♫ Sous l'océan ♪

Au large des côtes de la forêt noire, loin, très loin sous l’océan se trouvait Atlantis. Cette cité majestueuse aux allures de Grèce antique était auparavant l’un des plus beaux joyaux de Dreamland mais les eaux l’avaient peu à peu englouties jusqu’à ce qu’elle se soit tapit à une centaine de mètres sous la surface, à l’exact endroit où s’étaient établie une puissante nation de tritons. Ville par dessus la ville, elle trônait désormais au milieu du corail et des bancs de poissons, bien protégée par sa bulle protectrice qui offrait l’oxygène indispensable aux habitants grâce à une magie ancienne.

Les atlantes pour ne pas abandonner la cité qui était à leurs yeux leur trésor s’étaient acharnés à s’installer dans ce milieu hostile. Si leur ville avait voulu s’enfoncer, ils s’enfonceraient avec elle... et les désirs des tritons qui se retrouvaient cloîtrés dans l’obscurité, prisonniers de la voûte que formait Atlantis au-dessus de leur capitale était le cadet de leur soucis. Et ainsi commença la guerre.

Cela faisait 153 ans que les combats avaient commencé lorsque, au beau milieu de la grand place du palais de la cité, juste devant une fontaine de marbre à l’effigie d’un homme chevauchant un dauphin, Eve, Jonh et Sydney se matérialisèrent les uns après les autres dans un flash de lumière. La foule se figea, leurs regards étonnés et inquiets pesant sur les nouveaux arrivants. Qu’était-ce ? De la magie ? Une attaque ennemie ? Ou alors...

- «Des Dieux ! Ce sont des Dieux venus pour nous aider !»

Ce cri déclencha une vague de murmures qui se mua en clameurs convaincues. Si leurs ennemis avaient reçu l’aide de divinités il était normal qu’eux aussi. Néanmoins ils avaient besoin d’une preuve, n’importe quoi...

- «Seigneurs, vous êtes venus nous faire vengeance ? Nous protéger de ces fils de la mer qui nous attaquent sans cesse, nous imputant les conséquences de la fatalité qui nous a nous même accablé ?»

Au mot «vengeance» Eve se retrouva vêtue de blanc, éclatante et magnanime. Il n’en fallait pas plus pour que tour à tour, les atlantes posent un genou à terre en guise de dévotion.

- «Amenez les au roi ! Donnez leur tout ce qu’ils désirent ! Ils sont là pour nous sauver !»

Les regards se faisaient dévorants, pleins d’attentes. Sans même avoir réellement le choix le trio se vit emporter par la foule, porté par ces innombrables bras jusqu’au pied d’un palais bleu magnifique décoré de colonnes doriques. On les conduisit jusqu’à un patio confortable où les attendait un repas qui aurait satisfait 20 personnes et on les y laissa seuls non sans moult courbettes après leur avoir fait comprendre que lorsqu’ils seraient prêts le roi souhaiterait s’entretenir avec eux.

Mais de quoi ? Ils le sauraient bien assez tôt...

Eve ne put recevoir aucune réponse de ses alliés. Tout s’était soudainement éclipsé dans un éclat de lumière, effaçant d’un coup les souterrains, les scientifiques, Judith, Jade et Rochel. Un instant, elle crut que le rêve prenait fait, qu’elle allait rouvrir les yeux sur sa cellule, fin prête pour retrouver la liberté dans le monde réel, mais il n’en était rien.

Quand elle recouvra la vue, ce fut d’abord pour apercevoir une fontaine surmontée d’une statue symbolisant un homme chevauchant un dauphin. Il faisait un climat bien plus agréable que dans le grand nord, mais elle n’eut pas le temps de penser à enlever son manteau hivernal, ni même à scruter les alentours, parce qu’apparut quelqu’un qui réveilla d’un coup sa fureur glacée. Jonh. Ce lâche qui l’avait balancée à Elipse et qui ne survivait que parce qu’il cirait les pompes de l’autre psychopathe.

La folie paralysait sa raison, sournoise. Les oreilles de la russo-américaine bourdonnaient déjà, mais une exclamation réussit tout de même à la faire de détourner de sa cible. Son regard illisible se posa alors sur une grande place aux allures tirées de la Grèce antique, sur le ciel qui semblait masqué par un voile aqueux, puis sur la foule qui observait les trois voyageurs, complètement fascinés.

- Des dieux ? souffla-t-elle.

Mais sa voix s’était perdue dans d’autres exclamations et la réplique d’un autre homme qui déclencha son pouvoir. Ses vêtements devinrent blancs et ses yeux marron perdirent leur rempart de glace. Son aura pacifique opéra, contaminant tout être humain dans un rayon d’une dizaine de mètre. Eve accorda un sourire bienveillant à ce peuple qui les regardait avec insistance. Elle leva les mains en signe de paix, en voulait signifier qu’ils n’étaient là pour venger personne, mais qu’ils pourraient éventuellement les aider à trouver une autre alternative.

Néanmoins, on ne l’écoutait pas. Déjà, une foule galvanisée par l’attente les emportait vers un patio spacieux et confortable où ils auraient visiblement tout ce dont ils auraient besoin. Malgré tout, la détenue ne pouvait s’empêcher de se sentir mal à l’aise : elle savait qu’elle ne méritait pas ça. Elle n’était pas une déesse, elle était n’était qu’une humaine incarnant la mort… elle ne pouvait le nier, même dans son état actuel.

Quand le dernier des atlantes se fut retiré, elle se tourna vers ses comparses. Deux hommes. Le type au bandana, elle ne le connaissait pas. Il n‘avait pas l’air bien méchant comme ça, mais sait-on jamais ? N’était-elle pas l’incarnation parfaite que les monstres se cachaient sous toute forme d’enveloppe ? Ensuite elle dévisagea Jonh. Son pouvoir était toujours actif, de sorte que son envie de vengeance avait été remplacée par la volonté de faire la paix – et le dépressif était inévitablement contaminé par cet état d’esprit.  

- On met de coté ce qui s’est passé à Elipse, ok ? Ce n’était pas le meilleur moment pour se rencontrer je suppose. Se laisser parasiter par le passé ne nous servira pas à grand-chose.

Elle lui adressa un petit sourire et se détourna pour contempler la pièce où on les avait conduits. C’était réellement magnifique, de cette classe antique qu’on ne voyait que dans les films. En vérité, c’était trop pour eux : ils n’avaient rien fait pour le mériter. Ce constat dérangeait ses convictions avides de justice et d’équité. C’est d’ailleurs cette même conviction qui la plongeait dans un dilemme intérieur : elle ne pouvait accepter d’être traitée comme une divinité alors qu’elle ne l’était pas, mais ne pouvait se résoudre à ne pas aider ce peuple qui semblait désespérer de voir leurs tourments s’achever.

Par ailleurs, elle avait bien saisi qu’ils se trouvaient sous l’eau… et il y avait fort à parier que contrarier les autorités locales ne jouerait pas en leur faveur pour regagner la surface. Eve marchait lentement dans la salle en réfléchissant mais ne touchait à rien. Pour l’instant, elle refusait de s’octroyer la moindre chose de la part de ces gens. D’une voix lente et pensive, elle finit par avancer :  

- Je dois admettre que je ne m’attendais pas à ça, même à Dreamland. L’Atlantide… ces gens ont besoin d’aide apparemment, reprit-elle en se tournant vers ses acolytes commis d’office, je ne suis pas d’accord de se laisser traiter comme des dieux sans raison mais… ce serait déplacé et contraire à mes principes de ne pas faire quelque chose. On a pas vraiment le choix.

Elle marqua une pause pendant laquelle elle se gratta l’arrière du crâne. A peine arrivée, déjà en train de cogiter. Le bon coté était que du coup, elle oubliait ce léger pincement au cœur d’avoir perdu de vue Jade et Rochel… dans ce monde, les alliés qui valaient le coup étaient rares. Et puis, comment le phobique s’en sortirait-il sans elle ? … comment pouvait-elle penser ça en fait, elle qui ne s’attachait à rien ni personne ?!

- Je ne propose pas de les « venger », précisa Eve, mais on pourrait essayer de… mettre sur place une trêve ou un accord de paix avec leur ennemi.

Le pirate avait eu, après que le décor glacial l’entourant ait laissé place à un noir absolu, l’impression d’être secoué dans tous les sens. Écrasé, comprimé, compressé puis étiré… Le voyage lui rappelait étrangement sa toute première expérience de téléportation dreamlandienne, juste avant d’arriver à Goutoniskaïa… Il s’était trouvé dans une ville qui ressemblait en tout point à San Francisco mais sans l’être. Quelle était cette ville et où était-elle à Dreamland ? Que signifiait-elle ? Et Jake, où serait-il emporté ; quelle distance les séparerait une fois arrivés à leurs destinations respectives ?

Deux questions pour lesquelles il devait se résoudre à ne pas avoir de réponses avant quelques temps encore. De toute manière, l’endroit dans lequel il venait d’atterrir n’était pas cette réplique onirique de San Fran’. Il était…
- Whoo la vache ! Nom de dieu !
Complètement médusé et les yeux écarquillés à la vue de toute cette étendue d’eau qui l’entourait, Sydney se sentait très mal à l’aise. Après tout, peut-être qu’il était bel et bien timbré comme tous ces malades mentaux qu’il voyait défiler ; sa maladie serait l’hydrophobie..? Développerait-il des pouvoirs aquatiques, dans ce cas ?

Le visage toujours porté vers l’océan à travers duquel on distinguait le soleil, Syd’ porta sa main à son poignet, agrippant son bandana noir avant de se tourner pour poser son regard sur les deux voyageurs avec qui il venait de s’échouer. Il ne les connaissait pas du tout mais ces deux gogoles ne devraient jamais savoir le terrible secret du capitaine… Son secret… Il ne savait pas nager.
Peu disposé à se détendre à cause de l’impression continue et oppressante que la bulle d’air pouvait crever ou s’affaisser à tout instant pour les écraser sous des milliers de tonnes d’eau salée, le paranoïaque haussa néanmoins un sourcil à l’évocation du mot « dieux ».
On les prenait pour des dieux ? Qu’est-ce que c’était que ces conneries ?! Il était peut-être un peu imbu de lui-même mais Sydney savait très bien qu’il n’était pas un dieu et les deux autres voyageurs encore moins quoique le numéro de speed changing de la nana aux cheveux noirs était assez impressionnant… pour lui permettre d’entrer dans un cirque.

La transformation ne devait pas être le seul effet du pouvoir de la jeune femme car le pirate sentit une vague invisible le traverser, instiguant en lui un changement qu’il ne parvenait pas à comprendre. D’ailleurs il avait déjà oublié ce qu’il disait sur elle quelques secondes auparavant et n’avait plus qu’une seule idée en tête : venir en aide à ce peuple qui les sollicitait avec tant de ferveur. Comment avait-il pu rester sourd face à la souffrance de ces personnes ?
Pourtant, l’idée de les « venger » était un peu trop extrême mais la foule en délire ne lui laissa pas non plus le temps de réfléchir à une situation diplomatique pour faire la médiation entre les deux peuples. On les largua dans un temple à l’architecture grecque sans plus d’instructions qu’attendre que le roi les reçoive.

Être considéré comme un dieu était assez flatteur mais Sydney ne pouvait se résoudra à accepter ce statut. D’une part, c’était abuser de la naïveté d’un peuple au bord du désespoir et, si cela ne l’aurait pas vraiment dérangé d’habitude, il était aujourd’hui étonnement réticent à cette idée. En revanche, le second point qui lui vint en tête faisait toujours l’unanimité dans son esprit en proie à une scission surnaturelle et contrainte : on ne croit en un dieu qu’en tant qu’on attend quelque chose de cette entité. Si on les voyait comme des dieux, alors ils auraient des obligations vis-à-vis de leurs adorateurs en plus de se voir confier une quête trop dangereuse pour le commun des mortels.

- Je refuse… Hors de question d’être un dieu que ce soit ici ou ailleurs, murmura le pirate davantage pour lui que pour autrui. Tôt ou tard, les atlantes s’apercevraient de la supercherie et on leur ferait payer très cher leur imposture impie. En outre, être la victime d’une vindicte populaire ou subir une quelconque ordalie ne faisait pas du tout partie des projets d’avenir de Sydney.

Pendant ce temps, les deux voyageurs faisaient connaissance. A y regarder de plus près, cela ressemblait davantage à des retrouvailles entre vieilles connaissances qu’à une réelle découverte de l’inconnu. Savoir que ses compagnons imposés partageaient d’ores et déjà un lien social renfrogna davantage le pirate au bandana qui ne voulait pas s’ouvrir aux autres ni se faire une place dans un groupe déjà formé.
La prise de parole de l’Ange de la Justice entraîna un rictus désabusé sur le visage de Sydney qui lâcha un grognement d’agacement, comme à chaque fois qu’il entendait quelque chose qui – pour lui – tenait de l’imbécillité absolue.
- UUUUUuuuuuuuuuughhh !! Mais c’est pas possible d’entendre ça !
Sans vouloir te vexer, euh… il fit de brefs mouvements avec sa main comme pour se remémorer un prénom qu’il n’avait en fait jamais entendu. … Machine, on a toujours le choix. Ecoutez… ce conflit ne nous regarde pas et on ne sait même pas contre qui on doit se battre ni le point de vue de nos ‘ennemis’. On ne pourrait pas juste leur dire qu’on n’est pas les personnes qu’ils attendent et juste… s’en aller ?
Non, sans déconner : une trêve, je veux bien mais ça n’a pas l’air d’être le genre de conflit qui se règle en deux secondes…

« Vengeance », « fatalité », « accablé »… Pour que les atlantes parlent comme ça, le mal devait forcément être plus profond qu’une simple dispute de balcon. Il n’y avait aucune chance que tout se passe bien s’ils décidaient d’intervenir. Le capitaine au bandana espérait vraiment que le troisième membre de l’équipe se manifeste en sa faveur car il était hélas soumis à cette connerie de ‘démocratie’ qui donnait toujours raison aux plus nombreux sans jamais se rendre compte que les ahuris sans aucun bon sens constituaient en fait les 99% de la population mondiale.
Sans l’approbation de la loque humaine vers qui il envoyait des messages mentaux du style « allez, s’il te plaît, fais pas l’con, Billy !! », Sydney ne pourrait pas espérer partir d’ici. Surtout pas tout seul. Ah, si Jake avait été là, lui au moins l’aurait écouté… Ils étaient séparés depuis moins de dix minutes et le thermoréactif lui manquait déjà horriblement. Il devrait y avoir davantage de types comme lui, dans le monde !

Jonh n'eut pas le loisir d'entendre la suite de l'aventure qu'il se sentit happé par une force mystérieuse. Pendant quelques secondes il pensa qu'il allait se réveiller dans son monde, dans ce lit qui ne lui appartenait même pas. Mais lorsque le dépressif se retrouva non pas dans une maison, mais à l'intérieur d'une ville il devina que le monde des rêves était très loin de le laisser repartir.
Une fontaine coulait derrière lui où se dressait fièrement une statue d'un homme chevauchant un dauphin. Le plus étonnant restait la présence de Eve, qu'il n'avait pas vu depuis Ellipse. Peut être allait elle l'achever sur le champ ? Il y avait aussi un autre voyageur que Jonh n'avait jamais vu mais il n'eut pas le temps de s'y attarder.

La population de cette ville venait de péter un câble et de les prendre pour des dieux. Eve n'arrangea pas les choses lorsque l'un de ses pouvoirs, sans doute, se manifesta pour x raisons. Sans même pouvoir protester, le trio fut emmené comme convenu dans une pièce où les attendaient un bon gros buffet. Les robots et maintenant quoi ? La petite sirène ? Atlantide ?
Eva prit la parole, s'adressant au dépressif pour faire une trêve. Il était étonné de ce comportement venant de la brune mais il allait pas cracher dessus.

- Euh ok...De toute façon ça ne sert à rien de se taper dessus

Quant à la situation dans laquelle ils venaient de tomber tous les trois elle n'était vraiment pas fameuse. Les habitants réclamaient vengeance, et Jonh n'avait pas très envie de se battre. Mais il n'avait sans doute pas le choix pour sortir de cette ville. Eve voulait les aider et proposa d'aller parlementer avec le camp adverse. Un choix qui ne semblait pas convenir à l'autre voyageur. Jonh voyait bien qu'il l’implorait du regard de se joindre à lui, de ne pas se mêler des affaires des autres et lui rendit un regard désolé.

- Désolé mais je crains que l'on est pas le choix si on veut partir de cette île, à moins que tu ne saches respirer sous l'eau ?

Le dépressif posa son derrière sur l'un des coussins, ignorant de toute façon dans combien de temps ce roi allait les recevoir.

- Nous ne sommes pas des dieux non mais ces habitants ont apparemment besoin de croire en quelque chose et notre apparition magique leur a donné cet espoir d'en finir avec leur petite guerre...Tant que nous ne profiterons pas de ce statut exagéré je pense que l'on peut avoir bonne conscience

Toujours sous l’emprise de son pouvoir qui diffusait une aura de conciliation, Eve écouta sans mot dire les réticences de Sydney. Elles étaient compréhensibles, et il était même dans le vrai. Sans savoir à qui ils avaient à faire, il leur était impossible de faire des plans sur la comète. Toutefois, Jonh lui ôta les mots de la bouche, ils ne pouvaient pas se contenter de s’en aller après cette arrivée triomphale. Elle détailla le dépressif un instant, se félicitant d’avoir plutôt choisi la paix que la guerre. Après tout, il semblait y mettre aussi du sien et était relativement sensé. S’approchant légèrement du paranoïaque, la détenue lui rétorqua avec un petit sourire :

- C’est vrai qu’à la base, ce conflit ne nous regardait pas et qu’on ne sait pas à qui on a à faire. Mais mets-toi à leur place 5min… ils sont visiblement dans un conflit éprouvant, on débarque comme les signes qu’ils attendaient, et tu penses qu’on peut se contenter de leur dire « excusez-nous, y’a erreur sur la personne, on est tombés ici par hasard, on veut juste s’en aller » ?

Dans ce genre de situation, c’était le genre de chose qui ne se disait pas. Et puis de toute façon, son envie actuelle d’apporter la paix était trop intense. Consciente d’être en position de force puisqu’elle avait Jonh de son coté, Eve s’appuya contre la table qui croulait déjà sous les denrées alimentaires, prenant soin de ne rien écraser sous son derrière. Elle enleva son manteau hivernal pour le déposer sur sa hotte, qu’elle venait de mettre à ses pieds.

- On est tous d’accord qu’on ne peut pas se permettre de profiter de la façon dont ils nous adulent… mais ça ne nous empêche pas de leur filer un coup de main. Notre aide contre un moyen de regagner la surface, je pense qu’ils peuvent faire ça. Reste à savoir s’il vaut mieux leur avouer que nous ne sommes pas des « dieux » ?!

Pour l’heure, elle ne savait pas répondre à cette question. Effectivement, son instinct réglé pour repousser l’injustice objectait de recevoir un traitement privilégié pour rien. Mais ils ne savaient pas encore comment les autochtones prendraient la nouvelle. Peut-être étaient-ils hostiles à toute forme d’invasion et les tueraient-ils ? Peut-être penseraient-ils alors qu’ils étaient des espions ? Des intrus ?

La jeune femme se surprit à se demander ce que Rochel aurait choisi. Lui qui était la gentillesse et la diplomatie incarnées, il serait plus à l’aise qu’elle dans ce genre de situation. C’était certain. Pinçant l’arête de son nez, l’impression qu’un étau se resserrait déjà autour de sa tête, Eve avança :

- Je suppose qu’on peut commencer par aller voir le « roi » pour qu’il nous expose la situation. On verra ensuite comment s’y prendre pour adopter une façon… pacifique de faire cesser leur guerre. Ça vous va ?

Elle ne voyait vraiment pas d’autres solutions. C’était finalement ça ou s’éclipser en douce ; mais cette dernière solution était impossible et impensable. Se souvenant brusquement que le pirate l’avait surnommée « machine », la russo-américaine estima que s’ils allaient devoir travailler ensemble, il allait bien falloir qu’ils puissent se dénommer de façon plus cordiale. Balançant sa chevelure sombre charbon dans son dos, elle ajouta :

- Au fait, appelle moi Eve.

L’argument du pirate avait été pris en considération mais Sydney se sentait forcé d’admettre que les contre-arguments évoqués par ses compagnons de route se tenaient eux aussi… C’était un problème de conception et non pas d’intérêt qu’il y avait entre eux car ils semblaient tous unanimes sur leur volonté de ne pas abuser de leur statut divin.

L’homme et la femme avaient raison : s’ils voulaient remonter à la surface, ils devraient d’abord aider le peuple atlante. Echange de bons procédés, somme toute… Sauf que les atlantes n’étaient peut-être pas les seuls à pouvoir les faire remonter mais le paranoïaque garda cette idée pour lui. Il verrait au moment venu ce qu’il voudrait faire mais à l’heure actuelle, il se sentait d’humeur à aider bien que cela ne lui plaise pas du tout. C’était louche, il y avait quelque chose qui ne tournait pas rond mais il ne parvenait pas à mettre le doigt dessus. Sa façon de penser était si… différente de d’habitude… Cela était très probablement dû au pouvoir qui s’était manifesté plus tôt mais Sydney n’en voulait pas vraiment à Eve d’avoir activé son pouvoir. Au moins, cela permettait d’entamer les discussions dans un cadre posé et détendu.

En ce qui concernait la discussion du trio, elle ne se résumait plus qu’à une seule question : ‘avouer ou ne pas avouer’. Cependant, le capitaine au bandana n’avait pas encore totalement enterré la précédente question non plus, à savoir ‘aider ou ne pas aider’.
- Tu répètes qu’on ne peut pas leur refuser notre aide… et au fond, j’aurais tendance à être d’accord même si je ne sais pas pourquoi. Mais plus j’y réfléchis, plus je me dis : qu’est-ce qui est le pire, selon toi ? Leur dire avec franchise et honnêteté que nous ne sommes pas des dieux et que nous ne pouvons probablement pas les aider ou leur mentir et les laisser découvrir tous seuls ce que nous ne sommes pas ? Nous parlons d’espoir, depuis tout à l’heure… Mais un espoir brisé, c’est bien plus dévastateur qu’un espoir en attente ! Ça anéantit toute confiance et croyez-moi : je m’y connais, là-dedans !

Il n’allait pas donner son ressenti sur le fait d’avoir été entouré de malades mentaux depuis son arrivée à Dreamland ni sur ses querelles avec Dakota mais ces pensées étaient tout de même bien présentes à l’esprit du corsaire. Aider, aider… Ok, mais « charité bien ordonnée commence par soi-même » ! Il acquiesça quand Eve leur proposa d’aller voir le roi, attendant d’avoir une idée globale de la situation avant de dire si c’était folie ou non que de s’investir dans ce combat. Il aiderait… mais seulement si cela ne se faisait pas au dépend de sa vie. Sa philosophie à lui, c’était d’éviter le danger et il s’était plutôt bien débrouillé jusque-là malgré les bâtons que ses anciens compagnons n’avaient eu de cesse de mettre dans ses roues.
- Ça me va ; voyons voir ce que ce roi a à nous dire. J’aimerais bien pouvoir poser des questions au chef ennemi, également.  Si on veut espérer calmer le conflit, il nous faut le plus d’informations possibles et une vision la plus neutre possible du conflit. Sinon, on va juste réussir à déclencher une guerre et je vous préviens : je ne veux pas ça !

En allant rencontrer les deux acteurs principaux de ce mal qui opposait les deux factions, Sydney espérait secrètement trouver le côté ayant le plus de chances de gagner un éventuel affrontement. En cas de déclaration de guerre, il ne se trouverait pas entre deux feux mais plutôt bien à l’abri du côté des gagnants. Bien sûr, il allait déjà aider ses « amis » à rétablir la paix du mieux qu’ils le pourraient, c’était évident… mais on n’est jamais trop prudent, dans la vie !
Alors qu’il fomentait en prenant soin de n’afficher aucune émotion qui puisse le trahir, Eve l’interpella à nouveau pour lui donner son nom. Pas trop tôt.
- Eve, hein ? Ok, ça marche. Et toi, Machin ?

Se rapprochant du dépressif, il passa un bras dans le dos de ce dernier tout en matérialisant discrètement son carnet pour que celui-ci touche la nuque de John. Avec cette position, Eve ne pouvait pas voir ce qui se passait et John croirait à un simple contact fortuit.
- Dis-moi, puisqu’on est copains maintenant : vous semblez vous connaître, Eve et toi. Vous avez voyagé ensemble ?

Tout en écoutant la réponse, le pirate maintenait le contact entre son Casier Judiciaire et sa cible, comptant intérieurement jusqu’à dix avant de dématérialiser ce dernier. Le lire immédiatement aurait naître des soupçons sur lui et ce n’était en rien nécessaire… pas grave : il lirait la nouvelle entrée plus tard.
Tapant dans ses mains, Sydney marqua une transition solide entre l’aventure John/Eve et le rendez-vous qu’ils avaient avec le roi. Il ne se fichait pas de connaître les liens existant entre les deux voyageurs, loin de là… mais ils avaient du pain sur la planche et le temps s’écoulait toujours.
- Bon, c’est pas tout ça mais on devrait se mettre en route. Plus tôt on règlera ce conflit, mieux ce sera. N’est-ce pas, les amis ? demanda-t-il rhétoriquement avec une hypocrisie éhontée.

Ils étaient trop dans le flou pour pouvoir penser correctement à la meilleure option. Ils ne savaient même pas de quoi était sujet cette guerre dont ils étaient vu comme des "sauveurs". Jonh sentait pourtant l'envie de mettre un terme au conflit et que la paix règne sur ses terres. Il ne voulait pas briser leur espoir comme le disait si bien Sydney, mais les pouvoirs qu'ils détenaient tous les trois n'étaient ce pas en quelque sort un don offert par les dieux ? Si on résumait ainsi les choses, aux yeux des habitants qu'ils ne soient pas Zeus, Hadès ou Poséidon ne changeait rien au fait qu'ils avaient de la magie.

- Nous avons aussi nos pouvoirs...Celui d'Eve a déjà suffit à les convaincre que nous sommes des Dieux...Nous ne portons peut être pas les noms de ceux inscrits sans doute sur leurs temples mais nous avons de la magie...

L'autre homme s'approcha ensuite du dépressif et le toucha comme si ils étaient potes. Geste qui ne plut pas du tout à Jonh mais il ne voulait pas froisser le voyageur. Aussi garda t-il pour lui de l'envoyer paître.

- Je m’appelle Jonh pas machin...Si on est si copain, présente toi

Qu'est ce que ça pouvait lui faire si il connaissait Eve ou non ? Cet homme était totalement bizarre, Jonh ne le sentait absolument pas.

- On a dû travailler ensemble et on s'est retrouvé séparé. Fin de l'histoire.

Il n'avait pas besoin de connaître les détails et à vrai dire le dépressif ne préférait pas s'en souvenir de son côté. Sydney tapa alors dans ses mains et proposa d'aller voir le roi à présent. Son impression étrange sur l'individu ne disparaissait pas, il devrait garder un oeil sur lui. Même Eve sentait moins le roussi, peut être parce que le dépressif savait à quoi s'attendre avec elle.
Jonh se releva et alla quérir quelqu'un pour prévenir qu'ils étaient prêt à voir le roi. En espérant que ce n'était pas un triton ou un homme-poisson...

A peine Sydney s’était-il détourné d’elle que son pouvoir pacifique prit fin. Ses vêtements recouvrirent leur couleur habituelle alors que la folie réincarnait sa carcasse. Elle avait beau essayer de retenir ses pensées, son état d’esprit de quand elle était son l’influence de son aura de paix lui échappait. C’était comme si elle tentait d’agripper de l’eau avec ses doigts. La raison la fuyait, inexorablement.

Oh bien sûr, Jonh avait acquiescé à sa demande de paix, ajoutant qu’il n’y avait aucune raison qu’ils se tapent dessus. C’était évident ! Sans son protecteur psychotique, il n’était rien. Alors il faisait profil bas, profitant de la situation pour jouer les anciens alliés non rancunier. Bien joué, bien joué… mais ça ne suffira pas pour lui sauver la vie. On n’échappe pas à la justice. Pas à la sienne.

De ses yeux inexpressifs, Eve observait l’échange entre le dépressif et le pirate. Tiens donc, il n’était pas très expansif sur leur dernière entrevue. Un comportement de coupable ! Ses mains s’étaient mises à trembler. Ces habituelles convulsions qui la prenaient lorsque la démence galvanisait son cerveau, qu’elle se retenait d’enfoncer son poing dans le visage du premier venu. Dans ses entrailles, le monstre hurlait vengeance, mais c’est avec un calme olympien qu’elle s’éloigna de la table où elle était appuyée.

La russo-américaine aurait pu profiter de l’absence de Jonh pour faire alliance avec Sydney et lui dépeindre un portrait déplorable de son ennemi. Elle en avait à dire sur lui et ses fréquentations, mais ce n’était pas son truc. Ses conflits, elle les résolvait seule et à sa manière. La manière qui l’avait amenée à survivre dans ce monde qui s’évertuait à vouloir la détruire. Dommage, ses épaules ne ploieraient pas de sitôt.

Quand le benjamin de la bande revint avec un autochtone prêt à les conduire au roi, la détenue se glissa à ses cotés et lui attrapa un bras. Sa force accrue par la folie pressait jusqu’à ce que ses jointures soient douloureuses, mais elle ne le sentait pas vraiment. Ce qui coulait dans ses veines ne pouvait souffrir de rien.

- Pas mal ton petit numéro, lui murmura-t-elle de sa voix glacée alors qu’ils emboîtaient le pas à leur guide, tu crois réellement que j’ai pu oublier ce que vous avez fait toi et Liam ?

Elle plongea ses iris sans émotions dans les yeux de Jonh. Rien ne pouvait se lire dans ses glaces marron, sinon que la raison avait déserté son corps depuis longtemps.

- Pour l’instant, ce sont les circonstances qui font que ta tête est encore intacte sur tes épaules. J’ai des plans plus importants qu’être faite prisonnière ici. Mais à un moment… je déciderai que ce sera le moment de rendre justice. A ce moment là… ton « meilleur copain » ne sera pas là pour t’éviter de te faire éviscérer.

Eve le lâcha alors, ralentissant la cadence pour se laisser dépasser et pouvoir observer sa future victime de dos. Méritait-il de mourir ? Très certainement. Parce qu’il n’était pas fiable, parce qu’il était allié à un type capable de commettre des horreurs. Quand la russo-américaine avait été passée à tabac, elle n’était pas morte, mais elle aurait pu ! Et les deux hommes en auraient eu quelque chose à faire ? Non, certainement que non. Jonh devait donc mourir, par précaution. Parce que ce qu’il lui avait fait, il pourrait le faire à d’autres.

Il fallait qu’elle se calme. Sans se demander si la cigarette était proscrite dans le temple royal, elle attrapa l’un de ses cancers en tube pour l’allumer de ses mains tremblantes. Son regard sans teint se posa sur Sydney. Avait-il entendu ses petites… « mises en garde » à l’encontre du dépressif ? Tant qu’il ne se mettait pas en travers de sa route, tout irait bien pour lui.

Une pensée survint alors dans la tête de Eve. Une pensée qu’elle aurait cru ne jamais avoir, qu’elle se maudissait d’avoir. Le visage de Rochel était apparut, son petit sourire triste fendant ses traits maladifs. Que penserait-il de ce qui venait de se passer ? Changerait-il son comportement envers elle s’il apprenait qu’elle avait tué quelqu’un… encore ? Que préconiserait-il face à l’homme qui l’avait condamnée à se faire démolir à coup de lattes ?

En fait… pensait-il à elle là où il était ?

La taularde secoua sa crinière noire en soufflant un nuage de fumée. Ses traits restaient inexpressifs, mais un imperceptible pincement au cœur parut lui faire comprendre que tout en elle n’était pas encore complètement mort. Jamais de sa vie elle n'avait ressentit ça. Pourtant, elle tira une bouffée dans sa clope en se raisonnant mentalement :

Te faire pas avoir là-dedans. C’est rien qu’un mec. Couche avec lui au pire, mais ne tombe pas amoureuse. De toute façon, il est trop faible seule, il sera mort dans 2 jours. Tu ne le reverras jamais.

Malgré cela, ensevelie sous le poids de la folie, sous les pattes de la créature démente logée dans les entrailles, survivait l'ombre d’une jeune femme qui souhaitait s’en sortir. La voix frêle et inaudible de la Eve qui s’était manifestée quand Jade avait utilisé son pouvoir d’origine sur elle :

Rochel… sauve-moi…

La réponse du dépressif avait seulement tirée chez Sydney un haussement de sourcil sceptique voire méprisant. C’était tout ? Un simple boulot ? A vrai-dire, le pirate était franchement déçu et s’était attendu à ce que John lui en révèle plus sur leur passé commun mais apparemment, on n’arrivait pas comme ça devant les gens en leur posant ce genre de questions.
Il avait dû répondre à cela quelque chose du genre :
- On a pas élevé les cochons ensemble, hein, matelot ? Ok, j’ai saisi l’idée… John

Il avait insisté sur le prénom du voyageur comme pour se moquer du sentiment offusqué de ce dernier. Il ne voulait pas qu’on l’appelle Machin ? Eh ben il n’avait qu’à se présenter !
Bien évidemment, le pirate rebondissait encore une fois en oubliant bien de se présenter lui-même. Après tout, qu’est-ce que ça pouvait lui faire de connaître son identité ?

Une fois John revenu – sans que l’on sache s’il avait réellement été mander quelqu’un ou même s’il n’y avait QUE ça – ce dernier se fit harponner par Eve ; c’était reparti pour les messes basses. Remarquant les manigances des deux malades mentaux, Sydney fut piqué par une colère vive. On se foutait vraiment de sa pomme, ici !
- Eh mais dites-le si je vous gêne ! Un simple job, ben bien sûr ! C’est une drôle de manière de parler à ses collègues, ça, hm ?

Si c’était la guerre qu’ils voulaient, ils l’auraient. Se sentir exclu de la sorte sans qu’il en ait eu le choix au préalable alimentait la haine que le paranoïaque vouait à tout ce qui existait en ce monde.
L’idée du pirate pour répondre à cet affront était simple : ils s’étaient mis d’accord pour ne pas abuser de leur statut de dieu grâce au climat de confiance factice créé par Eve, eh bien Sydney allait démolir cette confiance à sa façon et sans pouvoir. Il était prêt à user et abuser des pouvoirs et privilèges qu’on lui offrait sur un plateau d’argent pour le simple plaisir de mettre les nerfs de ses camarades à vif.

Instinctivement, il vérifia une énième fois que sa dague était toujours accrochée à sa ceinture et que le spray anti-moustique qu’il possédait se trouvait encore dans l’une de ses larges poches… Il aurait peut-être à s’en servir plus tôt qu’il ne l’espérait et ses ennemis ne seraient pas les atlantes.
Prenant sur lui pour ne pas envenimer la situation trop tôt, le capitaine au bandana profita d’un instant pendant lequel personne ne le regardait pour matérialiser le Casier Judiciaire. Il l’ouvrir à la page « John Matrevis »


Une nouvelle fois, le corsaire fut ravi de pouvoir constituer une première petite collection d’anecdotes toutes très intéressantes. Sa première remarque fut qu’il avait lourdement sous-estimé John : ce taré était capable d’actes terroristes et d’une cruauté sans nom. Il semblait moins puissant que sa comparse de la page précédente mais il était bien pire dans les actes.

D’une part, il avait eu bien fait d’utiliser son pouvoir sur John plutôt que sur Eve mais d’autre part, il ne savait toujours rien de celle-ci si ce n’était son nom et sa relation assez houleuse en apparence avec le terroriste. Etait-elle encore plus dangereuse que lui ? Leur dispute avait-elle un rapport avec les agissements de John dont elle aurait été témoin ? Les deux comparses de Sydney lui parurent encore moins dignes de confiance, à tel point qu’il se demandait actuellement s’il devait rester avec eux ou non. Si leur dire « merde » signifiait devenir leur ennemi, alors il avait tout intérêt à simuler une entente au moins cordiale.

Les crises de nerfs et l’abus de statut divin, ce serait pour plus tard. D’abord, il devait cerner Eve avec précision pour établir un bilan de la situation globale. Ce ne serait pas facile et il angoissait déjà à l’idée de se voir fourré de dynamite et le dos hérissé de manches de poignard mais il n’avait pas le choix : il était otage non seulement de l’océan, du peuple qui y habitait mais aussi, à présent, des voyageurs avec qui il devrait partager une aventure qu’il n’avait pas envie de vivre.

C'était inévitable, un moment ou un autre Eve serait venu le chopper. L'envie de faire la paix lui était donc passé très vite à la demoiselle. Cela dit Jonh aussi n'avait plus très envie de faire ami-ami avec cette fille au coeur de pierre. On le pensait assassin mais c'était tout le temps sans aucune autre option comme la raison pour laquelle Eve s'était retrouvé à se faire frapper. C'était de sa faute aussi, si elle n'avait pas dérogé à la règle. Jonh n'avait donc pas oublié non, il était difficile de faire abstraction de ce genre de chose même si on le souhaitait. Mais peu importe si le dépressif disait qu'il était désolé le plus sincèrement du monde Eve lui couperait tout de même la tête. Une idée d'ailleurs qui plaisait beaucoup à Jonh...

Si la brune pensait que ses menaces ferait pâlir de peur le voyageur et bien elle avait tort. Ses yeux s'était illuminé face aux regards sombre de son interlocutrice. Il lui tardait de mettre fin à cette guerre pour avoir enfin la paix lui aussi.
Finalement il était bien content qu'un idiot l'ait séparé de Liam. Au moins il était tranquille de pouvoir enfin crever et ce n'était apparemment pas l'autre énergumène qui s'énervait pour rien qui allait empêcher Eve d’exécuter sa vengeance.

- Fais toi donc plaisir Eve

Répliqua t-il avec un sourire avant de continuer d'avancer. Il sentait le regard de la voyageuse lui brûler le dos mais bientôt il ne sentira plus rien du tout. Jonh rejoignit l'autre gaillard pour une petite explication.

- Si tu tiens vraiment à le savoir Machin, oui on a travaillé ensemble, on était même trois, pour pouvoir sortir d'une ville qui n'aime pas vraiment les gens comme nous...Elipse si ca te dit quelque chose ? Mais la demoiselle que voilà n'a pas obéit à la règle du patron, elle a suivit ses pulsions et a tabassé un mec, elle s'est mise dans la merde toute seule

Si son interlocuteur tenait vraiment à se méfier de eux deux, autant qu'il se concentre sur la vraie épinhe du problème.

- Mais pour le moment on a d'autres chats à fouetter que de se tirer dans les pattes on doit mettre fin à une guerre

Eve partit dans un rire glacé alors qu’ils arrivaient dans une sorte d’antichambre à la grecque. C’était une pièce plutôt petite comparée à celle dont ils venaient, décorée avec d’élégantes draperies. Un sofa rouge trônant près d’une petite table où était posée coupe de fruits frais. Tandis que leur guide leur demandait de patienter, les yeux marron de la détenue fixaient si intensément le dépressif qu’ils pourraient presque le transpercer.

Bien entendu, il s’était empressé d’accourir au coté de leur troisième compatriote pour le ranger de son coté. Manipulateur jusqu’au bout ! Il avait omis de raconter que le type qu’elle avait « un peu » malmené avait détruit la vie de sa petite amie ; il méritait bien plus que ce qu’elle lui avait fait. Et aussi, Jonh aurait très bien pu se passer de rapporter ses actes à Blackberry. Mais non, il avait décidé de se ranger du coté de ce mafieux douteux, du coté de l’injustice. Ce qui la retenait de le désarticuler sur le champ ne tenait à rien. Il mourrait, c’était certain, et c’est elle qui lui porterait le coup de grâce.

Toutefois, la jeune femme restait muette. Ce n’était pas son genre de rentrer dans des querelles de balance, à dilapider des anecdotes sur les autres pour leur faire un procès d’intention. Ça c’était la technique de ce monde qu’elle exécrait, pas la sienne. D’ailleurs, peut-être Dreamland était-il dans son essence moins corrompu que la Réalité ? Après tout, si le « destin » lui avait permis de retrouver son ancien collègue, il y avait bien une raison. La justice devait être faite.

Elle défia du regard le pirate, comme pour signifier qu’elle n’avait pas peur de leurs messes basses et qu’elle ne dirait pas un mot pour se justifier. Et puis, il semblait assez grand pour réfléchir seul. S’il décidait d’épouser la cause de Jonh, il y risquait son bien être et sa santé. Elle n’était plus à ça près. Avec des gestes lents, comme si le moindre mouvement brusque risquait de faire craqueler sa peau tendue par ses accès de démence, elle s’assit sur le canapé.

- Au fait, lança-t-elle d’un coup, tu ne nous à rien dis de toi, machin.

Elle avait volontairement repris la dénomination de Sydney. Ses yeux inexpressifs ne le quittaient pas. Avait-il des choses à cacher pour autant vouloir s’informer sur les autres mais ne rien dire de lui ? S’il était voyageur, quels pouvaient bien être ses pouvoirs ? D’ailleurs, connaissait-il Georges Mikles ? Après tout, elle avait l’impression que le nombre de timbrés qui se prenaient pour des pirates à Dreamland était plutôt significatif.

- Je veux dire… au moins ton prénom, ce serait la moindre des choses non ? Au moins d’un point de vue pratique ! On risque de bosser ensemble, non ?

Ses talons battaient nerveusement la mesure, témoin de l’agitation interne qui brûlait ses entrailles. Elle avait du mal à rester lucide tellement la voix de la bête dans sa tête hurlait qu’elle devait tuer Jonh. Immédiatement. Sans attendre. Un fil de raison fragile lui permettait de rester calme et de ne pas commettre d’atrocité dans un lieu qui lui porterait préjudice. Mais c’était dur ; tellement.

Après quelques minutes on invita les membres du petit groupe à pénétrer dans ce qui devait être le plus bel endroit qu’ils aient vu de leurs yeux. Le plafond superbement ouvragé était si haut que le regarder donnait le torticolis. Il représentait une fresque grandiose, mêlant Dieux grecs et guerriers en armure sur fond de combat épique. Des tentures bleu roi cascadaient du plafond, brodées de fils d’or, entre d’épaisses colonnes de marbre sculptées. Des saphirs et des lapis lazuli étaient incrustés dans le mobilier, brillant de milles feux à la lueur des torches éclairant la pièce. Et au centre de la pièce, encadré par un large bassin circulaire se trouvait le trône du roi, si grand qu’il aurait pu accueillir un géant.

L’homme qui s’y trouvait assit n’était pourtant qu’un vieillard d’à peine 1m70, le dos courbé par les ans. Son air était grave, comme celui de quelqu’un qui a trop connu la guerre. A leur entrée il descendit de son siège et, à la surprise du trio, posa un genoux à terre, leur dévoilant sa nuque en signe de déférence.

- Bienvenue en ma demeure, Ô Dieu parmi les Dieux ! Nous n’avons que trop prié pour votre venue... ma demeure est vôtre, je me plierais à tous vos désirs... mais ayez pitié de notre peuple. Écrasez nos ennemis pour nous rendre la paix à laquelle nous aspirons depuis tant d’années !

Il se redressa enfin, son dos produisant un craquement sonore. D’un geste de la main il les invita à le rejoindre non sans moult courbettes. Un roi était peut-être au-dessus des hommes mais il n’était rien face à des dieux et il en avait bien conscience.

- Moi, Kostas le juste, suis votre humble serviteur. Je sais bien que vous devez tout savoir de la situation, omniscients que vous êtes, mais si vous souhaitez discourir stratégie je mets à votre service les généraux de mon armée, ainsi que mon armée elle-même. Je peux mettre à votre disposition 1000 hommes avec lances et armures, même si je ne sais pas s’ils vous seront très utile contre les tritons. Le métal n’est pas un avantage dans un combat sous-marin... mais je m’excuse de mon impertinence. Je ne fais que vous dire des choses que vous savez déjà.

Après une nouvelle courbette les généraux dont il avait parlé pénétrèrent dans la pièce, s’inclinant à leur tour, tout comme les gardes qui les accompagnaient. Tous les yeux étaient fixés sur le trio et n’attendaient qu’une chose : un ordre qui permettrait de leur donner la victoire.

La demande d’Eve, pourtant légitime, n’avait trouvé d’écho chez le paranoïaque que de manière très sommaire comme si la réciprocité n’était en rien un principe essentiel des relations sociales. Il lui répondit dans un premier temps par un regard plein de mépris avant d’être interrompu par l’émissaire du roi. Comment osait-elle lui parler comme ça, celle-là, avec ses pouvoirs bidons et sa morale à deux piastres ?

Il attendit que l’intrus atlante sorte de la pièce pour se tourner une nouvelle fois vers Eve non sans que le mépris ne déforme encore plus que la précédente fois les trais de son visage.
- … Sydney… Tu veux que je le note sur un bout de papier ou tu arriveras à t’en souvenir, ‘collègue’ ? Non, décidément il n’avait pas envie de tisser des liens solides, aujourd’hui. Surtout pas avec ces deux tarés.
Le capitaine au bandana se mit en marche direction la salle du trône, ne se décidant à tourner le dos à la paranoïaque et ainsi arrêter de la fixer avec défi qu’après deux ou trois pas.

Kostas, seigneur des atlantes, les accueillit avec diligence et précaution ; Sydney ne put s’empêcher de ne pas apprécier ce genre de simagrées qu’il considérait comme la pire des hypocrisies sinon une couardise abusive. Ces gens naïfs avaient trop peur pour oser ne serait-ce que remettre en cause le caractère divin qu’ils prêtaient au trio de voyageur, c’était pitoyable. Aveuglé par la religion et rendu minable par son incapacité à gérer un conflit lui-même, voilà ce qu’était le peuple d’Atlantis… de quoi démolir la totalité des légendes autour de ce peuple prétendu sage et intelligent.

C’en était trop. Ces idiots incapables voulaient des dieux ? Sydney Miles allait leur faire regretter leur foi ridicule. Et par la même occasion, il taperait un bon coup sur les nerfs de ses collègues, ce qui ne ferait qu’accélérer l’exécution de leur mission. Prenant de court toute tentative d’Eve ou de John pour entamer les présentations, Sydney se racla bruyamment la gorge, quitte à presque couper la parole au roi.
- Oui, oui ! Nous sommes les tout-puissants dieux venus des cieux pour vous aider, peuple d’Atlantis ! Je suis Sydney le Sublime et voici mes amis, Eve et John. Eux, ils sont un peu moins dieux que moi mais cela n’est pas très grave. Vénérez-moi et nous répondrons à votre appel de détresse.
Il tendit les bras vers le ciel, encourageant les atlantes à scander leurs noms avant de reprendre d’un ton calme et posé. Il y mettait toute l’émotion nécessaire pour donner à son discours le timbre autoritaire et assuré d’un vrai dieu :
- Hélas, sachez que tous les dieux ne sont pas omniscients ! Certains le sont mais moi pas car ce n’est pas de cela dont je suis le dieu. Aussi, je vous ordonne magnanimement de nous éclairer davantage sur ce conflit. Quand est-ce arrivé, que s’est-il passé et que savez-vous de vos ennemis ? Si votre cœur est pur alors que vous m’avouez vos faiblesses humaines, je saurai trouver une voie pour vous sauver de ce péril. Mes amis vous aideront aussi car il n’y aurait que vos ennemis pour ne pas vous aider, n’est-ce pas ?

La question rhétorique s’adressait davantage à Eve et John qu’au roi mais de façon si indirecte que le monarque ne remarquerait très probablement rien. Sydney jubilait à l’idée d’emmerder au maximum ces deux malades mentaux, terroristes, dangereux fêlés. C’était décidé : il comptait bien profiter des privilèges qu’on lui donnerait mais bien sûr, il gardait également en tête ses priorités à savoir : se placer dans le camp des vainqueurs les plus probables pour se sortir du conflit sans trop d’embrouilles. Or pour cela, il lui fallait avoir une vision globale du conflit qu’il n’aurait… qu’en allant rendre visite à l’ « ennemi ».

Il réfléchit un court instant, profitant du fait qu’il avait la parole, pour poser mentalement le schéma argumentatif qu’il devait employer pour que sa visite chez l’ennemi passe comme un bonbon.
- Nous devrons également, avant de nous investir dans ce conflit, aller délivrer un ultimatum à vos ennemis. En tant que dieux, nous avons le devoir de leur proposer une alternative pacifiste car nous sommes bons. En cas de refus de leur part et seulement en ce cas, nous nous montrerons sans pitié. Mais d’abord, mes amis et moi-mêmes souhaitons nous reposer. Racontez-nous votre histoire autour d’un buffet et de quelques divertissements !

Cette fois-ci, c’est lui qui invita le roi Kostas à leur ouvrir la voie, posant sa main sur l’épaule du vieil homme. Il se retourna pour poser un regard provocateur sur ses très chers collègues. A voir leur tête, il allait le regretter, c’était sûr et certain. Il avait désormais bien plus peur de la réaction des deux voyageurs lorsqu’on les laisserait seuls avec lui que de l’éventualité qu’on découvre son usurpation. De toute façon, l’heure n’était plus aux regrets vis-à-vis de la situation globale : il venait de se passer la corde au cou lui-même et d’une manière ou d’une autre, quelqu’un viendrait le faire chuter. Il lui faudra avoir trouvé une échappatoire avant l’heure fatidique, voilà tout.

Après cela, il prit grand soin de bien éviter de croiser le regard de l’un ou l’autre de ses compagnons. Il savait ce qu’il y trouverait et n’avait de toute façon pas besoin de les épier en chaque instant : ses pouvoirs devaient techniquement lui annoncer toute tentative d’agression… enfin… ça restait de la théorie assez sommaire car il n’avait pas souvent eu l’occasion de vérifier si ce *BIIIP* qu’il entendait était réellement lié à ça et seulement ça. Il croisa les doigts dans sa tête, faisant son possible pour réprimer les alertes que lui hurlait son cerveau malade. Cela se traduisait extérieurement par quelques tics de paupière occasionnels. Le sentant, le corsaire sortit de sa hotte son cache-œil et le mit sur son globe oculaire indiscipliné, tout en expliquant au roi qu’il s’agissait d’un artefact lui permettant de lire dans le cœur des mortels. Hop ! Emballé, c’est pesé : roulé une nouvelle fois, le roi. Pauvre vieux, il ne s’en remettrait jamais s’il pouvait voir tout ce qui se passait actuellement dans le crâne du pirate…

L'impression de se retrouver à nouveau dans le rôle de "père" taraudait Jonh en voyant Sydney et Eve se défier du regard. Dans le passé il avait déjà mit ce masque pour Eve et Liam, à présent c'était entre ce nouveau voyageur et la brune. Il sentait que les heures à venir seraient longues mais pour le moment il fut un minimum content de pouvoir enfin voir ce roi.
Le trio fut invité à entrer dans la salle du trône et si il avait déjà vu des décors somptueux dans les films, en vrai cela était encore plus splendide. Le plafond semblait à des années lumières du sol. En tout les cas le roi était fan de la couleur bleu. Jonh s'attendait à voir un grand gaillard mais contre toute attente ils arrivèrent face à un vieillard. Pour ne pas finir d'être surpris le roi vint poser à genoux à terre et le dépressif ne put trouver cela que gênant. Il retint sa langue de parler pour qu'il arrête cette comédie qui n'avait pas lieu d'être.

Lorsque le toi termina son explication, leur promettant de leur donner les hommes dont ils auraient besoin pour mettre un terme à la guerre, Jonh fut un peu coincé. Ils étaient pas omniscient puisque pas des dieux et par conséquent les détails n'étaient pas dans leur mémoire. Hélas, Sydney prit les devants et sa manière de se comporter ne plut pas du tout au dépressif. Moins dieu que lui ? Ce n'était ce type qui se baladait avec un nuage sur la tête ou qui avait soudainement changé de vêtement. Non, il ne voyait qu'un pauvre mec qui enfin de compte, était une merde et se comportait comme telle.
Le must fut lorsque les gens présent se mirent à scander leur nom, ce qui tapait énormément le système au dépressif. Ils étaient libres d'être croyant mais quand même ! Il ne fallait pas être si désespéré pour voir que Sydney se foutait royalement dans leur gueule. Cela ne faisait que faire s'emballer les nuages noirs au dessus de sa tête qui ne demandait qu'à se déchainer.

Le voyageur avait cependant un minimum de cervelle et n'oublia pas qu'ils devaient d'abord voir si il y avait une façon de s'arranger plus pacifique que d'envoyer des hommes à la mort. Jonh aurait aimé éviter le buffet et les divertissements cela dit.

- On a pas le temps pour le buffet et les divertissement, plus vite l'affaire sera réglé plus vite ce peuple pourra reposer en paix

Répliqua t-il à l'adresse de Sydney, et de Eve. L'autre voyageur avait sortie un cache-oeil et expliqua que cela lui permettait de voir dans le coeur des mortels. Jonh ne put s'empêcher de lever un sourcil et en même temps de trouver cela louche. Ce mec était vraiment étrange et suspect.

Eve soutint le regard de défi de Sydney de ses yeux marron. Sans ciller, sans broncher, sans que l’ombre d’une expression ne passe sur son visage de glace. S’il voulait jouer au plus fin avec elle, il se rendrait vite compte qu’il avait mal choisi son adversaire. « Heureusement » on les interrompit pour les inviter à rejoindre le roi.

La pièce dans laquelle on les accueillit était réellement somptueuse. Pour la russo-américaine qui n’avait jamais connu que les bas quartiers des États-Unis, la prison, les coins mal famés d’Elipse et l’errance dans la cambrousse dreamlandienne, c’était quelque chose. Un sentiment étrange lui donnait des frissons : celui de ne pas être à sa place, d’être prise dans quelque chose de grand. Elle n’était qu’une taularde, « un monstre » rejeté par des Hommes qui refusaient de voir leur réalité en face, pas une héroïne ni un chef de guerre. Pourtant, c’est entre ses mains blanches que ce souverain vieillard remettait l’avenir de son royaume, en commençant par ses généraux et son armée.

Avant qu’elle n’ait pu intervenir, ni même réfléchir à la marche à suivre, Sydney se lançait dans un discours de grand seigneur visant à renforcer le mensonge érigé à leur sujet – profitant de la crédulité du roi. Ce fût comme un électrochoc qui venait de court-circuiter l’encéphale de Eve. La réalité perdait de sa netteté, la folie se déployait dans chacune de ses connexions synaptiques. Comment OSAIT-IL ce pirate en toc ? Se complaire dans un tel mensonge et l’y inclure contre son gré. Depuis quand profitait-elle de la faiblesse des gens ?
Tue-le… tue-le… tue-le…  
JAMAIS...
Il l’a mérité, tu sais ? Regarde-le tromper ces bonnes gens…
JAMAIS elle ne se rabaisserait à ça. Plutôt mourir que de devenir le reflet de ces gens qu’elle exécrait. Des gens vénales, écrasant les naïfs pour les user jusqu’à la moelle. Si elle devait mourir aujourd’hui pour ses principes, alors allons-y. Au moins, cet enfoiré de faux-pirate ne l’emportera pas avec lui au paradis. Le coup du cache-œil fût la goutte d’eau qui fit déborder le vase. Le corps tout entier de la russo-américaine vibrait d’une démence froide. Elle perdait le contrôle, tout simplement.

- NOUS NE SOMMES PAS DES DIEUX !

Sa voix avait éclatée, plus forte que tout, et un silence surnaturel semblait être tombé dans la salle du trône. Elle se dressa, fière, mais se refusant de faire un pas de plus. Si Sydney avait voulu profiter de son statut pour cajoler le roi, elle restait à sa place. Ni déesse, ni soumise.

- Nous ne sommes pas des dieux mais des voyageurs, reprit-elle.

Elle avait l’impression de flotter. Une force étrange lui permettait de rester calme et d’agir avec une espèce de droiture suicidaire, alors que chaque fibre de son corps voulait réduire son collègue en pièce.

- Nous avons des pouvoirs, mais nous ne sommes ni tout-puissant, ni omniscient. Nous sommes arrivés ici par hasard. Ce que votre peuple a pris pour un acte divin était en réalité l’une de mes facultés… alors allez-y, si notre présence ici est malvenue ou que vous pensez que je mens, tuez-moi ; ou demandez à ce soi-disant dieu de m’exécuter.

Eve écarta légèrement les bras en signe d’offrande et de réédition. Pas de peur dans ses yeux, rien de plus que la folie faisait vibrer sa chair pâle. Malgré la rage qui consumait ses entrailles, elle arrivait encore à réfléchir. Impassible et glacial. Elle attendit un moment, mais rien ne venait – bien sûr ; Sydney n’était pas divin. Il n’était rien. Et Kostas, que ferait-il ? Il y avait peu de chance qu’il confit son armée à une poignée d’inconnus, pas vrai ? Pourtant, c’était la raison pour laquelle la détenue avait accepté d’aider Atlantide. Elle ne pouvait pas partir comme ça…

- Je ne suis pas une déesse mais si vous le voulez bien, je resterai vous aider. Je suis d’accord avec ce menteur pour une chose : si votre armée est inefficace sous l’eau, alors il faut penser à la paix ou à la ruse. Vous en avez assez de la guerre et de perdre des vôtres ? Dans un premier temps, je ne vous demande pas de nous soumettre votre armée. Expliquez-nous simplement la situation et dites-nous ce que vous savez de vos ennemis. Je réfléchirai à une façon de résoudre ce conflit. S’il y a besoin de négocier avec ceux qui vous attaquent, alors nous iront tous les trois.

Ses orbes marron se figèrent un instant sur le paranoïaque, l’air de lui dire « oh non, tu ne te défileras pas ». Un imperceptible sourire sur ses lèvres de marbre. Elle croisa alors les bras, se remettant à la sentence du roi atlante :

- Je sais bien que vous n’avez aucune raison de faire confiance à des étrangers, mais qu’est-ce que vous avez à perdre ? Dans le pire des cas, on se fera tués une fois là-bas et votre situation restera la même. Dans le meilleur des cas par contre, on pourra résoudre votre problème.

Elle avait rarement autant joué sur le fil du rasoir. Pourtant, jamais depuis son arrivé à Dreamland, elle ne s’était sentie aussi bien. La bête de ses entrailles grondait, mais elle était fidèle à elle-même. Si elle devait crever comme ça, ça lui convenait.

Tout s’était déroulé à merveille en ce qui concernait le mensonge et la manipulation du roi et de sa cour mais… pas une seconde Sydney n’avait envisagé dans son psyché défectueux que l’on vendît la mèche si tôt. Il avait bien sûr envisagé qu’on le tabasse, qu’on le tue ou même qu’on aille le noyer mais seulement après les réjouissances ! Là, c’était vraiment pas sympa… En plus, ils allaient sans doute manquer le banquet. Quel dommage.

Le pirate ne bougea pas, se contentant de regarder Eve, puis les atlantes par intermittence pour sonder leur réaction discrètement. Bien sûr, il avait fallu que cette parano’ l’embarque dans ses embrouilles. Si elle ne voulait pas être une déesse, c'était SON problème ! Alors pourquoi griller la couverture de ses camarades en plus de ça ? Elle cherchait vraiment les problèmes ou quoi ? Elle l’avait fait exprès pour lui causer du tort à lui, Sydney en était certain. Il le lisait dans le regard sadique de la russo-américaine : elle ne vivait à présent que pour le tourmenter. Et John ne disait rien pour sauver son ami pirate, évidemment. Quel ingrat !

Se raclant la gorge, visiblement gêné, Sydney retira son bras qu’il avait passé par-dessus l’épaule du roi et se décala de quelques mètres de sorte de se trouver à l’exact milieu entre le roi et ses traîtres de compagnons. Il retira son cache-œil et le rangea dans sa hotte, faignant un air contrarié et penaud. Il avait bien sûr pensé à un plan pour se rattraper à la seconde où Eve avait ouvert sa bouche pleine de serpents.
- C’est vrai, peuple atlante… C’est vrai : je vous ai menti. Je me suis sacrifié pour jouer ce rôle ingrat afin de sauver mes amis du péril que j’encourrais car voyez-vous, une question doit être posée. Cette question est « pourquoi avoir menti ? »

Tournant lentement sur lui-même, il écarta les bras en haussant les sourcils comme pour demander à son public s’il avait une réponse. Un atlante ou deux avait dû lever la main, mais Sydney n’avait jamais eu l’intention de leur laisser la parole. Bande de ploucs, c’était lui qui avait la réponse à sa question, pas eux ! Surtout si c’était pour interpréter de travers, non merci ; un problème à la fois, s’il vous plaît !
Il reprit finalement, se tournant vers le roi :
- Car vous aviez la foi… et je ne pouvais vous faire entendre raison de manière efficace que de cette manière. Je ne savais pas à quel point vous étiez résolus à nous prendre pour des dieux mais j’envisageais déjà devoir me justifier durant des heures. Alors oui, je vous ai trahi, j’ai bafoué votre confiance mais au moins, maintenant, vous voilà attentifs et certains que nous ne sommes pas des dieux. C’est ce qui est marrant avec la vérité et le mensonge. Prétendez la vérité et vous devrez disserter pendant des heures pour convaincre X ou Y… mais mentez une fois sans davantage de preuve et tout le monde vous croit. C’est fascinant, non ?

Le corsaire s’arrêta un instant pour réfléchir. A vrai dire, il cherchait un moyen de poser sa phrase suivante sans heurter davantage les sentiments de ses hôtes mais n’y parvenant pas, il décida de se lancer en précisant bien au tact d’aller se faire voir :
- Oh et puis disons-le franchement : les longs discours, moi ça m’ennuie. Plus vite on ira, plus vite ça sera réglé et plus vite je partirai. Eh, on y gagne tous, non ?
Affichant un sourire satisfait, il se tourna vers Eve puis de nouveau vers le roi pour s’assurer d’un commun accord sur ce point-là.

Il rejoignit finalement la paranoïaque et le terroriste, conservant son sourire autant que possible. Avouer que tout cela le contrariait au plus haut point aurait d’une part blessé son orgueil et d’autre part, Eve aurait été contente et il n’aurait pas supporté ça. Les gens comme elle ne méritaient pas le bonheur. John non plus, d’ailleurs… mais lui, il semblait avoir déjà touché le fond ; restait seulement à s’assurer qu’il continue de creuser et il ne poserait pas de soucis. A la limite, il était juste chiant pour tout ce qui touchait à la démocratie… Pourquoi on laissait les criminels voter, nom de dieu ?!

Eve le fixait toujours de ses yeux pleins de haine. Il profita de cette attention supplémentaire pour enfoncer le clou.
- Ben quoi ? Tu pourrais au moins me remercier, non ? T’as vu tout ce que je fais pour vous ? D’ailleurs vous ne le méritez pas… Il fit apparaître son Casier Judiciaire et l’ouvrit à la page « John Matrevis » qu’il montra à sa coéquipière. Tiens, par exemple, tu savais que John avait fait péter une bombe en plein centre-ville ? Pas joli joli, hm ? Je suis sûr que tu as toi aussi tes petits secrets… mais je dirai rien : je suis un gars sympa. Mais moi au moins, j’avoue mes torts… et ça me rend donc plus moral que vous.

Un claquement de doigt fit disparaitre le livre à la couverture de cuir des doigts de la brune.
- Je suis tellement impatient de voir ce que tu me caches… Crois-moi : ça ne pourra pas rester tu indéfiniment. Alors… Tu veux de la confiance ? A toi de faire le premier pas, dans ce cas-là. Je t’attendrai.

Sur ces paroles, il tapota du bout du doigt le pin’s « I’m Watching You » qu’il avait accroché à sa veste avant de se préoccuper du souverain qui devait très certainement avoir très envie de faire monter les décibels.

Le roi s’était d’abord sentit profondément mal à l’aise et flatté suite à la proximité qu’il avait avec Sydney, un Dieu supérieur dans son esprit croyant. Il s’était ensuite sentit offensé et trahis lorsqu’Eve clama au mensonge, désignant son comparse comme un profiteur calculateur. Les excuses du pirate ne laissèrent en lui que la sourde colère d’une pitié bafouée. Peu importe les raisons qui les avaient motivés, se faire passer pour des Dieux était impardonnable. Et leurs destins seraient remis entre les mains divines de ceux dont ils avaient tenté de s’octroyer l’identité.

Après avoir épousseté son long manteau brodé comme pour en retirer la saleté déposée par la main moite du paranoïaque, le souverain les toisa d’un regard noir qui ne présageait rien de bon. Lorsqu’ils voulurent ouvrir la bouche pour déverser un nouveau flot d’explication il leur imposa le silence d’un geste de la main avant de clamer d’une voix sèche, prenant sa cour pour témoin :

- Vous avez osé bafouer les Dieux en vous faisant passer pour eux, et toutes les bonnes intentions du monde ne pourraient excuser ça. Vous êtes des hérétiques, des païens sacrilèges. Je ne peux accepter l’aide que vous proposez tant que les Dieux ne m’auront pas assuré de votre fiabilité. A eux de voir s’ils souhaitent vous pardonner.

Ce n’était pas une proposition. L’armée qu’il avait proposé de leur céder avait pénétré la salle du trône pour les encercler. Impossible de venir à bout d’une telle foule, aussi n’eurent-ils d’autre choix que de suivre la marche.

On les mena jusqu’à l’extrémité d’Atlantis, à quelques mètres à peine de la bulle qui permettait aux humains de respirer. Là se tenait plusieurs rochers, usés par ce qui semblait être des chocs répétés. Et ces dépôts rougeâtres… était-ce du sang ? On ne leur laissa pas le loisir de s’interroger : sans leur donner le choix des soldats les attachèrent solidement aux rocs de manière à bloquer tout mouvement. Dans cette position il était impossible de bouger d’un centimètre et encore moins de saisir un objet.

Le roi les fixa d’un air sévère avant de se tourner vers l’océan d’une obscurité inquiétante et de lever les bras vers ce qui leur servait de ciel. D’une voix forte, il s’écria :

- Ô toi, Kraken, serviteur des dieux… dévoile-nous si ces hommes sont dignes de vivre !

Aussitôt les traces d’hémoglobine séchée prenaient tout leur sens…

Une masse gigantesque sembla se mettre en mouvement dans les eaux ombres et l’armée recula comme un seul homme. Plus personne ne parlait, les yeux rivés sur la scène qui n’allait pas tarder à se dérouler devant leurs yeux. Personne n’avait encore survécu au procès des hérétiques mais si ces gens étaient sincères les Dieux auraient peut-être pitié d’eux.

Comme pour clamer que non, des tentacules énormes fondirent vers les pauvres voyageurs sans défense…

La voix forte d'Eve fit sursauter le dépressif, avant de comprendre ce qu'elle venait de lancer. Jonh se retint de lui sauter dessus pour lui faire ravaler sa langue car de toute façon il était trop tard. Et bien leur statut aura été de courte durée et il doutait sincèrement que le roi accepte leurs explications, aussi vrai soit elle. L'honnêteté n'était pas toujours bonne à dire mais bon, manifestement Eve n'arrivait pas à garder un secret.
Et puis entre l'autre qui avait abusé malgré ce qu'ils avaient convenus dans l'autre pièce le faisait doucement rigoler. L'un comme l'autre, les deux voyageurs que Jonh devait se coltiner étaient pourri dans l'os. Le monarque de cette île avait beau aduler les dieux, le trio venait quand même de se foutre de sa gueule et user de l'identité divine.

Sydney renchérissait par derrière, ne faisait que plus creuser encore leur grand moment de solitude. Mais Jonh ne s'attendait pas à ce qu'il se mette à raconter ce qu'il avait fait à Techyo après avoir matérialiser un cahier pour le montrer à Eve. Manifestement il n'avait pas tout les détails mais il s'en fichait, menaçant la voyageuse. Ce type était vraiment un gros salaud et c'est avec grande peine que Jonh se retenait d'aller lui dire sa façon de penser. D'un simple geste il pourrait mettre à genoux ce pauvre type. Mais l'heure n'était pas à la querelle, plus tard il lui fera sa fête.

Le roi put enfin en placer une, même si ce n'était pas pour annoncer une bonne nouvelle. Il laissait aux Dieux le soin de décider si les trois voyageurs étaient fiables. Jonh sentait que ça puait à dix kilomètres cette idée et voulut protester mais se ravisa quand il vit des soldats entrer. Jonh espérait que l'épreuve ne serait pas du genre à affronter une sirène, un kraken ou autre créature aquatique.

- Vraiment Eve merci beaucoup, franchement tu devrais dire la vérité plus souvent ça marche très bien

On les emmena à travers la ville avant d'arriver sur un terrain rocheux maculés de sang.

- Sympa comme endroit...

Souffla t-il avant de se retrouver attaché à un rocher. Le roi appela alors le kraken et Jonh ne put s'empêcher de lever les yeux au ciel. Néanmoins ce qui était bien c'est qu'il allait enfin pouvoir crever. Même pas par un suicide. Liam ne pourrait donc pas lui en vouloir et tuer en son nom, puisque ce n'était pas de sa faute si il était tombé sur des boulets. Quoique du coup il pourrait pas mettre une raclée à Sydney...
L'eau avait bougé sous ses yeux et des tentacules en sortir se dirigeant droit vers eux. Jonh n'avait même pas peur, il était plutôt en colère d'ailleurs. Les faits de Sydney lui restait en travers de la gorge faisant jouer le nuage au dessus de sa tête qui se mit à gronder.

- Je suis peut être pas un dieu mais je vais pas me laisser buter par un poulpe !

Si seulement il pouvait viser cette tentacule dégoutante qui allait vers lui. Jonh se mit à espérer et murmura dans sa tête "tombe,tombe,tombe". Et alors que fin ne se trouvait que à quelques mètres un éclair s'abattit sur le membre du Kraken.

Mais… il ne la fermait donc jamais ? A peine avait elle fini de rétablir la vérité outrageusement bafouée par les conneries du pirate que ce dernier s’était mis en tête de renchérir, avec une théâtralité ridicule. Et pourquoi ? Pour prétexter qu’il s’était sciemment foutu de la gueule du roi atlante dans le simple but de « leur faire entendre raison » ? Pour le coup, et c’était rare, Eve était bien plus clouée sur place par la bêtise de son allié que par la colère. Déjà que hurler dans son temple qu’ils n’étaient pas des dieux après qu’il se soit mis à genoux, ça ne devait pas passer comme une lettre à la poste – elle s’en rendait bien compte malgré sa folie – mais ça… ça c’était la cerise sur le gâteau.

Quand le paranoïaque revint vers elle pour pointer du doigt les atrocités commises par Jonh, elle n’écoutait déjà presque plus. Son sang était saturé en démence. En vérité, elle ne savait pas vraiment ce qui avait retenu son poing de décoller pour atterrir sur le pif de Sydney. Il avouait ses torts ? Mais parfaitement ! Après avoir cracher sur l’accord qu’ils avaient passé tous les trois, à savoir qu’ils ne profiteraient pas de leurs privilèges de soi-disant « dieu », il leur mettait un deuxième couteau dans le dos en inventant une fragile histoire de manipulation !

Dans l’esprit malade de Eve, le nom et le visage du pirate venait de se graver en rouge sur sa liste noire. Pas fiable, menteur, manipulateur, traitre… il cumulait plusieurs des tares les plus insoutenables pour elle qui n’appréciait que la justice. Sa justice. Celle qui n’écrasait pas les faibles et les naïfs ; celle que personne n’osait appliquer.

Elle ne savait pas si ses mots franchiraient ses lèvres frémissantes avant que son coup ne parte, ou si c’était l’inverse, mais ce fût la voix furieuse du souverain qui rompit la bulle créée par sa transe psychotique. Son corps tendu était encore parfois secoués de frissons incontrôlés, ses mains tremblaient, alors que les gardes pressaient pour leur indiquer une direction qui n’était certainement pas celle du banquet qu’avait commandé Sydney.

La russo-américaine suivait sans se rebeller, impassible, comme à son habitude. Même si elle avait toujours détesté les religions, les cultes et tout ce qui s’y rapportait, elle ne pouvait se soustraire à sa propre moralité. Du moins, elle comprenait que le roi souhaite se laver de l’injustice qui avait été commise ; même si en réalité, le vrai fautif, il marchait à ses cotés. Se jeter sur lui quitte à être perdue ? Non. Elle n’était pas une brute de bas étage qui irait jusqu’à échanger son dernier soupir contre quelques coups de poings, pour la simple satisfaction de mourir en bête acharnée.

Se jeter sur le paranoïaque ne lui vaudrait que des coups de lance fatals, sans avoir eu la satisfaction de briser la nuque de son confrère. Elle suivit donc en silence, la tête haute, sans même daigner tourner vers Jonh ses yeux marron lorsqu’il lui cracha une réplique ironique. Ni même faire attention à celui qui devait protester corps et âme.

A la vue des rocher teintés de sang, ce n’était pas la peur de la mort qui aiguisa ses sens, ni un accès de folie. Au contraire, c’était un éclat de lucidité dans l’orage sinistre qui paralysait son cerveau. La rage cédait place à un calme résigné, la bête dans son ventre rugissait. De défi. D’arrogance. En quelques secondes, plusieurs mains s’étaient emparées d’elle pour l’attacher si solidement qu’elle ne pouvait pas bouger. Pas même activer sa bague de la résistance pour appeler du renfort, si jamais quelqu’un daignait venir. Galvanisée par l’instant, la douleur causée par sa chair plaquée contre la pierre n’existait pas.

La mort, elle avait trop flirté avec pour lui être inconnue. Eve savait qu’un jour, ce serait à son tour de passer de l’autre coté et franchement, ça ne lui faisait rien. Surtout cette fois. Elle mourrait en ayant dit la vérité, entraînant dans sa chute deux hommes qui ne méritaient que le bûcher. C’était peut-être là sa finalité ? Se sacrifier pour sa cause contre l’injustice ? Entraîner le mal dans le gouffre sans fond du trépas ?

A quoi s’attendait-elle ? Une éviscération publique peut-être, un lynchage, des blessures ouvertes jusqu’à ce que mort s’en suive, n’importe quoi de moyenâgeux. En réalité, le roi avait un tout autre atout dans sa manche. La russo-américaine ne pouvait pas voir le mouvement qui semblait se dessiner dans les ombres des eaux, mais le pas de recul de l’armée en disait long. Le Kraken… elle connaissait bien sûr quelques récits sur cette créature mythologique et ça ne la surprenait même pas qu’elle existait à Dreamland.

C’est donc ainsi qu’elle allait mourir. Avalée par une chimère marine. Un de ses rares sourires fendit son visage pâle et glacé. Un sourire de défi et de résignation. Elle ne disparaîtrait ni par la main de l’Homme, ni par celle d’un ennemi. C’était le mieux qu’elle pouvait espérer. Ses yeux ses dressèrent vers le ciel, sur le nuage grondant du dépressif. Si elle avait des regrets ? Peut-être. Savoir qu’elle deviendrait un légume dans une cellule d’un pénitencier fédérale, qu’elle ne reverrait jamais le monde extérieur. Aux portes de la mort, on ne voyait pas sa vie défiler, ce n’était pas vrai. Le film qui se déroulait dans son esprit était celui de ses buts inachevés, de ses rêves d’enfant enfouis sous une personnalité noire, de ce qui faisait languir la femme insaisissable qu’elle était.

Les tentacules jaillirent alors de ce qui semblait être le néant pour s’abattre sur eux. Eve refusait de fermer les yeux et quand elle crut venu l’instant fatal, la foudre tomba sur le monstre. Les membres énormes et visqueux s’agitèrent en se rétractant, désordonnés. L’un d’eux, encore chargé d’électricité, frappa accidentellement la russo-americaine qui reçut un coup de jus. Ensuite, ce fût le noir.

Quand elle put rouvrir les paupières, elle sentit qu’elle était toujours accrochée au rocher. Tous ses muscles lui faisaient mal, comme si elle avait couru des heures de marathon sans s’arrêter. Sa tête ballottait, le menton sur sa poitrine, comme si elle était trop lourde. La paranoïaque se sentait nauséeuse mais bien vivante. En tout cas, pour l’instant.

Eve n’avait rien dit concernant la page de Jonh, mais son regard noir en direction du paranoïaque lui permit un constat sans détour : elle ne l’aimait pas. Ce qui était assez bien en somme parce que lui non plus ne les aimait pas… et la haine, c’est comme l’amour : c’est bien mieux quand c’est réciproque, ça complique moins les choses. Mais viendrait un temps où Eve comprendrait que son réel ennemi c’était Jonh et pas Sydney… même un gosse de 5 ans comprendrait ça rapidement.

Le roi, lui, idem. Son QI était supérieur à celui d’un enfant de cinq ans et il avait donc du mal à avaler la pilule. Le vieux seigneur n’avait qu’à pas croire en des chimères stupides, aussi… La religion, c’est l’opium du peuple, comme on dit. C’est une chose qui, selon Sydney, n’attirait que deux types de personnes : les calculateurs et les esprits faibles. Un beau combo efficace de manipulateur/manipulé auquel le pirate ne voulait appartenir que s’il était du premier groupe car il était impossible qu’il soit du second. Pas lui !

Mais passées ces considérations religieuses, il fallait se rendre à l’évidence : Eve avait tout gâché. Elle l’avait fait exprès pour mettre Sydney en danger mais voilà qu’une étrange justice se mettait en marche ; une justice où tout le monde payait le prix fort pour la stupidité de la paranoïaque. Être menacé par les lances des gardes n’empêcha pas le corsaire au bandana de maudire la russo-américaine de manière plus ou moins indirecte tout au long du trajet qui les mena aux frontières d’Atlantis.
- Ça aurait pu marcher mais noooon : il a fallu qu’elle l’ouvre ! Ah oui, ça fait avancer les choses de jouer au justicier, ça c’est sûr !
Evidemment : tout était de la faute d’Eve mais Sydney, quant à lui, n’avait rien à se reprocher. De toute façon, ce qu’il avait fait, il l’avait fait parce qu’on lui avait forcé la main. Cela faisait de lui une victime dont l’indignation était tout ce qu’il y avait de plus légitime. Si quelqu’un devait être puni, c’était elle, pas lui ! Mais ça, bien sûr, les atlantes s’en fichaient. A croire que passer plusieurs siècles sous l’eau vous détruisait les neurones.

Son indignation continua même lorsque Sydney fut attaché au rocher :
- Ah d’accord ! Alors moi, quand je dis que je suis un dieu, personne ne me croit mais dès qu’il s’agit d’un poisson ou d’un poulpe géant, ça change tout ! Mais c’est quoi cette logique bancale ?!
S’adressant au garde chargé de le saucissonner, il ajouta d’un ton méprisant : au moins les Illuminati sont intelligents, eux ! Vous faites hontes aux rumeurs qui planent sur vous, faux extraterrestres !

L’armée se retira à une dizaine de mètres, protégeant la foule curieuse et empêchant les voyageurs de fuir, puis ce fut le silence. Un silence rapidement rompu par un grondement sourd provenant des abysses. D’un seul coup, une demi-douzaine de tentacules jaillirent de l’ombre et passèrent à travers la bulle d’Atlantis pour fondre sur le trio de parjures. Sydney sentit une série de petits picotements parcourir son corps, comme une chair de poule généralisée ; des écailles venaient de remplacer sa peau, lui donnant un visage aux allures reptiliennes. Il avait l’impression d’être recouvert d’une fine cotte de mailles mais il savait que ce ne serait pas suffisant pour survivre à l’attaque du monstre marin. Il tourna la tête en plissant les yeux, s’attendant à se faire déchirer d’un instant à l’autre.

Un tentacule s’abattit sur lui et il ferma les yeux, persuadé qu’il allait y passer. Il ne sentit aucun choc mais sursauta lorsque le bruit assourdissant du tonnerre retentit, accompagné d’un éclair dont le paranoïaque vit l’intensité lumineuse même les yeux fermés.
Hésitant, il ouvrit un œil et constata l’énorme nuage noir grondant au-dessus de leurs têtes et dont l’épicentre était Jonh. C’était sans aucun doute une manifestation du premier pouvoir du dépressif : « monsieur météo ».
Satisfait du résultat, Sydney se tourna vers le foudroyeur avec un sourire aux lèvres avant de se rappeler qu’il ne l’appréciait pas du tout. Son visage se referma et il choisit de ne rien dire du tout. Il était plus prudent de le laisser se calmer un peu avant de l’aborder. Un éclair pouvait facilement tuer.

Le crépitement de la chair grillée et les éclairs qui se propageaient dans l’océan indiquaient que le Kraken avait lourdement mangé mais était-ce suffisant pour le tuer..? Plus important encore : serait-ce suffisant pour que les atlantes consentent à les libérer ?
Stoppé net dans ses pensées, Sydney eut le réflexe de plaquer sa tête contre son rocher pour éviter le tentacule électrifié qui lui passa à quelques centimètres du visage pour finalement venir gifler Eve.
Il regarda la russo-américaine avec un air circonspect puis haussa les épaules négligemment en la voyant tomber dans les pommes. Tant que ce n’était pas lui à sa place, il s’en fichait très largement.

- Bon, ça vous suffit comme preuve ? On peut me détacher, maintenant ? J’ai d’autres trucs à faire que passer ma journée en mode huitre-collée-à-son-galet-géant, par les Sept Mers, souffla-t-il sans se soucier qu’on l’entende ou pas.
Il voulait juste qu’on lui rende sa liberté pour qu’il se sauve chez l’ennemi. Après un tel accueil, c’était la seule chose dont il avait envie : pactiser avec l’adversaire de ces fanatiques fous furieux dans l’espoir qu’on lui donne une solution pour remonter à la surface.

Que lui était-il arrivé, ces derniers jours ? Où était passé l’ancien lui qui prônait la prudence par-dessus tout ? Peut-être que s’il avait été prudent comme il l’était au début de son voyage… non. Ça n’avait déjà pas marché à l’époque. Entre les Unseelies, Dark-Dak et Dark-Selene, le Marchand de Sable et les Terres Gelées, la prudence ne lui avait rien apportée mais tout était de la faute de Dakota ! Et puis Jake avait eu une mauvaise influence sur lui aussi !
Sydney hocha la tête, yeux rivés sur le sol, s’affirmant intérieurement qu’il devait se ressaisir s’il ne voulait pas manquer de mourir une nouvelle fois. Mais ces deux-là… Eve et Jonh… Il devait vraiment en apprendre davantage sur eux, les connaître mieux pour éviter qu’ils ne lui pourrissent la vie dans tous les sens du terme.
D’un œil noir de haine que la folie intensifiait, il regarda Eve alors que cette dernière émergeait de son coma. S’il devait la tuer pour survivre, il n’hésiterait pas.

Le roi et son armée ne s’attendaient à aucun miracle, persuadés de n’avoir devant les yeux que des usurpateurs, de simples hérétiques irrespectueux. Au lieu de ça, ils virent les prodiges d’un dieu. Lorsque la foudre de Jonh s’abattit sur le Kraken dans un fatras assourdissant, la mâchoire du souverain se décrocha sous le coup de la surprise. Cet homme… cet homme était…

- Zeus… murmura-t-il dans un souffle, le cœur débordant de respect. Il reprit plus haut en intimant à ses gardes de mettre un genou à terre d’un geste de la main, Agenouillez-vous devant Zeus, agenouillez-vous devant notre dieu qui s’est débarrassé du Kraken comme d’un vulgaire insecte !

Et les autres ? Des sous-fifres probablement. Si Zeus voulait qu’ils vivent, ils vivraient. S’il voulait qu’ils meurent, ils mourraient.

Kostas plia l’échine à son tour en marque de respect alors que ses hommes accourraient pour détacher le trio une fois que le monstre marin se fut totalement replié dans l’obscurité des fonds marins pour laisser le temps à ses blessures de guérir. Une fois Jonh libéré, le roi s’adressa à lui, plein de déférence :

- Ô grand Zeus, veuillez-nous pardonner d’avoir douté de vous. Souhaitez-vous que ces mortels soient punis ou préférez-vous les garder en vie auprès de vous ?

Heureusement – et contrairement à ses deux camarades – Jonh était plus magnanime que vengeur. Il déclina l’offre d’exécution et Kostas accepta sans chipoter. Il escorta le trio – dont Eve qui avait re-sombré dans l’inconscience - jusqu’à son palais mais on sentait bien qu’il n’avait plus Dieu que pour celui qu’il appelait Zeus. Il leur offrait nourriture, refuge et bien sûr tout son arsenal de guerriers maintenant qu’ils avaient prouvé qu’au moins l’un d’entre eux était bien ce qu’ils avançaient.

Les généraux leur tiendraient compagnie en personne pendant tout leur séjour, pour les briefer sur la situation. Et quelle situation… cela faisait exactement 153 ans qu’Atlantis avait commencé à sombrer. Et le hasard avait voulu que la capitale des tritons, Thalassa, se trouve exactement en dessous. Originellement les deux cités étaient pacifistes mais quand la seconde se retrouva coincée sous la première, le moins qu’on puisse dire était que les rapports étaient devenus tendus…

Les tritons comme les atlantes tenaient à leur ville. Partir ? Jamais de la vie. Ne restait plus donc qu’à faire partir l’autre. Jamais une solution alternative ne fut cherchée. Les atlantes voyaient comme une décision divine le fait d’avoir été engloutis et comptaient bien s’adapter et rester là où ils étaient. Les tritons ne voyaient pas pourquoi partir alors qu’ils étaient là les premiers. Chacun était persuadé d’avoir raison.

Il y eu bien des pourparlers et des tentatives de négociations mais le fait est qu’aucun compromis n’était possible, débuta alors la guerre. Une guerre bien difficile à mener étant donné que les atlantes ne pouvaient respirer sous l’eau et les tritons se déplacer hors de l’eau. Mais les choses se compliquèrent depuis l’arrivée de leur Dieu. Un dieu capable d’invoquer des monstres marins, de créer des bulles d’eau dans lesquelles se mouvaient les tritons pour les attaquer chez eux, à Atlantis ! Un dieu qui leur avait laissé une semaine pour s’en aller après quoi il comptait faire céder le dôme et engloutir la cité sous les flots, ses habitants avec.

Mais leur dieu était arrivé. Un dieu qui pouvait les foudroyer. Et les généraux ne se priveront pas de faire comprendre à Jonh la responsabilité qui pesait sur ses épaules…

PS : j’ai donné toutes ces infos pour que vous puissiez interroger à votre guise les généraux, manger et vous reposer sans dépendre de moi trop rapidement.

Le kraken en prit plein la tentacule et une petite odeur de grillé s'élevait même dans les airs. Avec un peu de chance le roi les épargnerait en voyant ce dont les voyageurs étaient capables. Jonh vit Sydney éviter la tentacule mais ce ne fut pas le cas d'Eve qui reçut un coup de jus. Le dépressif se prit à espérer qu'elle y survive. Même si elle était une mauvaise femme elle ne méritait pas de mourir.

La voix du roi s'éleva, les gardes mettant un genoux à terre avant de soudainement appeler Zeus. Jonh regarda autour de lui mais ne vit personne avant de comprendre que c'était de lui dont le roi parlait à cause de l'éclair.

- Ah mais non je suis pas...

Mais ils ne l'écoutait même pas et le dépressif abandonna. De toute façon ils étaient tellement fan des dieux que ça ne servirait à rien de les raisonner. Le roi demanda son pardon et si il souhaitait que Sydney et Eve soient exécutés ou non. Les yeux de Jonh s'agrandirent.

- Non mais ca...Non c'est bon laissez les vivre

Se reprit il. Après les avoir détaché on les escorta jusqu'au palais. Jonh posa une mine inquiète sur le corps inconscient de Eve et demanda à ce que un médecin s'occupe d'elle. Pour le moment les voyageurs avaient retrouvés leur sécurité, un logis et de la nourriture. Grâce à Jonh ils étaient remontés dans l'estime du roi, même si ce dernier se trompait encore une fois.

Le dépressif se retrouvait seul avec Sydney, les généraux pouvaient bien entendre le début des récoltes d'informations. Il s'adressa au pauvre type qui lui servait de compagnie.

- La prochaine fois si tu veux savoir quelque chose demande moi directement plutôt que d'utiliser ton pouvoir...Et pour information nous n'avions pas le choix de poser cette bombe. C'était soit ça soit refuser et crever sans nos ombres

Sydney n'avait pas l'air d'être un voyageur débutant alors il avait déjà du entendre parler de cette perte des ombres. Jonh lui attrapa le poignet, plantant son regard sombre dans celui parano de son interlocuteur. Un souvenir de ce dernier s'imposa dans son esprit. Il y avait un petit garçon qui avait dans un sale état en train de pleurnicher, la vision était trop flou pour s'en assurer. Il était avec une femme, sans doute sa mère et celle ci se mit à le gifler. Sous le coup soudain, le dépressif lâcha Sydney et se massa la joue comme si il avait reçu lui aussi la baffe.

- Bref arrête d'être parano, si je voulais te tuer je l'aurai fait tout à l'heure quand j'en avais l’occasion

Lança t-il après avoir repris ses esprits.

Sydney resta quelques instants sans bouger, circonspect et un peu déboussolé, même après que le dernier tentacule soit reparti se cacher dans les tréfonds obscurs de l’océan. Mais quand le roi prit la parole pour invoquer le nom du dieu des dieux… il ne put s’empêcher de rouler les yeux avec un sourire en coin qui restait malgré tout un peu amer.
- Eh ben ça aura été d’une utilité formidable, cette prise de parole insensée. Je me demande la tête que tirera Eve quand elle se réveillera, se demanda-t-il une fois libéré des cordes qui l’entravaient.

Quand la question de vie ou de mort le concernant fut amenée sur le plateau, Sydney fit mine de rien, sifflotant dans son coin comme s’il était extérieur à l’affaire. « Laissez un message, je ne suis pas là », voici ce qu’on aurait pu deviner si l’on avait voulu déchiffrer correctement cette mimique qui avait pour seul but de ne surtout pas s’impliquer dans une question qu’il ne pouvait que faire pencher en sa défaveur.
Il y avait déjà 90% de chances que Jonh veuille les tuer, d’une part parce que c’était un fou terroriste sans pitié, électrocuteur de calmars géants galvanisé par sa soi-disant divinité, et d’autre part parce qu’il détestait Syd’ ; il était donc logique que le dépressif prenne un malin plaisir à les jeter à nouveau en pâture au Kraken, sans possibilité d’en réchapper, cette fois-ci…

Étonnamment, il n’en fit rien. Il les épargna avec une magnanimité qui n’était pour le capitaine qu’un tissus de mensonges honteux ; hypocrisie manipulatrice dégoûtante à en vomir. C’était évident : il ne faisait ça que parce qu’il espérait faire chanter Eve et Sydney plus tard. L’éternel cliché de la « dette » envers quelqu’un. Salaud !
D’ailleurs, le pirate avait décidé que cela ne marcherait pas sur lui et qu’il ne devait de toute façon rien à Jonh. Ce type appliquait de manière beaucoup trop littérale – et stupide – l’adage qui dit d’être plus proche encore de ses ennemis que de ses amis. Ou alors, il ne savait juste pas différencier les deux, ce qui était tout à fait possible du fait de son psyché détraqué et de son cerveau malade de sociopathe.

Boudeur, il se laissa escorter jusqu’au temple où ils devaient discuter stratégie avec une série de vieillards lâches dont l’occupation principale au vu de leur fonction était très probablement de se scotcher les fesses sur un siège et déblatérer des inepties. Tous les grands tacticiens étaient comme ça, tous sans exception. Et ils excellaient dans ce domaine. C’est à cause de gens comme ça que les Illuminati ont pris le contrôle du monde réel : sans opposition aucune, il ne suffisait que d’un groupe de gens suffisamment manipulateurs et intelligents pour s’accaparer le monde et ses richesses en occultant tout le mécanisme inhérent au processus.
Mais si le corsaire au bandana était si ronchon, c’était surtout parce même s’il ne voulait pas vraiment être considéré comme un dieu à la base, le fait que quelqu’un d’AUTRE que lui le soit à sa place ne lui plaisait pas. C’était frustrant et presque humiliant ; c’était nier son intelligence et sa personne. Bah, au moins il pourrait toujours faire porter le chapeau à Jonh en cas de pépin !

Ce dernier venait d’ailleurs entamer une conversation que le paranoïaque n’avait pas envie d’avoir, celle de l’éternel besoin de justification de ses actes. Ça lui apportait quoi, franchement ? Il secoua la tête comme pour nier en bloc ce que le dépressif essayait de lui expliquer.
Syd’ ne s’attendait pas non plus à ce que le terroriste lui attrape le bras. Le capitaine eut tôt fait d’arracher son bras à l’étreinte non consentie. Ils n’avaient pas élevé les cochons ensemble, à ce qu’il sache !
- Bas les pattes, matelot ! Va raconter tes salades à quelqu’un d’autre. Je me fiche de savoir pourquoi tu as tué probablement des dizaines de personnes ; tu l’as fait, c’est tout. Et ne te cache pas derrière des excuses vaseuses : on a toujours le choix, ombre ou pas ombre.

Il haussa un sourcil interrogateur alors que Jonh se massait la joue. Rage de dents..? Non, cet imbécile simulait, voilà ce qui se passait ! C’était absolument ridicule et petit.
- Oh arrête, tu veux ? Je t’ai même pas touché. Sur ces mots, il regarda de chaque côté pour s’assurer que personne ne pouvait les voir puis gifla Jonh sur l’autre joue.
- Là je t’ai touché. Il se pencha vers Jonh et pressa son index contre son pouce pour former une boucle qu’il agitait pour donner de l’ampleur à ses mots : et je ne suis PAS… PARANOÏAQUE. D’accord ? Il se releva et continua avec la même voix froide et l’œil fou : puisque manifestement on en est aux menaces de mort, sache que je peux aussi être un dangereux caniche comme toi. Sauf que moi, j’en ai encore l’occasion.

Reculant de quelques pas, il fit le gros dos et se mit à grogner et aboyer comme un petit chien agressif avant de reprendre posture normale et de fixer son interlocuteur avec mépris. Pour qui il se prenait, sérieusement ? Sydney avait rencontré des voyageurs bien plus puissants que ce marin d’eau douce alors il n’allait pas se laisser impressionner par un petit éclair de rien du tout.
Il invoqua à nouveau son Casier Judiciaire pour relire la page « Jonh » tout en répétant d’un ton las :
- « si tu veux savoir quelque chose demande-moi directement »… Pff.. Bien sûr, comme si tu allais sincèrement me raconter tout ça de toi-même. ‘Faut pas me prendre pour un poisson rouge, matelot.

Pour ma part, j'étais dans les Terres Gelées et j'aidais une gosse à retrouver son ombre. Elle n'aurait pas réussi, sans moi. Et mon ami a lui aussi aidé une jeune femme qui nous a prédit l'événement qu'on a visiblement tous vécu. Ce dont elle ne m'avait pas prévenu, par contre, c'est que je tomberais sur des gens détestables comme Eve... *... ou toi*, pensa-t-il.

- Enfin bon ! C'est la vie, hein ? Vu qu’on s’est « expliqué », je suppose qu’on peut repartir sur des bases saines et dans la bonne humeur, j’ai pas raison, « Zeus » ?

Sydney était un homme difficile à convaincre, même si on lui disait la vérité. Cela dit Jonh avait réussit à gagner la confiance de Liam, alors ce n'était pas ce pirate qui allait lui faire peur. D'ailleurs le dépressif espérait que son ami ne soit pas en train de faire n'importe quoi. Si lui pouvait profiter de son absence pour se donner la mort, l'ancien taulard pouvait revenir à ses premières occupations.

Le souvenir que Jonh avait vu n'expliquait pas vraiment le comportement de Sydney, alors qu'il se massait la joue sans avoir rien reçu, son interlocuteur lui en mit vraiment une. Sous la surprise le dépressif écarquilla les yeux.

- Non mais ça va pas !

En fait ce mec était tout simplement fou ! Il venait de le frapper sans aucune raison et en plus racontait qu'il l'avait menacé. Le coup final fut lorsque Sydney se mit soudain à grogner et à aboyer comme un chien, en rapport avec le caniche.

* Tout va bien Jonh...Respire...tout va bien...*

Le fou fit apparaître à nouveau son cahier, ne croyant pas un seul instant que Jonh allait lui répondre sincèrement. Il était impossible de raisonner un fou de toute façon. Que ça soit sur ses intentions ou sur des actes. Mais si il voulait jouer au "j'en ai rien à foutre" Jonh pouvait aussi y participer.

- Pourquoi tu me raconte ta vie si tu crois pas ce que je raconte ? A moins que toi aussi tu me raconte de la merde

C'était mal partie pour repartir sur des bases saines et dans la bonne humeur. De toute façon ce dernier concept échappait totalement à Jonh qui tiqua à son nouveau nom. Était ce de la jalousie ? Jonh secoua la tête tellement c'était ridicule et finit par tendre sa main à Sydney, pour signer une trève. Bien que Jonh n'ait jamais voulu de mal à son interlocuteur.

- Contentons nous de résoudre ce conflit entre les deux îles le plus rapidement possible...et ne me fait pas regretter de nous avoir sauvé du Kraken en m'appelant Zeus

Il avait quand même loupé une occasion en or d'en finir. Mais se faire tuer par un poulpe c'était vraiment moche comme mort. Et puis dans la sienne il ne voulait pas entraîner d'autres personnes. Non, le dépressif voulait crever seul. Perdu dans ses pensées sombres il n'écoutait même plus Sydney, recouvert par son nuage gris.

Jonh paraissait totalement incrédule après la gifle que le pirate lui avait donnée. Comme s’il ne savait pas en quoi il l’avait méritée. Pff.. Ridicule.
Sydney avait du mal à comprendre Jonh et ne comprenait pas non plus qu’on ne puisse pas le comprendre lui. Pourquoi il lui racontait sa vie ?
- « Pourquoi je te raconte ma vie ? » Ben par politesse, moussaillon ! C’est pas ce que vous faites entres gens civilisés ? La politesse aussi c’est un mensonge hypocrite et pourtant c’est un truc bien, non ? Nécessaire, même ! Enfin bon. Je suppose que dans ton pays on s’en fout, probablement…

Bras croisés et mine boudeuse, Sydney mit un petit temps à remarquer la main que le dépressif lui tendait. Il chercha son regard pour y discerner une trace d’honnêteté ou de tromperie, mais n’y voyant ni l’un, ni l’autre, il décroisa les bras et attrapa la main de Jonh. Une trêve pouvait être bénéfique, à fortiori si cela permettait de faire pression sur Eve par la suite. Et puis eh : « l’ennemi de mon ennemi est mon ami », il paraît.

C’était quoi..? Une sorte de marché ? De pacte à deux deniers ? D’accord, mais Sydney avait lui aussi quelque chose à demander.
- J’arrête de t’appeler Zeus si tu arrêtes de me traiter de paranoïaque. C’est très offensant et impoli de ta part.
Ô, combien de marins ? Combien de capitaines l’appelleraient encore « paranoïaque » tout au long de son aventure à Dreamland ? A croire que cela ne cesserait jamais ; ils allaient vraiment finir par lui faire croire en leurs conneries ! S’ils s’étaient tous passés le mot, alors c’était une très mauvaise blague de très grande envergure. Et Sydney n’aimait pas être au centre d’histoires de grande envergure.

Sur ces mots, les deux compères s’accordèrent à entrer dans la chambre des généraux ; au menu : discussions sur la stratégie pendant des heures ! Barbant.
Le capitaine poussa les deux énormes portes les séparant des génies militaires et entra le premier. On l’accueillit avec un regard désapprobateur dont la suite ne fut pas « bonjour » mais :
- Vous n’annoncez pas l’arrivée de notre seigneur tout puissant, Zeus ?!
Syd’ roula des yeux tout en soupirant puis, avec son pouce, il désigna Jonh par-dessus son épaule.
- « Zeus ».
Bien entendu, lui pouvait aller se faire voir car les atlantes n’avaient plus d’yeux que pour leur idole météorologique. Mis de mauvaise humeur d’entrée, le corsaire au bandana alla s’asseoir au siège qu’on lui désigna, juste à gauche de celui de Jonh qui, lui, était en bout de table. La place d’honneur pour le dieu des dieux, évidemment… Tellement cliché.

Les seigneurs de guerre se levèrent tous avec déférence et admiration à l’entrée du dépressif. Sydney prit la liberté d’abréger ces conneries religieuses en ouvrant le bal des questions/réponses :
- ‘Faudra quand même songer à nous expliquer le contexte, messieurs. Par exemple, ils sont OÙ, vos ennemis ? Ils viennent d’où ?! « Vengeance », vous n’avez que ce mot-là à la bouche mais du coup, vous en oubliez les informations utiles !
L’un des généraux, le plus décoré dans tous les sens du terme, se leva et se présenta brièvement.
- Mon nom est Demios, général en chef des armées d’Atlantis. Permettez-moi de répondre à vos questions, monseigneur. Le « monseigneur » était bien sûr adressé à Jonh comme si c’eut été lui qui avait posé la question. Sydney avait l’impression d’être royalement ignoré ; il serrait les poings sous la table, fulminant.
- Il y a 153 ans de cela, notre belle ville était encore à la surface, baignée dans les rayons du Soleil et bercée par les flots cléments. Mais elle s’est mise à sombrer dans les flots sans que nous sachions pourquoi. Nous ne remettons pas en cause vos raisons, seigneur, et nous sommes d’ailleurs reconnaissants que vous nous ayez permis de respirer grâce à cette bulle qui nous entoure. Il désigna la paroi fine et translucide qui séparait la ville de la noyade certaine. Ils comptaient se reposer sur ça combien de temps, encore ? Ça ne durerait pas éternellement, songea le pirate.

- Lorsque la ville a cessé de sombrer, nous nous sommes rendus compte qu’Atlantis avait été arrêtée par Thalassa, la ville de nos ennemis les tritons. Ils sont donc juste en-dessous de nous. Vous pourrez voir par endroits des tours à l’architecture différente de la nôtre percer le sol : ce sont des bâtiments tritons qu’Atlantis a recouvert et c’est également par ces endroits que les tritons viennent nous tourmenter.
*Ben pourquoi vous n’avez pas fait péter les tours ou essayé de les condamner*, interrogeait en pensée le parano’. Ça semblait tellement évident ; ces atlantes devaient avoir perdu quelques neurones à force de rester sous l’eau. Il se tourna vers Jonh et le fixa avec un regard qui traduisait explicitement tout le mépris qu’il avait envers ce peuple marin. Décidément, il était vraiment tombé dans un lieu minable.