Aujourd'hui, c'est la foire à la Pastèque !

>> En provenance de la jungle

Tout n'était pas perdu. Même si Ian l'avait plusieurs fois interrompu avec des offres de fruits exotiques et de noix de coco -totalement hors sujet, bien que généreuses- il avait l'air d'avoir saisi l'essentiel de son laïus. Il n'y avait désormais plus qu'à se mettre en route. A pieds dans cette cambrousse il leur faudrait des heures pour rejoindre leur destination mais ce serait un jeu d'enfant en comparaison à ce qui l'attendait bien, bien plus au nord... Ici, le seul problème qu'elle pouvait rencontrer sur sa route c'était...

- Un éléphant ? S'exclama Jade, interdite.

C'était la première fois qu'elle voyait l'un de ces animaux ailleurs que dans un livre ou sur l'écran de sa télévision. Sa famille avait bien prévu une sortie au Fleishhacker zoo quand elle avait 8 ans mais une gastro-carabinée l'avait forcé à rester au lit. Elle se souvenait encore des moqueries d'Emilio qui n'arrêtait pas de la narguer avec son fichu ballon en forme de tête de singe ! Heureusement à cette époque Amber était encore là et avait passé toute la soirée à mentir à la psychotique en lui racontant comme la journée avait été horrible, juste pour qu'elle ne regrette rien. Sa sœur était... avait été un ange. Son cœur se serra à cette pensée alors que l'hyperactif s'extasiait devant l'éléphanteau. Il se serra un peu plus lorsque la mère du petit fonça sur eux, émergeant de la jungle avec l'idée bien encrée de leur faire leur fête.

Les yeux ronds et les jambes en coton, Jade ne remua pas le petit doigt lorsque la bête se saisit d'elle pour la balancer sur son dos comme un vulgaire sac à patate. Elle était bien trop occupée à serrer les jambes pour ne pas s'uriner dessus, il ne fallait pas trop lui en demander ! La première chose qui sortit de sa bouche fut un cri offusqué lorsque Ian la heurta à son « chargement », puis lorsqu'elle eut récupéré assez de souffle et de self-control pour aligner deux mots elle murmura d'un ton geignard :

- Tout ce que je veux, c'est voyager tranquillement. Mais non ! Non... même les éléphants sont contre nous. C'est ridicule ! Dreamland tout entier est ridicule...

Ils étaient secoués dans tous les sens et la cavalcade semblait ne pas avoir de fin. L'adolescente avait cessé depuis longtemps de compter les lianes qui s'étaient emmêlées dans ses jambes comme les branches qui l'avaient fouetté sans douceur alors que le pachyderme s'arrêta enfin. Le blondinet l'avait rattrapé juste à temps pour qu'ils puissent être projetés sur le sol en duo. Rude avait été la route, plus encore l'était la chute !

La tête dans la boue, Jade attendit que l'éléphant se soit fait la malle pour se relever, dans l'espoir de se faire oublier. Tout son corps n'était que douleur mais depuis le temps elle avait appris à relativiser. Si on comparait à la fessée légendaire qu'elle avait reçu au Colisée de Sextus, tout ça c'était du pipi de chat. Prenant appuis à un arbre, la bonne jumelle se remit debout tant bien que mal et examina les alentours : pas l'ombre de Jake à l'horizon, mais une ville qui à en croire ce qu'elle voyait n'était pas Miquiztli. Ça avait beau être précolombien, pas de tour de l'envie en vue ! Avec un peu de chance ce serait même la ville dans laquelle Melena avait prévu de la retrouver.

C'était culpabilisant de ne pas faire demi-tour pour chercher Jake mais dans cette jungle... autant chercher une aiguille dans une botte de foin. Il fallait se montrer réaliste. Et puis... ça lui donnait l'opportunité de fuir lâchement sans avoir à donner d'explications. Le problème des amis c'était qu'ils voulaient toujours vous aider et la simple idée de repousser une main tendue lui retournait l'estomac. Oui... moins elle aurait de compagnons à exclure mieux ça vaudrait avec les épreuves qui l'attendaient. D'ailleurs en parlant de compagnon, Ian commençait à émerger difficilement...

- Hey... ça va ? Tu n'as rien de cassé ? Demanda-t-elle avec douceur.

La psychotique aida le jeune homme à se relever et épousseta machinalement ses vêtements pour en chasser la terre et les feuilles qui s'y étaient accrochées. Ils étaient sales, pathétiques mais vivants. Un bilan plutôt positif !

- On a perdu Jake mais... il va bien finir par nous retrouver. C'est plus facile de dénicher une ville qu'un homme dans une jungle, non ?

Sa tentative d'humour tomba à plat, même de son côté. Elle n'avait pas vraiment le cœur à rire... la jungle pazthèque était si dangereuse et Jake trop peu expérimenté... mais il fallait croire en lui. Et rester affirmer ses choix. Bon sang, c'était toujours dans ces moment là qu'elle réalisait combien elle était faible. C'était plus la peur de rencontrer une bestiole que la certitude de faire le bon choix qui la retenait de faire demi tour. Minable... elle se sentait minable. Elle s'ébroua pour chasser ses envies d'auto-flagellation avant de réajuster les anses de son sac-à-dos.

- Il nous retrouvera. Le mieux qu'on puisse faire c'est de rejoindre la ville la plus proche et d'attendre sagement. Ian, c'est ça ? Tu dois être totalement perdu... je suis désolée si je te donne l'impression de te trimbaler à droite à gauche mais c'est pas pour t'embêter. C'est juste que j'ai l'habitude de prendre les « nouveaux » sous mon aile quand je les croise. Débarquer à Dreamland, c'est jamais facile...

Ian était un tantinet douillet.
Ayant vu une petite écorchure sanguinolente sur son avant-bras, il se croyait à l'article de la mort et gémissait comme un damné.
A la question de Milly il répondit:Non ça va très mal, je suis grièvement blessé, je perds plein de sang et je vais mourir, tout ça à cause... Le jeune homme colora le reste de sa phrase d'un chapelet de jurons en direction de l'éléphante qui avait disparu entre deux bosquets.
Et puis Jake n'est plus là, on l'a perdu, à cause de cette... un autre collier d'insulte se déversa de ses lèvres; il était en rogne mais pas seulement contre l'animal; ses vêtements étaient salis et il était frustré, sentiment qu'il avait beaucoup de mal à contenir.
Il relança sa litanie: Jake ne m'a pas dit quel parfum il mettait alors que moi... Il n'a rien dit pour le lit, même pas dit merci pour les fruits, même pas répondu à ma question !
Le jeune s'était levé et tournait en rond comme un lion en cage puis se retourna vivement vers la jeune fille. Ouais, tu as raison, Dreamland est ridicule !
Il continua ainsi un bon moment, mélangeant dans sa colère la soirée chez Anton, le directeur de l'institut qui lui avait fait rembourser les vitres cassées, le dôme de protection d'Ellipse qui finalement était un manège stupide, le fait qu'il n'avait pas un sou.... Il s'arrêta là.
Muni d'un bâton, il cinglait tous les buissons sur son passage puis se tourna vers l'adolescente qui tentait de le calmer en lui affirmant que Jake reviendrait vers eux.
Tu as raison, il nous retrouvera bien et puis sinon... Ce n'est pas ta faute après tout, tu es bien obligée; j'ai débarqué là... Tu es bien obligée...

Le jeune homme n'arrivait plus à articuler ses propos dans l'ordre; trop d'informations arrivaient en même temps dans son cerveau. Pour sûr, je suis sacrément atteint; un boulet pour toi, hein ?
Indécis, il regardait la ville qui s'étendait sous ses pieds, les ruines archéologiques à sa gauche j'avais bien aimé le Mexique... J'ai passé la journée à monter et descendre les marches du temple en courant, c'était cool. et la jungle derrière lui.
Mais je sais aussi me débrouiller tout seul !
Ayant cassé son morceau de bois, il partit à la recherche d'une branche plus solide en chantant pour finalement en ramasser deux en riant: Tiens Milly, ce sera ton bâton de marche parce qu'on va aller dans la ville là-bas, c'est ce que tu m'as dit tout à l'heure, non ?
Deux secondes après, son visage redevint sombre; un souvenir le hantait, il ne savait pas trop qu'en penser.
Il en fit part à la jeune fille à sa façon: Tu veux m'emmener à la mort, c'est ça ? OK, OK. Il avait pris le même ton que s'il avait annoncé: "c'est toi qui t'occupe du repas aujourd'hui ? OK, OK".

L'hyperactif ne se soucia pas de savoir si Milly avait compris, si elle n'était pas déroutée car il avait autre chose en tête: marcher jusqu'aux premières maisons et c'est ce qu'il fit.

Le chemin n'était pas difficile, la clairière était plate. Il avança à grandes enjambées, la tête tournant comme une girouette à chaque bruissement d'herbe.
Ce n'est qu'au bout d'un quart d'heure qu'il se souvint qu'il n'était pas seul. Il se retourna et vit Milly loin derrière, tenter péniblement de le suivre.
Il revint vers elle au pas de course. Excuse, j'ai pas fait gaffe; tu dis si tu veux faire une pause.
Une fois de plus la réponse de l'adolescente se perdit dans les méandres de sa matière grise. Il passa le bras autour du cou de la jeune fille afin de l'entraîner dans son rythme, sans qu'elle se fatigue trop, chantant: Un kilomètre à pied... entre deux rires communicatifs.
En général, Ian avait le don de faire voir la vie en rose même dans les situations les plus scabreuses et espérait sincèrement que Milly se laisse entraîner dans un peu de joie de vivre.

Au bout d'une heure de marche, Ian s'arrêta: il avait entendu comme un gargouillement. Il s'approcha, écarta les hautes herbes et s'écria: J'en était sûr !
Il s'accroupit et disparut dans la verdure.
Au bout de 30 secondes, il héla l'adolescente: Viens boire Milly, il y a une petite source toute fraîche par là !
Après une petite pause, il se remit en route, offrant un répertoire de chants divers et variés. Une chance, il chantait juste et sa voix avait un timbre agréable.
Cette fois il tenait la main de Milly et c'est ainsi qu'ils arrivèrent devant un grand talus escarpé qui descendait à pic par endroits. La ville s'étendait juste en bas.

Face à l'obstacle, Ian se gratta le front. On ne marchera pas tout droit lança t-il on zigzaguera, ce sera plus simple. Tu es déjà allé dans le Montana ? c'est beau ! tu te tiendras derrière moi, comme ça, si tu dérapes je te retiendrai. De toutes façons, on va dans la ville mortellement dangereuse, c'est toi qui l'a dit... J'attraperai bien un serpent pour me défendre....
Heureusement pour les neurones de Milly, le jeune homme continua de s'interroger en silence, de manière décousue; lui se comprenait !
On va trouver quoi ou qui en-bas, au juste ? tu paieras ton canon ? je te revaudrai ça quand j'aurai de la tune.
Sur ce, il entama la descente, veillant sur la jeune fille comme un père-poule.
Au fait, comment on gagne du blé ici ?

Devant le numéro de drama queen de Ian, Jade ne put s'empêcher de lever les yeux au ciel en affichant un sourire en coin. Les mecs étaient vraiment des chochottes ! Une goutte de sang, une piqûre ou un rhume et voilà qu'ils étaient à l'agonie... et après ça voulait se montrer brave et combattre. C'était bien beau d'avoir courage et idéaux quand on n'était pas capable de supporter la moindre once de douleur... enfin, elle avait déjà son opinion bien définie sur le sujet si bien qu'elle tourna rapidement la page avec désinvolture, se contentant de répliquer à son camarade avec un brin d'amusement dans la voix :

- C'est rien du tout, on n'y verra plus rien dans quelques jours tu sais ?

Mais il ne l'écoutait déjà plus. Il sautait de nouveau du coq à l'âne, suivant un fil de pensée visible de lui seul jusqu'à perdre définitivement la psychotique. C'était vraiment frustrant, non seulement de ne rien comprendre mais aussi de ne jamais se voir accorder une réelle attention. Parler à l'hyperactif c'était comme parler à un mur, à la différence que le mur avait au moins la décence de ne pas l'interrompre, lui. Son sourire se changea peu à peu en moue boudeuse alors qu'elle croisait les bras, attendant que le jeune homme daigne enfin réaliser qu'il l'avait perdu depuis longtemps déjà.

Faute de le réaliser, il l'abandonna soudain pour foncer dans la jungle en disant qu'il savait se débrouiller seul. Mais... mais qu'est-ce qu'il fichait au juste ? La bonne jumelle commençait à en avoir ras-la-casquette de ces actions chaotiques. Dans sa tête germaient déjà des idées de liens et de baillons qu'elle n'aurait jamais le courage de mettre en application malheureusement... ou bien heureusement ? Tout dépendait probablement du point de vue. Lorsqu'il revint pour lui fourrer un bâton de marche improvisé entre les mains, Jay laissa s'échapper un profond soupir. Il mélangeait tout...

- Non, ce n'est pas cette ville là c'est...

Le vent souffla encore une fois, emportant ses paroles loin, bien loin de Ian. Jade serra les dents devant ce profond sentiment d'inexistence. Elle se sentait encore plus inconsistante que lorsqu'elle utilisait son pouvoir, c'était vraiment comme si au yeux de cet homme elle n'existait pas, ou représentait tout au plus une jolie poupée qu'on trimbalait sans lui accorder conscience et sentiment. Et voilà qu'en plus de ça il l'accusait avec un air grave de le mener à une mort certaine ? Il était plus que temps d'arrêter là le délire !

- Hey ! Écoute-moi deux secondes, je... non mais je rêve ou il se casse sans m'écouter ?! Reviens !

La silhouette du blondinet s'éloignait déjà à une allure soutenue si bien que Jade dû jeter son bâton et courir pour récupérer son retard. Lorsqu'il se retourna enfin elle venait à peine de ralentir l'allure, visiblement essoufflée. Et dire qu'il osait accourir vers elle comme un chevalier blanc alors que c'était lui qui l'avait mis dans cet état ! Il était véritablement impossible ! Le souffle trop court pour s'offusquer oralement du bras qu'on venait d'enrouler autour de son cou, elle suivit tant bien que mal, la mine sombre, jusqu'à ce que le duo s'arrête près d'un court d'eau. Les chansons et les rires de Ian n'avaient fait que la renfrogner un peu plus : plus que s'amuser avec elle, elle avait l'impression qu'il se jouait d'elle. Et aussi gentille soit-elle... elle n'appréciait pas qu'on la prenne pour une conne.

C'est particulièrement contrariée qu'elle s'assit près de la rivière sans toucher à l'eau, préférant boire l'eau de la bouteille qu'elle transportait. Son envie de faire la morale à son compagnon était grande mais elle commençait à craindre d'être ignorée une fois encore et elle n'était pas sure de pouvoir le supporter encore longtemps. Jade garda donc le silence pendant la pause et la marche qui suivi, ne consentant à desserrer les lèvres qu'après que le duo ait rejoins un talus escarpé qui surplombait la ville.

- Non, je ne suis jamais allée dans le Montana, et on s'en fiche du Montana. Pareil pour le serpent, le canon ou... ou même l'argent !

La main de Ian sembla se raidir dans la sienne, révélant qu'il ne s'attendait pas du tout à ce genre de réaction. Un peu plus posée et rassurée par le silence attentif qui accueillait pour une fois une de ses déclarations, elle reprit plus calmement :

- Ce qui m'intéresserait ce serait d'être un peu écoutée. Tu... tu t'en fiches complètement de ce que je dis et tu m'ignore sans cesse, ça commence à me taper sur le système. Ça fait une heure que j'essaye de te dire que cette ville ce n'est pas celle dont je t'ai parlé. Je ne sais pas du tout où on va, j'espère juste que c'est la ville où le dirigeable de ma meilleure amie doit atterrir.

Plus elle parlait, plus l'expression de l'hyperactif la faisait se sentir méchante et coupable des pires maux qui puissent exister. Etait-ce si dur pour lui de concevoir qu'il puisse être blessant pour les autres ? L'effort de prêter un peu d'attention aux autres était vraiment insurmontable ? Peu importe les efforts qu'elle faisait, elle n'arrivait pas à le comprendre.

- Tu ne peux pas continuer comme ça à courir devant sans demander l'avis des gens ou prendre des précautions... tu vas juste te blesser ou mourir. Dreamland... c'est pas un terrain de jeu super fun tu sais ? Ici j'ai connu une chasse à l'homme, j'ai été vendue comme esclave, j'ai dû affronter la mort tellement de fois... ne prends pas tout ça à la légère. Si tu meurs, tu n'auras pas le droit à une « seconde partie ». Ce sera game over, c'est tout. Essaye de te contrôler un peu et... et de faire attention à ce que les autres disent. En plus c'est vexant d'être ignorée comme ça, tout le temps...

La bonne jumelle se mordit la lèvre et pressa le pas pour ne pas avoir à affronter le regard de Ian. Mis à part ses altercations avec Elie, elle avait du mal avec les conflits. Ce n'était tout simplement pas fait pour elle. Dépassant le garçon, elle dévala la pente pour ne s'arrêter qu'à hauteur de la première maison, prendre appui sur elle et souffler un bon coup.

[HRP : je sais que tu es hyperactif, mais tu fais tellement d'ellipses temporelles que tu ne me laisses aucune opportunité d'agir ou de répondre. Rien que pour rattraper le temps passé dans ton message je n'ai rien pu ajouter de neuf et j'ai vraiment l'impression de suivre sans rien pouvoir dire ou faire... tu peux essayer de ralentir un peu ? D'ailleurs j'ai une idée sur une foire qui se passe en ville, mais faut que tu me laisses mettre ça en place. Evite de trop décrire l'activité en ville dans ton prochain message, ok ?   ]

Ian n'avait bien évidemment pas remarqué le désarroi de la jeune fille, ni sa marche forcée sans bâton, encore moins son visage qui s'assombrissait au fur et à mesure de ses chansons aussi prit-il de plein fouet la réflexion de Milly qui annonçait - de la colère plein la voix, comme sa maman quand ses nerfs craquaient parce qu'elle était trop fatiguée - qu'elle se fichait de tout, même du pot, même des tunes !
Il en resta pantois, serrant fort la main frêle de l'adolescente comme on se raccroche à une branche.
Il leva la tête vers elle et lui offrit de grands yeux interloqués.
Plus elle parlait plus son regard à lui s'agrandissait au point qu'on puisse y lire ouvertement l'incompréhension teintée de l'ignorance d'un petit enfant qu'on gronde alors qu'il n'a rien fait.

Milly n'arrêtait plus d'être fâchée, il en avait les larmes aux yeux.
Lui qui avait tout fait pour qu'elle soit contente: le bâton, les chansons, la source claire, le serpent pour se défendre....
Quand elle eut finit il explosa: Ben tiens, puisque c'est ça, je n'irai pas chercher de serpent pour nous défendre !
Mais la jeune femme ne semblait pas vouloir l'écouter. sans le regarder, sans l'attendre elle s'était mise à dévaler la pente escarpée ultra dangereuse.
C'en était trop, il explosa bruyamment.
Heureusement pour les oreilles de l'adolescente, un vent chaud contraire s'était levé, emportant avec lui le flot de paroles, ne laissant plus planer que quelques bribes de ci de la.
TOI TU DIS QUE TU VEUX ALLER A LA VILLE MAIS QUAND ON EST DEVANT TU DIS QUE C'EST PAS CA, TU DIS QU'ELLE EST MORTELLE ET QU'IL NE FAUT PAS Y ALLER MAIS ON Y VA QUAND-MÊME, MERDE, CHIER !
EN PLUS TU N'AS PAS LE DROIT DE DIRE QUE TU T'EN FOUS DU MONTANA PUISSE QUE TU N'Y EST PAS ALLE, TOI ! TU RACONTES VRAIMENT N'IMPORTE QUOI ET APRES TU M'ENGUEULE. TU DIS QUE J'ECOUTE RIEN MAIS TOI TU FAIS QUOI ? TU N'ECOUTE RIEN DU TOUT NON PLUS.
TU SAIS QUOI ? JE M'EN FOUS MOI AUSSI DU PARFUM DE JAKE, DES ESCLAVES ET DES ELEPHANTS! JE NE T'IGNORE PAS JE TE TROUVE TRES BELLE MAIS QUAND TU GUEULES TU ES LAIDE COMME UN POU !
PUISQUE C'EST CA JE NE TE PARLERAI PLUS, VOILA TOUT CE QUE TU AS GAGNE !

Naturellement cette phrase ne fut pas la dernière, quelques autres suivirent agrémentées de noms d'oiseaux.
A hauteur de la première maison, il rajouta même: De toutes façons, qu'est ce que tu veux que cela me fasse que je meures ici où ailleurs; où tu crois que je suis dans la vrai vie, hein ? à l'hosto, dans le coltar ! alors tu vois...
Sur ce il se pencha. une fourmilière s'étalait devant ses pieds. S'armant d'une brindille, il entreprit de triturer la petite cité de terre et sable. Observer les minuscules habitantes fuir en tous sens faisait partie des choses qui le calmaient.
Il ne s'aperçut pas que l'adolescente s'était arrêter pour souffler et regarder autour d'elle. Il ne vit même pas qu'ils étaient vraisemblablement à l'entrée de la ville.
Milly pouvait enfin compter avoir un peu la paix et s'organiser comme bon lui semblait.

Melena et Yoake viennent de La marche de l'avenir


Melena ne sut pas quoi répondre à l’invitation. C’était le genre de situation qui ne lui arrivait que très rarement dans le monde réel et quand c’était le cas, elle avait plutôt tendance à rétorquer « non » sans réfléchir. Mais là, elle était à Dreamland. Yaoke avait parlé de se détendre, non ? Est-ce que c’était ça ? Est-ce qu’elle pouvait voyager en bonne compagnie ? Après tout, il n’y avait rien d’ambiguë au fait de tuer 10h de vol ensemble. Avec un sourire un peu raide, l’irlandaise suivit son amie qui avait accepté la proposition pour toutes les deux. Dans le compartiment choisi par les types, il y avait même une chaîne hi-fi diffusant des morceaux populaires. La nécrophobe ne s’était jamais demandé à quoi ressemblaient les canons musicaux du monde des rêves : finalement, c’était assez semblable à ce qu’elle connaissait. Un instant, elle crut à nouveau être de retour à Londres.

Tandis que Mike, Gab et Bryan se présentaient, elle s’efforça de fixer autre chose, comme l’incroyable ouvrier de manutention qu’elle observait par la fenêtre. Elle avait conscience que les cicatrices visibles sur ses avant-bras nus, comme l’arme à sa ceinture, attiraient pas mal l’attention. D’ailleurs, elle avait à peine soufflé son prénom que, pendant que Yaoke se dévoilait à son tour, le blond aux yeux délavés lui demanda dans le creux de l’oreille :

- C’est un vrai ?
- Non, j’aime bien me balader avec un flingue en plastique sur moi, rétorqua-t-elle un peu sèchement.

Il ne sembla pas s’en formaliser pourtant, bien au contraire : lui et ses amis réservaient désormais des regards spéciaux à l’irlandaise, entre appréhension et admiration. Elle s’était assise à côté de la japonaise mais restait à moitié tournée pour suivre la conversation avec leurs comparses de voyage. Ils partaient apparemment à Téhinastèque pour profiter d’un événement appelé la « fête à la pastèque » – ou la « foire à la pastèque » ils ne savaient plus trop – et comptaient ensuite se rapprocher de la plage.

Yoake s’occupait de faire la conversation, expliquant qu’elles partaient toutes les deux pour retrouver une amie dans la région, et c’était parfait. De son côté, la thanatophobe pouvait détailler les amis de Mike de ses yeux pâles. Bryan n’était décidément pas son style : un peu trop pataud, encore boutonneux – comme s’il était figé dans l’adolescence – et son beau sourire ne rattrapait pas la dissymétrie flagrante de ses yeux. Gab, s’il ne lui faisait pas spécialement d’effet, correspondait plutôt à l’image du brun ténébreux « hyper cool » qui faisait craquer les adolescentes.

Personne ne sembla remarquer que l’appareil décollait : Bryan avait changé la station de radio et l’hématophobe le pria de ne pas changer la station. Melena, qui ne connaissait pas Christina Perri, ne connaissait absolument pas la chanson. Toutefois, elle fut agréablement surprise, et touchée, par le timbre fragile de Yoake. C’était beau de l’écouter, comme de boire une grande gorgée d’une boisson rafraichissante, comme de se réveiller soudainement et se rendre compte que Dreamland n’est pas si moche. L’irlandaise n’avait jamais fait de road trip entre amis et brusquement, elle se sentait comme projetée dans un de ces films où les ados semblaient passer ensemble des moments inoubliables.

Les trois comparses qui les avaient invitées à se joindre à eux n’étaient pas les seuls à regarder la japonaise avec admiration. Cette dernière, écarlate, demanda alors à Bryan de changer la station, comme si cela suffirait à faire oublier sa performance. Melena posa une main sur son épaule pour attirer son attention et lui glissa dans l’oreille avec un petit sourire :

- Je comprends maintenant pourquoi tu me posais ces questions sur la musique à Dreamland… tu chantes vraiment bien, c’est cool.

Dès lors, le trajet se déroula dans la légèreté. Blagues, jeux de cartes et discussions furent de la partie. L’irlandaise parlait peu, écoutait beaucoup, mais fut quand même contrainte de participer lorsqu’on lui demanda par exemple où elle habitait, si elle avait un petit ami et si elle se séparerait de son flingue le temps d’une danse à la fête de la pastèque. Difficile de répondre en évitant de livrer qu’elle était une voyageuse, mais elle confia être célibataire et promit de réfléchir à la perspective de se désarmer pour une soirée si elle se sentait en sécurité. Bien entendu, Mike rétorqua qu’il serait son garde du corps, Gab réclama une autre chanson de Yoake, Bryan promit de les inviter à boire une fois à destination, …

Après de longues heures de discussion, non sans une dernière plaisanterie du brun ténébreux de service, les cinq jeunes gens décidèrent d’un commun accord de dormir un peu. Un peu euphorique, Melena eut du mal à s’endormir. Ses yeux d’orage restaient fixés sur la voie lactée, magnifique dans le ciel noir d’encre. Le sentiment de ne pas mériter ce qu’elle vivait était terré au fond de son cœur, elle priait inconsciemment pour qu’il ne revienne pas de sitôt. Elle avait envie d’être ce qu’elle était : une adolescente. Pas une adepte, pas une criminelle, pas même une voyageuse.

Elle s’éveilla au milieu d’une annonce du pilote et d’un concert de grommellements plus ou moins contents. Fourbue de sommeil, elle comprit essentiellement que les conditions climatiques avaient joué sur la durée de la traversée, qui avait duré bien plus longtemps que prévu. Effectivement, il faisait jour quand le dirigeable amorça sa descente vers une ville encerclée par la jungle. Malgré l’heure matinale, le soleil brillait déjà fortement, brûlant à travers les vitres de l’appareil. Melena se félicita d’avoir acheté des vêtements plus légers et se tourna vers Yoake qui émergeait à son tour :

- On arrive !

Tout en aplatissant sa chevelure noire qui avait obéit à ses propres règles pendant son sommeil, elle pointa du doigt la ville précolombienne qui s’étalait à plusieurs centaines de mètres sous leurs pieds.

===== HRP ====

Voilà, j’ai donc fait une élipse pour nous faire arriver plus vite dans les parages. On pourra certainement se croiser prochainement ! =3

La soirée s’était plutôt bien passée, au départ la Japonaise était un peu honteuse de s’être laissée emporter par les paroles de la chanson, mais les regards agréablement surpris du groupe et le compliment de Melena lui rappela que c’est ce qu’elle voulait vraiment : chanter pour les autres, animer des concerts, sortir des CD. Et bizarrement, ce rêve si longtemps oublié revient avec plus de force. Elle ne pouvait pas abandonner.

La suite de la soirée s’était très bien passé blagues, jeux, discussions, tout y était. Yoake retrouvait peu à peu ce qu’elle avait perdu il y a cinq ans, elle se sentait de plus en plus à l’aise. Bien sûr, elle n’oubliait pas Melena et la regardait de temps en temps espérant qu’elle aussi y trouvait son compte après tout, c’était censé être une soirée détente non ?
En tout cas pour elle ça avait fonctionné pendant un temps, elle avait tout oublié, sa phobie, Dreamland, Elipse, Quiet Hill, ses meurtres, elle n’était plus qu’une adulte ordinaire, qui avait juste un rêve énorme à réaliser. S’enfonçant dans son siège, elle s’endormit comme un bébé.

La Japonaise se réveilla grâce à la voix grésillante indiquant leur arrivée prochaine, elle frotta ses yeux et entendit la thanatophobe annoncer qu’elles arrivaient. L’hématophobe sentit immédiatement la chaleur lui caresser la joue. Il y avait aussi de nombreuses statues tournées vers des endroits bien précis. Il y avait aussi de nombreuses statues tournées vers des endroits bien précis. Outre cette vision magnifique de la cité Yoake remarqua les bandes de tissus rouge et vert fixées partout dans la ville, il y avait aussi des étals en son centre. Pour le moment, seul quelques lèves-tôt préparait la fête, mais le soleil venait tout juste de se lever. Le dirigeable alla droit sur une clairière avoisinant pour se poser, et la Japonaise estimait qu’il était temps de se préparer. Elle attacha sa tresse en chignon grâce à son élastique et ressortit quelques mèches qu’elle tenta de discipliner, elle rangea sa veste et son manteau devenu inutile dans son sac. Et attendit patiemment de pouvoir sortir jetant parfois un regard à la fenêtre pour apercevoir la jungle s’approcher de plus en plus. L’atterrissage semblait délicat, mais le pilote, alerte réussit à se poser avec précision. Des piquets furent fixées au sol pour l’empêcher de se déplacer.

La Japonaise se leva et plaça son sac sur les épaules, elle se tourna vers Melena et lui sourit comme pour lui prouver qu’une fois de plus ce n’était pas un trio de garçon qui aller freiner leurs buts. Elle demanda :

- On y va ?

C’est alors qu’elle tourna son visage vers les trois jeunes pour leurs dire en revoir, mais Gab s’était levé et la regardait à présent :

-Vous ne venez pas avec nous… N’est-ce pas ?

Son sourire craquant et ses cheveux ébouriffés auraient pu en faire fondre plus d’une… Mais Yoake le savait au plus profond elle-même, ce n’était qu’un être de rêve, jamais elle ne le reverrait à San Francisco.

- Oui… Nous devons déjà retrouver notre amie, le vol a pris suffisamment de retards.

- Je m’en doutais tiens prend ça, c’est nos contacts Iwok.

Yoake récupéra le morceau de papier et le remercia d’un sourire sincère mais légèrement triste se demandant ce qu'était un Iwork. C’est alors que Mike agrippa les épaules de son copain :

- Regarde-moi ce sentimental, Eh Melena et toi aussi, Yoake, vous avez qu’à venir nous rejoindre à la fête avec votre amie après tout ce n’est que le premier jour.

- Pourquoi pas. À bientôt alors

Dit la Japonaise dans un sourire.

Elle sortit alors avec Melena et attendit que cette dernière récupère sa hotte. Son visage était déjà trempé de sueur. Au moins, la chose positive, c’est que sa peau ne sera plus aussi pale, elle allait enfin prendre un peu de couleurs. Melena revient un peu plus tard avec sa hotte. Il ne restait pratiquement plus personnes tous étaient partie, il n’y avait à présent plus aucune trace de Mike, Gab, et Bryan.
Les deux femmes traversèrent la jungle pour rejoindre la ville Téhinastèque. Yoake dit finalement comme pour briser le silence :

- Cette soirée était sympa, on a bien rit. Je n’ai même pas vu le temps passer. Et toi ?

Après tout Yoake avait bien remarqué que la thanatophobe était moins à l’aise que l’hématophobe. Après quelques minutes de marche, elles arrivèrent devant les premières maisons de pierres et la Japonaise s’exclama :

- ça change complétement des plaines, mais je trouve le paysage sympa, tu as vu ces maisons de pierre, quelques-unes sont recouvertes par la végétation.

Son regard se reporta alors sur des villageoises, habillées de tissus colorées. Chacune portait des paniers remplis de pastèques.

- Ce tissu me fait penser à la jupe que tu m’as prêtée hier

Les cris de Ian lui parvenaient à peine, entrecoupés et inintelligibles. Les seuls mots qu'elle parvenait à discerner ne la faisait que se rembrunir un peu plus. Il ne comprenait rien, il se fichait de tout. On aurait dit un enfant gâté en train de faire une crise en plein supermarché parce que sa mère refusait de lui acheter un jouet. Si elle avait été Elie, elle aurait probablement fait demi-tour pour lui assener une bonne gifle des familles histoire de lui remettre le cerveau  à l'endroit. Mais elle n'était que Jade... elle se contenta donc d'un regard noir lorsqu'il arriva à sa hauteur pour martyriser de pauvres  fourmis à l'aide d'un bâton. Le spectacle les insectes qui s'enfuyaient le fascinait plus que tous ce qu'elle avait pu dire ou faire. C'était tellement rageant !

Après un profond soupir, Jade commença à lever la main pour attirer l'attention de l'hyperactif mais avorta son geste. Qu'il reste là un petit peu, elle avait besoin d'air. Juste un peu de temps seule, pour penser. Avec tout ce qui l'attendait, gérer un mec comme ça était bien la dernière chose dont elle avait besoin, elle qui avait déjà tant de mal à se gérer elle-même.

Plantant son camarade devant la fourmilière, la bonne jumelle s'engagea dans la rue qui jouxtait la première maison et pénétra dans la ville. Tehinastèque, à en croire toutes les banderoles placardées partout. Sans savoir comment son cerveau déchiffrait automatiquement les écritures anciennes qui proclamaient « Grande foire à la pastèque de Tehinastèque », à croire que Dreamland avait installé google trad dans un coin de son crâne. Ça expliquait probablement pourquoi elle pouvait comprendre Yoko, japonaise jusqu'au bout des ongles. On y voyait même une certaine logique... dans les rêves, où qu'on soit, on comprenait toujours tout. Réaliser que ça s'appliquait réellement à l'écriture et au langage était tout bonnement fascinant. Mais ça voulait aussi dire que tout le monde comprenait ses insultes en espagnol et cette simple pensée la fit rougir. Elie et elle avaient tellement juré en se croyant à l’abri qu'elle ressentait le malaise rétro-activement. Ça lui apprendrait à réfléchir avant d'ouvrir la bouche, tiens !

Une femme aux bras chargés de fleurs tropicales la bouscula, tirant la jeune fille de ses rêveries. Ils n'y allaient vraiment pas mollo avec la décoration ! Les bâtisses étaient couvertes de guirlandes de fleurs, de bannières ornées de pastèques et même, détail de mauvais goût, d'immenses sculptures de pastèques peintes en vert vif. La première zone qu'elle traversa était réservée visiblement à la vente de ces fruits, parfois de taille et de couleurs complètement hallucinantes. Roses, jaunes, bleues, petites comme des prunes ou grandes comme une roue de monster truck... il y en avait vraiment pour tous les goûts. Enfin, façon de parler.

- Mouais, de la pastèque, ça reste de l'eau, un gramme de sucre et trop de pépins.

Sa remarque lâchée à mi-voix lui attira les foudres des passants, des murmures rageurs et -par la grâce d'un gamin particulièrement fourbe- un jet de micro-pastèque à l'arrière de son crâne. Après un cri de surprise et de douleur, Jade se massa l'arrière du crâne, rouge comme une tomate, avant de s'empresser de quitter la zone. Bon et bien au moins elle était fixée sur la conduite à adopter pendant cet événement...

Il lui fallut une cinquantaine de mètres pour distancer les derniers témoins de son hérésie. La psychotique ralentit alors le pas, découvrant une zone encore plus loufoque que la précédente. On se serait cru devant un croisement d'interville et d'une secte d'adorateurs de pastèques. Bowling de pastèque, chamboule-tout de pastèque, concours de mangeurs de pastèque, course d'obstacles thématique, tir à l'arc, et tellement d'autres activités détournées de leur contexte pour faire honneur au fruit tant apprécié des locaux. A ce moment-là, Jade était rodée. Elle en était à ce stade que tout le monde a connu au moins une fois, celui où l'on se dit que plus rien ne peut nous surprendre. Puis... il y eut « ça ».

- Du... non. C'est juste ridicule. Les pastèques ne sont pas viv...

Mais elle fut bien forcée de reconnaître qu'à Dreamland une pastèque pouvait avoir des pattes et s'en servir pour se déplacer. Et qu'il y avait des idiots pour faire du rodéo dessus. Bouche bée devant la barrière qui la séparait de la zone en pleine effervescence, Jade ne pouvait quitter des yeux l'aztèque à califourchon sur une pastèque à pattes qui tentait de le désarçonner. C'était le spectacle le plus absurde mais aussi le plus fascinant qu'elle eut jamais vu, au point de se demander si ses parents accepteraient qu'elle ait une pastèque de compagnie.

C'était le genre de chose qu'on avait envie de commenter, de partager avec ses amis. Mais quand elle se tourna, tout ce qu'elle vit fut une foule d'inconnus. Maintenant que la colère due à la frustration était passée, le remord la prit aux tripes avec violence à l'idée d'avoir laissé Ian perdu dans une ville inconnue. Pire... un monde inconnu. Et mortel. Ses jambes se mirent soudain en branle et elle courut à toute allure vers la sortie de la ville, passant devant Yoake et Melena qu'elle ne remarqua même pas tant elle était concentrée sur son but. Et s'il était parti ? Et s'il s'était perdu ? S'il avait lui aussi blasphémé sur les pastèques et que les habitants du coin avaient décidé de le lapider avec leurs préciiiiiiieuuuuux fruits ?

Heureusement, l'hyperactif était toujours là, menant sa guerre contre les fourmis. Posant une main sur son épaule, Jade le poussa à se retourner avant de tenter un sourire timide. Elle n'aimait pas rester fâchée et espérait juste qu'il n'était pas rancunier.

- Je... je te promets de ne plus m'énerver si tu fais plus attention à moi. Ca te va ? Et puis tu ne sais pas ce que tu perds à rester ici. Y'a des trucs de dingue en ville ! Tu as déjà vu un homme monter sur une pastèque comme s'il s'agissait d'un cheval ? Moi oui, et je n'arrive pas encore à m'en remettre.

Yoake proposa d’y aller, l’adolescente l’allait pas se le faire dire deux fois. Elle se lava, s’étira et adressa un sourire mi-gêné aux garçons qui semblaient déçus qu’elles ne les suivent pas. Une fois encore ce fut la japonaise qui prit les devant et l’irlandaise se contenta de hocher la tête dans son dos en signe d’approbation. L’idée de les revoir pendant la fête à la pastèque suscitait d’ailleurs en elle une étrange appréhension. Elle n’était pas de ces adolescentes populaires qu’on invitait régulière aux fêtes, soirées hypes et autres festivals. Être un centre d’intérêt, pour une fois, ça avait du bon. Que penserait Jade ? Elle la retrouverait non pas avec des ennuis aux fesses mais avec une bande de mecs sympas qui leur proposait simplement de profiter ensemble de la foire à la pastèque… ça changeait, non ?!

A l’extérieur, l’air tropical était lourd, moite, il collait à la peau blafarde de Melena. Déjà, elle chassait les moustiques qui s’aventuraient sur ses bras nus à coup de claques agacées. Son petit doigt lui disait qu’elle allait rapidement regretter le climat tempéré des plaines félicités, mais l’appel de son cœur valait bien de braver quelques insectes hématophages.

Le dirigeable s’était posé dans une clairière différente de celle où était incrustée Téhinastèque, sans doute prévue à cet effet. Le sentier à travers la jungle était balisé à l’aide d’un bandeau rouge et plusieurs hôtesses se tenaient à disposition pour les voyageurs qui avaient des questions. Ceux qui avaient des bagages en « soute » devaient attendre le déchargement mais les autres, comme Melena et Yoake, pouvaient déjà s’aventurer  sur le chemin les menant à la sortie. Quand l’hématophobe lui demanda si elle avait passé un agréable moment, l’irlandaise répondit sur le ton de la conversation :

- C’était cool oui. J’ai pas… l’habitude de traîner beaucoup avec les gens, alors je parle pas beaucoup, mais j’écoute.

L’éternel mouton noir. Heureusement, en école secondaire, l’ignorance avait succédé à la persécution, mais était-ce bien mieux ? Melena Autumn, la paria, celle qu’on évitait, à qui on ne parlait pas, même si personne ne se souvenait pourquoi. Ses réminiscences de sa vie du monde réel s’étiolèrent quand elle découvrit les premières bâtisses en pierre, typiques de l’époque incas. Gravé sur un énorme rocher, on pouvait lire « Bienvenue à Téhinastèque » ainsi que tout un texte historique qui racontait, sûrement à l’intention des touristes, la création de cette ville encerclée par la forêt tropicale.

Il était encore tôt mais le soleil, penché sur l’horizon, diffusait déjà des rayons d’une chaleur étouffante. Il y avait des banderoles et des décorations partout, guirlandes de fleurs, colliers de pastèques, annonçant le commencement de la foire dans la journée. Observant les tenues locales qui, effectivement, ressemblaient bien à son ancienne tenue d’esclave miquitzlienne, la nécrophobe répondit – non sans écraser un moustique sur son avant-bras bariolé de cicatrices :

- C’est normal, elle vient de la région.

Des étalages s’étaient dressés un peu partout sur la place centrale du village, laissant présumer les activités qui allaient suivre : concours de mangeur de pastèque, tir à l’arc, chamboule-tout de pastèque... Les locaux déambulaient en pleine effervescence : organisateurs, participants, responsables, tous couraient à droite et à gauche sans vraiment remarquer qu’un flot de touristes venaient de débarquer. Après avoir noué ses longs cheveux en un chignon précaire pour dégager sa nuque brûlante, Melena s’autorisa à fournir plus d’explications à sa compagne de route :

- En fait, je vous ai dit la nuit dernière, avec Zephyr et Eva, que j’ai été au Colisée de Sextus avec Jade. Ce que je n’avais pas raconté, c’est qu’on a été vendues à Léviathan, le gardien de la tour de Miquitzli. C’est la capitale de la région, d’où les vêtements. On s’est échappées parce que notre convoi a été attaqué par des bandits, mais… Léviathan est le gardien de l’Envie, tu penses bien qu’il est très très très en colère qu’on ne soit pas arrivées à bon port… si on va à Miquitzli, je ne pense pas qu’on soit accueillie chaleureusement.    

Le ventre de l’adolescente gargouilla. Elle n’avait pas mangé depuis la veille au soir et si le sommeil lui avait fait oublier ses besoins nutritionnels, son corps se faisait désormais un plaisir de lui rappeler ses règles. A l’ombre d’un paravent en paille qui protégeait un comptoir de bar encore désert – mises à part les demi-pastèques attendant patiemment d’êtres vendues, l’irlandaise fouilla dans ses vivres pour en sortir un paquet de biscuits secs épais aux céréales.

- Je vais appeler Jade pour la trouver.

Elle but une rasade d’eau de sa bouteille qu’elle avait remplie dans les toilettes du dirigeable et retrouva son Iwok, dans une poche de son manteau soigneusement roulé dans sa hotte. Une adolescente aux cheveux peroxydés passa devant leur duo en courant, visiblement anxieuse. Melena plissa les yeux, comme si son intuition cherchait à lui pointer du doigt quelque chose, puis elle reporta son attention sur sa communication. Le temps d’être mise en relation avec sa meilleure amie et elle dit d’emblée :

- On est arrivées ! Le vol a eu du retard, mais on est là. Est-ce que tu as trouvé Téhinastèque de ton côté ?

La japonaise suivit son amie dans les rues de Tehinastèque encore vide, dans quelques heures, surement, les rue se remplierait peu à peu. Yoake devra surement une fois de plus regarder chaque personne, pour éviter de s’approcher trop prêt des cicatrices. Dis comme ça, la Japonaise aurait pu croire que sa réflexion était puérile. Malheureusement, pour l’avoir vécu pendant cinq. Elle savait qu’il fallait qu’elle se prépare mentalement au pire, c’était comme dans les magasins. Mais pour le moment autant profiter du calme.

Melena semblait un moment ailleurs et finalement la Japonaise se demandait vraiment si cette soirée lui avait plu. Après tout Yoake et Melena ne savaient pratiquement rien l’une sur l’autre et à réflexion peut être que le Japonaise n’en disait pas suffisamment sur elle-même pouvait-elle lui confier sa pire honte ? Ou alors comment elle était passée de lycéenne brillante, à salarié dans un boite d’archives ? Dans un sens, elle avait vraiment envie de lui dire la vérité, avoir quelqu’un sur qui s’appuyer, cela pourrait être bien. Mais pour le moment, ce n’était pas l’endroit idéal.

Melena expliqua alors le pourquoi de la jupe et l’hématophobe frissonna, finalement, elle était bien contente de l’avoir enlevé. Esclave, ce monde n’avait donc aucune norme censée ? Ça faisait plusieurs années que l’esclavage était aboli. Ce n’était, bien sûr, pas le seul problème, elles étaient toutes proches d’une tour et le gardien de l’envie était apparemment tout sauf commode, sa seule référence Quiet Hill, n’était rien à côté. La seule chose qui la rassura était que la thanatophobe n’avait aucune envie d’aller à Miquitzli. Elle dit alors :

- Esclave, adepte, on ne t’a pas loupé à Dreamland, on a aucun raison d’aller à Miquitzli, ça devrait le faire tu ne penses pas ? Ce gardien, il ne peut pas savoir qu’on est là ?

Yoake n’avait pas encore vu un de ses gardiens, mais la description de Melena était suffisamment claire pour que la japonaise s’imagine le pire. Ce monde était sans pitié, après tout, seul les gardiens et le marchand de sable mettait en place les règles, que pouvait-elle donc espérer de plus ici.

Elles s’arrêtèrent et le paquet que sortit Melena à ce moment-là fit saliver la japonaise, son ventre d’ailleurs se tordit comme pour lui rappeler qu’il n’y avait plus grand-chose à digérer. Elle chercha au fond de son sac ses Ferrero cailloux et en mangea un par petit bouché, espérant qu’ainsi elle tiendrait plus longtemps sans manger.

Elle avait fait des choix pour économiser un peu d’argent, mais à y réfléchir ce n’était peut-être pas la meilleure solution de terminer ses chocolats avant d’acheter une boite de barre de céréales. En même temps, elle ne connaissant pas encore très bien le rapport de l’argent à Dreamland et ne voulait pas prendre le risque de se retrouver à cours. Aussi, ne se plaignait-elle pas auprès de l’Irlandaise.

Cette dernière parla alors d’appeler Jade et Yoake se mit à sourire en l’entendant, elle lui fit un clin d’œil et lui dit avant qu’elle ne saisisse son Iwok :

- Bientôt les retrouvailles alors !

Elle était contente pour son amie et elle espérait sincèrement que tout se passe bien et que Melena aille mieux. Après tout dans quelque minute Yoake aura réalisé son souhait, l’aider à trouver sa meilleure amie bientôt se serait chose faites. Il était peut-être temps de se donner un nouveau but… Non, elle ne voulait pas penser à ça pas maintenant ce n’était que le début de son aventure et non la fin… Tout n’allait pas s’arrêter là.

Son regard se porta sur les étals qui s’ouvraient peu à peu, il y avait même une liste d’activité proposée pendant toute la durée de la fête. Yoake s’en approcha tout en buvant un peu d’eau. Il fallait mieux qu’elle économise sur ce point aussi, les averses des plaines félicités étaient loin à présent. Et ici, ce n’était pas la saison des pluies. Elle ferma donc son purificateur et leva les yeux sur la fameuse liste, tir à l’arc, chamboule tout, Bowling chaque activité était proposé en utilisant la pastèque, Yoake trouvait l’utilité de la pastèque à chaque fois sauf pour le rodéo quel pouvait être l’utilité de ce fruit pour ce sport…l’hématophobe en était encore là dans sa réflexion quand elle vit Melena la rejoindre.

La fourmilière était détruite; quelques colonnes d'insectes, oeufs sur le dos fuyaient encore vers des horizons plus sereins; le jeune homme en avait terminé avec sa leçon de sciences et vie de la terre.
Il se retourna et à sa grande surprise Milly avait disparu. Elle l'avait laissé seul; elle devait être vraiment en colère...
Ian n'aimait pas cela.
Il n'aimait pas qu'on soit fâché contre lui; il était conscient d'avoir exagéré en la traitant de laide comme un pou alors que c'était faux: même furieuse elle était belle, il avait menti !
Ne sachant que faire, il tournait en rond comme Picsou autour de son amas de pièce d'or et culpabilisait.
Il était très conscient que sa pathologie nécessitait qu'on s'occupe de lui, même à son âge. L'autonomie lui était refusée puisque son cerveau était en dysfonctionnement constant aussi avait-il peur d'être seul, livré à lui-même, incapable de gérer les dangers qu'il pouvait provoquer.
Angoissé, il accéléra ses rotations jusqu'en avoir le tournis puis s'assit pour tenter de réfléchir.
Il se rappela un conseil de sa mère: "quand tu es perdu, ne cours pas dans tout le magasin, arrête-toi et attend, je te retrouverai toujours".
Le conseil devait être valable pour cette situation: s'il restait là, Milly le retrouverait.
De toutes façons, elle l'avait emmené dans la ville mortellement dangereuse, il n'allait quand même pas s'y aventurer...

Au bout d'un moment qui lui paru interminable (trois minutes ?), il se leva: il fallait qu'il bouge un peu sinon il serait ankylosé.
Non loin de là, une petite maison était tapie au ras du sol afin de se protéger de la chaleur. Les murs étaient blancs, le toit rouge et ne semblait pas abandonnée.
Il y a peut-être des gens, je vais aller leur dire bonjour ! s'exclama t-il joyeusement, oubliant déjà la recommandation maternelle.
Il s'y dirigea d'un pas alerte en sifflotant un air entraînant du style afro-brésilien, musique qu'il adorait.
En effet, il y avait quelqu'un ou plutôt quelques-uns: quatre ou cinq bambins en short et tee-shirt déjà gris de poussière jouaient dans la petite cours.
Hello ! lança t-il en faisant un signe de main et arborant un grand sourire.
Il adorait les enfants et en général, ils le lui rendait bien.
Salut ! répondit la petite marmaille, peau cuivrée, cheveux noirs et yeux étincelants de malice.
Les cinq se ruèrent vers la petite palissade et continuèrent de le héler: Viens ! tu veux jouer à quoi ?
Tout content, Ian proposa: je vais vous apprendre à faire un truc et tout en dansant en rythme, il fit toute une série de bruitages avec sa bouche tandis que les enfants ébahis trépignaient d'impatience à l'idée de s'exercer à quelque chose d'aussi marrant.
ça s'appelle de la percussion vocale, je vous montre un truc facile, vous faites après moi, ok ?
OK !!! piaillèrent les mômes tout guillerets, dansant déjà sur leur petites jambes.
Ian avait vu juste: comme dans la vie réelle, dans ces genre de contrées, tout le monde aimait chanter, danser et faire la fête.
Les enfants eurent tôt fait d'assimiler la technique et offrirent un concert improvisé à leur nouveau professeur.
Tout à coup une voix féminine s'éleva dans le brouhaha: Les enfants, venez vous changer on va à la foire !
La foire ? demanda Ian.
Oui c'est la fête de la pastèque aujourd'hui, tu iras ? répondirent en choeur les gamins.
Tiens, on t'en donne une, elle est bien mûre, elle sera bonne ! au revoir !!!
Tout ému, le jeune homme prit la pastèque dans ses mains, salua les enfants et repartit vers la fourmilière perplexe:
Milly n'est tout de même pas allée à la fête sans moi...

Ne sachant que faire, il découpa le fruit avec un silex et mordit dedans. cela lui fit du bien, il avait un peu faim et soif.
Posant les yeux au hasard du chemin qui partait vers la ville, il aperçu au loin une silhouette qu'il connaissait bien: Milly !
Il ne fallait qu'elle sache; c'était peut-être une bêtise d'être allé voir les enfants...
Il posa le reste de pastèque, bondit sur ses pieds, reprit son bâton et fit semblant de touiller dans ce qui restait de la fourmilière jusqu'à ce qu'elle arrive, comme s'il n'avait rien vu, rien entendu.

Il fut tout bouleversé quand la jeune fille posa la main sur son épaule tandis qu'elle parlait.
Il bredouilla un oui, j'mexcuse, je ferai attention à toi maintenant... et quand il l'entendit raconter l'histoire des pastèques qu'on pouvait monter comme des chevaux il sauta d'enthousiasme et l'embrassa sur la joue sans même tiquer de l'incongruité du jeu.
Avec elle il reprit le chemin, la regardant toutes les deux secondes pour lui prouver qu'il tenait sa promesse.
Il passèrent devant la petite maison.
Les enfants, habillés de propre attendaient dans la courette que leurs parents ferment la porte à clé. En revoyant le jeune garçon, il coururent à la barrière en criant: Coucou Ian !!! alors, tu vas à la foire ? c'est ta copine la fille ?
Le jeune homme leur fit un clin d'oeil de connivence et glissa un air de chien battu vers l'adolescente: il s'attendait à se faire disputer une fois de plus.

Sa déclaration avait balayé la gravité du visage de Ian, laissant place à un sourire rayonnant. Il était vraiment comme un gosse mais... c'était pas si mal finalement. Tout ce qu'on croisait ici, c'était des gens qui se prenaient trop au sérieux, des gens autoritaires, dictateurs même, des gens méfiants, louches, paranoïaques et calculateurs. Un peu de candeur dans ce monde de brutes ne pouvait pas faire de mal. C'est donc avec le sourire que Jade accueillit les excuses de son camarade et se laissa entraîner vers la fête qui commençait à battre son plein.

Toute la ville était en effervescence, les citoyens avaient déferlé dans les rues malgré l'heure matinale et on ne pouvait faire deux pas sans bousculer quelqu'un. Il y avait tellement de monde, de bruits, de choses à voir, que l'adolescente ne remarqua même pas les cris des enfants. Et encore moins les sous-entendus qu'ils contenaient. A l'air de chien battu de l'hyperactif, elle répondit par un haussement de sourcil interrogateur avant de répondre à son iwok qui s'était mis à sonner. Après que l'opératrice lui ait annoncé qu'elle allait la mettre en relation avec Melena, Jade découvrit avec plaisir que sa meilleure amie était déjà en ville. Un sourire fleurit sur les lèvres de la blondinette alors qu'elle répondait avec une impatience palpable :

- J'y suis déjà, j'essaye de ne pas mourir écrasée par la foule pour le moment!Elle éclata de rire avant de reprendre: On n'a qu'à se retrouver devant le stand de rodéo ok ? Tu ne pourras pas le louper, je t'assure... bref ! Je suis là d'ici 5 à 10 minutes!

Retrouver les gens auxquels elle tenait après si longtemps... elle avait presque cessé d'espérer. La thanatophobe dormait peut-être juste à côté dans le monde réel, mais ça ne valait rien à Dreamland. Ici le temps s'étirait en longueur, chaque seconde qui s'écoulait révélant des aventures fantastiques et des dangers terrifiants. C'était dans ce monde qu'elle avait besoin d'eux. Qu'elle avait besoin d'elle. Son voyage avec Melena lui semblait tellement loin ! Et pourtant, elle avait beau chercher elle ne trouvait personne avec qui elle avait réussi à se rapprocher autant. La simple idée de la revoir lui mettait les tripes à l'envers -dans le bon sens du terme.

Jay attrapa la main de Ian et l’entraîna dans la marée humaine. Elle ne se souvenait que vaguement du chemin emprunté la première fois et si en temps normal cet état de fait l'aurait angoissé, pour l'heure la joie lui donnait des ailes. Pas que la peur, en réalité. A quelques dizaines de kilomètres de là, Elie combattaient une poignée de Miquitzlien, offrant une véritable paire d'aile à Jade qui ne le réalisa même pas sur le moment. A quoi bon porter attention à son dos quand à 20 mètres devant elle se tenait sa meilleure amie ?

- Melena ! MELENA !

Arrivée à hauteur de l'irlandaise, elle lâcha la main de l'hyperactif pour se jeter dans les bras de son amie, ses ailes d'un blanc pur déployée dans son dos.

- Je suis tellement contente de te voir ! Je sais que je n'aurais eu qu'à me réveiller mais... on sait toutes les deux que ce n'est pas pareil et... que... j'ai un truc sur le visage ou quoi ?

Pourquoi est-ce qu'elle la dévisageait comme ça ? On aurait presque dit qu'elle ne la reconnaissait pas. C'était un jeu ? Une blague de mauvais goût ? Ou alors elle venait de tomber sur un double de Mel' ? Une foule de questions se bousculaient dans l'enceinte du crâne de la psychotique lorsqu'elle réalisa sa bêtise abyssale : elle portait toujours le masque de Miss Paper. La nécrophobe devait penser qu'une inconnue complètement folle s'était prise d'affection pour elle... de quoi calmer les ardeurs de Jade, avec une belle vague de honte en prime.

L'adolescente relâcha sa prise, l'air embarrassée. Elle ne savait pas trop par où commencer, surtout qu'elle ne pouvait pas se permettre de donner des informations sur la résistance à une adepte. Si Kay et Chayan venait à apprendre ce qu'elle lui avait dit en lisant dans ses pensées... c'était fini d'Elie et elle. Après un brainstorming éclair, Jade réussit à trouver le meilleur compris entre vérité et sécurité, s'empressant d'éclaircir le mystère :

- Désolée si je t'ai surprise... c'est moi, Jade. Je suis tellement recherchée à Dreamland que j'ai trouvé un bienfaiteur pour m'offrir un faux visage. C'est qu'un masque hein, plutôt réaliste je te le concède, mais c'est bien moi dessous.

La présence de Yoake et Ian s'imposa alors à son esprit, amplifiant son malaise. Tu parles d'une première impression ! Elle avait royalement ignoré cette fille et n'avait même pas daigné présenter son propre camarade. Bon... il allait falloir rattraper ça rapidement ! La bonne jumelle offrit à l'asiatique un sourire éblouissant et un signe de main en guise de salut avant d'attirer l'hyperactif à elle pour montrer qu'ils formaient bien un groupe.

- Mais j'en oublis les bonnes manières... Bonjour, moi c'est Jade et lui, c'est Ian ! Je l'ai rencontré il y a moins de 24h, mais c'est un mec sympa. Ian... voilà Melena, ma meilleure amie. Et là c'est... euh... comment tu t'appelles ?

Lorsque Jade lui confirma qu’elle avait trouvé Téhinastèque, et qu’en plus elle serait là dans moins de 10 minutes, l’irlandaise se demanda un instant si elle avait déjà été aussi excitée de toute sa vie. Revoir la psychotique ce n’était pas « simplement » revoir sa meilleure amie : c’était revoir sa plus fidèle alliée, son plus fidèle soutien. Elles s’étaient sauvé la vie mutuellement, elle avait traversé la moitié d’un continent, combattu des bandits et des créatures mystiques alors que leurs pouvoirs étaient ridicules… tout cela paraissait incroyablement lointain ; et pourtant, …

Son cœur s’était emballé. Maintenant que ce n’était plus qu’une question de minute, elle se souvenait des frissons au contact des lèvres de Jade, de l’impression de bien-être pendant son étreinte, de cette sensation d’être prête à tout pour elle. Tout. N’est-ce pas déjà ce qu’elle avait fait pour la retrouver ? Qu’était-elle devenue, simplement pour revoir sa meilleure amie – celle qu’elle aimait ? Ce secret était doux mais toujours aussi amère. Melena avait l’impression de renaître, comme si toutes ces dernières semaines, elle n’avait été qu’un être mort, froid et machinal.

- Elle est là  ! s’exclama-t-elle en retrouvant Yoake, on se retrouve devant le stand de rodéo.  

Un grand sourire illuminait son visage ivoirin d’ordinaire si fermé. Ses yeux gris pâles n’étaient plus glacials, ils pétillaient d’impatience. La nécrophobe sautillait presque sur place comme une enfant trop pressée de se rendre à Disneyland. Elle ne se demanda pas ce qu’un rodéo pouvait avoir à voir avec la foire à la pastèque, pas plus qu’elle ne réalisa que les rues s’étaient soudainement remplies de monde. Les festivités n’allaient pas tarder à commencer, tout était en branle désormais. Les touristes – comme les locaux – frémissaient d’excitation, l’euphorie ambiante était presque palpable.

L’irlandaise se retournait de temps en temps pour s’assurer que l’hématophobe la suivait, se faisant violence pour ne pas littéralement courir en direction du lieu de rendez-vous. Arrivé à hauteur du dit enclos de rodéo, Melena se figea, face au spectacle le plus absurde qu’elle n’avait jamais vu – et pourtant, elle en avait vu des choses à Dreamland. Elle éclata de rire, comme si ce n’était qu’une bonne blague (caméra cachée ? Surprise-surprise ?) et se tourna vers Yoake pour lui demander d’un faux air sérieux :

- On est d’accord qu’il s’agit d’une pastèque géante avec des pattes ? Je ne suis pas folle ?  

Heureusement – ou malheureusement – non. Quoiqu’il en soit, le sourire qui flottait sur les lèvres fines de l’adolescente ne s’évaporait pas. Elle épiait la foule, craignant soudainement de manquer l’arrivée de sa meilleure amie. Dans un flash, elle se souvint d’une question que lui avait posée la japonaise avant qu’elle ne pioche dans ses biscuits et ne téléphone.

- Je suppose que Léviathan peut avoir des espions dans le coin, ou même que des chasseurs de prime me traquent rien que pour la gloire… mais ça va le faire oui. Miquitzli n’a pas une influence aussi importante ici je pense, et puis ce serait fou qu’on se fasse attaquer avec autant de monde.  

En vérité, la voix de la raison soufflait à Melena qu’elle connaissait Dreamland depuis suffisamment longtemps pour savoir que les puissants de ce monde se fichaient royalement de perpétrer des attaques devant témoins. Dans un sens au contraire : plus il y aurait de témoins, plus l’impression de terreur et de respect qu’ils émanaient se propagerait. Toutefois, la brunette avait la tête ailleurs. Tellement ailleurs qu’elle entendit quelqu’un crier son nom mais ne vit qu’un éclair blond et blanc pur quand Jade se jeta à son cou.

Le temps s’était arrêté. Ça y est. Elle avait réussi. Tout ce qu’elle avait vécu jusqu’à présent : les épreuves de Freedoom, la recherche de son ombre en solitaire dans les glaciers, l’arrestation de Janice, la traversée des plaines félicité, sa férocité pour s’échapper de Quiet hill… tout cela n’avait que pour unique finalité que cet instant précis. Ses muscles se détendirent, son chignon s’était défait, libérant sa cascade de cheveux d’un noir de jais. Elle avait réussi. Avant Elie, avant que le destin ne les rattrape. Elle avait les larmes aux yeux, mais quand elle s’éloigna de quelques centimètres, le visage qu’elle découvrit lui était inconnu. Melena se figea soudainement, tellement surprise qu’elle était incapable de lâcher cette personne qu’elle ne connaissait pas, ou de parler, ou de dégainer son arme pour lui faire regretter d’avoir usurper l’identité de son amie.

Il lui fallut un instant pour que l’explication lui monte au cerveau et un autre temps pour qu’elle l’admette. Oh ce n’était pas qu’elle ne la croyait pas, elle avait dépassé ce stade à Dreamland. Mais… le visage de Jade faisait partie de ce qu’elle aimait. Ses mimiques, ses sourires, ses expressions… elle reconnaissait ses cheveux décolorés, sa taille, la chaleur de son étreinte, sa voix et… oui, décidément, c’est ce qui fut déterminant : ses yeux. Ces yeux bleus dont elle était amoureuse. Alors elle donnerait une chance à ce masque, mais se promit intérieurement de poser plus de questions quand elles seraient seules.

Ses orbes d’orage survolèrent Ian quand elle lui adressa un poli signe de tête. Il était mignon oui, mais en plus de la méfiance naturelle de l’irlandaise pour les étrangers, elle était à mille lieux de s’intéresser à lui pour l’instant. En fait, pendant que la japonaise se présentait, Melena s’était mise à observer les ailes d’ange de la bonne jumelle. C’était la première fois qu’elle les voyait. Ça lui allait tellement bien… obéissant à une pulsion affective, ce fut à son tour de se jeter dans les bras de sa meilleure amie pour la serrer avec toute la force de son corps frêle. Jamais elle ne la laisserait partir désormais.

- Je suis trop trop trop contente , lui murmura-t-elle à l’oreille, je… je… j’ai eu tellement peur… si tu savais tout ce que…

Elle pleurait silencieusement désormais. Quelques larmes de soulagement. Ses phrases restaient bloquées dans sa gorge nouée. Une douloureuse pensée vint s’accrocher à ses sentiments d’allégresse. Et si la psychotique ne l’acceptait pas ? Rien ne se voyait dans le monde réel mais ici, ses avant-bras dénudés dévoilaient les cicatrices grossières héritées de sa résurrection par nécromancie et l’ouverture en V de sa chemise laissait entrevoir le « sloth » de son tatouage. Comme l’a si bien dit Dakota : elle était marquée comme une bête désormais. Une bête maudite.  Décidée à ne pas sombrer dans la déprime, Melena libéra son amie et la taquina avec un petit sourire :

- On dirait que le duo de choc est réuni… ça me donne presque envie de passer voir Bennificus.

Les rues se remplissaient peu à peu, faisant frissonner l’hématophobe, comment allait-elle pouvoir éviter tous les gens portant des cicatrices ? Ce n’était pas comme les magasins où elle trouvait un endroit pour se cacher, les fêtards rempliraient bientôt tout l’espace de la cité, ne laissant pratiquement aucune chance à la japonaise. Soudain inquiète, elle chercha des yeux la thanatophobe et ce qu’elle vit l’étonna au plus haut point :

Melena était là souriante, sautillant sur place, comme un enfant, Yoake se surprit même à penser que l’irlandaise paraissait plus jeune, c’était comme si elle retrouvait son âge… 17 ans.
La soudaine bonne humeur de Melena était communicative et fit naitre un sourire sur le visage pale de la Japonaise. Rendez-vous au rodéo de la foire ? L’hématophobe eu à peine le temps de comprendre cette phrase, que déjà, elle se faisait entraîner par Melena. Son visage parcourait la foule sans que la Japonaise puisse réagir. Parfois, elle avait l’impression de perdre la thanatophobe, mais à chaque fois, cette dernière l’attendait avant de repartir aussitôt.

La Japonaise la trouvait transformé, comme si la présence de jade allait tout effacer et tout changer la journée risquait d’être bonne si ça continuait ainsi. Et c’était le cas, en arrivant proche de l’enclos Melena éclata de rire. Yoake ne savait pas quel spectacle était le plus distrayant, Melena en train de rire, ou la pastèque à pâtes. En s’approchant de l’enclos, elle répondit à l’Irlandaise :

- Non, je vois la même chose que toi, c’est un effet secondaire du dirigeable ?

L’attention de la thanatophobe fut immédiatement portée vers la foule à la recherche de sa meilleure amie, surement. Ses paroles à propos de Léviathan rassurèrent la Japonaise après tout, elle ne connaissait pas suffisamment Dreamland, pour penser le contraire que ce que disait son amie.

La Japonaise aurait aimé répondre, mais quelqu’un se jeta sur l’Irlandaise. C’était un ange ? Jade était un ange ? Ses cheveux blonds et ses ailes reflétaient la lumière du soleil aveuglant légèrement Yoake. Ses yeux sombres ne perdirent pas une minute du spectacle s’était magnifique, ses retrouvailles allégeaient quelque peu le cœur de l’hématophobe, tout, c’était passé tellement vite. Dire qu’il y a deux journées à peine, elle pensait que leur recherche allait prendre des mois, elle était bien loin de la réalité.

Puis un silence entre les deux amies attira l’attention de la Japonaise, la dénommée Jade essayait de s’expliquer sur son visage, elle parla d’un masque qui l’a protégeais, mais assura qu’elle était toujours la même. Yoake tourna alors son visage vers la thanatophe et elle fut rassuré de voir l’expression de son visage. Tout irait bien à présent.

Jade tourna alors son regard vers elle et la salua d’un signe et sans savoir pourquoi son cœur fit un bon dans sa poitrine. Peut-être à cause du trop-plein d’émotion qu’elle ressentait à présent, elle n’y était pas habituée. Jade se présenta ainsi que Ian et le visage de la Japonaise se tourna alors vers Ian, spectateur lui aussi de ses retrouvailles, à quoi devait-il penser à présent. Jade lui demanda alors son nom et Yoake répondit :

- Je m’appelle Yoake, j’accompagne Melena depuis quelques jours.

En fait, elle avait légèrement perdu le décompte des jours ici. Tout semblait irréel depuis combien de temps était-elle à Dreamland déjà ?

C’est alors que la thanatophobe prit Jade dans ses bras, Yoake ne comprit pas ce qu’elle lui murmurait, mais elle remarqua ses larmes. Son cœur se serra alors et ses yeux sombres se plissèrent légèrement humide. Elle ne se connaissait pas si émotive, afin de ne pas gêner ses retrouvailles, elle se tourna vers le rodéo ou un énième joueur venait de tomber en beautés.

Milly n'avait rien dit pour les enfants, juste un haussement de sourcil; il soupira d'aise; ce n'était pas une bêtise.
Il était encore tôt, pourtant il faisait déjà chaud et le monde affluait.
Ian retroussa les manche de sa chemise faisant la moue en découvrant son énorme blessure, enfin... son éraflure... Cela le chagrinait; il aimait être impeccable et ce petit trait rougeâtre ne convenait pas à son allure générale: la dégaine baroudeur balafré, mal rasé ne l'avait jamais branché; il préférait le genre enjoy music, textiles choisis, cheveux stylés, corps impeccable, épilé et bronzé juste ce qu'il fallait. Bref.
L'état d'âme passa bien vite car Ian adorait les foires; pourtant il n'avait quasiment jamais eu l'occasion d'y aller, ses parents ne l'emmenait plus et ce n'était pas par méchanceté, au contraire.

Il n'y avait rien de pire pour sa pathologie que ce genre d'endroit: foule, bruits, musique, stands colorés, cris, rires, jeux, liesse et effervescence avaient un effet catastrophique sur son cerveau déjà survolté.
Le corps hyperactif était propulsé à la vitesse non plus de 200 mais au moins 400km/heure, les neurones explosés par l'ambiance survoltée lui servaient une faculté de pensée et d'analyse au-dessous de zéro. La catastrophe.
Il le savait; sa maman lui avait expliqué et la méthode comportementaliste chère aux Américains avait quelques solutions: s'isoler dans un endroit calme ou se mettre au coin, tout seul et attendre que cela passe... La belle affaire ! Ian avait beau tourner la tête à en attraper un torticolis, il ne voyait aucun lieu solitaire; même les arbres où il aurait pu, dos tourné, expérimenter la respiration zen étaient pris d'assaut par les amoureux, les vieux, les mômes et les chiens !
Mal à l'aise, sentant qu'il partait sans le vouloir vers la piste glissante du hors contrôle tous azimuts, il sautillait sur ses jambes, prenait puis reposait, aussi délicatement que possible - était-ce possible? - bijoux et poteries vertes et rouges, soupesait des pastèques dont il n'avait que faire, tout en jetant des regards paniqués vers Milly.
Heureusement la jeune femme était un devin; elle lui prit la main, l'obligeant à suivre sa cadence soutenue, sorte de téléphone dans une main et... Ailes blanches dans le dos ?
Un ange ! Milly-masquée-chatte était aussi un ange ! cela lui en boucha un coin suffisamment longtemps pour qu'il se tienne coi.

Ils n'avaient pas marchés trois secondes que déjà il fallut s'arrêter. Heureusement, il y avait du spectacle: des gens faisaient du rodéo sur des pastèques déchainées à pattes. Un homme au micro commentait bruyamment, comptait puis le cavalier tombait dans la poussière tandis que la foule applaudissait. Holly shit ! top cool !!! s'exclama t-il en regardant Milly-masquée-devin-chatte-ange.
C'est à ce moment qu'il vit... D'abord, il fut un peu mal à l'aise: ce n'était pas très poli d'ignorer des demoiselles. Il redescendit ses manches afin d'être plus présentable.
La première était splendide, trop, et puis elle embrassait tellement... Jade ???? c'était quoi ce nom affreux de vieille mémé ? Milly-masquée-devin-chatte-ange-Jade, cela faisait vraiment beaucoup !
Contrarié, il décida qu'il l'appellerait Milly, point final.
Mais ce n'était pas cela qui l'avait surpris... Où en était-il déjà ?
ah oui: c'est alors qu'il vit... Une apparition... Un cadeau de Bouddha, l"éveillé et l'endormi, les deux. Une poupée du soleil levant, visage de porcelaine, yeux en amande doux et brillants, un corps de geisha, un sourire à tomber raide mort. Chinoise ou Japonaise peut importait: pour Ian, peu au fait des évolutions géographiques, l'Asie se cantonnait à la Chine et au Japon.
Cela ne l'empêcha pas de dire bonjour à la première avec un charmant sourire mais pour l'Asiatique, il y mit tout son coeur en plus.
D'ailleurs après réflexion, il se dit qu'elle devait être Japonaise. Non seulement il la voyait très bien avec une ombrelle de soie et une robe à fleurs mais en plus elle avait l'air aimable. les Chinoises elles, elles ne sourient jamais elles sont communistes !
Elle s'appelait Yoake... Fort de cette information il lui fit un autre sourire. Les yeux sombres de la Déesse se plissèrent légèrement humides... Il était au paradis. Il était amoureux.

Elle s’appelait donc Yoake... ce n'était peut-être qu'une impression, mais Jade sentait comme une certaine distance de la part de la jeune fille. Sa réponse était directe, concise et sans sourire, au point de faire croire à la bonne jumelle qu'elle allait assister bientôt à une crise de jalousie identique à celle que lui avait offert Elie fut un temps. Comme s'il n'était pas possible pour quelqu'un d'avoir plus d'un ami, que cette relation se devait d'être exclusive à l'instar d'un couple, alors que tout ce qu'elle voulait c'était s'entendre bien avec tout le monde et que...

L'étreinte soudaine de Melena coupa court à ce début peiné de paranoïa teinté de victimisation. La joie et les sanglots contenus dans les murmures de sa meilleure amie lui serrèrent le cœur alors qu'elle enroulait ses bras autour du corps gracile qui s'était jeté contre le sien.Cette proximité lui permettait de découvrir sous ses doigts les reliefs des cicatrices qui couturaient les bras de l'irlandaise, souvenir macabre ramené de Freedoom. Par sa faute. Elle avait déjà expliqué ses actions de l'époque en les saupoudrant généreusement d'excuses mais elle ne pouvait s'empêcher de se sentir coupable, sentiment dévorant qui lui donnait l'impression de brûler de l'intérieur.

Jamais la psychotique n'aurait voulu faire de mal à quelqu'un. Elle s'en sentait complètement incapable, d'ailleurs. Mais si ce n'était pas elle qui avait tranché la chair de son amie, c'était bien elle qui en avait donné l'ordre indirectement, aveuglée par sa propre peur... par son égoïsme. Elle aurait dû réaliser les implications de ce « fais tout ce que tu peux pour survivre » mais elle avait préféré se voiler la face, comme toujours. Et voilà qu'à présent celle qu'elle avait blessé, qu'elle avait tué venait chercher du réconfort auprès d'elle tout en connaissant ses crimes. Il y avait tant de désespoir et de soulagement mêles dans les frissons qui agitaient Melena... Plus ce contact se prolongeait, plus elle se sentait cruelle et monstrueuse. Si la thanatophobe l'avait pardonné, elle n'était pas sure de pouvoir faire de même un jour.

- Je sais... mais nous sommes ensemble maintenant, tu vois ? Ça n'arrivera plus. On se sort toujours de toutes les situations quand on est ensemble.

Les deux corps se séparèrent, leur permettant d'échanger des sourires qui ne masquaient qu'à grand peine leurs malaises respectifs. Ce que ses doigts avaient senti, ses yeux le lui dévoilaient à présent. Elle pouvait sans peine imaginer la barbarie, la douleur, l'angoisse si profonde qu'elle en ébranle votre âme... Nulle trace de dégoût sur son visage, ni même de jugement. Juste de la douleur, de la culpabilité et de la tendresse retranchés derrière un sourire de façade.

Si Jay avait écouté son cœur, elle aurait probablement enlacé de nouveau Melena mais celle-ci coupa court à sa pulsion en se remémorant le passé. Rendre visite à Bennificus ? Elle n'était pas certaine d'être partante pour une nouvelle fessée publique. Son postérieur se souviendrait pendant longtemps encore du contact du bois sur la peau, et des rires de la foule pour agrémenter le tout. Néanmoins c'était vrai que c'était cet épisode qui avait permis de nouer leur relation à toutes les deux... peut-être pas une si mauvaise période, finalement.

- Presque. Tout est dans le mot « presque ». Après un sourire entendu elle en rajouta une couche : Et pourquoi pas aller boire le thé avec les loups de la Croix blanche ? Ou tenter de réparer Blaine ? Se lancer dans l'élevage de bêtes d'ombre pourraient aussi être un beau projet d'avenir...

La bonne jumelle aurait bien rallongé la liste mais le silence soudain la fit taire avec autant de force qu'une bonne claque. Toute la foule qui les entourait s'était figée, les visages levés vers un homme juché sur une estrade proche, un chapeau-pastèque sur le crâne. Une sorte de mégaphone primitif en main, il s'apprêtait visiblement à faire un discours fort attendu par les locaux...

- Mesdames et messieurs, petits et grands... bienvenus à la 758ème foire à la Pastèque de Tehinastèque ! Aujourd'hui et comme chaque année, je proclame ouverts les grands jeux ! Celui ou celle d'entre vous qui se classera le mieux dans les différentes attractions de la foire gagnera... Un roulement de tambour résonna pendant dix bonnes secondes avant que la conclusion ne tombe comme un couperet. UNE PASTEQUE !

La foule jusqu'alors muette fit voler le silence en éclats à force de cris, d'applaudissements et de sifflements. Jade, elle, se contentait de fixer l'homme, qui avait encore les bras levés vers le ciel, avec un profond scepticisme.

- Une... pastèque. C'est complètement débile... Elle se tourna néanmoins vers les trois autres avec un sourire en coin. Cela dit, ça peut être drôle. Et puis ça nous changera des conneries habituelles type « oh mon dieu ce mec veut nous couper en deux/nous vendre/nous bouffer », rayez les mentions inutiles. Vous êtes partants?

Elle finirait probablement dernière mais elle s'en fichait comme de la couleur de ses chaussettes. De toute façon elle ne portait même pas de chaussettes, ça réglait la question. Tout ce qu'elle voulait, c'était passer un bon moment, juste un moment de détente. C'était le genre d’événement si rare à Dreamland qu'on ne pouvait se permettre de le laisser nous passer sous le nez et puis... franchement, un rodéo sur une pastèque était le genre d'occasion qu'on ne pouvait laisser filer. Juchée sur ce fruit à pattes Jade serait probablement morte de trouille, mais elle savait aussi qu'elle le regretterait toujours si elle ne tentait pas sa chance.

- Allez quoi ! Ça va être fun!

Il y avait tellement de choses que Melena voulait dire. Expliquer à quel point sans son amie, elle perdait la tête. Elle s’était détournée d’Ace et Elie, avait consommé de l’extasie, avait failli coucher avec Jerry juste pour se sentir souillée, avait allumé ce pauvre Alexander comme la pire des chipies, avait fait un carnage à Quiet hill… inconsciemment, l’irlandaise souhaitait que ce cauchemar prenne fin. Que la déchéance de son âme se suspende, qu’elle retrouve la raison ; que Jade lui rende la raison.

- Je vote pour réparer Blaine d’abord, répondit-elle en rendant le sourire, au fond, je suis sûre qu’il n’est pas si cinglé.

Ses yeux gris se tournèrent vers Yoake. Elle semblait absorbée par les échauffements de rodéo qui prenaient fin pour qu’un homme arborant un chapeau-pastèque grimpe sur une estrade. D’un coup de coude, Melena attira son attention. Elle se sentait si heureuse en cet instant qu’elle voulait le communiquer, à chacun de ses amis si possible, et ce ne serait pas long puisqu’ils se comptaient sur les doigts de la main.

- Ça va ? demanda-t-elle après avoir cru déceler des larmes dans les yeux de l’hématophobe.

Pas le temps de s’étendre malheureusement : l’ouverture de la 758è – rien que ça – foire à la pastèque était proclamée. Si le silence aurait d’abord dissuadé quiconque de le briser, l’explosion d’exclamations qui suivi empêchait toute communication. Un frisson d’excitation traversa pourtant le corps mince de l’adolescente. C’était bien la première fois à Dreamland qu’elle faisait la fête – si elle mettait de côté son expérience désastreuse au Colisée de Sextus. Melena dut se pencher vers sa meilleure amie pour comprendre ce qu’elle disait, elle acquiesça d’un signe de tête ponctué de ses orbes étincelantes.

- Carrément ! J’ai toujours rêvé de chevaucher une pastèque.

C’était un mensonge, bien sûr. Oh elle avait bien envie de s'amuser mais en réalité, la simple vu du monstre à pattes l’effrayait. Et si elle tombait et se brisait le cou ? Ou pire, si elle se faisait piétiner ? Ça avait beau être une mort parfaitement ridicule, ça ne la rendait pas moins pétrifiante. L’irlandaise avait blêmit, conservant son masque souriant au prix de gros effort, et n’osait plus regarder aucun de ses trois acolytes. Ils allaient se moquer d’elle s’ils savaient, pas vrai ? Melena Autumn, l’adepte de Freedoom, celle qui avait contribué à terrasser Janice, avait peur d’une pastèque à patte sous stéroïde. Cherchant une fuite temporaire, elle aperçut un stand qui se constituait principalement d'étagères de différentes tailles. Chaque casier était fermé par des cadenas archaïques mais les deux armoires à glace qui veillaient dessus dissuaderaient très certainement les potentiels voleurs.

- Je… je vais mettre mes affaires en consigne, expliqua l’adolescente en pointant le stand du doigt, ça va pas être pratique de profiter de la journée en étant chargée comme un âne. Je reviens.

Elle s’éloigna souplement, s’efforçant de chasser sa terreur à coups de pieds. Il lui fallut toute la durée de la queue pour rassembler son courage, elle n’avait même pas fait attention si ses compagnons l’avaient suivie. Ses mains ne tremblaient plus quand elle confia à une femme aux traits amérindiens sa hotte, son sac à dos, et même le ceinturon avec son arme à feu. Melena ne conserva dans ses poches que son iwok, sa bourse, et un petit cadeau qu’elle ne voulait pas oublier. Le grand casier pour la journée lui coûta 6 rubz et en échange, on lui passa un bracelet de corde flanqué du numéro 153. Sa chevelure noire ondulait dans son dos pendant qu’elle sautillait pour retrouver ses acolytes, avec cette expression d’adolescente prête s'amuser jusqu'à l'épuisement. Depuis que les attractions avaient recommencé, un premier type faisait un vol plané, éjecté par le taureau-pastèque.

- Jade ? Elle attendit que la concernée la regarde pour lui dire timidement, j’ai… j’ai un cadeau. Pour qu’on ne se perde plus.

Elle glissa la main dans sa poche. D’abord, elle crut saisir son puzzle d’âme vierge, mais ses doigts fins se refermèrent sur autre chose. Un biscuit significatif. Ses entrailles se vidèrent d’un coup. Un nouveau fortune-cookie et en son sein, très certainement, une nouvelle condition de mort. Elle ne voulait pas regarder – pas maintenant. Elle sortit alors les deux colliers de sa poche et en tendit un à Jade.

- C’est un puzzle d’âme, expliqua-t-elle sans savoir si son amie savait de quoi il s’agissait, si on le porte toutes les deux, si l’une se réveille, elle reviendra tout de suite auprès de l’autre en revenant à Dreamland.

Pour l’instant, l’irlandaise s’en voulait un peu de ne pas pouvoir accorder plus d’attention à Yoake, ou même à Ian. Peut-être comprendraient-ils ? Le lien invisible qui unissait les deux jeunes filles. Melena, qui n’avait pas l’habitude d’avoir des amis, avait du mal à se montrer attentive sur plusieurs fronts. D’ailleurs, au fond, le voulait-elle ? C’était un leurre de croire que son cœur était bon. Elle était maudite, depuis sa naissance. Jade était « l’exception ». Le monde pourrait s’effondrer, si elle avait la psychotique, alors tout irait bien.

- Tu... le veux bien ? Demanda-t-elle soudainement angoissée.

Yoake entendait l’échange de Melena et Jade et ne pouvait s’empêcher de sourire, il s’agissait surement du colisé de Sextus où elles étaient esclaves. Elles avaient surement tellement de chose à se dire tellement de souvenir à échanger qu’on ne pouvait s’empêcher de se sentir de trop. Mais l’Asiatique ne le prenait pas mal à leurs places, elle aurait surement fait pareil aussi quand Melena lui demanda si ça allait, la japonaise se tourna vers la thanatophobe et hocha la tête :

- Oui, ça va, mais je crois que je ne verrais plus jamais une pastèque de la même façon maintenant.

La Nipponne ne voulait pas inquiétait son amie alors que cette dernière venait tout juste de retrouver Jade, elle cherchait un moyen de la rassurer quand un « homme pastèque » s’adressa au publique. Bon, elle aimait les pastèques mais de là à se faire secouer dans tous les sens pour en gagner une, elle n’était pas la seule à penser ça car Jade trouvait ça débile.

Mais elle avait raison sur ce point c’était l’occasion de faire quelque chose de moins dangereux enfin façon de parler, car risquer de se blesser en montant sur cette pastèque l’horrifier au plus haut point. Elle avait déjà suffisamment à subir avec son bleu sur le visage et la blessure de son index. Sa main moite au travers de son gant lui rappelait d’ailleurs sans cesse son nouveau et terrifiant pouvoir.

Elle écouta la réponse de Melena et se laissa tenter à son tour, après tout, c’était toujours l’occasion de se détendre non ?

- Tant qu’on ne se fait pas bouffer par une pastèque géante ça me va.

Melena annonça alors qu’elle devait mettre sa hotte en consigne et Yoake hocha la tête tout en la laissant partir. Elle croisa alors le regard de Jade et dit :

- Depuis que je suis avec elle, je ne l’ai jamais vu comme ça, on dirait une autre personne.

Un sourire franc se dessina sur ses lèvres alors qu’elle ajoutait :

- Je le savais, je savais qu’en l’aidant à te rejoindre, j’allais apercevoir la véritable Melena, l’adolescente de 17ans.

L’Irlandaise s’apprêtait déjà à revenir, l’hématophobe décida alors de terminer ne voulant pas que la thanatophobe ne se pose trop de questions :

- Restez ensemble d’accords ?

Melena appela alors Jade et Yoake les laissa toutes les deux, ils avaient tout le temps de profiter de la foire son regard se porta alors sur Ian, c’était l’occasion de discuter avec lui non ? La Japonaise trouvait le jeune homme très excentrique dans sa façon de s’habiller, mais elle décida de ne pas s’arrêter aux premières impressions. Et choisit d’en savoir un peu plus sur lui :

- Tu es arrivé à Dreamland il y a longtemps ?

La Japonaise se doutait que ce ne fût pas le cas, mais c’était la seule question qu’elle avait à lui poser pour le moment les autres viendraient surement après. Elle écouta sa réponse et tourna son visage vers le rodéo et reconnu Mike juché sur la pastèque un sourire aux lèvres et concentré, les protections verte faites à bases de pastèque lui donnait un air stupide et cool à la fois, en vue des hourras de la foule, la Japonaise se doutais qu’il venait de battre un record. Son allure de skateur retrouvait ici tout son sens. Au loin dans la file d’attente, elle reconnut Bryan et Gab qui leurs faisait des grands signes. Elle répondit à leurs signes en souriant et se tourna à nouveau vers Ian.

- Je me demandais aussi vous êtes couvert de poussière, il vous est arrivé quelque chose ?

Elle remarqua alors Jade et Melena qui les retrouvait, la Japonaise indiqua alors Mike que la pastèque avait envoyé de l’autre côté du terrain. Elle fit un clin d’œil et demanda alors :

- Vous êtes sûr de vouloir faire un rodéo pastèque ce gars-là vient d’exploser le record.

Yoake, elle n’en était pas très sûre pas vraiment sportive, elle doutait de tenir sur la bête plus de quelque secondes. Et puis il y avait les bleus et les blessures qu’elle risquait de se faire en tombant.

La trop splendide fille s'appelait Melena. Elle et Milly n'en finissaient pas de s'embrasser et se parler, cela faisait plaisir à voir, Ian était tout content: avec de la joie pareille, ils allaient maintenant être quatre à bien s'amuser !
D'ailleurs un haut-parleur annonçait le début des jeux pour le public, Ian en sauta de bonheur.
Il se tourna vers les filles et leur dit: Je vais aller vous gagner une pastèque au rodéo, ça c'est un sport qui me convient !
Il ne tenait plus en place, lorgnant sur la piste poussiéreuse où les premiers candidats tentaient déjà la prouesse impossible.
Tout à coup, un détail lui revint, il fallait qu'il lui en parle. Il attrapa amicalement le bras de Milly avant qu'elle ne parte à la consigne et lui demanda: Pourquoi les deux filles t'appellent Jade ? elle ne connaissent pas ton vrai prénom ?

Après que les deux filles se furent éloignées, il cru entendre une admirable mélodie. Il tendit l'oreille: on aurait dit Tori Amos dans Cornflake Girl ! vivement, il se retourna: c'était la voix de Yoake; elle lui parlait; même, elle lui posait une question ! d'emblée il lui répondit: tu connais Tori Amos ? moi j'adore, je sais chanter par coeur pratiquement toutes ses chansons, si tu veux un jour je te ferai un récital, des chansons j'en connais plein ! tu sais chanter toi ?
il attendit la réponse tout en la contemplant tant elle était belle. Il aurait bien aimé lui offrir quelque chose, une fleur ou un petit bijou mais il n'avait pas un sou et dans cette ville à part quelques cactus au pied des arbres... Je ne vais tout de même pas t'offrir un cactus quand même... lui dit-il.
Puis il se souvint enfin de l'interrogation initiale: je viens d'arriver, c'est fun ici ! sinon je serai encore à l'hosto dans le coma, à la place j'ai fait du manège, je me suis retrouvé dans la jungle de Mooglie avec un pote pas trop bavard qu'on a perdu, j'ai fait un lit dans les arbres, on a fait un petit concert de percussion avec cinq gamins qui déménageaient bien, j'ai joué avec la chatte et on a traversé la forêt à dos d'éléphant, c'est pour ça que je suis tout sale, je m'excuse... En tout cas je m'amuse beaucoup à Dreamland ! et toi, tu te marres bien aussi ? tu es nouvelle ?

Il la regarda encore, il aurait bien voulu lui prendre la main mais il n'osait pas; elle ne ressemblait aux autres nanas qu'il avait connu, ça non, elles ne lui arrivaient même pas à la cheville !
Il tourna la tête en direction de l'enclos pile au moment où un garçon pulvérisait le record, c'était trop fort ! il avait vraiment envie d'y aller tout de suite histoire de faire mieux pour les beaux yeux de Yoake d'autant qu'elle venait de lui demander s'il en était sûr.
Presque sur le départ il lui lança: bien sûr que vais aller pulvériser le record des records, juste pour te faire plaisir comme ça tu seras fière de moi et je ramènerai une pastèque !
Il partit à fond de train, freina comme dans les dessins animés et revint vers la jeune fille tout aussi rapidement: Au fait, tu veux monter avec moi ? en tandem cela pourrait être hyper marrant, je te protègerai tu peux en être sûr !
Il avait lancé cela sans arrière pensée mais quand il vit la brise faire flotter ses beaux cheveux soyeux sur ses épaules si fines, il se dit qu'il adorerait qu'elle se cramponne à sa taille tandis qu'il jouerait les chevaliers sans peur et sans reproche.
Du coup, il insista: allez viens, on va bien rigoler !
Sur cette phrase il repartit comme un dératé et s'arrêta devant la file d'attente.
Malgré le peu de candidats - il était encore tôt - qui patientait, il ne put s'empêcher de resquiller deux ou trois places: faire la queue était quelque chose d'épouvantablement trop long pour lui.
Il en profita pour regarder comment se débrouillaient ceux qui concouraient, comment réagissait la pastèque, comment on pouvait la contrer ou la freiner dans ses élans et comment on tombait: il ne faudrait pas qu'il abîme sa belle chemise ou qu'il déchire son pantalon !
Au bout de quelques minutes un homme lui tendit un dossard numéroté et lui demanda d'attendre sur le côté qu'une pastèque se libère.
Tout en ôtant sa chemise afin d'y accrocher à grand peine le dossard qui finalement resta de travers Il tourna la tête afin de vérifier si la belle Asiatique l'avait bien suivi.
Il remis sa chemise, lui était prêt ! d'ailleurs un coup de sifflet annonçait la fin de parcours du cavalier à présent vautré dans la poussière sans avoir battu de record.

Le spectacle offert par les premiers courageux -ou plutôt téméraires- participants du rodéo était aussi captivant qu'horrifique. Melena l'avait temporairement abandonné pour mettre ses affaires en consigne et Jade avait décidé de faire de même, prenant la file d'attente de celles de moindre envergure. Son petit sac-à-dos et ses maigres possessions n'avaient pas besoin d'un hangar à bateau, un simple casier suffirait. Cette solitude soudaine lui permettait de contempler dans toute leur splendeur les vols planés, ruades et autres piétinements. Plus l'adolescente observait, plus une question l’obsédait : comment pouvait-on se retenir à quelque chose d'aussi lisse ? On aurait pu glisser les doigts dans le simulacre de bouche dont était affublé la pastèque, mais c'était prendre le risque de les voir y disparaître. Les pattes ? Bien trop basses. Alors comment ? Se mettre deux ou trois tubes de super-glue sous le postérieur ?

Jade en était à chercher des yeux un éventuel stand de vendeur de colle quand Ian la rattrapa pour lui poser des questions plus que gênante sur son identité. Trop de personnes connaissaient son secret, alors que devait-elle faire ? Demander à Yoake et Melena d'utiliser son nom d'emprunt ou espérer que changer de visage suffirait, malgré un nom similaire ? Tout était tellement compliqué... La psychotique se mordit la lèvre, laissant transparaître son malaise alors qu'elle changeait régulièrement de jambe d'appui comme si ça allait lui apporter la réponse qui ne lui venait pas. En désespoir de cause, elle finit par lâcher, tout sauf convaincue :

- Disons que c'est un surnom. Continue à m'appeler Milly, c'est très bien comme ça.

Dire au jeune homme que son nom était secret serait probablement le pire des choix, de toute façon. Il n'avait pas l'air du genre à savoir tenir sa langue et tout lui avouer reviendrait sûrement à écrire « Jade Martins » en majuscules au milieu de son front. Sa réponse sembla satisfaire Ian -à moins qu'il s'en contrefiche ce qui était plus que possible quand on captait les œillades énamourées qu'il lançait en direction de Yoake- qui la rendit à son isolement. Les minutes de queue suivantes lui permirent de laisser vaquer son imagination, si bien que lorsqu'elle eut déboursé ses quatre rubz pour une consigne moyenne, elle était littéralement terrorisée à l'idée de grimper sur une de ces fichues pastèques à pattes.

Faire demi-tour, revenir sur sa décision et avoir un peu honte, ce ne serait pas la mer à boire. Il lui suffisait de le clamer et d'aller s'acheter une tranche de pastèque avant d'aller regarder les autres, non ? Alors que Jay ouvrait la bouche pour exprimer sa décision, l'hématophobe lui déclara de but en blanc qu'elle n'avait jamais vu l'irlandaise comme ça, comme si... comme si la psychotique arrivait à révéler sa véritable personnalité. C'était assez flatteur mais en réalité tout ça semblait assez absurde aux yeux de Jade. Avait-elle déjà vu Mel' autrement que comme ça ? Non, pas vraiment.

- Je sais pas... elle est toujours comme ça, non ? Bon bien sûr elle est un peu renfermée au départ mais dès qu'elle s'ouvre elle s'épanouit comme une fleur. Mais pourquoi tu me dis ça ? Elle était comment, avec toi ?

Tout ce qu'elle eut en réponse vu une invitation -presque un ordre- à rester avec sa meilleure amie alors que l'asiatique s'éloignait. Melena venait d'ailleurs de la rejoindre, lui tendant quelque chose, en parlant de « cadeau ». La bonne jumelle fixa, intriguée, le pendentif en forme de pièce de puzzle qui pendait au bout de sa chaîne. C'était joli, sans nul doute, mais venant de sa meilleure amie elle se doutait qu'il avait une utilité cachée. Et lorsqu'elle la lui révéla, le cœur de l'adolescente bondit de joie dans sa poitrine.

Elle qui avait toujours eu peur de se retrouver seule dans ce monde hostile, c'était juste le parfait présent. C'était comme si la thanatophobe était capable de lire dans ses pensées... mais après tout, n'était-elle pas la personne la plus proche d'elle si on mettait Elie de côté ? Et puis, s'il y avait quelqu'un qu'elle voulait retrouver ici, c'était bien la grande brune au teint de craie qui se tenait devant elle. Un large sourire se dessina sur son visage de papier alors qu'elle se saisissait du puzzle d'âme pour le pendre à son coup, quelques centimètres sous sa croix d'argent.

- Bien sûr que je le veux ! C'est vraiment parfait !

Un coup d'oeil aux alentours lui permit de constater que Ian s'était lancé dans une campagne de séduction, tirant à Jade un regard autant amusé qu'attendri. Bon, au moins ça offrirait un peu de temps à Mel' et elle pour se retrouver sans leur faire ressentir de culpabilité. Même si... il fallait avouer que ça ne leur avait jamais posé grand problème par le passé de laisser X ou Y sur le bord du chemin pour partir vivre leurs aventures en duo. Les gens de confiance étaient rares, les visages défilaient... et au final, tout ce qui restait c'était toujours ce duo incongru. Un signe de Dieu, lui soufflait son cœur de croyante.

- Avec ça, tu n'auras plus jamais à vivre des horreurs pour me retrouver. J’accourrai pour me mettre au garde à vous !

La bonne jumelle mima le geste mais un voile de tristesse et de culpabilité passa sur ses traits artificiels, comme des nuages obscurcissant le soleil.

- Tu sais... j'ai jamais voulu tout ça. J'aimerai vraiment pouvoir effacer le passé mais je sais que c'est impossible alors je vais juste essayé de faire en sorte que ton futur soit meilleur. J'espère que tu pourras pardonner mes erreurs un jour... tu es vraiment la meilleure amie que j'ai jamais eu. Dans les deux mondes.

C'était vrai qu'à côté, Kelly, Maria, Allison et les autres faisaient piètres figures. Elles étaient parfaites pour se raconter les derniers potins ou commenter la dernière série à la mode, ou même pour faire les boutiques... mais ce n'était pas vraiment le genre de personne sur qui on pouvait compter dans les moments difficiles. Même si Jade les aimait beaucoup, ça ne l'empêchait pas d'être réaliste. Mis à part Amber et Elie, personne n'avait jamais été digne de sa confiance totale... jusqu'à Melena.

- Tu ne peux pas savoir à quel point je t'adore, tu sais. Alors n'ai pas l'air de croire que je pourrais refuser quelque chose comme ce collier. C'est juste impensable !

Melena n’avait pas vu leurs compagnons de dirigeables qui leur faisaient de grands gestes depuis la file d’attente pour le rodéo, ni même le fait que Ian s’était lancé à la conquête de Yoake. Elle n’avait d’yeux que pour Jade, qui avait pris son pendentif pour le passer autour de son cou. Avec des gestes fébriles, elle s’empressa alors de faire de même. Son cœur était chaud, son corps en coton. Jamais elles ne seraient séparées désormais. Jamais. C’était une promesse. L’irlandaise l’avait déjà prouvé : elle tuerait pour sa meilleure amie, elle mettrait le monde à feu et à sang si nécessaire.

Elle avait sourit d’abord, quand la psychotique parla d’accourir au garde-à-vous, mais elle vit les nuages assombrirent ses yeux bleus, et son regard se fit lointain. Les excuses de la bonne jumelle étaient aigres-douces à entendre. Elle se souvenait des épreuves, du prix du sang, des torrents de douleur, de la terreur à l’état brut. Tout ça, pour la secourir. Parce qu’elle était sa meilleure amie – sa seule amie. Parce qu’elle l’aimait. Mais au final y avait jamais-t-il eu quelque chose à pardonner ? Melena était de celles qui vendaient leur âme au diable pour réussir. Une éternité d’enfer pour une minute de bonheur.

Quand Jade lui confia à quel point elle tenait à elle, une larme roula sur les joues ivoirines de l’adolescente, qu’elle s’empressa de balayer avec un sourire fébrile. C’était… la plus belle déclaration du monde. La libération. La rédemption ! Ses doigts fins s’accrochèrent à son puzzle d’âme, le caressant comme s’il était un trésor, alors que ses yeux d’orage brillant de pleurs contenus se plongeaient dans ceux de la psychotique.

- C’est moi qui ai le plus de chose à me faire pardonner. Je… c’est de ma faute ce qui s’est passé dans le monde réel, parce que j’ai craqué, j’ai pas été assez forte. Et après… après j’ai perdu la tête, j’ai fait n’importe quoi, je me suis disputé avec Ace et Elie, j’avais l’impression que personne ne me comprendrait… j’ai même pensé que toi, tu me rejetterais.

Le sourire de l’irlandaise s’élargit, triste et douloureux. Elle voyait Ian et Yoake dans la file d’attente, Bryan et Gab pas loin devant, tous prêt à s’amuser. Et elle… elle se sentait à nouveau si différente, si chimérique, si mauvaise. Méritait-elle de prendre du bon temps ?

- J’ai été bête de croire ça, j’espère que tu me pardonneras aussi. Tu le sais, reprit-elle dans un murmure, que je n’ai pas vraiment eu d’amis dans ma vie et toi…, elle mima un grade très élevé, t’es carrément la meilleure de toute. Je t’adore vraiment, vraiment, vraiment, …

Devait-elle parler de la folie qui la rongeait ? De ces voix sinistres qui s’éveillaient parfois dans sa tête, des images morbides qui déchiraient sa conscience, de ces émotions fantômes qui lui faisaient perdre la réalité. Jade était bien placée pour comprendre ce que cela faisait de se sentir sombrer dans la démence, mais l’irlandaise n’avait pas envie de lui faire plus de peine. Elle avait bien compris que son amie s’en voulait vraiment pour avoir – indirectement – ordonné Elie de la tuer, pour les épreuves qu’elle avait traversé pour elle. Décidée à garder le silence sur ce point elle attrapa la main de la psychotique, comme au bon vieux temps, à l’époque où elles voyageaient comme deux créatures fragiles.

- On a toutes les deux pas mal de choses sur la conscience on dirait alors… on peut passer la journée à culpabiliser et à pleurer l’une dans les bras de l’autre, ou bien on peut commencer maintenant à rattraper le temps perdu en profitant de la fête.

Être positive. Ça ne lui ressemblait pas. C’était Jade qui lui insufflait cette nouvelle force. Bien entendu que ni le chamboule-tout, ni la course à pastèque, ni les cocktails locaux n’effaceraient le sang et les larmes qu’elles avaient versé. Par contre, elles pouvaient faire en sorte de ne pas noircir encore plus leurs souvenirs. Que leur amitié s’ancre plus dans les rires que dans la souffrance, même si Melena n’ignorait pas que ce ne serait que de courte durée. Un sourire malicieux s’étira sur son visage de craie, balayant presque totalement la tristesse qui teintait ses traits.

- On va éviter de boire trop d’alcool je suppose ? On a tout fait cramer la dernière fois que ça nous est arrivé, elle désigna Mike, Gab et Bryan, occupés à s’épousseter après avoir tous les trois affronter la pastèque-taureau, ça te dirait qu’ils se joignent à nous pour la fête ? On les a rencontrés dans le dirigeable avec Yoake, ils sont sympas et pas du tout euh… lourd. Enfin tu vois ? Ou… tu me voudrais pour toi toute seule ?

Son cœur se mit à battre un peu plus vite alors que le rêve prenait le relais. Et si elle lui disait « oui » ? Si elle lui avouait qu’elle aussi avait des sentiments qui n’étaient pas que de l’amitié ? Et si la prochain fois qu’elles s’embrassaient, c’était parce qu’elles s’aimaient ? Heureusement, aucun de ces fantasmes ne fut lisible derrière la façade exceptionnellement rayonnante de l’irlandaise, mais son cœur espérait, en vain.

Ian répondit à sa question par une autre et la Japonaise se retrouva vite perdue. Il parla de Tori Amos puis de chanson et de récital des choses que bien sûr l’hematophobe connaissait, mais elle n’avait pas le temps de ressortir toutes ses connaissances. Elle fut, néanmoins, surprise de l’entendre dire qu’il voudrait les chanter. Il posa alors une question laissant à Yoake le temps de respirer et par la même occasion de répondre :

- Oui, je sais chanter et je connais quelque chanson de Tori Amos… Mais tu as l’air d’être un fan toi.

Il enchaîna alors directement, c’était à peine s'il avait entendu sa réponse, il parla d’offrir un cactus avant finalement de retourner sur la question banale de la Japonaise. Il disait qu’il arrivait tout juste, mais en écoutant la liste des choses qu’il avait faites, l’hématophe pensa rapidement que le jeune homme devait vivre sa vie à 200 à l’heure, Il conclut par le fait qu’on s’y amuse bien et la Japonaise fit de gros yeux comme si un moment elle doutait qu’il soit tous les deux arrivés à Dreamland, parce que pour Yoake ce monde était tout sauf amusant. Elle répondit à la question de Ian, après tout, elle lui devait au moins ça.

- Je suis là depuis quelques jours, j’ai rencontré Melena de l’autre côté de l’océan, on a pris le dirigeable pour venir ici.

Yoake cacha son expérience de Quiet Hill et d’Elipse non pas qu’elle voulait garder le secret, mais c’était surtout qu’elle ne voulait pas en parler pas à n’importe qui. C’est alors qu’elle remarqua son regard troublant et appuyé, mais elle ne le comprit pas, avait-elle une tâche, ou autre chose sur ses vêtements ? Peut-être valait-il mieux ne pas y penser pour l'instant, c’était censé être un moment joyeux non ? Elle avait alors parlé de battre le record et Ian, s’était empressé d’accepter le défi. Il parla même de tandem… Dans un sens pourquoi pas tout le monde trouvait cela si drôle ça ne devait pas être si dur de tenir sur ce machin. Elle prit donc la décision, de le suivre ignorant la petite voix intérieure dans sa tête qui lui criait des paroles inintelligibles. Une fois de plus elle avait décidé de combattre sa phobie.

En regardant le concurrent sur la pastèque, la Japonaise cherchait à glaner quelques informations tout comme Jade, elle se posait une question importante comment pouvait-on tenir sur quelque chose de lisse qui ne dévoilait aucune prise. Elle se tourna vers Ian et dit finalement en indiquant une pancarte.

- Je le ferais seule, c’est précisé ici une seule personne sur la pastèque. On verra bien lequel de nous deux tiens le plus longtemps sur la pastèque.

Son regard passa alors sur le duo des jeunes femmes allait-il regarder leurs passages en rodéo, ou rester toutes les deux…Yoake ne s’en inquiétait pas même si elle ne l’avait pas vécu, elle comprenait leurs besoins de parler. Elle pensa alors à la réponse de la psychotique, pour elle le comportement de Melena était normale, elle avait même comparé l’amitié de la thanatophobe à une fleur qui s’ouvrait, Yoake ne la comprenait pas, car avec elle, la fleur était fanée et ne s’ouvrait pas à sa place les pétales tombaient une à une, Jade était comme un baume de soin pour l’irlandaise qu’elle ne s’en rende compte ou pas n’était pas un problème. Le plus important pour la Japonaise était de garder en mémoire le visage souriant de la thanatophobe preuve que Dreamland ne pouvait pas détruire totalement l’âme des voyageurs.

Le cri de la foule la fit réagir, ce n’était pas un cri de joie, mais de peur qu’elle entendît suivit d’un cri de douleur. Son visage pâlie d’un coup, elle savait que ce n’était pas Gab ou Bryan qui était déjà passé mais le problème ne concernait pas "qui" c’était mais plutôt le sang qui coulait le long de son arcade, les yeux de la japonaise ne pouvais quitté le rouge qui baignait à présent les vêtements… Ce n’était rien de grave. Il avait dû s’ouvrir en tombant contre une barrière, mais il était conscient quelques points de suture et tout irait mieux, mais pour Yoake s’était différent, elle avait l’impression d’étouffer aussi sans un mot, elle ôta son dossard et le tendit au juge avant de s’éloigner le plus possible du rodéo, soufflant bruyamment pour reprendre son souffle, et la chaleur n’arrangeait rien au contraire. Elle finit par s’appuyer dos contre un arbre et regarda le rodéo de loin, le suivant devait être Ian, elle devait donc le regarder, combattre sa phobie à nouveau, même si tout semblait déjà perdu.

Quand Milly lui répondit que Jade était un surnom, Ian ne pu s'empêcher d'avoir un sourire en coin en pensant: "c'est ça, appelle moi con !"
Il avait beau être un peu speed, il n'était pas complètement crétin pour autant.
cependant il ne lui en voulu aucunement; elle devait avoir ses raisons, cela ne le regardait pas; pour lui elle serait Milly sauf contre ordre.
de toutes façons, elle et Melena étaient très occupées et faisaient bande à part, ce qui était normal pour des amies qui se retrouvent.
Il ne pu tout même s'empêcher de constater que la trop splendide fille regardait Milly avec un drôle d'air... Comme quand il regardait Yoake, parfois.
Bah... Les homosexuelles moi ça ne m'a jamais dérangé, alors...
Il avait lancé cela pour lui-même sans même s'inquiéter de savoir si la jeune Japonaise l'entendrait ou pas; d'ailleurs elle avait répondu à sa question: non seulement elle savait chanter mais en plus elle connaissait Tori Amos !
J'en étais sûr ! répondit-il toutes les filles connaissent Tori Amos mais tout le monde ne sais pas tout chanter d'elle; faudra qu'on fasse un duo.

Instinctivement il mit sa main dans la poche de son pantalon et sentit... Holly shit, mind blowing, cool beans !!! j'ai de la tune dans mes poche !!! trop fun, trop cool Dreamland !!! tu aimes quoi comme bijoux Yoake ?
Il resta quelques instants en contemplation devant son trésor: 20 rubz s'étalaient dans la paume de sa main, une fortune ! il avait hâte de les dépenser !
Il espérait que la jeune fille aurait des goûts bien déterminés car lui n'y connaissait rien en kikiteries.
Sur ce, il enchaîna sur la deuxième question: "quand on est poli, il faut répondre quand on te demande quelque chose" avait dit sa mère.
Et ça, pour sûr, il voulait être poli avec sa splendeur du Soleil Levant.
Oui et non... Je ne suis pas plus fan de Tori Amos qu'un autre. En fait j'adore la musique et chanter des chansons; je connais même les plus vieux classiques, hommes ou femmes, tout. C'est ma passion. Et toi, c'est quoi ta passion ?

Il aurait bien aimé que le Cadeau de Bouddha réponde: "ma passion c'est Ian Sparrow" mais il était peut-être encore un peu tôt; les filles étaient très délicates et très vite effarouchées en amour.
Pas lui. mais bon, il pouvait comprendre; les filles étaient soigneuses, elle passaient leur temps à déplier et replier leurs robes sans jamais savoir laquelle choisir au moment se s'habiller; pour les garçons, elles étaient pareilles...
De toutes façons, il n'avait plus le temps de rien: c'était à lui de monter sur une pastèque.
Il fut bien déçu d'apprendre qu'on ne pouvait pas monter à deux, son plan chevalier sans peur et sans reproche s'écroulait d'un coup.
Yoake, elle, eut l'air carrément en état de choc face à cette information car elle se mit à détaller avec un air horrifié comme si elle avait vu le diable en personne.
Ian aurait adoré courir derrière elle comme les amants éthérés qu'on voyait dans les films sentimentaux. Mais dans ces genres de films, souvent il pleuvait ou bien il faisait nuit et là... Il faisait plein jour et il faisait trop chaud, cela aurait fait mauvais scénario...

tant pis, il ne lui restait plus qu'à jouer les cow-boy du Texas, très fiers, très beaux, très seuls, très bêtes mais invincibles.
Il contourna de loin le type qui se vidait de son sang après une chute. Ce n'était certainement pas un Texan !
Ian avait eu tôt fait d'assimiler la technique de monte et ne se posa pas une fois la question de savoir si la pastèque serait glissante ou non une fois installé dessus car là n'était pas le problème principal.
Il monta dessus et lança un regard en direction de l'Asiatique histoire de voir quel degré d'admiration transparaîtrait dans ses yeux.
Elle avait l'air triste, c'était du meilleur augure.
Comme les héroïnes en longues robes bleu ciel et chapeau à rubans, elle tremblait pour lui. Dans quelques minutes, il arriverait en courant, au ralenti pour l'effet de style, portant à bout de bras le trophée...

C'était partit et ça secouait !
afin de se donner du courage, il fredonna l'ouverture de "La cavalerie légère" de Franz Von Suppé, caracolant tant bien que mal, glissant, remontant, il contrôlait la monture réticente comme... un crapaud sur une boîte d'allumette qui n'en finirait pas de ruer.
Qu'importe, il était dessus jusqu'au moment où...
Il éternua, le nez dans la poussière et entendit le gong: il venait de battre le record précédent sous les applaudissements de la foule.
Une petite fille se précipita vers lui pour lui donner une pastèque avec de grands yeux admiratifs...Hein ? Quoi ? zut ! Une petite fille se précipita vers lui afin de récupérer le dossard avec de grands yeux sérieux.
Tout fier, il fit presque comme il avait dit - le ralenti effet de style en moins - et se précipita vers Yoake, les bras levés en signe de victoire.
La voyant toujours aussi désemparée, il se dit que c'était la meilleure héroïne de tous les temps !
du coup, en bon chevalier servant il lui dit: viens, maintenant je vais t'offrir un bijou.
Il prit sa belle par la main et l'entraîna vers un stand où s'étalaient bagues, pendentifs, colliers et bracelets à l'effigie de la pastèque.
Dreamland était trop bien; pour le coup il se serait cru à Disneyland, Mickey en moins. On ne pouvait pas tout avoir...

Plus elles parlaient, plus les deux adolescentes semblaient se déconnecter de la liesse ambiante. Leurs traits tirés et leurs yeux humides contrastaient drastiquement avec les sourires rayonnants et les cris de joie des enfants qui courraient près d'elles en les bousculant. Jade comme Melena en avaient gros sur le cœur, et pouvoir ainsi s'excuser mutuellement provoquait un soulagement intense chez la bonne jumelle. C'était comme si on lui retirait un poids des épaules. Ok, elle avait merdé mais elle n'était pas la seule. Et si sa vie dans les deux mondes étaient un brin apocalyptique, au moins elle n'aurait pas à affronter les affres du monde en solitaire. Son amie avait raison : elles s'étaient assez morfondues comme ça. Place à la fête ! Elles étaient à l'endroit idéal pour ça, autant en profiter pendant qu'elles le pouvaient encore !

- Ouais t'as raison, je me suis laissée emportée par mon côté drama queen... aujourd'hui, on va s'exclater. Tant pis si tout va de travers, ça ne nous empêchera pas de passer un super moment. On est un binôme de choc après tout !

Jay attrapa la main de l'irlandaise et la pressa entre ses doigts, lui adressa l'un de ses sourires les plus éblouissants. Ses peines et préoccupations n'avaient pas disparues, loin de là, mais la présence de Melena associée à l'effervescence de Tehinastèque lui permettait de reléguer tout ça au placard. Pour le moment.

Lorsque l'alcool fut évoqué, la psychotique ne put s'empêcher de lever les yeux au ciel, l'air faussement innocent. Bon, ok, leur dernière cuite n'avait pas été une réussite mais il fallait être honnête envers soi-même : si elle n'avalait rien il faudrait la menacer avec une arme pour qu'elle accepte de faire ce fichu rodéo. Mais peut-être qu'avec un ou deux verres, elle réviserait son opinion sur le sujet. Après tout si du rhum avait réussi à la rendre inconsciente et pyromane, qui savait ce que ferait la liqueur de pastèque ? Ça aurait été presque criminel que de rester inculte sur le sujet. La science réclamait des réponses.

- Même pas un verre ou deux ? Allez... tant qu'on ne finit pas par ramper par terre on devrait sans sortir sans rien détruire. Elle marqua une pause avant d'ajouter, pensive : Enfin, je crois.

Une seule chose était sure, et c'était qu'elle ne voulait pas passer la journée en compagnie d'illustres inconnus alors qu'elle venait de retrouver Mel'. Ces mecs étaient peut-être mignons -bon, ils l'étaient vraiment mais ce n'était pas la question- et potentiellement gentil, le fait est que la confiance de Jade envers les dreamlandiens avait été mise à mal depuis longtemps déjà. Elle n'avait pas confiance en eux et ne comptait pas reproduire son erreur passée. La sensation des doigts de Liam glissant sur sa peau nue était encore assez vivace pour la dissuader de faire ami-ami avec des mâles inconnus, en supériorité numérique qui plus est. Ian était différent, il transpirait l'innocence mais ces hommes... ils étaient juste tellement normaux qu'ils auraient pu cacher des intentions malsaines.

A cette pensée, elle ne put s'empêcher de pouffer dans sa main. C'est quand on se mettait à penser que le danger venait de la normalité qu'on réalisait que notre esprit déraillait vraiment. Mais... hey ! Elle était folle après tout. Complètement zinzin. C'est bien pour ça qu'elle voyait un psy, non ? Et étrangement, la logique des fous semblait être la bonne dans ce monde complètement loufoque qu'était Dreamland.

- Non merci, je préfère te garder pour moi ma belle ! On draguera un autre jour, tu veux ? A la place, je peux te proposer un super plan du genre... tenter le chamboule-tout ? Elle haussa les épaules, consciente du caractère futile et enfantin de la proposition. Bon ok, on a vu plus fun maiiiiiis... c'est pas si mal de commencer en douceur ! Et tu verras, je suis bonne à ce truc ! Peut-être à force de jouer au base-ball avec Emilio, même si je dois t'avouer que mes débuts n'étaient pas glorieux...

Dans son dos, Ian effectuait un vol plané sous les applaudissements de la foule alors que le responsable de l'attraction annonçait un nouveau record à battre. Sans le remarquer le moins du monde à cause du brouhaha ambiant, la bonne jumelle entraîna sa camarade jusqu'au stand de chamboule-tout. Des sortes de petits totems en bois, d'inspiration aztèque, étaient empilé en une grande pyramide que les badauds s'évertuaient à détruire les uns après les autres à l'aide de -ô surprise- des pastèques. Plusieurs tailles avaient été mise à la disposition des participants et à en croire les villageois qui faisaient la queue devant elles, si en prendre des plus grosses augmentait la facilité, cela diminuait aussi le nombre de points récoltés pour le décompte final.

Pendant qu'elles avançaient dans la queue, Jade se fit un plaisir de raconter à Melena sa récente rencontre avec un certain Alexander, parfaitement obsédé par la nécrophobe. Les questions, les crises de paranoïa et de jalousie, l'air de chien battu... aucune information n'échappa au rapport de la demoiselle. Elle venait à peine de finir, l'air amusée, lorsque le tour du duo arriva. Jade leva alors le bras, radieuse.

- Je commence ! J'adore ce truc.

Elle se saisit de la plus petite pastèque dont la taille équivalait à celle d'une balle de tennis. Le fruit était lourd et le manque d’entraînement risquait de la déstabiliser mais elle avait trois « balles » et ça serait largement suffisant. Vieux réflexe, Jade se saisit de la croix qui pendait à son cou et l'embrassa comme si elle espérait que Dieu apprécierait assez l'acte pour lui permettre un tir miraculeux. Et... ce fut presque le cas.

Tout le pan gauche de l’échafaudage s'effondra lorsque l'adolescente lança sa première pastèque. C'était pas mal pour un premier coup, mais Jade était frustrée de ne pas avoir fait mieux. C'était ce fichu poids ! Pourquoi fallait-il que ces pastèques soient aussi lourdes ? Quand on était habitué au poids plume de vulgaires balles de base-ball, ce changement était suffisant pour tout faire foirer. Après avoir grommelé un juron, elle se concentra pour son deuxième essai durant lequel elle paracheva son œuvre. Bon... deux coups ce n'était pas si mal, mais elle aurait tellement voulu faire mieux ! La psychotique se tourna vers Mel' avec une moue boudeuse tout en se décalant d'un pas pour lui laisser la place.

- Je suis trop frustrée ! Bon... à toi bourreau des cœurs !

Elle fut soulagée lorsque Jade accepta de mettre leurs peines de côtés, mais surtout qu’elle n’enfonçait pas le couteau dans la plaie. C’était bon de ne pas se sentir seule à porter un sentiment de culpabilité. C’était égoïste quelque part, mais elle et sa meilleure amie étaient dans le même bateau. Dans le même bateau… comme avec les esclavagistes ! Elles n’étaient jamais descendues de bord en fin de compte, elles étaient sur le navire des emmerdes depuis bien longtemps. Au sourire éblouissant de la bonne jumelle elle répondit par le sien, un de ces rares éclats qui illuminaient son visage trop pâle. Oui, elles étaient un binôme de choc.

Du coin de l’œil, elle vit Ian commencer le rodéo sous les yeux – admiratifs ? – de Yoake. Jade suggéra tout de même de prendre un verre ou deux d’alcool et… dans une parodie parfaite de fille dévergondée, Melena dénoua son chignon et ébouriffa sa chevelure corbeau en disant :

- Aller t’as raison ! Au pire, ça leur apprendra à vendre de l’alcool aux mineurs.

En tout cas, elle ne répondit pas tout de suite quand son amie lui dit vouloir la garder pour elle seule, mais son cœur se mit à faire des petits bonds de joie dans sa poitrine. La main dans la sienne lui parut encore plus douce, le nouveau visage de Jade encore plus jolie. Qu’importe ce qu’elle avait traversé, ça en valait la chandelle… être ici, à cet instant, avait valu le prix de sa raison.

- Le chamboule-tout c’est parfait, ne t’en fais pas. Ça ne risque pas de me briser la nuque au moins.

Ce qui était, à ses yeux de thanatophobe, un argument inébranlable. Il y eu soudainement une grosse holà du côté du stand de rodéo, mais même en cherchant, Melena n’aperçut ni Yoake, ni Ian. Elle se dit qu’ils devraient peut-être convenir d’un lieu de rendez-vous pour ne pas les perdre, mais la psychotique l’entraînait déjà jusqu’à la file du chamboule-tout et elle n’eut pas la force de l’interrompre. De toute façon, au milieu de toute cette population aux traits amérindiens et basanés, elles étaient deux ampoules blanches – particulièrement l’irlandaise. En fin de compte, elle ne sera pas si dur à retrouver.

Dans la queue, Jade lui raconta alors quelque chose à laquelle elle ne s’attendait pas du tout… non seulement elle avait rencontré Alexander, mais en plus il s’était visiblement bien épanché à son sujet. Un sentiment très adolescent envahit alors le cœur malade de la nécrophobe : elle était morte de honte. Ses rires n’étaient pas tous feints, parce qu’il fallait avouer qu’à la lumière du récit de sa meilleure amie, ce type était bien ridicule ; mais l’idée même qu’elle ait été tentée par lui, même cinq minutes… qu’est-ce qui lui avait pris ?! Les erreurs de jeunesse…

Fort heureusement, elles étaient arrivées au stand de chamboule-tout, elle gagnait un répit. Feignant de s’intéresser mortellement aux échafaudages de figures aztèques, elle souhaita bonne chance à la blondinette et l’observa faire tomber la moitié des totems avec une mini-pastèque. Pas mal ! En vérité, c’était même très bien, parce que l’irlandaise n’était pas certaine d’égaler ce score. C’était ce qu’elle voulut lui rétorquer, mais le surnom que lui avait donné son amie lui fit plutôt bougonner :

- Oui, non euh… chttt tais-moi… c’pas vrai…

Elle choisit aussi une petite pastèque pour son premier essai mais fut largement moins bonne que Jade. En fait, elle n’avait réussi qu’à faire tomber le totem qui trônait au sommet de sa pile. C’est vrai que le poids des fruits rendait la chose vachement difficile ! Deuxième essai… c’était un peu mieux : elle avait touché l’une des figurines sur le bord, qui avait entraîné celle du dessus, mais il restait encore pratiquement tout son échafaudage.

- Bon, le tout pour le tout…

Pour son dernier essai, elle choisit une pastèque de taille normale. Suffirait qu’elle touche le bas de la pyramide pour qu’elle tombe en entier. Stratégiquement, c’était parfait ! Mais stratégiquement seulement. Le fruit était bien évidemment très lourd pour ses bras frêles. Elle dût lancer à deux mains et la pastèque s’écrasa sur le sol au moins un mètre avant ses totems, qui avaient l’air de la narguer en riant.

- Bon tu ne rigoles pas ! Je suis nulle à ce genre de truc…

Elle savait tuer des bandits dans une arène, décapiter des cadavres ou massacrer une dizaine de personne à elle seule, mais faire du chamboule-tout, c’était au-delà de ses compétences. Passant une main dans ses cheveux, un sourire aux lèvres, elle désigna un bar-à-pastèque et y entraîna son amie en lui glissant :

- Viens, j’te paye un verre. J’ai même un jeu à te proposer : chaque fois qu’on fait une activité, celle qui fait le plus mauvais score paye un verre à l’autre !

Compte tenu du nombre d’activité, ça faisait quand même pas mal de boisson en perspective. Il n’y avait plus qu’à espérer que les cocktails locaux n’étaient pas chers parce que Melena sentait qu’elle serait mauvaise à peu près partout. Quand elle eut commandé deux tequila-pastèque pour 4 rubz chacune, elle s’accouda au bar, protégée du soleil par un paravent en feuille de palmier, et regarda Jade dans les yeux, un peu gênée.

- Bon, je suppose que je dois parler d’Alexander… euh… en fait, sincèrement, je ne sais pas ce qui s’est passé. Je venais de quitter Freedom, on s’était disputé avec Elie et Ace, ils m’ont abandonnée, j’ai traversé les terres gelées toute seule pour trouver mon ombre… j’étais un peu perdue et à fleur de peau à ce moment.

Les boissons arrivèrent. Elle remercia le serveur, trinqua avec son amie, et but une gorgée avant de continuer. C’était traître : on ne sentait pas l’alcool et c’était plutôt bon ; mauvais signe.

- Je suis tombé sur lui un peu au hasard, on ne se supportait pas avant mais… j’sais pas… j’avais envie de parler à quelqu’un. J’étais vraiment seule. Il a quand même été très con, j’ai pas manqué de lui dire, mais un jour… je crois que j’me suis dit un truc style « ma vie est finie, j’ai plus rien à perdre ». Alors on est sortis ensemble une fois et… bon oui j’l’ai embrassé, voilà !

Écarlate, elle plongea dans son verre de tequila-pastèque pour essayer de noyer son malaise, sans succès. Elle n’osait plus croiser le regard de sa meilleure amie, elle se sentait très bête ; même si paradoxalement, c’était mieux de raconter ça que d’expliquer comment elle avait dû s'entre-tuer avec ses compagnons à Freedoom. Une boisson, du soleil, une amie et des potins d’adolescente… elle se serait crut dans le monde réel.

- Je sais pas ce qui m’a pris, j’ai été un peu une garce j’avoue, parce que juste après je lui ai sorti le numéro du « je ne suis pas prête », etc. Je lui ai même proposé un puzzle d’âme en lui disant que « peut-être plus tard »… mais lui il a pris ça tellement à cœur qu’il m’a fait des déclarations d’amour et tout, alors je l’ai envoyé chier. J’me sens vraiment conne, j’t’assure…

Avant de partir, Ian posa plusieurs questions : tous d'abords, ce qu’elle aimait comme bijou, ensuite si elle avait une passion dans la vie. De ses deux questions, elle n’eut pas le temps de répondre. A présent, elle se retrouvait d’ailleurs contre l’arbre à regarder la performance de Ian.

Elle ne détestait pas les bijoux, mais en y réfléchissant, le voir lui en proposer avec ces tout premiers rubz la mettait en colère. 20 rubz, c’était peu, il y avait tout juste de quoi manger ou partager une chambre d’hôtel. Et tout ça sans compter les armes qu’il lui faudrait pour se défendre, mais où avait-il pu débarquer pour être aussi insouciant ? Ils étaient près d’une tour en plus. Yoake regarda sa batte qui pendait à ceinture et frissonna, en cas de problème, pas sûr que ce morceau de métal suffise. Le point rassurant, c’est que Melena et Jade n’avaient pour le moment aucune raison d’aller à Miquitzli, alors autant profiter de cette fête non ? Pourtant, l’hématophobe avait l’impression d’en être incapable.

Un brouhaha de bravo sortit Yoake de ses pensées, cette dernière leva les yeux et remarqua Ian arrivé vers elle les bras en l’air ça lui rappelait quelque peu les scènes romantiques dans les films, mais ça s’arrêtait là : la pâleur de la Japonaise faisait ressortir ses yeux, ses cheveux sombres et son bleu qu’elle avait sur la joue, la crise qu’elle venait d’avoir se terminait. Tandis que sa respiration retrouvait un rythme normal, elle allait surement pouvoir se lever. Le jeune homme arriva alors à sa hauteur et l’hématophobe prit soin de le détailler afin de prévoir une possible blessure et non par sentiment. La Japonaise se décida à sourire après tout, il allait forcément devoir rester ensemble un petit bout de temps alors autant ne pas s’énerver maintenant elle dit d’ailleurs :

- Bravo pour ta performance, il semblerait que tu es battu le record.

Ian parla encore de bijou et lui prit la main, arrivée devant le stand, la jeune femme regarda les différentes breloques avec chacune une pastèque parfois même un quartier de pastèque ornait les bracelets ou les bagues. Il y a cinq ans et accompagné de ses amis, Yoake aurait surement accepté ce présent comme un souvenir, mais là le contexte était bien différent. Elle leva ses yeux sombres vers Ian et lui demanda :

- Tu viens tout juste de récupérer tes premiers rubz non ? Et tu me souhaites m’offrir ça ?

Ce n’était pas qu’elle détestait ce type de bijou non plus, mais elle ne chercha pas à se contenir, il fallait que Ian se reprenne, il n’était plus à San Francisco, il allait se ruiner puis mourir s’il continuait comme ça.

- Tu ne peux pas ! Tu ne peux pas offrir un bijou à une femme que tu connais à peine juste parce que tu as 20 rubz qui te sont tombés du ciel.

Il y a quelques minutes à peine, elle avait préféré ne pas s’énerver, mais là, c’était plus fort qu’elle. Ne comprenait-il pas les risques qu’il encourait. Elle ajouta :

- Un repas dans une auberge miteuse coûte en moyenne 15 rubz, une nuit dans un hôtel remplie de cafards coûte environ 30 rubz, tu n’as même pas de quoi tenir une journée et tu me propose un bijou ? À Dreamland, on ne vit pas d’amour et d’eau fraiche tu sais ? On a dû te parler des dangers de ce monde non ? Tu crois que je porte ça uniquement pour faire jolie ?

Elle désigna sa batte de fer et enchaina :

- Elle m’a coûté 50 rubz, c’est plus du double que ce que tu as, et sache qu’après avoir fui un village de cannibale, je n’ai pas rechigné à l’acheter.

Un grand silence accueillit sa déclaration, mais heureusement les festivités suivaient son cours et le vendeur voyant que le couple n’achèterait pas sur son stand se dirigea aussitôt vers une autre cliente. La Japonaise leva ses yeux vers Ian et sa colère retomba presque aussitôt elle sentait qu’elle n’aurait pas dû se mettre en colère, mais son histoire avait était bien différente de celle de Ian : arrivée à Ellipse, où elle aurait pu y rester si Melena ne l’avait pas aidé, peu après elle avait failli terminer en ragoût et avait tué deux personnes. Et elle ne parlait pas de l’accident, des morts et du sang. Dans un sens, elle en voulait à Ian d’être aussi candide alors qu’elle vivait à Dreamland avec la peur de voir du sang ou pire de mourir… Elle reprit d’une voix qu’elle voulait plus douce :

- Ecoutes, je suis désolée de m’être laissée emporter comme ça, je crois que toi et moi n’avons pas vécu Dreamland de la même façon. Continuons les activités si tu veux bien après on essayera peut-être de retrouver Jade et Melena.

En effet Yoake les avait finalement perdues de vue, mais elle ne s’en formalisa pas après tout elle les retrouverait bien un moment ou un autre. Son regard fit malgré tout le tour et elle repéra une activité qui l’intéressait : le tir à l’arc. Elle tourna finalement son regard vers Ian espérant qu’il lui avait pardonné sa colère et dit :

- Tiens faisons du tir à l’arc, j’ai toujours rêvé d’apprendre.

En fait, ce n’était pas totalement vrai, elle venait juste d’avoir l’idée et un fois de plus c’était son instinct de survie qui parlait et non son envie de s’amuser. Apprendre à viser que ce soit avec une arme à feu ou un arc devenait indispensable si elle voulait survivre. Sans vérifier si Ian la suivait ou non, elle se dirigea vers la file d’attente et regardait chacun de ses adversaires ainsi que leurs gestuelles. D’après ce qu’elle avait compris, chaque participant avait trois flèches et devait tirer sur trois pastèques de tailles différentes évidement la plus petite valait plus de points que la plus grosse, mais les participants avaient le choix de viser plusieurs fois une pastèque ou non. Elle était détendue et ne cherchait pas forcément à battre un record, mais elle se donnait quand même un objectif faire en sorte que ses flèches touchent une cible.