Aujourd'hui, c'est la foire à la Pastèque !

Ian était aux anges: La Beauté de Porcelaine émaillée d'un lotus bleu sur la pommette de son visage l'avait détaillé de pied en cape avant de lui sourire... C'est donc qu'elle devait l'apprécier, au moins physiquement, ce qui était le principal pour une fille puisqu'elles se plaisaient à dire que les hommes avaient le cerveau placé au niveau de la ceinture histoire de croire qu'elles étaient plus intelligentes qu'eux; il n'allait tout de même pas la contrarier !
Pour couronner le tout, elle l'avait félicité pour son record.
Juste pour la faire rire il imita Aldo Maccione sur la plage et lui lança un clin d'oeil dévastateur avant d'arriver devant le stand à bijoux.

Un regard furtif avait suffit au jeune homme pour constater que les breloques étaient jolies; le doux profil de la sublissime Asiatique penché consciencieusement sur les bagues et bracelets en témoignait. Du coup il s'attendait presque à devoir en offrir deux.
C'est tout le contraire qui se passa...
Voilà qu'elle lui disait qu'il ne pouvait pas tout ça parce que la mal bouffe et les hôtels dégoûtants de Dreamland coûtaient plus cher que ces magnifiques objets !
Mais... Je n'ai aucune envie de manger un mauvais repas ou dormir dans un lit infesté par la vermine... Pourquoi donnerai-je de l'argent pour des horreurs pareilles ???
Ian ne comprenait pas.
Il se dit que ce devait être un conflit d'éducation entre l'Orient et l'Occident. En Asie, la belle avait dû se régaler de crackers de riz aux guêpes et d'araignées frites pour l'apéro, suivis d'un ou deux oeufs de cane fécondés de 18 jours, de pâte de chauve-souris bouillie aux herbes et épices thaï ou même de cervelle de singe crue mangée à la cuiller dans la boîte crânienne de l'animal encore vivant; il était donc logique qu'elle n'hésite pas à payer 15 rubz pour un menu minable !
Quant aux hôtels: chez eux ils dormaient sur des paillasses à même le sol. Quand on sait toutes les bestioles qui pullulent en période de mousson, il était tout à fait compréhensible qu'elle se satisfasse de quelques cafards qu'elle avait dû grignoter au passage, d'ailleurs.
Tout de même, afin qu'elle le connaisse mieux, il ajouta: Moi si je veux un lit correct je me le fabrique, c'est gratos et en ce qui concerne la nourriture, je vais la chercher moi-même si besoin et je n'ai jamais eu faim.
Hier j'ai cueilli plein de fruits dans la jungle. Ce matin des petits gamins m'ont offert une pastèque, j'ai pas besoin d'auberge miteuse, je sais me débrouiller.
Et puis...Tu n'es pas une femme, tu es une copine et je te connais: je n'ai pas besoin de 107 ans pour me faire une idée sur les gens. Tiens regarde, ce petit bracelet irait très bien avec la couleur de ta robe !

En temps normal, les filles aimaient beaucoup qu'on leur parle des couleurs qui vont bien, c'était la valeur sûre pour une conversation de plusieurs heures mais là... Voilà qu'elle le bassinait avec les dangers de ce monde, les cannibales alors qu'il n'avait jamais étudié l'anthropologie, vantant les mérites d'un vulgaire bâton de métal acheté 50 rubz, de qui se moquait-on ?
Il la regarda avec de grands yeux candides où il était évident de lire que fondamentalement, ils n'avaient absolument pas la même philosophie de vie.
Des dangers ? il y en a dans tous les mondes, est-ce que cela va m'empêcher d'adoucir la vie par l'achat d'un bijou ? non ! et pour ta batte, tu t'es fait avoir: tu m'aurais demandé, je t'aurai taillé un bâton dans du Gayacan real, c'est le bois le plus dur du monde et il y en avait plein dans la jungle !
Yoake ne le savait pas encore mais cette suite de phrases longues et bien construites avait nécessité une concentration digne des martyrs; Ian n'en pouvait plus, il fallait qu'il bouge.
Il se mit à chanter "dans la vie faut pas s'en faire" avec chorégraphie et rythme swing puis ajouta: tu as raison, ce n'est pas la peine de s'énerver. Dreamland est le même pour tout le monde; c'est le regard qu'on pose sur la vie qui est différent. Moi j'aime rigoler, j'aime ce qui est joyeux. A San Francisco je suis déjà presque mort alors je profite du sursis, tu comprends ? quant à l'argent, c'est fait pour être dépensé. Si tu ne choisis pas un bijou, j'irai le claquer dans des verres d'alcool de pastèque ! dit-il en passant devant un bar qui en vendait.
Sur ce il se laissa entraîné vers le tir à l'arc.

Le rodéo était certainement l'unique animation où Ian pouvait exceller. Tout le reste nécessitait trop de précision et de concentration.
Il aurait pu décliner l'offre et admirer la jeune fille en train de viser; le problème est qu'il était resté trop longtemps immobile à parler, il lui fallait s'occuper à présent.
Quand se fut son tour, il se saisi de l'arc et tira.
La première flèche alla se planter juste devant la chaussure du tenancier qui fit un bond en arrière, la deuxième se ficha dans le store en tissu qui les protégeaient du soleil et au moment de la troisième... Il cassa la corde de l'arc sous l'oeil désaprobateur du patron qui vertement leur intima l'ordre de partir d'ici et surtout ne plus y revenir !
Le Cadeau de Bouddha devait être déçu... Très déçu.
Il leva vers elle un air de chien battu et dit: Tu vois, pour moi c'est tous les jours comme ça, depuis que je suis tout petit... Tu comprends maintenant pourquoi j'ai besoin d'avoir un esprit optimiste ? les idées sombres et le suicide ne m'intéressent pas.

Tout en parlant il s'aperçut qu'ils étaient en train de repasser devant ce bar qui proposait, ô délice, de la tequilla-pastèque avec en plus de la musique !
il se pencha et aperçut Milly et Melena accoudées au bar, protégée du soleil déjà brûlant par un paravent de paille tressée.
Toute joie revenue il lança à Yaoke: alors ? je t'offre un bijou, un verre d'alcool avec tes amies ou les deux ?.
Sourire fendu jusqu'aux oreilles, il lui fit un second clin d'oeil, de connivence cette fois !

Touché ! L'embarras de Melena était vraiment craquant, tellement... normal ! Avoir une amitié on ne peut plus classique dans ce monde excentrique était un luxe que Jade savait savourer. Elle ne loupa pas une miette de toutes les teintes de rouge par lesquelles passa sa meilleure amie, du léger rose au cramoisi, pas plus qu'elle ne rata une des rides de contrariété qui plissaient son front pâle. L'espace d'un instant elle avait l'impression d'être de retour au lycée, à San Francisco. Ne manquait plus que la sonnerie annonçant le début des cours pour parfaire le tableau !

A la place, elle eut droit au spectacle comique du chamboule-tout. Le moins qu'on puisse dire était que Mel' était loin d'être une pointure dans cette discipline... mais l'important c'était de participer, non ? Elle tapota l'épaule de la perdante avec un sourire en coin qui ne sous-entendait qu'une chose : « tu feras mieux la prochaine fois jeune padawan ». Et lorsqu'on lui défendit de rire, la psychotique leva les mains, paumes en avant, en guise d'innocence.

- Rire ? Moi ? Jamais ! Je suis une vraie rabat-joie. Même les croques-mort se fendent plus la poire, c'est dire !

Bon, c'était l'un de ses mensonges les moins convaincants mais l'irlandaise ne s'en formalisa pas, proposant même un petit jeu amusant. Que la défaite coûte une tournée ? Pourquoi pas ! Avec un peu de chance elle aurait tellement d'alcool dans le sang au moment du rodéo qu'elle en oublierait la peur. Avec un peu de chance en plus, elle serait tellement fin saoule qu'elle n'arriverait même pas à monter sur la bêt... euh... sur le fruit. Enfin la chose verte à pattes, là.

- Marché conclu ! Mais j'espère que tu as les poches pleines ma belle, parce que je ne compte pas perdre souvent !

Après avoir tiré la langue, taquine, elle suivit sa camarade jusqu'au bar où on leur servi l'une de leurs traditionnelles téquila-pastèque. Là où elle s'attendait à trouver de l'alcool fort avec peu de goût elle fut agréablement surprise. On sentait à peine l'alcool ! Bon d'accord, ce n'était jamais bon signe mais elle aurait tout le temps de regretter après une ou deux écuries en feu. Pour l'heure, on faisait la fête !

Tout en sirotant son cocktail, elle écoutait les histoires de filles que Mel' partageait avec elle, ponctuant le récit de « hum hum », « ah ouais quand même » et autres « tu déconnes ? ». Elle pouvait comprendre tout ça, après tout elle était la première à craquer sur le premier mec mignon venu parce qu'elle n'était pas dans son assiette ou cherchait consciemment ou non une protection. Mais... Alexander ! C'était tellement inconcevable qu'elle ne put s'empêcher d'exprimer ses a-priori à voix haute.

- Non mais... il est manchot ! J'aurais pas pu, j'te jure... je faisais une fixette là-dessus. Et puis je sais pas, imagine... petite mise en situation : vous êtes au lit et il tente de te tripoter les nichons. Ce... ce serait tellement asymétrique ! Se rendant compte de l'aspect bizarroïde de son discours, elle reprit en secouant son verre : On va mettre ça sur le compte de l'alcool ok ? M'enfin je suppose que la détresse nous fait tous faire des trucs étranges. J'ai bien fait confiance à un mec qui...

Jade s'interrompit, son visage se rembrunissant soudain. « A un mec qui m'a violé » était la phrase complète mais elle n'était pas encore prête à en parler comme ça, encore moins d'en rire. Vidant son verre cul sec, elle se mit debout et désigna du pouce le stand de tir à l'arc situé non loin. Elle avait besoin de se changer les idées et ce jeu ferait bien l'affaire. Et il lui offrirait un nouveau verre pour noyer son malaise.

- Et si on jouait aux Robin des Bois ? Si je me tire pas une flèche dans le pied ce sera un miracle...

A vrai dire ce n'était pas vraiment exact. Dire qu'elle était nulle avec une arme aurait été un mensonge, la vérité était plutôt qu'elle n'avait jamais vraiment réussi à se convaincre d'en utiliser une. Trop peur de mal s'en servir, de blesser la personne qu'il ne fallait pas, d'ôter la vie, d'être hantée par d'hypothétiques remords... Mais bon, ce n'était que des pastèques, non ? Il y avait peu de chances que l'une d'elles vienne la harceler dans son sommeil.

Alors qu'elle se dirigeait vers la queue, elle fit un petit signe de la main à l'adresse de Ian et Yoake qui avaient l'air d'hésiter à boire un verre. Ils étaient trop mignons ! Elle avait toujours aimé voir des couples se former, voir les aider un peu. Rien n'était plus beau que l'amour ! Pour l'instant l'asiatique n'avait pas l'air emballée mais ça viendrait sûrement. Tout venait toujours plus facilement avec quelques grammes dans le sang.

Quand le tour du duo arriva enfin, Jade effectua une révérence, signe qu'elle laissait à Melena le loisir de débuter. Cette galanterie ne dissimulait en réalité que l'envie d'observer avant de se lancer. Elle n'avait jamais tenu d'arc entre les mains... de vrai, en tout cas. On pouvait supposer à juste titre que les miniatures en plastique ne comptait pas. Et comme d'habitude, on retrouvait les éternelles pastèques qui servaient cette fois-ci de cibles. La plus petite était à peine atteignable à cette distance... il y avait vraiment des gens pour réussir cet exploit ? Ils ne risquaient pas de remporter la pastèque, si c'était le cas.

- Qu'est-ce qu'ils disent déjà ? Ah oui : la flèche est un prolongement de ton bras. Ou un truc du genre. Elle marqua une pausa, jetant un coup d'oeil en direction du duo de futurs amoureux. Mais changeons drastiquement de sujet : tu crois qu'il se passe un truc entre eux ?  Ian lui tourne autour comme une abeille autour d'une fleur...

Ou une mouche autour d'une merde, mais l'image était tout de suite moins poétique.

- Oui c’est vrai, dit pensivement Melena quand son amie lui exposa la difficulté qu’aurait Alexander à lui peloter les deux seins en même temps.

Comme quoi, il n’en fallait pas plus pour se convaincre définitivement que le frigophobe était vraiment un mauvais choix, même si elle ne se sentait de toute façon pas vraiment apte à coucher avec un homme. Le passage à l’acte « forcé » avec Elie l’avait bien débridée avec les femmes, ce qui était largement suffisant pour l’instant. Quand le visage de Jade se rembrunit, l’irlandaise supposa qu’elle voulait parler de Liam. Elle ne lui en avait jamais touché un mot directement, c’était Elie qui l’avait fait… mais elle n’avait pas envie de sortir le fantôme de son placard ; elles étaient là pour faire la fête non ? Incroyable comme cela pouvait être difficile de s’amuser quand on était fou et voyageur.

L’idée de faire du tir à l’arc vint à point nommé. Melena leva son pouce tandis qu’elle finissait son verre. Elle se sentait déjà un peu cotonneuse, comme quoi : on ne dirait pas, mais c’était fort ces choses là !  Une main en visière pour se protéger du soleil brûlant, elle suivit sa meilleure amie et adressa un signe de la main à Ian et Yoake quand elle les vit. En vérité, la japonaise n’avait pas l’air spécialement enchantée de partager ses activités avec l’hyperactif, la nécrophobe se promit de l’intégrer à leur duo plus tard. Pour l’heure, elles faisaient la queue et la brunette glissa malicieusement :

- Prépare-toi à payer la tournée, je suis sûre que je te bats à ce truc là !

En fait, la seule expérience qu’elle avait c’était les arcs qu’elle se fabriquait petite. Pour une enfant qui adorait gambader dans les bois, cette activité avait occupé de longues après-midi à une période donnée. D’ailleurs, elle les construisait plus pour le plaisir de les voir que pour les utiliser… pour être honnête, Melena ne se souvenait pas avoir fait voler la moindre flèche avec.

- Hummm ? fit l’irlandaise qui se concentrait déjà alors que c’était son tour, entre Ian et Yoake ?

Elle tenait déjà son arc tant bien que mal, corps de profil, un œil fermé, une vraie parodie de Katniss Everdeen. La seule différence c’est qu’elle ne s’aventura pas à toucher la plus petite pastèque mais visa la grosse… qu’elle manqua, bien évidemment. Mimant une expression boudeuse, la jeune fille consentit à se tourner vers leurs deux acolytes qu’elle distinguait encore dans la foule environnante.

- Je ne sais pas…, dit-elle en plissant ses yeux gris, Yoake a pas l’air emballée, je l’ai connue plus enthousiaste avec la bande de mecs dans le dirigeable… pis elle est assez terre-à-terre, je crois pas qu’elle soit d’humeur à flirter à Dreamland.

Deuxième flèche. Cette fois, elle réussit à atteindre la plus grosse des pastèques. C’était loin du centre, mais c’était toujours ça ! Tandis qu’elle se préparait mentalement à tirer son dernier coup, Melena eut un sourire en coin en regardant son amie :

- Et toi alors ? Il s’est rien passé pendant le temps que vous étiez ensemble ? Il ne te plait pas ?

Armer la flèche, tendre la corde et… il y a des moments dans la vie où la chance décide de passer nous rendre visite. L’irlandaise aurait préféré que ce soit le jour où elle était revenue avec Elie dans les terres gelées et qu’elles avaient franchi un trou noir qui les avait propulsées à Freedoom, mais elle n’en dit rien. En réalité, elle avait tellement mal tiré sa troisième flèche qu’elle avait dévié de sa trajectoire, mais au lieu de frapper dans le vide, elle s’était plantée en plein milieu de la pastèque intermédiaire. Avec un air de fausse modestie taquine, elle tendit son arc à Jade en lui disant :

- Je prendrai bien une deuxième tequila s’il te plait.

Dés la première réponse de Ian, Yoake devina, qu’ils étaient à des lieux de se comprendre. Elle ne parlait pas du tout d’hôtel miteux ou de vieille auberge parce qu’elle aimait ça, mais seulement parce que c’était ce que son budget lui permettait pour le moment. Du moins, si elle voulait se garder une part pour acheter de quoi se défendre. Elle était habituée à gérer son argent au centime près depuis son studio à San Francisco, et elle savait, que 20 rubz ce n’était rien ici limite un ticket de bus et le blondinet entêté qui était derrière lui dans la file, ne semblait pas s’en rendre compte.

Le deuxième point qui aurait pu la faire rire dans une autre situation était qu’elle avait devant elle, le double de Mc Gyver qui fabriquait tout à partir de rien. Apparemment il y avait même un petit air de Mowgli. La jeune femme ne pouvait croire que c’était aussi simple, citadine depuis sa naissance elle était loin de connaitre la jungle en fait elle avait à peine quitté les environs de San Francisco.

Il parla aussi de copine et la japonaise finit par se poser des questions espérait-il vraiment que ça marche entre eux deux à Dreamland ? Ils se connaissaient que depuis quelques heures, il ne savait rien d’elle et la considérait déjà comme une personne à aimer ? Elle ne savait pas ce qu’elle voulait, trouver quelqu’un l’intéressait mais c’était Dreamland le pays des rêves et puis il ne connaissait rien d’elle, sa phobie, ce qu’elle était dans le monde réelle, ce qu’elle aimait ou détestait. Au fur et à mesure de sa vie, Yoake avait comprit quelque chose on ne pouvait pas comprendre quelqu’un juste après quelques heures.

Elle s’apprêtait à lui répondre quand ses dernières paroles lui sautèrent aux yeux : presque mort ? Sursit ? Est-ce que c’était un coma ? Ça aidait à comprendre pourquoi il était aussi simple et candide, la japonaise soudainement triste levais les yeux sur Ian tandis qu’il parlait de claquer ses sous dans des verres de pastèques… ignorant sa dernière remarque elle dit :

- presque mort, tu parles de coma ? …

Elle aurait voulu rajouter quelque chose de plus compatissant mais n’en trouva pas le courage tout comme s’excuser à quoi ça servirait… La seule chose que pouvait vivre cet homme serait dans le pays des rêves. On lui tendit un arc et trois flèches et la japonaise garda son silence, tout en prenant place en face des pastèques. Elle regarda l’arc de ses yeux sombres et se rappela l’utilité de cette exercice… savoir se défendre contre des cannibales ou toutes personnes qui voudraient leurs nuire. Elle encocha une flèche et tendis son arc faisant jouer de la souplesse de ses muscles. Elle visa et toucha la plus grosse des pastèques. Elle regarda la cible étonnée, un coup de chance ? Elle retenta à nouveau son tir et la flèche arriva finalement pratiquement au centre de la pastèque. Motivée par ce résulta, elle visa la seconde pastèque mais un faux mouvement décala légèrement la flèche qui se planta sur le coté de la pastèque du milieu. Elle se détendit et se permit même un sourire pour une première fois ce n’était pas mal.

Elle tendit ses flèches à Ian et le regarda faire. Sa piètre performance fit rire la japonaise mais la réponse qui suivit la refroidit pratiquement aussitôt : des idées sombres ? Yoake en avait tellement, elle n’arrivait d’ailleurs pas à s’en sortir pour s’amuser, alors que l’ambiance même s’y prêtait. Se demandant comment il pouvait l’apprécier elle qui était l’opposé de ce qu’il était elle répondit finalement :

- Oui je te comprend, un peu, mais tu ne connais que la jungle je ne pense pas que tout les territoires de Dreamland soit aussi prévenant. Tout a un prix que tu le veuilles ou pas.

Ils se dirigèrent alors vers le bar de téquila pastèque, quand ils croisèrent Jade et Méléna, Ian lui proposa de leurs payer un verre tout les quatre plutôt que de lui offrir un bijoux et Yoake faillit accepter quand finalement les deux amie se levèrent après avoir terminé leurs verres. Elles firent un petit signe au « couple » que la japonaise rendit avec un petit sourire crispé. Elle leurs aurait bien demandé de rester pour prendre un verre, mais elle savait que Melena et Jade avait besoin de rester seule aussi trouvait-elle le courage de rester seule avec Ian.
Elle tourna finalement son regard sombre vers le jeune homme et dit :

- prenons un verre ! Je n’ai pas forcément envie de bijou en ce moment.

Elle s’assit finalement en face du blondinet tout en farfouillant dans son sac, quand la serveuse se présenta à leurs table, ils commandèrent chacun leurs téquila pastèque et Yoake présenta tout de suite ses 4 rubz en même temps que Ian. Devant le regard interdit de la serveuse elle dit dans un grand sourire :

-prenez les miens je n’ai aucune envie de me faire inviter !

Yoake semblait beaucoup réfléchir à tout ce qu'il avait dit. Comme la majorité des personnes et contrairement à lui, elle avait besoin de temps pour emmagasiner et comprendre les informations reçues.
Il en profita pour regarder ce qui se passait autour lui, admirer les stands d'artisanat local, repérer le chamboule-tout, la course en sac, le limbo qui consiste à passer sous un bâton qui se baisse au fur et à mesure et même la piñata, bocal rempli de morceau de pastèques accroché à une branche d'arbre et qu'il faut tenter de casser avec un bâton, yeux bandés afin de gagner son contenu !
Quelques rares coups d'oeil sur le visage de l'Asiatique lui avaient suffit à deviner les différentes émotions et incertitudes qui peuplaient son esprit, ce qui donnait l'impression à tout le monde qu'il n'écoutait rien, ne voyait rien, ne s'intéressait à rien; s'ils savaient !
Il y avait beaucoup de sentiments à lire chez Yoake. Du coup il se dit qu'elle ressemblait à un casse-tête Chinois, ce qui était étrange pour une Japonaise.

D'abord - mais cela il l'avait déjà remarqué - elle était très raisonnable. Raisonnable comme son père, sa mère, les maîtresses d'école, les directeurs de bahuts et les fonctionnaires administratifs réunis.
Sa première réaction fut de se dire qu'elle serait rapidement ennuyeuse comme un jour de pluie mais en y réfléchissant bien, il tomba d'accord sur le fait que cela pourrait faire un bon équilibre entre eux deux.
Ensuite, elle avait l'air de beaucoup apprécier ce qui était sombre et angoissant, voire même de s'y complaire puisque de tout ce qu'elle avait vécu, elle ne lui avait fait part que des choses les plus négatives.
Pour preuve: il lui avait chanté une chanson joyeuse avec clowneries chorégraphiques, elle n'avait pas semblé remarquer par contre quand il parlait de "presque mort", elle sursautait, prenait un visage triste et posait des questions !
peut-être ne savait-elle chanter que le répertoire de Tori Amos et fredonner la musique du film Furyo? C'était peu... Il décida qu'il lui en apprendrait; enfin, si elle savait chanter.
Tu sais chanter ? demanda Ian à brûle-pourpoint. Je peux t'apprendre un tas de chansons si tu veux et après on ferait des concerts !  

Puis, il se rappela qu'il fallait qu'il lui fasse plaisir, les filles aimaient cela. Enfin... Les filles qu'il avait connues jusque-là aimaient qu'on les fasse rire; elle, l'éblouissante estampe Japonaise aimait les choses tristes et qui font peur comme les anthropophages, il allait donc abonder dans son sens quitte à en rajouter un peu pour la bonne cause:
Oui, je suis tombé dans le coma. C'était chez Anton. Anton c'est un camé prêt à avaler ou à se faire des piqûres avec n'importe quoi. Il est sympa mais il est jamais clair. Parfois il dit qu'il est un chien et ça quand il est en manque ou quand il achète sa dope, on peut le croire... J'aurais bien aimé avoir un chien ! tu as des animaux chez toi ? à part un bassin de carpes Koi ?
Avant le coma j'étais très mal, j'ai même avalé ma langue, je ne pouvais plus respirer. Je suis peut-être en état de mort cérébrale aujourd'hui, à San Francisco, ce qui est vraiment grave, je pense, comme état. Tu es déjà allé à l'hôpital de San-Francisco ?
Ce qui m'embête c'est pour ma mère; elle doit beaucoup pleurer; cela me rend triste.
Sinon, oui, bien-sûr, tu as raison, Dreamland est abominable ! en réalité quand j'ai atterri dans la jungle, cela m'a fait très mal au fesses, ensuite j'ai rencontré Jake qui n'arrêtait pas de tripoter sa batte avec ses cheveux en feu; il n'a pas voulu me dire quel parfum il mettait alors que moi j'avais dit et quand pour une fois je lui ai parlé sérieusement pour de vrai comme jamais cela m'était arrivé avant, il n'a même pas répondu !
puis ensuite, il y avait plein de moustiques, des araignées, des serpents, des plantes carnivores géantes avec une bouche pleine de dents démesurées comme les canibales et même des lianes qui cassent quand tu veux jouer à Tarzan. Et puis la mère éléphante était très désagréable, elle nous a éjecté de son dos, à tel point que mon bras s'est ouvert en deux et que je me suis vidé de mon sang. Milly-chatte s'est battue avec une panthère du coup son masque était tout déchiré. Après on a franchi une pente verticale ultra dangereuse tout ça parce que Milly voulait absolument m'emmener dans une ville mortelle, elle m'a même beaucoup disputé alors que je lui avait trouvé un bâton et une source d'eau fraîche, elle a même pas bu, tellement elle était furieuse parce que je m'occupais pas assez bien d'elle. Je ne la regardais pas assez qu'elle disait.
Moi j'aurai bien aimé rester en admiration devant elle mais il fallait bien que je regarde où je mettais les pieds. Du coup je lui ai dit qu'elle était laide comme un pou alors que c'était faux et ça c'était vraiment très, très triste...
Il espérait avoir bien raconté tout ce qu'il fallait afin de faire fondre de bonheur la jeune fille qui venait du pays des samouraï qui savaient si bien se découper le ventre d'un coup, au couteau, après avoir récité un poème d'adieu.

Enfin la jeune fille se décida à choisir quelque chose ! elle voulait bien prendre un verre.
Il en offrirait un aussi aux autre copines, cela montrerait à sa belle qu'il n'était pas radin.
Quoique... Les filles étaient parfois déroutantes avec leurs copines: il fallait toujours absolument bien s'occuper de leurs amies, bien les aimer, les inviter, tout bien écouter les conversations, surtout celles qui étaient ennuyeuses: c'était une preuve d'amour mais quand on avait fait tout cela elles étaient jalouses et pensaient qu'on les trompaient !
Ian avait parfois du mal à comprendre la mentalité féminine.

Il allait laisser éclater sa joie mais au moment d'entrer au bar, les deux filles en ressortaient.
Le visage de Yoake se crispa, elle était déçue, le jeune homme pouvait comprendre; cela faisait genre "tiens comme vous arrivez ben nous on s'en va !".
Il connaissait bien cette mentalité. Beaucoup de gens tristement normaux lui avaient déjà fait le coup, cela ne l'inquiétait pas.

Ce qui l'inquiétait c'est que la crispation avait une autre raison: lui; comme si elle se sentait obligée sans en avoir vraiment envie...
Cela lui fit un petit quelque chose dans son coeur, comme si tout à coup elle, son soleil, avait décroché un nuage gris du ciel pour le placer à cet endroit.
Un peu décontenancé, il commanda deux tequilla et sortit 8 rubz de sa poche.
Au même moment, celle qu'il croyait n'être que douceur de loukoums asiatiques posa 4 rubz sur la table et dit très exactement: "prenez les miens je n'ai aucune envie de me faire inviter".
Ian n'était pas du genre à s'en faire. Il n'était pas de ceux qui reprochent sans cesse les moindres failles de ses voisins et remarquait souvent trop tard les coups bas qu'on lui faisait.
Mais là... Il eut la sensation qu'elle venait de lui découper tout doucement le ventre avec un sabre des plus finement affuté.
D'abord, il la regarda avec un air naïf, complètement perdu, n'en croyant pas ses yeux.
Comment le cadeau de Bouddha pouvait-il être si méchant avec juste une toute petite phrase ?
Lui, pour arriver à être méchant, il fallait un quart d'heure de grosse colère bien directe et bien forte comme pour Milly.
Il pensa de suite qu'il avait des lacunes dans l'apprentissage des rafinements asiatiques et regretta de ne pas avoir écouté les cours de géographie sur la Chine et le Japon, spécialisés dans l'exportation des objets miniatures.
Non seulement cela le rendit malheureux, très malheureux mais en plus il en fut vexé: pour qui le prenait-elle ? pour un goujat calculateur, pressé d'allonger n'importe quelle fille dans son lit ?

Sans même toucher son verre, ne laissant plus que 4 rubz à côté, il se leva et dit: je n'ai jamais violé personne et surtout, je n'ai jamais acheté aucune fille avec une minable boisson à 4 rubz. Je t'avais proposé tout ça en copain et toi... Oui bien sûr, je te trouve très jolie et tu me plais. Enfin, tu me plaisais... je n'aime pas les gens méchants.

Ian aurait voulu ajouter beaucoup de choses mais c'était impossible pour l'instant. Il aimait encore trop Yoake pour lui faire subir une explosion de reproches.
Il fit demi-tour et s'en alla seul, à toutes jambes dans la direction opposée des trois filles.

Courir lui faisait du bien. Il le fit longtemps, dans toutes les rues, plusieurs fois, de long en large et en travers pour oublier sa tristesse.
Arrivé sur une petite place, il sut qu'il y avait là de quoi poser enfin sa lourde valise pleine de larmes retenues: au centre se tenait un petit podium d'une sorte de radio-crochet amateur.
Il entrepris de faire la queue: il allait proposer une chanson; il avait besoin de l'attention et du rire de la petite centaine de spectateurs qui se pressaient devant la scène improvisée.
C'est alors qu'au comble de la joie, il aperçut les cinq enfants du matin !
Ce sera chanson avec chorégraphie chiadée et percussions vocales, un tabac !

[HRP : Melena, sache tout d'abord que je te hais parce que tu as fait exactement ce que je voulais faire. ]

Son improvisation de Cupidon ne semblait pas convaincre Melena. Elle n'ont plus, à vrai dire, mais dans un monde aussi dur que celui-là, un peu d'amour ne faisait pas de mal. On craquait pour le premier venu, c'était superficiel et ridicule mais ça aidait à tenir le coup. On sous-estimait toujours l'importance des diversions. Il fallait croire que certaines personnes étaient au-dessus de tout ça malgré tout, comme sa meilleure amie ou cette Yoake. Un peu triste, en réalité. Voir la tête d'enterrement de l'asiatique, accoudée au bar, tira une grimace à Jade alors que la première flèche ratait sa cible. Ce n'était pourtant pas si terrible d'être draguée ! On l'aurait dit au supplice et même l'hyperactif commençait à le remarquer.

- C'est pas une question d'humeur, c'est une question de moral. Quand tu flirtes, tu arrêtes l'espace d'un instant de penser que tu risques de mourir au prochain tournant. C'est peut-être stupide mais c'est réconfortant, tu vois ? Savoir qu'il y a quelqu'un, là pour toi. Que tu n'es pas seule.

La seconde flèche se planta dans la grosse pastèque alors que Jay se mordillait la lèvre. Maxim, Peter, Matthew et Rochel... elle avait tenté de se raccrocher à tellement de personne depuis qu'elle s'était écrasée sur le bitume d'Elipse pour la première fois, il y avait une éternité ! Et pourtant, elle avait beau rougir et être sensible à leurs charmes, quelque chose la dérangeait. Elle n'était pas assez naïve pour affirmer ne pas arriver à mettre le doigt dessus, elle savait ce qui clochait : la simple idée qu'on tente plus qu'un baiser la révulsait. C'était comme si Liam avait brisé quelque chose en elle... non. C'était inexact. C'était plutôt comme s'il avait bâti un mur de peur et de honte en elle. Est-ce qu'elle pourrait un jour avoir une relation normale ?

Quelques mois auparavant, elle se serait imaginée sans mal mariée et entourée d'enfants. Mais avoir des enfants signifiait se glisser dans le lit conjugal pour plus qu'une nuit tranquille et le simple fait d'y penser imposait à son esprit des images du fameux soir. Elle avait beau chercher les solutions qui se présentaient à elle, la seule chose qui lui venait était le mot « thérapie ». Et vu comment s'était passée sa dernière en date, c'était du plus haut comique. Cette pensée lui tira d'ailleurs un rire bref, au moment exact où Mel' évoqua la possibilité qu'elle puisse en pincer pour Ian.

- Que... non mais tu rigoles ? J'ai passé une heure à vouloir lui expliquer un truc sans qu'il m'écoute. Une vraie heure. J'avais vraiment l'impression d'être un pot de fleur juste là pour la déco'. Et puis... bon ok il est mignon mais il est bien trop gamin ! J'ai l'impression qu'il a aucun sens des réalités.

Plus elle essayait de s'imaginer en couple avec le blondinet plus ça lui semblait irréaliste. Jamais elle ne supporterait de passer le reste de sa vie dans les mêmes conditions que ces dernières 24h. Ok, il était gentil et attentionné, mais ce n'était pas assez pour compenser ses défauts et la psychotique n'avait ni la patience, ni le courage pour endurer.

Lorsque la troisième flèche se planta par un heureux hasard dans la pastèque intermédiaire et que sa meilleure amie commençait à laisser entendre qu'elle avait déjà gagné, Jade ne put s'empêcher de prendre un air séducteur en lui prenant l'arc des mains.

- En fait ce qu'il me faudrait, c'est une version masculine de toi. Douce, attentionnée, courageuse, drôle et douée à l'arc... comment ne pas craquer ?

Jamais elle n'aurait pu penser que sa taquinerie était plus qu'une blague pour la thanatophobe. Aussi insouciante qu'à l'accoutumée, elle se plaça face aux pastèques qui servaient de cibles et banda son arc tant bien que mal. L'adolescente garda pour elle le fait que la corde lui faisait un mal de chien aux doigts et qu'elle était morte de trouille de se tirer réellement une flèche dans le pied. Elle avait beau chercher dans ses souvenirs, à chaque fois qu'elle avait possédé une arme à distance létale elle s'en était débarrassé presque aussi sec. Le révolver comme l'arbalète, et voilà qu'elle avait un arc entre les mains. Mais ce n'était qu'un jeu. Qu'est-ce qui pourrait arriver de mal, après tout ?

Jade lâcha la corde, reculant d'un pas sous la surprise. Son affreux manque de maîtrise lui fit bien évidemment manquer la cible, mais hélas sa malchance ne s'arrêtait pas là. Partie trop haut, la flèche fendit les cieux au-dessus de la foule pour aller se planter dans la tête d'un homme qui s'écroula, sur une estrade près du rodéo. Horrifiée, la blonde plaqua les mains sur sa bouche dans l'espoir de retenir le cri qui menaçait de jaillir. Derrière l'écran de ses doigts on pouvait l'entendre murmurer :

- Ô mon Dieu, ô mon Dieu, ô mon Dieu, ô mon Dieu...

Les yeux humides, elle était prête à fondre en larmes lorsque sa « victime » se releva, sonnée, la flèche plantée dans son énorme chapeau pastèque. Partant dans un fou rire nerveux alors que des gouttes salées dévalaient déjà ses joues, la foule se mit à l'applaudir bruyamment. La bonne jumelle ne comprenait pas trop ce qui se passait, mais elle n'avait tué personne. Oh bon sang que c'était bon de voir qu'elle n'avait pas fait tourner le temps à l'orage !

- Je... hum... je continue? L'homme qui s'occupait du stand acquiesça, aussi banda-t-elle l'arc à contre cœur en soufflant : On dirait qu'ils me prennent pour Guillaume Tell. Ils pensent vraiment que c'était calculé?

Inconsciemment, elle tourna la tête pour chercher le soutien de Melena et sa seconde flèche s'envola, en roue libre une nouvelle fois. Trop haute une fois encore, et pour atterrir où ? Allez, vous avez votre petite idée, avouez-le. La foule lâcha un cri à l'unisson lorsque l'homme-pastèque mordit une nouvelle fois la poussière, orné d'une flèche supplémentaire. Interloquée autant qu'angoissée, Jay ne put s'empêcher de se demander intérieurement si un blagueur idiot n'avait pas eu la bonne idée de mettre un aimant à flèches dans le couvre-chef du pauvre présentateur.

Plus qu'une flèche. Il lui fallait juste toucher une cible sans tuer personne... le pourrait-elle seulement ? Les badauds s'étaient rassemblés contre les barrières et l'encourageaient si bruyamment qu'elle en avait mal aux oreilles. Pas facile de se concentrer, dans ces conditions. La psychotique banda néanmoins son arc, la transpiration due à la chaleur accablante rendant ses doigts glissant. Et ce qui devait arriver, arriva : la corde lui échappa. La foule retint son souffle alors que le trait fendait l'air, jusqu'à aller se planter dans la flèche précédente, sur ce même fichu chapeau. Le bois avait été fendu en deux jusqu'à la base mais Jade n'eut pas le temps de contempler son « oeuvre » involontaire qu'on la soulevait déjà à bout de bras.

Elle ne toucha le sol qu'après avoir été trimballée une bonne minute, comme si elle s'était jetée dans le public d'un concert de rock. Essoufflée, la main sur le cœur, elle se raccrocha à Melena et leva vers elle des yeux effarés. Elle avait tout raté, mais quand même... c'était dingue, non ?

- Combien de chances que ça arrive ? Bon sang j'y crois pas... j'ai fait un foutu  zéro pointé mais maintenant j'ai la cote dans le coin. Je ne savais pas qu'être nulle rendait populaire... ils ont vraiment l'air de croire que je l'ai fait exprès !

La bonne jumelle éclata de rire et attrapa la main de sa meilleure amie, prête à l’entraîner au bar où Yoake avait été abandonnée par son courtisan. Un pari était un pari, elle avait perdu après tout.

- Ok, c'est ma tournée... mais promets-moi qu'on ne touchera plus à un arc de si tôt !

HRP : désolé ^^' les grands esprits se rencontrent !


Jade ne s’était jamais rendu compte comme elle avait le don de la subjuguer et de la déchirer en même temps. Melena ne se reconnaissait pas vraiment dans la liste de qualificatifs, mais ce n’était pas l’important. Le plus douloureux c’était d’entendre dire que ce qui la séparait à tout jamais de son rêve amoureux, c’était son sexe. Elle était une femme, resterait une femme, cette évidence simple et irrévocable allait lui pourrir la vie. Y avait-il la moindre chance que son amie change de goût ? C’était un espoir, un fantasme… et en même temps, elle aimait leur relation comme elle l’était. Serait-elle capable de prendre le risque de la perdre ?

- Fais gaffe, souffla l’irlandaise la gorge serrée en détournant les yeux, je vais trouver un moyen de changer de sexe et tu ne pourras pas refuser ma demander en mariage.

Pendant que la bonne jumelle se mettait en place, la nécrophobe ressassait son discours sur le flirt. Passer le temps… n’était-ce pas ce qu’elle avait tenté avec Jerry et Alexander, mais avec une motivation plus négative encore ? Pour elle qui ne se sentait plus qu’à moitié humaine, c’était indéniable qu’avoir de l’attention réchauffait un peu les lambeaux de son cœur. Mais dans le même temps, elle se sentait fausse, déconnectée, comme si son corps était devenu une barrière entre elle et les autres.

Quoiqu’il en soit, la performance de Jade la tira de ses questions existentielles sur le flirt. Melena aussi avait sursauté, persuadée que leur mauvais karma les avait rattrapées et qu’elles devraient se mettre à fuir sur le champ. Elle avait encore une main sur sa poitrine quand le chef au chapeau pastèque se redressa, hilare, et que la foule acclamait ce geste qu’elle pensait tenir d’une prouesse technique. Tout en tapotant amicalement l’épaule de son amie, l’irlandaise lui glissa, ironique :

- Ah bah je pensais sincèrement que tu voulais me faire une démonstration de ton adresse moi !

Quelque part, c’est exactement ce que fit la psychotique, sans le vouloir. Il n’y avait que la thanatophobe pour savoir que ça ne tenait pas d’une farce. La foule, transportée par cet exploit, porta Jade à bout de bras pendant une bonne minute, tant et si bien que Melena crut un moment qu’elle ne la reverrait pas de la journée. Elle accueillit donc le retour de son amie avec un sourire éclatant. A cet instant précis, elle avait envie de la prendre dans ses bras et de l’embrasser, simplement parce qu’elle se sentait bien. C’était douloureux de sentir que ça n’arriverait jamais. Ravalant l’amertume qui lui brûlait la gorge, la jeune fille se laissa entrainer vers le bar en disant :

- Quelque part, tu as effectivement touché une pastèque et beaucoup plus loin que les cibles prévues… tu aurais presque mérité d’être déclarée gagnante. Presque, reprit-elle avec malice une fois arrivée au bar, laisse moi me sentir victorieuse une ou deux fois.

Alors que la bonne jumelle commandait les tequila-pastèque, l’irlandaise rejeta en arrière sa chevelure noir et la rabattit nonchalamment d’un côté de son visage. Yoake était toujours là, seule, et n’avait pas l’air de s’amuser. Bien qu’elle passait un excellent moment privilégié avec Jade, Melena trouvait ça réellement mal venu de l’ignorer. Après tout, même si elle ne l’avait forcée en rien, la japonaise s’était dévouée pour l’aider et avait eu des gestes plus qu’attentionnés à son égard. Ce serait un peu de l’ingratitude de la laisser dans son coin.

- Tu viens ? proposa-t-elle à sa meilleure amie en récupérant son verre, c’est pas sympa de la laisser seule. Et puis… je crois qu’elle a besoin de la brigade MeleJade pour se dérider un peu.

Elle se faufila en slalomant entre les assoiffés, prenant soin de ne pas perdre la bonne jumelle en route, et se cala finalement à la gauche de l’hématophobe. Cette dernière n’avait vraiment pas l’air de s’éclater, et c’était bien dommage. N’était-ce pas elle qui lui avait fait un discours à l’aéroport de la Dame Rouge sur la nécessité de lâcher prise de temps en temps ? Les yeux gris de Melena, pétillant d’excitation, se tournèrent vers elle avant qu’elle ne dise :

- Qu’est-ce qui ne va pas ? Il n’y a rien à craindre pour l’instant ici, tu sais… tu vas devenir folle si tu ne te détends pas un peu. C’est toi qui m’avait parlé de ça, non ?

Il y avait de grande chances pour que l’aînée des trois filles ne reconnaisse pas l’irlandaise avec laquelle elle avait passé deux jours. La meurtrière s’était retranchée derrière l’adolescente, complètement épanouie depuis qu’elle avait retrouvé sa meilleure amie. Il y avait des choses que Yoake savait sur la nécrophobe que Jade ignorait et en cela, elles étaient aussi liées par une attache invisible. Pourtant, Melena aurait souhaité que la japonaise la retrouve dans autre chose que ses meurtres sanguinaires ; qu’elle découvre la partie humaine de sa personnalité. Elle but alors une longue gorgée de sa tequila et reprit avec un ton parodiant une femme d’affaire :

- Bon, voilà ce que je te propose : notre jeu est simple. On fait des activités : celui qui perd offre la tournée aux autres. Est-ce que ça te…

La jeune fille s'interrompit et tourna brutalement vers Jade. Elle se sentait flotter légèrement, même si elle n’était pas encore soûle, ce qui devait donner à son expression volontairement ahurie une allure encore plus lunaire.

- Mince, elle est majeure, elle…, taquina-t-elle en feignant de parler à voix basse, tu crois qu’elle va nous empêcher de boire de l’alcool ?

Une fois dit, la Japonaise regretta presque son acte, c’était peut-être trop direct pour quelqu’un comme Ian, à moins que ce ne soit pas assez et qu’elle aurait dû être franche dès le début. Elle leva les yeux et reçut de plein fouet la réflexion du jeune homme. Ce dernier se leva et quitta la paillasse laissant Yoake seule, avec 8 rubz et deux tequilas. Elle tendit l’argent à la serveuse compatissante et choisit de rester seule pour le moment à siroter son verre de Tequila pastèque.

La Japonaise restait avant tout très têtue et elle venait tout juste de se découvrir un coté très négatif. À moins que ce ne fût Ian, qui avec son air candide faisait ressortir ce trait de caractère. Elle ne lui en voulait pas vraiment d’être parti, après tout, elle lui avait refusé par deux fois qu’il lui fasse des cadeaux. C’était comme si elle voulait garder son indépendance : indépendance qui lui pesait malgré tout depuis qu’elle vivait seule dans son studio.

Alors oui, elle n’était pas contre se créer des contacts et peut être flirté un peu, mais ce monde de rêve l’empêchait d’être positive. En fait, elle se disait que ce n’était qu’un rêve, ou plutôt un cauchemar et que comme tous les cauchemars la fin était toujours des plus triste. Pourtant en entrant dans le cabinet de ce docteur, elle y croyait. Alors pourquoi une fois dans ce monde plus rien n’avait de sens ses rêves s’écroulaient avant d’avoir commencé. La colère de Ian l’avait au moins fait réfléchir.

Mais Yoake en était certaine à présent, Ian et elle ne fonctionnait pas de la même façon, certes, ils aimaient peut-être tous les deux chanter, mais ce n’était pas en chantant qu’ils se comprendraient, ils n’étaient d’ailleurs pas dans une comédie musicale. Elle avait bien sûr écouté tout ce qu’il voulait lui dire, même ce qui lui était arrivé avant son coma l’avait marqué. A présent, elle allait devoir, le retrouver et lui dire ce qu’elle ressentait. Ainsi peut-être se sentirait-elle plus légère.

On hurlait au niveau du tir à l’arc et la Japonaise vit en se retournant que Jade était porté en triomphe, l’amie de Melena avait dû exploser les records, pourtant la première pastèque était minuscule comment avait-elle fait ?

Elle porta à nouveau la tequila à ses lèvres et tenta de profiter des cris de joie des passants, après tout, elle allait devoir se reprendre si elle voulait profiter de la fête. Les gens d’Elipse ou de Quiet Hill étaient loin maintenant pourquoi s’entêter sur le passée, il y avait mieux à faire non ? Profiter des activités réapprendre à sourire, à s’amuser, boire des tonnes de ce mélange délicieux qu’était la tequila pastèque, et partager… Enfin pour ce dernier point c’était à revoir, elle était seule à présent Ian était partit, les trois gars du dirigeable disparus et Melena et Jade profitaient de…

En levant ses yeux sombres, elle remarqua la thanatophobe qui s’asseyait à côté d’elle tout comme Jade Melena demanda ce qui n’allait pas et lui rappela que c’était elle qui avait proposé de se changer les idées : quelle idiotie, elle avait eu en y réfléchissant. Elle chercha ses mots pris une autre gorgée avant de reprendre en grimaçant :

- Tu as raison, j’ai plus de mal que prévue pour profiter de cette journée et je crois que Ian, n’a pas apprécié que je refuse qu’il utilise ses premiers rubz pour me payer quelque chose, du coup, il m’a laissé seules disant que j’étais méchante…

En repensant ce qu’elle disait la Japonaise aurait pu en rire tellement c’était des gamineries, mais elle choisit de hausser les épaules devant le sourire entendu des deux jeunes femmes avant de reprendre :

- Bon d’accords, je n’y ai pas mis du mien non plus, mais il ne me plaît pas, je n’y peux rien non ?

Et c’était vrai même si discuter avec Ian pouvait être intéressant quand il se calmait, passer au flirt avec lui était malheureusement inimaginable.

Melena proposa alors le deal et Yoake sauta sur l’occasion pour sortir de ces sombres pensées. Elle s’excusera auprès de Ian dès qu’elle le verrait enfin tout dépends dans quel état elle terminera la journée.

Elle leva alors son verre pour trinquer quand Melena parla de son âge et de l’alcool.

- Je vous suis, votre jeu m’intéresse, et pour votre âge…

Elle laissa planer le doute quelques secondes avant de dire en souriant :

- On est à Dreamland non ?

Elle se tourna vers Jade et dit alors d'un ton plus sérieux:

- apparemment, tu as battu le record du Tir à l’arc non ?

Bien sûr, trop occupée à broyer du noir, elle n’avait pas vu ce qui était réellement arrivé, que ce soit de la chance de Jade ou de celle de l’homme qui avait eu la judicieuse idée de mettre un chapeau pastèque pour cette journée.

Dans la file d'attente Ian se tenait tranquille: les gens chantaient des airs entraînants, il était fasciné et n'avait plus aucune tristesse, l'incident avec Yoake était oublié.
Le jeune homme était incapable d'en vouloir longtemps à quelqu'un comme il était incapable d'être peiné pendant des heures.
Et puis la belle Asiatique était trop compliquée pour lui; il n'aimait pas les gens qui passaient leur temps à ternir le tableau de la vie, qui étaient sur le qui-vive dès qu'on était gentil ou qu'on voulait offrir quelque chose.
D'ailleurs des jolies filles, il y en avait plein partout et des bien plus rigolotes !
De toutes façons, il savait très bien ce que les autres pensaient de lui généralement, elle n'était pas la seule !
Sous prétexte que la vie l'avait doté d'un trouble handicapant, les gens le prenaient pour un simplet inconséquent.
Pourtant il comprenait tout, voyait tout; il ne savait pas trier, il ne savait pas le dire, c'était la différence.
Il n'avait pas oublié que ses parents inquiets l'avaient emmené chez un psy passer un test de QI pour lequel il avait eu 130 de résultat. Ce chiffre théorique ne lui servait pas à grand chose dans la pratique mais tout de même, il avait été fier et sa maman aussi !
Les gens sérieux ne l'aimaient pas trop non plus parce qu'il avait toujours l'air ahuri et naïf comme un petit enfant.
En fait, il ressemblait parfois au Candide de Voltaire mais ça, il ne le savait pas puisqu'il passait ses cours de littérature à construire des avions en papier à lancer aux copains dès que la prof avait le dos tourné.
Il s'était même endormi une fois simplement parce ladite prof avait prononcé: "nous allons étudier Faulkner". Rien que le nom était synonyme de "bonne nuit les petits" mais quand on ouvrait un de ses livres et qu'on s'apercevait qu'une simple phrase pouvait faire trois pages sans qu'on rencontre un point, là il s'était dit que ce n'était pas pour lui ! alors Voltaire... Un mec même pas Américain et mort depuis longtemps... Tout droit venu d'Europe, peut être même d'URSS avec sa guerre froide...
Il avait décidé, il chanterai du Michael Jackson !
ce n'était pas qu'il aimât particulièrement ce chanteur mais il savait que le parodier était synonyme de crise de rires assurées de la part du public et dans la vie, c'était cela qu'il aimait.

C'était presque son tour.
Il tourna la tête pour vérifier si les petits mômes étaient toujours là quand il vit, non loin de lui, une fille splendide avec un air de danseuse de Flamenco qui n'a pas froid aux yeux qui le matait entre ses cils mi-clos; un canon !
il lui lança un sourire et un clin d'oeil auquel elle répondit sans vergogne.
Tu veux venir chanter avec moi ? lui demanda t-il.
Non répondit-elle j'ai déjà ma chanson, je passe après toi. On s'attend ?
Voilà comme il aimait les filles ! simples, directes, pas coincées avec collet monté.
Elle ressemblait à Esmeralda, il en tomba amoureux.

Il n'eut pas le temps de lui demander son nom: on l'appelait.
Le "groupe" monta sur scène.
Il choisit de chanter "Beat it" avec la chorégraphie qui s'impose et eut un succès fou.
Les gamins étaient hilares, les adultes avaient le visage fendu jusqu'aux oreilles et sa Gitane se trémoussait en rythme.
Quand il eut terminé son show, une salve d'applaudissements, des sifflets et des cris accompagnèrent sa descente sur terre; il était aux anges, il avait rendu des gens heureux !

L'homme au micro appela la suivante. Ainsi s'appelait-elle Felizita. Il fut subjugué.
Elle avait une voix de velours comme Sade et dansait voluptueusement avec des foulards, une merveille...
Elle aussi remporta un franc succès.
A peine fut-elle descendue de scène qu'elle prit Ian par la main et l'entraîna vers une petite buvette de plein air en lui disant: Tu m'offres un verre ?
Wouah, cette fille décoiffait carrément !
Le bretelle de sa robe avait glissée sur son épaule nue et cuivrée, elle la remonta doucement en le regardant de ses yeux de braises.
Ian avait chaud aux oreilles !
il bredouilla un Oui, avec plaisir ! commanda et poussa 8 rubz vers le serveur dont le regard plongeait dans le décolleté ensorcelant.

Ils sirotèrent tous les deux le délicieux breuvage tout en regardant de loin les autres concurrents du podium. Elle avait l'air comme lui, fascinée par la musique et les jeux de scène, commentant de temps à autres: C'est Pedro, il a une belle voix et sait jouer du bandonéon ! ou Tiens, ça c'est mon oncle. C'est un alcolo fini mais tu vas voir, tu vas te marrer!
Quand elle eut fini son verre elle lui lança simplement: viens !
Il se dépêcha d'ingurgiter sa dernière gorgée et la suivit jusqu'à une petite masure en briques de terre et toit de chaume avec une grange à côté.
C'est là qu'elle l'entraîna.
A l'intérieur la paille était fraîche et Ian bouillonnant. La fille était chaude, la robe légère.
Dans sa précipitation, le jeune homme fit sauter quelques boutons de sa chemise; qu'importe, il pénétra dans le royaume des délices.
Un temps plus tard, ils s'envolèrent au septième ciel sous les hurlements de plaisir de Felizita.

La fille devait être comme lui.
A peine eurent-ils finis qu'elle se rhabilla, le pressa d'en faire autant et l'entraîna vers les stands d'objets artisanaux.
Quelques secondes lui suffirent pour choisir. Elle tendit l'index vers un bracelet à 10 rubz et lui dit:
Tu m'offres ça ?
Ian fouilla dans ses poches, en sortit 8 rubz et annonça piteusement:
Désolé, je n'ai plus assez d'argent...

Lorsque Melena lança l'idée de changer de sexe pour l'épouser, Jade ne put s'empêcher de réfléchir sérieusement à la question. Oui, c'était parfaitement délirant mais... est-ce que ce n'était pas ça, la solution ? Elle aimait les hommes, c'était un fait. Mais elle ne pouvait concevoir, ne serait-ce que de flirter avec eux pour l'instant. Est-ce qu'elle aurait le même blocage si elle savait qu'à l'origine l'homme qui la tenait dans ses bras était une femme ? Une personne capable de comprendre ce qu'elle avait vécu et d'agir en conséquence ? Les nanas avaient beau être des reines pour se crêper le chignon, personne d'autre que quelqu'un du même sexe ne pouvait  saisir toutes les nuances de votre esprit. C'était comme ça, une simple histoire de chromosome... les hommes avaient perdu celui qui servait à déchiffrer les pensées féminines. Oui, en soit c'était logique, mais lorsque la psychotique tenta de se représenter en compagnie d'un double masculin de sa meilleure amie elle ne put s'empêcher de froncer les sourcils en murmurant, à peine audible :

- Non, ce serait vraiment trop bizarre.

Cette question existentielle mise de côté, elle prit place au bar à la droite de Mel', glissant sur la table les 8 rubz nécessaires pour qu'on leur fournisse deux tequila-pastèques. Lorsqu'on fit glisser leurs verres devant elles, sa camarade lui proposa de se lancer dans une opération « journée entre filles » pour tenter de rendre le sourire à la pauvre Yoake. Jay se retint de dire qu'après l'énorme râteau qu'il avait dû vivre c'était plutôt à Ian qu'il aurait fallu remonter le moral. De toute façon, ce pauvre garçon s'était évaporé dans la nature.  Dans ces conditions, pourquoi ne pas faire plus ample connaissance avec cette fille ? Si Melena l'appréciait, c'est qu'elle devait être une fille bien.

Son verre entre les mains, la mauvaise jumelle suivit le mouvement jusqu'à rejoindre l'asiatique à qui l'on expliqua brièvement leur « projet » du jour, c'est à dire se bourrer la gueule dans la joie et la bonne humeur, en tentant de ne pas être trop médiocre pour ne pas être celle qui finirait sur la paille. Mais lorsque les histoires de majorité atterrirent sur le tapis, Jay ne put s'empêcher de grimacer. Si Yoake était une rabat-joie ça risquait tout de suite de gâcher la journée... bien heureusement, ce n'était pas le cas ! Le rictus se changea en sourire quand Dreamland fut invoqué comme raison suffisante pour faire ce qu'on voulait. Ca c'était de la logique comme elle aimait !

- Tout à fait ! Et puis soyons franches : si ça se trouve, l'âge légal pour boire dans cette ville est bien plus bas que chez nous...

Comme pour confirmer ses paroles, un gamin d'à peine dix ans se fraya un passage dans la foule, un cocktail entre les mains. Jade le suivit du regard, amusée, avant de se tourner vers Yoake qui s'informait de ses théoriques performances au tir à l'arc. Elle ne put s'empêcher de rire devant l'énormité de la déclaration. Tout le monde dans cette ville la prenait pour une amazone, l'hématophobe y compris. Si seulement ils savaient !

- J'ai failli tuer le présentateur de la foire. Elle leva l'index, le majeur et l'annulaire avec l'air le plus sérieux du monde. Trois fois. Une chance qu'il porte un chapeau sur le crâne... et tout le monde croit que je l'ai fait exprès. Tu penses que ça va m'apporter des points bonus ?

Elle ne put s'empêcher de rire de nouveau avant d'avaler une longue gorgée. Plus elle buvait, moins elle sentait l'alcool. La magie de l'éthanol... Pour l'instant les effets restaient discrets mais il ne faudrait qu'un ou deux verres de plus pour qu'elle commence à dire des bêtises. Ou alors c'était déjà le cas ? On était jamais trop sûr de rien quand on se mettait à trop lever le coude.

Le niveau dans son verre baissait dangereusement ce qui signifiait que la prochaine attraction était proche. Par où commencer ? Il y avait tellement de choix... la seule chose certaine était la réservation du rodéo pour la toute fin. Pourquoi ne pas tenter la course d'obstacles, tiens ? Elle était aussi dingue que le reste, entre les fossés remplis de jus de pastèque, les fruits géants découpés pour représenter des obstacles, des tunnels, des haies à sauter... On se serait cru dans le rêve délirant d'un mec en pleine indigestion. Mais pourquoi pas ? Désignant le stand situé dans son dos, la psychotique proposa avec enthousiasme :

- Allez, je vote pour ça ! Ne vous défilez pas les filles... à moins que vous ayez peur de perdre ? Faites gaffe hein ! Si vous refusez, vous êtes déclarées perdantes d'office !

Autant dire qu'elles ne se firent pas trop prier pour la suivre. La queue était assez longue, ce qui leur laissait le temps de discuter un peu sous le soleil de plomb. Bon sang qu'elle regrettait de ne pas avoir investi dans une casquette ! Il tapait si fort à présent qu'elles allaient toutes les trois se retrouver à coup sûr avec de monstrueux coups de soleil. Enfin... surtout Melena et Yoake. Avoir des parents portoricains avait du bon, et pas que pour le charme latin !

- Alors dites moi... vous vous êtes connues comment? Devant le blanc provoqué par sa question, Jade ne se laissa pas démonter, embrayant aussitôt sur sa propre expérience. Mel' et moi, on avait été vendue ensemble comme esclave dans un Colisée de pervers. La suite est assez folklorique, entre ramassage de capotes, cuite, incendie, fessée publique et combat à mort. Je crois que tout à Dreamland finit toujours par un combat à mort.

L'adolescente essaya sérieusement de se remémorer une de ses expériences Dreamlandienne qui ne s'étaient pas finie par « tu risques de mourir ma vieille ». Là, comme ça, elle avait du mal à trouver ne serait-ce qu'un seul exemple. Est-ce que cette foire allait finir de la même manière ? Il fallait espérer que non.

Ainsi donc Ian avait vraiment essayé de draguer la japonaise. Il ne traînait pas en besogne décidément, aussitôt rencontrée, aussitôt gâtée. En vérité, la brunette ne savait pas si elle aurait été flattée ou, à l’instar de son aînée, gênée par ce comportement.

- Non, non, rien…, répondit-elle simplement à la question rhétorique de l’hématophobe.

Melena parodia des applaudissements quand Yaoke valida qu’elles avaient le droit de boire de l’alcool. De toute façon, elle ne s’en serait pas remise à son avis. C’était juste histoire de voir si elle allait jouer les rabat-joies ou pas. D’ailleurs, la théorie de Jade se tenait et l’irlandaise se contenta de hocher la tête en signe d’approbation avant de boire une gorgée de sa tequila. Elle rit de concert avec sa meilleure amie quand elle avoua n’avoir pas fait exprès de tirer trois fois dans la tête du chef de la ville. Heureusement qu’ils n’étaient pas susceptibles dans le coin.

C’était bon. Se trouver entre copine. Aussi loin que Melena pouvait se souvenir, ça n’était jamais arrivé. Pas comme ça du moins, pas avec des personnes dont elle se sentait réellement proche. Elle avait envie de sourire, de plaisanter, de se confier, de rire, de rêver. Sa tête se remplissait d’envies adolescente : aller faire du shopping, voir un film au cinéma, discuter pendant des heures d’un mec pour lequel elle en pince, manger des pizzas en pyjama devant une série, … toute cette vie superficielle qu’elle n’avait jamais eu – et qu’elle n’aurait jamais.

- Ça ?! T’es sûre ?!  

La nécrophobe ne poussa pas plus loin sa contestation, elle n’avait pas envie d’être déclarée perdante d’office, mais quand elle regardait le parcours d’obstacle, elle aurait cru voir ces jeux estivaux à la télé où des gens essayaient d’escalader des tapis roulant couverts de savon – ce genre de trucs. En fait, elle n’avait pas vraiment envie de se retrouver couverte de jus de pastèque sans pouvoir laver ses vêtements ni se changer. Elle finit son verre et suivit sa meilleure amie, la main en visière pour empêcher le soleil brûlant de carboniser ses yeux trop pâles. Il n’y avait aucun doute : elle allait finir cuite. Sa peau blafarde d’irlandaise n’était pas faite pour supporter le cagnard.

Ajouté à l’alcool, la chaleur était étouffante. Melena s’éventait d’une main, essayant vainement de s’apporter un peu d’air. La queue s’annonçait longue et en vérité, elle avait encore soif. Est-ce que ça valait le coup s’avouer vaincue même si elle devait payer elle-même la prochaine tournée ? C’était pendant qu’elle se penchait très sérieusement sur cette question que la psychotique demanda comment la thanatophobe et l’hématophobe s’étaient rencontrées. Si la britannique avait laissé passé un blanc, c’était réellement parce que sur le moment, elle avait oublié. Puis, lentement, le film se redessina dans son cerveau légèrement embrumé par les tequilas.

- Oh mon dieu le nettoyage du Colisée… d’ailleurs j’avoue que j’ai pas été très fairplay à ce moment, je me souviens que j’ai refusé de poser un doigt sur les capotes pleines et que tu as dû toutes les ramasser toute seule. Melena leva les yeux au ciel, un index sur ses lèvres fines, comme si elle réfléchissait. J’étais réellement une amie de merde… j’ai fait un ou deux stages entre temps.  

Elle gratifia Jade d’un sourire, osa même un clin d’œil complice, et se tourna vers Yoake pour croiser son regard. Leur amitié avait commencé d’une drôle de façon,  n’est-ce pas ? Ou en fait, d’une façon tout à fait traditionnelle pour des voyageurs malchanceux.  

- On s’est rencontrées à Elipse, raconta l’irlandaise, je ne sais pas si tu as pu voir dans le journal que j’ai aidé la ville à arrêter une voyageuse un peu cinglée… c’était une pauvre fille en fait, reprit-elle après un moment, traumatisée, laissée pour morte par les elipsiens, et elle revenait se venger… bref. J’ai dû m’en charger parce que mes… euh… les gardiens de Freedoom voulaient que je leur livre…  

Machinalement, ses doigts blancs glissèrent dans le léger décolleté de sa chemise, là où l’on pouvait voir une partie du tatouage de la Paresse. La douleur était endormie depuis longtemps et pourtant, elle ressentait comme un écho de la brûlure cuisante. Marquée comme du bétail disait Dakota.

- Tiens d’ailleurs, j’ai été aidée par l’autre gamine insupportable du Slavedog Millionnaire là. Dakota, Melena fit une grimace qui en disait long sur ses sentiments pour la phobophobe, donc j’étais là-bas, Yoake est apparu de nulle part tellement paumée qu’il y avait écrit « voyageuse » sur son front – désolée, c’est vrai – et… je me suis arrangée pour la faire sortir avec moi. L’avantage de ça, c’est que j’ai une immunité diplomatique dans la capitale des anti-voyageurs !  

Elle montra ses bras couverts de cicatrices mais regretta aussitôt sa plaisanterie. Il était encore trop tôt pour en rire, elle se doutait que Jade se sentirait aussi mal qu’elle en cet instant. Heureusement, les quelques milligrammes d’alcool qu’elle avait dans le sang l’aidait à résister à la vague de noirceur qui menaçait d’envahir son cœur. Avec un sourire teintée de remord, Melena prit la main de son amie dans la sienne pour la serrer tendrement. Souhaitant détourner l’attention de sa bourde, elle dit :

- Vous ne croyez pas qu’on puisse se trouver des maillots de bain pour la course d’obstacle ? Déjà, bon, il fait chaud, et puis j’ai pas spécialement envie de plonger dans une mare de pastèque comme ça !

Yoake ria quand Jade expliqua « sa victoire » au tir à l’arc. Le présentateur avait peut-être eu beaucoup de chance dans l’histoire et finalement la Japonaise n’aurait peut-être pas dû en rire, mais l’alcool aidant, elle choisit de laisser son caractère responsable de coter pour cette fois et répondit :

- Peut-être qu’en fait, il y a avait quatre pastèques cible… En tout cas si tu n’es pas récompensé pour cet exploit, je ne comprends pas.

Elle termina son verre avec les deux autres filles et ajouta :

- En fait, le présentateur même devrait te remercier d’avoir visé son chapeau et pas ailleurs.

C’est alors que la japonaise reconnue la voix du chanteur, c’était Ian. Il chantait Beat It, dans un sens ça lui ressemblait et il se débrouillait très bien, mais c’était tout.
L’hématophobe ne regrettait rien, même pas le duo qu’elle aurait pu faire avec lui. En fait à la fin de sa chanson, Yoake ressentit en elle du soulagement, il semblait être passé à autre chose peut être que leur retrouvaille serait-elle différente après tout, il restait un ami de Jade et donc quelqu’un qu’elle devrait surement côtoyer à nouveau.

Elles se levèrent et Jade choisit la prochaine attraction ne laissant pas les deux autres discuter son choix : le parcours d’obstacle. Yoake avait légèrement blêmi en le voyant : combien d’obstacle ? Combien de chance pour elle de se blesser ? Elle était pratiquement sur le point de se retourner pour annoncer son forfait quand elle sentit finalement son cœur se serrer : elle ne pouvait pas refuser, pas quand il s’agissait de s’amuser toutes les trois. Son regard se posa sur sa main, elle tremblait de peur, c’était comme un message de prévention que lui transmettait sa phobie, mais c’était trop tard la Japonaise déjà suivait les autres filles dans la file tout en fixant chaque obstacle. Il s’agissait de vraies pastèques aucune raison de se blesser non ? Ce n’était que du jus et la chaire de pastèques devait être molle. Aucun risque ! Se força-t-elle à penser pour combattre sa phobie.

Yoake se tourna vers les deux autres filles pour suivre la discussion, elle connaissait un peu ce qui liait Jade et Melena grâce à cette dernière, mais elle apprécia les précisions que donnait la psychotique à toute cette histoire, le Colisée et ces pervers… Et forcément, un combat à mort, la Japonaise frissonna alors en pensant à ses propres meurtres et heureusement l’Irlandaise pris la parole lui permettant ainsi de conserver sa bonne humeur. Elle croisa son regard et sourit en repensant à son arrivée à Dreamland, en plein dans la ville anti-voyageurs. Elle n’aurait pas pu choisir meilleurs endroit. Elle parla aussi de Dakota et la Japonaise se rappela ce qu’elle avait fait, c’était à la fois très lointain et très présent en elle, cette peur que l’adolescente avait fait naitre en elle n’était pas prête de s’atténuer, c’était comme sa cicatrice sur son abdomen, on ne l’effaçait pas comme ça.

Melena montra ses bras couverts de cicatrice et stopa soudainement gênée, Yoake elle fixait les cicatrices de son amie respirant doucement elle s’y était habituée et pouvait cette fois encore échapper à une crise. Elle ajouta finalement :

- J’ai vraiment eu de la chance dans mon malheur de tomber sur Melena, le chef de police ne voulait pas me laisser partir.

Dire qu’il y avait tout juste deux jours, elle ignorait ou elle était et quel était son crime. Elle posa finalement son regard sombre sur Jade et continua.

- En te cherchant, on est ensuite tombé dans un village de cannibale, on a réussi à fuir et je pense que ça a resserré nos liens.

Elle avait soigneusement évité de parler de leurs meurtres ni d’Alicia et de Zephyr ce n’était pas à elle d’en parler. Elle ne voulait surtout pas gâcher la fête pas maintenant que Melena était redevenue l’adolescente de 17 ans.

Melena proposa alors d’acheter des maillots de bain pour l’épreuve. Yoake qui transpirait sous son pantalon et ses bottines, trouvait l’idée excellente, elle leva les yeux et trouva finalement comme par magie, ou plutôt comme par logique commerciale un stand vendant des maillots colorés aux motifs floraux et des paréos juste à cotée une maison en pierres derrière le stand devait servir de cabine d’essayage.

- Bonne idée, je suis en train de fondre dans cette tenue, il y a un stand de maillot là-bas, on y va ?

Les trois filles s’y rendirent donc, tandis que la Japonaise regardait un à un les maillots proposés avec envie, elle se disait finalement en sentant le soleil la brûler que trouver un chapeau en plus ne lui ferait pas de mal pour éviter l’insolation. Enfin tout dépendait du prix, car sa bourse n’était malheureusement pas illimitée.

Une fois sur le stand, elle se détourna rapidement des bikinis, n’ayant aucune envie de montrer sa cicatrice cachée sous son stickers de peau et trouva finalement une robe de bain couleurs pastèques qui mettrait surement en avant sa poitrine en la retournant, elle trouva le dos très jolie avec ses liens qui permettrait surement d’ajuster le tissu. Son choix était donc fait, elle jeta un œil aux deux jeunes filles pour voir ce qu’elles avaient trouvé.

Ian avait l'intention de se marier sur le champs sans passer par la case fiançailles.
Cherchant des yeux l'église il se dit qu'ils habiteraient dans la petite maison de terre, qu'ils cultiveraient de la pastèque plein les champs et qu'ils auraient beaucoup d'enfants.
Mais Felizita n'avait pas l'air de l'entendre de cette oreille.
Elle avait cru être tombée sur le bon pigeon voyageur plein aux as et était très déçue.
C'est bien ma veine ! lança t-elle d'une voix rauque en le foudroyant du regard et en laissant retomber brutalement le bracelet sur l'étal.
Elle le toisa de toute sa hauteur de manière méprisante et ajouta: dans ma famille on est tous pauvre et toi tu n'es même pas fichu de m'offrir un bracelet à 10 rubz, tu n'es qu'un nase.
Le jeune homme rempocha piteusement sa monnaie ne sachant trop ni que dire ni que faire.
Il suivit bêtement la jeune fille à travers les stands, à un mètre derrière, la regardant tâter l'étoffe des vêtements, en regarder le prix et dire tout fort: Pfff... 50 rubz.... Tu n'es pas prêt de me la payer cette robe !

Au bout d'un moment Ian décrocha. Le cinéma était un peu long, il commençait à s'ennuyer sérieusement d'autant qu'il ne savait pas quoi répondre à l'Esmeralda.
L'argent était tombé comme ça dans sa poche, il ne savait pas s'il en aurait encore ni quand ni pourquoi.
Lui avait trouvé cela très bien que Dreamland fournisse d'un coup 20 rubz d'argent de poche sans travailler, il ne se voyait pas demander plus, et à qui de toutes façons ?
N'écoutant plus les récriminations de Felizita il se mit à avancer plus rapidement, scrutant les stands de jeux gratuits à la recherche de celui qui lui plairait.
Il s'arrêta pile devant une course d'obstacle qui lui sembla être la chose la plus drôle qu'il n'ait jamais vu.
Les candidats se vautraient dans des fossés de jus de pastèque, tentant tant bien que mal de se glisser sous des tunnels de pastèques géantes découpées ou sauter des haies dégoulinantes de suc.

Tandis qu'il regardait les gens en maillots de bain ou en simple slips se démener dans la bouillasse visqueuse il ne sentit pas la main de Felizita glisser furtivement dans sa poche de pantalon et subtiliser discrètement son argent avant de se volatiliser dans la foule.

Quand il eut bien intégré la règle du jeu, il se retourna, chercha sa belle du regard mais ne vit personne.
Interloqué, il dirigea ses pas vers un marchand de maillots et autres robes de plage; rien.
Il s'apprêtait à repartir quand soudain il aperçut Milly à demi cachée, fouillant dans les bikinis multicolores.
Il aimait bien Milly, c'était une vraie copine, c'est à dire qu'il l'aimait très fort mais n'en était pas amoureux.
Milly !!! s'écria t-il tout heureux tu viens jouer à la course d'obstacle ?
Il lui plaqua un baiser sur la joue de contentement et attendit bien droit et immobile la réponse; il avait bien retenu la leçon: Milly aimait qu'on l'écoute.
Il espérait qu'elle ne serait pas trop longue car il venait d'apercevoir la trop belle Melena et aurait bien voulu faire connaissance même s'il n'était pas amoureux d'elle non plus.
Quant à Yoake, elle se regardait dans un miroir, ajustant une petite robe neuve splendide qui mettait ses seins très jolis en évidence mais... Voilà, il n'en était plus amoureux. Ces choses là ne se commandent pas.

Un détail l'interpela: il n'avait pas de maillot ni de caleçon de rechange; il n'allait tout de même pas plonger dans le jus avec ses vêtements !
il s'approcha du rayon garçon et vit un petit paquet en évidence sur une table pliante.
Il s'approcha et lut le mot qui y était accroché: "Cadeau de la maison pour Ian, bienvenue à Dreamland !"
Emu, il se tourna vers Milly qui avait l'air de lui faire signe de l'ouvrir. Il s'exécuta et découvrit avec plaisir deux caleçons à fleurs, nommés "sous-vêtements de rechange".
Sautant de joie, il se dirigea vers une cabine d'essayage afin d'en enfiler un.
Quand ce fut fait il lança aux trois filles: je suis prêt ! vous venez ?

Sa théorie du danger permanent se vérifiait, et la large palette de possibilités sous laquelle il se présentait ne cesserait jamais de la fasciner. Non, Jade n'avait pas lu le journal et accueillit donc le récit avec un étonnement poli. Elle avait un peu de mal à imaginer Melena en Lucky Luke des temps modernes et, avouons-le, en sauveteuse des âmes désespérées. Les raisons qui l'avaient poussé à combattre aux côtés de Dakota étaient aussi assez obscures... elle était adepte, elle aussi ? C'est fille était si calculatrice qu'il devait y avoir « Casio » gravé à l'arrière de son crâne, on la concevait difficilement chasser les terroristes, ordres ou pas. Yoake avait beau confirmer, il y avait forcément des données manquantes dans l'histoire mais l'irlandaise aurait tout le temps de combler les blancs vu que leur duo de choc n'était pas prêt de se séparer de nouveau !

Sur la peau d’albâtre de Mel', les cicatrices dévoilées étaient si peu voyante et Jade passa totalement à côté, n'offrant à son amie qu'un sourire sincère, quoi sceptique sur l'utilité d'une immunité diplomatique à Elipse. Le principe de cette ville une fois qu'on la connaissait, c'était de ne plus jamais y mettre les pieds. Ne pas subir de tentative de meurtre ni d'arrestation injustifiée ne voulait pas dire qu'on ne subirait pas pour autant la haine des habitants, lourde chape de plomb qui ne vous quittait qu'une fois dans les profondeurs des égouts. On pouvait rêver mieux, comme destination pour ses vacances...

- Génial... Ironisa-t-elle. Tu sais, j'ai ma tête placardée partout là-bas, sur de belles affiches « morte ou vive ». Immunité ou pas, il faudrait me traîner par les cheveux pour que je foute un seul pied dans cette ville.

Seule l'euphorie apportée par l'alcool l'empêchait de revoir le visage de cet adolescent qui l'avait tenu en joue avant... non. La journée était trop belle pour la ternir avec ce genre de souvenirs. Mieux valait se concentrer sur les choses positives, comme ce que lui avait dit l'asiatique, concernant sa récompense potentielle. C'était maigre face à l'horreur d'une légitime défense mortelle, mais c'était mieux que rien.

Comme si elles avaient senti son malaise, les filles proposèrent soudain d'investir dans un maillot de bain pour l'épreuve à venir. Jade n'en avait pas besoin, pour sa part, mais une séance de lèche-vitrines ne pourrait pas faire de mal. La psychotique hocha donc la tête en guise d'assentiment, suivant ses camarades jusqu'au stand mercantile. Il y en avait vraiment pour tous les goûts, d'ailleurs l'hématophobe fit vite son choix et se tourna vers elle, curieuse. Jade lui adressa un sourire en coin avant de lui souffler, hors de portée des oreilles du marchand :

- Je n'achèterai rien, tu sais. J'ai déjà ce qu'il faut. Ce n'est pas vraiment un maillot de bain mais... je suppose que ma tenue d'esclave sextusienne fera l'affaire.

Une bande pour les seins, un string et des voilettes bleues à clipser dessus, ça ne serait pas pire que certains des bikinis parmi lesquels elle farfouillait. Il ne lui suffirait qu'à aller la récupérer rapidement à la consigne ! Alors qu'elle s'apprêtait à fausser temporairement compagnie à Melena et Yoake afin de mettre son projet à exécution, Ian surgit devant elle pour lui plaquer un baiser sur la joue, gelant l'espace d'un instant ses capacités cognitives. Que ? Quoi ? Qu'est-ce ? C'était si soudain qu'il lui fallut une demi seconde pour comprendre la question qu'on lui posait, et qui la posait.

- Je... euh... oui, c'est déjà prévu en fait. On se changeait pour ça.

Visiblement fier de sa patience, l'hyperactif lui adressait un sourire rayonnant qu'on ne pouvait que finir par lui rendre. Si le contact rapproché l'avait stressée de prime abord, la conduite candide du jeune homme vint à bout de ses dernières réserves.

- Je reviens tout de suite, attendez-moi !

L'adolescente fila vers les consignes pour récupérer son bien. Lorsqu'elle revint, ses camarades étaient retournés dans la queue et leur tour était presque arrivé. Jay se glissa entre les badauds, rouge comme une tomate dans cette accoutrement qu'elle n'avait pas l'habitude de porter en public. A dire vrai, elle se sentait presque nue mais mieux valait ça que d'imbiber son jean de jus de pastèque. Arrivée enfin à hauteur du trio, on les invita à s'avancer pour prendre place sur la ligne de départ. Une seule consigne : faire de son mieux sans s'aider d'artefact magique. Ce qui voulait dire...

- On a le droit aux pouvoirs, par contre ? Murmura la bonne jumelle avec un sourire en coin.

Si c'était le cas, la course allait s'avérer être un vrai jeu d'enfant... à elle la tequila gratuite ! « Milly » était plus à bloc que jamais quand elle prit place, prête à pulvériser le record. Lorsque le décompte commença, elle adressa un sourire complice à Melena et lorsque le « partez ! » retenti, elle se mit à courir à toute allure. Le premier obstacle se dressa rapidement devant elle, une pastèque géante dans laquelle il fallait se frayer un chemin. Tous les concurrents se hissèrent tant bien que mal pour ramper dans les entrailles juteuses des fruits... et Jade ? Elle passa au travers.

Droit devant, flottant sans même toucher le sol, les obstacles n'étant plus qu'une bonne blague pour la personne inconsistante qu'elle était devenue. En réalité, elle aurait même pu se passer de se changer, dans ces circonstances. Et une victoire facile, une !

Elle franchit la ligne d'arrivée sous les hourras de la foule, un gigantesque sourire sur le visage. Elle leva deux doigts pour former un V de la victoire alors que le responsable du stand la félicitait, à peine audible dans tout ce brouhaha. Les autres concurrents, dont ses amis, avaient encore un long chemin à faire avant de la rejoindre... de quoi rendre sa victoire encore plus éclatante ! Ils arrivèrent les uns après les autres, et lorsqu'ils furent enfin tous venus à bout de l'épreuve elle leur tira la langue, taquine.

- Soyez pas jaloux ! Bon... qui a l'honneur de payer son coup, cette fois, hum ?

Melena avait haussé les épaules et regardé ailleurs quand Yoake avait complété son discours en évoquant l’épisode de Quiet hill. Elle n’avait pas envie de parler de ses crimes. Pas maintenant. Parce qu’elle ne voulait pas être vue comme une meurtrière, mais aussi parce qu’elle se doutait que son amie culpabiliserait qu’elle ait eu à traverser ça. Heureusement, Jade n’avait pas relevé. Elle se contenta d’affirmer, comme tout voyageur – à peu près – sain d’esprit, qu’il faudrait la traîner de force pour revenir à Elipse. A ça, l’irlandaise ne put qu’acquiescer en hochant la tête. Elle aurait mille fois préféré ne pas avoir ce privilège. Jamais.

Les maillots de bain étaient une merveilleuse diversion et l’alcool aidant, la thanatophobe oublia bien vite ses humeurs maussades. Qu’allait-elle choisir ? Une petite voix s’éveillait en elle, lui soufflait qu’elle voudrait plaire – qu’elle pourrait plaire – mais elle se refusait à choisir un modèle trop tape-à-l’œil. La psychotique parla de remettre sa tenue sextusienne, Melena eut une grimace de désapprobation à cette idée.

- Sérieusement ?! Je reconnais bien le côté nostalgique mais… je préfère payer 5 rubz que de montrer encore mon cul dans ce truc là…

Sa meilleure amie n’eut pas l’occasion de lui répondre puisque Ian revint de son exil et lui colla un baiser sur la joue. La britannique jeta à la latino-américaine un regard taquin qui signifiait « ouai, rien du tout entre vous, c’est claiiiir » puis elle se consacra aux maillots. En fait, elle désenchanta très vite : si les robes de bain couleur pastèque étaient assez soft en termes de design, le reste était immanquablement bariolé, coloré, motifs aztèque et autres patchworks graphiques. En faisant défiler les modèles, Melena murmurait :

- Moche, moche, moche, très moche, moche, oh-mon-dieu,…

Pas un seul exemplaire unicolore. Après un bon moment d’hésitation, elle se décida pour celui qui lui parut le moins hideux sur le moment. Dans la cabine d’essayage, elle s’observa longtemps dans le miroir archaïque qui lui renvoyait l’image d’une jeune fille aux cheveux sombre et à la peau trop pâle qui avait enfilé un maillot de bain coloré. Au moins, on ne voyait pas complètement le tatouage entre ses petits seins, et son grain de beauté significatif au creux de l’épaule gauche se démarquait bien. Il ne restait que ses cicatrices… mais aller, soyons honnête : personne ne les verra, tous les regards seront pour ses hanches plutôt bien dessinées.

L’irlandaise eut un vague sourire. Elle ne se trouvait pas vraiment jolie, mais elle n’était pas si mal à cet instant. Quant elle ressortit de la cabine, Jade n’était plus là, mais Yoake et Ian l’attendaient. Ian. A y réfléchir, il n’était pas moche. La nécrophobe n’oserait JAMAIS piquer le mec qui était dans la ligne de mire de sa meilleure amie, mais si elle n’était vraiment pas intéressée… oh mais à quoi elle pensait ?! Ça c’était de la faute de Jade et de ses histoires de « flirter c’est bien, ça détend ». Manquerait plus que ça ! Un sourire se dessina sur le visage ivoirin de la jeune fille, dont elle seule avait le secret. De retour dans la queue en compagnie de l’homme de la bande et de la japonaise, ses vêtements à bout de bras, Melena rajusta une bretelle de son maillot et rejeta sa chevelure d’ébène en arrière avant de marmonner :

- Bon en fait, quand on s’est un peu habitué, c’est pas si terrible, si ?

En fait, elle s’adressait plutôt à l’hématophobe et son avis féminin, mais rien n’empêchait Ian de participer. Jade arrivait justement, alors qu’ils étaient presque arrivés, et l’irlandaise n’eut pas le temps de lui faire part d’autres questions sur sa relation avec le blondinet. Elle confia ses vêtements propres à un membre du staff avant de se mettre en position.

- Comment ça « aux pouvoirs » , souffla-t-elle, qu’est-ce que tu vas…

Elle suspendit sa question parce qu’elle avait compris. Conformément aux règles du jeu, c’était tout à fait loyal, même si elle essayait déjà d’imaginer mille scénarii pour empêcher sa meilleure amie d’arriver à ses fins. Rien. Pas possible, bien évidement. Melena tira la langue à sa comparse et passa en revu ses propres dons. Elle dût se rendre à l’évidence, non sans dégoût, qu’ils étaient parfaitement inutile dans ce genre de situation. Ne lui restait plus qu’à battre Yoake sans artifice.

Coup d’envoi. Elle était partie en trombe. Aller, comment la japonaise pouvait la battre de toute façon ? Elle était à Dreamland depuis des mois, son corps étaient habitué à des épreuves bien plus difficiles que ça ; et il était plus endurant aussi. Au premier obstacle, elle était devant. Au deuxième – sauter par-dessus des tranches de pastèques de taille impressionnante – elle l’était aussi. Ensuite, vint le bassin remplit de jus qu’il fallait traverser à la nage. Soit, elle n’était pas une nageuse d’exception et c’est là qu’elle perdit son avance. Au moment de ressortir de l’autre côté du bassin, elle vit que Yoake commençait déjà à se hisser pour retrouver la terre ferme. Avec un cri de guerre enfantin, Melena attrapa son amie à la taille et la tira en arrière pour la faire replonger dans la piscine rougeâtre. Elle riait aux éclats quand elle grimpa à son tour hors du bassin et se retourna vers la japonaise pour lui lancer avec un clin d’œil :

- Désolée, je suis sûre que les tequilas sont meilleures quand c’est toi qui les offres !

Jade indiqua alors qu’elle avait déjà ce qu’il fallait : la tenue d’esclave de Sextus. En écoutant Melena, la Japonaise remarqua tout de suite son regard désapprobateur… Cet échange donnait surement un avant-goût de la fameuse tenue. Yoake s’apprêtait d’ailleurs à enchaîner, mais Ian arriva à ce moment-là claquant un bisou sur la joue de Jade proposant par la même occasion de faire, lui aussi, le parcours d’obstacle.

La jeune femme ne savait pas vraiment ce qu’elle ressentait, en le voyant comme ça… Ce n’était pas de la jalousie, mais comme un pincement au cœur. Elle n’aimait pas voir les gens souffrir, mais revoir le blondinet sourire comme si leurs disputes n’étaient qu’un mauvais rêve, était surement à l’origine de son malaise. Peut-être aurait-elle dû être franche avec lui dès le début, lui dire qu’il ne lui plaisait pas, ça évitait les malentendus de ce genre. En même temps, elle n’allait pas dire à chaque homme qu’elle croisait ce qu’elle pensait de lui. Les dernières paroles qu’avait dit Ian avant de partir lui revenaient en mémoire comme une claque. Elle n’était pas si méchante à l’origine, elle estimait plutôt lui avoir rendu service en réagissant comme ça.

Elle leva les yeux et choisit de se changer les idées, après tout, c’était la fête non ? Elle trouva quelques chapeaux de paille sur le comptoir, et se rappela que sa tête en réclamait un, si elle ne voulait pas continuer à cuir au soleil de cette façon. Elle en essaya un et se regarda dans un miroir : le foulard coloré entourait le tour du chapeau et retombait le long de ses cheveux sombre et Yoake décida de se faire plaisir après tout, elle éviterait au moins l’insolation. Après avoir dévisagé le vendeur pour s’assurer qu’il n’est aucune cicatrice, la Japonaise paya les 10 rubz demandés et regarda autour d’elle : Melena se dirigeait vers les cabines d’essayage, et Jade annonça subitement qu’elle revenait tout de suite. Il ne restait plus que Ian et elle, l’occasion parfaite de s’expliquer :

- Écoutes, je crois qu’on est parti du mauvais pied toi et moi, je pense que tu l’avais deviné, mais je ne veux pas sortir avec toi.

C’était dit, elle avait mis le phrase tabou et n’osait imaginer la réaction de Ian. L’alcool aidant et le silence qui suivit sa déclaration gênant, elle continua :

- Je pense qu’on ne réfléchit pas du tout de la même façon tous les deux, mais je ne veux pas non plus que ce soit la guerre surtout qu’on va devoir rester un temps tous les quatre.

Elle compléta :

- Repartons à zéro, du moins en tout amitié.

Elle écouta la réponse de Ian, espérant qu’elle ne serait pas aussi sèche que la dernière fois, c’est à ce moment que Melena sortit de la cabine. Et la Japonaise se mit à sourire la journée était loin de se terminer, ils avaient largement le temps de profiter des Tequila pastèque, et des activités de la foire tous les quatre.

Une fois dans la queue, la Japonaise rangea ses affaires dans son sac, quand l’Irlandaise demanda son avis sur sa tenue.

- Tu déconnes, ce maillot de bain te va très bien. Tous les hommes vont te laisser passer dans cette course. Je me demande même si c’est réglementaire.

Le sourire de la Japonaise s’élargit en disant ça, après tout, elle ne mentait pas, contrairement à ce que devait penser l’Irlandaise les dessins floraux de son maillot de bain mettait ses formes en valeur et faisait ressortir ses yeux gris et ses cheveux d’ébène. Elle ignorait le penchant de Melena pour les femmes aussi posa-t-elle son regard sur les obstacles, cherchant un moyen d’éviter de se blesser inutilement. En fait, elle avait peut-être besoin de boire un peu plus, si elle voulait oublier sa phobie. Peu de temps après, Jade les rejoint et Yoake eu tout le loisir de voir la tenue d’esclave de Sextus. Elle ne fit aucun commentaire, mais elle se remercia de ne pas avoir consulté plus tôt, et d’avoir ainsi évité d’être vendu comme esclave et surtout d’avoir eu à porter cette tenue. Personnellement, elle l’aurait même brûlée plutôt que de la garder en souvenir dans ses affaires. Elle n’était pas forcément pudique, mais hors de question de montrer son sticker de peau.

Tous se placèrent sur la ligne de départ et la Japonaise tenta de se concentrer, se parcours d’obstacle ne lui ferait pas de mal (façon de parler), et l’habituerais surement à Dreamland. Jade parla alors d’utiliser ses pouvoirs et le départ fut lancer : Yoake s’élança comme elle pouvait et remarqua tout de suite ou la jeune fille blonde voulait en venir d’un ange, elle se transforma en fantôme et passa au travers de la pastèque, Yoake faillit se prendre la pastèque suite à l’étonnement, mais elle se reprit juste à temps et se jeta sur l’obstacle en même temps que les autres concurrents.

Ce n’était pas facile, la chaire de la pastèque freinait sa course et une fois au sol ses muscles la faisaient souffrir, pourtant, elle continuait d’avancer et passa les obstacles un à un jusqu’à la piscine de jus de pastèque. La Japonaise trouvait la baignade plus rafraichissante que collante, elle continua sur sa lancée et dépassa Melena sans s’en rendre compte, elle se hissa finalement hors de la piscine quand une main la fit replonger dedans : c’était la thanatophobe.

Yoake lui sourit en retour. Ce n’était qu’un obstacle de plus à franchir, et Melena avait réveillé en elle sa détermination, il ne s’agissait plus de terminer le parcours, mais de la battre elle. Une fois sortie de la piscine, elle remarqua le dernier obstacle, c’était une pastèque entière, où un trou laissait passait les concurrents un à un. Yoake accéléra et entra à l’intérieur, la chaire était molle, ses bras et ses jambes s’enfonçaient peinant ainsi sa progression. Devant Melena semblait avoir autant de mal. Mais la jeune femme ne voulait rien lâcher, elle trouva un poteau à la sortie qui devait surement leur permettre de rejoindre la terre ferme. Un sourire se dessina sur ses lèvres, elle enleva son gant pris appuie comme elle pouvait et lança son fouet contre le poteau. Elle s’étonnait elle-même, elle venait de se blesser juste pour une histoire de concurrence certes l’alcool y était peut-être pour quelque chose, mais quand même. Sans réfléchir plus longtemps elle maintient sa prise et se hissa sur ses jambes, elle avança ainsi plus facilement sans trop s’enfoncer dans la pastèque. Son pouvoir était fatiguant certes, mais beaucoup moins que de s’enfoncer sans cesse dans cette pastèque. Une fois Melena dépassée, elle dit sans se retourner :

- Désolée, je préférerais d’abord savourer la tequila pastèque que tu m’offriras avant.

Elle descendit finalement en s’aidant du poteau et fonça comme elle pouvait vers la ligne d’arrivée tout pouvait encore se jouer sur cette dernière ligne droite et comme le pensais l’Irlandaise, Yoake n’était pas sportive à la base. Ses muscles développés récemment la faisaient souffrir et seule sa détermination, lui permettait de courir vers l’arrivée.

Une fois arrivée près de Jade, elle se laissa tomber au sol pour reprendre son souffle, elle avait soif, en fait une tequila pastèque lui ferais le plus grand bien. Justement, Melena Ian et Jade la retrouvaient pile à ce moment-là quand Jade demanda qui avait perdu Yoake se releva et dit :

- Pour tout te dire, j’étais tellement concentré sur la dernière ligne droite que je ne sais même pas si Ian était devant ou derrière moi.

Elle se tourna vers Melena et continua dans un souffle.

- Ni si tu m’avais rattrapée ou non d’ailleurs.

Un petit sourire se dessinait sur ses fines lèvres en se souvenant de l’exploit qu’elle venait de faire. Sortir le fouet, l’avait poussé à se blesser une fois de plus, mais que ne ferait-on pas pour une Tequila pastèque ?

Quand il ressortit de la cabine, caleçon à grosses fleurs rouges sur les fesses et vêtement posés en bouchon sur son avant-bras, il constata que ni Milly ni la trop belle n'étaient là. Seule Yoake, un magnifique chapeau sur la tête attendait l'air embêté.
Pour une fois, il n'eut pas le temps de lui lancer le compliment qui lui brûlait les lèvres qu'elle prit la parole de sa voix douce et mélodieuse.
Tandis qu'elle parlait, il pensa qu'il était bien dommage qu'ils n'aient pas pu proposer un duo au radio-crochet, ils auraient fait un tabac, enfin... Pas sur du Mikael Jackson évidemment !
Il se rappela sur le champs que Felizita n'avait toujours pas donné signe de vie et compris du même coup que l'histoire d'amour était déjà finie.
Dommage... Il aurait bien aimé manger quelques dragées en la regardant danser dans une belle robe blanche.

Quand la belle Asiatique eut terminé sa première phrase, il la regarda éberlué sans savoir que dire.
Bien sûr qu'il avait compris qu'elle ne voulait pas sortir avec lui, elle le prenait pour un demeuré ou quoi ?
Pour le coup, il fonça vers le miroir histoire d'aller vérifier si Dreamland ne l'avait pas transformé en trisomique, en autiste-légume ou pire encore, en psychopathe grimaçant.
Il fut rassuré de constater que rien de tout cela n'apparaissait dans le reflet outre le fait que sa coloration s'atténuait déjà laissant voir les racines noires de ses cheveux d'origines.

En revenant vers le cadeau que Bouddha avait divinement décidé de reprendre, il se demanda s'il y avait des coiffeurs à Dreamland et combien ils prendraient pour refaire une teinture.
Et voilà que la poupée de porcelaine fragile parlait de guerre, de manière de penser différentes, du temps à passer, de la remise des compteurs à zéro et d'amitié à reconquérir...
Il la regarda bouche-bée se demandant si elle n'avait pas été traumatisée dans sa prime jeunesse par un père, Général des Armées qui se serait fait hara-kiri après une défaire déshonorante.
Pris de pitié pour la pauvre jeune fille en plein désarroi de réminiscences infantiles il s'empressa de la rassurer en lui affirmant qu'il n'y avait aucun souci, elle resterait son amie même si les belligérants devait refaire le coup immonde d'Hiroshima et Nagasaki !
D'ailleurs en parlant de bombe...

Deux longues jambes minces et galbées, une cambrure à faire pâlir d'envie le plus radical des témoins de Jéhovah, une paire de seins moulés à la perfection dans un splendide maillot de bain à fleurs, comme lui mais en bleu, une démarche de chatte sauvage mais néanmoins langoureuse, chaloupée à souhait se dirigeaient vers lui.
Il leva lentement la tête et se trouva nez à nez devant la trop splendide Melena qui le regardait intensément.
Avait-elle remarqué qu'il la détaillait ou était-elle aussi impressionnée par son corps de jeune homme sportif et bronzé qui était "franchement pas mal" aux dires de ses petites amies ?

Il n'osa pas lui demander; cette fille avec ses yeux de loup l'intimidait, elle était trop...Mortellement belle, inaccessible. Il sentait d'instinct qu'une relation avec elle serait à feu et à sang, qu'il n'en sortirait pas indemne, qu'il serait dévoré par une effroyable passion qui le laisserait exsangue.
A moins qu'elle sache s'amuser le temps d'une bagatelle ? pas sûr... Et même, il n'était pas certain de gagner à ce jeu là, elle semblait trop forte et puis... C'était l'amoureuse en secret de Milly, ça il l'avait bien vu ! il ne voudrait pour rien au monde faire de la peine à son amie.
D'ailleurs elle revenait sourire aux lèvres dans une tenue un peu spéciale mais rigolote; avec elle il allait enfin y avoir de l'action !

Ils se mirent en position de départ et avant qu'il n'ait pu faire un geste, Milly fila comme une flèche ou plutôt comme un fantôme au travers de tous les obstacles; cette fille était une fée ! en attendant elle avait gagné la partie.
Ni une ni deux, il s'élança et pour ce qui était de foncer il s'y connaissait !
Melena était puissante aussi, elle avait la détente sportive mais pas au point de ses muscles de jeune homme.
Ian s'amusa comme un fou, sautant par dessus les haies, s'enfonçant dans les fruits juteux, crawlant et pataugeant dans le suc, il alla même jusqu'à chanter à tue tête Speedy Gonzales sur la dernière ligne droite. En un temps reccord il fut aux côtés de Milly.
Déçu par la facilité du jeu, il entrepris de le refaire à l'envers puis de nouveau à l'endroit, croisant à nouveau les deux filles qui s'approchaient de la ligne d'arrivée.
Afin de ne pas vexer son amour-propre masculin, il donna un ultime bon coup de rein et se trouva à nouveau, hilare, face à Milly.
Après lui avoir lancé un clin d'oeil de connivence, il salua l'arrivée des deux autres filles en faisant le pitre comme à son habitude et lança à Yoake: A l'aller j'étais devant toi et au retour derrière puis devant !

La course s'était révélée plus qu'hilarante depuis sa position de spectatrice. Jade regardait, l'oeil brillant, ses camarades qui s’escrimaient plus pour ne pas perdre que pour gagner. Un vrai combat de chiffonnier ! Ian, lui, s'offrait même un second tour de parcours pour le simple plaisir de se dépenser. Bon sang... que c'était bon de pouvoir enfin profiter d'un moment de détente !

Lorsque le trio la rejoignit enfin, la bonne jumelle accueilli le clin d’œil de l'hyperactif avec un large sourire. Yoake, elle, ne tarda pas à soulever une interrogation plus qu'essentielle : mais qui devait payer sa tournée ? Jay prit un air solennel avant de poser sa main sur l'épaule de Melena et d'annoncer pompeusement :

- Je suis navrée très chère, mais je crains que cette damoiselle ne vous ait volé la vedette d'un cheveux. Il vous faudra débourser une fois encore... la faillite vous guette. Se tournant vers l'asiatique, elle ajouta : C'est dingue ce que tu as fait avec ton doigt ! C'était quoi ? Du sang?

La question était sans doute maladroite vu le rictus qu'elle obtint. A quoi s'attendait-elle d'autre d'ailleurs ? Ici, nos pouvoirs étaient tous liés à nos problèmes psychologiques et avec sa maladresse naturelle elle avait dû taper en plein dans l'hématophobie. Il était plus que temps qu'elle apprenne à tourner 7 fois sa langue dans sa bouche avant de parler !

Suite à une impulsion soudaine -et pour changer drastiquement de sujet- Jade fit signe à ses camarades de la suivre pour les entraîner vers le bar. Une tequila-pastèque de plus serait probablement suffisante pour effacer sa bêtise. Un peu d'alcool dans le sang et tout devenait accessoire. Elle ne s'inquiétait même plus d'Elie, d'ailleurs. C'était une grande fille, elle savait se débrouiller. Elle l'entendait bien de temps à autre pester contre Leviathan et les épreuves qu'on lui imposait mais elle ne s'étendait jamais sur le sujet. Plus que d'être réellement en difficulté, son double semblait juste ressentir un besoin de hurler sa rage et sa frustration. Étouffer un peu ça dans des brumes d'alcool n'était probablement pas un crime puni par la loi.

Elle se laissa tomber sur un siège et commanda trois verres alors que les autres filles prenaient place. Ian ? Disparu dans la foule. Ce mec ne pouvait vraiment pas tenir en place ! Lorsque le serveur revint, l'adolescente laissa sa meilleure amie payer et attendit que l'employé s'éloigne pour entamer la conversation, faute de pouvoir tenir son verre. L'inconsistance avait ses avantages mais aussi ses inconvénients, il ne lui restait plus qu'à attendre de pouvoir interagir de nouveau avec le monde pour profiter de son gain.

- Jolis maillots, au fait ! Un peu trop voyants mais... hey... je suppose que je peux pas trop faire de remarques avec ça sur le dos. Cela dit c'est pas si moche, c'est juste que tout le monde à une vue d'enfer sur mes fesses à travers les voilettes.

Jade attrapa l'une des bandes de tissu bleu transparentes qui pendait entre ses jambes et la fixa, pensive. Avec le recul, les mauvais souvenirs de sa détention ne semblaient plus si intenses. Tout s'éclairait sous le soleil de Tehinastèque, c'était comme s'il déteignait ses souvenirs pour ne laisser leurs couleurs qu'aux plus beaux. Le genre de journée qui ne devrait pas avoir de fin...

- Par contre, on va devoir attendre un peu avant de faire la suite. Pour l'instant je ne suis même pas capable de tenir mon verre. Mais on n'est pas pressé, non ? Ça nous laissera le temps de discuter ! On pourr... que... quoi ?

Un sourcil haussé, la psychotique fixait un dindon. Celui-ci la dévisageait d'un œil vitreux, immobile au milieu de la foule animée. On aurait presque dit qu'il attendait quelque chose d'elle, sauf que c'était ridicule, non ? Un vieillard se fraya un chemin jusqu'au trio pour la regarder à son tour, lui offrant au passage un magnifique sourire sans dents. Ces gencives lisses avaient quelque chose de fascinant et il fallut que l'homme tousse pour que la jeune femme émerge de sa rêverie.

- Il vous a choisi.

- Qui? Elle marqua une pause avant de reprendre, plus que sceptique : Le dindon?

C'était ridicule, et pourtant ! L'homme opina du chef avant de lui raconter une histoire abracadabrante sur le volatile incluant un grizzli, une poêle à frire et un tsunami, et qui se clôturait par le décès de ses parents et de son cousin au troisième degré. Gaston, son nom d'après le vieillard, cherchait depuis amour et réconfort pour palier au vide affectif laissé par la perte de ses proches. Pendant ce long discours, la bonne jumelle se contentait de hocher la tête avec un sourire crispé dans l'espoir que ce vieux fou se lasse et reparte, son oiseau sous le bras. Et cela finit par arriver, ou presque. Plus de vieux mais le dindon, lui, l'avait visiblement adopté. Une aubaine ? Laissez-la rire...

Encore effarée par ce qui venait de ce passer, elle regarda la bestiole se coucher sous sa chaise en gloussant. Elle leva ensuite un regard interdit vers les filles dans l'espoir que l'une d'elle lui annonce qu'elle était en train de délirer complètement.

- C'est moi ou cet homme vient de me forcer à adopter un dindon qui s'appelle Gaston ?

Jade appuya sur le dernier mot, comble de la blague. Qui irait appeler son dindon Gaston ? Et pourquoi pas Raoul la poule pendant qu'on y était ? Ou Karen la murène ? Totalement absurde.

Tout avait fonctionné, elle avait été devant, jusqu’à ce que Yoake utilise son fouet d’hémoglobine pour s’autoriser l’exploit sur le dernier obstacle. C’était injuste s’ils avaient tous des facultés qui pouvaient les aider et qu’elle ne savait que bricoler des trucs macabres ! Elle accéléra dans la dernière ligne droite, mais rien à faire : Ian était déjà aux côtés de sa meilleure amie et la japonaise franchit la ligne d’arrivée en bonne troisième. Essoufflée, Melena fit une grimace d’adolescente feignant de bouder quand son aînée lui avoua ne pas savoir si elle l’avait rattrapée ou pas. Jade enfonça le clou en confirmant pompeusement que l’irlandaise allait devoir payer cette défaite de sa poche.

- Je gagnerai la prochaine, vous inquiétez pas…, rétorqua malicieusement la jeune fille avec un sourire résigné.

A la boulette de la psychotique, elle lui fit un coup de coude qui se voulait discret, mais c’était trop tard. Le mal était fait et Yoake n’avait déjà plus l’air complètement dans son assiette. Solidaire avec sa meilleure amie, quand celle-ci désigna le prochain bar où elles poursuivraient leur quête de l’ivresse, Melena renchérit :

- Oui, très bonne idée, allons nous saouler !

La thanatophobe récupéra ses vêtements qu’un des surveillants du parcours d’obstacle lui avait gentiment gardé, puis suivit le mouvement jusqu’à se laisser tomber à son tour sur une chaise. Bien que ça ne semblait pas déranger le staff, elle se sentait poisseuse, couverte de jus de pastèque. Avec une moue trahissant son sentiment d’inconfort, elle jeta un regard circulaire à l’extérieur, dans l’espoir de voir quelque chose qui s’apparenterait à des douches.

- Ce serait super de pouvoir se rincer, marmonna-t-elle à l’adresse de Yoake pendant que Jade commandait à boire, transpiration et jus de pastèque… je ne me suis pas sentie aussi crasseuse depuis le bateau de Georges Mikles.

C’était sans parler de l’épreuve de Freedoom où elle avait dû se grimer en cadavre, mais ça, son cerveau l’occultait volontairement. D’un air peu convaincu, elle grattait le dos de son poignet droit, où le jus qui avait séché constituait déjà une teinte rougeâtre sur sa peau d’ivoire. Quand Jade complimenta son maillot, Melena haussa les épaules pour feindre l’indifférence mais ne put s’empêcher de sourire. Occupée à ranger son porte-monnaie après avoir débourser 12 rubz, elle n’avait pas répondu, et ne put le faire puisque… sa meilleure amie découvrit qu’elle avait été « choisie » par un dindon.

Tout en écoutant le récit abracadabrant, l’irlandaise buvait sa tequila-pastèque à petites gorgées, comme si l’alcool allait lui permettre d’accéder à un niveau de compréhension supérieur. Dans un sens, l’effet était partiellement au rendez-vous : c’était son troisième verre, elle n’avait pas mangé, alors elle sentait bien que son cerveau s’était embrumé et que ses membres flottaient sur de légers cousins en coton. Quand la bonne jumelle se tourna vers elle, effarée à l’idée de devenir – vraiment – dingue, Melena fut traversée par le souvenir fugace de leur baiser, à Sextus. Quand elle n’avait pas eu d’autre option pour faire diversion…

- Non, non, je te rassure, tu possèdes bien un dindon appelé Gaston désormais, affirma l’irlandaise qui était revenue à temps sur terre.

Ses yeux pâles se posèrent sur le volatile pour rapidement revenir à Jade. Wow, trop rapidement. La tête lui tourna un moment. Quand le monde eut retrouvé sa place, la nécrophobe se pencha légèrement, comme pour faire une confidence qu’elle n’osait pas vraiment avouer. Elle se mordit la lèvre inférieure en signe d’hésitation, fit tourner son verre dans ses mains, puis se lança, non sans vérifier que le mâle de leur groupe ne soit en train de revenir :

- Ian… t’es sûre qu’il n’y a rien entre toi et lui ? Je veux dire… tout à l’heure quand même…

Melena eut un rire gênée, rougit, et but une autre gorgée de sa boisson alcoolisée pour se donner du courage. C’était bizarre cette sensation d’avoir les joues en feu, la tête qui tourne, et un poids dans la poitrine. Elle avait combattu des bandits, tué une bête d’ombre, vaincu un train fou, terrassé un géant dans les terres gelées… mais restait absolument novice en matière de petit ami. C’était pitoyable.

- En fait euh… je repensais à ce que tu disais… sur le flirt, se changer les idées, tout ça… euh… si toi tu ne ressens rien… tu crois qu’il m’aimerait bien ? Enfin je veux dire, moi je ressens rien de spécial mais… ça pourrait être euh..., elle poussa un soupir, j’y connais trop rien en mec, c’est vraiment nul… j’ai l’air d’une connasse complètement frigide, pas vrai ?

Elle regarda furtivement ses deux amies avant de replonger dans son verre. De toute façon, elle savait que la réponse était « oui », même si, en bonnes copines, Yoake et Jade risquaient de lui assurer le contraire. Pourquoi est-ce que brutalement, ça lui importait tant ? Elle se souvint de Zephyr. Ce petit chanceux avait eu trois filles pour lui… trois pas trop moches qui plus est. Il avait eu l’air proche tantôt de la mythomane, tantôt de la japonaise, mais Melena ? Jamais. Son rôle, c’était celui de la psychopathe, la folle, la peste. Qui d’autre auparavant ? Alexander ne comptait pas, il était trop bizarre. Ace. Ace aussi avait eu le choix… et c’est Elie qui avait gagné. Même à côté d’une fille sauvage qui n’a qu’une moitié de personnalité – et pas la plus douce – l’irlandaise n’était pas préférée. C’était… déprimant.

Nouvellement maman, Jade observa avec un dépit certain son nouveau bébé qui gloussa de contentement lorsqu'elle reprit consistance, en profitant pour se rapprocher, s'allongeant contre son pied droit. C'était ridicule, mais après tout pourquoi pas ? Elle avait toujours aimé les animaux de compagnie, il faudrait juste le temps à la psychotique de s'adapter à l'étrangeté de la bestiole. Peu importait l'angle sous lequel on le regardait, Gaston restait laid. Peut-être que vider son verre l'aiderait à lui trouver un air mignon ? Dans le doute, Jade bu une grande rasade de tequila-pastèque. Pour être sincère, ça n'avait rien arrangé mais au moins elle se sentait bien.

Lorsque le nom de Ian fut évoqué, Jay leva les yeux de son verre pour dévisager Melena, un sourcil froncé. La suite du discours ne fit que rendre son expression faciale plus prononcée. Sa meilleure amie... avec Ian ? Non, vraiment non. Même pour un simple flirt, ils étaient juste incompatibles ! La moindre des choses était de se plaire un minimum. Eux... ils étaient comme le jour et la nuit, c'était inconcevable que d'imaginer les deux ensembles. Bien sûr que Mel' pourrait lui plaire, au moins physiquement. Mais c'était la promesse d'une relation purement charnelle sans une seule once de sentiment. Il ne serait pas méchant mais il l'oublierait presque aussitôt pour aller papillonner auprès d'une autre et ça, ce n'était pas sûr que ça plaise à l'irlandaise. Être juste un trou ce n'était pas le plus gratifiant qui soit.

Quant à cette histoire de fille frigide, la bonne jumelle tordit sa bouche en une moue désapprobatrice. C'était vraiment n'importe quoi ! C'était à se demander ce qui avait bien pu se passer pour que Melena se déprécie à ce point. Attrapant sa camarade par les épaules, Jade plongea son regard dans le sien et s'exclama avec autorité :

- Ne redis jamais ça ! T'es une fille super, t'as rien d'un frigidaire ! T'es... timide c'est tout. Un peu mystérieuse aussi. Mais si tu veux mon avis, ça te donne du charme. Et puis c'est quoi le mal à ne pas être super accessible ? Tu voudrais être une fille facile ?

Est-ce que c'était ce qu'elle était elle-même, d'ailleurs ? Non, elle ne faisait que craquer sans jamais passer à l'acte, plus un cœur d’artichaut qu'autre chose à vrai dire. Un peu rassurée sur son propre comportement, elle pouvait se relancer en toute impunité dans sa tirade moralisatrice.

- Et puis Ian... Il est gentil mais tu vaux mieux que ça, même pour un simple flirt. Il est incapable de se focaliser sur quelque chose. Tu serais vite perdue, voir gavée... non, vaut mieux changer d'idée. Et puis tu sais, si tu n'as pas encore trouvé de mec c'est peut-être tout simplement qu'aucun de ceux que tu as croisé ne te convient. Tu ne veux quand même pas finir avec le premier péquenaud qui vient, n'est-ce pas ?

Pendant qu'elle laissait s'évacuer son flot de paroles, Yoake leur faussa compagnie pour aller vider sa vessie, laissant les deux amies seules à seules. Jade rapprocha son tabouret et posa sa tête sur l'épaule de Melena tandis que les vapeurs d'alcool commençait à lui faire tourner la tête. C'était le moment où l'on se disait qu'on avait déjà trop bu mais qu'il était trop tard pour s'arrêter. Quand on est déjà bourré, à quoi bon mettre un frein ? Ce n'était pas ça qui allait vous rendre votre sobriété et puis... tout était plus beau sous le prisme délirant de la tequila. Le soleil plus brillant, les voix plus mélodieuses, les gens plus séduisants.

Une nouvelle gorgée lui fit remarquer à quel point la thanatophobe pouvait être charmante. Ce n'était pas un canon de beauté, pas un conventionnel du moins, mais elle avait un je-ne-sais-quoi qui la démarquait des autres. Comment pouvait-elle douter de son pouvoir de séduction ? C'était comme un tas de brindilles sèches qui n'attendait qu'une étincelle pour s'embraser... celle de sa propre estime de soi.

- Tu sais, si j'étais un homme je t'aurais probablement embrassé, là.

Sa remarque avait été faite d'une voix légèrement pâteuse et elle ne put s'empêcher de partir dans un fou rire qui lui donna l'impression que le monde passait à la centrifugeuse. La psychotique se raccrocha au cou de sa meilleure amie et posa son front contre son épaule encore collante de jus de pastèque. Lorsque la terre et le ciel se mirent d'accord pour se stabiliser, elle lâcha un soupir et murmura, pensive :

- S'il y avait un cas désespéré entre nous deux, ce serait moi. Je craque pour toute la testostérone qui passe mais ça reste superficiel... j'ai peur tu sais ? Dès qu'ils s'approchent trop, dès que ça devient sérieux je repense à... je repense à lui. Je sais pas si je serais capable de passer ce cap un jour.

Célibataire à vie ? Elle ne s'en sentait pas capable. Jade était le genre de fille à avoir besoin d'un soutien en toute circonstance, d'une épaule sur laquelle s'appuyer, d'une oreille pour l'écouter. Mais elle avait beau se dire qu'il fallait mettre le pied à l'étrier elle ne pouvait s'empêcher de se sentir glacée dès qu'un mâle l'approchait de trop près. Quelles options il lui restait, au final ? Virer sa cuti ? Cette pensée lui tira un nouveau fou rire qui la fit tomber de son tabouret, emportant la pauvre Melena -qu'elle tenait encore- avec elle.

Plus de peur que de mal, leur chute avait été amortie par le monceau de feuilles de pastèque qui jonchaient le sol de la ville en ce jour si spécial. L'adolescente tenta de se relever mais, la tête lui tournant trop, elle se laissa retomber sur le dos avant d'essuyer une larme d'hilarité au coin de son œil. C'était aussi ridicule que triste, elle ne savait pas si elle devait en rire ou en pleurer.

Les yeux rivés vers le ciel, elle suivit des yeux la course des nuages avant de prendre une grande inspiration. Ce qu'elle allait dire était probablement une connerie motivée par l'alcool mais Mel' la ferait sûrement redescendre sur terre si c'était le cas. C'était elle, la plus raisonnable du duo, non ?

- Dis... tu crois que je devrais tenter avec une femme ? J'ai pas le blocage, avec elles. Elle marqua une pause que rien ne semblait vouloir rompre. C'est con, hein ? Je crois que j'étais à deux doigts de te demander de sortir avec moi...

Le monde avait fait un tour complet quand sa meilleure amie l’avait attrapée par les épaules. Les joues roses, son verre quasi-vide encore dans une main, Melena écouta les remontrances en secouant négativement la tête à chaque question. Être une fille facile ? Non, très peu pour elle. Tomber dans les bras du premier péquenaud venu ? Non, non plus. D’ailleurs la plupart du temps, elle éprouvait même une espèce de répugnance pour les hommes. Ce n’était même plus qu’une retenue sexuelle, c’était plus fort que ça ; une espèce de misanthropie qui s’accentuait pour le sexe mâle.

L’irlandaise poussa un soupir. Jade n’avait pas que lui parler, mais elle se sentait mieux. Elle n’était pas impossible à aimer, elle était juste… spéciale. Oui, spéciale. Pourquoi s’en souciait-elle de toute façon ? Elle n’aimait personne, pas vrai ? Melena Autumn, l’ado bizarre du fond de la classe, pourquoi chercherait-elle brusquement à être sur le devant de la scène ? Un sourire fleurit sur son visage ivoirin. Désormais, elle se demandait comment elle avait pu un seul instant imaginer un flirt avec Ian. Elle rit toute seule et finit son verre, tandis que Yoake s’éclipsait et que la psychotique rapprochait son tabouret.

La tête de sa meilleure amie sur son épaule lui fit un bien fou. C’était comme si brusquement, le monde s’effaçait pour préserver leur intimité. Un flot de souvenirs cascada dans l’esprit embrumé de la nécrophobe, depuis les cales du Slavedog millionnaire jusqu’aux boutiques de Formatek. Elle continuait de sourire toute seule en y pensant, mais la déclaration de Jade lui coupa le souffle. La jeune fille ouvrit la bouche mais aucun son ne put franchir ses lèvres. Même à moitié saoule, elle réalisait que ce qui allait se passer avait de l’importance. La force avec laquelle son cœur martelait sa poitrine lui faisait mal.

Lui. Liam. L’espace d’un instant, Melena n’était plus bourrée. En fait, pendant cet instant, Melena n’était plus Melena. Elle était redevenue cette voyageuse implacable et meurtrière, ce spectre sanglant que Dakota avait vu dans son miroir d’argent. C’était une promesse qu’elle s’était faite, même si elle ne l’avait jamais prononcée à haute voix : si elle retrouvait l’hypersexuel, elle le tuerait. Pour ce qu’il avait fait à Jade, elle le tuerait. Elle s’en savait capable désormais.

- Aaaaaaah !!

Sans qu’elle ne comprenne trop pourquoi, l’irlandaise avait basculé sur le lit de feuille de pastèque. Le monde tournoyait, tournoyait, à lui en donner la nausée. Ses songes sinistres furent emportés par ce tourbillon et sans qu’elle ne puisse résister, elle fut entraînée par le fou rire de sa meilleure amie. Les nuages décrivaient d’étranges arcs-de-cercle dans le ciel, ce constat lui parut d’une importance capitale, avant que Jade ne lâche la phrase qui décrocha complètement son cœur de sa poitrine.

Avant il battait trop fort. Désormais, il ne battait plus du tout. Sortir avec elle ? La bonne jumelle était vraiment… en train de suggérer qu’elles soient ensembles ? Cette fois ce n’était plus le monde qui se mit à tourner furieusement, c’était les pensées de l’irlandaise. C’était tellement beau que ça paraissait irréel. L’alcool, l’euphorie de la fête, les retrouvailles… ça devait être tout ça cumulé, son amie divaguait. Et le souvenir de la nuit partagée avec Elie qui était encore trop cuisant…

Non. Elle était folle amoureuse, mais elle ne se ferait pas avoir une deuxième fois. Pas comme ça. Pourtant, n’était-ce pas l’endroit idéal pour que leur relation prenne un nouveau tournant ? Ce serait toujours mieux que dans une forêt sauvage, ou un autre lieu morbide où elles risquaient leur vie…

Melena usa de toutes ses forces pour se redresser. Elle se sentait fébrile, prête à se briser au moindre choc, mais ce n’était pas à cause de l’alcool. Jade était là, étendue à ses côtés, belle et fragile. Elle avait envie de l’embrasser, de la prendre dans ses bras, de lui avouer ses sentiments. Au lieu de ça, elle ravala ses émotions derrière un sourire béat de façade et lui dit sur un ton mutin :

- Toi je pense que tu as déjà trop bu, je vais être obligée de finir ton verre.

L’irlandaise tenta de rire mais son éclat parut se perdre dans le vide, le cœur n’y était pas. D’ailleurs il avait recommencé à battre, lourdement, sourdement, comme un supplicié résigné à son exécution. Avec douceur, sans se soucier d’être échouée sur le sol d’un bar, la thanatophobe se rallongea blottie contre sa meilleure amie. La tête sur son épaule, leurs visages n’étaient plus qu’à quelques centimètres. Trop près – trop loin – les deux à la fois.

- Je comprends ce que tu ressens pour… enfin… le blocage… je te trouve déjà super forte moi ! Je suis certaine que tu surmonteras ce que ce connard t’a fait un jour, et le mec que tu choisiras a intérêt à piger la chance qu’il a…

Melena déglutit douloureusement. Être une meilleure amie, ne pas s’attendre à plus. C’était tellement ce qu’elle avait accepté d’être jusqu’à maintenant qu’elle ne pouvait que réagir comme telle. Quoiqu’en dise la psychotique, elle savait que dans leur duo, elle était la malheureuse, celle qui ne trouvait personne, qui finissait terne et aigrie, pendant que son amie avait une vie lumineuse.

- J’avoue…, les mots sortaient d’eux-mêmes, si j’avais un copain, il aurait toutes les raisons du monde d’être jaloux de toi. Je veux dire… on s’est embrassées deux fois, on s’est vues à poil, on se raconte tous nos secrets et… j’ai même traversé un monde – littéralement – rien que pour te trouver. Je crois que je ne ferai jamais ça pour personne d’autre…

L’irlandaise plongea ses yeux gris dans les océans bleus de Jade. Qu’est-ce qu’elle espérait encore ? Qu’elle lui propose vraiment qu’elles sortent ensemble ? « Impossible » lui murmurait une petite voix, « elle est bourrée, c’est tout ». Bourrée… qu’importe. Ce moment restera gravé dans sa mémoire, comme celui où elle avait « failli » avoir ce qu’elle voulait le plus au monde.

Plus elle y pensait, moins sa suggestion paraissait ridicule. C'était vrai, après tout. Si ses relations avec les hommes étaient une succession de cul-de-sac, pourquoi ne pas se tourner vers la gent féminine ? Le poids de sa croix qui reposait entre ses seins se fit plus grand, comme si Dieu lui-même lui faisait des remontrances. Oui, elle savait pertinemment que l'homosexualité n'était pas en vogue au pays du seigneur. Rien que d'imaginer la tête de ses parents si elle ramenait une fille à la maison la faisait grimacer. Ils finiraient peut-être par comprendre mais est-ce que palier à une vie de solitude valait une éternité en enfer ? Pas sûr.

Pendant que ses pensées tourbillonnaient sous son crâne, pesant le pour et le contre, Melena tentait de la ramener à la réalité, mettant sa proposition étrange sur le dos de l'alcool. C'était en partie vrai, mais pas complètement. La psychotique se posait vraiment la question, dans le fond. Sans parler du fait qu'elle était à Dreamland... est-ce que ses pêchers comptaient ici ? Si c'était le cas elle était déjà condamnée mille fois ou purgatoire après les meurtres qu'elle avait commis, légitime défense ou non. Un peu plus ou un peu moins, ça n'importait plus. Ce n'était qu'une goutte d'eau dans l'océan... ou dans le verre de tequila-pastèque.

- Je suis pas si forte que ça, tu sais. J'ai peur de tout, je ne peux pas survivre seule... c'est pour ça que j'ai Elie. Elle est là pour ça, pour que je finisse pas comme Amber. Je ne suis qu'une froussarde, incapable d'avoir une relation, c'est tout.

Triste constat, mais son amie ne s'en formalisa pas, plongeant ses yeux gris dans les siens. Melena parlait mais les mots avaient du mal à parvenir au cerveau de Jay, comme avec un temps de retard. Un foutu décalage horaire au pays des neurones. Plus elle comprenait, plus elle se sentait oppressée. C'était vrai que son amie et elle avaient fait les quatre cents coups ensemble mais plus que ça, l'irlandaise avait risqué sa vie pour elle. Elle avait traversé le monde pour la trouver. Même si on adorait une amie, est-ce qu'on pouvait faire ça pour elle ? Jade en doutait. Qu'avait-elle fait elle-même à part chercher Elie ? Rien, pas grand chose. La psychotique avait vaguement cherché la nécrophobe, ou avait plutôt attendu sagement qu'on la trouve. Mais sa réaction n'était pas anormale. Ce monde était dangereux, terrible même. La réaction étrange était celle de Mel'. On ne pouvait faire ça que pour la personne qu'on aimait, qui hantait nos jours et nos nuits jusqu'à nous faire perdre le sommeil.

Tous ces petits riens, ces signes, ces paroles ambiguës qu'elle avait jusqu'alors ignorée lui sautèrent au visage pour lui hurler l'évidence : Melena l'aimait. Qu'est-ce qu'elle avait été stupide de ne rien voir ! Combien de fois l'avait-elle fait souffrir avec des remarques à deux balles et des imitations de pseudo drague ? Et dire qu'à cause d'elle Elie l'avait même tué... se faire abattre par le visage de l'être aimé, y avait-il quelque chose de pire ? Jade avait l'impression de se prendre un coup de massue, une migraine fulgurante lui vrillant le crâne. Stupide, stupide, stupide, stupide ! Et voilà qu'elle lui proposait maintenant de sortir avec elle ! La bonne jumelle ne voulait même pas imaginer l'état émotionnel de sa comparse de toujours.

Toujours allongée, Jade attira Melena à elle pour la prendre dans ses bras avec tendresse, faisant fit des regards curieux des clients du bar qui ne semblaient considérer la scène que comme une nouvelle attraction de la foire. Elle pouvait sentir contre elle les battements affolés du cœur de son amie, son souffle court et ses sueurs froides. Un corps tendu et fébrile, comme dans l'attente du couperet ou de la salvation.

- Désolée Mel', je n'avais jamais compris. Je... je crois que je me voilais la face. Peut-être que je n'avais juste pas envie de réfléchir à comment réagir, ou alors de briser notre amitié. Je t... je t'aime vraiment beaucoup. Pas comme toi, mais tu restes l'une des personnes les plus importantes dans ma vie.

Quand elle se remémorait le passé, la majeure partie des moments forts qu'elle avait vécu dans sa vie avait été partagés avec Melena. Derrière l'écran de ses paupières closes, où qu'elle regarde, l'irlandaise était là. Est-ce qu'elle avait fait au moins une chose pour la rendre heureuse, de son côté ?

Quand elle aurait dessaoulé et que la foire serait finie, quand Elie les aurait rejoint... elle devrait faire route vers le nord et risquer sa vie. Si elle n'arrivait pas à briser la tour ou même qu'elle mourrait en essayant, qu'est-ce qu'elle aurait fait de bien dans sa vie à part faire souffrir les autres égoïstement ? Et puis la peur de finir ses jours sans jamais avoir eu de vraie relation lui retournait l'estomac autant que sa cuite. La Jade d'origine prit alors la place, comme pour lui donner la force de prendre une décision.

Allez, au diable la religion et la peur de l'échec ! Elle n'avait qu'à prendre son courage à deux mains une fois dans sa courte vie et essayer, juste pour voir où ça pouvait mener !

- Je ne peux pas te dire pourquoi, mais je risque de mourir bientôt. J'ai quelque chose d'important à faire qui me terrifie complètement. Je sais que c'est beaucoup te demander mais... est-ce qu'on ne pourrait pas faire au moins semblant d'être ensemble jusque là ? Je sais que c'est idiot et que ça risque de te faire souffrir encore plus mais, qui sait... peut-être que moi aussi je finirais par t'aimer comme ça ?

Persuadée qu'on allait l'envoyer bouler, la bonne jumelle relâcha son étreinte pour se tourner de nouveau vers le ciel sans même se rendre compte que sa nouvelle aura avait changé le regard des gens alentour. La valse des nuages lui donnait mal au cœur, il allait lui falloir plus qu'une petite pause avant de reprendre la liste de leurs activités...

Étreinte par Jade, Melena se sentit plus fragile que jamais. Poupée de porcelaine, fiévreuse, prête à voler en éclat. Elle ferma les paupières. La force nécessaire pour renoncer à son idéal l’avait épuisée. Sur son tableau noir, elle voyait désormais sa meilleure amie dans les bras d’un homme sans visage. Elle riait, elle était heureuse, c’était l’essentiel, pas vrai ? De toute façon, elle était maudite et folle. Jade méritait mieux que ça, mieux qu’une adolescente détraquée et sans avenir. Oui. L’irlandaise s’apprêtait à remettre une couche, histoire d’encourager fermement la psychotique à ne pas se laisser abattre, mais cette dernière lui coupa l’herbe sous le pied.

La nécrophobe arrêta alors tout bonnement de respirer. Elle avait compris que son amie avait compris, mais ne savait pas ce que ça signifiait. Serait-ce la fin de leur amitié ? Allait-elle la renier ? L’espace d’un instant, Melena regretta tout : chacune des étreintes, chacune des embrassades, chaque indice qui avait pu la trahir. Si son secret n’était plus un secret, serait-elle capable de regarder son amie en face ? Elle n’avait pas envie de faire pitié, ni d’être un mensonge ambulant. Sa résignation était réelle, elle était sincère.

La bonne jumelle n’avait pas fini pourtant. Ses derniers mots ne lui rendirent pas ses facultés respiratoires. Le monde tournait de nouveau et cette fois, l’alcool n’y était pas forcément pour quelque chose. Qu’est-ce que ça pouvait bien dire « faire semblant » ? A ses yeux, on était avec quelqu’un – ou pas – mais y avait-il un entre deux ? L’adolescente n’était pas sûre de comprendre. Libérée, elle se redressa. Tout était au ralentit, les voix de toutes les personnes alentours étaient comme derrière un mur de coton. Le monde se limitait à son amie et son cœur qui ne savait plus comment battre.

Quand elle retourna ses yeux pâles vers Jade, Melena fut étonnement frappée par sa prestance. On aurait dit qu’elle n’avait jamais réalisé avant comme elle en imposait naturellement. Au milieu de son chaos émotionnel, elle se sentait incroyablement fière d’être sa plus proche amie ; petite amie ? Impossible de dire pourquoi, mais elle avait confiance en son choix. Comme si elle ne pouvait pas se tromper… ce serait une bonne chose, forcément !

- Faire semblant hein… ? murmura l’irlandaise.

Un sourire illumina son visage ivoirin. Une vague de chaleur se déversa dans tout son cœur, libérant une sensation de soulagement indicible. Elle avait envie de rire, de crier, de courir, de se défouler jusqu’à ce que l’énergie prodiguée par son bonheur s’épuise. Qu’importe que ça ne dure pas, qu’importe que ce ne soit qu’un test, … elle avait le droit d’aimer Jade. Ça, c’était merveilleux.

- Viens, on va se remettre sur les tabourets, je crois que la moitié du bar nous mâte.

Effectivement, la plupart des clients leurs jetaient des regards plus ou moins discrets, particulièrement subjugués par la bonne jumelle. Avec la maladresse d’une jeune fille saoule, Melena aida son amie à se redresser et toutes les deux se rassirent tant bien que mal. La nécrophobe jouait nerveusement avec ses mains sans savoir quoi faire. Et après ? Est-ce que… pouf, elles étaient ensemble ? Ou bien il fallait un mot, un geste, un témoin pour officialiser ? Intérieurement en tout cas, elle ne se sentait pas spécialement différente – outre la joie d’être libre d’être amoureuse.

- Ça me va, dit-elle brusquement, faire semblant… enfin… tu veux dire qu’on est ensemble le temps que tu vois ce que ça te fait, c’est ça ? Non parce que dit comme ça, « faire semblant » je ne vois pas trop ce que c’est alors…

Ses joues avaient pris une teinte écarlate. Impossible de regarder sa petite amie ( ?), ses yeux d’orage restaient rivés sur son verre de tequila désespérément vide. Elle fut tentée de recommander, pas pour oublier mais pour célébrer. Pourtant, autre chose de moins agréable lui revint en tête.

- Qu’est-ce que tu dois faire de si dangereux ? Pourquoi tu ne peux pas me dire ? Je peux te protéger tu sais ! Je peux vraiment ! Je…

Elle avait oublié de réfléchir. Dans un élan presque aérien, elle s’était penchée vers Jade pour l’embrasser. Un baiser court, timide, fébrile. Alors elle avait apposé son front contre le sien, leurs lèvres si proches qu’elles se toucheraient presque. L’une des mains de Melena s’accrocha délicatement au cou de sa meilleure amie, le bout de ses doigts fins perdus dans sa chevelure peroxydée. Du pouce, elle caressait sa peau crémeuse avec douceur et légèreté. Sa voix se brisait, à la limite de la supplication.

- Je ne veux pas te perdre Jade… vraiment, vraiment, vraiment pas… tu peux pas me dire ça comme si… comme si on se reverrait plus après. T’es la personne qui compte le plus pour moi… alors je me fiche de ce qui m’arrive, j’te protégerai, et tu ne mourras pas !

Ian était content: il était deuxième après Milly-fée et il avait compris que c'était donc à la trop belle Melena de payer sa tequila pastèque.
Il s'apprêtait à suivre le trio quand un rapide regard circulaire vers la foule le fit hésiter.
Les filles en vêtements de bain étaient belles et presque tous les regards masculins étaient braqués sur les formes juvéniles alléchantes.
En tant que seul garçon de la bande il en ressentit une sorte de fierté tout en songeant, sourire en coin que cela faisait un peu coq et sa basse-cour ! du coup la situation l'obligeait à un certain standing s'il voulait être à la hauteur de la volaille au plumage coloré or ce n'était plus le cas.
Le jus de pastèque avait rosi son corps par plaques poisseuses où s'étaient collés grains de sable, terre et brindilles, son caleçon empesé par le sucre lui rentrait dans la raie des fesses, sa coiffure était plaquée comme s'il l'avait engluée dans un pot de gel fixation forte et ses pieds étaient dégoûtants, il fallait qu'il trouve un point d'eau ou une douche.
Sans songer à prévenir ses amies, il fit volte-face, récupéra ses vêtement qu'il avait laissé en boule au sol, dans un coin et partit à fond de train à la recherche de l'endroit désiré.
Au bout d'à peine cinq minutes il aperçut des petits cabanons et s'en approcha.
A l'odeur il devina très vite que ce devait être des WC de fortune; malgré tout il en profita pour soulager sa vessie avant de repartir.

La chance était avec lui: pas de douche mais une piscine gonflable assez grande qui servait non pas pour la pêche aux canards en plastiques mais à la pêche de peaux de pastèques.
De nombreux enfants l'entouraient et canne en main, s'appliquaient à en attraper le plus possible afin de gagner un morceau de pastèque dont ils pourraient ensuite poser fièrement la peau dans le bassin après avoir mangé la chair.
Il s'approcha, prenant en même temps conscience qu'il ne lui serait pas possible de plonger sciemment dans l'eau propre et fraîche, il lui faudrait ruser.
Du coin de l'oeil il aperçut un petit garçon presque vautré sur le boudin de PVC, jambes allongées derrière lui, parfait !
Ian couru vers lui, se prit exprès les pieds dans les jambes du bambin et atterrit dans l'eau sous les cris mi-affolés, mi-amusés des petits pêcheurs en herbe.
Pour parfaire le spectacle, le jeune homme fit semblant de se débattre comme s'il ne savait pas nager tout en frottant sa peau, fit un coulé à pic dans les cinquante centimètres d'eau en hurlant de panique comme il se doit, en profita pour masser sa chevelure sous l'eau et décoller le caleçon de son corps afin de le rincer sommairement avant de rejaillir tel un diable de sa boîte en levant les bras et en criant HOURRA !!! vers les gamins hilares et les adultes... Beaucoup moins enclin aux explosions de joie.
Le patron arrivait d'ailleurs à grand pas, l'air sombre, vociférant des menaces.
Heureusement il était gros et le temps qu'il traîne son ventre rebondit et ses jambes courtaudes vers l'endroit du "drame", Ian s'était eclipsé.

Il choisit un endroit plus calme pour se rhabiller et passer les doigts dans ses cheveux, cala le caleçon mouillé au fond d'une de ses poches et reprit le chemin du bar où devaient l'attendre les filles.
Arrivé devant la table, force lui fut de constater que non, les filles ne l'avaient pas attendu, elles avaient même vidé leur verre sauf Yoake puisqu'elle n'était pas là.
Il s'assit lourdement en poussant un soupir sonore, regarda Milly et Melena qui s'embrassaient amoureusement et tout en sirotant à peu près la moitié du verre abandonné par la belle asiatique, les regarda faire en souriant tout en pensant qu'il avait eu bien raison de ne pas se monter des chimères concernant la trop belle déjà prise !
Il repoussa le verre; l'alcool avait pour effet de l'endormir et le calmer, tout comme ses médicaments à base d'amphétamines à faire grimper aux rideaux tout le monde sauf lui. En ce jour de fête, il n'avait aucune envie de s'assoupir, encore moins d'être calme.
C'est ce moment que choisit un horrible tas de plume noir, pour voler maladroitement et à grand fracas de battement d'ailes jusque sur la table avant de lover une tête rougeâtre peu amène, munie d'un grand bec dans le cou de Milly, renversant en même temps ce qui restait du verre de Yoake.
Ian fit un bond en arrière de surprise avant d'éclater de rire et s'exclamer: Un nouveau prétendant et jaloux celui-là !!! le poulailler s'agrandit, c'est une farce ou quoi ?

Plus elle regardait Melena sourire, plus Jade avait l'impression d'être la pire des garces. Le voile de l'alcool n'arrangeait pas son estime de soi, lui renvoyant au contraire une vision déformée, horrifique même, de son égoïsme. Sa meilleure amie – ou petite, si on officialisait sa bêtise- n'en souffrirait que plus. Passé la joie de la nouvelle viendrait l'attente hantée par l'angoisse de la décision finale qui tomberait comme un couperet. Si la bonne jumelle ne mourrait pas avant.

Qu'est-ce qui lui était passé par la tête ? Le baiser fébrile de l'irlandaise acheva de l'acculer. Comment reprendre ses mots après ça? Dieu seul savait combien elle aimait Mel', mais ses chances de virer réellement sa cuti' étaient infimes. Elle avait beau regarder la situation sous tous les angles, l'adolescente avait dû mal à voir ça autrement que comme un placebo de relation dans l'attente d'une guérison miracle. Un beau bordel dans lequel elle s'était fourrée, une fois encore... merci la tequila-pastèque !

Les mots restaient bloqués dans sa gorge. Ils lui paraissaient tous plus faux les uns que les autres. Aucun ne semblait bon, aucun ne semblait franc. Mais lorsque la thanatophobe exprima sa volonté de l'accompagner pour la protéger, ce fut l'électrochoc dont Jay avait besoin pour retrouver l'usage de sa langue. Comme montée sur ressort, elle bondit de son tabouret au risque de voir le monde danser jusqu'à la rendre nauséeuse.

- Jamais ! Je ne peux pas te laisser faire, tu mourrais ! En quoi te voir mourir m'aiderait, hein ?! Tu n'as aucune chance de survivre à ça, sans parler du fait que... Son regard s'attarda sur la tête de mort qui ornait le torse de Melena, ça irait à l'encontre de tes obligations. Si tu persistes je... je... je devrai m'en aller. Sans toi. Alors promets-moi de me laisser gérer ça toute seule.

« Toute seule ». Ces deux mots la faisaient grimacer mais il fallait se rendre à l'évidence : même son égoïsme devait avoir une limite. Jouer à la roulette russe avec la vie de ses amis en était une plus que raisonnable. Bien sûr elle rêvait d'un chevalier sur son blanc destrier qui accourrait pour la protéger, voir remplir sa mission à sa place, mais Mel' n'en était pas un. La gardienne de Techyo aurait sa peau, ou ses propres gardiens si elle s'en sortait par on ne savait quel miracle. Et la tour ? Elle serait encore debout. Mourir pour rien, c'était vraiment bon pour les imbéciles et aussi fort Jade souhaitait ne pas affronter ça seule, elle ne pouvait permettre à la brunette de l'accompagner jusqu'au bout.

Gaston vint mettre un terme à ce fil de pensée, de manière assez brusque qui plus est. Elan d'affection ? Peut-être, le fait est que Jade manqua de peu de se vautrer par terre, ne constatant qu'alors le retour de leur blondinet hyperactif. Jade chassa la remarque humoristique de la main comme elle l'aurait fait d'une mouche avant de grommeler entre ses dents :

- Non, juste mon nouvel animal de compagnie. Très envahissant. Trop envahissant, même.

Bon, l’enchaînement d’événements avait au moins eu le mérite de la faire dessaouler un peu. La psychotique héla le barman pour lui quémander une mixture qui parachèverait le travail. L'air visiblement fasciné, l'homme ne se fit pas prier et lui concocta en vitesse un mélange infâme que Jade regrettait déjà d'avoir commandé, rien qu'à le regarder. Et dire qu'elle payait même deux rubz pour ça ! Même dans les fêtes, Dreamland restait fourbe. Levant le verre à hauteur de visage comme pour trinquer, l'adolescente lança un « à la votre » à mi-voix avant d'engloutir le liquide non sans grimace. Infect n'était pas un mot suffisant pour décrire cette chose, mais elle se sentait mieux. Assez en forme pour affronter l'obstination de Melena et l'humour potache de Ian.

D'ailleurs si elle ne pouvait pas s'étendre sur ce qu'elle devait accomplir, elle pouvait au moins expliquer à sa nouvellement petite amie -sic- pourquoi elle n'avait aucune chance de survivre à ça si elle continuait à vouloir l'accompagner. Ce qui s'était passé dans l'épreuve précédente illustrerait d'ailleurs parfaitement son discours.

- Mel'... mon mode inconsistant... j'en ai besoin pour réussir. Si je ne passais pas à travers tout, je mourrais avant d'avoir le temps de dire « ouf ». Et encore, ce n'est même pas suffisant. J'ai besoin de mon pouvoir de téléportation pour me tirer de ce guêpier. Tu peux faire l'un et l'autre? Sans utiliser d'objet ? Elle laissa quelques secondes s’égrainer dans un silence pesant. C'est bien ce qui me semblait. Mais ce que tu peux faire, c'est faire en sorte que jusque là on s'amuse comme des folles. Et si je m'en sors, j'aurais besoin que tu sois là pour me soutenir quand je viderai mon sac. Tu pourras faire ça pour moi?

C'était le genre de proposition qu'elle aurait accepté sans hésiter, pour sa part. Sa lâcheté ne pouvait comprendre l'hésitation qui se lisait sur les traits de la thanatophobe. Et parce qu'elle ne pouvait pas comprendre, elle serait intransigeante sur la réponse à recevoir. Une seule était acceptable à ses yeux, même si elle aurait tué pour que Mel' possède effectivement les mêmes dons et puisse l'accompagner.