Le prix du sang [Troisième épreuve]

Ace se réveilla finalement, bien qu'il ne fut pas capable d'ouvrir les yeux de suite. Il bailla, s'étira et finalement, après s'être frotté les yeux, les ouvrit pour découvrir que les deux filles étaient déjà debout et avaient profité de leur temps libre pour prendre une douche.
Il tâta son palais avec sa langue pour profiter de son halène de renard crevé. Bon... On ferait pas de longs discours avant d'avoir avalé quelque chose...

- Bonjour. Bien dormi ? J'vais aller prendre une douche aussi, histoire d'me réveiller. Il se leva péniblement et *AAAAAAAAH !!! Crampe !! CRAMPE !!!! COURBATUUUUURES !!!!* se dirigea tant bien que mal vers la salle de bain, armé d’un mal de tête épouvantable dû à la chaleur que le feu d’hier avait dégagé.
- Bon, je t’accompagne pas, t’es grand !
- Ouais, t’inquiète marmonna-t-il en refermant la porte derrière lui. Il passa sa main dans ses cheveux. Ça sentait la cendre. Un bref coup d’œil à ses vêtements tandis qu’il les enlevait lui permit de faire l’inventaire des nouveaux trous et marques de brûlures que ceux-ci avaient récemment acquis.

Il entra dans la douche et fit la grimace lorsque l’eau entra en contact avec sa main gauche. Ça aussi il avait oublié. Il se savonna rapidement et sortit après une dizaine de minutes. L’eau était presque froide mais faisait un bien fou. Et ça avait l’avantage de tonifier…
Il se sécha avec la dernière serviette à disposition en prenant soin de toucher le moins possible son membre gauche ainsi que son pied dont les doigts avaient pris une drôle de forme… D’ailleurs quand vint l’heure de remettre ses chaussures ce fut un véritable enfer. Il fit un tour du côté du lavabo – dont la couleur était désormais rose sang – malheur ! Pas de brosse à dents… Espérons qu’il y ait un petit déj’ de prévu…

Il sortit finalement de la salle de bain après un rapide coup de peigne dans les cheveux. A peine eut-il ouvert la porte que le calendrier de la veille réapparut pour lui donner ses nouveaux cadeaux. Il ne savait vraiment plus comment réagir… S’énerver ? Le remercier ? En rire ? Y avait vraiment des trucs bizarres à Dreamland… Puis il eut un déclic.
- Pourquoi on a ces choses ? Vous croyez qu’c’est déjà noël dans le vrai monde ?? Et si la réalité défilait plus rapidement qu’dans les rêves ?? Pff… J’comprends rien…
Il fixa tour à tour Elie et Mel toutes les deux enveloppées dans leurs serviettes. Sans doute avaient-elles des réponses, après tout elles étaient à Dreamland depuis… Plus longtemps que lui, en tout cas.

Il se rendit compte qu’il avait loupé un passage de discussion car ses yeux avaient… Glissés. Lorsqu’il récupéra ses esprit, ses yeux ne regardaient plus les visages des filles mais… Bon. Il releva les yeux et fit comme si personne n’avait rien vu. Normal, like a boss. Une seule personne semblait avoir remarqué plus particulièrement : Feufolé. Ah ça, ça ne trainerait pas ; il allait ouvrir sa grande bouche et gueuler ça sur tous les toits avec un peu de chance… Il se contenta d’un clin d’œil furtif qui énerva Ace au plus haut point. Comment osait-il !? Cet espèce de petit… Truc !!

Feufolé avait de la chance de ne pas posséder de cou. Car Ace se serait fait un plaisir de le lui tordre. Cependant il avait cette même sensation depuis hier, cette sensation qu’il était pressé, oppressé, même. Très probablement les gardiens qui les sommaient d’une manière bien à eux de revenir à la tour pour subir leur quatrième torture. Il n’avait pas très envie d’y aller tout de suite… Il n’avait pas envie d’y aller du tout en fait.
- Vous voulez faire quelque chose de précis aujourd’hui ? S’promener un peu, glandouiller… Aller prendre un p’tit déjeuner, peut-être ? *Mon dieu je pense qu’à bouffer depuis tout à l’heure… * Parce que si on r’tourne directement à la tour j’ai l’impression qu’on va morfler.

Oui, en définitive il aurait bien aimé prendre un jour de congé. Visiter ce trou paumer sans risquer de mourir, acheter un briquet, trouver un autre bidon d’essence (c’était marrant, tout de même… ‘Faut l’avouer !), faire chier les gens… S’enfuir de l’île à la nage…
En attendant que les filles prennent une décision ou du moins finissent de s’essuyer – il avait remarqué les cheveux encore trempés de Melena ; sortir comme ça c’était attraper la crève à coup sûr ! – il alla s’adosser contre le mur de la chambre. Le craquement du bois était inquiétant et le pyromane n’osa plus bouger pendant quelques instants de peur que la chambre s’écroule. On était bien loin de la maison des Ridley, c’était certain… Mais il avait appris à se passer du luxe, trainant d’habitude dans des quartiers bien moins clean que celui où il habitait.
Cependant même s’il n’aimait l’argent que pour son côté utile, il n’aimait pas se retrouver non plus du côté du pauvre.

Il… non. Elle avait dû rêver. Il lui avait pourtant semblé que les yeux d’Ace c’étaient momentanément égarés mais son état physique déplorable jouait tant et si bien avec sa capacité d’attention qu’elle avait pu tout aussi bien se tromper. D’ailleurs c’était évident que c’était impossible. Ses yeux azur se déportèrent l’espace d’un instant vers la poitrine désespérément plate de Melena avant de penser avec conviction **im-po-ssi-ble… y’a rien à mater**. Puis vers la sienne plus volumineuse et d’ajouter moins convaincue **mouais, mais non**.

Elie tenta de focaliser de nouveau ses pensées sur les questions d’Ace mais avait un mal fou à se concentrer. Son épaule lui donnait l’impression de brûler encore d’un feu vif à cause des frottements dû à sa douche intensive quant à son doigt il lui hurlait stupidement qu’il était encore là, avec élancements psychosomatiques à l’appui. Au moins sa clavicule lui fichait la paix tant qu’elle ne remuait pas…

- La réalité va bien plus doucement en fait, mais le temps n’est pas fixe… c’est un peu dur à expliquer. Et puis tu sais, on a connu deux noël et Halloween en l'espace de un mois alors...

La psychotique se gratta le crâne l’air pensive mais le regretta aussitôt quand son os brisé lui rappela sans douceur son existence. A noter : ne pas se gratter la tête. Ne pas lever le bras tout court plutôt. Elle prit une grande inspiration pour ne pas beugler une flopée de juron et repris un peu plus pâle que précédemment :

- Je veux pas y retourner non plus, mais on a pas vraiment le choix. Et puis je me vois mal me balader dans ces conditions, par contre je veux bien manger. J’ai vraiment, mais vraiment la dalle !

Un regard équivoque accompagna ses paroles alors qu’une église proche sonnait 10 heures. Avaient-ils dormis aussi longtemps que ça ? Les gardiens et Fisher devaient se demandaient ce qu’ils fichaient mais… c’était la tour de la paresse non ? Ils n’allaient pas courir pour leurs beaux yeux avec comme seule récompense de nouveaux sévices corporels.

Enfin, avant toutes choses il fallait s’habiller, ce qui ne serait pas une mince à faire. Une paire de mains en plus n’aurait pas été de refus mais ce n’était pas le genre de chose qu’on demandait au premier venu, surtout à des gens qu’on ne connaissait que depuis quelques jours. Mais ça c’était pour les gens possédant un minimum de pudeur et de savoir vivre, et surtout qui connaissaient le mot « honte ». Elle attrapa l’une des extrémité de sa serviette de sa main valide et mima de la défaire comme si de rien n’était.

- Un volontaire pour m’aider à enfiler mon pantalon ? s’exclama soudainement Elie avec un sourire mutin.

Silence.

- Non mais j’déconne hein, faites pas cette tête. Un peu d’humour vous ferait pas de mal…

L’adolescente leur tira la langue avant de pénétrer de nouveau dans la salle de bain où ses vêtements séchaient péniblement. Un vieux radiateur datant de mathusalem avait accéléré un peu le processus mais ce n’était pas encore ça, malgré tout elle ne pouvait pas se permettre de sortir les fesses à l’air. Non pas que ça la gêne, mais elle imaginait déjà son double s’offusquer, voir lui mettre une gifle comme la fois ou elle s’était collé à Maxim en sous-vêtements pour la taquiner. Quelle prude celle-là ! De toutes façons tout le monde avait la même chose, c’était vraiment n’importe quoi de s’arrêter à ce genre de détails.

Commença alors la dure entreprise d’enfiler ses fringues encore légèrement humides sans pleurer à chaque mouvement brusque. Elie ne put souffler que lorsqu’elle eut fini de boutonner son jean qu’elle appelait désormais dans sa caboche « instrument de torture ». Alors qu’elle ajustait l’ourlet du vêtement trop long pour elle, son regard tomba sur un bout de papier qui dépassait de derrière le lavabo. Elle tira dessus du bout des pieds pour découvrir une affiche jaunie où un homme grimé en père noël buvait une bouteille de… coca cola ? Le capitalisme était vraiment partout.

Elle poussa la publicité vieillotte comme elle le méritait – ce n’était qu’un déchet après tout – et ressortit de la salle de bain toujours aussi pitoyable mais propre et vêtue. Son estomac gargouilla alors bruyamment pour lui rappeler que lui aussi avait besoin qu’on s’occupe de lui.

- On va manger ?

Durant toute l’absence d’Ace, Melena était restée silencieuse. Elle se serait bien rallonger si elle n’avait pas craint la douleur de ses os brisés. Assise sur le lit, elle était restée pensive, son cerveau s’évadait de Freedoom, l’entrainant quelques instants vers des contrées que son corps douloureux ne pourrait pas rejoindre. Parfois, l’adolescente observait distraitement feufolé ; ses flammes violettes étaient sources d’égarement, et elle ne redescendit sur terre que lorsque le pyromane sortit à son tour de la salle de bain, propre mais toujours blessé. Dire qu’elle l’avait tant détesté au début… désormais, la vue de ses doigts tordues et de sa main brûlée lui faisait mal au cœur.

Focalisée sur ces séquelles, l’irlandaise n’avait pas remarqué le glissement oculaire de son ainé. De toute manière, jamais elle n’aurait jamais songé qu’il puisse ne serait-ce qu’avoir des vues sur elle ; d’une part parce que ce n’était pas le contexte idéal pour y réfléchir, d’autre part parce qu’Elie était mieux. Si le calendrier de l’avent d’Ace apparut une nouvelle fois pour le charger de présents, la nécrophobe pria silencieusement que le siens lui fiche la paix, si c’était pour recevoir tout ce barda. S’encombrer était bien la dernière chose qu’elle avait envie de faire dans son état. D’ailleurs, sa langue fut trop longue à s’activer lorsque le pyromane demanda si le temps s’écoulait plus vite dans le monde réel, et la mauvaise jumelle prit la parole.

C’est vrai que c’était à n’y rien comprendre, mais Melena avait appris, depuis le temps, à ne plus se poser de question sur les évènements dreamlandiens. Il s’y passait tellement de choses hors norme de toute façon que ce serait un casse-tête à devenir cinglée… ou plus qu’elle ne l’était déjà. Ne pas retourner à la tour ? Elle ne voulait pas non plus… mais comme la précéda Elie, ce n’était pas comme s’ils avaient le choix.

- On a pas d’autres solutions…, renchérit-elle, il nous faudrait de toute façon… presque deux mois pour guérir complètement. Il y a toujours les attaques de la nuit et je n’ai pas mon argent sur moi pour me payer de quoi vivre aussi longtemps, les gardiens ont tout ce que j’ai. Plus vite on aura fini les épreuves, plus vite on sera partis…

Car si elle était terrifiée à l’idée d’aller à l’encontre de son quatrième périple, elle l’était encore plus de rester indéfiniment sur cette île-prison. Fuir n’apportait rien dans ce cas, ils devaient se battre, comme ils l’avaient fait avec Avok. L’irlandaise savait que pour augmenter leurs chances de réussir, elle allait devoir utiliser ses pouvoirs pour se régénérer et prendre le poids du groupe sur ses épaules frêles. Cette idée la dégoutait déjà au point de lui couper l’appétit, mais Elie avait déjà accepté et lâcha une plaisanterie avant d’aller s’habiller.

En vérité, Melena avait été tellement focalisée sur les horreurs qu’elle allait devoir accomplir qu’elle n’avait pas suivi, mais elle hocha la tête sur un ton absent tandis que la jeune fille s’éloignait. Le silence que la psychotique laissa derrière elle entre la brunette et le pyromane était lourd, et la nécrophobe sentit qu’elle devait dire quelque chose ; pour motiver son partenaire, le rassurer sur le pays des rêves, ou parce qu’elle en avait envie. L’un comme l’autre, ça ne lui ressemblait pas vraiment.

- Tu sais… j’ai quand même vu des endroits cools à Dreamland… un seul en fait, mais je suppose qu’il y en a d’autres. Et…

Ses yeux gris clair étaient perdus dans le vague, évitant soigneusement de regarder Ace. Elle sentit glisser sa serviette, machinalement, elle la remonta pour éviter que sa poitrine ne se révèle d’elle-même, et poursuivit :

- J’espère qu’on aura l’occasion d’en voir quelques uns ensemble. Avec Elie aussi j’veux dire , s’empressa-t-elle d’ajouter en se tournant enfin vers son ainé.

Ses prunelles pâles témoignaient malgré elles de la fragilité qui régnait en toile de fond de l’habituel mauvais caractère de l’irlandaise, mais signifiait aussi « on est d’accord, hein ?! J’t’invite pas à sortir là. » Une partie de sa tête dut lui souffler « pas encore », mais Melena ne l’entendit pas. Il était encore trop tôt pour penser avoir craquer, trop tôt pour oublier ses sentiments pour Jade. La mauvaise jumelle la libéra de tout éventuel embarras et elle se faufila dans la salle de bain à son tour.

Évidemment, ses sous-vêtements n’étaient pas complètement secs, mais qu’importe. Dévoiler son corps marqués par ses blessures devant la glace lui tira une nouvelle grimace, mais ça n’était encore rien comparé à l’épreuve de remettre sa combinaison. Heureusement qu’elle ne s’attachait pas dans le dos, c’était toujours cette peine d’éviter. En plus de sentir la fumée, la nécrophobe fit le compte de plusieurs déchirures qui avaient endommagé la fibre isolante. Malgré tout, elle avait désormais beaucoup moins froid.

Elle sortit de la salle de bain, mit son bonnet argentée sur sa tête, prit en main ses autres cadeaux, et adressa un sourire aux autres en disant :

- On peut y aller !

Son teint décoloré trahissait son enthousiasme exagérément feinte, mais comment lui en vouloir ? Dans les escaliers qui menaient à l’étage inférieur, une affiche à moitié déchirée attira l’attention de l’adolescente. On ne voyait plus qu’une moitié de corps au ventre rebondi coincé dans un manteau rouge qui buvait du coca, mais le slogan était encore lisible : « Coca cola, la boisson qui rend chaque jour moins triste ! ».

- Tu parles…, grommela Melena.

Combien de temps s’était réellement écoulé depuis qu’il s’était shooté ? Peut-être ne rêvait-il que depuis quelques heures, ou bien quelques minutes… L’idée d’une telle distorsion lui donna le vertige. Il préféra cependant ne plus y penser. Ce genre de questions n’avait aucun but autre que se torturer l’esprit. Les costumes, c’était Halloween. Le pyromane frissonna en repensant à son habit de princesse et des âneries qu’il avait fait avec. Ça, c’était un truc qu’il garderait secret toute sa vie. C’était quand ? C’était hier… Au début de la troisième épreuve : 31 octobre ; à la fin de cette même épreuve : 1 décembre. Donc demain ça serait pâques..? Mais quel bordel..

Ace ne trouvait déjà pas grand-chose à répliquer à ce qu’il venait d’entendre, mais lorsqu’Elie demanda si quelqu’un voulait bien l’aider à remettre… Son pantalon… Il aurait volontiers écarquillé les yeux s’il ne courait pas le risque de passer pour un obsédé. C’était peut-être une blague, mais il fallait aussi un certain culot pour la faire, celle-là. Ça méritait le respect. Il ne put réprimer un sourire discret. Elle avait raison, rire un peu leur ferait du bien, mais la perspective d’affronter quelque chose de pire qu’Avok n’aidait pas énormément.

Le blanc qui résulta de l’absence de la mauvaise jumelle devenait presque gênant. Il ne trouvait rien à dire, ne savait pas s’il devait faire ou dire quoi que ce soit ; il baissa donc ses yeux sur sa main gauche et essaya de bouger ses doigts. La brûlure était récente et chaque mouvement était un calvaire mais il avait l’habitude des brûlures. Celle-ci était d’ailleurs en tout point similaire à celle de son enfance. Il répéta alors ce qu’il avait fait depuis ce soir-là : il glissa sa main dans sa poche, et tenta d’oublier la douleur.

Melena rompit enfin le silence et comme elle ne finissait pas sa phrase, le pyromane leva les yeux vers elle. Le regard dans le vague, elle lâcha le dernier morceau de phrase avec une certaine gêne qui se sentait dans sa voix. "Avec Elie" s’empressa-t-elle d’ajouter, ce qui fit sourire le pyromane.
Il n’eut pas le temps de répondre qu’elle s’éclipsa dans la salle de bain. Il attendit patiemment qu’elle ressorte. Il acquiesça et se mit en marche lorsqu’Elie proposa d’aller manger, suivant les filles dans les escaliers.

Feufolé, incapable de persévérer dans son mutisme un instant de plus, prit la parole de gré ou de force lorsque la nécrophobe remarqua la pub Coca-Cola.
- Ca me rappelle le slogan de 2001 : « la vie a bon goût ». Vous croyez que Freedoom a déjà été agréable à vivre un jour ? Parce que là, la seule chose qu’on en tire sinon l’amertume c’est le dégoût ou bien non… Y a pas de saveurs du tout, en fait. Peut-être celui du sang à la rigueur ? il s’approcha de l’affiche, l’éclairant de sa flamme violette. Il remarqua alors le slogan version Freedoom. Ah ouais… Je vois l’genre. C’est le père noël sur l’affiche ? On peut le croiser à Dremland ? Après tout il fait partie des rêves, lui aussi. En un certain sens.
- Ouais, super ! Allons rencontrer le père noël, youpi !
Le ton sarcastique de Ace mit fin encore une fois à l’éloquence sans borne de l’esprit violet.

- Tu sais, Feu’. J’t’aime bien, mais parfois… Parfois. J’ai compris l’idée. Mais je sais que tu peux pas te passer de moi. Et puis j’ai la classe, quoi ! Mais tu pouvais pas ressembler à autre-chose qu’un pokémon !? Ben… C’est sympa, le violet ! C’est plein de symbolique et puis c’est moins agressif que du rouge et puis eh ! J’aurais pu être rose ! Le violet c’est-… Pfff laisse tomber.

Le pyromane arrivait devant le comptoir. L’aubergiste était déjà debout et semblait toujours aussi rassuré de voir les deux jeunes filles dans leur sale état ainsi que l’esprit de feu bavard. En s’adressant au jeune homme, il jetait des regards suspicieux vers la boule de feu.
- ‘Vous faut quoi ?
- Vous avez de quoi déjeuner ?
- ‘Vais voir ce que j’ai, je reviens.

Ace choisit une table, la moins miteuse de toutes, et invita les filles à s’asseoir.

Descendre les escaliers fut un calvaire et l’idée de se laisser tomber sur la première chaise venue une bénédiction. Feufolé qui avait retrouvé sa langue s’était auto-proclamé bruit de fond et babillait sans fin si bien que plus personne ne l’écoutait vraiment. L’exclamation faussement enthousiaste d’Ace réveilla un peu l’attention défaillante d’Elie qui rétorqua avec un sourire en coin :

- Déjà fait, t’es en retard…

Le duo comique continua néanmoins de se lancer des piques jusqu’à ce que Melena, Ace et El’ soient installés à une table un peu moins miteuse que les autres dans un coin de la pièce, juste devant une fenêtre masquée par d’épaisses planches qui ne laissaient passer que des raies de lumière. La psychotique s’installa avec précaution pour ne pas brusquer ses os brisés avant de laisser reposer son menton dans sa main, l’air pensive. Depuis combien de temps n’avait-elle pas mangé ? A vrai dire elle ne se souvenait pas du tout de son dernier repas et en y réfléchissant bien elle n’avait rien avalé depuis son petit déjeuner dans le monde réel. Ça devait faire au moins 3 jours, et même si elle était morte dans l’intervalle ça lui paraissait démentiellement long.

Elle commença à compter sur ses doigts pour vérifier mais s’interrompit à la vue de son doigt tronqué. Mauvaise idée. L’adolescente reporta donc son attention sur ses compagnons et sur le tavernier qui s’affairait derrière le bar, possiblement à assaisonner leurs œufs brouillés de mort aux rats.

- J’ai trop la dalle… pourquoi j’atterris toujours dans des plans craignos où on nous nourris pas ? Je vais tellement maigrir que je vais disparaitre.

Comme pour l’appuyer son ventre émis un gargouillis sonore qui ne la fit même pas rougir. Elle poussa un soupir et reprit :

- Parce que franchement, et je suis sûre que Melena dira pas le contraire, la bouffe sur le SM était vraiment dégueu, El’ marqua une pause et ajouta à l’adresse d’Ace, Slavedog Millionnaire hein, pas Sado Maso. C’est le nom d’un bateau. Et puis dans le labyrinthe peau d’balle ! Non seulement ils étaient radins sur les fringues et nous avaient enfermé dans une sorte de… vous savez, comme dans le film cube ? Et bah non seulement on risquait notre peau à chaque salle mais en plus on avait pas un gramme à becter.

Ses narines palpitèrent alors qu’une odeur agréable provenant des cuisines flottait jusqu’à eux. C’était probablement rien d’extraordinaire, mais ça se mangeait et c’était suffisant pour que la mauvaise jumelle soit aux anges. Elle s’essuya la commissure des lèvres du revers de la main pour éviter de ressembler aux petits africains des affiches d’action contre la faim et se redressa légèrement. L’aubergiste était en train d’arranger des assiettes dans un vieux plateau branlant ainsi que trois verres blanc de calcaire et un pichet opaque. Elle le suivit des yeux sans ciller jusqu’à ce qu’il les ait rejoins pour déposer leur pitance avant de s’en aller sans un mot. Il ne les appréciait pas mais il les supportait sans broncher, et pour cette simple gentillesse il méritait leur respect.

Devant eux s’étalaient des œufs brouillés –vraiment ?- ainsi que du bacon dégoûtant de gras, des pancakes et ce qui ressemblait à du miel. La cruche quant à elle était pleine à ras bord d’un café bien noir qui menaçait de leur trouer l’estomac, mais cette vision tira un sourire en banane à l’adolescente qui se mit à se servir de tout copieusement non sans grimacer lorsqu’elle avait le malheur d’oublier qu’elle était blessée et ne pouvait pas se permettre tous les mouvements.

La première bouchée apaisa à peine le monstre qui hurlait dans son ventre mais les autres suivirent à un rythme délirant, arrosées régulièrement de café jusqu’à ce qu’Elie n’en puisse plus. Faire le plein pour une bonne semaine, c’était ça ou rien à Dreamland. On ne savait jamais quant aurait lieu le prochain repas décent.

- C’est bon je peux mourir… enfin façon de parler. Mais quitte à aborder ce sujet, vous le sentez comment ? La suite des épreuves j’veux dire. On sait même pas combien il y en a encore, et s’il s’agit encore de battre un monstre je pense que c’est perdu d’avance.

Un rire qui pouvait paraitre déplacé s’échappa de ses lèvres sans qu’elle n’y puisse rien. Après tout elle avait connu pire. Il y avait toujours pire.

- Mais bon, la nuit sanglante m’avait fait le même effet ! Vous avez pas connu ça vous… petits jeunes !

Sortir ça à Ace de 6 ans son ainé était plus que comique, et pourtant ! C’était bien lui le dernier arrivé qui ne connaissait toujours rien de ce monde en dehors des limites de cette île maudite…

Avec les babillages de Feufolé en musique d’ambiance, ils s’installèrent à l’une des tables un peu moins miséreuses que les autres, choisie par les soins d’Ace. Les épaisses planches de bois qui barricadaient la fenêtre laissaient passer des raies de lueur blanchâtre, froides, qui n’égayaiet en rien l’intérieur sinistre de la taverne. Melena avait faim – certes – mais elle avait aussi tellement mal qu’elle en avait la nausée, et n’était pas certaine de pouvoir ingurgiter quoique ce soit. Comme souvent ; à y réfléchir, elle ne mangeait pas beaucoup à Dreamland.

Tandis qu’Elie entamait un long discours sur sa vie, pour raconter comme elle n’avait jamais eu de chance avec la restauration locale, l’irlandaise acquiesça sans trop y penser d’un hochement de tête, son regard perdu sur le dos du tavernier occupé. Passé le Slavedog Millionnaire, où elle avait été affectée à la laverie, elle avait totalement perdu contact avec la mauvaise jumelle, et donc ne pouvait pas jurer de la suite de ses mésaventures. Néanmoins, elles étaient sans doute authentiques, lorsque l’on savait qu’elle-même avait été vendue au colisée de Sextus pour faire le ménage et finie jetée en pâture aux lions dans l’arène. Ceci dit, l’hygiène mis à part, les buffets du colisée – ou en tout cas, l’unique qu’elle avait vu – étaient plutôt bien fournis. Elle n’avait juste pas eu l’occasion d’en profiter.

Son amie se tut lorsqu’elle perçut l’odeur de la nourriture, et à la voir sagement se redresser pour en humer les fragrances, la nécrophobe se demanda s’il ne lui restait pas encore une part de loup garou, même quand elle était humaine. Ce n’était pas méchant, mais il fallait admettre que parfois, le comportement même d’Elie laissait penser à une louve protectrice. Un sourire faible dont Melena seule avait la réponse se dessina sur ses lèvres pâles ; c’est ce qui faisait tout son charme à la brunette aux cheveux brûlés et la rendait si différente de sa copie conforme.

- Merci, murmura l’adolescente lorsque l’aubergiste eut déposé son assiette devant elle.

C’était copieux, mais pas forcément ce qu’elle avait vu de plus appétissant. La douleur de ses os brisés lui donnait des vertiges, mais il fallait qu’elle se nourrisse un peu pour ne pas arriver aux épreuves complètement vidée. En ne s’aidant que d’une main, l’irlandaise ingurgita quelques bouchées de ses œufs, deux pancakes mais refusa de toucher au bacon gras dont la simple vue lui donnait envie de vomir. Alors que sa camarade avait tout engloutit d’un bon rythme, la nécrophobe avait à peine touché à son petit déjeuner quand elle posa sa fourchette. L’idée de ce qui allait suivre ne l’aidait pas : pas seulement la quatrième épreuve, mais aussi sa régénération et ce qu’elle lui couterait.

Un frisson lui donna la chair de poule et la déclaration d’Elie la fit sursauter. Bien sûr qu’elle ne l’avait pas fait exprès, mais la formulation de son amie la mettait mal à l’aise, et son cœur s’obstinait à battre la chamade. Combien il y avait d’épreuves ? C’était une bonne question, et Melena essayait de ne pas se dire qu’il y en aurait indéfiniment, jusqu’à ce que mort – véritable – s’en suive. Elle passa sur l’évocation de la nuit sanglante : non, elle ne l’avait pas connue, et à voir la façon dont la psychotique en parlait… elle ne le regrettait pas. Repensant à ce que Fisher leur avait dit dans la chambre du Grand Tavernier, l’irlandaise répondit d’une voix blanche :

- Il y aura des épreuves jusqu’à ce que les gardiens soient lassés de nous peut-être…

Et si c’était vrai, combien de temps cela prendrait-il ? 5 ? 8 ? 10 ? 15 épreuves ? Impossible de survivre à tant d’horreur, l’imagination sadique de Kay et Chayan ne pouvait pas être si vaste. Les défis s’arrêteront lorsqu’ils auront épuisés leurs idées… et puis voilà.

- Je pense que…, Melena déglutit difficilement tant la simple idée de le dire la révulsait, je vais devoir me soigner… pour les fractures, il me faut un… un cadavre vraiment pourri. C’est vraiment…

L’adolescente s’enfouit la tête dans sa main valide alors que son « dégoutant » lui restait en travers de la gorge. Ça n’était pas dégoutant, c’était pire que ça. ELLE était pire que ça ; elle était un monstre, plus qu’à moitié humaine.

- Mais on peut réussir, acheva-t-elle en émergeant, les gardiens n’ont pas réussis à nous séparer… alors si on travaille en groupe comme contre Avok… on pourra réussir.

Ce n’était pas dans ses habitudes d’être optimiste, mais la situation l’obligeait : elle avait trop peur de mourir pour admettre que ses issues se résumait à cette unique option. Et puis, ce n’était pas si irréaliste que ça… elle s’était bien vendue comme condamnée en voyant apparaitre le golem de chair, alors qu’ils l’avaient bel et bien terrassé. Néanmoins, cette fois-ci, ses camarades aussi étaient blessés, surtout Elie, et elle ne pouvait rien faire pour eux…

Ace ria sous cape d'entendre enfin une fille prétendre qu'elle est trop maigre et non trop grosse. Quelque part, ce genre de filles se faisaient rares aux Etats-Unis. Installé à table, Ace attendait patiemment le petit déjeuné, écoutant du mieux qu’il pouvait l’histoire d’Elie mais quelques facteurs rendaient la tâche difficile à savoir le cerveau pas tout à fait éveillé, le ventre vide et le manque de connaissances sur Dreamland. Il ne put s’empêcher de poser des questions, et Feufolé d’en poser d’autres.
- Mais euh… Si on m’expliquait déjà c’que vous faisiez sur ce bateau s’il était aussi pourri..? Et c’est quoi c’t’histoire de labyrinthe..? J’comprends rien ! finit-il par admettre en posant sa main sur son front comme si une quelconque réflexion pouvait lui apporter des connaissances qu’il n’avait pas.

Il n’avait pas vu le film ‘Cube’ et ne voyait donc toujours pas où la discussion les emmenait. Il dérivait donc, subissant ces informations incompréhensibles ; sans doute des témoins d’une grande connaissance du monde des rêves encore assez abstrait pour le pyromane. Puis elle se tut. Ace mit quelques instants à comprendre pourquoi, le temps que les odeurs de bacon, pancakes et autres lui parviennent. Au moins un langage qu’il comprenait : man-ger ! Deux syllabes, information enregistrée, dans la case besoin primaire… Bref : du facile à exécuter. Il ne se fit donc pas prier et commença à manger avec appétit ce qu’on lui proposait.

Comme à la maison ! Les mêmes emmerdes dès le matin. Essayez de couper des pancakes en n’utilisant qu’une main, vous m’en direz des nouvelles. Les œufs c’est moins chiant, mais le bacon constitue l’éternel rempart de l’impossible. Ainsi le pyromane n’en fit littéralement qu’une bouchée. Ce n’était certes pas très élégant mais à cela il avait une réponse courtoise et universelle : merde !
Le déjeuner se déroula sans un mot, Elie et Ace dévorant tout jusqu’à l’assiette si ç’avait été possible, et Mel qui n’avait pas touché à son assiette. Elle n’était pas dans la sienne apparemment. Ace était sur le point de lui demander ce qui n’allait pas mais il avait une pleine bouchée de pancake au miel en cours de mastication et Elie fut plus rapide à prendre la parole.

Comment ils le sentaient..? Bonne question. Ace, qui était sur le point de porter à sa bouche une nouvelle bouchée de pancake s’arrêta dans son élan. La perspective d’affronter un deuxième Avok- non… La perspective de devoir continuer les épreuves lui coupa l’appétit. Il regardait son assiette presque vide, se convainquant qu’il fallait au moins finir, mais Melena s’empressa d’abréger le petit déjeuner en parlant de cadavre pourri. L’image s’imposa d’elle-même dans l’esprit du jeune homme qui ne put retenir un rictus de dégoût. Aussi, s’empressa-t-il de le cacher ; Melena vivait déjà assez mal le voisinage des morts, pas la peine d’en rajouter. Surtout, ce qu’il ne fallait pas, c’était poser la quest-Pourquoi un cadavre ? Tu comptes en faire quoi ?

Facepalm. Le pokémon manquait cruellement de tact et Ace ne savait pas s’il voulait vraiment entendre la réponse. Peut-être quelques heures après le déjeuner, pourquoi pas, mais là, dans l’immédiat, ça n’était pas une bonne idée – du tout. Peut-être l’adolescente n’avait-elle pas entendu l’esprit de feu car elle ne répondit pas. *’Pas plus mal.*

- Désolé d’être rabat-joie mais s’y faut affronter un autre Avok c’est moi qui me jette à l’eau, cette fois. Certains verraient ça comme une blague mais dans le contexte ça n’en était pas une et le pyromane en était presque à penser ce qu’il disait. Il réalisa cependant qu’en disant ça, il ruinait les tentatives d’auto-persuasion mises en place par Melena. Aussi ajouta-t-il ce qui se voulait être un trait d’humour.
- Au moins comme ça on pourra s’enfuir d’ici un poil plus vite. Et avec un peu de chance ça refroidira tes ardeurs ! Hé hé hé ! Lol… T’en as d’autres, des comme ça ? Oh, ça doit pouvoir se trouver. Mais et toi, sourire de temps en temps ça t’écorcherait la tronche ? Ben écoutes tu fais l’épreuve à notre place et on en reparle, ok ?

Qui pouvait bien sourire dans un moment pareil !? Et puis à quoi sert de sourire dans un endroit comme Freedoom ? C’est comme une goutte verte dans un océan bleu, tout le monde s’en fout. Il devait trouver quelque chose à quoi se raccrocher s’il ne voulait pas finir ses jours dans un asile et sourire bêtement n’avançait à rien.
Tout en ruminant son désespoir intérieur, le pyromane triturait un bout de pancake du bout de sa fourchette. Le pauvre morceau de nourriture ne ressemblait plus à rien lorsqu’il revint à la réalité. Visiblement peu de temps avait passé et il n’avait pas envie de se lever, d’une part parce qu’on était bien, là, finalement. En bonne compagnie, le ventre plein, le cerveau rempli de vide.

Tic… Tac………. Tic………………………………………… Tac. Puis, arrive ce moment magique où plus rien ne se passe, plus rien d’intéressant. Et là, les habitudes reprennent le dessus, tout ce qu’on a appris peuh ! On le désapprend, en trois mots : on redevient con.
- Bon ! On bouge ou on s’enc-… Critical error ! Vite ! Trouver une suite à la phrase. 404 : suite not found. Fuuuuuu** !! euh… on… Oui, soit on y va, soit on décide d’un plan, on essaie d’anticiper ce qui nous attend, la quatrième épreuve, tout ça tout ça, et… Euh… Voilà. Héhé.
Le visage neutre, Ace priait intérieurement qu’on ne le lynche pas. Ce fut un de ces moments de solitude ; seul face au monde entier.
- Je… Vais aux toilettes dit-il avant de s’éclipser. Il ferma la porte derrière lui et se méprisa impitoyablement, se jurant que s’il devait offrir une autre partie de son corps à Feufolé ce serait la langue.

Il ressortit deux minutes plus tard et revint s’asseoir. Toute la gêne éprouvée jusqu’alors rejaillit comme si son absence n’avait été qu’une pause dans une action continue. Il n’osa pas croiser le regard ni de Melena ni d’Elie, préférant gratter par à-coups le bord de la table avec son ongle pour s’occuper l’esprit.

Apparemment son discours un peu trop imagé avait eu l’effet d’une douche froide sur l’irlandaise et Elie s’en voulait déjà. La voix blanche de sa camarade était presque aussi douloureuse que ses blessures, allant jusqu’à lui tirer une grimace. La suite de la conversation ne fut pas pour arranger le malaise général. Elle connaissait plus ou moins la capacité de Melena lui permettant de guérir si elle se repaissait de cadavre, mais elle n’avait jusqu’alors pas eut idée que le degré de putréfaction aidait à la guérison. Elle pressa l’épaule de son amie alors que Feufolé posait une question dérangeante pour ne pas changer les bonnes vieilles habitudes.

S’ensuivit une vive discussion –presque une dispute en fait- entre Ace et son invocation qui prit bientôt fin pour se muer en silence gênant. Elle aurait voulu dire quelque chose comme… comme n’importe quoi d’un peu optimiste. Répondre aux questions du pyromane qui avaient complètement été éclipsée peut-être, mais elle n’y réussi pas. C’était Jade qui était douée pour mentir pas elle, et il était plus qu’évident que leur avenir s’avérait terriblement sombre et aussi probablement écourté.

C’est Ace qui mit un terme au silence par une remarque assez osée qui tira un sourire moqueur à la mauvaise jumelle. C’était qu’il prenait ses aises, et c’était pas un mal sauf que… non au final. Il sembla aussitôt regretter ses paroles et fila aux toilettes probablement plus pour cacher sa honte que pour assouvir un besoin pressant. Pendant son absence Elie se tourna vers Melena avec un air inquiet. Elle avait toujours mauvaise mine et ce n’était pas dû qu’à ses blessures. L’idée de manger un mort devait la travailler d’une bien atroce façon…

- N’y pense pas. C’est pas de ta faute. C’est juste… ce monde qui est mal foutu. Je sais pas si ça peut aider, mais dit toi que tout ce qui est ici n’est pas vraiment réel. Ce ne sont que des personnages de rêve, on se fiche bien des conneries qu’on fait en rêve non ? L’important c’est que tu arrives à te soigner. Tu devrais pas hésiter à prendre soin de toi, ça n’a rien d’honteux.

Elle se redressa légèrement pour déposer un baiser amical sur le front de l’irlandaise et réintégra sa chaise juste au moment où Ace revenait, toujours aussi mal à l’aise. Il fuyait leur regard avec une détermination qui forçait le respect, à croire qu’il risquait de fondre si leurs yeux se croisaient. La psychotique le regarda quelques secondes gratter la table les yeux baissés après quoi elle lâcha un soupir amusé.

- Hey c’est bon, y’a pas mort d’homme. Tu n’as pas souillé nos chastes oreilles. D’ailleurs… on bouge ou en s’encule là, parce que c’est bien beau de paresser mais j’ai pas envie de passer ma retraite dans ce bled !

Un clin d’œil complice fut adressé à ses comparses alors qu’elle quittait sa chaise non sans souffrir d’élancement de douleur dans toutes les parties connues de son anatomie. Ses pas la guidèrent ensuite vers la porte sur le seuil de laquelle elle adressa un signe de tête au couple de gérants qui y répondit avec une certaine réserve. Dehors l’air était humide et glacial comme à son habitude mais pour compléter le tableau il s’était mis à neiger. Non pas de gros flocons, juste une sorte de neige à moitié fondue qui vous trempait et vous gelait jusqu’à l’os.

Elie jeta un regard d’envie vers la combinaison de Melena et la chemise d’Ace, avant de revenir à ses bras nus. Son débardeur qui ne tenait plus qu’à une bretelle n’était d’aucune aide pour lutter contre le froid mordant, elle se contenta donc d’enserrer ses épaules dans un grognement de douleur. Les frissons et les grelottements involontaires réveillaient sans cesse ses blessures encore fraiche, comme si geler n’était pas suffisant.

- Aaaa-ah… ça pèle ! Si seulement Lily n’avait pas porté des fringues de pu… hum… merde on doit pas dire de mal des morts c’est vrai, elle se mordit la lèvre en chassant l’image du corps défunt de Miss delice avant de se tourner aussi brusquement que lui permettaient ses blessures vers ses camarades, Parce que ce ne sont pas mes fringues hein ? Je les ai pour ainsi dire déchirées. La chemise de Maxim aussi, paf, juste en me transformant en loup-garou. Heureusement l’évolution de mon pouvoir à mit fin à ma période de nudisme forcé…

Un rire étrange s’échappa de ses lèvres, troublé de temps à autre par un claquement de dent intempestif.

Voilà qu’Ace parlait de se sacrifier à son tour désormais. C’était gênant, car Melena savait qu’elle n’aurait jamais le cran de faire la même chose. Mourir la terrifiait déjà trop, alors le faire en connaissance de cause, c’était au dessus de ses forces. Pourtant, elle aimait bien Elie et commençait à apprécier le pyromane, mais… c’était juste trop lourd pour elle. Alors qu’elle se murait dans le silence, la petite boule de feu déclencha une dispute avec son propriétaire. L’irlandaise ne savait toujours pas d’où sortait ce personnage bavard sans notion de tact, mais ce n’était pas encore l’heure de le demander, les mots refusaient de franchir l’enceinte de ses lèvres.

Finalement, Ace brisa le blanc avec l’une de ses répliques osées ; et si ses semblables avait fait la nécrophobe le traiter de crétin quand elle venait de le rencontrer, cette fois ci, ça lui tira simplement un faible sourire las. Non pas qu’elle s’était découvert une passion pour la sodomie pendant son sommeil – certainement pas – mais ça avait eu le mérite de la surprendre, et de tirer momentanément son esprit de sa sphère de torture. Le concerné ne devait pourtant pas être satisfait de sa prestation puisqu’il s’exila aux toilettes avant qu’aucune de ses comparses n’ait pu le retenir. Elie profita de cet instant pour rassurer l’irlandaise sur ce qui la hantait.

Bouche bée Melena contempla longuement les traits de la mauvaise jumelle, tellement surprise qu’elle ne put réagir au baiser amical posé sur son front. Sans quelle n’ait formulé quoique ce soit, la psychotique semblait avoir deviné tout ce qui la dévorait de l’intérieur, et cette simple manifestation de soutien, ne fût elle rien d’autre que des paroles fit éclater de soulagement le cœur de la brunette. Elle avait subitement envie de se jeter dans les bras de son amie pour la remercier en laissant couler ses larmes, mais le retour du pyromane la força à se contenir et elle murmura un « merci Elie » si bas qu’elle n’était pas certaine que son ancienne rivale l’air entendu. Néanmoins, si son corps était toujours cassé de blessures, sa détermination était remontée à bloc.

Lorsque la mauvaise jumelle proposa de s’en aller, la necrophobe lui adressa un sourire et suivit son mouvement, laissant son assiette de petit déjeuner pratiquement pleine. A l’extérieur, les nuages blancs laiteux attroupés au dessus de l’île prison laissaient tomber une neige fondue glaciale qui aurait très certainement frigorifié Melena si elle n’avait pas été vêtue d’une tenue techyoïte isolante. Les fripes d’Elie étaient sans aucun doute totalement inadaptées à ce temps, mais elle ne pouvait pas grand-chose pour elle : sa couverture et ses autres vêtements miquitzliens étaient dans son sac à dos, en possession des gardiens. Avec un air profondément désolée, l’irlandaise enveloppa doucement son écharpe argentée autour des épaules de la petite psychotique et en profita pour se pencher vers son oreille et murmurer :

- Merci pour tout à l’heure…

Les yeux incroyablement clairs de la nécrophobe cherchèrent un instant les prunelles bleus de son amie, plein de reconnaissance, puis elle s’éloigna pour prendre la route de la tour de la paresse. Pas besoin de connaitre le chemin : l’édifice se dressait au loin, fierté morbide qui dominait toute une population de malheureux. Avec la neige fondue qui s’écrasait mollement, la poussière du sol formait une bouillasse dégoutante, inesthétique, rajoutant encore aux allures glauques et désespérées de cet endroit ; un véritable décor oublié des dieux, si toutefois il y en avait pour organiser Dreamland. Melena sentait les mèches de ses cheveux noires qui n’étaient pas sous son bonnet dégouliner d’une eau glacée, ses mains blêmes étaient déjà engourdies, et il y avait de forte chance que Chayan et Kay ne les attendaient pas avec chauffage et chocolat chaud.

Au détour d’une minuscule ruelle entre deux bâtisses abandonnées tâchées de sang, une masse informe et noirâtre attira l’intention de l’adolescente. En passant à coté, elle ne put s’empêcher de regarder, et elle s’aperçut qu’il s’agissait d’un vieux cadavre de chien, sans doute là depuis un long moment vu son état. Cette vision la figea momentanément sur place, entre horreur et interrogation. Avait-elle déjà mangé la charogne d’un animal ? Bien sûr à table, quand c’était cuit, mais là, comme ça… devait-elle tenter le coup ? Rien ne garantissait qu’à la tour, elle aurait le temps d’exhumer un corps de plusieurs semaines pour se régénérer.

Lentement, comme si une force interne cherchait à lutter contre ses mouvements, l’irlandaise s’agenouilla auprès de la dépouille, un genou dans la mélasse marron qui tapissait le sol. La carcasse était déjà visible, il ne restait plus beaucoup de chair, déjà consommée par divers insectes nécrophages, et si la neige fondue atténuait l’odeur en la charriant ailleurs, ça restait écœurant.

- At… att… attendez, demanda Melena la gorge serrée.

Elle fit une grimace, au bord des larmes, lorsqu’elle tendit ses doigts gelés pour arracher un morceau de la chair durcie par le froid. L’adolescente faillit hurler lorsqu’elle ne put que tirer une cote entière, chargée de viande – certes – mais aussi de petits coléoptères qui s’envolèrent contrariés. Avec des mouvements saccadés, fermant ses yeux jusqu’à s’en faire mal aux paupières, elle approcha l’os de ses lèvres et le rongea pour en arracher les chairs putréfiées. A la première bouchée, elle sentit toutes ses coupures se refermer, ses contusions disparaitre et ses bleus s’effacer. Le goût outrepassait les normes de ce qui était infect et s'auto-persuader que ça n’était que du poulet n’aidait pas vraiment. Alors que ses os commençaient eux aussi à se restructurer, la nécrophobe ne put s’empêcher de se dire qu’elle aurait aimé faire quelque chose pour Elie car après tout, si elle était encore là, c’était pour beaucoup grâce à elle. Presque immédiatement, sans le savoir, elle avait actionné une autre facette de son pouvoir : les blessures légères de la mauvaise jumelle venaient de se résorber.

Trop occupée – et traumatisée – par ce qu’elle faisait pour se retourner vers son amie, Melena dut arracher deux côtes supplémentaires à l’animal pour qu’elle sente que tout était parfaitement rentré dans l’ordre. Ses poumons étaient libérés de leur étau de douleur, son bras gauche était parfaitement rétabli, seul l’horreur la paralysait, prostrée sur le sol, serrant un os de chien rongé en main. L’air absent, elle essuya ses lèvres encore tâchée de dépôt de viande pourrie et de graisse en décomposition, mais restait toujours figée sous la neige fondue glaciale qui s’abattait sur sa nuque. Les paroles de son amie lui revenaient pour lui redonner du courage : ce n’est pas ta faute, c’est un rêve.

Visiblement, il s’en faisait pour rien puisque, sans crier gare, Elie venait de terminer la phrase qu’il avait amputée d’un bout. Il n’avait pas vraiment réfléchi lorsqu’il avait coupé sa phrase. D’une part il ne considérait pas les filles comme des gamines, non, mais d’un autre côté, son langage avait été l’un des facteurs de l’ambiance magique qui l’avait mené à la tombe quelques jours plus tôt.
Il n’en demeurait pas moins qu’Elie était vraiment une fille étonnante.

C’est donc avec un effort considérable qu’il se retint de faire tomber sa mâchoire à terre tant il ne s’était pas attendu à une telle réaction. Il approuva cependant l’idée de sortir. Il fallait en finir une fois pour toutes ! Le pyromane se leva donc, s’aidant de sa chaise pour se redresser tel un petit vieux, assailli par les courbatures de la veille. Ça devait être un spectacle assez pittoresque d’un point de vue extérieur que ces trois corps qui pourtant jeunes se mouvaient comme s’ils avaient fait la guerre. Finalement on n’en n’était pas loin…

Avant de sortir, il adressa un merci / au revoir aux deux aubergistes. Il n’allait pas recommander l’auberge à ses amis pour diverses raisons mais ce couple avait du mérite. Trouver tel havre à Freedoom semblait illusoire. Or le retour à la réalité fut plus dûr ; accueillis par une neige à moitié fondue, ce genre de neige qui colle aux vêtements et vous frigorifie peu importe ce que vous portez… Ou presque : Melena ne semblait pas souffrir de la température, ce qui était loin d’être le cas pour Elie. Le pyromane jugea bon d’enfiler le bonnet et l’écharpe qu’il avait reçu du calendrier et ne regretta pas.

Il ne manquait qu’une paire de gants et tout serait parfait. Un geste galant l’obligerait à donner sa veste mais têtu qu’il est, Ace dut réfléchir longuement avant de se résigner à céder sa veste.
Il tendit l’habit à Elie alors que cette fois c’était lui qui se retrouvait en T-shirt. Par chance il n’était pas frileux et de toute façon si la prochaine épreuve était aussi physique que la précédente, il n’aurait pas froid longtemps.
- Tiens, attrape ça. C’est pas c’qu’y a d’plus épais mais bon.

L’île des morts leur apparaissait aujourd’hui sous sa vraie couleur : bientôt le sol serait couvert de neige si cette dernière arrivait à tenir. Le blanc était d’avantage symbole de mort pour Ace que le noir. Le blanc c’est l’absence de chaleur, c’est la couleur des os, de la moisissure, des vers, de l’hiver et lui-même lorsqu’il mourra, sa peau deviendra blanche elle aussi. Tous ces flocons tombant avec lenteur ajoutaient de la tristesse à l’horreur de Freedoom. Aucun enfant ne sortirait jouer, préférant rester chez eux à craindre les morts-vivants, et les seuls dehors seraient les sans-abris qui de toute façon ne passeraient pas la nuit à cause de la température ou de ces monstres morts. Déprimant.

Aussi, peut-être était-ce déprimant car la prochaine destination était la tour. S’ils n’avaient pas eu à endurer ces épreuves, peut-être que tout lui apparaitrait sous un nouveau jour, qui sait ?
- J’aime pas la neige non plus. Pas celle-là en tout cas. Et puis comment veux-tu allumer ne serait-ce qu’un mini feu par ce temps ? Je veux bien faire des pieds et des mains pour toi, Ace mais je peux pas bosser dans ces conditions, tout de même !
- T’as pas d’pieds. T’as pas d’mains. T’as pas l’choix.

Le petit groupe fit une halte au détour d’une ruelle sans que le jeune homme sache vraiment pourquoi. Il commença à suivre Mel lorsqu’il vit ce qu’elle s’apprêtait à faire. D’instinct, il fit quelques pas en arrière et se força à poser son regard ailleurs. N’importe où mais pas sur ça. Il sentait déjà son petit déjeuner remuer dans son ventre, alors pas question de jouer avec le feu.

Quelques minutes passèrent où il n’entendit rien d’autre que le bruit de la chair que l’on déchire, des os qui se brisent et d’autres sons provenant de Melena, signes de son angoisse et de sa répulsion. N’avait-elle pas dit qu’elle était nécrophobe ? Bon sang, pourquoi faisait-elle ça ?
- Ah oui… Quand elle demandait un cadavre, je pensais pas que c’était pour ça. Et pas de brosse à dents… Ce monde est d’un sadisme !

Finalement, les bruits se turent et laissèrent place à un silence effrayant. Il regarda brièvement dans la ruelle. Mel avait fini son petit déjeuner. Elle tremblait et ne semblait pas capable de se relever.
S’approchant malgré l’odeur et la vue du clébard décomposé, il proposa son aide à la nécrophobe. Il ne pouvait pas la laisser là comme ça. C’était au-dessus de ses forces. Osant à peine imaginer ce qu’elle ressentait à cet instant précis, il s’agenouilla près d’elle, lui susurrant un « n’y pense plus » avant de l’aider à se relever. Rester près de ce cadavre qu’elle venait de dévorer ne servait à rien d’autre qu’à se faire du mal, aussi Ace ne posa aucune question sur le pourquoi.

Tout d’abord l’écharpe de Melena puis la veste d’Ace… à vrai dire Elie ne savait pas du tout comment réagir à ça. C’était elle qui donnait ses fringues aux frileux d’habitude quitte à se retrouver les fesses à l’air comme dans le vaisseau qui l’emmenait vers Techyo. Elle voulut d’abord leur rendre leur affaire mais réalisa que la meilleure chose à faire quand on vous tendait la main c’était d’accepter l’aide. L’adolescente resserra donc les vêtements prêtés contre son corps frigorifié avant de souffler à peine audible un merci gêné.

Les remerciements de l’irlandaise pour son petit discours à l’auberge ne firent que la mettre plus mal à l’aise. A vrai dire elle ne voyait pas ce qu’elle avait fait qui méritait pareille réaction. Dire ce qu’on pensait c’était juste normal non ? Ce n’était pas comme si elle avait mentis pour remonter le moral de sa camarade, elle s’était juste contentée de dire ce qu’elle avait sur le cœur et qui lui paraissait juste.

La suite du chemin vers la tour se passa dans un silence seulement troublé par le babil de Feufolé bien déterminé à leur déballer une étude météorologique de Freedoom. L’ambiance resta ainsi calme et détendue jusqu’à ce que les yeux de Mel’ soit attirés par un vieux cadavre de chien à demi caché derrière une benne à ordures dans une ruelle entre deux bâtisses lugubres. Une grimace déforma ses lèvres alors que se formait dans son esprit l’image de ce qui allait se passer devant leurs yeux. Elle ne détourna malgré tout pas le regard lorsque la nécrophobe se pencha sur le corps putréfié pour en ronger les os. Ça aurait été faire preuve de faiblesse et pire encore : revenir sur les paroles qu’elle avait tenu quelques minutes plus tôt.

Le spectacle était écœurant et fascinant à la fois. Avaler les chairs putrides régénérait de manière visible son amie, les bleus se résorbant à vue d’œil. Puis… ce fut les siens. Les yeux écarquillés de surprise Elie sentit ses ecchymoses disparaitre, ses coupures se refermer. Bientôt se fut le tour de sa clavicule de se ressouder dans une série de craquements sonores et enfin…

- Putain de merde… murmura-t-elle médusée.

La psychotique avait monté sa main mutilée à hauteur de son visage pour observer le phénomène qu’elle avait commencé à ressentir. Son annulaire tronqué était maintenant palpitant sous l’effet de la régénération accélérée, un os blanc poussant hors des chairs arrachés comme le mat d’un navire. Ce fut ensuite le tour des fibres musculaires de s’étirer pour s’accrocher à l’os suivit d’une myriade de nerfs. Elle fixait bouche bée la renaissance de l’extrémité de son doigt qui fut brutalement avortée lorsque Mel’ termina son « repas ». Elle n’avait pas retrouvé tous les muscles manquant, ni la peau ni l’ongle mais… c’était déjà tellement fou ! Elle cligna des yeux une fois, puis deux avant de reporter son regard ahuri vers sa camarade auprès de laquelle s’était agenouillé Ace.

C’est l’air un peu stupide qu’elle les regarda se relever mais elle reprit vite ses esprits et fonça vers le duo pour saisir le visage de Melena entre ses mains. Leur nez collés l’un contre l’autre et ignora l’odeur nauséabonde qu’exaltait maintenant son amie pour plonger ses yeux dans les siens. Elle y lu beaucoup de douleur, de la peur mais surtout du dégoût. Un dégoût immense contre lequel elle essayait de lutter désespérément.

- Regarde toi, regarde nous… tu m’as soigné aussi tu vois ? Tu ne manges pas juste des cadavres, tu rends aussi la vie. J’ai… j’ai presque plus rien grâce à toi, c’est un don pas une malédiction. Ne… ne soit pas dégoûtée par ce que tu es.

Tout en parlant elle activa son nouveau pouvoir, soufflant comme une bougie le sentiment qui faisait rage dans le cœur de sa camarade. Bientôt celle-ci sembla comme apaisée et aussitôt Elie la prit dans ses bras pour lui offrir une étreinte qui se voulait réconfortante. C’est seulement après quelques secondes qu’elle se souvint que le pyromane était là aussi à moins d’un mètre et qu’il devait probablement être embarrassé par ces effusions mièvres. Elle tourna alors vers lui un visage souriant avant de se saisir avec dextérité de son poignet droit pour l’attirer vers elle et le faire entre de force dans leur embrassade.

- Allez fais pas ton timide ! Free hug !

Ace s’était penché sur elle pour l’aider à se relever. Même si se savoir soutenue était un réconfort sans borne à cet instant, comment pourrait-elle « ne plus y penser » ? A vrai dire, son esprit ne pouvait pas se détacher de ce qu’elle venait de faire, et les paroles réconfortantes d’Elie, pourtant fraiches dans ses méninges, avaient du mal à faire contrepoids. Si brusquement qu’elle sursauta en sortant de sa léthargie, Melena sentit que son amie saisissait son visage pour la forcer à la regarder, nez contre nez. Ses yeux gris torturés croisèrent le bleu empli de fascination de la mauvaise jumelle, un océan où elle retrouvait le réconfort alors que la psychotique lui faisait une tirade d’encouragements admiratifs.

Étonnée, la nécrophobe contempla son interlocutrice. C’était vrai qu’elle n’avait plus rien, et même son doigt tronqué s’était quasiment entièrement reformé. Alors… alors elle pouvait étendre son pouvoir en plus ? Ne pas être la seule à en profiter ? Aidée par la nouvelle capacité d’Elie, l’irlandaise sentit toute sensation de dégoût s’envoler comme chassée par l’une des bourrasques glaciales de Freedoom et il ne demeura plus en elle que la surprise. Depuis quand exactement était-elle capable de faire ça ? Ses pouvoirs avaient-ils tous été décuplés depuis son retour à Dreamland ?

Dans les bras de son amie, elle se sentait apaisée. La peur écartée et la répulsion d’elle-même muselée, il restait à la nécrophobe une sérénité qu’elle n’avait pas souvent connue. Sans rien dire, elle accepta qu’Ace se joigne à cette étreinte, prisonnière entre les deux corps de ses camarades profitant de leur chaleur sous la neige froide qui ne démordait pas. Des larmes de soulagement s’écoulèrent silencieusement des yeux de Melena, discrètes et mêlées aux gouttes glacées qui chutaient sur ses joues. Elle voulait dire quelque chose, mais ne savait pas vraiment quoi, alors elle resta silencieusement jusqu’à ce que ses acolytes ne s’écartent. Sans un mot, elle adressa un sourire – un peu triste peut-être – à Elie et Ace, puis leva son visage vers le ciel blanc, recevant alors les flocons fondus sur ses traits pâles.

- C’est bizarre, murmura-t-elle, mais… je me sens bien…

Finalement, l’adolescente s’étira pour profiter de ses membres tout justes ressoudés, puis rejeta en arrière sa chevelure noire imbibée d’eau glacée. Elle enfonça son bonnet un peu plus sur son crâne, pour qu’il protège le haut de ses oreilles, puis fit signe qu’ils pouvaient repartir. Machinalement, elle repassa une main sur ses lèvres et remua un peu de salive pour cracher le plus discrètement possible les petits morceaux de cadavre qui lui restaient en bouche. Le dégoût n’était plus là, mais il n’empêchait que l'arrière-goût était tout sauf ragoutant.

Que pouvait donc espérer de plus Melena pour affronter la quatrième épreuve ? Elle s’était reposée presque 24h, avait mangé, s’était complètement soignée… et les liens avec ses deux compagnons étaient suffisamment solides pour supporter encore les horreurs mesquines des gardiens. Peut-être était-ce l’euphorie du moment, mais pour l’instant, elle était confiante – peut-être trop, seul l’avenir le lui dira – et elle était prête à se battre pour survivre. Parce qu’elle l’avait promis aux parents de Jade, elle ne pouvait pas se dégonfler comme ça.

Bientôt, les limites du grand cimetière se découperaient au-delà des habitations. Il faudrait alors traverser l’immense champ de tombes pour parvenir jusqu’à la tour où Kay, Chayan et Fisher devait les attendre. Un comité d’accueil qui ne faisait pas envie… mais ils étaient là pour ça.

Ce fut l’exclamation d’Elie qui mit la puce à l’oreille du pyromane. Levant les yeux vers cette dernière, il remarqua son doigt à moitié… réparé..? Ou bien encore à moitié foutu. Tout dépend de l’humeur du jour. C’était en soi assez impressionnant – ou rebutant – de voir que se repaitre de chair décomposée avait pour effet de se régénérer, mais il ne le fit pas remarquer ; Melena devait déjà avoir assez de mal à endurer ce qu’elle avait dû faire pour se soigner, elle et Elie.

- Pas mal les effets spéciaux ! Non, plus sérieusement c’est providentiel. Ou du moins, ça vous évitera de trainer vos corps mutilés à travers la ville.
C’est vrai qu’à présent, Ace comprenait pourquoi Mel avait tant besoin de trouver un cadavre : elle savait ce qu’elle devait faire. C’est presque aussi horrible que se priver de feu pendant un mois ! Dur..!

Enfin Elie ne voyait pas ça du même œil. Alors qu’elle était à la limite de faire fusionner son nez avec celui de la nécrophobe, elle lui expliquait que son pouvoir n’était pas une malédiction mais une bénédiction… Bon ok, c’est pratique. Mais de là à considérer ça comme bon, y avait du chemin ! Surtout que même si l’état physique s’améliorait, l’état mental ne s’arrangeait pas, en contrepartie.
Encore une fois, Ace préféra garder ça pour lui, surtout que Melena semblait apaisée par les paroles de son amie ; il n’allait pas tout foutre en l’air, non plus…

Il était resté en retrait, observant la scène, plus ou moins gêné de ne pas savoir s’il devait rester planté là ou quoi. La mauvaise jumelle lui ôta le doute en lui attrapant le poignet et l’attirant jusqu’à elles pour ce câlin groupé. Le pyromane n’eut pour seule réponse que de rougir légèrement puis de les prendre à son tour dans ses bras
- Comme vous êtes mignons, tous les trois ! Si ! Vraiment ! A vous voir on n’imaginerait pas un instant que vous vous êtes entretués moins d’une semaine auparavant. Hé hé ! Ça sera quoi, la semaine prochaine ??

Il resta sans rien dire, profitant de l’instant, ne répondant même pas à Feufolé. Puis lorsque le trio se sépara. Malgré la neige et le froid, l’atmosphère semblait beaucoup plus détendue et Ace se sentait prêt à faire face à n’importe quelle fichue épreuve, maintenant.
Ils se remirent donc en marche, direction la tour de la paresse.

A mesure qu’ils approchaient de l’édifice, Ace regardait autour de lui, s’amusant à reconnaitre ce paysage qu’il avait vu il y a à peine quelques heures et qui, pourtant, n’avait plus du tout la même signification qu’à son arrivée. Quelque part, en revenant à la tour il avait l’impression de revenir à une sorte de ‘chez lui’ dans le sens où il ne faisait pas partie des habitants de la tour. Il n’avait pas à craindre les attaques nocturnes comme ces derniers. Une sorte de monstre, à la limite entre humain et gardien, il allait devenir adepte après avoir terminé ses épreuves. C’était un sentiment étrange et évident mais il fallait un certain recul sur la situation pour s’en rendre compte – recul qu’il n’avait pas pu avoir jusqu’alors.

Finalement la porte de la tour se dessina dans la brume et la neige et la pression revint en filigrane ; symbole de la présence des gardiens. Il se souvenait comment ils lui étaient apparus la première fois. Un peu plus et il se chiait dessus. Aujourd’hui il n’éprouvait que de mépris envers ces sadiques et il était déterminé à leur montrer qu’ils avaient beau lui péter doigts et couilles, rien ne pourrait venir à bout de lui ni même séparer leur groupe.

- Entrez, ils vous attendent.

Fisher en personne était venu les accueillir à la porte avec son habituel air guindé et poussiéreux. Même s’il voulut paraître détaché, il était impossible de ne pas le voir les épier en douce comme des bêtes curieuses. Non pas parce qu’ils avaient réussi la troisième épreuve, ils n’étaient pas les premiers, mais plutôt pour la même raison qui impressionna de manière significative les deux gardiens. Leur état de santé.

Kay et Chayan les attendaient sagement au beau milieu d’un espace aménagé entre les fosses communes, toujours affalés dans leurs fauteuils décadents. Devant eux avait été monté à la va vite un écran de vidéoprojecteur sur lequel était diffusées à l’instant même des images que le trio ne connaissait que trop. On y voyait Avok les envoyer tous trois voler au début de l’épreuve, puis l’un des gardiens fit une avancée rapide jusqu’au moment où Ace se brûlait la main, puis celui ou Elie se jetait dans le vide avec le monstre, celui ou Melena prenait le contrôle d’un corps pour le faire escalader la falaise abrupte…

Ils avaient absorbé par leur visionnage qu’ils commentaient allègrement sans même faire signe d’avoir remarqué l’arrivée de leurs candidats au poste d’adepte. Le sujet actuel de la discussion tournait autour de la possibilité d’en faire un film avec les montages adéquat et les recettes potentielles. La discussion aurait pu être agréable s’ils n’avaient pas fini par se prendre le bec su qui devrait jouer le personnage principal.

- Ca doit être le garçon. Les gens aiment pouvoir compter sur un homme, l’image de virilité marque toujours beaucoup les esprits. Il a été protecteur, soutien, attaquant… non vraiment je crois que c’est lui qui…

- Mais n’importe quoi ! C’est un sujet vu et revu ! Si tu veux attirer le public dans les salles il faut de la nouveauté et pour ça rien de mieux qu’une héroïne féminine. En plus les deux qu’on a sont loin de l’archétype de la fille fragile, on pourrait en faire des Lara Croft freedoomiennes et…

Azraël les interrompit en s’éclaircissant bruyamment la gorge. Kay se retourna brusquement, furieuse de cette interruption mais son visage se fendit bien vite d’un sourire sous le voile noir de ses cheveux à la vue de leurs invités. Elle leur fit signe d’avancer vers eux alors que Chayan remettait la vidéo au début pour un nouveau visionnage, par sadisme probablement.

- Bravo ! Bravo ! C’était… parfait. Nous avons pu avoir des images ma-gni-fiques, vous voulez les voir ?

- Je pense qu’une fois leur a suffi, ricana son cher et tendre sans quitter des yeux l’écran, même si je ne m’en lasse pas personnellement.

- Enfin bref, vous avez réussi et nous ne pouvons que vous féliciter pour votre forme olympique. C’est bien la première fois que des candidats reviennent de l’épreuve en version punitive sans aucune blessure ou presque.

-Et vous avez même pensé à vous reposer et à vous soigner avant de revenir. Vous commencez à intégrer la philosophie de Freedoom j’ai l’impression…

Ils s’entreregardèrent avant de hocher la tête d’un air entendu. Bien sûr ils ne leur offriraient rien pour cette réussite, mais c’était toujours drôle de voir leurs yeux briller d’espoir avant d’être déçus. Chayan fit alors signe à des zombies de récupérer le matériel prêté pour l’occasion, c’est-à-dire les deux armes à feu et les munitions associées. Cela faisait déjà longtemps qu’ils avaient remis la main sur le lance pierre abandonné en début d’épreuve.

La quatrième épreuve pouvait désormais commencer.

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