Vacances au soleil

En provenance de >> Enojo

L’esprit de feu afficha une moue un peu déçue à la fin de la partie d’échecs. Le fait d’avoir perdu en soi ne le dérangeait pas tant que ça, c’était surtout d’avoir perdu à cause d’un mouvement qu’il ne connaissait pas. La prise en passant, condition du pouvoir de Nikodim, était inconnue d’Ace et, de fait, de Feu’ également. A l’inverse de d’habitude, la petite boule de feu demeura assez silencieuse jusqu’à ce que son invocateur ne revienne.

Le jeune homme, quant à lui, affichait un sourire satisfait en revenant s’asseoir pour finir de boutonner sa chemise. Il s’affala sur son siège et se laissa couler, détendu.
- Hey, Ace ! Je l’ai vu, le pouvoir de Niko’. Il est trop cool !
Avec ses mots à lui, Feufolé reprit de sa verve pour expliquer en détail le fonctionnement du pouvoir du vieux russe. Intéressé, Ace l’écoutait, jetant par intermittence un œil en direction du concerné.
- Eh ben c’est cool pour lui, il va pouvoir faire du théâtre de marionnettes ou dresser des singes avec ça, répondit simplement le pyromane sans laisser transparaitre que ce pouvoir et à fortiori son développement l’intéressait davantage que ce qu’il faisait croire actuellement.

Dans un sens, Ace regrettait de n’avoir pu assister lui-même à la démonstration de Nikodim. Mais si c’était à choisir à nouveau, il y avait fort à parier que le résultat demeure invariable. Quoi qu’il en soit, il était globalement satisfait de cette petite pause tranquille qu’on leur accordait enfin. La sensation de s’extirper des griffes des gardiens à mesure que la distance augmentait entre la tour et leur petit groupe était un soulagement… mais un soulagement avec un arrière-goût assez dérangeant. En effet, les gens comme Frank ou les gardiens eux-mêmes suffisaient à alimenter cette réminiscence désagréable qu’où qu’ils soient, où qu’ils aillent, on les retrouverait et on les traînerait à nouveau en enfer aussi simplement qu’en claquant des doigts.

Préférant ne pas y porter davantage d’attention, Ace passa son cerveau en mode « off » alors que sa tête se tournait du côté du hublot. Il se promit néanmoins d’aborder à nouveau avec le russe la question de son pouvoir. Contrôler les gens, c’était une perle dont on ne pouvait pas se passer ! Mais ce pouvoir était encore si jeune, si... faible ! Un jour, peut-être, Nikodim serait apte à contrôler les masses et ce jour-là, il faudrait qu’Ace figure parmi ses alliés voire même être celui qui tirerait les ficelles ; marionette-ception, en quelque sorte. Il s’y voyait déjà.

Ce fut la remarque de sa bien-aimée qui le tira d’un sommeil dans lequel il avait semble-t-il plongé sans s’en rendre compte. Relevant la tête et essuyant le trait de bave qu’il avait au coin des lèvres, Ace scruta l’horizon à la recherche de l’île. En effet, il y avait bien une putain d’île renversée et enchaînée au sol. Le taré qui avait réussi cet exploit méritait une médaille, assurément !
L’île ne fut pas la seule chose qui attira l’œil du pyromane alors qu’il découvrait la jungle miquiztlienne et ses alentours.
- Ouah, putain c’est géant comme forêt ! Ca a l’air top, ici.
Bien sûr, il n’avait pas encore conscience de la menace que représentait Léviathan, ni même de son existence.

Ils débarquèrent sous un soleil dardant qui lui fila la migraine après une dizaine de secondes seulement. Le choc de température avec le Nord dreamlandien, seule région qu’il connaissait réellement de ce monde, était assez énorme. Pourtant, cela n’entacha en rien sa joie de découvrir ces terres exotiques. Car s’il était vrai que le budget familial des Ridley était assez conséquent, il était également vrai qu’Ace en avait rarement bénéficié sans que ce fût pour ses parents avant tout. Il n’était que rarement parti en vacances : deux fois en Europe, une fois en Chine et une fois encore au Japon. Ses parents l’avaient emmené par défaut, le petit pyromane refusant obstinément toute nounou ou tout majordome qu’on lui avait proposé pour garder un œil sur lui. Rien ne pouvait remplacer ce qu’il avait perdu, à cette époque.

Le seul sentiment de vacance qu’il avait vraiment eu, c’était en Chine, justement. Profitant d’un moment d’inattention de la part de ses parents, il s’était enfui dans les bas-quartiers, inconscient des risques qu’il courait. Ou plutôt s’en fichait-il éperdument.
Dans ses errances, il était arrivé devant un fumoir dont les odeurs d’opium et d’encens lui faisaient tourner la tête à chaque fois qu’il revenait ici, les jours suivant sa découverte. Les odeurs lui donnaient la sensation d’un vertige agréable dans lequel on oublie tout ; on oublie qu’il ne fait pas beau, on oublie qu’il fait froid… On oublie sa solitude. Et à mesure qu’il s’éloignait du bâtiment enfumé et que le vent se chargeait à nouveau des fragrances citadines, il se disait qu’il aimait bien passer devant ce petit fumoir.

Bien sûr, tout cela fut éphémère mais pour une fois depuis des années, Ace retrouvait ce sentiment et comptait bien en profiter. Malheureusement, il y avait toujours un bémol…
Ce bémol, c’était un gamin déguisé en clown qui vint lui demander des bonbons, ce à quoi le pyromane répondit en lui indiquant ses parties génitales :
- T’as qu’à sucer ceux-là !
La réponse ne tarda pas et fut assez violente pour le tibia du Ken qui, handicapé, ne pouvait pas courser le gosse qui déjà commençait à racketter les deux autres membres du groupes. Feufolé, lui, se gaussait et ajouta entre deux ricanements :
- Ta générosité te perdra, toi, un jour !

Le russe avait profité du voyage en repos, mais il avait regardé à travers le hublot lorsqu'Elie fit mention d'une île flottante. En effet, une île flottante, à l'envers, et attaché au sol... Vraiment intéressant, ce monde. Qui pouvait faire ce genre de choses? Sincèrement, il espérait que ce n'était pas la seule chose que l'inventeur de cette chose avait réalisé, car dans ce cas, c'était certes impressionnant mais pitoyable par rapport aux possibilités. Oh oui, le mafieux en aurait bien profité...

Ils arrivèrent donc dans un endroit de pauvre, un peu comme l'un de ces bidonvilles d'Amérique. Le genre d'endroit ou le russe aimait traîner pour faire souffrir les gens. Il faisait une chaleur accablante, à laquelle le quadragénaire n'était pas habitué. Soit, un contretemps.
Mais la première chose qui l'amusa en arrivant, ce fut ce mioche qui arriva leur quémander des bonbons. Il entendit la répartie du jeune homme du groupe, et ria intérieurement. Bien envoyé, mais le coup au tibia aussi.

Cependant, cette menace ne changea pas le moins du monde la réaction de Nikodim. Après tout, il n'avait rien. Et Il n'avait jamais rien eu. Lorsqu'il était plus jeune, ses parents ne l'avaient jamais laissés participer à un Halloween, car ce n'était pas une fête russe, et que le travail était bien plus important. Et lorsqu'il fut plus grand, son passe-temps favori était d'attendre les plus jeunes, en étant déguisé de façon à être méconnaissable, et de leur voler leur bonbons.

Oh, il ne volerait pas ses bonbons, il était bien trop vieux pour ça. Mais il répliqua tout de même.

- J'ai une tête à faire la charité?

Il se fit frapper de la même manière que Niko Junior, et il se plia légèrement suite au coup. Lorsque le gamin fut partit, il grogna, plus pour lui même que pour les autres.

- De toute façon j'avais rien, sale mioche...

Ils se dirigèrent vers ce qui semblait être un restaurant, avec des plats disons... Peu attrayants. D'ailleurs, Ace n'hésita pas à le faire savoir, et se plaignit d'un plat de merde.
Nikodim aurait été du même avis... S'il n'avait pas faim. Il devait se nourrir, et cela lui coûterait sans doute moins cher que d'acheter des provisions. Il aviserait plus tard sur la marche à suivre.

- Servez-moi la même chose.

Il avait répondu avec un certain dégoût. Mais il avait déjà eu pire. Il se tourna vers la femelle du groupe.

- J'imagine que tu veux faire un tour du propriétaire, après ça? Il est hors de question qu'on aille chasser notre bouffe, mais je mangerais pas tout les jours ce genre de plat.

Il commença à manger difficilement son repas, pensant à ses pouvoirs et à la démonstration qu'il en avait fait à Feufollé. Il s'était tu après avoir perdu, mais Vialkovitch était certain qu'il avait tout raconté à Ace. Quel était son intérêt concernant ses pouvoirs, maintenant?

Il remarqua du coin de l’œil quelque chose de... Perturbant. Il se sentait observé. Il chuchota à ses comparses, le plus discrètement possible.

- Quelque chose ne va pas. Je propose que l'on paie et que l'on sorte d'ici. Je suis d'habitude pas pour ce genre de scénario, mais la prudence est de mise, après Enojo.

Et il était persuadé de cela. Dans les affaires comme dans les magouilles, il était important de savoir quand agir ou conclure. Ils venaient juste d'arriver, et il y avait déjà ce quelque chose qui ne lui plaisait pas, dans un contrat.

L'incertitude.

Bon, soyons franc : c'était dégueulasse. Seuls les fruits et l'eau ne lui donnaient pas envie de s'enfoncer les doigts au fond de la gorge pour dessiner l'Australie sur la table mais au moins son estomac avait cessé de la torturer. Sans parler du fait que vu la texture de ce qu'elle venait d'avaler, son repas lui tiendrait probablement au ventre pendant des heures. Elle avait littéralement l'impression de s'être plâtrée l'estomac. Son petit dej' avait aussi eu le mérite de lui permettre de penser de nouveau à autre chose qu'aux gargouillis de son ventre... et dire qu'elle n'avait même pas remarqué le gamin déguisé, pas plus que la réponse épique de sa moitié !

De leur côté, les mecs jouaient les fines bouches. Mais si Ace avait refusé tout net de bouffer ce qu'il avait assimilé à de la merde séchée coupée avec de la boue, Nikodim avait pour sa part avalé sa ration non sans signaler que ce serait bien la seule fois qu'il ingurgiterait ce genre de nourriture. Devant ces réactions hautaines et, avouons-le, capricieuses, Elie haussa un sourcil dédaigneux. Après tout, si le chat ne se plaignait pas, ils pouvaient en faire autant.

- Vous vous croyez dans top chef ou quoi ? Ici c'est la brousse, vous trouverez pas de resto' 3 étoiles et 'va falloir faire avec les cocos.

Sa remarque n'atteignit hélas pas son but. De toute façon, Nikodim avait l'air bien trop préoccupé par une poussée paranoïaque pour lui prêter une quelconque attention. La psychotique jeta un regard autour d'elle suite à la déclaration du russe mais rien ne la choquait. Oui, on avait tendance à un peu les fixer. Mais les touristes n'étaient pas légion dans le coin et ce n'était pas étonnant qu'ils attirent un peu l'attention. De quoi il avait peur au juste ? Qu'on les chope par la tignasse pour les emmener jusqu'en haut d'un temple pour leur arracher le cœur ? Que le gardien local leur tombe dessus, pour simple délit de sale gueule ? Même si on disait « jamais deux sans trois » fallait pas pousser même dans les orties. Ils avaient eu leur dose, qu'on en laisse un peu pour les autres.

- Ouais, bah moi je propose d'aller pisser d'abord, rétorqua-t-elle après s'être levée, une main sur la hanche. Je reviens, décarrez pas sans moi !

Sans attendre de réponse, elle pénétra à l'intérieur du restaurant -ils mangeaient en terrasse- et se fraya un chemin entre les tables jusqu'à une porte close que le serveur lui indiqua d'un signe de la main. La première chose qui l'accueillit à l'intérieur fut une forte odeur d'urine. La seconde fut un mioche déguisé en Joker, la Némésis de Batman. Et autant la jeune fille aimait Halloween et les comics, autant ce n'était pas particulièrement le genre de chose qu'elle appréciait de croiser en se rendant sur le trône. D'ailleurs comme d'habitude la temporalité péchait. De quand datait la dernière fête des morts ? Une semaine ? Deux tout au plus ? Mais bon, pour une fois qu'on ne lui refilait pas un costume qui changeait en lampion ou en clebs débile elle n'allait pas se plaindre.

- Un bonbon ou un sort !

- Un bonbon et tu sors, répondit El' du tac au tac en glissant un sucre d'orge dans la main de Melvin qui partit à toute blinde, disparaissant de son champ de vision.

Une fois seule et libre de soulager sa vessie, la mauvaise jumelle laissa vagabonder son esprit. Même si elle persistait à penser que Niko' se la jouait juste parano, il y avait quelque chose qui la dérangeait. Et impossible de mettre le doigt dessus. Suite à ce constat, elle rangea aussitôt ça dans la case « pas important » de son cerveau. Ça lui reviendrait le moment venu, même si elle avait la vague impression que cette « chose » avait à voir avec Jade.

Plus légère et rhabillée, elle quitta la cabine exiguë après quelques minutes et regagna l'extérieur, la chaleur écrasante et le soleil brûlant. 10 rubz tintèrent sur la table alors qu'elle glissait une banane survivante dans son sac. Le russe n'aurait plus qu'à s’acquitter de ses frais et ils pourraient lever l'ancre. Mais pour où ? Son double lui avait dit être indisponible entre 2 et 3 jours, il allait donc falloir trouver un endroit où dormir. Elie aurait d'ailleurs mis sa main à couper qu'avec les deux zigotos qu'elle se traînait cette tâche ne serait pas aisée.

Tiens, pour la peine qu'ils s'y collent ! Ça leur ferait les pieds.

- Va falloir trouver un endroit où crécher cette nuit, alors j'me suis dit que vous alliez pouvoir me montrer vos talents, hum ? Trouvez-nous un endroit classe... c'est dans vos cordes non ?

Mélange de flatteries et de défi, sa remarque trouverait bien un écho chez l'un ou l'autre, voire chez les deux. C'était un truc typiquement masculin, ce qu'elle appelait le syndrome de la fierté mal placée. Mettez en doute les capacités d'un mâle, peu importe le sujet -même anodin- et vous étiez presque sûr de le voir bomber le torse et parader comme un paon pour prouver le contraire. Ça devait être dû à une des hormones surproduite dans leurs couilles. Peut-être aussi pour ça qu'ils faisaient moins les malins quand on les fracassait à coup de pied.

Et alors qu'un sourire mutin éclairait son visage, une ombre sembla s'extraire lentement du bâtiment dans leur dos avant de disparaître presque aussitôt. Un jeu de lumière ? Si seulement.

Révulsé par ce qu'on avait osé lui présenter comme "petit déjeuner", se pencha tout de même pour renifler prudemment le contenu de son bol. Elie et Nikodim avaient mangé et n'étaient toujours pas morts mais ça ne retirait pas le risque de se retrouver avec une chiasse monstre dans l'après-midi. Quoi que... vu la texture épaisse qu'avait ce semblant de porridge...
La remarque d'Elie finit d'instiller l'horreur dans l'esprit du pyromane ; des frissons parcoururent son dos. Il releva la tête, inquiet :
- Attends, on va quand même pas devoir aller manger... dans un deux étoiles !? Il tenta un regard en direction de Feufolé, à la recherche d'une quelconque compassion ; rien. Le même sourire amusé que d'habitude, devenu le visage inexpressif 'par défaut' depuis bien longtemps chez son invocation.

La mine désolée du Ken fixait avec une tristesse infinie le bol et son contenu tandis que le russe psychotait et que la mauvaise jumelle s'éclipsait. Il soupira longuement et avala deux ou trois cuillerées de la substance en essayant au mieux de ne pas faire intervenir ses capacités gustatives raffinées. Il avala avec grande difficulté et en resta là.
- Oh, ça peut pas être aussi mauvais que tu le penses. Rappelle-toi le jour où t'avais sifflé un demi-litre de lait caillé parce que t'avais "pas fait gaffe à la date", ben c'était pire, je pense. Hm ? Le souvenir remonte ?
- Y a pas qu'ça qui r'monte..! commenta Ace, la main sur la bouche et le teint blême.

L'addition était payée, il ne restait plus qu'à s'occuper jusqu'au retour d'Elie et des crétins qui l'accompagnaient... mais comment ?
Elie proposa de trouver un endroit où dormir ; ça leur permettrait au moins d'avoir un pied-à-terre dans la ville pour ces quelques jours mais les autochtones disposaient-ils d'autre chose que des paillasses inconfortables et à même le sol ?
- On va voir ce qu'ils me proposent, ces cons, s'exclama-t-il avec un sourire carnassier. Et s'ils ont l'audace de me faire dormir dans une écurie, je crame leurs baraques de merde.
Il avait ajouté la dernière phrase sur un ton légèrement plus sérieux mais dont l'excitation dans le ton donnait une dimension assez inquiétante du point de vue des villageois présents.

Malgré le fait qu'il sortit le premier, Ace ne remarqua pas ce que sa compagne semblait avoir vu à l'intérieur... Il n'y avait d'ailleurs pas grand-monde et les rares personnes qu'ils croisaient conservaient une distance de sécurité de quelques mètres entre le groupe de voyageurs et eux.
Le pyromane, déterminé à trouver un hôtel avant le russe, scrutait déjà les horizons à la recherche du quartier le plus adéquat à abriter un tel bâtiment. A droite, la place du marché à moitié vide faisait face à la fontaine du centre-ville dont l'eau avait cessé de couler. Après le marché, plusieurs rues offraient autant de chemins vers le pas-grand-chose habituel des villes pauvres. A gauche, la rue donnait sur une autre artère principale de Miquiztli qui débouchait sur une sorte de périphérique en chemin battu, gravitant autour du centre-ville et desservant les cinq temples délimitant la ville aztèque.
Plus loin, un sixième temple plus imposant semblait l'appeler et le repousser à la fois. Le sentiment paradoxal qui l'envahit se mua en une sorte de peur de l'inconnu et de l'incompréhensible, elle même victime de la même opposition à la simultanéité étrange. L'aura qui émanait de ce temple lui rappela Freedoom et Enojo sous certains aspects.
- Vous voyez, ça, là-bas ? Ce doit être la tour... Je le sais ; je le sens. Il se tourna vers ses compagnons et continua : j'propose logiquement qu'on aille dans l'autre sens, si ça vous dérange pas.

Sans attendre vraiment de réponse, il se mit en route, vérifiant tout de même qu'Elie le suivait en jetant un regard par-dessus son épaule. Il lui sembla alors remarquer quelqu'un dans un coin de la rue opposée mais lorsqu'il se retourna une nouvelle fois, la silhouette s'était évaporée. Visiblement soucié, il continua prudemment sur sa lancée, observant frénétiquement tout bâtiment recelant quelque coin d'ombre.
- Ace..? Feufolé avait remarqué la détresse du pyromane et souhaitait s'enquérir des pensées de ce dernier mais il n'obtint comme seule réponses qu'un froncement de sourcils concentré qui voulait très clairement dire "pas maintenant". Plus ça allait et plus il avait lui aussi l'impression d'être observé. Elie n'avait peut-être pas compris toute la gravité de ce qu' Nikodim voulait dire par-là quand il s'était manifesté : il ne s'agissait pas QUE des citoyens mais bel et bien d'autre chose d'indéfini mais néanmoins présent... voire même omniprésent.

Arrivé près de la fontaine, le Ken remarqua un homme assis sur le bord de cette dernière. Entièrement vêtu d'habits aux couleurs du sable et de la poussière de roches ocres des environs, il portait une chèche noire qui cachait tout de son visage sauf les yeux. Ayant l'air d'attendre quelqu'un ou quelque chose, il s'amusait à prendre une poignée de terre friable qu'il broyait entre ses mains avant de laisser s'égrainer le sable ainsi formé et de recommencer le processus, levant de temps en temps les yeux. Son regard se posa naturellement sur le groupe qui arrivait. Lorsqu'il vit la manière dont Ace le détailla, il se leva, s'étira et commença à s'éloigner sans leur adresser la parole ni aucun geste.
- Eh, r'gardez Mohamed ab'doulou qui se tire. Putain, c'est quoi déjà le nom d'sa tribu, c'est le même nom que ces bagnoles, là... ah ouais : touareg !
Il attendit que l'homme fut hors de son champ de vision pour continuer.
- J'suis peut-être pas super bon en géo' mais je crois pas qu'il y ait de touaregs dans ce genre de région, même si c'est Dreamland. Sérieux, j'suis pas raciste mais j'ai vraiment un putain de mauvais feeling sur ce genre de types. T'es sure que tu veux attendre ici, El' ? Il va demander à son chameau de nous égorger dans not' sommeil, j'en suis sûr.

Il fallut attendre le retour d'Elie pour qu'ils puissent partir. Nikodim fut le dernier à déposer son argent, bien qu'à contrecœur. Cependant, la jeune fille avait raison. Il ne trouverait sans doute pas dans cet endroit misérable un hôtel ou un restaurant à leur convenance. C'est d'ailleurs pour cela que la femme du groupe leur avait proposé ce défi, assurément.

Mais il n'était pas dupe, contrairement à Ace qui partait en premier. Nikodim fermait la marche. Il savait qu'au moins, il avait un petit avantage: son cube. Peu lui importait l’hôtel, donc. Et il ne ferait sans doute pas de prêt. D'ailleurs, il se tourna sur le chemin vers Elie.

- Bien trouvé, ta demande. Mais pour ma part, n'importe quel lieu ferait l'affaire. J'ai mes petits trucs, moi aussi.

Il regardait le paysage peu hospitalier, tandis que la chaleur commençait à se faire ressentir. Des temples, beaucoup de temples... Il avait du avoir des cours la-dessus, mais cela ne l'avait jamais réellement intéressé. Les mythes d'or anciens, c'était bon pour les rêveurs. Cependant, un temple semblait plus... Imposant. Quelque chose dans ce temple lui faisait penser à la tour d'Enojo.

D'ailleurs, Ace vint à leur dire qu'ils s'éloigneraient de ce qu'il pensait être la tour des lieux. Il acquiesça d'un signe de tête. Cependant, plus ils avançaient, plus son impression d'être espionné était forte. Il n'en dit rien, mais le questionnement de Feufollé et la réaction de Ace était clair: il n'était pas dupe non plus. Mais son manque de discrétion alerterait n'importe qui à la ronde. Dont un homme, habillé étrangement vu les lieux. Le meilleur moyen de se faire remarquer, pensa-t-il. Mais le pyromane n'était pas non plus en reste... Et il s'inquiétait maintenant de ce qui risquait de se passer? Il était trop tard pour ça.

- Si tu veux mon avis et que tu as raison, il est déjà trop tard, que l'on sorte de cette ville ou non. Après, ce n'est peut-être qu'une idée comme ça.

Il regarda aux alentours, et vit au loin un "hôtel". Cela valait bien peu, mais il était près de ce qui semblait être un quartier marchand. Donc, forcément un peu plus prospère, espéra-t-il.

- Elie, si tu comptes tout de même rester ici, l'hôtel la-bas fera l'affaire. Je doute que l'on ne trouve mieux dans les parages... Et j'aurais ma propre couchette, alors...

Tandis qu'il s'avançait vers le lieu de repos, il réfléchit aux éventualités. Soit ils faisaient trop riches, et des voleurs allaient leur sauter à la gorge, possibilité qui finirait en bain de sang, sans doute. Soit les habitants savaient qu'ils y avaient deux disciples en ville. Auquel cas, cela ne changerait que peu de chose, mis à part que le Gardien serait mis au courant... Pas forcément une bonne idée. Soit le Gardien savait déjà ce qui se passait. Et c'était sans doute d'autant plus effrayant.

Elle pensait pouvoir me duper en changeant simplement de coiffure, il aurait fallu changer de visage, d'âme. Elle pensait pouvoir m'échapper éternellement et me filer entre les doigts jusque sur mes propres terres. Naïve.
Si j'avais été quelqu'un de plus compatissant, j'aurais fais mine de ne pas la remarquer, de ne pas la voir me narguer. Si j'avais été quelqu'un de plus patient, j'aurais même attendu plus longtemps ou qu'elle se rapproche davantage encore. Si j'avais été quelqu'un de plus clément... je l'aurais pardonné. Si j'avais été moins cruel, je n'aurais pas eu envie de la faire souffrir avant de l'empaler sur un mur.

Mais Je ne suis que moi malgré tous ces visages que j'ai arrachés, malgré ces âmes que j'ai dévorées, malgré ces destins que j'ai volés. Et pour cette raison, Je resterai fidèle à moi-même. Elle pensait pouvoir me duper... alors j'ai décider de la traquer. Tout de suite après le rapport de mes espions, j'envoyai mes hommes les prendre en filature. Cette nuit, où qu'ils dorment, ils se feraient capturer. Elle pensait pouvoir m'échapper mais elle me livrait sa personne et ses compagnons sur un plateau d'argent. Ma voyageuse, ma transaction, ma chose ! J'ai suffisamment attendu pour m'arroger le droit de prendre un petit supplément sur le contrat ; je les veux tous. Y compris ceux qui étaient partis chercher MON Diamant Sauvage : ils viendraient à moi bien assez tôt. Je les veux aussi. Tôt ou tard, il faudrait bien qu'ils redescendent de leur île sacrée. Je les y attendrai moi-même s'il le faut.

Les autres gardiens m'ont bien fait comprendre que ce qui n'était pas chez moi ne m'appartenait pas.. « encore », dirais-je... Mais maintenant, ils sont chez moi, alors ils sont à moi. D'un autre côté... je me demande s'il est bien prudent de faire pénétrer des voyageurs dans un lieu duquel je suis censé les tenir éloignés... Je réfléchissais à cela quand mon servile serviteur m'interrompit.

- Ils ont des ssssssssssoupçons ? Très bien. Qu'ils sssoupçonnent. La chassssse n'en sssera que plus amusante.
Leur venue m'intriguait cependant : ils étaient arrivés à bord de mon ballon volant. « Celui qui va chez moi », donc le mien. Pourtant, ils ne semblaient pas intéressés par le Diamant de l'île volante. Ils ne semblaient pas avoir de but non plus, errant dans mes rues comme des touristes. Que voulaient-ils ? Que cherchaient-ils ?
A cette distance, je sentais leur aura mais sur les trois, deux d'entre eux sentaient... le souillé. Deux d'entre eux dont ma chose. Et je n'aimais pas ça. Il me faudrait tirer ça au clair quand je les possèderais.

Depuis le plafond, j'observais avec mes yeux reptiliens mon servile serviteur s'éloigner et sortir pour transmettre les directives que je lui avais données pour nous... préparer... à la livraison de ma commande en retard. Même malgré le noir absolu qui régnait dans cette salle, je le voyais parfaitement bien. Un atout de plus contre les intrus et qui rendait la collecte plus aisée. J'avais si hâte de leur montrer ma collection... J'espérais qu'ils l'apprécient autant que moi car je comptais bien les y ajouter pour toujours.


Pendant ce temps, dans les rues de Miquiztli, les rares habitants encore capables de se déplacer malgré la chaleur accablante s'affairaient à leurs tâches quotidiennes. D'autres, en revanche, transportaient du matériel un peu plus exotique et commençaient à l'entasser sur la place centrale, tout autour de la fontaine asséchée où se trouvaient Nikodim, Elie et Ace. Rapidement, des hommes et des femmes se regroupèrent pour donner un coup de main en montant ce qui s'apparentait à des stands de marché. Des décorations et des lampions furent accrochés à l'aide d'outils improvisés de manière à former des banderoles colorées et accueillantes. Cette partie de la ville devint rapidement animée comme une petite fourmilière sans que nos voyageurs sachent vraiment pourquoi. Une fête ? Une célébration ? Quelque chose de ce genre, en tout cas, car cela n'avait rien à voir avec le type de marché hebdomadaire que cette ville miséreuse pouvait déployer.

On les regardait avec des yeux envieux, des regards jaloux ou de chiens battus ; ou bien encore avec ces yeux-là dont les commerçants avides et néanmoins trop peu discrets sur leurs intentions avaient le secret. De toute évidence, la fête n'était pas en leur honneur mais ils étaient les bienvenus s'il s'agissait de vider le contenu de leur bourse volontairement ou de manière plus.. 'indirecte'.

Un citoyen les invita à s'écarter des travaux en cours en prenant Elie par le bras. Cette dernière, accompagnée de Ace, lui firent comprendre à leur manière que ce genre de geste n'était pas bien vu et le pauvre homme frêle de répondre, tremblant mais affichant néanmoins un sourire qui révélait sa dentition détériorée :
- Je voulais pas embêter madame ! Je voulais juste aider les très chers touristes en les orientant vers le meilleur hôtel de la ville et en leur proposant mes services hôteliers de grande marque!
Reprenant un peu plus de constance, l'hôtelier retira la main du pyromane de ses loques et les défroissa d'un revers de la main. Il les enjoignit à le suivra en indiquant l'hôtel qu'avait remarqué Nikodim plus tôt. Ce n'était peut-être pas vraiment le meilleur hôtel de la ville mais quand on n'a que 3 rubz par jour pour se nourrir, on ne peut pas se permettre en plus d'être honnête avec la clientèle.

A l'intérieur, le propriétaire contourna un comptoir improvisé et fit mine de griffonner quelque chose dans un carnet miteux. Savait-il au moins écrire ? La question se posait, mais il referma rapidement son livre et posa trois plaquettes en terre cuite sur lesquelles étaient inscrits respectivement les numéros 1, 2 et 3.
- Voici les clés des chambres de mes seigneurs ! Ils s'y plairont, c'est certain, oui ? Trois personnes, trois chambres, mais les clients peuvent aussi dormir dans la chambre d'un ami ou d'une amie, si ils ont envie. Moi j'espionne pas, je suis discret. Je tolère ! Je tolère. C'est normal, oui ?

Après avoir indiqué le prix annihilant toute concurrence de seulement 15 rubz par nuit et par personne, le gérant les mena jusqu'à l'étage où il les laissa avant de redescendre. Les numéros étaient indiqués au-dessus des portes de chaque chambre. Enfin « porte »... il s'agissait plutôt de rideaux improvisés à partir de tapis aux motifs rayés aux couleurs traditionnelles maïas. Si l'on ne doutait pas sur l'authenticité régionale de ces portes fabuleuses, l'intérieur était en parfait harmonie avec l'extérieur en révélant des chambres de 5m² au plafond très bas et dans lesquelles des paillasses étaient déposées. Parmi les meubles, on pouvait trouver une minuscule table de chevet ainsi qu'un pot de chambre et une lampe à huile. Dans le mur, deux fenêtres de 30cm² constituaient les seules entrées d'air et de lumière ; aucune vitre ni aucun rideau, bien entendu. En un mot : spartiate.

Il fallait espérer que la fête leur permettrait de rester éveillés suffisamment longtemps pour profiter le moins possible de leurs chambres peu confortables ; ou bien ils pouvaient aussi s'enfuit en prenant leurs jambes à leur cou mais les autres hôtels de Miquiztli étaient-ils réellement mieux que celui-ci ?
D'ailleurs, en parlant de fête, l'organisation de celle-ci avançait bien et la place de la ville ressemblait enfin à quelque chose de festif et organisé. On aurait presque pu croire voir un sourire sur les lèvres des enfants faméliques observant la scène.
A vue de nez, la célébration serait prête vers la fin d'après-midi mais les odeurs d'épices et de plats traditionnels emplissaient déjà les rues. C'était presque étonnant de voir que malgré leur extrême pauvreté, les habitants parvenaient encore à créer quelques merveilles pour se rendre la vie moins impossible.

Oui bon, ok. Nikodim n'était peut-être pas si parano que ça. Plus ils marchaient à la recherche d'un hypothétique hôtel confortable, plus il lui semblait apercevoir des silhouettes, des ombres fugaces. Chaque coin d'ombre paraissait receler d'un espion, mais un plissement d'yeux et tout n'était plus qu'illusion. Et cette perpétuelle sensation de regards qui lui brûlaient le dos... et bien sûr quand elle se retournait, plus rien. Est-ce que le soleil lui tapait trop sur le crâne ? Bon sang, si elle avait su, Elie aurait investi dans une casquette au lieu de s'acheter un manteau.

Le groupe erraient à l'aveuglette comme des touristes mais le climat n'était pas à la détente. Non seulement ils ne trouvaient pas d'endroit correct où crécher mais l'aura de l'immense pyramide qu'ils voyaient au loin donnait l'impression de les noyer dans une ambiance malsaine. La mauvaise jumelle n'avait pas peur, elle ne savait même plus comment faire. Mais elle savait dans les tréfonds de sa moitié d'âme qu'aller là-bas était la dernière chose à faire. Rien que la regarder hérissait les poils de ses bras malgré la chaleur accablante... comment ne pas acquiescer à la proposition d'Ace ?

- Je pense aussi et c'est pas trop dans mes projets de faire la tournée des gardiens jusqu'à ce que l'un d'eux arrive définitivement à nous faire la peau. Crever une fois m'a suffit. Cela dit... je sais pas si tourner le dos à ce truc est une bonne idée.

En fait, c'était même le contraire. Elle ne pouvait s'empêcher de jeter régulièrement des coups d’œil en arrière tant l'impression d'y voir s'y tenir un danger imminent était forte. Putain oui, une foutue impression qu'un mec avec un poignard levé se tenait juste à un pas, près à frapper. A croire que Jade portait la poisse : à chaque fois qu'ils avaient tenté de la retrouver il leur arrivait une crasse. Est-ce qu'elle aussi portait la poisse, par extension ? Bouarf, ils auraient tout le temps d'y réfléchir une fois posés dans un lieu ombragé. Sa tête était si chaude qu'on aurait pu y faire cuire un œuf.

La remarque raciste de son cher et tendre lui fit lever les yeux au ciel. Mieux valait l'ignorer. Quoi que... c'est vrai que ce mec était louche. Enfin, lui au moins il ne disparaissait pas quand ils clignaient des yeux.

- Tu veux attendre où, sinon ici ? Dans la jungle ? J'suis pas sure que les panthères soient de meilleure compagnie que les chameaux égorgeurs.

Le russe renchérit avec un pessimisme marqué, disant que de toute façon il était trop tard pour quitter les lieux.

Pour lui peut-être... mais pas pour eux. Ace et elle n'avait qu'à se réveiller pour se retrouver en sécurité. Mais lui ? A ce qu'elle avait compris il était dans le coma... et donc condamné à de longues années d'exil à Dreamland. Ce n'était probablement pas très correct que de penser à abandonner leur « compagnon » au milieu d'individus hostiles mais il fallait se rendre à l'évidence : elle crèverait pas pour les beaux yeux d'un mec qu'elle blairait qu'à moitié, voir pas du tout. Elie aurait d'ailleurs mis sa main à couper que dans une situation inversée Nikodim n'aurait pas réfléchit à deux fois avant de les planter comme des bagages trop encombrants. La loi de la jungle, en quelque sorte.

Mais bon, pour l'heure il leur dénicha surtout un hôtel. Enfin... une baraque aussi miteuse que les autres avec une vague pancarte dessus. Une moue peu convaincue tordit les lèvres de la mauvaise jumelle alors que les habitants entamaient des préparatifs autour de leur petite troupe. Ça avait l'air d'être un taudis sans nom, mais elle n'avait pas vraiment envie de rester là, au milieu de la foule grandissante. Les fêtes c'étaient peut-être sympa mais il y avait bien trop de gens qui louchaient sur leurs affaires. Combien de temps avant que des pickpockets les dépouillent de tout, y compris de leurs sous-vêtements ?

Heureusement un homme fendit la foule, prenant la décision à leur place. Le contact de ses doigts osseux sur son bras lui fit lever le poing, par réflexe.

- Tu m'lâches ou j'te démonte !

Ce geste, la colère qui brillait dans ses yeux ainsi que la réaction d'Ace qui ne tarda pas suffirent à lui rendre sa liberté. L'homme expliqua aussitôt la raison de son geste et El' baissa légèrement le bras, suspicieuse.

- Le meilleur hôtel ? Bah putain, même mon chien rechignerait à y crécher...

Ils le suivirent néanmoins pour découvrir que l'intérieur n'avait rien à envier à l'extérieur en terme de misère. Les « clés » en terre cuite lui firent hausser un sourcil dubitatif, sourcil qui ne fit que s'élever plus haut lorsqu'elle découvrit que les portes n'étaient rien d'autre que des rideaux. 15 rubz pour ça ? C'était encore trop cher mais bon... mieux valait ça qu'une nuit à la belle étoile, surtout avec toutes ces choses qui semblaient les avoir pris en chasse.

Une fois le prix de la chambre payé et l’hôtelier repartit, la psychotique se tourna vers Ace et Nikodim avait un air pour le moins moqueur. Le défi avait été merveilleuse relevé, y'avait pas à dire...

- Alors c'est ça, un hôtel « classe » ? Quelle chance, j'aurais pas cru pouvoir dormir dans un tel luxe un jour !

En direction de sa moitié à l'air renfrogné elle tira la langue, révélant la marque de Freedoom qui la marquait comme si elle n'était que du bétail.

- Je vais pas faire la fine bouche t'façon. On a notre cube orgasmachin pour palier à ce genre de situation. Maintenant, la question est... à quoi on va s'occuper d'ici le retour de Jade ? Elle se tourna vers Niko', les sourcils froncés. Et toi, si j'entends le mot « échecs » ça va chauffer pour tes miches ! Un truc fun, ok ?

- Ouais ben au moins avec les panthères on sait à quoi s'en tenir, avait juste répondu le pyromane à sa petite amie, reprochant implicitement aux gardiens de tout mettre en œuvre pour vous les briser par les moyens les plus tordus de l'univers. Il en avait eu sa dose et sa main en portait d'ailleurs un second stigmate qui lui faisait se rappeler à chaque seconde pourquoi il devait et voulait rester le plus loin possible de ces êtres effrayants ; ne rien avoir à voir avec eux.
- Vous savez que dans certains pays, on castre les chameaux en prenant deux briques et en écrasant leurs cou- le petit être n'eut pas le temps de terminer son anecdote car déjà le pyromane l'agressait de revers de main comme l'on chasserait un nuage de fumée. Bien sûr, aucune des gesticulation du jeune homme n'atteignait Feufolé mais il comprenait néanmoins que c'était là le signe que sa parole n'était plus désirée.

Qu'il soit trop tard pour s'enfuir ou non importait peu à Ace. Il avait globalement survécu à ses précédentes rencontres avec les gardiens et n'avait cessé de s'améliorer, tant en terme d'équipement qu'en terme de pouvoirs. Il le sentait : il devenait plus puissant. Il se créerait une sortie en réduisant en cendre ces taudis s'il le fallait.
Son visage se déconfit cependant qu'un sale pauvre empoignait Elie. Par réflexe, il sortit son revolver, retira la sécurité en une fraction de seconde et pointa l'arme sur le front du commerçant. Ses yeux gris haineux ne renvoyaient que la colère et le dégoût qu'il éprouvait pour ce genre d'individu ; au moindre faux-pas, il ferait sauter la cervelle de cet inconnu importun sur le champ. Aucune personne n'est irremplaçable et surtout pas lui.

Force mentale ou résolution face aux malheurs qu'il avait déjà vécu, le voleur de copine avait réussi à ne pas se pisser dessus. Au contraire, même : il leur proposait désormais de crécher dans son hôtel. Indécis, Ace leva le nez pour regarder le soleil. Il faisait encore plein jour... soit ce mec était un rapace en puissance, soit il avait vu Nikodim désigner l'établissement dont il était responsable. Ou les deux...
Le Ken rengaina son arme et accorda à ce paysan crasseux le bénéfice du doute, non sans le garder à l’œil. Il fallait tout du moins remarquer que le type avait quelques notions commerciales mais Ace n'était pas dupe et il était convaincu que ni Nikodim, ni Elie ne l'étaient non plus. Mais bon... Il avait la flemme de chercher autre chose : la chaleur écrasante du soleil l’assommait et il suait déjà à grosses gouttes sous son costume dont il retira la veste pour la caser dans sa hotte. De sa main droite – toujours – il déboutonna quelques boutons de sa chemise et tira sur le col à quelques reprises pour faire passer l'air sur son torse trempé.
- Putain j'ai horreur de la chaleur, je déteste quand il fait trop chaud.
Et Feu' de lui répondre avec une feinte innocence : ben tu dis la même chose pour le froid en hiver. Et pour la pluie au printemps. Et pour le vent en automne.

L'esprit de feu n'avait pas tort : Ace n'aimait pas trop les grosses variations ni les températures extrêmes, bien qu'il appréciait néanmoins les temps orageux, en été. De plus, la chaleur permettait au feu de se propager encore plus vite. Pour la défense de l'automne, les feuilles mortes permettaient elles aussi de s'amuser, surtout lorsque le voisin les réunit en un bon gros tas avec son râteau à votre place !
En parlant de feu, n'avait-il pas dit que si on osait le faire pioncer dans une écurie, il brûlait tout ? Question rhétorique : bien évidemment qu'il se souvenait avoir dit ça. Déjà la pierre de son briquet l'appelait avec force, comme si son abstinence de ces derniers temps se rappelait de plus en plus fortement à lui à mesure que le temps passait.

Ace paya une nouvelle fois son dû à contrecœur sans que l'idée de passer la nuit sous un toit ne parvienne à le rassurer entièrement tant la paranoïa était présente et alimentée par ce qu'il avait cru voir plus tôt. Si on les filait réellement, on leur tomberait dessus à un moment ou un autre ; ça n'était qu'une question de temps. il espérait seulement être prêt à se défendre et réactif à ce moment-là car il ne pardonnerait jamais qu'on s'en prenne à lui ou à Elie. Et puis le vieux con, il commençait à l'apprécier, à s'y attacher. Il était austère et chiant comme tous les vieux de son âge mais il était intéressant – sauf quand il jouait aux échecs. Le père d'Ace aussi jouait assez souvent aux échecs mais toutes ses tentatives pour intéresser son fils à ce jeu de stratégie furent.. héhé.. un « échec ». Pff... Pourquoi les anciens veulent toujours forcer les jeunes à suivre leurs idéaux à la con, leurs convictions incompréhensibles et toutes ces conneries sur la morale ? La morale, les idéaux, les convictions, on les forgeait très bien soi-même dans la rue ou avec les potes, selon le pyromane. Encore une fois, son esprit je-m’en-foutiste l'empêchait d'atteindre la maturité suffisante pour appréhender ces concepts.

La grimace d'Elie parvint à lui tirer un léger sourire amusé. Même si la marque de la paresse qui dépassait un peu d'entre ses lèvres lui rappelait de mauvais souvenirs, le simple fait de la regarder être elle-même malgré tout ce qu'ils avaient vécu encourageait Ace à ne pas se laisser aller à la solution de facilité en baissant les bras comme il avait pu le faire au moment des épreuves.
Son sourire s'étira davantage lorsqu'il imagina la tronche déçue que Nikodim devait faire intérieurement lorsqu'elle lui refusa une partie d'échecs. S'il tenait tant que ça à assouvir ses pulsions, qu'il le fasse avec Feufolé... et s'il forçait le Ken à jouer lui-même, il courait le risque de le voir assouvir ses propres pulsions sur l'échiquier.

- Perso', je pense qu'on risque pas grand-chose tant qu'il fait jour. 'Faut juste qu'on se dispatche pas trop... Moi j'vous l'dit direct : y fait trop chaud alors j'ai pas trop envie de sortir me balader pour le moment. Ou alors on reste dans l'ombre des « maisons ». D'ailleurs pourquoi leur putain de fontaine marche pas ?! Ils ont un truc pour se rafraîchir au beau milieu de leur putain de ville mais y a rien qui en sort!
- C'est vrai que c'est bête mais ça ne doit pas être de leur propre volonté qu'ils ont coupé l'arrivée d'eau... Je suppose qu'on peut toujours demander mais soit c'est à cause d'un assèchement ou bien c'est le gardien. Dans les deux cas, ça ne m'étonnerait pas trop.

Le côté immature d'Ace, proéminent par cette chaleur, lui donnait presque envie d'investiguer sur ce problème. Passer le temps avec des jeux d'eau l'aiderait d'une part à surmonter le cagnard et d'autre part à contrôler ses pulsions pyromanes. A part ça, il n'avait pas vraiment d'idées à proposer : cette ville semblait dénuée d'intérêt mis à part les temples l'entourant mais les visites de monuments historiques le gonflait légèrement. Surtout que le seul temple qui aurait été intéressant à voir était celui dont le Ken ne voulait surtout pas croiser le proprio'.
Ce monde était pareil que le leur : les plus riches s'enrichissent et chient sur les pauvres qui restent les pieds dans la vase. C'était logique et normal mais une nouvelle fois, il se retrouvait à côtoyer de près ce peuple de la vase ; ça lui rappelait ses sorties business avec ses potes à San Fran'. Quoi qu'ils fassent, il savait que rien ne pouvait le faire chuter de sa position sociale, qu'il était en sécurité, qu'il était le big boss. Ici, il n'avait aucune richesse, aucun rang particulier à part un dont il se serait honnêtement passé... Cette humilité forcée le mettait véritablement les pieds dans cette vase sociale et étonnamment, les hautes instances que représentaient ici les gardiens ne lui semblaient plus aussi amicales.

Nikodim fut amusé de voir le maître des lieux qu'il avait désigné agrippé Elie, puis se faire menacer par le petit couple. Oh, qu'ils étaient bien plus mignon comme ça... A son humble avis. Il trouva aussi amusant la façon dont s'était rattrapé le pauvre hôtelier. Il connaissait son métier, c'était certain. C'était le genre de gag que l'on ne servait au russe qu'une fois.
Mais au moins, il avait rassuré le couple. Et permis au russe d'avoir une info supplémentaire: le jeune homme avait une arme.

Ils entrèrent donc dans un hôtel qui était tout sauf gracieux et luxueux, entre les clés en terre et les chambres fermés par de simples rideaux. Qui avait été payé fort trop cher à son goût, mais soit. Il n'y aurait sans doute pas mieux, et il chercherait à profiter du luxe plus tard.
Elie se moqua des garçons, mais lui n'en avait cure. Il ne jouait pas dans cette cour. Et quand elle fit mention du cube, il sortit le sien.

- Vous avez le vôtre, et j'ai le mien. Un des rares biens que je possède heureusement.

Puis elle demanda à ses compagnons une activité, en se protégeant du jeu d'échec. Il avait certes une envie de jouer aux échecs, mais il ne pensait de toute manière pas que c'était le moment. Il ne dis donc rien, souriant juste. Il analysait les lieux.

Les fenêtres étaient grandes ouvertes, il serait donc facile pour qui que ce soit de rentrer ou de sortir par ici, si jamais ils dormaient là. Le couloir pouvait être bloqué facilement. Et ne parlons pas des portes inexistantes. D'ailleurs, lors de son investigation rapide, il vit un petit poney en plastique par terre, qu'il ramassa discrètement. Personne ne s'en servirait... Sans doute pas lui d'ailleurs, mais après tout pourquoi pas.

Oh il n'allait pas se faire avoir comme avec McCarton, surement pas. Il allait surveiller. Et il allait proposer la même chose à Ace lorsqu'il parla ... de la fontaine qui n'avait plus d'eau? Mais qu'est ce qui lui prenait?

Cette réaction fit rire de bon cœur le russe, un rire qui paraîtrait sadique à n'importe qui.
Puis il eut une idée, folle, mais après tout pourquoi pas? Il se doutait que l'eau devait être gardé par les plus riches... Notamment, le gardien. Mais il devait bien y avoir un endroit caché, une source inaccessible. Il pourrait peut-être gagné beaucoup plus qu'une nuit à l'hôtel auprès des villageois en trouvant cette source...
Il se tourna ensuite vers son compatriote.

- Je ne sais pas ce qui te passe par la tête, mais je ne suis pas sur que ce soit la meilleure idée. Mais quoi de mieux pour nous rafraîchir les idées après tout?

Il était loin d'être le meilleur en humour, mais il s'en moquait. Pour l'heure, il fallait détendre l'atmosphère.

- Vous voulez qu'on cherche pourquoi une putain de fontaine ne marche pas ? notifia Elie, détachant soigneusement chaque syllabe de sa phrase tant la proposition lui paraissait aberrante.

Y'avait tellement d'autres choses à faire, moins fatigantes et plus amusantes ! Comme... euh... bah... hum... ouais c'est vrai que dans ce bled paumé les activités n'étaient pas légion. Y'avait bien la fête dehors mais impossible de savoir ce qu'elle vaudrait. Toujours mieux que de jouer à Mario et Luigi version aztèque cela dit.

Un hibou choisit ce moment pour surgir au travers de la fenêtre de la chambre et lâcher un journal sur ses genoux avant de repartir. Si elle n'avait pas senti le poids du papier sur ses pieds, l'adolescente aurait pu croire qu'il ne s'était agit que d'une illusion. Elle baissa les yeux et aperçu la une, seule chose visible du canard plié, qui proclamait « Elipse enfin libérée du joug de la terroriste voyageuse ! ». Un sifflement de mépris s'échappa d'entre ses dents et elle se pencha pour ramasser le Dreamland soir et le déplier. Son geste révéla la photo sous le titre sur laquelle on pouvait voir deux mariées à tête de méduse faire face à une fille dont la tenue ridiculement asymétrique faisait penser aux héros de Final Fantasy.

Plus El' regardait la photographie plus elle avait l'impression qu'elle loupait un détail. Un détail comme...

- Oh putain c'est Melena !

Se rapprochant de la fenêtre pour profiter de plus de lumière, l'adolescente examina plus soigneusement la photo et dû se rendre à l'évidence : c'était bien la nécrophobe. Qu'est-ce qu'elle pouvait bien foutre là, cette nouille ? Pour s'amuser à aller combattre des psychopathes surpuissants elle devait avoir pété plus d'une durite. Ils avaient bien fait de la planter avant qu'elle ne les pousse à mouiller dans ce genre d'affaire. Et il lui semblait bien reconnaitre la petite blonde qui avait bossé en cuisine avec elle sur le Slavedog Millionnaire. Une peste hautaine, à croire qu'elles s'étaient bien trouvées, elle et l'irlandaise !

- Vous savez quoi ? Allez jouer les plombiers si vous voulez. Moi j'ai de la lecture qui m'attend. Elle ajouta avec un sourire 100% foutage de gueule à Nikodim : Et ouais, je sais lire. Impressionné papy ?

La psychotique posa le cube orgasmaïque au milieu de la pièce, où il se déplia aussitôt. Elle n'eut plus alors qu'à s'y installer confortablement pour se replonger dans sa lecture. Et elle était plutôt intéressante, à vrai dire. La tarée qu'ils avaient affronté avait mis à feu et à sang cette ville de raciste, mais c'était encore qu'une trop maigre vengeance pour ce qu'ils avaient fait subir aux voyageurs lors de la nuit sanglante. Si ça n'avait tenu qu'à elle, Elie aurait castré tous les mâles de la ville pour être sure que cette sale engeance ne se reproduise plus.

Y'avait deux ou trois autres articles intéressants, à commencer par celui qui parlait d'une récente pluie de voyageurs sur tout Dreamland. Un vraie. Bam ! Voilà qu'ils tombaient du ciel et pas toujours bien. On suspectait la faute des elipsiens, à croire que ces cons aimaient emmerder le monde. La jeune fille qui avait interrompu sa lecture au premier tiers de l'article avait toutefois du mal à se représenter le problème. Les voyageurs étaient toujours venus de nulle part. La seule différence était qu'au lieu d'être concentrés en un lieu ils s'éparpillaient, alors pourquoi tant de chichis ?

Une masse heurta soudain le mur de la chambre dans un craquement sonore, ébranlant la bâtisse. El' faillit lâcher son journal sous l'effet de la surprise et rejoignit la fenêtre non sans avoir pris la peine de tirer son fusil à pompe de son sac. Lorsqu'elle se pencha par l'ouverture dépourvue de vitre, elle put admirer une magnifique trainée rouge et grisâtre qui ornait la façade de l'hôtel, un mètre à sa droite. C'était quoi ces trucs grisâtres collés dans cette mélasse ? Un coup d’œil au sol lui apporta la réponse : le corps d'un homme, aussi désarticulé qu'une poupée de chiffon, gisait au sol à l'endroit où s'était tenu précédemment un étal. La mauvaise jumelle siffla, impressionnée.

- Ah ouais tout d'suite je pige mieux le « problème ». Ce mec a vraiment pas eu de bol.

Sa pitié s'arrêta là. Elle n'était pas la marraine de tous les nouveaux voyageurs de DL. Certains vivaient, d'autres mourraient et elle s'en tamponnait le cul avec une babouche.

- Raison de plus pour rester tranquille au pieu, n'empêche.

Elle regagna le lit et se replongea dans sa lecture, posant son arme le long de sa cuisse.

Ça parlait de tout et de rien. Des résultats du concours de Miss Dreamland à l'évocation d'une guerre sous-marine dans laquelle des Dieux seraient en train de se décider à participer, en passant par de mystérieux dévoreurs dans un bled paumé du nom de Candyland. A croire qu'il y avait de l'action partout sauf ici. Bien sûr Elie n'allait pas se plaindre de ne pas avoir de meurtrier aux fesses, ni de comète lui tombant sur la tête mais... il fallait avouer qu'elle avait été habitué à tellement de remue-ménage que le calme la tuait. Ce n'était pas pour rien qu'on parlait d'ennui mortel.

L'adolescente bailla, caressant machinalement la tête de son chaton qui s'était lové dans le creux de son ventre. Pourquoi pas faire une sieste après avoir fini son journal ? Il fallait bien faire passer le temps. Si seulement Jade pouvait décarrer plus vite de cette satanée île volante ! Comme s'ils avaient besoin de ce diamant qu'elle avait évoqué ! Quoi que... s'il réalisait vraiment les vœux Elie savait lequel elle ferait. Oh oui.

Ace reçut les remarques de ses camarades de manière assez négative. Vexé, il haussa les épaules avec dédain tout en s'adossant contre le mur le plus proche, bras croisés.
- 'Voulez pas remplir la piscine ? Ben allez vous faire foutre, déclama-t-il sans réelle animosité. Il n'en avait pas grand-chose à branler non plus de cette fontaine mais par cette chaleur, c'était ce qu'il faisait habituellement chez lui. Mais peut-être qu'Elie et Nikodim n'étaient pas prêt à comprendre le mode de vie luxueux et avant-gardiste de la famille Ridley ; il leur pardonnait. Peu de gens pouvaient se targuer d'être aussi riches que lui, après tout.

Il regarda Feufolé voleter autour de lui, lui soufflant au passage : putain, heureusement qu'tu chauffes rien, toi. 'Sais pas comment on aurait survécu sinon.
L'esprit violet se contenta d'un clin d'oeil taquin tout en continuant à virevolter sans réel but précis autre que passer le temps. Quand il vit Elie ouvrir son journal et s'exclamer, il ne put s'empêcher de s'approcher pour lire par-dessus son épaule.
- Ah ouais, c'est bien elle. Elle a l'air... en forme...

Intrigué, le pyromane était venu lui aussi profiter de l'hebdomadaire de la mauvaise jumelle. Il regarda attentivement la photographie en première page et plissa les yeux, l'air révolté.
- Eh mais... C'est cette sale petite pute de Dakota, là ?! Cette pétasse.. Ah bah je comprends mieux : qui s'ressemble s'assemble, hein ? Chais pas qui c'est la tarlouse avec elles mais logiquement, c'est un pauvre type lui aussi.
- On voit que tu en as gardé un très bon souvenir, hm ? demanda Feufolé que la réaction de son invocateur amusait au plus haut point.
Ace se redressa rageusement, maugréant quelque parole incompréhensible mais dont la teneur devait s'approcher très probablement de : « si j'la retrouve, j'la bute ».

Elie, elle, fit part de son choix de rester là à lire ce torchon qui faisait l'éloge des pires voyageurs de l'univers, ce qui agaça Ace et Feufolé qui répondirent de concert :
- Bwoooh j'croyais qu'on allait faire un truc marrant, moi..!
Déçu, il sortit de la chambre en soupirant comme un adolescent contrarié. Il descendit les marches miteuses de l'hôtel deux par deux sans chercher à savoir si Nikodim le suivrait ou non.
Traversant les rues, il dégageait d'un coup d'épaules les badauds qui avaient le malheur de passer un peu trop près de lui. Il fallait dire qu'il tenait à son espace personnel ; un homme c'est comme un feu : si y a trop de chose autour et pas assez d'air, ça étouffe.

Il enjamba les palettes jusqu'à se retrouver devant la fontaine asséchée. Elle devait être assez impressionnante lorsqu'elle fonctionnait et le bassin l'entourant était assez grand pour faire s'allonger au moins une dizaine de personnes dedans. Arrivé près de ce qu'il appelait dans sa tête le 'robinet' faute de trouver un terme plus approprié, il regarda dans le tuyau poussiéreux. Vide... évidemment. Il tapota la tuyauterie du bout de sa chaussure afin de s'en assurer et le bruit creux qui fit résonner la fontaine lui apporta la réponse qu'il cherchait. Pas un seul millilitre à l'intérieur.
- Elle est où l'arrivée d'eau ?, demanda-t-il impérieusement aux habitants qui le regardèrent comme s'il parlait une autre langue. Exaspéré, le Ken se mit à mimer une fontaine avec ses mains tout en reprenant : l'arrivée d'eau, quoi ! La SOURCE ! D'où ça vient ?

On lui indiqua la jungle Pazthèque et un rictus de mauvaise surprise naquit sur le visage du jeune Ridley. Hors de question qu'il foute les pieds là-dedans. Feufolé prit le relais en interrogeant l'homme qui leur avait pointé la direction de la jungle.
- C'est le gardien qui vous empêche d'avoir de l'eau ?
Ce dernier haussa les épaules avant de retourner à ses occupations. Ils n'en savaient rien, naturellement. Les gardiens n'étaient visiblement pas des personnalités très sociables alors l'information devait passer aussi bien que le courant entre eux et les habitants proches de leurs tours.

- ACE, regade : une étoile filante ! cria Feufolé, totalement hystérique pour une raison qu'Ace ne tarda pas à comprendre. Utilisant sa main comme une visière, il essaya de distinguer l'objet qui s'approchait à grande vitesse de leur position. Ça semblait désarticulé, comme un tas de chiffon...
- Mais... C'est humain ?!
l'individu volant non-identifié vint s'écraser contre le mur de leur hôtel avec fracas, dispersant du sang et de la cervelle un peu partout aux alentours tandis que le reste du corps tombait dans les oranges (pas de pommes à Miqui'...).
Ace ne bougea pas, assez interdit et sceptique quant à la viabilité d'un tel moyen de transport. Il observa les badauds se presser pour retirer le corps tout en gardant les mains dans les poches. Eh, ils ne s'attendaient tout de même pas à ce qu'il aille les aider, si..?
- Ace ? C'est ça, le mur du son ?
Le pyromane regarda son esprit de feu en haussant les épaules. Après quelques secondes de silence passées à regarder les morceaux de cadavre se faire transporter, il répondit finalement :
- 'Me prendrais bien un truc à bouffer, moi.

Le russe fut amusé par la réaction des deux amants. L'une trouvant l'idée stupide, ce à quoi il ne pouvait qu'être en accord, au final. Et l'autre réagissant comme un gosse. Ce jeune homme était réellement stupéfiant. Il pouvait être une brute violente, mais à côté être un véritable sale gosse. Comme ces sales gosses qui autrefois avaient chercher des noises à Vialkovitch. Oh il avait appris depuis.

Certain étaient restés à la rue, d'autres s'étaient fait engagés, et d'autres étaient... Hors d'état de nuire. Cela l'avait bien amusé, il se rappelait comment il les avait détruit, petit à petit, pièce par pièce... A la fin, leur folie était telle qu'ils hurlaient comme des gorets et comme de petite donzelle subissant 1001 viols. Et encore, les filles avaient au moins le courage de se dresser contre lui, pas comme ces hommes-là...

Puis, la jeune femme reçut ce qui semblait être un journal, et découvrit une photo de Melena, semblait-il. Et ils parlaient aussi d'une autre personne, appelé Dakota. Apparemment, il ne l'appréciait pas, ce qui intriguait Nikodim. Mais cette question attendrait. En tout cas, plus longtemps Melena serait loin de lui, mieux ce serait. Même si ce n'était qu'une frêle cible, il risquait de s'en mordre les doigts si elle revenait.

Puis, Elie déclara qu'elle lirait le journal, en lançant une pique au russe.

- Je n'en doutais pas, je ne te crois pas si stupide que tu le pense. Au contraire.

Puis il partit en direction de sa chambre, laissant le jeune homme de côté. Il se trouvait à côté de celle des deux adeptes. Il réfléchit à ce qu'il allait pouvoir faire pour prévoir la nuit qui allait arriver. S'ils se faisaient épier, et si les "espions" ne cherchaient pas à se cacher, c'est sans doute qu'ils allaient agir rapidement. S'il ne se passait rien cette nuit, il se serait trompé.

Mais il savait que quoi qu'il arrive, il resterait un maximum de temps éveillé. S'ils pouvaient éviter un autre gardien, ou autre chose, il ferait son maximum pour aider.

Soudain, il entendit ce qui ressemblait à un cri, puis à un bruit d'étal écrasé. Il regarda par la fenêtre. Un homme mort. Vu la tenue, il ne voyait que deux choses: c'était un voyageur qui avait subi un rituel ou autre, ou il avait atterri d'une manière inconnu. Mais le résultat était le même, il était mort.

Le Russe se demanda combien de gens étaient morts de sa main par la voie des airs. Cinq? Six personnes?

Il réfléchissait encore à ses différents méfaits lorsque la nuit s'avança. Il ne déplia pas son lit, prit place contre le mur, lui permettant de voir ce qui sortirait de la fenêtre. Tout le monde était dans sa chambre.

Et il était prêt.

L'après-midi fut placé sous le signe du farniente, chacun s'occupant par le moyen qu'il pensât être le meilleur afin d'échapper au soleil caniculaire ou à l'ennui mortel. L'astre incandescent poursuivit sa courbe, impassible, harassant les Miquiztliens affairés à préparer les festivités, jusqu'à finir par toucher l'horizon que formait la canopée de la jungle environnante. A ce moment-là, la place du marché était enfin prête. Seul Ace s'était amusé dehors pendant ce temps : à force de coups de pieds, il avait finalement réussi à « réparer » la fontaine qui crachait désormais une eau plus ou moins limpide dans laquelle il s'était baigné sous les regards désemparés des villageois assoiffés.

Une fois la nuit tombée, l'on célébra l'apparition de la mystérieuse île volante et les bienfaits qu'une telle manifestation présageait habituellement. Il faut bien avouer qu'un événement qui ne se produit qu'une fois par millénaire est assez attendu mais étrangement, il semblait y avoir peu de gens présents, pas d'autres voyageurs... Peut-être n'en avaient-ils jamais entendu parler ou bien étaient-ils trop affairés à tenter de braver les dangers entourant le Diamant Sauvage...

Lorsque vint l'heure de se coucher, la fête battait encore son plein et il fut difficile de fermer l’œil avec tous ces bruits, ces chants, ces odeurs et ces lumières chaleureuses.
Néanmoins, le sommeil finit par emporter les plus fatigués, même s'il ne fut que de courte durée.
Au beau milieu de la nuit, des pas rapides mais discrets se firent entendre au pas de chaque 'porte' qui furent violemment découpées à coups de cimeterre tandis qu'une dizaine d'hommes vêtus de noir pénétraient à l'intérieur des chambres. Ils ressemblaient tous à l'homme que le pyromane avait désigné plus tôt dans la journée : des touaregs vêtus de noir et dont le visage était presque entièrement couvert par une chèche aussi noire que la nuit, ne laissant voir que leurs yeux déterminés à mener à bien leur mission peu importe le prix.

Ace fut le premier à verser le sang de l'ennemi grâce à une balle de revolver logée entre les deux globes oculaires du premier assassin. Ce dernier tressauta puis disparut dans un nuage sombre dont l'apparence ressemblait à de l'encre qu'on verse dans l'eau. Puis, plus rien : même l'arme partit en fumée. Cela ne dissuada en rien ses autres camarades qui se ruèrent sur le trio.
La bataille fut âpre et les ravisseurs peu tendres avec leurs cibles mais finalement, le nombre eut raison des voyageurs qui ne bénéficiaient pas de l'amplitude de mouvement suffisante pour se battre librement.
Entravés par des chaînes leur liant poings et chevilles, elles-mêmes liées par une autre chaîne à un autre voyageur, on fit avancer les captifs jusqu'à la sortie. Épée sous la gorge, on leur fit comprendre qu'il était inutile et très déconseillé d'appeler à l'aide, puis on les fit déambuler dans les rues sombres de Miquiztli tout en prenant soin de bien éviter les badauds regroupés autour des festivités.

A mesure que l'on se rapprochait du temple de l'Envie, l'aura écrasante du gardien se faisait sentir de plus en plus fortement, toujours aussi paradoxale en ce qu'elle semblait vouloir attirer autant qu'elle souhaitait repousser ; la sensation de griffes se refermant sur eux était sans doute très adéquate...
Le silence morbide qui régnait à présent ne laissait filtrer que les pas et les respirations vives tandis qu'on les fit pénétrer dans la tour et passer une série de salles remplies d'offrandes de toutes sortes. La porte s'abaissa derrière eux, mur de pierres de plusieurs mètres de haut s'abaissant comme par magie pour ne laisser que le bruit sourd de la pierre contre la pierre en écho. On leur fit signe d'attendre là et après quelques instants pendant lesquels les yeux des trois voyageurs eurent l'occasion de s'acclimater à l'obscurité totale, un bruit de frottement se fit entendre juste derrière eux. Les touaregs se dissipèrent instantanément les uns après les autres pour laisser place à une silhouette fine qui se dessinait peu à peu.

Deux petits ronds luisant d'une lueur blanchâtre apparurent ainsi, puis on devina un sourire carnassier ; l'aura du gardien vint alors les écraser de toute sa force. Aux quatre coins de la pièce, des torches s'allumèrent, venant baigner la salle d'une lumière faible mais suffisante pour discerner Leviathan, sa peau verdâtre écailleuse à peine couverte d'un pagne en hâillons, sa queue reptilienne, ses pieds et mais griffues et surtout son visage qui tremblait d'une émotion indicible, au croisement entre l'impatience d'un enfant qui ne se serait jamais vu dire « non » et une joie dissimulée d'avoir, de posséder. Ses dents pointues grincèrent un instant puis sa tête se pencha à 45° avec la vivacité d'un reptile guettant sa proie.

- Je sssssuis... tellement heureux... que je pourrais presque vous tuer. lâcha-t-il d'une voix lente et vicieuse.
Il recula de quelques pas, admirant une nouvelle fois ses nouveaux jouets et mima une pseudo-révérence.
- Bienvenus dans la tour de l'Envie. La mienne. Et je ssssuis ssson gardien : Leviathan.

Il avança brusquement en adoptant une posture à quatre patte dans laquelle tout son corps semblait frôler le sol, presque glisser dessus. Se relevant avec la même vitesse, il approcha son visage à quelques centimètres d'Elie à qui il asséna un violent coup qui la mit à terre, elle et les autres à qui elle était enchaînée. Le sourire du gardien avait été tué, remplacé par un affreux rictus de rage, de dégoût et de haine.
Sa main ouvrit la bouche de la mauvaise jumelle alors qu'il se penchait vers elle, la plaquant au sol ; ses longs ongles salis et usés agrippèrent la langue de la prisonnière qu'il regarda avec une fascination inhumaine.
- Cccce n'est pas la première fois... qu'une livraison ne me parvient pas. Mais je n'aurais jamais pensssé que toi, tu aurais l'audace de revenir sssur mes terres... et SSSSSOUILLÉE, en plusss de ççça.
Dans une succession de gestes brusques, il lâcha la langue, tourna le visage de la mauvaise jumelle, agrippa ses cheveux, les renifla bruyamment puis marcha sur elle avec la même posture quadrupède pour rejoindre les deux autres voyageurs avec qui il maintint une distance plus respectable.

Ses yeux reptiliens clignaient par intermittence, l'un après l'autre alors qu'il détaillait le pyromane et le russe.
- J'accepte cccependant ta venue car tu m'apportes de nouveaux objets. Je peux sssentir votre pouvoir couler dans vos veines, votre flux vital... Vous êtes libres, vous... voyagez... Je vous envie... et je vous hais pour çççççça. La première chose que j'ai fait lorssssque j'ai pris vie, ccc'était de couper les ailes de tous les oiseaux que je voyais car je ne ssssuporte pas qu'on ait quelque chose que je n'ai pas.
Son regard glissa d'un voyageur à l'autre avec la curiosité de voir s'ils avaient capté le caractère analogique de son anecdote de jeunesse. Pourtant il était heureux de les posséder. Il voulait tout autant les étriper et empaler leurs têtes sur des piques à l'orée de la jungle que les serrer dans ses bras et les garder avec lui pour toujours. Heureusement, avec un esprit un peu pratique, on arrive à trouver des compromis acceptables.

Affichant un air contrarié, Leviathan passait en revue le peu d'options qu'il avait.
- Ssssi je vous laisssssse en vie... 'Ils' vous rappelleront. Même chose ssi je vous tue. Je sssens un grand potentiel en toi, jeune Jade : ton cœur est troublé... tu jalouse quelqu'un, je le sssais... ah, ssssi ssseulement tu pouvais avoir ccce que ccette personne a... sssi sssseulement tu pouvais être elle tout en ressstant toi-même. Tu veux beaucoup de choses et tu les désires ardemment... je peux t'aider.

Grattant sa peau, Leviathan pinça entre ses doigts une écaille qu'il arracha sèchement sans quitter le trio des yeux. Il glissa jusqu'au cou d'Elie dans lequel il enfonça son ongle et l'écaille avec. Il retira sa main et la plaie se referma magiquement ; un symbole ésotérique apparut sur la peau de la mauvaise jumelle. Il réitéra le processus avec le pyromane tout en prenant soin d'éviter les attaques gauches qui le visaient.
- Je ne peux pas vous purifier de votre ssssouillure mais je peux au moins l'entraver. Avec ccecccci, vos... gardiens... ne pourront plus vous rappeler. Vous êtes toujours adeptes mais vous n'êtes plus vraiment à eux... et pas encore tout à fait à moi. Voicccci mon offre : rejoignez-moi et protégez ma tour ; abandonnez cccette paressssssse qui vous ronge l'âme et qui ne vous rapprochera jamais de vos rêves...

Finalement la sieste n'était restée qu'un rêve lointain. Alors que les paupières d'Elie se faisaient lourdes et que sa tête s'enfonçait irrémédiablement dans les coussins de plumes, un « bip » strident résonna dans son crâne. Ni une ni deux, elle sursauta si fort que son chaton bascula avec un miaulement offusqué. C'était quoi cette connerie ?! C'est une Jade légèrement gênée qui prit la peine de lui expliquer tout ça par télépathie alors que le sourcil de la mauvaise jumelle montait petit à petit jusqu'à rejoindre la stratosphère. Elle était... un détecteur à danger. Ça aurait pu être intéressant si la sonnette d'alarme n'avait pas été aussi désagréable.

Après avoir écouté en silence les explications de son double, elle remplit son rôle concernant la salle des indécisions puis se contenta de suivre le compte rendu pour le reste. Tout ce qu'elle retenait c'est que ceux qui avaient voulu protéger le diamant n'avaient pas fait les choses à moitié. Si Jade avait été moins équipée le petit groupe aurait probablement perdu un ou deux membres au passage, à commencer par Alexander. Ça lui faisait drôle de savoir qu'il était en compagnie de son double d'ailleurs. La dernière fois qu'elle l'avait vu c'était quand ils s'étaient perdu de vue dans le labyrinthe techyoïte. Une bonne chose qu'il ait survécu. Il était peut-être sombre et lunatique mais ce n'était pas un mauvais gars.

En parlant de gars, les siens s'étaient fait la malle. Un coup d'oeil par la fenêtre lui avait permis de  voir Ace qui faisait mumuse dans la fontaine et un bruissement dans la chambre d'à côté lui y indiquait la présence de Nikodim. La chambre d'à côté... et il en restait une de libre. Stupide de payer pour trois chambres quand on en utilisait que deux, quand on y pensait. Et vu qu'elle ne pouvait pas pioncer, autant mettre son temps à profit pour résoudre cette injustice financière !

La jeune fille passa donc les dix minutes suivantes à chercher le gérant et lui expliquer la situation, non sans réclamer assidûment le retour de 15 de leurs rubz. Elle eut moins de mal qu'elle aurait cru à avoir gain de cause et put retourner profiter du « luxe » de son habitation d'un jour. Après quelques heures Ace vint la rejoindre, Elie lui proposant pour le dîner une de ses boites de conserve et sa banane du petit déjeuner. Ok, ce n'était pas royal mais comparé à la bouffe du coin ce n'était pas si mal que ça, un plat de raviolis.

Après une nouvelle partie de jambes en l'air sponsorisé cube orgasmaïque, la psychotique sombra dans le sommeil malgré le tapage que faisaient les villageois dans les rues de la ville. Mais pas pour longtemps hélas. Des bruits de pas, de la toile qu'on déchire, c'était suffisant pour tirer du sommeil la mauvaise jumelle. Son premier réflexe vu d'attirer à elle son fusil à pompe caché sous les draps et de l'armer. Dans l'obscurité elle ne discernait pas grand-chose, mais dans une pièce aussi petite avec autant d'assaillants les chances de faire mouche étaient élevées même sans viser. D'ailleurs ce fut prouvé quand son petit ami en abattit un qui se ruait vers eux, révélant au couple la nature tout sauf humaine de leurs assaillants. Qu'à cela ne tienne, ça le l'empêcherait pas de les transformer en passoire !

- Bouffe du plomb, connard !

La première balle heurta de plein fouet le ventre d'un des touaregs, le projetant contre le mur où il s'évapora. La seconde n'eut pas le temps de sortir car déjà des mains lui agrippaient le bras droit, arrachant Elie à l'étreinte douillette du lit. La chute fut rude, le sol de terre battue écorchant ses cuisses nues et son arme lui échappant des mains. Qu'à cela ne tienne, la jeune fille se rua sur son sac et attrapa la première chose qui vint à portée. A peine ses doigts s'étaient refermés sur ses dix dollars américains qu'on la tirait déjà par les pieds, la traînant au sol. Faisant abstraction totale de la douleur, elle se roula sur le dos après des coups de pieds rageurs et se redressa soudain, tranchant la gorge de son agresseur après avoir soufflé sur son billet. Aucune gerbe de sang ne gicla, l'homme se contentant de disparaître, comme ses prédécesseurs.

Elle aurait pu se relever, utiliser ses pouvoirs... mais c'était prendre le risque de perdre Ace.  Celui-ci avait été acculé et une lame posée contre sa gorge ne laissait que trop entendre ce qui lui arriverait si elle jouait les héroïnes. Après avoir lâché un grognement rageur, elle rendit les armes et se retrouva bientôt enchaînée. C'était une sensation presque nostalgique... le contact des chaînes à ses poignets et à ses chevilles ne lui rappelait que trop l'époque où ce cher capitaine Mikles les avait vendu comme du bétail. Était-ce la même chose qui les attendait, cette fois encore ? Ça ou pire encore. On était dans l'une de ces putains de ville aztèque, rien ne disait qu'ils ne comptaient pas les emmener en haut d'une de leurs putains de pyramides pour leur arracher le cœur.

On les menait bien à une pyramide, d'ailleurs. Et pas n'importe laquelle. Plus ils s'approchaient plus l'aura du gardien se faisait écrasante. Il... elle... cette chose les voulait. Elle les désirait irrésistiblement. Et Elie avait beau ne pas avoir peur, elle n'était pas idiote : ils risquaient de mourir. Cette impression ne fit que croître alors que la porte s'abaissa en leur coupant toute retraite, que l'obscurité les enveloppait soudain et que les touregs disparaissaient. Et pour laisser place à quoi ? Ce que les torches révélèrent n'était autre qu'une sorte d'homme-lézard, ses yeux blanchâtres donnant l'impression qu'il souffrait de la cataracte. A défaut de le trouver flippant, Elie le trouva répugnant. Encore plus quand elle eut l'opportunité de le voir de très près et qu'il l'envoya au sol d'un coup au visage.

- Putain d'enfoiré de lézard... pesta-t-elle après qu'il eut cessé de tripoter sa langue et de lui marcher dessus comme un vulgaire paillasson.

Elie s'essuya frénétiquement la langue pour retirer le goût de terre et de poussière que le gardien y avait laissé.  Ses histoires d'oiseaux à la con, elle s'en fichait bien. Tout ce qu'elle voulait c'était distancer ce nouveau psychopathe et se rendre dans un endroit sans tour, sans gardien, où on pourrait enfin lui foutre la paix. Mais on ne leur offrirait malheureusement pas cette opportunité de si tôt vu la teneur du discours de Leviathan. Et lorsqu'il l'appela Jade, elle cracha au sol de mépris.

- Tu te trompes de personne beau-gosse, déclara-t-elle ironiquement en comprenant le quiproquo, Je ne suis pas Jade. Je suis Elie. Jade c'est... ma sœur. Et si je comprends bien tu l'avais acheté y'a un petit moment, mais moi j'avais été acheté par des scientifiques tarés de Techyo. Et j'ai gagné ma liberté.

Autant parler aux murs. Le gardien se mit en tête de leur planter une écaille dans le cou, y laissant une marque mystique que la mauvaise jumelle ne pu admirer que sur ses compagnons. La proposition tomba ensuite comme un couperet, arrachant un rire spontané à Elie. Non mais vraiment, c'était du grand délire.

- Tu veux... qu'on devienne tes adeptes ? Qu'on se retape une putain de série d'épreuves alors qu'on vient juste d'en passer ? C'est bon hein, on a déjà fait nos preuves. Et c'est pas que je tienne particulièrement à ces enfoirés de Kay et Chayan après ce qu'ils nous ont fait, mais je sais ce que je gagne à protéger leur tour de merde. Je gagne quoi à te servir toi ? Et me dit pas « la vie ». J'me tire d'ici quand je veux. Alors si tu tiens vraiment à nous avoir, va falloir négocier.

Elie croisa les bras en arborant un air têtu. Si jamais il faisait un geste déplacé elle se réveillerait. Et elle aurait tout le loisir dans le monde réel pour réfléchir à la manière de gérer la suite.

La soirée avait apporté la fraîcheur tant attendue et le contraste avec le soleil de mi-journée rendait l'air presque froid. Ace mit ça sur le compte de sa baignade bien méritée. Un mendiant avait bien essayé de lui voler ses habits mais face au magnum que le pyromane avait pointé sur lui, ce dernier avait rapidement changé d'avis.

Au menu du soir, boîte de ravioli et en dessert : Elie. La bouffe en conserve, le jeune Ken n'en avait jamais mangé mais ça lui avait semblé toujours moins dégueulasse que son petit déjeuner.
Il ne se sentit pas partir mais le réveil fut moins doux... Mécontent d'avoir été troublé dans son sommeil, Ace attrapa le revolver qui dépassait de sa pile de vêtements et tira dans la gueule du premier venu. Le coup de fusil à pompe d'Elie suivit de près, dégommant un deuxième mec en noir.

Depuis le couloir, les bruits indiquaient que Nikodim aussi devait avoir son lot d'assassins. Noyé dans cette foule d'agresseurs, Ace eut un moment d'hésitation entre deux coups de feu, ayant perdu Elie de vue. Il ne voulait pas prendre le risque de la blesser en tirant n'importe où mais ce moment sans attaquer fut le point décisif pour les touaregs qui l'attrapèrent et le désarmèrent.
Avec l'épée sous la gorge, impossible de se débattre. Feufolé aurait pu en cramer un ou deux mais le résultat aurait été le même : égorgé vif. Elie semblait l'avoir compris elle aussi et lâcha son arme.

Enchaînés, on les traîna jusqu'à la tour de du gardien d'où le pyromane voulait pourtant s'éloigner.
- Eh ben mon gars, on va encore se marrer...
A un moment, pendant le trajet, Feufolé avait eu envie de chanter « tchou tchou le p'tit train » en voyant Ace, Elie et Nikodim ainsi entravés, forcés de marcher les uns derrière les autres. Une lame sous la gorge de son invocateur lui fit comprendre silencieusement que ça n'était pas le meilleur moment pour pousser la chansonnette.

La tour les accueillit finalement en leur coupant toute retraite avant que le gardien n'apparaisse. Ce plouc était aussi crado que sa populace et la seule chose qui le distinguait réellement était son apparence reptilienne. L'hygiène ne fut donc pas un problème pour que d'une voix unanime, le pyromane et son acolyte ne se murmurent l'un l'autre : « claaaasse ! »
En revanche, la prise de parole de Léviathan leur ôta irrémédiablement toute envie de faire plus ample connaissance. Il fallait s'y attendre : ce type était un gardien et son boulot était de tenir les voyageurs loin de sa tour. C'était pas un boulot très axé 'social'.

D'ailleurs, le coup que reçut Elie résumait assez bien le caractère lunatique de ce gardien. Le jeune homme ne comprenait rien à ce qui se passait sous ses yeux, entre le coup, la marque de la paresse qu'on leur reprochait et cette étrange familiarité qu'avait le gardien quand il s'adressait à El'.
La réponse lui parvint cependant rapidement quand il fut mention de Jade.
- Elle a le chic pour s'attirer des ennuis, la pauvre. Remarque, nous aussi.
- Mais putain, qu'est-ce qu'elle a encore foutu ?! Comme si on avait pas déjà assez vu de gardiens comme ça !

Pendant ce temps, la mauvaise jumelle négociait déjà leur liberté, rappelant au passage qu'elle et Ace étaient en transe et pouvaient se réveiller quand ils le souhaitaient.
- Ah ouais, 'tain ! J'avais zapé, moi.. s'exclama-t-il, soudainement illuminé par ce détail qui pouvait leur sauver la peau. Pour Nikodim, c'était une autre paire de manches, par contre... Le trou qu'il avait dans sa veste en disait assez long sur la manière dont il s'était retrouvé à Dreamland ; le réveil ne devait pas être pour maintenant. Que ce passerait-il s'ils se réveillaient et que le russe, lui, ne parvenait pas à s'enfuir ?

Le souvenir des épreuves empêchait pourtant Ace de se porter volontaire sans réserve pour en passer à nouveau... Surtout si tôt après les précédentes ! D'un autre côté, il était curieux de savoir quelles sortes d'épreuves Léviathan pourrait leur faire passer. Jusqu'à quel point seraient-elles différentes de celles de Freedoom et bénéficieraient-ils d'épreuves en moins grand nombre du fait qu'ils étaient techniquement déjà adeptes comme le faisait remarquer Elie ?
Bien sûr, les avantages devraient être intéressants mais c'est surtout la dernière phrase qui attira l'attention d'Ace : l'Envie lui permettrait de se rapprocher de ses rêves ? Plus que la paresse ?

Quels étaient ses rêves à lui, ses envies.. ? Quelques images s'imposèrent sans trop de difficultés à l'esprit du pyromane mais il avait encore du mal à comprendre ce que voulait dire par-là le gardien. Et puis arriverait-il à être adepte ? Paresseux, il l'était peut-être un peu mais il n'avait jamais vraiment ressenti de jalousie, que ce soit vis-à-vis d'une personne ou de ses possessions : il avait déjà tout ce qu'il voulait. Quand il désirait, on lui donnait. Alors qu'est-ce que l'envie avait à voir là-dedans ?
Ace croisa le regard de Feufolé. L'expression de ce dernier permettait au pyromane de comprendre instantanément qu'il exprimait quelque chose du genre « vraiment..? Tu te fous de moi..? », comme s'il avait lu dans les pensées de son invocateur et avait été dépité de ce qu'il y avait trouvé. Ace répondit par une mimique interrogatrice, ne comprenant pas la réaction de son ami.

Par insouciance, Ace retourna dans le vif du sujet en prenant à son tour la parole, interrompant le dialogue El'/Lévi'.
- Ouais, les avantages et tout mais et si on a juste, genre, pas envie de redevenir adeptes, il se passe quoi?
A l'instant où la question s'échappait de sa bouche, le Ken comprit qu'il allait regretter ce qu'il venait de dire. Léviathan semblait sur le point d'entrer dans une colère noire, prenant sur lui pour ne pas imploser, ce qui s'avéra visiblement peu efficace.

- Merde... Ce seul mot eut le temps de franchir les lèvres du pyromane avant que la main du gardien ne fonde sur lui pour lacérer son visage. Les quatre entailles rouges sur le visage d'Ace brûlaient ce dernier qui, par réflexe, avait approché ses mains de sa tête sans oser la toucher cependant, de peur d'avoir encore plus mal.
- Vu la manucure, t'es bon pour une infection, mon grand.

Leviathan avait retiré une troisième écaille qu'il avait enfoncée dans le cou de Nikodim après l'avoir préalablement léchée pour le simple plaisir de tirer un rictus de dégoût au mafieux. Ce dernier ne réagissait pas trop, ou du moins ne le montrait pas et c'était assez frustrant pour Leviathan qui tenait beaucoup à faire son effet.

Pendant ce temps-là, Elie s'indignait et posait beaucoup de questions inutiles auxquelles le gardien aurait répondu immédiatement si seulement Ace avait eu la présence d'esprit de ne pas émettre un « non » hypothétique.
La main griffue partit sans crier gare, laissant le pyromane avec un visage lacéré et sanguinolent. Le geste était bien moins dû à la colère qu'à la frustration, tel un enfant qui se verrait refuser l'objet de son caprice.

Toutes les écailles du corps reptilien de Leviathan s'étaient redressées, hérissées suite à son saute d'humeur. Fulminant, il cracha son venin, les dents serrées et insistant encore davantage sur les « S » :
- Vous avez bien évidemment le choix... cccccelui de faire partie de mes adeptes... ou bien cccccccelui de faire partie de ma 'collection'.
Alors qu'il levait sa main au ciel, une myriade de torches accrochées au mur s'allumèrent les unes après les autres, révélant peu à peu l'horreur de la situation des 'collectionnés'.

Des centaines de pals sortant des murs et sur presque chacun d'entre eux, des personnes empalées. Leur état en disait long sur l'horreur qu'ils avaient vécu et sur l'éternité qu'ils avaient passé ici. Certains semblaient encore vivants bien qu'inconscients, d'autres étaient définitivement morts et quant à ceux dont il ne restait plus que le squelette ou quelques os encore accrochés, la question ne se posait malheureusement plus depuis longtemps... ou peut-être 'heureusement' pour eux...
Le sang dégoulinait sur les murs jusqu'à repeindre le sol dans des tons rouge et marron. A cause de la lumière plus vive que d'habitude, quelques gémissements affaiblis parvinrent à sortir des lèvres des plus tenaces.
Pendant que les voyageurs avaient les yeux rivés sur les empalés, Leviathan en avait profité pour grimper sur l'un des murs, s'agrippant avec autant d'aisance qu'un lézard ou une araignée. Il se faufila entre les corps suspendus tout en répondant avec une voix plus agressive que jamais :

- Vous êtes à MOI, désormais ! Cccceux qui pénètrent dans une tour n'ont pas le choix. Ils ne l'ont plus : adeptes... ou ennemis. Et je réserve un ssssort tout particulier à cceux qui refusent.
Ses haussements de tons résonnaient dans le dédale immense de la tour, produisant des échos diffus semblant venir de plusieurs endroits à la fois. Avec un coup de pied rapide et griffu dans la joue d'un torturé un peu trop bruyant à son goût, il redescendit de son perchoir. Longeant le mur qu'il effleurait avec passion, il continua son speech là où il l'avait laissé alors que ses écailles se rabaissaient peu à peu.

- Vous voyez : je n'aime pas trop ccce dilemme... tuer ou laissssssser partir. Je préfère les entre-deux ; je ssssuis plutôt quelqu'un d'ouvert d'esssssprit à cce niveau-là. Pour répondre à tes quesssstions, ssssœur de la jeune Jade, vous n'aurez évidemment pas à passssser à nouveau un ssset complet d'épreuves... ssseulement un... florilège, afin de m'assssurer que vous êtes 'compatibles' avec Ma tour.
L'envieux veut toujours pluss et ma marque vous permet d'accccéder à vos désirs : pour tout sssservice dreamlandien que vous payez, vous l'aurez au sssupérieur. Une chambre de luxe ? Non : vous aurez la sssssuite royale. Un dîner copieux ? Le fesssstin du ssssiècle, oui!

Le gardien reprit un ton plus grave, quittant des yeux sa collection dont les torches s'éteignirent de la même façon qu'elles s'étaient allumées.
- Mais je comprends que vous refusiez : les épreuves sssont faites pour récompenssser et peut-être que vous ne désirez... aucune récompensssse.
Il tourna le dos au duo et claqua des doigts tout en commençant à partir. D'une pièce voisine, un cliquetis régulier se fit entendre. De plus en plus perceptible, le « tic tic tic » annonçait la venue de quelque chose. Une créature apparut à la lumière. Le buste et la tête ressemblaient à quelque chose d'humain malgré la couleur de peau violacée. Le visage semblait âgé et fatigué bien que des cheveux gris mais tout aussi gras, sales et longs que ceux de Leviathan en cachaient une partie. Le bassin était absent, remplacé par ce qui semblait être le thorax et l'abdomen d'une araignée géante dont le cliquetis provenait des pattes pointues qui marchaient sur le sol. Si l'on peut imaginer un centaure comme le mélange entre un cheval et un homme, cette créature était construite sur le même schéma.

Pendant que ce serviteur étrange s'occupait de se saisir d'Ace et Elie avec ses mains osseuses, Leviathan s'arrêta et ajouta, comme s'il avait oublié un détail anodin :
- Oh, combien d'« épreuves » ccces bons à rien vous ont fait passsser ? Cccccccinq ? Bon, eh bien vous en passserez deux ou trois.
L'arachnide mena les trois voyageurs à travers plusieurs salles obscures, leur faisant prendre suffisamment de détours pour troubler leur sens de l'orientation. Ils arrivèrent finalement dans une pièce qui ressemblait à une geôle classique. La salle, bien que vétuste, semblait assez propre, ce qui indiquait qu'être prisonnier ici devait être une sorte de traitement de faveur quand on sait à quel point le gardien avait à cœur d'empaler les voyageurs comme un enthomologue le ferait avec quelque papillon exotique.

- Mon maître vous laisse jusqu'à l'aube pour vous décider. Sans réponse de votre part avant le lever du soleil, vous serez ajoutés à la collection du Gardien de l'Envie.
Après ce bref avertissement de la part de leur geôlier qui les déposséda de tous leurs objets, ce dernier sépara Ace et Elie de Nikodim dont il empoigna le bras, le traînant au dehors.
- Votre ami n'étant pas adepte, il devra passer le nombre normal d'épreuves... des épreuves différentes des vôtres. Il ne vous accompagnera donc pas.
Ils passèrent la porte et bientôt, le cliquetis des pattes du serviteur se perdit et s'étouffa alors qu'il s'éloignait avec Nikodim.

Le russe avait sans doute été l'un des premiers à entendre les arrivants. Il se mit contre le mur, armé de son magazine Playboy. Il était hors de question qu'il abîme son jeu d'échec.
Le premier assaillant qui arriva par le rideau déchiqueté fut donc repoussé en arrière par l'attaque du russe. Cependant, il n'en restait pas moins vivant. Le mafioso put entendre le coup de feu dans la pièce d'à côté. Puis un second coup de feu, sans doute provenant d'un fusil à pompe. Donc, il avait eu raison dès le départ. On leur en voulait. Et au vue du nombre d'attaquants, ils n'auraient aucune chance.

Cependant, la famille Vialkovitch n'était pas du genre à se laisser faire, et l'homme qui avait été repoussé se retrouva rapidement la nuque brisée par la force de Nikodim. Il se débattit face aux "assassins", réussissant malgré tout à en sonner plus d'un, mais bientôt il fut stoppé, une arme blanche sur la gorge. Il se laissa faire, et il fut enchaîné, emmené vers la plus grande pyramide. Il y avait trop d'assassins, mais il croyait entendre d'autres chaînes. Donc, ses compagnon avait aussi été pris. Être adepte n'aidait pas dans toutes les situations, semblaient-ils.

Cependant, il s'inquiéta un peu plus en sentant l'aura pesante de la pyramide. Et bien, il avait le droit de rencontrer un second gardien, semblait-il...

Lorsqu'ils furent emmené à l'intérieur, et que la porte se ferma derrière eux, les lumières s'allumèrent sur ... Un Lézard. Ou quelque chose se rapprochant d'un reptile. Mais encore trop humain pour être un animal. Les lueurs auraient pu rendre cette vision effrayante, mais cette fois-ci, Nikodim prit la décision de se taire, et... D'écouter, ainsi que d'observer.
Il ne ferait pas la même erreur qu'avec Saytan.

Le reptile représentait l'envie, semblait-il. Et apparemment avait un certain intérêt pour Elie... Pourquoi donc? Car c'était une femme adepte? La réponse ne tarda pas. Après que le gardien leur ai fait savoir son désir de "liberté", il parla à Elie en l'appelant " Jade" ... Et leur proposait de devenir des adeptes. Cette situation commença à plaire au Russe, mais il ne montra rien. Il put entendre ainsi Elie déclarer qu'il y avait erreur sur la personne, et voir Ace se faire griffer. Mais en même temps... Il n'avait rien retenu de leur précédente rencontre, donc il n'eut même pas une once de pitié pour le jeune homme.

Cependant, tandis que le dénommé Léviathan plantait une de ses écailles dans son cou, et semblait chercher à jouer avec ses nerfs, Nikodim appréciait de plus en plus ce gardien. Il avait l'impression... De le comprendre d'une certaine manière. Et puis, ses promesses étaient alléchantes. Sans aucun doute dangereuse cependant.

Et ils ne pouvaient apparemment pas refusé, car il les mettrait dans sa collection personnelle. Il la montra, tel un enfant se vantant de ses jouets... et le russe admirait ce décor qui l'amusait. Dans son entreprise c'était un peu ça... Avec un peu moins de cadavre, car peu esthétique, et un peu plus de femmes et de sang.

Il n'écouta que peu le reste du discours, qu'il ne jugea pas d'une importance capitale, gardant juste en tête le fait qu'il y aurait "moins d'épreuves". Au moins, avec Ace et Elie, il serait plus simple de les relever, ils avaient l'expérience pour cela.

Il déchanta cependant très vite, lorsqu'ils furent emmené par un sbire arachnoïde et que celui-ci le sépara de ses compagnons, déclarant que le russe devrait faire toute les épreuves. Et il prit tout leur objet... Et bien, cela allait être du gâteau.

Lorsqu'il fut emmené dans la pièce à part, Nikodim précisa à l'arachnide qu'il ferait ces épreuves. Après tout, non seulement il n'avait pas le choix, mais il le désirait.

Il allait juste risquer encore une fois sa vie. Et il avait en plus envie de jouer aux échecs...
Cependant, cela était peut-être plus un avantage. De ces deux pouvoirs, seuls un pourrait être utilisé à l'heure actuelle. De plus, il avait apprit une chose...

Il ne savait pas à quoi ressemblait cette Jade, mais Elie l'avait appelé à l'aide la première fois. Et c'était apparemment sa sœur. Le gardien ne s'était sans doute pas trompé par hasard, d'autant que celle qui les avait aidé leur avait demandé de se taire... Il pourrait donner cette information, mais il n'en ferait rien. Il appréciait Elie et Ace, de leur manière d'être. Cependant, si jamais ils devaient se retourner contre lui, il savait maintenant qui viser...

Mais autre chose avait retenu son attention, et il devrait essayer de trouver ce que le gardien avait subodoré. Elie était jalouse... Pourtant, elle avait a peu près tout ce qu'elle aurait pu désirer. Pourquoi cette jalousie? Il tacherait de le découvrir...

... Une fois qu'il serait adepte.

Lorsque les griffes de Leviathan entaillèrent le visage d'Ace pour y laisser des traînées sanglantes, Elie vit rouge. On ne touchait pas à ceux qu'elle aimait. Jamais. Être un gardien surpuissant ne changerait rien à ça. Le chien de garde en elle aboyait déjà, l'écume aux lèvres, avant même que l'homme lézard ne touche sa cible. Le corps de la jeune fille se lança instinctivement en avant alors qu'elle levait le point, prête à réduire en bouillie la face écailleuse du gardien.

- J'vais te buter sale enfoiré !

Elle comptait bien frapper jusqu'à ne plus sentir ses poings, mais ce qu'elle ressentit ne fut pas de la peau écailleuse contre ses phalanges, pas plus que de la douleur dans son propre corps. Elle n'eut droit qu'au contact de la main du pyromane sur son poignet, l'intimant de passer outre. Sa colère retomba comme un soufflé, laissant place à l'incompréhension la plus totale. Il n'avait donc pas envie de se venger ? De faire payer à cette chose cette violence gratuite résultat d'un simple caprice de gosse ?

Ou peut-être qu'il se révélait simplement plus réfléchi qu'elle, en définitive. Avec du recul, elle comprenait bien que son acte n'aurait rien été d'autre qu'un suicide pathétique... mais ça ne l'empêchait pas d'enrager. Pourquoi fallait-il que tous les gardiens soient des sociopathes en puissance ? Comme si les voyageurs ne suffisaient à faire baisser drastiquement le niveau de santé mentale de Dreamland...

Et il y avait du niveau dans cette tour, ça oui ! La « collection » de Leviathan était au sommet de la pyramide du glauque. Savoir qu'une partie des trophées étaient vivants était pire que tout. On n'avait même pas pour eux la pitié de les laisser mourir. La psychotique mourait d'envie de grimper les décrocher, aussi inutile que ce soit, mais elle devait se contenter de les regarder en silence. Sa mâchoire était tellement crispée que ses dents en grinçaient. Leur hôte, lui, s'en tamponnait le cul avec une babouche. Il était bien trop occupé à déblatérer pour s'intéresser à leurs réactions.

« Vous êtes à moi et blablabla »... pfff... il était lourd avec ces conneries. Un vrai mioche devant un catalogue de jouets de noël. Il voulait tout, sans même y accorder de réelle importance. Le désir aberrant dans toute sa splendeur. Il leur promis monts et merveilles, une vie de luxe qui ne contrastait que trop avec la cellule dans laquelle on les traîna sans ménagement pour laisser au couple le loisir de se pencher sur la proposition qui leur était faite. Et Nikodim ? Entraîné ailleurs, pour passer des épreuves seul. Même si elle n'en disait rien, ce n'était pas Elie qui allait s'en plaindre... son amour pour le russe était plus que limité.

La première chose qu'elle fit lorsque l'homme-araignée eut disparu ne fut pas de parler, cela dit. Elle s'approcha du pyromane pour examiner son visage à la lueur des torches. Ce n'était pas joli-joli, mais ça guérirait vite. L'envie de pouvoir faire quelque chose pour lui -à défaut de l'avoir défendu- était forte malgré tout, mais que pouvait-elle faire sans Jade ? Et bien... pas mal de chose à vrai dire. Une lueur réconfortante se mit à émaner de ses mains et les blessures d'Ace se mirent à se résorber. Très doucement. Comme si l'univers entier voulait lui signifier que même si elle commençait à se développer en tant que personne, elle n'était rien sans son double. Le mélange de plaisir et de frustration qu'elle ressentait rendaient son expression indéfinissable. Il fallut une petite minute pour rendre à son homme sa gueule d'ange, après quoi elle se laissa tomber sur la couchette minable qu'on leur « offrait » pour la nuit.

- J'en ai ras-le-cul de ces conneries. J'ai l'impression d'être un jouet dans les mains d'un gosse débile. M'enfin, il est pas pire que les autres abrutis et je dois t'avouer qu'à choisir, je préfère jouer les larbins ici que là-bas. Leviathan est taré, mais au moins il ne nous fera pas tuer nos proches. C'est toujours ça de gagné.

Elle s'allongea, les yeux fixés sur le plafond lézardé. Bien sûr elle aurait pu se réveiller, mais se détacher des gardiens de la paresse était bien trop tentant. Ensuite, libre à elle de revenir pour détruire leur putain de tour. Elle en ferait des graviers et cracherait sur leurs gueules de connards. Ça prendrait peut-être un an, ou dix, mais elle savait qu'elle pourrait le faire. Elle voulait le faire.

Alors que la nuit se rapprochait de sa fin, Ace et Elie discutèrent beaucoup, pesant le pour et le contre. Et le résultat fut sans appel : ils passeraient ces épreuves. Pour les réussir une fois encore. Ils n'étaient plus à ça près et dans le pire des cas, si les choses tournaient mal, ils s'étaient mis d'accord pour se réveiller et trouver un plan de fuite. Il y avait beaucoup d'incertitude dans leur avenir, mais tant qu'ils resteraient ensemble ça ne pourrait pas mal finir. Il en fallait plus pour se débarasser des teignes qu'ils étaient.

Lorsqu'ils furent tout à fait d'accord, ils s'assoupirent sur leur paillasse médiocre pour une nuit de bien trop courte durée. Ce qui les réveilla fut le cliquetis des pattes de l'hybride sur le sol. Il les surplombait de toute sa hauteur et Elie, loin d'être intimidée lui balança au visage en guise de bonjour :

- Recule, t'envahis mon espace vital ! On va les faire, vos putains d'épreuves. Mais n'allez pas vous plaindre après d'avoir les deux adeptes les plus casse-couilles que Dreamland ait connu.

La fureur qu'éprouvait le pyromane lui donnait l'impression que ses entrailles brûlaient de l'intérieur. Il était en colère contre le gardien qui lui avait enfoncé ses sales griffes dans le visage, mais il était encore plus en colère contre lui-même. Qu'est-ce qu'il pouvait être con, par moment !
C'était pas faute de le répéter, qu'il agissait trop vite, qu'il ne prenait pas la peine de penser. Son tempérament de feu l'avait encore une fois conduit sur un chemin douloureux... Le feu ne fait que cela, après tout.

Décidant d'utiliser davantage ses neurones, il attrapa le poignet de la mauvaise jumelle au moment où celle-ci s'apprêtait à se jeter sur Leviathan. Du seul œil que sa main droite le cachait pas pour couvrir les griffures, il intima discrètement Elie de rester calme. Cette punition, il l'avait méritée et il n'avait pas à être vengé de quoi que ce soit. Surtout que le gardien avait l'air d'un fou furieux ; le résultat ne pouvait pas être bon.

Il choisit donc de subir le discours interminable de l'homme-lézard sans broncher, attendant qu'on le traîne dans une cellule miteuse dont le confort égalait presque celui de leur chambre en ville, étonnamment. Il se laissa tomber sur sa paillasse et lâcha un long soupir. Tous leurs biens avaient été confisqués, parmi lesquels son briquet figurait, lui retirant l'opportunité d'allumer ne serait-ce qu'une petite flamme pour se détendre. De toute façon, il n'y avait aucun combustible à portée alors même son pouvoir lui était inutile. Quant à Feu', sa présence était celle d'un ami davantage qu'une flamme. Il en avait l'apparence mais ni la couleur, ni la chaleur. Son éternel sourire imperturbable rendait difficile à établir s'il y demeurait quelque empathie et son silence était plus pesant que jamais.

Le pyromane avait déjà passé cinq épreuves abominables et rien ne pouvait être pire à ses yeux mais cela ne l'empêchait pas pour autant de trembler. Non pas d'effroi mais d'angoisse ; de stress.
Avant qu'il n'ait pu s'enfermer dans sa bulle de déprime, El' prit délicatement son visage entre ses mains dont émanait une lueur réconfortante. Il sentit ses blessures se refermer, guérir un peu. Le contact lui parut à la fois durer une heure et une seconde seulement. Cela était cependant suffisant pour lui redonner le moral nécessaire pour débattre de leur destinée.

- Le sous-estime pas, ajouta-t-il quant au meurtre de leurs proches. Il en serait capable que ça m'étonnerait qu'à moitié. J'aime pas être traité comme ça non plus mais on a quel choix ? Soit on accepte, soit il nous tue. J'ai aucune idée de la manière de nous échapper.
De toute façon, la discussion affirma assez tôt la volonté d'Elie de passer les épreuves et Ace se laissa rapidement convaincre : il préférait également devenir adepte de n'importe quelle tour tant que ça lui permettait de s'arracher aux griffes des deux Paresseux. Mais il était encore trop stressé pour songer à se venger. Il avait eu la chance d'avoir Mel' et Elie au moment des épreuves de Freedoom mais ici, ce serait lui qui serait la Melena et Nikodim se retrouvait en bien pire posture que lui à l'époque. Demain matin, ce serait lui qui serait en première ligne et impossible de se cacher derrière qui que ce soit. Ces épreuves, il devrait les passer lui-même, à l'aide de ses propres capacités mentales et physiques. Et c'était la chose la plus effrayante au monde, pire encore que l'idée d'y laisser sa peau. Devoir se démener, faire ses preuves devant le monde entier ; mériter sa place dans le monde en tant que vivant... Il n'avait jamais été habitué ni même confronté de la sorte à cette lutte que des milliards d'autres êtres humains devaient affronter chaque jour, lui qui avait tout.

- Te méprends pas : je... je vais passer les épreuves mais... Ca lui arrachait vraiment la gueule de dire ça, quand bien même il aimait Elie plus que tout au monde. Il lui fallut une bonne poignée de secondes pour que ce qu'il avait sur le cœur parvienne à sortir : j'ai besoin de toi ; j'ai vraiment besoin qu'on soit ensemble, sinon je sais pas si j'y arriverai. J'te laisserai jamais tomber mais promets-moi que tu me laisseras pas tomber non plus...
- C'est mignon comme tout ! Si j'avais des bras, je te ferais un câlin direct, big boy.
- TOI, TU FERMES TA PUTAIN DE GUEULE D'ENCULÉ, OK ?!

La nuit fut courte ; Ace n'était même pas sûr d'avoir réussi à fermer l’œil, ou du moins l'avait-il fait par très brèves périodes...
Le matin arriva trop rapidement et le cliquetis des pattes arachnoïdes du serviteur réveilla cette boule de stress qu'il avait dans le ventre. Un frisson parcourut son corps alors qu'il sentait sa poitrine peser soudainement des tonnes. Aujourd'hui, il mettait sa vie en jeu. Réellement.

L'hybride se tourna vers lui pour demander confirmation de la décision prononcée par Elie ; Ace acquiesça.
- Veuillez me suivre, s'il vous plaît. La porte de la cellule s'ouvrit pour les laisser passer ; le serviteur ouvrit la marche et les guida à travers le temple sans même s'inquiéter de ce que ses hôtes pouvaient faire dans son dos. S'enfuir était-il à ce point inconcevable ? Très certainement...

On les invita à patienter dans une salle cubique dont la hauteur de plafond était impressionnante. Un trou causé par l'effondrement d'une partie de ce dernier laissait passer un rayon de soleil ainsi qu'une myriade de lianes de lierre qui couraient ici et là. Les gravures sur les murs dépeignaient des rituels sacrées et diverses processions incompréhensibles dans un style précolombien parfaitement typique.
Quelques minutes passèrent, puis ce fut au tour de Nikodim d'arriver dans la salle, escorté par le serviteur. On le laissa rejoindre le duo de voyageurs tandis que l'esclave expliquait pourquoi on les réunissait.

- Votre aîné a également exprimé la volonté de passer les épreuves. Vous deux n'en passerez que trois tandis que vous, dit-il en pointant Nikodim de son doigt osseux, passerez la totalité des épreuves, au nombre de cinq. Nous vous avions prévenu que vos épreuves seraient différentes d'un groupe à l'autre mais cela n'implique pas que vous soyez séparés pour autant. Mon maître va vous expliquer ceci plus en détail. Les épreuves commenceront lorsqu'il le décidera et seulement à ce moment-là. Je ne peux que vous conseiller... d'assimiler ses explications comme s'il s'agissait du plus précieux trésor du monde.


[HRP : je vais faire un post MJ à la suite dans lequel Levi' nous expliquera en quoi consiste la première épreuve. Nikodim pourra poster juste après pour réagir à son emprisonnement, partager ses pensées et donner sa réponse au serviteur s'il le veut.]

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