retournait sur les lieux, son père serait encore là à rouer sa mère de coups.

L’arrivé de James et Sydney fut salvatrice. Ses pensées noires s’évaporèrent et Selene se retourna à temps pour assister à la transformation du psychotique en son meilleur ami imaginaire. C’était toujours si surprenant, mais d’un coté, que pensaient les autres en la voyant se changer en épouvantail ?

Dakota leur expliqua les faits en utilisant la supposition de la toquée, ce qui lui fit timidement plaisir. Que la surdouée prenne l’une de ses idées comme étant la plus plausible voulait au moins dire qu’elle n’était pas absolument idiote. La rouquine sourit un peu toute seule, regardant Sydney au hasard de ses yeux noisette, et répondit amicalement à la pression stressée de la main de la blondinette. D’ailleurs, celle-ci retrouva finalement la vue et mit fin à la proximité qui la retenait proche de la galloise.

L’adolescente n’était pas certaine d’avoir envie d’expérimenté la cécité visuelle, mais elle commençait à connaitre assez la phobophobe pour supposer que sa suggestion préfèrerait ne pas avoir à souffrir de refus. Elle était tellement fatiguée qu’elle aurait bien voulu demander à ce que les expériences soient remises au lendemain, mais avec un hochement de tête résigné, elle s’approcha la première pour s’emparer de l’objet magique. Les doigts de sa main gauche jouaient nerveusement sur l’épouvantail gravé sous son pouce, empêchant le saignement de s’arrêter complètement. Au moins, sentir les contours de son ami la rassurait un petit peu.

Au premier regard au travers le miroir d’argent, Selene pu vérifier ce que Dakota avait dit. C’était la vérité, elle était magnifique, mais l’emplacement du cœur manquant était inquiétant : s’ils apparaissaient tels qu’ils étaient en réalité, alors cela voudrait-il dire qu’il n’y avait aucune chance de l’attendrir ? La surdouée s’était montrée gentille avec elle pourtant, pas très empathique certes, mais elle avait insisté pour qu’elle ne se suicide pas et l’avait écouté. Avant que le trouble découlant de ces observations ne soient visible, la rouquine fit une rotation jusqu’à Sydney. Il apparaissait comme un grand hérisson, dressé sur ses pattes arrières, la truffes humide et des yeux attendrissants brillants d’une lueur craintive : quelqu’un d’adorable, peureux, mais pas mauvais pour un sous. Un petit rire amusée s’échappa des lèvres rosées de la galloise.

Si James était passé sous la détection de l’objet magique, Selene y aurait vu le yaourt à la fraise avec lequel le paranoïaque avait déjà fait une comparaison. Néanmoins, avec Jules, elle aperçut une espèce de grand bouclier muni d’un visage à la mine patibulaire. On aurait dit un chien de garde pas très engageant, dont les dents luisaient à la lumière de l’éclairage. Cette fois-ci, elle ne rit pas et se contenta de rendre son cadeau à Dakota.

Aussitôt, les ombres s’étendirent sur elle. Ce fut si déstabilisant que la jeune fille faillit tomber, mais elle réussi à rester sur ses pieds, les bras servant machinalement à lui faire garder l’équilibrer. Au moins, son hypothèse avaient été juste, alors elle devrait recouvrir la vue dans peu de temps.

- Tu ressembles à un grand hérisson Sydney, c’est mignon, déclara-t-elle autant pour informer que pour essayer de penser à autre chose. Et toi Jules tu es… euh… une sorte de bouclier assez…

Quel mort utiliser ? « Inquiétant » n’était pas vraiment sympa, « protecteur » n’expliquait pas grand-chose, « pas content » faisait gamin, « renfrogné » n’était pas flatteur…

- Convaincant, choisit-elle finalement.

Au moins, sur ce tableau noir qui n’existait que dans ta tête, elle pouvait dessiner ses amis, des tas et des tas d’épouvantails qui s’animaient pour la soutenir. Le temps passerait beaucoup plus vite comme ça, et elle n’aurait pas peur.

James avait semblé hésiter également à tourner la poignée, mais y consentit finalement et Syd fut soulagé de constater que rien - apparemment - n'avait dégénéré. Il ne comprit pas tout de suite pourquoi l'adolescent s'arrêta si brusquement, empêchant le pirate de passer. Ce dernier jeta un œil par dessus l'épaule de son camarade. En effet, quelque chose de bizarre était arrivé. Dakota semblait dans le vague, tandis qu'une Selene angoissée tenait sa main fermement.

Les garçons n'eurent pas à attendre longtemps avant de comprendre ce qui s'était passé : elles avaient testé un autre objet et voilà : ça avait capoté. Qu'elles ne se plaignent pas qu'on ne les avait pas prévenues !! Même si un puéril "bien fait !" ne serait pas approprié à la situation, le fond serait resté le même si c'était Dakota qui les avait trouvés dans un pareil état. Un miroir qui rend aveugle... Et c'est censé être rassurant..? Enfin bon... Il avait promis à James d'essayer de faire confiance aux autres et même s'il n'était pas très enchanté à cette idée, il tiendrait promesse.

D'ailleurs, en parlant de James, il semblait changé... Moins physiquement que mentalement... Il n'était plus le même que tout à l'heure sur le banc et Sydney mit quelques secondes pour reconnaitre l'ours !!
Il s'agissait de la même... Personne..? Non... Du même état d'esprit. C'était peut-être un autre des pouvoirs de l'adolescent, après tout. Il était ok pour faire confiance à James, mais si c'était une sorte de schizophrène, ça changeait un peu la donne, à priori...
- James, euh... Tu vas bien..? Qu'est-ce qui s'est passé ?

Sa question ne trouva pas de réponses immédiate sinon la très sage décision de tester à nouveau cet objet maudit qui rend aveugle. Youpi !! En effet, c'était très sage comme décision...
Y en avait d'autres, des blagues du genre..? Apparemment oui puisque ça semblait très sérieux. Le côté masochiste n'étant pas très développé chez le pirate, il céda volontiers sa place à Selene qui se fit une joie de se rendre handicapée.

Cette dernière avait lâché un petit rire en regardant le paranoïaque. Ça voulait dire quoi, ça ? Elle se moquait ? Ou c'était un piège ?? Oui !! C'était évident : elles forceraient Sydney à regarder dans le miroir et lorsque celui-ci serait aveugle, elles l'abandonneraient. C'était finement joué ! Et si ça se trouve, James était dans le coup et avait fait semblant de... Nan, là ça collait plus.

Selene fit un compte-rendu de ce qu'elle avait vu. *Je suis un quoi..? Un hérisson... Mignon ??* En fin de compte... Cette observation était trop étonnante pour émerger de l'imaginaire de la rouquine. Cet objet devait vraiment analyser l'âme des gens. Par quel moyen, comment, dans quel but ???
Puis vint le tour de Jules qui- *Holà, attends attends... JULES ?* Le pirate avait beau tourner la tête, il ne voyait jules nulle part. On pouvait donc voir l'invisible à travers cet objet ?

Comme par miracle, ledit objet atterrit dans les mains tremblantes du pirate. Il avait eu la mauvaise idée de passer devant James... Diantre !
Il n'avait plus le choix, il devait essayer l'objet. Le bon côté était que pendant un cours instant, il pourrait voir où est Jules et ça le rassura un peu. Portant l'objet au niveau de son visage, il fixa son regard dessus puis l'objet s'activa. Dans une vague, le miroir laissa place à "l'autre côté" comme si le côté réfléchissant avait disparu.

Il pouvait voir. Selene ressemblait à une sorte de fée des bois, au teint pale et aux traits fins ; rien à voir avec les Unseelies, elle dégageait une aura apaisante. Elle était comme une petite fleur fragile. A côté, un gros glaçon. Ah non : c'était Dakota, qui ressemblait à une statue de glace au corps fin et au visage parfait. Il y avait cependant un creux au milieu de son corps, là où devait se trouver le cœur. Intéressant...

Brandissant l'objet insolite à travers toute la pièce, il cherchait Jules. Enfin plutôt, il devait trouver un "bouclier convainquant". Il laissa échapper un cri de surprise lorsqu'il pointa le miroir sur James. Mais alors si Jules est un bouclier... Et que James est un bouclier... Alors James c'est Jules ?? La théorie semblait exacte puisque aucune autre forme de vie ne semblait présente dans la pièce.
Baissant le miroir, sa vue se voila, le laissant seul dans les ténèbres.

Toujours tourné dans la direction du garçon, il ne pouvait plus le voir mais toujours lui parler.
- Alors... C'est toi, Jules ? Je n'avais pas compris ça comme ça. Tendant une main dans le vide, il ajouta Je suis Syd, ravi de te connaitre. Je suis content d'avoir pu te voir en autre chose qu'un ours.
Méfiance tout de même ! Il n'avait plus les griffes, mais il mordait peut-être !!

Une fois les présentations finies, il tendit le miroir à Jules pour qu'il se rende aveugle à son tour.
- Vous... Vous m'abandonnerez pas ? Hein ?? Demanda-t-il au petit groupe. Il avait besoin de se rassurer et si ce qu'il avait vu dans le miroir était vrai alors il aurait la réponse qu'il attendait.

Sydney sembla se rappeler d'où est ce qu'il avait vu Jules mais ce dernier ne prit pas la peine de lui répondre. De toute façon ce n'était pas James ici présent et de plus Dakota venait de prendre la parole pour leur expliquer.
Aveugle ? Rien que ça ? A croire que tous les objets étaient nocifs pour la santé...c'était peut être des cadeaux mais ils étaient tous empoissonnés. Même la poule si ça se trouve était maléfique. Cet animal qui suivait James comme un mouton était à surveiller. Le fait que Sélène ai une belle image il en avait rien à faire, il avait bien du leur faire un minimum confiance sans utiliser ce miroir pour les laisser s'approcher de son créateur.
Cependant Jules haussa un sourcil lorsque la blondinette proposa de voir à leur tour le fond des autres. Elle plaisantait ? Comme si il était assez débile pour consentir à devenir aveugle pendant quelques minutes. Fallait pas pousser mémé dans les orties, si les deux autres étaient assez con pour s’exécuter c’était leur problème. Et en effet ils étaient assez bête...la rouquine commença à ouvrir le bal passant la glace devant chacun d'eux puis faillit tomber soudainement. Voilà bien fait !
Elle était quand même fière d'avoir écouter la plus jeune et raconta ce qu'elle avait vue. Sydney était un hérisson, pourtant il piquait pas des masses...et lui c'était un bouclier "convaincant". Mais vu le temps qu'elle avait mit pour cet adjectif ça devait être plus que ça.

- Génial...

Ce fut au tour du pirate de regarder, et il dut voir la même chose, encore une preuve de leur débilité. Et ce sentiment qu'avait le jeune homme ne s'enleva pas quand l'utilisateur après avoir fini aveugle aussi tendit sa main à Jules pour le saluer. Un peu de sociabilité nan ? Au moins ça vexerait pas Sydney. Jules lui serra donc brièvement la main d'une bonne poigne.

- Ravi aussi mais ça ira pour le miroir

Heureux d'avoir apprit tout ça sur ses compagnons et puis personne ne devait être horrible sinon Sydney aurait décampé direct. Du coup maintenant Jules et Dakota était les seuls voyants du groupe, la question était que faire à présent ? C'était bien cool d'être revenu, d'avoir fait joujou et tout cela mais il y avait des choses plus intéressante à faire sans doute.

- Vous voulez encore tester des objets ou bien vous en avez fini pour ce soir ?

Le miroir passait de main en main, chacun s’étonnant de ce qu’il découvrait à travers sa surface polie. Si Dakota était restée impassible tout du long elle ne put s’empêcher de hausser un sourcil lorsque Sydney s’exclama que James était Jules. Bien sûr, le visage changeait lors du changement de personnalité pour devenir celui de l’autre, pas besoin d’être physionomiste ou devin pour le voir. Quelques remarques mesquines menaçaient de s’échapper de ses lèvres pincées mais elle se retint pour ne pas compromettre la confiance relative du pirate à leur égard. Sa demande de ne pas l’abandonner en disait assez long à ce sujet.

- Pourquoi est-ce qu’on ferait ça ? Plus on est de voyageurs, plus on a de moyens de se défendre. Te laisser sur le bord du chemin serait contre-productif.

La phobophobe haussa les épaules comme si c’était évident avant de récupérer le miroir dont Jules n’avait pas voulu. Il était peut-être plus méfiant et alerte que James mais il gardait ce côté naïf passablement terrifiant quand on y pensait. Il fallait vraiment être stupide ou sûr de soi pour se passer d’une occasion de se rassurer sur les intentions des autres à notre égard. Et la seconde option découlait de la première dans un endroit comme Dreamland.

Il ne fallut que quelques secondes pour que Selene et Sydney recouvrent la vue, temps que Dakota mit à profit pour une petite expérience. Elle regarda tour à tour le paranoïaque que Jules à travers le miroir tout en comptant les secondes dans sa tête. Une fois fait elle baissa l’objet magique pour se retrouver une nouvelle fois dans le noir mais cette fois ci la panique ne s’infiltra pas dans son cœur. La peur était le fruit de l’inconnu. Elle reprit son décompte soigneusement et lorsqu’elle récupéra la vue elle lâcha sur le ton purement scientifique qu’elle employait souvent :

- 8 secondes de vision pour 16 de cécité. C’est bien doublé… je retiens.

Elle rangea son bien dans la poche de sa robe sextusienne avant d’enfin répondre à la seconde personnalité de son seul ami. Si ça n’avait tenu qu’à elle les expérimentations auraient continué mais la fatigue se lisait déjà sur le visage de ses camarades. Cernes violacées, traits tirés, yeux rouges, teint pâle. C’était déjà le matin et aucun d’entre eux n’avait fermé l’œil et c’était le moment ou jamais de le faire avant qu’on ne les prie de quitter les lieux.

- C’est déjà l’aube, allez dormir. Une aussi belle occasion ne se présentera probablement pas de sitôt.

Pour sa part elle réintégra le fauteuil qu’elle avait quitté à l’arrivée des garçons, tournant et retournant son portemonnaie étrange dans ses mains fines. Insomniaque depuis toute petite elle savait bien qu’elle ne pourrait trouver le sommeil maintenant, et rien ne l’empêchait de tester un nouvel objet seule pendant qu’ils reposeraient dans les bras de Morphée. Restait juste à régler le petit problème de l’angoisse dû à un nouvel essai potentiellement dangereux pour elle.

** Et si tu avais peur d’avoir peur que les choses dérapent encore ?**

Et si tu la fermais deux secondes ? Mais la conscience qui la torturait depuis des années ne lui laisseraient pas de repos, jamais. Comme un bruit de fond désagréable, la voix de la peur ne se taisait pas, déversant en continue un flot de potentielles raisons d’angoisses jusqu’à vous ôter la faim, le sommeil et l’envie de vivre. Dak’ se pinça l’arête du nez pour tenter d’enrayer la migraine qui s’insinuait sournoisement dans son encéphale alors que son autre main ne lâchait pas sa dernière possession mystérieuse.

Comment faisaient les enfants habituellement pour se décider ? La gamine eut un moment de flottement avant de basculer sa tête en arrière pour demander à l’un de ses compagnons qui aurait la bonté de lui répondre :

- Dis-moi un chiffre entre 1 et 10.

Si elle n’arrivait pas à se décider, le hasard le ferait pour elle. Et ça restait plus digne que le vulgaire « plouf plouf » qui lui était venu à l’esprit…

Au tour de Sydney d’utiliser le miroir. L’adolescente le devina plus qu’elle ne le vit et attendait dans le noir complet que son sens lui revienne. Visiblement, le paranoïaque venait de comprendre que James et Jules étaient deux personnes différentes, mais elle s’abstint de faire un commentaire. D’ailleurs, l’alter égo du psychotique refusa de tester l’objet magique de Dakota qui le récupéra pour faire une autre de ses expériences hasardeuses. Selene avait déjà recouvert la vue lorsque la benjamine de la bande affirma que le temps de la cécité équivalent au double de celui de l’utilisation. La rouquine hocha la tête en signe de compréhension et bailla sans pouvoir se retenir.

Jules vint sans le savoir à son secours en demandant s’ils pouvaient s’en aller, et la phobophobe leur permit officiellement d’aller trouver un repos bien mérité. Timidement, la jeune fille retourna s’enfermer dans la salle de bain, histoire de laver ses mains tâchées de sang, de s’assurer que ses vêtements ne comportaient plus de marques de la guerre alimentaire et pour effacer l’épouvantail en rouge-à-lèvres de sa cuisse. Après le désordre qu’ils avaient mis dans le salon, autant éviter de tâcher les draps. Elle aurait bien aimé être capable de faire apparaitre de nulle part une brosse à dents, et si son souhait ne fut pas exhaussé tel quel, un pouvoir qu’elle ne connaissait pas s’activa.

Un cadeau soigneusement emballé fit son apparition, flottant à quelques centimètres de sa poitrine. La toquée le prit dans ses mains par crainte qu’il ne tombe par terre et fut surprise par le poids de sa trouvaille. Effectivement, les nains du père Noël leur avait parlé d’une récompense pour leur travail dans les terres gelées, mais elle n’aurait pas imaginé recevoir un présent en retard. Selene déchira le papier cadeau, qui finit dans une poubelle, et découvrit qu’il s’agissait d’un manuel des castors juniors. Bon, elle ne pourrait pas se brosser les dents avec, mais ça gardait une certaine utilité. Son livre sous le bras, elle se rinça la bouche plusieurs fois, massa ses tempes qui devenaient douloureuses et sortit.

Alors qu’elle récupérait ses affaires, la blondinette lui demanda de lui donner un chiffre entre 1 et 10. Prise au dépourvu, la galloise répondit « huit » tout en glissant toutes ses acquisitions dans son sac à dos. Avec le manuel fraichement acquis, il devenait assez lourd, mais ça restait encore supportable pour ses épaules d’adolescente. Après avoir souhaité d’une petite voix de bien dormir à la phobophobe, elle se réfugia dans le dortoir commun. Un instant, un petit instant, elle eut peur de dormir dans la même pièce que Sydney et Jules. Et s’ils étaient comme Liam et Jonh ? S’ils tentaient de profiter d’elle pendant son sommeil ?

Les souvenirs de l’apparence des deux hommes dans le miroir en argent ne parvenaient même pas à la rassurer complètement. L’angoisse s’imposait, maladie tenace qui appelait son rituel. Une fois installée sur son lit avec son sac, Selene en tira discrètement son coupe-papier et grava un épouvantail dans le bois de son sommier. Une fois qu’il eut apparut, elle se sentit mieux, apaisée, et son pouvoir s’étendit pour frapper ses compagnons masculins. Ceci fait, elle rangea son objet magique, se glissa sous ses draps et ferma les yeux pour s’endormir presque immédiatement.

Comme toujours à Dreamland, c’est un sommeil sans rêve qui la porta jusqu’à ce qu’elle ait l’obligation de ce lever ; un sommeil trop court aussi, car quand elle rouvrit les paupières, son corps tout entier réclamait à se reposer encore une ou deux heures en plus.

Le membre 'Selene Nymphadora' a effectué l'action suivante : Lancer de dés

'Joyeux noël' :

La cécité n'avait pas duré longtemps, mais dans l'intervalle, il avait tout de même eu sa réponse. Certes un peu sèche puisque venant de Dakota, mais au moins il était un peu rassuré de savoir qu'il ne finirait pas seul, ou mort, ou seul et mort...
Sa main rencontra celle de Jules, bien que la poignée de main fut évasive. En effet, on était loin d'avoir affaire à James...

Lorsqu'il recouvra la vue, Dakota réitérait l'expérience de la cécité. Un délire masochiste, surement..? Ce groupe était-il... Fiable..? Si se jeter dans des pièges était leur jeu, alors Sydney était bien tenté de s'abstenir. Il chassa ces idées de sa tête. Il avait promis de ne pas douter d'eux, même s'il se promit de continuer à le faire jusqu'à avoir une preuve indubitable de leur sincérité.

Le temps qu'ils passaient dans le noir suite à l'utilisation du miroir était donc deux fois supérieure à la durée pendant laquelle ils regardaient au travers. Bon à savoir. Encore meilleur à savoir : c'était l'aube et ils n'auraient bientôt plus le temps de dormir, youpi..!
Syd plissa les yeux. Il suspectait les jeunes de l'avoir fait exprès pour qu'il soit fatigué. Et cette idée ne le quitta pas tant qu'il restât éveillé.

Le sommeil n'avait pas été difficile à trouver... Le dortoir commun était plongé dans le noir et il failli se cogner le pied contre un pied de lit. Heureusement qu'il réussit à garder l'équilibre car il serait tombé sur une Selene endormie depuis quelques minutes. Elle semblait pourtant dormir à poings fermés. La journée d'hier avait été exténuante, c'est vrai...

Il s'éloigna le plus discrètement possible du lit pour ne pas réveiller l'adolescente, puis alla trouver un lit non loin de là sur lequel il s'allongea sans même prendre la peine d'ôter sa verste, ses bottes ou son bandana - et il n'était d'ailleurs pas question d'enlever ce dernier !!
La nuit lui sembla courte... Bien courte... Trop courte. Il était réveillé mais impossible d'ouvrir les yeux ni de bouger. Il était trop fatigué. Et puis il avait froid. Il tira un bout de couverture sur son épaule tout en se recroquevillant. Avec un peu de chance les autres ne seraient pas encore debout et il pourrait dormir encore.

Manque de bol, il entendait bouger derrière lui. Il parait cependant pour un simple changement de position en milieu de sommeil. Son côté paranoïaque se réveilla bien plus vite que lui *Mais BOUGE-TOI !! Y a un bruit derrière toi !!!|*
Il n'en fallut pas plus au pirate pour qu'il se retourne brusquement. Ses yeux encore embrumés ne voulaient pas s'ouvrir en même temps ni même entièrement et ne distinguant aucun autre mouvement suspect dans la pénombre, il se rallongea mais en faisant face aux autres lits, cette fois-ci. Il avait eu la bonne initiative de choisir un lit calé dans un coin de pièce ; il n'y avait derrière lui qu'un mur et aux dernières nouvelles, un mur ça n'était pas dangereux. Quoique...

Allez dormir, ça c'était une bonne idée. Mine de rien la journée avait été crevante avec la mini guerre contre les fées. Finalement il n'y avait aucun lieu tranquille dans ce pays. Dakota qui avait proposé elle même d'aller rejoindre leur lit ne semblait pas exécuter ses paroles. Tant pis pour elle si elle aurait des cernes de deux kilomètres sous les yeux et qu'elle se triturait l'esprit pour rien. Lui, il était crevé mais avant il se versa un peu d'eau du pichet dans un verre pour boire. Jules rejoignit ensuite le dortoir et prit le premier lit qu'il voyait devant avant de s'allonger dessus prêt à déjà s'endormir. Même si son intervention était récente l'état de fatigue de James était aussi présent que si lui même le ressentait.
Sélène ne tarda pas à pénétrer dans la pièce, un air soucieux peint sur le visage, du moins elle avait pas l'air happy. Il l'entendit faire du bruit et intrigué l'a regarda dessiner à l'aide de son coupe papier sur le sommier. Comment dégrader le matériel gentiment prêter...Entre temps Sydney les avaient rejoints et tout comme Jules il fut prit dans le pouvoir de la rouquine. Jules se sentait apaisé, étrangement à la minute même où cette fille avait fait son dessin...
Jules haussa les épaules et se rallongea pour fermer les yeux, s'endormir le plus tôt possible serait le mieux.

Le matin arriva très vite, trop vite même et Jules ouvrit avec difficulté ses paupières lorsque l'heure sonna. Il aurait bien envie de dormir encore un peu tiens...Un bâillement trahit sa fatigue et c'est le corps complètent réduit en coton qu'il posa les pieds sur le sol pour s'étirer. Une bonne petite douche froide et un bon petit déjeuner devrait aller pour tenir un minimum. C'est ce qu'il pensa lorsque ses yeux marrons rencontrèrent ceux de Sélène avant de retrouver leur couleur émeraude d'origine. Un sourire étira les lèvres de James qui lança gaiement :

- Salut !

Huit hein ? Un nombre pair… la surdouée qui s’était mis en tête de tenter le diable dans ce cas de figure lâcha un juron étouffé avant de reporter ses yeux sur son portemonnaie. Elle avait voulu remettre ça entre les mains du destin et maintenant il fallait qu’elle assume. Elle attendit juste patiemment que tous les autres filent dormir, et c’est lorsqu’elle entendit enfin les premiers ronflements qu’elle décida enfin de sortir de son immobilité de statue. C’est la main légèrement tremblante qu’elle ouvrit la fermeture éclair qui fermait l’objet et y plongea les doigts pour en sortir cinq pièces de un dollar.

Juste… de simples pièces. L’examen aurait pu s’arrêter là si un étrange écran ne s’était pas dessiné sur le tissu du portemonnaie. Il y était affiché un texte en petits caractères que Dakota décrypta en plissant les yeux. Le mode d’emploi, car c’était ce qu’indiquait le gros titre, disait :

Citation :

Mode d’emploi
Pour déclencher la fonction radar du mouchard, le possesseur doit en faire la demande. Apparaitra alors sur l’escarcelle un plan de la zone avec indiqué par des voyants rouges la position des pièces. Toutefois attention ! Le dispositif ne fonctionne que dans un rayon de 50 km alors veillez à ne pas trop vous éloigner de votre cible. Notre entreprise ne pourra être tenue responsable de la perte d’un mouchard. Ne fonctionne que si vous tenez le portemonnaie en main.

S’ensuivait les coordonnées d’un service technique en cas de disfonctionnement du matériel que Dak’ ne fit que survoler. Bon… il fallait lui parler pour qu’il fonctionne alors ? Elle le fit donc sans l’ombre d’une crainte, sachant désormais qu’elle ne risquait rien. A peine eut-elle formulé sa demande à mi-voix qu’une sorte de plan du salon où clignotaient très proches 5 petits points rouges apparu à la place du mode d’emploi. Pour l’heure un fort zoom était appliqué autour des capteurs, elle se mit donc en tête de se lever pour chercher un endroit où en cacher un pour effectuer ses tests.

Rien ne semblait convenir puis…

- Viens là… cot cot… allez gentille fille…

Simone lui jeta un regard stupide typique d’un gallinacée caquetant avec un pointe de méfiance alors que la gamine s’approchait doucement, à moitié courbée et les mains en avant. L’instinct animal de la poule la poussa à s’enfuir dans une pluie de plume lorsqu’elle vit fondre vers elle cette humaine pâle aux yeux glacés, mais loin d’être arrêtée par un échec Dakota recommença encore et encore jusqu’à avoir enfin la bestiole calée sous le bras. Ca avait pris plusieurs minutes et avait fait un bruit d’enfer mais les autres étaient si exténués que pas un n’avait bronché, elle put donc sortir sans mal de la pièce en refermant la porte dans son dos.

Une fois dehors elle posa Simone au sol, lui intimant de s’enfuir dans les couloirs après avoir caché une pièce dans son collier. Si les mots ne suffirent pas, un bon coup de pied au cul fut le stimulus idéal pour faire courir la bête dans une suite de caquètements outrés. Loin d’en ressentir de la honte la phobophobe se risqua à sourire. Après tout, elle faisait ça pour la science.

Le portemonnaie réintégra sa main et elle put constater avec joie que le point en mouvement se matérialisait bien à l’écran. Elle attendit qu’il se soit assez éloigné pour se mettre en tête de le retrouver, les yeux rivés sur le plan qui s’adaptait magiquement à sa position et à celle de sa cible. C’était comme jouer à pacman, mais en mieux… pensée qui tira un rire bref à la donzelle qui trouvait d’un coup la soirée bien plus amusante.

Enfin un outil utile ! Et non risqué ! Le genre de gadget à qui elle trouverait sans mal une utilité, à commencer par en confier un à chacun de ses compagnons. Perdre Selene avec l’avantage tactique qu’elle représentait aurait été plus que contrariant, voir filer Syd’ au risque de le voir les poignarder dans le dos l’était tout autant. Semer James le seul ami qu’elle avait jamais eu était peut-être le pire… et il lui resterait toujours deux mouchards pour les coups durs.

Il lui fallut un certain temps pour récupérer la poule et la ramener dans leur suite, au point de ne plus lui laisser que deux heures à dormir mais ce n’était pas grave. Après tout elle avait l’habitude.

Lorsqu’elle rouvrit les yeux, Le ménage avait été magiquement fait dans le salon comme si rien de la veille ne s’était passé. Un petit déjeuner les attendait même sagement à la place du diner qu’ils avaient honteusement gaspillé. La magie… probablement la seule chose de Dreamland qu’elle regretterait vraiment.

La rouquine fit l’effort d’ouvrir les yeux. Les bruits de l’extérieur perçaient jusqu’à leur chambre, témoin de l’agitation quotidienne de Gloutoniskaïa qui battait déjà son plein. Avec la lenteur d’une jeune fille encore fourbue de sommeil, elle se redressa et s’étira tout en grattant l’arrière de son crâne dont la chevelure ébouriffée lui donnait des airs de lion. D’un geste naturel, elle replaça une bretelle de son soutien-gorge qui avait glissé de son épaule en apparaissant sous la manche de son tee-shirt. Les yeux plissés, ce ne fut qu’en croisant le regard de James qu’elle se souvint de l’endroit où elle se trouvait. Les Unseelies, la mairie, les objets magiques, le conflit, la cécité, tout le revenait comme un disque dur auquel on rend ses données. Elle sourit amicalement au psychotique en lui faisant un signe de la main :

- Salut !

Son ventre gargouilla assez fort pour être entendu. Gênée, elle fit mine d’être subitement captivée par la poignée de la porte et proposa :

- Tu… tu viens ? J’ai faim… il reste peut-être quelque chose à coté.

Elle ne croyait pas si bien dire. Pendant que les voyageurs profitaient de quelques heures de sommeil, la suite avait été entièrement nettoyée et un petit déjeuner avait remplacé le diner à peine entamé de la veille. C’était si irréel que la rouquine fut tentée de se demander si leur querelle avait bien eu lieu, mais un coup d’œil à sa bague argentée dont les pierres noires luisaient mystérieusement à la lumière suffit à lui rappeler ce qu’elle renfermait.

Chocolat, café, thé, chicoré, et d’autres sortes de boissons chaude ou froide que la galloise ne connaissait pas cohabitaient avec des viennoiseries et pâtisseries de toutes les formes et de toutes les tailles. Peu aventureuse après ce qu’ils avaient vécu la veille, elle opta pour une tasse de chocolat chaud et ce qui ressemblait le plus à une chocolatine. Selene attendit que James se soit servit pour finalement prendre place sur une chaise proche de leur table garnie. Elle voulut boire une gorgée de son breuvage, y allant prudemment en s’attendant à l’inévitable malédiction du chocolat brûlant, mais il était exactement à la bonne température.

- C’est vraiment super ici, commenta-t-elle, j’aimerais presque Dreamland !

A peine avait-elle formulé cette phrase qu’un flot de mauvais souvenirs cascada dans l’enceinte de son crâne. Il était préférable de changer de sujet ; elle mordit dans sa viennoiserie pour gagner du temps et se redonner un peu de courage, puis avala avec une mimique timide adorable. L’adolescente avait envie de connaitre un peu plus son compagnon de voyage. C’était si étrange de faire équipe avec des gens dont elle ne savait que le prénom et les pouvoirs, trop pour que cette situation s’éternise. Ils en avaient l’occasion là, alors autant aborder une conversation plus banale, qui leur rappellerait qu’avant d’être des voyageurs, ils étaient des humains d’à peu près le même âge.

- Au fait, tu habites dans quel coin de San Francisco ? Moi c’est à Sunset District, plutôt au nord, pas très loin du Golden Gate Park ; mais avec mes amies, on sort souvent vers Ocean Beach.

Parler au présent l'aider à oublier comme ses habitudes avaient été chamboulées, comme si de l'autre coté des murs magiques de la mairie se retrouvaient tout ce qu'elle connaissait. Si ça se trouve, ils s’étaient déjà croisés dans le monde réel sans même s’en rendre compte. Peut-être même qu’ils allaient dans le même lycée ?! Après tout, une petite coïncidence amusante ne serait pas de trop dans sa vie un peu sombre ces derniers temps, elle s’offrait le droit de rêver.

- D’ailleurs, tu as quel âge ? finit Selene avant de boire une autre gorgée de son chocolat.

Le fait de s'être rendormi donnait à Syd l'impression d'avoir dormi deux fois. Étrange... Cependant ce furent deux sommeils où à chaque fois les rêves avait été absents. Ils étaient dans le monde des rêves... Et on ne pouvait même pas y rêver. Mouais... Peu crédible, comme histoire... A vérifier.

Passant péniblement de la position allongée à la position assise, il décida de laisser le temps à ses yeux de s'ouvrir et à son cerveau de se reconnecter, ce qui n'était pas chose aisée. Une migraine donnait le tempo de la journée, activée par les pulsations du cœur du pirate qui sortait presque d'hibernation. Ce Dom... Dom... Dom.... Dom... sourds typique du corps fatigué à qui on en demande trop et trop rapidement.

Comme un fêtard pourrait le faire à la suite d'une cuite sévère, Sydney essaya de reconstituer la soirée d'hier. En s'apercevant qu'elle avait été longue. Très longue. Ses yeux passaient d'un lit à l'autre en observant à chaque fois que leur occupant était déjà levé. Seul un des quatre lits n'avait pas été défait. Quelqu'un avait dû préférer un des canapés du salon à un lit douillet. 'Son problème.

Il se maudissait de ne pas avoir retiré sa veste ou autre avant de s'endormir car il était gelé. Le remède contre un corps transi ? Un bon café ! D'ailleurs diverses odeurs de café, de pâtisserie et de croissants flottaient dans l'air, l'invitaient à rejoindre les lève-tôt dans la salle d'à côté. Le paranoïaque tenta le mode bipède : réussi. Il revivait l'évolution de l'homme. De larve, il était passé à singe, à homme courbé pour enfin retrouver une allure un peu plus "vivante". Il avait toujours de l'homme des cavernes la barbe qui avait poussé entre temps. Boh, c'était encore viable. Tant qu'il ne faisait pas peur aux gens, c'est que ça allait !

Il se déplaçait avec la paresse d'un zombie décharné, de quoi faire pâlir quelques personnes de l'autre côté de Dreamland. Sa main rencontra - plus avec chance qu'autre chose - la poignée de la porte qui séparait le dortoir du salon. Lorsqu'il ouvrit la porte, il fut rassuré de voir que ses compagnons de voyage étaient bien là. Et magie : le ménage avait été fait.
Diantre COMMENT avait-on pu faire le ménage dans cette porcherie sans réveiller personne !!? C'était vraiment, vraiment bizarre et Sydney ne manqua pas de faire une inspection des lieux. Plus aucune tâche, plus aucune trace, ni même le moindre fruit éclaté contre le mur n'avait résisté à ces fées du logis. Inquiétant !!

Assis près du buffet, Selene et James... Ou Jules..? semblaient en pleine discussion, tandis que Dakota était affalée sur un des canapés. Ah tiens, la poule aussi était là. Bizarre... C'est comme si cet animal le fuyait... Pas net, le bestiau...
Le pirate s'approcha de la table où avaient été dressée une nouvelle nappe, ainsi que plusieurs plats, cafetières, pots à sucres, etc...
Il attrapa une tasse en adressant un semblant de "bonjour" aux deux bavards, ce qui se traduit plutôt par un -Bjour....
Se raclant la gorge le plus discrètement possible pour ne pas réveiller Dakota qui semblait dormir encore, il versa un peu de café dans sa tasse, prit un croissant et alla s'installer à l'autre bout de la pièce pour profiter de son petit déjeuner. Il avait vraiment la tête dans le brouillard et comme chaque matin il aimait déjeuner seul, en silence, avec ses illusions de petits poissons qui tournaient autour de lui. C'était son plaisir du matin : s'imaginer dans un bocal insonorisé peuplé de petits êtres marins.

Il avait choisi un fauteuil près duquel se trouvait une table basse. Posant son café et son croissant, il se frotta les yeux avant de bailler au corneille. Il profita ainsi de son matin autiste en buvant par petites gorgées son café, allant rechercher quelques pâtisseries lorsqu'il n'avait plus rien pour s'occuper la mâchoire ; et bien entendu, en ne parlant à personne et ne répondant strictement à aucune question. Le matin chez Sydney est muet...
Les années d'isolement sur lui-même ne l'avaient pas doté d'une grande sociabilité et les petites habitudes étaient les plus difficiles à changer.

Apparemment Sélène avait faim vu le boucan que venait de faire son ventre. James se retint de rire et c'est avec joie qu'il accepta la proposition d'aller prendre le petit déjeuner. Lui aussi avait bien envie de manger. Les deux adolescents rejoignirent donc la deuxième pièce et sous leur yeux stupéfié ils virent que la salle était toute propre, plus aucune trace de la lutte n'était présente. Si ça c'était pas de la magie...et encore mieux un gigantesque buffet comme hier soir prenait place sur une table. Il y avait vraiment de tout et pour James qui venait de la pauvreté toute cette bonne nourriture faisait briller ses yeux et réveillait son ventre. L'adolescent ne se pria donc pas pour prendre de tout afin de goûter, étant donné que c'était sans doute le dernière occasion qui se présentait à lui. N'aimant pas le café il se versa un verre de lait chaud saupoudré de chocolat avant d'aller rejoindre Sélène, une assiette bien rempli dans une main et sa tasse de l'autre qu'il posa sur la table devant lui.
Apparemment sa nouvelle amie partageait son avis que c'était vraiment génial mais presque immédiatement qu'elle venait de prononcer ses paroles elle sembla triste.

- Oui c'est super toute cette nourriture !

Enfin le voile de tristesse de la,rouquine devait être dû à sa fatigue car elle semblait quand même contente et même voulu faire plus ample connaissance avec James. Elle dévoila le quartier où elle résidait et ce qu'elle faisait avec ses amis. Lui, il n'habitait pas vraiment dans un super quartier sa mère n'ayant pas les moyens de louer un appartement ailleurs. Par contre James avait été à la plage avec son petit copain.

- J'habite dans le quartier de Tenderloin, c'est pas vraiment la même chose que Sunset District...Mais j'ai déjà été à Ocean Beach avec un ami et c'était cool !

Il lui fit un sourire et commença à manger un croissant. C'était vraiment délicieux ! Un peu plus et on aurait cru que cet endroit était le paradis. Mais non c'était juste Dreamland.

- J'ai 16 ans et toi ?

Répondit-il à la question que Sélène venait de lui poser sur son âge. Elle ne semblait pas plus vieille que lui.
Sydney fit enfin son apparition et on aurait dit limite un zombie tellement il semblait mort de fatigue. Son bonjour ne fut même pas audible et il alla s'installer sans dire un mot de plus. pas très bavard le matin le pirate.

[hrp : j'avais dit dormir dans la chambre... du coup j'ai fait une pirouette de rattrapage pour que tu n’ai pas à éditer mais fais gaffe quand même ! =p]

Dakota bien qu’éveillée restait allongée sur le canapé, les paupières closes. Elle écoutait l’oreille aux aguets les badinages de Selene et James, sentant vibrer jusque dans son corps les vibrations provoquées par le pas lourd d’un Sydney en plein phase de réveil… et elle pensait. La fatigue plombait toujours son corps mon son esprit ne connaissait pas le repos et tournait déjà à plein régime. Sujet principal de ses réflexions ? La suite du programme pardi.

Dans une heure tout au plus on viendrait les prier de libérer les lieux et ils seraient de nouveaux des sans-abris nomades, sans avenir et sans but précis. Vouloir retrouver ce qui leur manquait pour se débarrasser de leurs pouvoirs était bien beau, mais ils ne savaient même pas ce que c’était. Elle se sentait entière pourtant, autant mentalement que physiquement, alors qu’est-ce qu’elle avait semé ici dans son départ précipité au juste ? Les méninges de la surdouée travaillaient dur alors qu’elle se remémorait chaque instant depuis son éveil dans le cabinet de Parkinson, leur trajet en limousine qui s’était clos par une soirée chez elle et un rapide retour à Dreamland. Puis le parc de Gloutoniskaia, l’arbre creux et les fées, la fantastique bataille dont ils n’étaient pas sortis indemne et la nuit apocalyptique qui avait suivie. Rien, rien ne semblait clocher sauf… non. C’était impossible. Elle devait mal se souvenir.

C’était juste un petit détail insignifiant, vraiment ridicule, mais une fois qu’on mettait le doigt dessus on ne voyait plus que ça. Les yeux bleus de Dakota s’ouvrirent grand sur le plafond désormais indemne de toutes traces de lancer de nourriture et la gamine bascula en position assise. Avec une pointe d’appréhension et de curiosité scientifique elle regarda à ses pieds, puis du côté de Selene et de James. Elle termina son tour par un regard bref vers Sydney qui confirma sa théorie.

- Nous n’avons plus d’ombre. Sydney en a une, mais pas nous.

Dans le monde de Dakota, les bonjours étaient superflus. Elle ajouta ensuite à l’adresse du pirate, totalement hors du sujet qu’elle venait d’aborder :

- Tu ronfles, c’est atroce. J’ai dû dormir sur le canapé à cause de ça.

Ses yeux glacés revinrent sur ses mains qui ne projetaient aucune ombre sur ses genoux où ils étaient sagement disposés. Pas la moindre trace de pénombre. Une moue boudeuse déforma ses lèvres fines alors qu’elle se tournait cette fois ci vers la rouquine qui, apparemment, aimait beaucoup les histoires enfantines d’après le discours qu’elle lui avait tenu la veille.

- On est censé faire quoi dans ce cas de figure. On se croirait dans Peter Pan… toi qui aime les récits tu devrais connaitre la solution non ? Non ? Non. De toute façon c’est totalement absurde. On ne peut pas perdre une ombre, ce n’est que la zone d’obscurité formée par l'interception de la lumière par un corps… Comment perdre quelque chose qui n’a pas d’existence concrète ?

La phobophobe laissa échapper un soupir d’agacement avant de se mettre debout avec brusquerie. Elle n’avait pas faim, elle n’avait jamais faim, mais elle sentait que son corps réclamait sa pitance. Son cerveau quémandait sa dose de sucre pour fonctionner en lui envoyant par colis express une migraine carabinée. D’ailleurs concernant le buffet qu’on leur avait offert elle avait déjà quelques projets pour l’avenir. Après avoir pioché sans réelle envie dans une corbeille à viennoiseries, Dak’ se mit en tête de faire des provisions.

Elle se saisit tout d’abord d’un des cousins du canapé, retira consciencieusement le rembourrage qu’elle fourra sans aucune gêne sous un meuble à l’abri des regards, puis entreprit de remplir la poche ainsi confectionnée de tous les mets les moins périssables qui se présentaient à elle. Pots de confiture, semblant de biscotte, fruits secs ou confits… tout ce qui avait une chance de résister quelques temps y passa. La surdouée se fichait bien de ce que les autres pensaient de son manège alors qu’elle cachait le tout sous sa longue robe grâce à un cordon qui servait jusqu’alors à attacher des rideaux.

Ce n’était pas très confortable mais ça suffirait jusqu’à leur départ de la mairie. D’ailleurs quelqu’un ne tapait-il pas déjà à la porte ?

L’entrée de Sydney aurait pu passer inaperçue : solitaire et silencieux, voilà comme était le pirate ce matin. Le bonjour déjà inaudible de ce dernier fut couvert par le bruit de la tasse de Selene qui retrouvait la table alors que son interlocuteur lui répondait. Certes, Tenderloin n’avait pas une très bonne réputation, mais le psychotique semblait être la preuve qu’un quartier n’est pas forcément représentatif de tous ses habitants… et vice-et-versa. Sunset District n’était pas toujours si bien d’ailleurs, mais la toquée se garda de faire cette réflexion qui aurait pu la faire passer pour la bourge un peu hautaine qu’elle n’était pas du tout.

- J’ai 15 ans, répondit-elle, j’suis en 9th Grade maintenant, et d’ailleurs, les matières scientifiques commencent à être trop dures pour moi ! C’est vraiment horrible.

Un petit rire ponctua son aveu. Ses pommettes avaient rosies sous l’effet du bien-être, parler de choses aussi banales, ça faisait vraiment du bien. Elle termina son pain au chocolat et se servit naturellement un croissant qu’elle trempa dans son lait. Un mouvement de tête renvoya en arrière sa crinière rousse décoiffée et elle continua d’interroger son ami :

- Tu t’en sors bien toi ? T’es en quelle classe ?

L’adolescent eut tout juste le temps de lui répondre que la phobophobe brisait déjà leur bulle de réalité. La galloise, qui avait déjà presque oublié qu’elle n’était pas à San Francisco mais à Gloutoniskaïa, reçut la gifle suffisante à lui rappeler que sa vie était bouleversée désormais, et qu’elle ne serait plus jamais la même. D’abord, la remarque de Dakota suscita juste un élan d’amertume qui lui mit les larmes aux yeux. Il fut aisé de vérifier, ils n’avaient pas d’ombres c’était vrai, et ça n’annonçait sans doute rien de bien.

Bien entendu, la similarité avec Peter Pan bondit dans sa tête comme une évidence déraisonnable, et son amie se tourna vers elle pour lui demander un peu brusquement si elle avait une solution. Selene ouvrit la bouche, mais la referma aussitôt. Elle s’était sentie un peu attaquée en vérité, comme si le fait qu’elle se soit passionnée pour l’imaginaire ait été condamnable, voire même qu’elle était responsable de cet incident. Comment pourrait-elle connaitre la solution d’ailleurs ? Elle n’avait même pas encore vu que son ombre avait disparu.

Le manège de Dakota marqua définitivement la fin de leur répit. Elle finit sa tasse et avec un soupir triste, la rouquine se leva pour retourner dans la chambre afin de récupérer son sac à dos. Elle en profita pour arranger ses cheveux comme elle le pouvait, puis se dirigea rapidement vers la salle de bain pour se débarbouiller à l’eau froide. Le poids de leurs mésaventures recommençaient à peser sur ses épaules après cette nuit surnaturelle, et une nausée s’installait au creux de son ventre. Un coup d’œil dans le miroir lui apprit qu’elle était pâle et cernée. Au moins, elle avait réussi à retirer les tâches de ses vêtements neufs de la veille.

En sortant, elle mit ses rangers et vit Dakota cacher ses provisions sous sa robe. Pour le coup, elle savait que si elle voulait éviter de recevoir une critique acerbe de la blondinette le moment venu, elle devrait peut-être l’imiter, mais la force lui manquait. Au lieu de ça, son cerveau créait des connexions entre le fait que Sydney ait toujours son ombre et pas eux.

- Lui, c’est son premier voyage, proposa soudainement la toquée en désignant le paranoïaque d’un signe de tête. Nous, on est revenus après avoir été rejetés de Dreamland sans raisons. C’est peut-être… j’sais pas… lié.

Elle se mordit légèrement l’intérieur de la lèvre inférieur, inquiète.

- En tout cas, dans Peter Pan, quand il perd son ombre, il doit retourner la chercher là où il l’a perdu.

Selene n’était pas sûre de croire que cette hypothèse s'appliquait à leur cas. Elle ne « voulait » pas y croire, car cela impliquerait très certainement de retourner dans les terres gelées. Gloutoniskaïa était tellement bien, c’était difficile d’accepter de reprendre la route. D’un autre coté, ils n’étaient pas revenus faire les touristes, elle avait promis à Dakota de savoir se montrer efficace pendant ce come back généreusement financé par sa fortune.

Des coups à la porte, assez forts, la firent sursauter en la tirant de ses pensées. Vu l’insistance, le visiteur devait déjà tenter de se faire entendre depuis un moment. On venait sans doute leur annoncer la fin de l’hospitalité du maire.

L'aquarium du paranoïaque était l'un des remparts les plus puissants qu'il possédait contre le "monde extérieur" et pratiquement rien ne pouvait l'en faire sortir de force. Pas de bol pour les autres, il se trouvait que le pirate était de mauvaise humeur. La fatigue, surement... Il fixait son regard sur ses pâtisseries, finissant son café d'un trait. Il voulait trouver une cause à cette ambiance pseudo chaleureuse. C'était vraiment louche : comment pouvait-on bavarder de choses aussi banales après les aventures de la veille !?

Il fut énervé de voir que Dakota ne dormait pas : elle avait feint le sommeil !! La fourbe ! Elle l'avait obligé à faire le moins de bruit possible et même s'il aurait agi de même sans Dakota, ça le mettait hors de lui de se sentir ainsi manipulé. Son silence n'était plus pleinement voulu : il avait maintenant une cause fourbe. FOURBE !!
Et la seule chose constructive de la matinée se résuma à remarquer que lui avait toujours son ombre. Il n'avait aucune idée de comment réagir : était-ce une bonne ou une mauvaise chose ? Il se contenta d'adresser un regard noir au trio en mâchant d'un air maussade sa dernière pâtisserie. Naturellement il ne dit rien.

J't'en fouttrais, du ronflement... C'est vrai, quoi... S'il ronflait, il aurait fallu lui dire, il aurait eu une raison de s'énerver parce qu'on l'a réveillé ! Là il n'avait aucune raison et ça l'énervait de s'énerver sans raisons.
Décidément la journée commençait fort... A peine les remarques de Dakota furent enregistrées par le cerveau ralenti du pirate que c'était au tour de Selene de le prendre à parti. *"Lui" il a un prénom...*
Il se leva finalement pour aller rechercher un croissant. Vu comme c'était parti, il avait le temps.

FAUX !! On toquait à la porte. *Mais ma parole, ils se sont mis d'accord pour m'emmerder ou quoi !?* Une vraie conspiration !
Dans un raclement de gorge, il adressa son bonjour officiel à la petite troupe : - Ben allez ouvrir, c'est peut-être le livreur d'ombres ; il est quelle heure..?
En tout cas, il ne fallait pas compter sur lui pour aller ouvrir. Qui sait ce qui attendait de bondir sur eux derrière cette porte ? La matinée était vraiment trop mauvaise pour être chanceuse.

Dakota semblait trop occupée à dévaliser le buffet, James et Selene se portaient donc volontaire par défauts pour aller ouvrir la porte (dans une logique purement Sydéenne).
Il avait un de ces mal de têtes... Ça n'était parti qu'en apparence et maintenant qu'il était debout, ça le relançait.
Personne ne semblait bouger pour le moment ; ils devaient sûrement porter le deuil de leur weekend confortable qui selon Syd n'avait jamais franchement existé mis à part la douche ; du moins jusqu'à ce que le souvenir des shampooings volants se rappellent à lui.

- Pfff... C'est bon, j'y vais... S'armant du spray anti-moustique trouvé la veille, il s'approchait doucement de la porte, puis posa sa main gauche sur la poignée de la porte, l'index de la main droite crispée sur la tête du spray, prêt à faire feu. Les yeux ! Il fallait viser les yeux !!
Il ouvrit la porte d'un coup, imposant instinctivement le spray entre son visage et celui de son interlocuteur qui paraissait très surpris d'un tel accueil.
Il s'attendait certainement à trouver des proies faciles, eh bien c'était raté ! Il y avait des vagues dans l'aquarium et il fallait payer pour ça ! Méfie-toi de l'eau qui dort, moussaillon !!

- Euh... Eh bien bonjour... J'espère que vous avez passé une bonne nuit. Vous, vous avez l'air d'avoir passé une nuit atroce ! J'ai le remède parfait contre les mauvaises humeurs ! déclara le mage avec un ton jovial. D'un coup de baguette qu'il sortit de nulle-part, il fit apparaitre au cou du pirate un joli collier de fleurs Hawaïennes.
- Super... grogna Syd d'une voix monotone avant de refermer la porte.

Diantre ! Le mage était tenace : à l'aide d'un sortilège, il empêchait la porte de se refermer complètement et se glissa à moitié à travers entrebâillement pour adresser un dernier message aux occupants des lieux :
- Héhé ! Je sais que cette suite donne envie de rester... Mais il est l'heure de sortir du lit ! D'ailleurs, je crois que monsieur le maire voulait vous voir. Ne vous ennuyez pas à remettre en ordre, vous aurez sûrement remarqué que cela se fait... Comme par magie !! Dans sa dernière phrase, il s'éclipsa, refermant la porte derrière lui.

Il était donc temps de s'en aller... De toute façon s'ils ne se pressaient pas à sortir, on enverrait quelqu'un d'autre toquer à la porte. Syd prépara ses affaires et baillant une dernière fois, il fit savoir à ses compagnons qu'il était prêt à lever le camp.