L'Antique Légende

Elle n’avait pas réagi, c’était donc bien la preuve que Jade et Milly n’étaient qu’une seule personne. Les raisons de ce changement d’identité restaient secrètes, mais cela n’était pas ses affaires, jusqu’à ce qu’elle décide de partager ses secrets évidemment. Qui savait ce qui allait se passer d’ici là, et comment leur amitié allait évoluer. Il espérait qu’elle serait maintenue malgré tout, mais tout pouvait changer en quelque temps. Un peu comme Sydney qu’il ne pouvait pas blairer à leur rencontre, et qui finalement était devenu son meilleur ami ici. Dreamland était complexe, et il en était de même des voyageurs.

Cependant cela n’excluait pas que certains de ces voyageurs soient sympathique et très humains, comme Jade, qui l’aidait à résoudre l’énigme du Diamant Sauvage. Ses paroles étaient beaucoup plus franches, et sa sincérité alla visiblement droit au cœur de l’artéfact mythique. Si le Diamant n’avait pas eu de conscience, ils auraient bien l’air débile, mais toute l’atmosphère magique qui enveloppait la recherche de cette pierre rendait le moment très tendu, et leur survie dépendait tout entièrement de la réaction du cœur de l’île. Jake lança un regard à Jade, qui lui rendit. Tout se jouait maintenant.

La réponse silencieuse et chaleureuse ne se fit pas attendre, et là où Jung avait échoué, ils avaient réussi. Peut-être n’avait-il pas eu de décision sage et avait-il gagné sa sagesse lors de son enfermement, ou ne l’avait-il jamais vraiment gagné. Cela ils ne le sauraient probablement jamais. Le Diamant avait écouté leurs prières, et une fois téléportés à l’extérieur avec leurs affaires, seuls des sourires pouvaient se lire sur leurs visages. L’émotion et le sentiment de victoire qui emplissait le thermoréactif lui fit oublier tous ses soucis, et la beauté du paysage étant à couper le souffle, rien ne pouvait prévoir ce qui allait se passer. Le soleil se dessinait entre la terre renversée et l’île, leur montrant la voie à suivre dans l’écosystème du Diamant.

Tout cela était bien beau, et  il était sur le point de partager sa joie avec son amie en la prenant dans ses bras, mais  il n’en eut malheureusement pas l’occasion. Le sol sous eux s’ébrouait de tremblements d’une telle intensité qu’ils furent mis à terre en moins de temps qu’il ne fallait pour qu’ils réalisent ce qui était en train de se passer. Comme si la réussite de leur mission se soldait par une catastrophe sur l’île, le Dieu Quetzalcóatl en personne venait leur passer le bonjour. Son cri perçant agressait les oreilles, et sa présence mortelle était imposante.

Presque autant choqué qu’il était émerveillé l’instant d’avant, Jake, désemparé, affichait sur son visage l’épouvante qui régnait en lui. Le vent qui soufflait en bourrasques violentes tout comme dans la salle des vents ajoutait à l’ampleur du phénomène. Ils venaient de se prendre une grosse claque dans la gueule. Il aurait  pu rester une éternité figé dans cette position si leur vie n’était pas en jeu. Pour l’instant, le Dieu serpent semblait graviter à une vitesse vertigineuse autour de l’île dans le but de repérer les envahisseurs. Il fallait se mettre  à couvert.

Dans le bruit assourdissant qui régnait sur l’île, entre la discrète faune qui se mettait à l’abri et les feuilles qui bruissaient, Jake rampa avec difficulté sous la protection de quelques arbres qui servaient à masquer l’entrée de la grotte découverte par accident. Il rapprocha sa tête de celle de Jade, pour pouvoir communiquer sans avoir à se faire repérer par le serpent.

-C’est quoi ce bordel ! Et moi qui croyais qu’on en avait fini avec ça. Au moins on est sorti de la salle du Diamant, mais là c’est pas mieux. Il va falloir attendre qu’on puisse marcher sans tomber. Heureusement pour nous que la température ait éteint mes flammes. Par contre, si on peut progresser à couvert pendant une partie du trajet, je sais pas comment on va faire pour repasser par les chaînes. Si t’as  une idée …

Une fois le tangage de l’île limité  à un seuil acceptable, ils purent se relever, et rééquiper leur sacs. Le Dieu Quetzalcóatl continuait  de tourner dans les cieux entre les deux terres, et restait de temps en temps au-dessus d’une zone particulière, la bombardant  en même temps de roches mortelles. Ils allaient avoir besoin d’une sacrée chance pour ressortir d’ici sans encombre. C’était effrayant, l’immensité de pouvoir de destruction d’une seule entité, et le plus vite ils seraient sortis de l’île, le mieux cela serait pour leur cœur. D’un hochement de tête synchrone, ils se lancèrent dans la descente, se mettant à couvert quand ils le pouvaient et en restant le moins de temps possible au même endroit.

La descente de ce qu’ils avaient grimpé de la montagne fut rapide, et ils arrivèrent à la lisière de la forêt. Il était presque  impossible de reprendre le chemin de l’aller, tout était encore plus accidenté qu'avant. Mais rien ne disait qu’ils n’allaient pas  pouvoir rentrer à temps. Le thermoréactif s’octroya quelques gorgées d’eau, et se tourna en direction de la psychotique. Il avait encore du mal à réaliser l’ampleur de ce qu’il se passait, et des risques qu’ils couraient.

La lumière était si intense que tout ce que pouvait voir Jade était un blanc aveuglant. Elle baignait dans une chaleur douce et réconfortante qui rappelait les sensations d'un fœtus dans le ventre de sa mère. Cette sensation de bien-être, de flottement, dura pendant une poignée de secondes qui sembla durer une éternité, après quoi ses pieds touchèrent le sol à l'instar de ceux de Jake. Plus de lumière éblouissante, juste un paysage à la beauté irréelle qui s'étendait à l'infini devant eux. L'adolescente commençait à se faire à cette vue renversée, elle put donc profiter sans être troublée du plus beau coucher de soleil de sa vie. L'espace entre le sol de l'île et la terre ferme semblait s'être embrasé, et au milieu de ce ciel rouge sang surgit l'Horreur.

D'abord la terre se mit à gronder. Doucement, puis de plus en plus fort jusqu'à pousser la psychotique à poser un genou à terre pour ne pas dévaler la pente tête la première sous le coup des secousses et du vent violent. Qu'est-ce qui se passait au juste ? A dire vrai, Jay se serait passée avec plaisir de la réponse. La vue de Quetzalcoatl s'extirpant du sol dans une pluie de roches avant d'aller patrouiller, menaçant, dans cette tranche de ciel entre deux terres, la glaça d'effroi.

Pourquoi ?! N'avaient-ils pas réussi ? Ils n'avaient rien volé, ils avaient juste demandé à rentrer chez eux en laissant l'île en paix. Ils avaient sacrifié leurs rêves, leurs espoirs, tout ça pour le bien du monde des rêves. Et qu'avaient-ils en récompense de leurs efforts ? Une punition monstrueuse. Ce serpent géant n'était-il pas censé être un dieu ? Il aurait dû savoir, comprendre et accepter... au lieu de quoi il tournoyait, aux aguets, dans le but de les trouver et les tuer. Ça devenait presque de l'acharnement.

- Heureuse de voir comment nos bonnes actions sont récompensées... grommela Jade entre ses dents, le visage sombre.

Non seulement ils avaient fait tout le trajet et les épreuves pour rien, mais en plus on tentait de les rayer de la surface de la terre. Vie de merde. Et si Jake partageait son incompréhension, il privilégiait la réflexion à l'amertume. Voilà qu'il débattait de la meilleure façon de se tirer de là... et c'est ce qui extirpa l'adolescente de sa spirale négative. Ils n'avaient pas de temps à perdre en ruminements. Le thermoréactif avait raison : ce qu'ils devaient faire c'était se bouger le cul pour se tirer de ce guêpier.

Sur le papier, ça ne semblait pas très compliqué. Ce qu'ils avaient fait dans un sens, ils pourraient le faire dans l'autre. Ils avaient tracé un chemin dans la jungle qu'il suffisait de prendre à rebrousse poil. Le terrain serait accidenté mais c'était le cas de l'île entière, alors autant conserver un chemin qu'ils avaient déjà emprunté. Le seul vrai problème, c'était les chaînes. Avec ce vent, la descente risquait d'être mortelle. Plus qu'en temps normal, ce qui représentait déjà une véritable épreuve.

- On reprend le chemin de l'aller à travers la jungle, les arbres nous protégeront du regard de ce... ce truc. Pour les chaînes, tout serait plus facile si je pouvais voler, mais ça dépend pas vraiment de m...

Elle s'interrompit alors que le duo se mettait d'accord pour entamer discrètement la descente vers la jungle en contrebas. Qu'est-ce qu'elle pouvait être stupide parfois ! Sa main se referma sur le cristal qui pendait autour de son cou au côté de sa croix. Hope... une fois encore il était leur dernier espoir. Le moins qu'on puisse dire était que son nom n'avait pas été choisi au hasard. Jade ne proposa son plan qu'une fois à l’abri sous le couvert des arbres, alors que Jake s'octroyait quelques gorgées d'eau.

- J'ai réfléchis pour les chaînes et je pense qu'on pourrait faire appel à Hope. Par contre... je pense pas qu'on puisse se permettre de traverser toute l'île sur son dos. Ce machin nous aplatirait comme des mouches, mieux faut attendre le dernier moment et rejoindre la terre ferme en longeant les maillons. Je doute que Quetzy' s'amuse à se jeter sur les liens de l'île pour nous avoir. Ce serait détruire ce qu'il protège, je pense vraiment que ça peut marcher.

Bon, en réalité elle était loin d'être confiante, mais parfois il fallait savoir se mentir à soi-même. Elle but un peu à son tour et le duo entama sa marche dans la jungle. Avec la nuit qui tombait la chaleur devenait plus supportable mais l'obscurité rendait la marche incertaine, voire carrément périlleuse. La bonne jumelle cessa de compter le nombre de fois où elle se prit les pieds dans des racines, ni celles où elle sentit quelque chose d'indéterminé la frôler. Son cœur réalisait un véritable sprint dans sa poitrine alors qu'elle se forçait à avancer malgré la fatigue et la faim. Pas de temps pour une sieste ou un pique-nique, surtout pas avec les pierres qui chutaient parfois à quelques mètres d'eux. Les morceaux d'île encore accrochés aux écailles de Quetzalcoatl prenaient à malin plaisir à chuter à une fréquence aussi aléatoire que leurs emplacements...

-Ouais ça peut marcher, après tout c’est le gardien de l’île. Faut juste espérer qu’on soit encore en vie jusqu'aux chaines. C’était déjà dangereux avant, alors maintenant qu’on a  un dieu Aztèque à nos trousses …

Il avait beau râler sur la situation, ça pourrait être bien pire. La chance avait fait qu’il s’entende bien avec Jade, et la dernière chose dont il aurait voulu c’était de s’engueuler avec ses compagnons de route. Là ils étaient synchros, et ça faisait chaud au cœur. Il fallait encore qu’il lui pose des questions, mais les réponses n’auraient pas vraiment de répercussions sur ce qu’il pensait d’elle. Ils auraient tout le temps pour cela une fois l’île quittée et le Dieu abandonné, à la seule condition qu’ils sortent de l’île vivants et à temps.

Une fois leur soif satisfaite, ils purent repartir, et se relancer  dans la jungle qui s’obscurcissait avec le temps. Leur progression se compliquait de plus en plus, et, ne pouvant plus vraiment regarder où ils marchaient, l’impression de faire du sur place se faisait ressentir. Heureusement pour eux, il n’avait plus ses flammes, sinon le Game Over aurait eu lieu depuis longtemps. Néanmoins une vision nocturne aurait été utile, et ils furent bien chanceux de ne pas se fouler les chevilles. Ses sens étaient aux aguets, et les fausses alertes que son corps lui renvoyaient lui faisait bondir le cœur dans la poitrine.

C’était limite plus oppressant que le chemin de l’aller. Mais c’était surtout plus dangereux, et la peur mêlée à l’urgence et au Dieu serpent qui volait au-dessus de leur tête régnait dans le cerveau du thermoréactif à comportement normal. La jungle avait beau être chaude, l’absence de soleil changeait tout, si bien que la luminosité qui aurait pu venir plus tard avec la lune ne risquait pas de venir les aider. Pas de source de lumière générale, donc pas de lumière du tout.

Malgré les chutes de roches et la visibilité réduites, et la nuit qui tombait, ils progressaient. S’arrêtant de temps en temps pour reprendre leur souffle, et repartant tout de suite après de peur de manquer de temps  ou de se faire attraper, ils faisaient leur chemin à travers cette jungle de mauvais augure. La nuit devait être tombée depuis  un certain temps, car les chaines de l’île luisaient au loin à la lumière de la lune. C’était leur seul point de repère, et la seule façon de voir leur progression. Elles étaient plus proche qu’au début, c’était sûr, mais dans quelle mesure ?

La fatigue commençait  à le gagner, et son estomac commençait à lui demander pitance. Cependant, toutes les autres émotions prenaient le dessus, et il avait  plus envie de se pisser dessus qu’autre chose. Jade elle aussi tenait bon, ce n’était pas le moment d’abandonner. Mais la motivation, ça  ils l’avaient, le stress étant un bon stimulant  psychologique, il les poussait à continuer malgré tout ce qui pouvait se passer. Quand on essayait de survivre, le moins important passait au second plan.

Quelques heures plus tard, et beaucoup de sueurs froides écoulées, un passage plus familier vint à son œil. Il  reconnaissait certains enchainements d’arbres, plus espacés que dans la jungle profonde. Il leva les yeux, et vit les chaines qui étaient plus proches que jamais. Ils étaient bientôt arrivés dans la plaine où leur combat s’était déroulé, il ne leur restait que quelques poignées de minutes  à passer sur l’île. La vie les attendait, et les reflets de la lune sur les maillons des liens de l’île se faisaient plus forts.

-On y est presque, chuchota-t-il à l’adresse de la psychotique.

Et en effet, l’endroit à découvert où les chaines prenaient appui se dressait devant eux. Les vestiges de leur bref combat étaient bien là, et il n’y avait aucun doute, la phase finale de leur plan pour s’échapper de l’île était en marche. Son cœur battait la chamade, et il sentait son sang pulser dans tout son corps. La fatigue physique et mentale s’ajoutait à tout cela, amplifiant le phénomène. Il allait commencer à être sur le bout de ses forces, et il allait bientôt tirer sur ses réserves de force. Une seule envie dominait : retrouver son lit douillet.

Ses yeux se tournèrent en direction de Jade, et d’un commun accord silencieux, ils scrutèrent le ciel en attendant que Quetzy’ parte de l’autre côté, ou ne bouge plus. Il prit la main de Jade en la serrant tendrement.

-Prête ?

Question rhétorique, réponse affirmative  ou négative, rien ne pouvait changer, le moment était venu. Il lâcha la main de son amie, et s’élança à sa suite dans la phase critique de leur plan. S’il était possible d’établir un record du monde des voyageurs de Dreamland en vitesse sur un île volante, ils étaient sûr de tout casser. Ils filaient à toute vitesse, et il s’en fallu de peu pour que Jake se plante. Ils avaient fait les trois quart du chemin, et toujours rien. Cela ne présageait rien de bon. Il vit Jade devant lui sortir la pierre et se préparer.

Puis, un rugissement puissant comme jamais retentit dans leur dos. Il ne prit même pas la peine de se retourner, s’ils devaient y laisser la peau, autant le faire le plus tard possible. Puisant dans ses jambes, et respirant à grandes bouffées d’air, il sprinta, rattrapant la petite avance que la psychotique avait maintenue. Il sentait que le Quetzalcóatl se rapprochait, mais les chaines et le vide étaient plus proches, heureusement pour eux. Comme exauçant leur vœu le plus cher, Hope apparut, et sans prendre le temps de regarder dernière eux, ils furent sur son dos.

Ils s’envolèrent vers la liberté, dans la nuit éclairée par la lune, vers la Terre à l’endroit.

L'obscurité étouffante qui rendait leur progression hasardeuse donnait l'impression à Jade de se déplacer dans une énorme meule de foin. Partout des branches pour la fouetter, des feuilles pour la chatouiller... son corps entier trempé de sueur la démangeait atrocement. Elle avait dû passer dans un buisson d'orties dans le vouloir, ou autre joyeuseté du même acabit. Se plaindre ? Geindre ? Elle aurait pu, ce n'était d'ailleurs pas l'envie qui manquait ! Mais elle n'avait ni le temps ni l'énergie pour ça. Le souffle court et le cœur battant la chamade, l'adolescente avait à peine la force de mettre un pied devant l'autre si bien qu'elle n'arrivait même pas à trouver une once de force pour laisser transparaître sa nature peureuse et alarmiste.

La fatigue et la faim commençaient sérieusement à la travailler et la seule chose qui la protégeait d'une furieuse envie d'uriner était la chaleur ambiante associée à l'effort physique. Elle transpirait tellement qu'il aurait fallut un miracle pour qu'il lui reste de l'eau à évacuer autrement. A chaque fois qu'elle s'apprêtait à demander une pause infime ne serait-ce que pour se reposer, une pierre chutait non loin en emportant avec elle toute envie de s'arrêter.

- Qui a besoin de manger ou de dormir de nos jours ? C'est tellement mainstream... murmurait Jay pour elle-même, autant par ironie que par tentative désespérée de se convaincre.

Après un temps qui paru s'étirer éternellement en longueur -une heure ? Deux ? Trois ? La psychotique aurait été incapable de le déterminer – Jake lui chuchota des paroles rassurantes. Ils y étaient presque ? Dans la pénombre la bonne jumelle aurait eu du mal à reconnaître ses propres pieds mais elle voulait bien croire son camarade sur parole. Elle avait besoin de le croire. Et elle le fit à raison. Bientôt se dessinèrent devant eux les contours du champ de bataille où les attendaient encore sagement les bandits englués. Les regards qu'ils leur jetèrent hurlaient aussi bien leur désespoir que ne l'auraient fait des mots. Si Jake et Jade ne faisaient rien, ils resteraient ici pour toujours. Ils disparaîtraient avec l'île et plus personne n'entendrait parler d'eux... même s'ils les avaient attaqué, la jeune fille trouvait cette fin bien trop cruelle. Mais quoi faire ? Ils ne pouvaient se permettre de mettre leurs vies en péril pour sauver ceux qui avaient voulu les tuer.

Cette conclusion était évidente et pourtant ! Jay se sentait horriblement coupable. C'était son objet, c'était elle qui les avait condamné ainsi. La liste de ses pêchers était bien assez longue pour avoir envie de rajouter à ça un triple meurtre. Sans consulter le thermoréactif, elle prit à ce dernier la machette qui dépassait de sa hotte et la lança au chef du trio de bandits alors qu'elle se mettait à courir vers le bord de l'île après avoir pressé la main de Jake en réponse silencieuse à sa question. Tout ce qu'elle eut le temps de leur crier alors que l'arme tournoyait dans les airs fut :

- Prenez-ça et barrez-vous !

S'ils étaient assez chanceux et rapides, l'arme devrait leur permettre de se libérer de la gangue collante pour fuir cet endroit maudit. Et s'ils n'y arrivaient pas... Jade n'auraient pas à avoir de remord. En leur offrant cette arme elle avait déjà fait bien plus que n'importe qui à sa place.

La bonne jumelle courait à en perdre haleine, l'adrénaline tuant dans l’œuf la douleur de ses jambes fatiguées. Le rugissement de Quetzalcoatl dans son dos ne fit que lui donner des ailes. Foncer sans s'arrêter, ne pas se retourner... elle commençait à avoir l'habitude. Avait-elle déjà fait plus que fuir depuis qu'elle avait mis les pieds à Dreamland ? Elle avalait les mètres sans même s'en rendre compte et bientôt devant leurs pieds : le vide. Sa main crispée sur le cristal qui lui pendait autour du cou trembla imperceptiblement alors que Jake et elle sautaient dans le vide.

Je vais mourir. Cette pensée s'imposait dans son esprit comme une évidence malgré la lueur bleue qui émanait de son bijou ne signifiant qu'une chose : l'arrivée de Hope. Le duo atterrit sur le dos de la chimère et se cramponna tant bien que mal alors que le dieu aztèque fonçait vers eux, sa bouche grande ouverte comme pour ne faire qu'une bouchée d'eux. L'invocation vira brutalement pour se cacher derrière la chaîne, provoquant la chute de l'arc et des flèches que le thermoréactif avait « emprunté » aux voleurs. Ni Jade ni lui n'eurent le temps de commenter la perte, trop occupés qu'ils étaient à ne pas tomber.

Le vent, les acrobaties de leur monture, la peur... tous ces facteurs semblaient s'associer pour leur apprendre à voler. Ils tenaient bon malgré tout et bientôt leur poursuivant se désintéressa d'eux. A quoi bon poursuivre ceux qui quittaient l'île, les mains vides qui plus est ? Mais pas le temps de soupirer de soulagement...

- On l'a fait ! On l'a...AAAAAAAAAAAAAAAAAHHHHHH !!

Sans le savoir, le groupe venait de passer le seuil de renversement de gravité. Hope, totalement perturbé et incapable de discerner le haut du bas, la passa encore et encore, bel et bien 8 fois de suite. Si Jay réussit à ne pas lâcher prise, elle ne put s'empêcher de vomir de la bile qui prit un malin plaisir à les asperger dans ce rouler-bouler cauchemardesque. De quoi compléter un tableau déjà bien chargé.

Lorsque la chimère se posa enfin dans une clairière, l'adolescente se laissa glisser jusqu'au sol pour finir de vider son estomac. Elle était sale et exsangue, mais elle était en vie. Quoi demander de plus ?

- Désolée... je te paierai le teinturier, souffla-t-elle après un dernier haut-le-cœur.

[HRP : Syd' m'avait prévenu qu'on ne pourrait rien garder de ce qu'on avait pris aux voleurs et qu'on les perdrait à la sortie de l'île. Je me suis donc chargée de te défausser de tes objets mal acquis. ]

Dès l'instant où Jade invoqua sa chimère, l’œil fou du dieu serpent se braqua, comme s'il était inéluctable que son regard ne se pose pas sur quelque forme de vie qui venait empiéter sur son royaume aérien. Effectuant une contorsion rapide, il se rua gueule ouverte sur les voyageurs et les rattrapa rapidement. La masse d'air qu'il avait déplacée dans sa ruée féroce emportait les oiseaux dans son sillage, de même que quelques végétaux arrachés à leurs racines. L'île tangua une nouvelle fois et les chaînes dansèrent à nouveau comme des serpents énervés, prêtes à fouetter tout malheureux à leur portée.

Heureusement, la petite équipe échappa de peu aux crocs de Quetzalcoatl qui s'arrêta près de la limite gravitationnelle de l'île. Il regarda Hope s'éloigner à tire d'aile sans pour autant exprimer quelque frustration que ce soit. Son rôle était de garder l'île et le Diamant, or ces intrus ne représentaient désormais plus une menace ni pour l'un, ni pour l'autre. Une fois assuré que ces gêneurs envahissants ne comptaient pas revenir, le serpent divin continua d'orbiter autour de l'île, impassible, comme si rien ne s'était passé.

Son regard impitoyable fut cependant à nouveau attiré, cette fois-ci par ces deux petites fourmis blessées qui grouillaient péniblement au sol, comme entravées. Un choc terrible retentit et le serpent s'enfouit sous terre pour ressortir à un autre endroit avec l'aisance d'un ver qui creuse dans une pomme. Deux nouvelles victimes venaient d'être ajoutées à son tableau de chasse, loin d'être les premières, loin d'être les dernières. Comme bien d'autres, celles-ci n'avaient tout simplement pas su fuir quand il en était encore temps.

Hope continua sa course jusqu'à atterrir doucement dans un coin dégagé de la jungle. Jade et Jake continuèrent à pieds un instant mais la route serait encore longue jusqu'à Miquiztli. Les cris d'animaux et les crissements d'insectes nocturnes n'avaient rien à envier au brouhaha diurne, seule la chaleur assommante avait laissé place à des température plus vivables ; l'humidité augmentait légèrement elle aussi.

Dans la poche de Jade, un objet se mit soudain à luire d'un vert phosphorescent tout en émettant une vibration à peine perceptible. Lorsque la bonne jumelle,  intriguée, le prit pour l'observer, elle put constater qu'il s'agissait en fait d'une sorte d'insecte à la croisée entre la luciole et le scarabée. Ce petit hôte profita qu'on ne l'empoignât point pour sortir ses ailes. Désormais en vol stationnaire à quelques mètres des deux voyageurs, celui-ci attendit.
Au plus profond de leur âme, les jeunes gens se sentaient appelés, interpellés par une entité qui s'adressait à eux à travers ce minuscule avatar.

La compréhension ne se fit par aucun mot, aucun son ni même un signe. Seulement un enchaînement de sentiments, de sensations et d'idées floues qui traversaient leurs corps pour leur délivrer un message que la raison ne saurait comprendre clairement, à l'inverse du cœur.
'On' les guida ainsi à travers un dédale sinueux de branches et de racines jusqu'à un recoin perdu de la jungle où siégeait une stèle aux gravures ésotériques. A sa base, un vieux sac à dos était posé et attendait ici depuis des temps reculés sans pour autant avoir souffert de l'emprise de la nature d'une quelconque façon. Le petit guide tournoya rapidement au-dessus de celui-ci ; les voyageurs se savaient invités à prendre possession de son contenu.

Mystérieux et continu, le flot d'informations qu'ils recevaient leur fit comprendre que ces biens avaient auparavant appartenu au psychanalyste qui les avait guidés jusqu'au Diamant. Ces trésors devaient être une récompense pour ceux dont le choix face à ce dernier avait satisfait l'esprit du vieil homme, mais elle nécessitaient une preuve de bonne foi, une chose pour permettre à la fois d'équilibrer la balance et de permettre au cycle éternel de reprendre son cours. Jade et Jake comprirent que ce que désirait leur bienfaiteur en retour, c'était le carnet qu'on leur avait confié.

La luciole s'empara donc du livre à la couverture de cuir à l'aide de ses pattes puissantes et s'envola en direction de l'île éternelle... juste avant que celle-ci ne disparaisse pour 1024 nouvelles années.
Les chaînes géantes disparurent également, ne laissant aucune traces et la présence du gardien de l'île semblait elle aussi lointaine...
L'entité aussi s'était tue, laissant place au silence dans les esprits encore quelque peu troublés du duo d'aventuriers qui purent ainsi se partager leur dû.

A l'intérieur du sac, parmi plusieurs babioles comme une montre à gousset ainsi qu'un carnet dans lequel étaient griffonnés des ébauches d'études sur l'interprétation des rêves et de l'inconscient, se trouvaient d'autres objets apparemment plus intéressant et davantage familiers. Seulement on les avait averti qu'ils ne pourraient en prendre que trois chacun.


[HRP] : Jade et Jake ont chacun le droit de prendre trois objets parmi les suivants ; il est possible de prendre un objet déjà choisi :
_ Une bourse de 600 rubz
_ Des dés du destin
_ La montre à gousset ornée.
_ Le carnet d'études psychanalytiques
_ Une pierre nécromancienne
_ Une plaquette de granite gravée de symboles aztèques
_ Une photographie de Carl Gustav Jung

Jamais avait-il autant eu peur de sa vie. Bon il pouvait se rajouter la médaille pour avoir sauté dans le vide d’une île magique, mais le Dieu Serpent qui voulait les attaquer ne le rassurait pas. Les possessions qu’il avait récoltées sur les bandits « libérés » tombèrent sur l’île, à tous jamais perdus dans le temps. Heureusement, il ne perdit rien de plus. S’accrochant ferme à Hope, et priant pour que le vol s’effectue sans aucun autre danger, il avait totalement oublié le changement de gravité. Tout autant que Hope, il fut déstabilisé, et si lui réussit à se retenir à la suite des changements successifs, Jade les aspergea.

Mais ça  il n’en avait strictement rien à foutre, car le plus important, c’est que Quetzy’ s’était désintéressé d’eux dès le moment qu’ils avaient franchi la barrière gravitationnelle. Une fois Hope stabilisé, et se dirigeant vers la terre ferme, il ne put s’empêcher un sourire radiant. Ils étaient vivants. Il se retint de pousser  un cri de joie, car  qui savait ce qui les attendait encore dans cette jungle, mais l’envie y était. Le vent caressait leur visage trempé, la nature plus accueillante leur tendait  une main chaleureuse.

Si seulement il y avait  un champ de tulipe, il serait bien parti pour y courir nu.

La clairière dans laquelle  ils atterrirent était tranquille, et visiblement loin de toute emmerde liée  au Diamant et à la ville aztèque. Le thermoréactif descendit de leur monture tout en lui faisant  un petit câlin. Une fois Jade et Jake descendus, Hope se secoua pour retirer la bile, ce qui aspergea de nouveau les deux voyageurs. Juste ses vêtements actuels avaient pris, ça allait. Il vérifia cependant dans sa hotte, mais elle avait réussi à être immunisée. Entre les éjections phalliques de Dakota et la bile de Jade, ses affaires en avaient subi des choses.

-Pas grave, de toute façon les seuls vêtements que je peux porter sont limités. Je suis juste content qu’on soit vivants. J’ai juste envie d’une bonne douche et d’un bon lit confortable. Et partir. Loin. Avec les gens  que j’aime et avec qui je me sens bien. Et puis retrouver mon ami.

Avec sa main où était le bandana noir, il vint toucher son puzzle d’âme. Après tout Sydney pouvait le rejoindre à tout moment non ? Si jamais il se réveillait et revenait dans le monde des rêves. Il pourrait enfin savoir ce qui lui était arrivé à son Pirate. C’était fort probable qu’à ce moment  il ait lancé une remarque paranoïaque qui aurait fait rire le thermoréactif. Mais c’était aussi fort probable qu’il n’aurait jamais accepté de mettre les pieds sur l’île mythique. Un mal pour un bien ? Peut-être bien, mais le danger qu’ils avaient affronté sur l’île en valait-il la peine ? Ils étaient en quelque sorte rentrés bredouille de leur périple.

-Mais quelque chose me dit qu’il me rejoindra bientôt. Et toi ? Tu sais ce que tu veux faire ? T’as peut-être déjà des plans … Je ne sais pas vraiment comment tu le sens, mais … j’aimerai bien continuer à faire de la  route avec toi.

Il sourit à la psychotique. Il l’aimait bien. Elle était  une bonne amie, même celle qu’il préférait de toutes celle qu’il avait  pu avoir à Dreamland. Il y avait Dakota, mais on ne pouvait pas dire que c’était optimal comme arrangement. Après il y avait … Selene et éventuellement Melena. Mais il ne les connaisait que trop peu. Au final la seule amie sur qui il pensait compter était Jade. Une fille dont  il ne connaissait rien, mais avec qui il s’entendait plus que bien. Il se demandait si Sydney et elle s’entendrait bien. A tous les coups ça serait soit hilarant, soit effrayant. A voir.

Ils repartirent dans la jungle, en direction de la ville, pour récupérer ce qui restait de leurs affaires avant de continuer leur chemin. Leur environnement était  loin d’être paisible, mais ça restait moins effrayant que ce qu’ils avaient eu à subir jusque-là. Il faisait bon, et de temps en temps, ses flammes se ravivaient, pour s’éteindre juste après. Et puis un moment magique arriva, avec son lot de bonnes nouvelles. Tout était clair dans sa tête, il avait compris. Carl Gustav Jung ne les avait pas oublié, et tenait la promesse qu’il avait faite dans la salle du Diamant Sauvage.

Ses pas les guidèrent jusqu’à l’endroit où le sac du psychanalyste les attendait. Jake sortit le carnet de sa hotte, et le donna  à la luciole. Il était content, ravi, empli d’un sentiment d’avoir fait ce qu’il fallait. Tout comme après la libération par le Diamant, il se sentait bien. Et cette fois-ci aucun Dieu ne pouvait venir les déranger. Tout comme elle était apparue, l’île disparut une fois le carnet rapporté. C’était tout aussi magique et fantastique que leur périple, mais au moins le danger  était éloigné. L’île reviendrait une fois les 1024 ans passés, et c’était bien mieux ainsi.

Se penchant sur le sac, il regarda les possessions, et son cœur – et sa bourse qui voulait se remplir -commanda ses mains. Il prit la montre à gousset ornée, la plaquette de granite gravée de symboles aztèques, et la bourse de  600 rubz. Les deux possessions uniques lui rappelleraient à jamais son aventure sur l’île. Oui, jamais il  n’oublierait ce merveilleux – mais dangereux -voyage.

WOUAHOUOUOUH...AÏE !...YOUHOUOUOU !...AÏE AÏE AÏE, FUCK ! YEHEEEEH ! Chpoum !
Ian venait de glisser sur le dôme anti-voyageur d'Ellipse en braillant comme un âne et se retrouvait à présent les quatre fers en l'air dans une herbe haute et humide, entouré d'une végétation luxuriante.
Il faisait nuit, chaud mais pas trop.
Yééh, méga fun le manège à sensation, quel trip ! dit-il en se massant les fesses et en vérifiant si ses vêtement n'étaient pas tachés ou déchirés: Cool...Rien de grave.
Il se releva et regarda autour de lui: il avait atterri dans une jungle et était entouré d'arbres, de lianes, d'essences diverses et variées, odorantes et épanouies à souhait. Des oiseaux de nuit chantaient et hululaient. S'il avait prêté l'oreille il aurait pu entendre des feulements lointains, des glissements dans le feuillage opaque, plus proches, des craquements de bois mort mais son attention déjà bien dégradée était interpelée ailleurs: AÏE, MERDE ! ça pique !.
Il était entouré de moustiques, junte tout à fait normal si l'on tenait compte de la teneur hydrométrique de l'environnement et ils les attirait.. mais l'incident fut bien vite oublié.
Méga bath, je suis dans la jungle de Mooglie !.
D'une voix forte mais mélodieuse (car de la voix, il en avait et n'avait rien à envier aux chanteurs d'opéra tessiture ténor large, très large...!) il se mit à entonner, claquant des doigts, dansotant en rythme avec un accent Français à couper au couteau:
DANS LA JUNGLE TERRIBLE JUNGLE LE LION EST MORT CE SOOOIIIR...
La ritournelle intempestive fut vite arrêtée par un détail qui surgit un peu plus loin.
Derrière un bosquet d'arbres resserrés, on pouvait apercevoir la Lune, signe d'une clairière et là, deux ombres se découpaient, pénétrant dans la forêt tropicale.
Ian n'avait pas peur: pour lui, un humain (ou quelque chose qui y ressemble) est un pote, alors deux...
Top cool, du monde ! HEEY, LES GARS ! ATTENDEZ-MOI ! lança t-il tout en courant vers les deux inconnus.
A mi-parcours il stoppa net d'un coup, le visage exprimant la plus grande surprise mêlée d'inquiétude: Bullshit ! j'ai oublié mon blouson...J'ai pas une tune, rien ! Qu'importe, il reprit sa course et arriva à hauteur des deux promeneurs.

Salut ! je m'appelle Ian, et vous ? Il examina rapidement les deux individus.
Wouah, j'ai du bol me voilà avec deux personnes aussi belles que dans les films au cinoche ! ils sont tous comme ça par chez vous ? non parce que en général, au cinéma tous les héros sont beaux, pas vrai ? t'imagine un boudin ? ça fait pas rêver !.
Il regardait avec admiration la petite jeune fille, toute blonde, toute menue avec de splendides yeux bleus quand une odeur âcre, ressemblant assez désagréablement à des relents de vomissures s'étala sous son nez. Il renifla et s'écria:
Oh mais ma pauvre, tu es malade ! ben oui, regarde, tu en as encore au coin des lèvres ! t'inquiète, je vais arranger ça. Sans attendre de réponse, il se baissa pour cueillir une poignée d'herbe et de feuilles vertes couvertes de rosée nocturne et s'attela à nettoyer le plus doucement et tendrement possible la bouche de l'adolescente avec toute la maigre concentration dont il était capable. Jetant un oeil vers le jeune homme, il lui lança: Moi c'est Hugo Boss, et toi ?.
Quand la toilette fut terminée, il admira son oeuvre et dit: ça y est, te voilà propre comme un sou neuf et jolie comme un coeur ! ça va mieux ?
Puis se tournant vers le jeune garçon: super classe tes fringues ! tu les as eu où ? enfin ça me regarde pas... Y'a pas un bled dans le coin avec un magasin de vêtements ? et un pressing, tu as quelques taches là.
La silhouette du garçon et surtout son regard lui plaisait. Il le trouvait sympa, la fille aussi d'ailleurs, ils allaient bien s'amuser !
Dommage que j'ai oublié de prendre ma tune sinon on serait allé dans un petit troquet boire un coke ou une bière... Il s'appelle comment votre bled, d'ailleurs ? enfin, c'est pas que soit important mais c'est toujours sympa de connaître le nom de là où on met les pieds, pas vrai ?.
Cela faisait déjà un petit moment que le corps de Ian ne tenait plus en place, mi-sautillant, alliant gestes des mains à la paroles, il n'arrêtait pas de bouger.
Bon, si on se tirait de là histoire d'aller se balader ailleurs parce que la campagne, c'est bien beau mais au bout d'un moment, on se fait chier, y'a rien à faire ! et il se mit à chanter le refrain de "Follow me, you can follow me" de Muse en imitant un chanteur sur scène.

Les jambes en coton, Jade avait eu un mal fou à se remettre debout. Ça avait laissé à Jake tout le temps nécessaire pour lui dire qu'il ne comptait pas la lapider avec des petits cailloux pour l'incident gastrique. C'était peut-être ridicule mais ces paroles soulageaient grandement l'adolescente. Quand on avait peu d'alliés on n'avait pas trop envie de les faire fuir avec des bombes à gerbe, surtout de nuit, en pleine jungle. Les bruits qui les entouraient n'avaient rien de rassurants. Le chuintement des feuilles, les grognements, le cri soudain d'un oiseau... on pouvait sentir toute la vie qui animait cette végétation. Une vie qui survivait souvent en ne faisant qu'une bouchée des gens paumés comme eux.

Et puis il fallait avouer qu'elle aimait bien le thermoréactif. Plus elle passait de temps avec lui plus elle s'en voulait de lui mentir. Ce n'était pas un mauvais bougre, elle savait à présent qu'il ne l'abandonnerait pas. L'entendre lui proposer de faire un bout de chemin avec lui remplissait le cœur de Jay de joie autant que de remords. Plus elle attendrait pour lui dire la vérité plus il lui en voudrait le moment venu, mais à l'instar des murs la jungle avait aussi ses oreilles. Et si quelqu'un l'entendait et en profitait pour tomber sur Elie en guise de vengeance ? Une voyageuse semi adepte, semi résistante... ce n'était définitivement pas viable.

- J'aimerais aussi mais... c'est un peu compliqué. Je dois retrouver ma soe... oh et puis merde !

Ras-le-bol de mentir à un garçon aussi adorable ! Jade se pencha vers lui, une main sur son épaule et lui chuchota à l'oreille juste assez bas pour n'être entendue que de lui :

- Je ne t'ai pas dit la vérité sur mon identité, mais c'est pas parce que je n'ai pas confiance. C'est parce qu'il ne faut pas que le gardien du coin sache qui je suis. Et il ne faut pas non plus qu'il sache que ma « soeur » et moi nous ne sommes qu'une seule et même personne, divisée en deux.

Elle recula, le rouge de ses joues à peine masqué par l'obscurité ambiante. Est-ce qu'il allait l'envoyer bouler ? Il n'avait pas l'air en tout cas. Et c'était presque comme s'il « savait ». Elle avait fait une boulette ? Qu'est-ce qu'elle avait pu dire pour qu'il se doute de ça ? Ce n'était pas le moment de discuter de ça néanmoins. Un étrange insecte venait de sortir de sa poche et semblait les appeler, plus profondément dans la jungle. Il dégageait ce même sentiment de vieux pépé rassurant que Jung et c'était suffisant pour que le duo lui emboîte le pas, disparaissant dans la végétation luxuriante.

- Je t'expliquerai mieux un autre jour, murmura Jade alors que le duo s'arrêtait devant un vieux sac-à-dos.

Voir ces récompenses cachées, c'était comme avoir la confirmation qu'ils avaient fait le bon choix. Léviathan et les prêtres leur auraient peut-être offert la lune mais le prix était trop élevé. La paye ne serait probablement pas faramineuse mais Jake et elle savaient qu'ils avaient pris la meilleure décision. Maintenant il allait falloir faire un nouveau choix...

Ses prunelles bleues voguaient d'un objet à l'autre, troublées par l'indécision. Le carnet ? Elle n'en comprenait même pas le titre, autant oublier. Une bourse rondelette ? Elle avait déjà largement assez d'argent pour survivre, devenir Picsou ne l'intéressait pas. Une pierre pour parler aux morts ? Tentant mais bien trop déprimant. Les dés représentaient un pari trop risqué. Que restait-il ? Une tablette mystérieuse, une jolie montre à gousset et... un sourire s'étira sur les lèvres de Jade. La photo sépia de Carlito, ça c'était vraiment swag ! Ça ne servait probablement à rien, mais ça ferait un joli souvenir. Elle n'avait pas connu ce vieux papy longtemps mais on croisait tellement rarement des gens sympas qu'on avait envie de garder une trace d'eux.

A peine ses courses finies qu'il lui sembla entendre une voix qui les interpellait. Aussitôt le corps de la psychotique se raidit, aux aguets. Qui ? Quand ? Comment ? Elle était persuadée qu'il n'y avait personne aux alentours il n'y avait pas moins de 5 minutes. Il était tombé du ciel ou quoi ? Et voilà que l'inconnu déboulait déjà comme un éléphant dans un magasin de porcelaine. Un éléphant à qui on aurait fourni un mégaphone.

- Il sort d'où ce type ?! Souffla Jade, héberluée.

La tenue de l'inconnue était tout aussi surprenante que le reste. A moitié classe, à moitié clownesque... on aurait cru qu'il avait choisi ses vêtements dans le noir le plus complet. Le miroitement des flammes de Jake laissait entrevoir toute l'étrangeté de l'accoutrement de Ian et Jade pu en profiter plus qu'à son tour quand il prit l'initiative de lui nettoyer le visage avec une poignée d'herbe. C'était... c'était juste tellement fou qu'elle resta immobile tout au long de l'opération à se demander si elle n'était pas en train de rêver dans son rêve.

Elle aurait bien répondu à la foule de question que le jeune homme posait, mais à dire vrai il ne laissait pas vraiment le temps de faire à ses interlocuteurs. Et plus il parlait, plus jade se demandait ce qu'il était. Voyageur ? Dreamlandien ? Humain ou... ou autre chose comme - je ne sais pas, moi – un lutin remastérisé ? Il n'avait pas l'air de connaître le coin, mais il n'était pas non plus surpris de se trouver là. L'ensemble était assez déstabilisant. C'est avec un pli d'anxiété au milieu du front que Jade réussit enfin à prendre la parole, interrompant le nouveau venu en pleines vocalises :

- Euh... ça peut paraître absurde mais d'où tu viens ? Et... et qu'est-ce que tu es ?

Bon, niveau politesse on pouvait repasser mais il fallait dire qu'étant donné le contexte c'était déjà étonnant qu'elle arrive à aligner deux mots avec une mâchoire décrochée par l'étonnement.

- Sinon moi c'est Milly et lui c'est Jake. Merci pour... le débarbouillage. Je suppose... Dans tous les cas, tu devrais parler moins fort. Tu vas attirer toutes les bestioles du coin sur nous, et je ne parle pas des moustiques...

Impossible de savoir à quoi le bijou réagit, mais là n'est pas la question. La gourmette maudite de Jade se mit subitement à frémir, libérant le mauvais sort y étant enfermé.

Spoiler:

Y a-t-il meilleure manière de faire connaissance ? Bienvenu à Dreamland Ian.

Meow !

Il prit ses deux nouvelles possessions, et les enroula dans le sweatshirt qu’il ne pouvait pas utiliser. Sa hotte commençait à être assez pleine, et il allait devoir s’occuper de trier ses affaires, ou de trouver un autre sac. Au moins les souvenirs de ce périple seraient bien en sécurité en attendant leur relogement.  
Jake releva les yeux vers la  psychotique. Elle se dévoilait et ses émotions se décoloraient sur ses paroles. Au moins, maintenant, ses soupçons étaient vérifiés à cent pour cent. Mais c’était un sentiment de soulagement qui se répandait dans le corps du thermoréactif. Elle s’était ouverte  à lui, et lui disait la vérité.

Touché par ces révélations, il avait envie de lui serrer la main, de lui montrer à quel point  il appréciait son honnêteté et son courage. Ce n’était pas facile de mettre fin aux mensonges, et il ne pouvait imaginer ce qu’elle avait enduré jusqu’à présent pour devoir ainsi dissimuler son identité. Cela signifiait donc qu’ils étaient bel et bien amis.
Avec cette pensée réconfortant en main, il se leva, et remit sa hotte sur son dos. Il se rapprocha de Jade, pour qu’ils puissent repartir et continuer leur chemin, mais l’esprit tordu de Dreamland en décida autrement.

Quelqu’un, ou quelque chose chantait à côté, à s’en crever les poumons. Par réflexe, il mit la main à sa batte de base-ball, et comme répondant à ses émotions, ses flammes se mirent à danser plus intensément. Les yeux rivés vers la direction du bruit, et la batte prête à être abattue, le gogo dancer vit un homme - qui semblait sortir d’un dessin animé - venir vers eux. Et là, ce fut l’incompréhension totale. Le trouble-fête avait commencé à débiter un flux de paroles qui ne se semblait pas connaître de fin. La seul chose que Jake arrivait  à formuler dans sa tête pouvait ressembler à quelque chose du genre *wow wow calme toi Johnny*.

Hésitant entre l’abandon total de toute volonté de comprendre, et l’envie de lui foutre un coup de batte pour l’éloigner d’eux, il fut content que Jade se soit lancée dans la discussion. Si ça se trouvait le pauvre avait été piqué. Mais la psychotique avait raison, ils ne connaissaient absolument rien de lui, à part que son tempérament était plutôt aux bavardages et à la surexcitation totale. C’était presque s’il avait oublié tout ce qui l’entourait. Et puis depuis quand se permettait-on de débarbouiller quelqu’un comme ça, surtout quand  on venait de le rencontrer ? Qu’est-ce que c’était cette manie de s’adresser différemment aux gens d’une seconde à l’autre ?

Autant Jake était au courant que ses émotions pouvaient varier, mais là, c’était hors de sa portée. C’était comme si trois cent personnes cohabitaient dans le même corps, prenant la possession de ses membres au tour à tour. Le spectacle était unique dans son genre. Au moins avec les questions posées, ils en sauraient mieux sur le spécimen qui leur avait  limite sauté à la gorge. Mais il restait curieux sur pleins d’autre chose. Ils verraient cela plus tard, à la condition qu’il se joigne à eux … ce qui n’était pas  gagné du point de vue du thermoréactif. Mais s’il en apprenait plus, et qu’il découvrait les motivations de cette créature, peut-être allait-il faire sa bonne action du jour ?

Mais l’introduction n’eut pas le temps de se dérouler. Pendant qu’Ian commençait à ouvrir la bouche pour répondre, son amie commençait à se métamorphoser devant leurs yeux. Non, il ne lui semblait pas que cela ce soit déjà passé en sa présence, et puis elle n’avait pas parlé d’une quelconque capacité  à devenir mi-homme mi-chat. Non, quelque chose hors de son contrôle était en train de se passer. Etait-elle toujours aux commandes de son corps ? Ou était-elle possédée ? Ou bien était-ce un nouveau pouvoir qui se manifestait ? Il lui semblait bien qu’elle n’était pas ailurophobe. C’était plus qu’étrange. Par précaution, il posa doucement sa hotte par terre, et poussa gentiment Ian de sa main pour qu’il s’éloigne un peu.

-C’est toujours toi ? demanda-t-il, avec hésitation. C’est Jake, tu me reconnais ?

Jake...Enchanté ! tu ressembles à un personnage de manga avec tes flammes dans les cheveux, je t'assure ! à un héro, quoi...

Le cerveau de Ian avait bien enregistré toutes les informations, toutes les questions mais aussi toutes les impressions diverses et variées, mêlées aux souvenirs, aux programmes TV préférés, aux courses à faire au supermarket avec maman..."Ah oui, ne pas oublier d'acheter des cérales", comme les flashs colorés d'un kaléidoscope tournant à grande vitesse.
Cependant, il était incapable de filtrer, de faire le tri, un peu comme si vous vouliez écouter une émission à la radio en branchant en même temps d'autres postes et la télévision.
Par chance, son attention fut focalisée pendant quelques instants sur Jake. Le jeune homme, aidé par sa comparse - ils ne seraient pas trop de deux - allaient peut-être pouvoir remettre de l'ordre dans ce chaos verbal et avoir des embryons de réponses à leurs interrogations.
...Enfin, je te dis Hugo Boss...Parfois je mets aussi du Calvin Klein, cela dépend de mon humeur et surtout de là où j'ai rangé le flacon ! tu vas à l'université ?
L'hyperactif avait perçu la méfiance de Jake; il en fut surpris car en général ce n'était pas l'impression qu'il donnait aux gens et désirait sincèrement le rassurer. Le problème est qu'il venait de voir la corolle en forme de mâchoires d'une plante carnivore énorme s'ouvrir sur une grosse araignée. Il regarda le spectacle un moment, ébahit, laissant les deux individus en carafes puis, sans crier gare reprit: Vous êtes déjà allés à Disneyworld ?
Il jeta un oeil sur la batte de Jake: Ahah ! ça fait ça pour tous les objets phalliques, quand on en a un dans les mains, on ne peut pas s'empêcher de le triturer; ça titille, hein ? t'inquiète, ça le fait à moi aussi ! Ouais parce que avant d'atterrir ici comme un ballon crevé j'ai fait comme un tour de manège, je ne sais pas pourquoi... J'ai d'abord glissé sur un machin à moitié rond, j'ai rebondit sur un truc comme une rampe immense...C'était fun mais j'avais mal au cul !

Il constata tout à coup que la jeune fille le regardait encore avec des yeux immenses et la mâchoire pendante comme s'il était un Martien; d'ailleurs sa question le prouvait.
Il trouvait que la jeune fille était vraiment très jolie, même comme cela, avec l'air bête de quelqu'un qui n'a rien comprit à la leçon de mathématique et que Milly était un prénom adorable qui lui allait très bien. Il n'eut pas le temps de lui dire car sa demande absurde l'avait choqué:
Ben je viens de San-Francisco ! pas toi ? répondit-il comme d'une évidence.
Comme la ride d'incrédulité de Milly ne s'estompait pas, il se tourna vers Jake et eut l'impression qu'il oscillait entre l'énervement et le fatalisme, voire la pitié, comme s'il n'était qu'un pauvre type. Cela l'agaça un peu. Il se gratta la tête, souffla bruyamment et se concentra; il avait compris que ses deux potes avaient besoin d'éclaircissements basiques. peut-être étaient-ils simples d'esprit ? ou amnésiques ?
Il prit le ton rassurant et presque professoral de l'adulte qui s'adresse à des petits enfants: Mais voyons... Je suis un être humain...Sexe masculin, un garçon quoi....
Il sentit que cela ne leur suffisaient pas, ils avaient l'air de douter.
Plein de bonne foi, voulant rendre service, il se déshabilla sans ôter pour autant son caleçon, il n'osa pas, et montra ainsi face et profils de sa personne physique pour leur prouver qu'il ne venait pas de la planète Mars.
J'aime bien les films de science fiction mais y'en a un, j'ai rien compris ! c'était quoi le titre déjà ?... Ouais parce que j'étais chez Anton avec d'autres potes. Il faisait nuit, il pleuvait à seau, on s'ennuyait quoi. Anton, il est un peu accroc... Pas moi, hein ! moi c'est juste pour m'éclater de temps en temps...

Une nuée de moustiques s'abattit sur son corps nu. Tout en pestant, il se rhabilla rapidement et regarda autour de lui.
C'est bizarre quand-même, ça fait vachement vrai...J'aurais pris un acide, j'dis pas mais de l'héroïne...D'habitude ça fait plutôt roupiller...
Ian commençait à se rendre compte de l'incongruité de la situation mais était à mille lieues de s'imaginer être dans un ailleurs réel, persuadé d'être sous l'effet de la drogue qu'il avait surdosé afin de ressentir le flash chaud de bien-être à son maximum.
Et vous, qu'est-ce que vous faites ici ? pourquoi vous êtes dans mon trip, si j'ose dire ?
Moi j'ai été viré de tous les bahuts où j'ai mis les pieds alors l'université...

Décidément la fille était surprenante. Pourtant, au premier abord elle avait l'air éveillé ! Pour la deuxième fois, elle lui faisait une réflexion stupide. Elle avait le QI en berne ou quoi ? voilà qu'elle faisait un rapport aberrant entre le bruit et la faune équatoriale !
Ian s'enquit rapidement de lui expliquer la réalité de la nature:
Mais non voyons Milly, c'est tout le contraire: quand tu fais du bruit, les animaux ont peurs et s'enfuient ! regarde, si tu tapes des pieds au sol il allia le geste à la parole le serpent s'enfuie et si tu fait du boucan, les lions, les tigres, les éléphants et même les gazelles se tirent à tir d'ailes comme les oiseaux aussi, d'ailleurs ! quant aux moustiques, c'est pas le son qui les attirent mais ton odeur de sueur, alors... Faudrait être Tarzan pour les faire venir; t'as déjà vu le film ?
sans attendre de réponse, il s'élança sur la première liane venue: OOOIOOOIOOOIOOIOOO hurla t-il façon homme de la jungle.
La liane rompit et il tomba.

Il se retourna hilare, pensant communiquer son rire à ses compagnons quand il aperçut l'incroyable: Milly était en train de se métamorphoser en chat !
Mind blowing...! souffla t-il. Il se releva, complètement fasciné par la vision. J'étais loin d'imaginer que l'héro pouvait donner des hallucinations pareilles...
Pour la première fois depuis qu'il était arrivé ici et même, pour la première fois depuis qu'il était né il se tut tant il était chamboulé.
Bien sûr, il adorait les chats mais quand-même.... Milly aurait-elle voulu lui faire plaisir ?
Il écarta cette idée: non, impossible, il ne lui avait pas parlé de son affection pour la gente féline...
Il s'approcha essayant de faire doucement mais Jake le repoussa gentiment de la main comme qui voudrait protéger un plus faible du danger ou d'une vision atroce.
Son visage semblait refléter l'anxiété de quelque chose qui n'avait pas été prévu dans le scénario.
Cette fois, il se dit que dans ce cas précis, la jeune fille avait peut-être raison et s'évertua tant bien que mal à ne pas faire de bruit. La cote intellectuelle de la concernée remonta d'un coup.

Il s'accroupit non loin du nouveau sujet d'adoration: le chat. Il avait très envie de le caresser, lui gratter le cou, le cajoler, d'autant que ses parents n'avaient jamais voulu avoir d'animaux chez eux malgré le conseil du psychiatre: "emmenez cet enfant courir dans la nature et entourez-le d'animaux, cela le calmera".
Il en avait été frustré car à choisir, il préférait de loin la présence de la faune sauvage ou domestique à celle des êtres humains qu'il trouvaient bien compliqués et exigeants. Pour lui, les animaux étaient plus simples, plus clairs aussi dans leurs fonctionnements et leurs désirs.
Le regard doux, le corps décontracté et prudent tout à la fois, Ian se mit à observer les réactions de la femme-félin. Si elle baissait les oreilles et bougeait la queue: il ne fallait pas s'approcher. Si elle s'asseyait les yeux en amandes, c'est qu'elle souriait. Si elle avait les oreilles pointées et le regard rond, c'est qu'elle était curieuse: on pouvait lui parler et si elle s'allongeait décontractée, on pouvait la caresser sans problème... Patient, il attendit de voir la première attitude que le félin choisirait comme amorce de communication.

Jade ne comprenait pas grand chose au babillage incessant de Ian. La seule chose qui en ressortait, c'était qu'il était un nouveau voyageur assez déconnecté pour croire qu'il était dans un délire suite à une ingestion de psychotropes. Même si se trouver face à quelqu'un d'assez drogué pour arriver jusqu'à Dreamland n'était pas rassurant, savoir qu'il n'était qu'un paumé comme eux, peu puissant qui plus est, était tout de même un soulagement. Mais son ignorance du fonctionnement de Dreamland risquait de lui coûter cher...

- Dans le monde réel oui, peut-être qu'ils ont peur s'ils n'ont pas assez faim.

Ici par contre, c'était une autre affaire. Dreamland, monde de rêve et de cauchemar, qui n'était composé que des songes de milliards d'êtres humains tellement égocentriques que des bêtes sauvages, quelles qu'elles soient, avaient dans leur tête toujours la mauvaise habitude de vous traquer pour vous dévorer. Elle l'avait assez bien expérimenté avec les bêtes d'ombre dans la forêt au nord de Sextus et il fallait être naïf pour croire que cette jungle faisait exception à la règle.  D'ailleurs, les craquements de branches et les bruissements de feuilles se faisaient de plus en plus entendre autour d'eux, confirmant son hypothèse. On pouvait même entendre si on y prêtait l'oreille les respirations profondes des prédateurs aux aguets, mais comment Ian aurait pu le remarquer alors qu'il prenait un malin plaisir à s'offrir un remake de Tarzan ?

- Arrête ça bon sang ! Tu va nous faire repér...

Sa gourmette se mit à briller, bloquant dans sa gorge la fin de sa phrase. Non... non ! Pas maintenant ! La bonne jumelle savait ce que cela signifiait et ce n'était vraiment, mais alors vraiment pas le moment ! Elle tenta de l'arracher avant qu'il ne soit trop tard mais le bijou maudit refusait de céder. De quoi lui faire regretter de toujours se jeter sur des objets mystérieux sans même connaître leur utilité. Bientôt des poils se mirent à pousser sur son visage sous son masque de papier -donc non visibles pour ses compagnons- en lui provoquant de terribles démangeaisons tandis qu'une queue s'échappait tant bien que mal de son pantalon. Griffes, petites oreilles et pupilles fendues, Jay fut bientôt méconnaissable.

- Non ! Non ! Pas moment ! Pas moment pour ça...

Les oreilles en arrière, la femme-chat se semblait plus prêter attention aux hommes qui lui faisaient face. L'odeur des fauves qui les encerclaient captait déjà toute son attention... Les oreilles couchées en arrière elle se mit à feuler, ignorant royalement la question de Jake et l'intérêt poli de Ian. Elle s’avança brutalement en poussant un miaulement rauque, provoquant un raffut dans les fourrés. Une panthère en sortit, lui rendant la politesse en découvrant ses crocs aiguisés. La peur était immense dans le cœur primitif de Jade, mais son instinct lui hurlait de se défendre. Et heureusement pour elle, ce dernier gagnait haut-la-main sous cette forme féline.

Jade se ramassa sur elle-même et bondit en avant sur une distance qui aurait fait pâlir de jalousie Mike Powell. Elle se jeta toutes griffes dehors sur le fauve, les envoyant dans le décor après une série de roulé-boulé chaotiques. Feulements, morsures, coups de griffes perdus... une vraie bataille de chats de gouttière avait lieu sous le regard médusé des garçons. Sa mâchoire resserrée sur la gorge de son adversaire, la femme-chat tentait d'éviter de se faire lacérer. Hélas, bientôt un coup de patte en plein visage la fit lâcher prise mais elle revint à la charge avec tant de virulence que la panthère disparut, la queue basse.

Après avoir suivi des yeux la fuite de l'ennemi, la psychotique  se nettoyage frénétiquement la langue et revint vers ses camarades. Malgré l'obscurité de la jungle on pouvait voir que son visage présentait une profonde balafre dont se déversait, non pas du sang mais... des poils d'un noir de jais. Les bords de la blessures semblaient s'effeuiller comme s'il s'agissait de simples feuilles de papier et, lorsqu'elle le remarqua, Jade tenta de les recoller tant bien que mal à coup de main enduite de salive, sans grande réussite néanmoins. Les oreilles basses, elle souffla, craintive :

- Cassé... masque tout cassé...

Elle cessa son manège lorsqu'elle se rendit compte qu'elle ne faisait qu'effriter d'avantage sa fausse identité. Dans son état elle n'avait pas la moindre idée de ce qu'il fallait faire pour réparer ça, elle alla donc se blottir contre Jake en désespoir de cause. Il ne pourrait rien faire pour elle mais sa simple présence était rassurante.

- Jake ? Aide Ja... aide Milly. Répare masque.

Attrapant la main du thermo-réactif, elle la plaqua sur son visage pour masquer la partie endommagée. Son regard suppliant aux pupilles dilatées ne le quittait, chargé d'espoir. Il était son ami, il allait l'aider, non ? Il devait l'aider. Qui d'autre le ferait sinon ? Elle ne pouvait pas se permettre de revenir à Miquitzli dans cet état... Dieu seul savait ce que ferait Leviathan s'il découvrait la supercherie. Et chat ou pas, la dernière chose que souhaitait Jade était mourir.

Le bruit généré par le turbulent nouveau voyageur avait eu le don d’exciter toutes les bêtes de la forêt. Si certaines avaient préféré fuir devant la soi-disant puissance sonore d’Ian, Jake redoutait plus que ce soit par l’arrivée de plus gros animaux, bien plus féroces et dangereux que ceux qu’ils avaient vu à présent. Alors qu’il était déjà occupé par Jade - qui semblait avoir déjà vécu une telle mutation - un fauve était venu s’incruster à leur meeting inter-voyageur. Etait-ce un heureux hasard que son amie ait adoptée une forme plus adaptée au combat ? En tout cas elle préféra s'en charger.

Restant sur ses gardes, le thermoréactif, toujours la main sur le manche de sa batte, regarda avec attention et inquiétude la lutte qui se présentait devant eux. Puis Jade-féline fit fuir la panthère. Cet aspect devait lui donner un augmentation de ses capacités physiques, mais cela altérait aussi son esprit, fait qui n’était pas négligeable.
Une fois le combat animal terminé, c’était une toute autre psychotique qui s’offrait à eux. Une sorte de blessure était visible sur son visage, et si le sang ne perlait pas, il y avait quand même un problème. Qu’est-ce que ça pouvait bien être ? Un masque ? Que voulait-elle dire par cela ?

Son amie vint se blottir contre lui, et lâchant sa batte et sa méfiance, il l’accueillit à bras ouvert. Sa main guidée vers la blessure, il vit ce qui s’était passé. La dualité Milly-Jade était-elle plus que mentale ? En même temps les gens pouvaient la reconnaître si elle ne changeait pas d’apparence. C’était donc un masque magique qui masquait ses traits ! Voilà pourquoi elle était arrivée à se cacher si longtemps tout en gardant sa fausse identité. Mais il ne pouvait rien faire pour réparer le masque. Il avait bien recollé une ombre à son propriétaire, mais ça c’était tout autre chose.

-Je suis désolé, je ne pense pas pouvoir aider Milly pour le moment, mais je suis sûr qu’on trouvera une solution quand on rentrera en ville. En attendant je peux faire ça.

Récupérant sa main, il dénoua le bandana qu’il portait au poignet, et le renoua autour de la tête de Jade, de façon à ce qu’elle puisse quand même voir. Ça ferait l’affaire pour le moment, et même si ce bandana était le signe de son amitié avec Sydney, il allait devoir s’en séparer pendant un petit moment. Et puis Jade aussi était son amie, alors elle portait inconsciemment une partie du pirate avec elle. Qui sait, peut-être que s’ils se croisaient ça jouerait ?

-Au moins ça ne se verra pas.

Jake lui donna un câlin pour la réconforter.
En attendant, il avait complètement oublié le troisième membre et s'en rappela. Il fallait sérieusement qu’il se calme, jake espérait qu’Ian avait retenu la leçon, mais il allait s’assurer que ça soit le cas. Sinon le nouveau voyageur allait semer sa propre destruction sur son passage. Ce qu’il ferait tout seul il s’en moquait, mais du moment qu’il était avec eux il allait devoir éviter de leur attirer des ennuis. Ce n’était pas qu’il était asocial et fondamentalement méchant, mais il avait lui aussi appris à ses dépens qu’à Dreamland, c’était plus de la survie qu’autre chose.

-Je te le dis une dernière fois. Tu ferais mieux de baisser ton volume et ton débit de paroles. T’as bien vu ce qui s’est passé, la jungle est dangereuse, on n’a pas besoin de quelqu’un qui nous jette des bâtons dans les roues. T’es gentil, mais on fera connaissance plus tard … si on est toujours vivants.

Il ne pensait pas vraiment qu’ils allaient mourir sur le chemin du retour, mais comme le lui avait appris son meilleur ami, on ne pouvait être sûr de rien. Le pire avait beau être derrière eux, il ne pouvait s’empêcher d’avoir le mauvais pressentiment que la galère n’était pas finie. Il avait juste envie de revenir à Miquitzli et de s’en aller de cette ville qui puait le louche. Mais il s’avérait qu’il n’allait pas forcément avoir le choix, tout dépendait de Jade et de combien de temps ils allaient mettre à rentrer.

Il y avait encore pas mal de chemin à faire, et la nuit n’aidait pas. La seule chose qu’il avait envie de faire c’était de s’écrouler sur un lit douillet et de s’endormir pour un jour ou deux. Ils ne pouvaient hélas pas s’offrit ce luxe, tout arrêt en territoire hostile pouvait signifier une mort précoce dans d’atroces souffrances. Son corps réclamait le repos, et plus le temps allait passer et plus la fatigue allait se répandre dans son corps.
Et puis, ils ne pouvaient pas rentrer dans cet état-là, surtout avec la forme féline de son amie. Ils allaient devoir trouver une solution avant qu’ils puissent rentrer.

-Il faut bouger, on n’a pas besoin d’aller vite ni de se presser, mais faut pas rester là, qui sait ce que cette bête pourrait rameuter.

Milly-Chatte n'avait pas eu le temps de communiquer avec les deux compères humains: une panthère s'approchait, menaçante. Elle devait avoir ses petits pas loin et cherchait à les protéger.
Le coeur de Ian se pinça; la bête sauvage présentait une musculature bien plus imposante que celle de la chatte, il ne voulait pas qu'elle soit blessée. Il s'apprêtait à lui venir en aide par n'importe quel moyen quand il vit la femme féline se propulser en un bond hors norme et attaquer l'ennemi avec une force hors du commun.
D'instinct il recula et regarda le combat avec des yeux ébahis ne pouvant s'empêcher de ponctuer chaque assaut d'un Vas-y Milly, défends-toi, on est avec toi !
La victoire semblait proche mais c'était sans compter sur l'instinct de survie du carnassier qui allongea la patte et lacéra le visage de la jeune fille.
Ian qui n'aimait pas trop la vue du sang détourna la tête, rata le final et quand il osa obliquer l'oeil à nouveau, la panthère avait disparu et la chatte se nettoyait.
Bravo Milly, tu l'as bien eu, tu... le reste de la phrase resta coincée dans sa gorge: la plaie n'était pas une plaie, il n'y avait pas de sang mais des poils et le visage ressemblait étrangement à un masque.

Tandis que Milly-chatte se frottait aux jambes de Jake, le suppliant de réparer la déchirure il se posa mille questions.
L'idée qu'il n'était pas dans un trip hallucinatoire s'imposa à lui d'autant que la jeune fille avait eu une remarque bien étrange: "dans le monde réel..." cela laissait à réfléchir; pas trop longtemps tout de même, il n'avait pas que cela à faire !
Impuissant à aider il laissa faire le jeune homme et tourna en rond pour faire passer le temps et les fourmillements dans ses jambes.
Tu portes un masque parce que tu as des problèmes minette, je me trompe ?
il arpenta le mètre carré de long en large non pour déranger ses amis mais simplement parce que se concentrer sur une seule chose à la fois lui était très difficile et lui demandait une énergie qu'il fallait évacuer coûte que coûte. Après un temps, il ajouta:
si je peux t'aider à quoi que ce soit, ce sera avec plaisir, tu peux en être certaine mais... je ne suis pas habile de mes mains, alors pour les fines réparations...

Ses pensées déjà parties ailleurs, il se mit à scruter les arbres et balayer le sol avec un bâton. Ayant mis à jour une fourmilière il les observa.
C'est ce moment que choisit Jake pour lui parler d'une manière qui lui sembla peu sympathique, presque méprisante.
il releva rapidement la tête et d'un bond se campa sur ses jambes, face au jeune homme; il ne souriait plus, son visage était tendu.
Ian pouvait se mettre en colère avec la même virulence que ses explosions de joie; il le savait: il n'était pas psychotique. Il fit un effort surhumain pour contrôler la vague déferlante comme la méthode behaviouriste le lui avait enseigné et jeta: tu me prends pour un débile, c'est ça ?
Pour se contenir il se mit à dessiner des arabesques sur la terre humide et continua: je vais être clair avec toi, je suis malade, un truc neurologique. Je suis atteint du trouble de déficit de l'attention avec hyperactivité et je n'y peux rien malheureusement. Mais cela ne veut pas dire que je suis un connard, OK ?
La longue phrase avait épuisé ses capacités, il fallait qu'il bouge. Il alla vers la chatte et la caressa tendrement avant de poursuivre: Vous aussi vous avez certainement des soucis et vous êtes contents quand vous croisez des gens compréhensifs et tolérants... Moi aussi.
Ian souffrait, soufflait, il avait de plus en plus de mal à ne pas sauter du coq à l'âne mais il avait encore une chose à dire et il voulait que cela sorte, de manière claire, si possible.
Il se mit à siffloter un air improvisé, se massa les tempes et enchaîna: vous par contre, vous jugez sans connaître et vous faites des phrases mystères alors que cela ne prendrait que 5 de vos précieuses secondes de votre précieux temps de me dire très exactement où je suis et à quoi je dois m'attendre !
Aux aguets d'une réponse si possible concise, il emboita le pas de ses congénères.

La marche dans la nature le calma. Son sourire refit surface et ses tendances altruistes reprirent le dessus: je vois bien que tu es fatigué pote. Je suis peut-être un malade mais je sais un peu me débrouiller !
Il partit dans des explications sur les chercheurs qui avaient découverts que nombre d'hommes préhistoriques devaient être des hyperactifs et que c'est ce qui leur sauvait la vie.
Tout en parlant il choisissait des branches épaisses, souples mais solide qu'il posait sur une épaule et ramassait des lambeaux d'écorces brunes tout en parlant - pas trop fort - de choses et d'autres.
Quand il se trouva face à 4 arbres à peu près disposés en carré, il s'arrêta et leur montra le végétal: ça, c'est de l'écorce de caseria pointu. Elle est mouillée, elle sera parfaite à tresser !
Il posa les branches devant les arbres et se tourna vers Jake: je vais nous construire un plumard pour la nuit, confort 3 étoiles, sécurité au top !
sans attendre de réponse, il installa ses branches à hauteur d'homme et dit: ça c'est pour éviter les fourmis, les scorpions et autres rampants.
Il tressa les écorces, joignit les branches, ramassa palmes et feuillage en un tour de main, empila des morceaux de bois en vague forme d'escaliers et annonça fièrement: t'as vu un peu le maboul ! on peut pioncer maintenant, on marchera quand il fera jour ! tu viens aussi minette?
et sans attendre de réponse, il monta dans le lit improvisé dans les arbres et s'allongea en prenant soin de laisser assez d'espace pour les deux autres.
Son sourire était radieux, il les invita de la main à le rejoindre.

Faute de se faire soigner, Cha-de resta relativement sage, assez pour que Jake puisse masquer les dégâts avec le bandana jusqu'alors noué à son poignet. Elle ne voyait plus que d'un œil et ne pouvait s'empêcher de jouer de temps à autres avec le tissu, l'air intriguée, mais ça ferait l'affaire tant qu'ils seraient dans la jungle. Les bras de Jake se refermant sur elle achevèrent de la réconforter. Un ronronnement apaisant s'éleva dans la nuit tandis que la femme-chat se blottissait contre le torse de son ami.

Au même instant, Ian s'était décidé à reprendre son débit de paroles. Visiblement il voulait l'aider et il n'en fallait pas plus pour faire croître le niveau sonore des ronrons de Jay. Ils étaient là pour elle. Ils comptaient faire tout leur possible pour l'aider. Elle n'était pas seule...

- Jake et Ian gentils. Milly aime Jake et Ian !

Elle fourra sa tête dans le cou du thermoréactif et entreprit de patouner dans son dos. Le sentiment de se sentir protégée était merveilleux ! Ils étaient si nombreux à s'occuper d'elle... Ses parents, Melena, Maxim, Elie et bien sûr ses nouveaux amis... voyager en leur compagnie lui donnait l'impression de se trouver dans un cocon où les horreurs du monde ne pouvaient l'atteindre. Enfin... presque pas.

Son visage se leva, intrigué, lorsque le ton commença à monter. Ses mains griffues se figèrent alors que la jeune femme écoutait, aussi attentive qu'elle pouvait l'être dans cet état. Le nouveau venu avait l'air profondément vexé et s'évertuait à leur expliquer que non, il n'était pas idiot ni même méchant. Juste fou. C'est à peu près à ce moment là que Jade décrocha. Bien sûr qu'il l'était, et alors ? Ils l'étaient tous au moins un peu. Il n'y avait pas besoin de se justifier. D'ailleurs elle n'appréciait pas trop ce « vous » répété encore et encore. Elle n'avait fait aucun reproche et voilà qu'on la blâmait juste parce qu'elle faisait partie du groupe. C'était trop facile, elle ne pouvait pas laisser passer ça. Ses oreilles se couchèrent en arrière alors qu'elle feulait :

- Milly rien dit ! Pas accuser Milly comme ça !

Elle se leva et lui tourna le dos, révélant sa queue qui brassait l'air frénétiquement. C'était déjà peu agréable de recevoir des reproches mais ça l'était encore plus quand on ne les méritait pas. Sa bouderie passa néanmoins à la trappe, les garçons s'étant mis en marche pour on ne savait où. A en croire l'hyperactif il comptait leur faire un lit. Une fois arrêtée, Cha-de s'assit par terre et le regarda faire avec suspicion jusqu'à ce que son esprit décroche de nouveau. Ce... c'était un papillon de nuit, ça ? La psychotique bondit sur l'insecte qui s'envola de justesse, mais il en fallait plus pour la décourager. Elle le poursuivit encore et encore jusqu'à ce que Ian clame qu'ils pouvaient dormir. Et quand Jade tourna la tête, elle put constater qu'il avait effectivement construit quelque chose qui tenait la route.

D'un bond elle atterrit sur la structure qui ploya légèrement sous son poids. Vu la dispute qui venait d'avoir lieu, il valait mieux se tenir entre les garçons. C'est donc tout naturellement qu'elle se lova entre eux deux, adoptant une position fœtale. Le stress et la fatigue accumulés durant la journée étaient si intenses qu'elle ne se sentit même pas partir. Lorsqu'elle rouvrit les yeux, le soleil pointait, doigts lumineux, dans les trous du feuillage épais. Ses comparses étaient encore endormis profondément et ne l'entendirent même pas quitter le lit commun à pattes de velours.

Une fois à terre, la femme-chat disparut dans les fourrés et ne revint que quinze minutes plus tard avec quelque chose entre les dents. Ce qu'elle lâcha fièrement sur le sol était le cadavre tout frais d'un paresseux, son cou formant un angle inquiétant qui ne révélait que trop la manière dont il avait passé l'arme à gauche.

- Petit déjeuner ! S'exclama joyeusement Jade à l'adresse de ses compagnons.

Elle patouna sa proie, terriblement satisfaite de sa prestation de chasseresse. Bon d'accord, cette bestiole avançait à la vitesse d'un escargot paraplégique mais quand même ! Ce n'était pas les garçons qui auraient pu le repérer, tout endormis qu'ils étaient. D'ailleurs ils ne se réveillaient pas assez vite à son goût. La bonne jumelle sauta sur leur lit improvisé et entreprit de les mordiller et de planter ses griffes dans leurs torses jusqu'à ce qu'ils daignent descendre. Une fois tous à terre, elle se planta devant son trophée, un immense sourire aux lèvres.

- Regardez ! Milly grande chasseresse ! Pouvoir manger mainte... que... yeurk...

La transformation venait de s'achever, laissant la jeune fille plus que dégoûtée. Elle se mit à essuyer frénétiquement sa langue pour retirer le goût affreux qu'elle avait en bouche. Qu'est-ce qu'elle détestait cette fichue gourmette ! En plus maintenant son masque était fichu ! Il allait falloir qu'elle retourne voir Miss Paper avant de pouvoir regagner Miquiztli et elle mettait sa main à couper qu'on ne la laisserait pas repartir les mains vides. Ils allaient probablement lui donner une nouvelle tâche alors qu'elle était juste à deux doigts de retrouver Elie. C'était juste trop frustrant !

Elle tata son masque sous le bandana pour tenter de jauger les dégâts. Il était complètement fichu de sa pommette droite jusqu'en haut de son front. Impossible d'y couper...

- Fais chier... Elle se mordit la lèvres avant de pousser un long soupir et de se tourner vers les garçons. Désolée pour cette nuit... et ce matin. J'ai un bijou maudit impossible à retirer et... des fois il me transforme. Je ne sais jamais quand ni pour combien de temps. Si j'ai dit ou fait des choses qui vous ont semblé ridicules ou énervantes, essayez d'oublier ok ? Bref, c'est pas le plus important. Je vais devoir me refaire le portrait, si vous voyez ce que je veux dire. Et donc vous fausser compagnie. Mais je reviens bientôt, je vous le promets. Attendez-moi ici, vous voulez bien ?

La bonne jumelle pressa la pierre ornementale de la bague qu'elle portait et avant que Jake ou Ian ne puisse comprendre ce qui se passait, elle disparut comme si le ciel venait de l'aspirer, les laissant face à la simple empreinte de ses pieds dans la terre meuble.

>> Jade : Direction le QG de la résistance

L’envie du facepalm était prenante, mais comme il ne pouvait pas raisonner le nouveau voyageur, il préféra sombrer dans le mutisme. S’il ne pouvait être prudent, alors il allait en subir les conséquences tout seul. Ils allaient pouvoir l’aider et essayer de le guider, mais quelque chose lui disait que cela n’allait pas être une tâche des plus aisées. Mais Dreamland changeait les gens, que ce soit  pour le meilleur ou pour le pire, dans la guérison ou dans la folie. Il fallait seulement espérer qu’Ian ne finisse pas aussi mal que certains. Mettant son esprit de côté, il suivit sans réfléchir.

Une fois arrivés et la permission du nouveau donnée, il s’écroula dans le lit improvisé.

-Bonne nuit.

Le sommeil vint rapidement, toujours aussi noir et aussi vide que d’habitude.

Puis d’un coup, il sentit une pression sur son corps. Se réveillant d’un coup en sursaut, il se retrouva nez à nez avec une Cha-de tout excitée. Il essaya de calmer son cœur qui palpitait à toute allure, et se leva. Des courbatures parcourraient son corps, mais rien qui ne soit trop handicapant. La veille ils en avaient fait des choses. Fuir d’une île magique qui voulait leur peau, réussir à survivre face à un Dieu Aztèque, faire  un choix qui avait certainement sauvé la vie de milliers de gens. En somme une journée haute en émotions, et le repos était bien désiré. Cependant les vacances et la tranquillité semblaient bien lointaines.

C’était la fin de sa première grande aventure. Il se souvenait bien de la façon dont il avait réagi quand on lui avait conté les quêtes que ses amis voyageurs avaient faites. Maintenant il faisait partie de ces gens qui se donnaient  un but dans ce monde en survivant et en tentant de faire ce qui leur semblait juste. Bon il n’était pas aussi badass que les gens  qui étaient ici depuis longtemps, mais il commençait à trouver son utilité, et aussi sa voie en quelque sorte.
Mais cela marquait aussi le début d’une nouvelle aventure, une qui pouvait inclure ses amis, les gens avec qui il avait vraiment envie de faire sa voie.

Une de ces personnes était Jade, et malgré la situation étrange, il fut soulagé de la voir reprendre apparence humaine. Quelques explications plus tard, et sur le point de s’en aller, la psychotique avait rassuré le thermoréactif, qui lui rendit un regard approbateur. Puis elle disparut, comme ça, évaporée instantanément. Qui avait-il encore qu’il ne connaissait pas de son amie ? Il savait bien  qu’elle ne pouvait pas tout dire, et que certaines choses étaient faites pour être gardées secrètes, mais il se sentait un peu triste qu’il en sache au final si peu sur elle.  Mais ils avaient une connexion entre eux, et c’était le plus important.

Il se leva, se détendit les jambes, puis vérifia le contenu de son sac. Tout était là.
Soulagé, il se dirigea vers un endroit éclairci par le soleil. La journée commençait, et la lourde chaleur de la jungle allait bientôt se faire sentir. Pour faire écho à l’énergie douce qu’offrait le soleil sur son torse nu, ses cheveux s’enflammèrent à leur habitude. Il se sentait bien, même s’il savait que le danger pouvait refaire surface à n’importe quel moment. Leur environnement dormait encore, et attendait d’être réveillé. Le plus tard serait le mieux. Jake avait envie de quitter cet endroit, mais il leur fallait attendre le retour de Jade.

Il était désormais seul avec Ian. Peut-être avait-il été trop strict et exigeant envers lui ? C’était vrai que la fatigue mentale et physique avait embrumé son jugement, l’avait rendu plus tendu et sec, mais cela ne pardonnait pas le comportement capricieux du nouveau voyageur. Qu’aurait fait Sydney ? Il n’en avait aucune idée. Il avait été séparé de lui, et il sentait ce  vide au fond de lui. Allait-il seulement le revoir un jour ? L’angoisse commença à s‘insinuer dans son cerveau, mettant des doutes sur son existence même. Il manqua de lâcher prise sur la réalité. Il étouffait intérieurement. Une chaleur digne de trois soleils semblait s’abattre sur lui, et il avait l’impression de transpirer par tous les pores de son corps.

Un bruit attira son attention, et le retour à la réalité fut imminent. Il s’était laissé emporter par un sentiment d’insécurité, et il avait failli en payer le prix. Se ressaisissant, il retourna à l’ombre, ce qui n’empêcha pas ses cheveux de continuer leur manège flamboyant.
Il ne fallait pas penser à ce que Sydney aurait pu faire, il était Jake, et il avait le droit d’avoir ses propres réflexions. Il décida de donner une nouvelle chance au nouveau. Ian méritait au moins de savoir où il était et ce qui se passait.

-Je m’excuse de mon comportement hier, on est parti sur le mauvais pied. Si ça ne te dérange pas, j’aimerai bien reprendre ça à zéro.

N’attendant pas de réponse, et replissant ce qui lui semblait être son devoir en tant qu’ancien nouveau, il commença une explication sommaire de ce qu’il savait.

-Ici on est à Dreamland, le monde des rêves. Je suppose que tu n’es pas d’ici, et que tu viens comme Milly et moi du monde réel, de la Terre. Comment expliquer ça … Ton corps dans le monde réel est comme endormi, et ton esprit séjourne ici dans cet autre corps, comme dans Inception tu vois ? Sauf qu’un corps ne vit pas sans esprit, et si tu meurs ici, tu meurs aussi dans notre monde, c’est pour ça que je m’inquiétais autant hier. Il prit une courte pose, et continua.
Il y a beaucoup de choses à dire, et ça prendrait des heures, voire des jours pour expliquer les choses suffisamment clairement. Mais le mieux est de découvrir sur le coup. Je ne suis pas ici depuis hyper longtemps, mais j’ai un peu d’expérience. La plupart des choses que j’ai apprises ici on me les a enseignées, ou je les ai lues dans une bibliothèque à Gloutoniskaïa, une ville magique.
Nous autres humains venant de la Terre sommes appelés les voyageurs, et généralement on a tous un petit problème, tu n’es pas le seul à être un « malade » comme tu le dis. Après, chacun est libre d’en discuter et de se voiler la face, mais il y a une chose à savoir. Toute personne arrivant ici avec un « trouble psychologique » se voit dotée au fur et à mesure de pouvoirs reliés à ce trouble. On les découvre petit à petit, et on n’est jamais sûr de ce que ça peut être.

Il s’arrêta un coup, ne sachant trop quoi dire. Quelques secondes passèrent.

-Par exemple, mes cheveux en feu, c’est un de mes pouvoirs. Bien sûr je ne brûle pas vraiment, mais les flammes elles sont bien réelles… il regarda son interlocuteur dans les yeux.
J’avoue ne pas être le meilleur pour ce genre de choses, mais si t’as quoi que ce soit comme question n’hésite pas, j’essaierai d’y répondre si j’en ai la capacité.

Il espérait ne pas l’avoir trop saoulé avec son discours, mais c’était un commencent dans la route vers la compréhension de ce monde aussi bizarre que ses habitants.

Jake n'avait rien répondu aux propos de Ian concernant sa maladie. Enfermé dans un mutisme froid, il n'avait même pas fait de commentaire ni même eut un mouvement de surprise pour le lit improvisé.
L'hyperactif en ressentit une tristesse passagère: c'était toujours comme cela; les gens l'aimait bien cinq minutes puis se détournaient de lui. Il haussa les épaules impuissant.
La mélancolie fut très vite balayée par une explosion de joie qui secoua un peu la couchette: Milly-chatte s'était couchée entre eux deux, rien de mieux pour le calmer au moins un bon quart d'heure !
Muet et immobile, pour une fois, il se mit à caresser et cajoler l'animal sans aucune ambiguité concernant le résidu de jeune fille émergeant de la sihouette féline: Milly était oubliée, Ian avait affaire à un chat qui dormait en ronronnant. Le gros câlin dura facilement une demi-heure, un exploit! enfin, le jeune-homme se lassa. Il n'était pas fatigué et devait se dégourdir les jambes.
Il redescendit avec un effort de discrétion très relatif et s'enfonça dans la jungle d'abord en marchant puis au pas de course, il fallait qu'il se défoule.
Ses deux amis ne surent jamais ce qu'il fit ni ce qu'il rencontra et revint se coucher peut-être deux ou trois heures avant l'aube, sans incident: il avait un peu sommeil.

Des appels mi-humains, mi-miaulement le secoua de sa torpeur. Il se redressa d'un coup, frais et dispos et vit le gibier un peu ragoutant que venait de rapporter la fille chat; il sauta prestement au bas de la couchette.
Tu nous as rapporté un cadeau ! bravo Milly-chatte, tu es une bonne chasseresse!
Ian ne toucha pas à la proie pour autant: son pelage verdâtre et malodorant était dû à une algue microscopique qui s'installait sur le pelage et attirait un nombre incroyable d'insectes en tous genre...

Il n'eut guère le temps de faire le tour du cadavre car d'un coup Milly-chatte redevint la jeune fille qu'elle était.
Mi-déçu, mi-content, il s'apprétait à la prendre dans ses bras en guise de bienvenue quand il entendit l'adolescente dire qu'elle partait et qu'il fallait l'attendre ici avant de disparaître d'un coup dans les airs.
Il resta la tête en l'air éberlué par ce qui s'était produit: bloody hell...Une fille volante....
Il tourna les yeux vers Jake et se rembrunit. L'idée d'être seul avec quelqu'un d'aussi taciturne et d'aussi peu joyeux ne l'emballait pas. Quant à attendre... Rien que le mot lui donna la bougeotte.
Voyant que le jeune homme s'installait au soleil, il replongea dans la forêt; il se sentait inopportun.

Au bout d'un certain temps il revint. Jake était installé à l'ombre cette fois.
Ayant déjà tout oublié, Ian courut joyeusement, s'agenouilla devant lui, déposant au sol ce que sa chemise contenait: des fruits de la passion, quelques figues de barbarie, une poignée de caramboles et une grosse noix de coco.
J'ai trouvé tout ça par la-bas, vas-y sers-toi !
Des yeux, il cherchait au sol un caillou pointu quand il entendit le jeune homme s'excuser. Il en resta comme deux ronds de flan: c'était si rare... habituellement c'est toujours lui qui devait passer son temps à excuser ses bévues.
Tout ému, il s'assit et écouta attentivement. Enfin... Le discours était un peu long aussi ne put-il s'empêcher de faire du bruit sur la noix de coco avec le caillou pointu et réussit à la trouer. Content, il fredonna un air de son cru et suivit des yeux un papillon qui passait puis fureta de ci-de là dans les feuilles et la terre.

Quand le jeune homme eut terminé ses explications, Ian s'immobilisa enfin. Il avait tout entendu, tout compris, peut-être même au-delà des espérances du thermoréactif mais sa tête avait du mal à faire le tri entre tout cela plus le problème d'ouverture complète de la noix de coco, les couleurs du papillon, le drôle d'insecte vu sous une feuille, etc, etc.
Ouais... je vois répondit-il seulement.
C'est alors qu'il se leva d'un bond, comme mû par un ressort et s'enfuit en courant, en hurlant et en pleurant. On pouvait l'entendre brailler J'AI ENCORE FAIT UNE BETISE..., se mettre des claques comme la méthode behaviouriste le conseillait, se piquer devant un arbre en posture "au coin" comme la méthode le demandait. Il était en crise; les neurones submergés d'informations fortes court-circuitaient.
Soudain il stoppa net, muet, droit, calme.
Posément il revint vers Jake, le visage concentré. Dans ses yeux brillait enfin une autre lueur que celle de petit chien fou.
D'une voix posée et réfléchie, il prit la parole: Je ne sais pas ce qui m'arrive... J'ai l'impression que toutes mes pensées se sont correctement rangées d'un coup dans mon cerveau, c'est la première fois que je ressens cela. Ca fait du bien... Se sentir là comme tout le monde, pouvoir raisonner comme toi et s'appesantir un moment sur un sujet unique, tu ne peux pas savoir comme ça fait du bien, Jake...
Savourant l'expérience, il ferma les yeux quelques instants et reprit: Merci pour tes explications et tu es tout excusé; je ne suis pas facile à vivre au quotidien...
Oui... Je viens de San-Francisco. Chez un ami j'ai pris de l'héroïne et j'ai forcé la dose. Je comprends que je suis donc dans le coma - overdose - sur un lit d'hôpital avec ma famille autour de moi qui s'inquiète... Et je débarque ici... A moins d'un réveil sur Terre, je suis condamné à rester à Dreamland, n'est-ce-pas ?
Si je meurs ici, je meures là-bas et si je meurs là-bas, je meurt ici; cela me semble logique...
Il poussa un soupir. Il avait l'air sombre; il enchaîna:Le monde des rêves... peut aussi être le monde des cauchemars, si je ne m'abuse. Je comprends à présent tes craintes et ta froideur à mon égard; j'imagine que ce n'est pas tous les jours fête ici et je suppose que pour vous je risque de devenir rapidement un boulet dangereux et incontrôlable.
Il regarda les flammes dans les cheveux du jeune homme, le dévisagea gravement comme s'il le découvrait pour la première fois.
Te parler ainsi est donc mon pouvoir, je ne vois pas d'autre explication à cette lucidité subite; j'espère sincèrement être capable de l'utiliser le plus souvent possible sinon... je ne t'en voudrais d'aucune sorte si tu m'annonçais que tu préfèrerais que je passe mon chemin et vous laisse poursuivre sans moi; n'ai aucun remord ni aucun scrupule, je comprendrais très bien. Désires-tu que je m'en aille, Jake ?
Il baissa la tête en attente d'une réponse qu'il envisageait positive. Au moins n'aurait-il pas à préparer une valise, il n'avait rien.

>> En provenance du QG de la résistance

Comme à chaque fois qu'elle se téléportait, le monde semblait tourner quelques secondes avant de se stabiliser. Les bruits de la jungle lui paraissaient presque accueillant en cette matinée et Jade esquissa un sourire, sa miche de pain toujours coincée entre les dents. Elle l'en extirpa, dévorant un morceau au passage avant de chercher les garçons du regard. Si elle ne les voyait pas, il aurait fallut être sourde pour ne pas les entendre. Il n'y eu plus alors qu'à suivre leurs voix tout en levant les yeux au ciel. Ils n'apprenaient donc jamais leurs leçons ? Tout ce qu'ils allaient gagner à piailler ainsi c'était une nouvelle attaque de fauves... ou tout autre bestiole avec dents, griffes et ventouses en option.

- Si une bestiole se ramène parce que vous parlez trop fort, je vous jure que ce n'est pas moi qui m'y colle cette fois, déclara-t-elle dans un soupir alors qu'elle émergeait d'un massif d'orchidées, juste entre les deux hommes.

Elle fourragea dans sa poche et en tira le bandana que Jake lui avait prêté. Avec un sourire elle le déposa dans le creux de sa main, la remerciant du regard. Si ce geste généreux n'avait pas servi à la protéger de Leviathan, il lui avait au moins permis de garder le secret concernant son identité au QG de la résistance voyageuse et elle ne pouvait qu'en être reconnaissante. Si les espions ne duraient jamais longtemps au sein de l'organisation ce n'était pas pour autant qu'ils n'existaient pas. Préserver son identité et ses liens avec Elie c'était en quelque sorte sauver sa vie.

La bonne jumelle se tourna ensuite vers Ian sans trop savoir quoi dire. Même s'il avait l'air plus calme et donc plus accessible, il était difficile pour elle d'aborder un inconnu qui l'avait vu sous son plus mauvais jour. C'est avec une honte profonde qui faisait rougir ses joues de papier qu'elle se remémorait tous les gestes absurdes et déplacés qu'elle avait eu envers lui quand elle était sous forme féline. Ce serait un miracle s'il ne la cataloguait pas « débile » ou « fille facile ». Mais le fait est qu'ils ne pouvaient pas le planter là au milieu de la jungle et s'ils devaient faire un bout de chemin ensemble il fallait faire les présentations dans les règles. Jake lui avait probablement déjà dressé un bref tableau de leur situation mais mieux valait se répéter que de laisser des zones d'ombre.

- A ce que j'ai cru comprendre, il t'a dit pour nos pouvoirs, c'est ça ? Je te préviens d'avance : ce n'est pas le genre de chose dont on doit se vanter partout, et encore moi l'arborer sauf si on n'a pas d'autre choix.

Rien que d'imaginer Jake à Elipse était risible. Avec sa chevelure tout feu tout flammes, le pauvre serait abattu dans les minutes qui suivraient son arrivée en ville. Savoir que les voyageurs n'étaient pas les bienvenus partout était la première règle de survie à intégrer lorsqu'on débarquait dans le monde des rêves.

- Je répondrai à toutes les questions que tu pourrais te poser en chemin, mais là il faut vraiment qu'on bouge. J'essaye de retrouver quelqu'un qui se trouve dans une ville à quelques heures de marche d'ici et ensuite... ensuite je devrai...

Vous laisser ? Ces mots n'arrivaient pas à franchir l'enclos de ses lèvres. Ça lui donnait la sensation d'abandonner un chien au milieu d'une forêt après l'avoir attaché à un arbre. Si le thermoréactif avait de l'expérience, elle doutait de son potentiel de survie avec Leviathan à l'horizon. Quant à Ian... autant balancer un bambin dans la fosse aux lions. Mais est-ce que les choses se passeraient vraiment mieux si elle les emmenait avec elle à Techyo ?

Il fallait se montrer réaliste : les emmener à la tour de l'avarice c'était prendre le risque de voir leurs têtes mises à prix, dans le meilleur des cas. Dans le pire, celui de devoir leur trouver un joli coin pour creuser leurs tombes... si elle était encore là pour le faire. Jade inspira un grand coup pour tenter de gérer l'afflux de stress qui lui donnait l'impression de suffoquer. Ce genre d'actions et de fait d'armes... ce n'était vraiment pas fait pour elle. Elle en regrettait presque ses pouvoirs. La vie aurait été tellement plus simple si ses dons s'étaient limités à avoir l'air horriblement laide, comme cette blondasse écervelée qu'elle avait connu à bord du Slavedog Millionnaire. Comment elle s'appelait déjà ? Impossible de s'en souvenir, mais vu le peu d'importance la psychotique ne chercha pas longtemps.

De toute façon, le temps n'était pas à la nostalgie. Se rapprocher de Miquiztli c'était se rapprocher du gardien. Mettre les choses au point à ce propos devenait donc primordial... surtout étant donné qu'Elie et Ace n'allaient pas tarder à mettre la ville à feu et à sang. Ils n'avaient qu'à piller des maisons à en croire les informations que lui donnait sporadiquement son double mais... soyons francs : ces bourrins étaient incapables de faire quelque chose pacifiquement. Elle attrapa une main de Jake d'un côté, une de Ian de l'autre et ne commença à parler que lorsqu'elle fut sure d'avoir complètement capté leur attention :

- Cette ville... Miquiztli... c'est devenu très dangereux d'y pénétrer. Le gardien de la tour de l'Envie a décidé de faire passer des épreuves à trois personnes pour en faire ses adeptes. Ces épreuves... peuvent être vraiment destructrices. Le plan c'est de s'approcher et d'attendre sagement que la personne que j'attends sorte d'elle-même, ok ? En aucun cas on ne met les pieds en ville. Si vous le faites... vous êtes morts. Elle marqua une pause avant d'ajouter, un poil plus détendue : Bon, je dramatise un peu mais c'est l'idée. Restez prudents.

Devait-elle leur dire que le gardien la recherchait parce qu'il l'avait acheté il y a de ça quelques semaines comme si elle n'avait été rien d'autre que du simple bétail ? Ça risquait de faire un peu trop de choses à emmagasiner d'un coup et puis... avaient-ils vraiment besoin de le savoir ? L'étape autobiographie pourrait attendre une période plus propice. D'ici là... il leur faudrait marcher et surveiller leurs arrières. Peut-être qu'elle finirait même par trouver la force de leur faire ses adieux...

Ian aurait sincèrement aimé entendre la réponse de Jake d'autant que son pouvoir s'estompait, (il le sentait, ses pensées redevenaient chaotiques) mais Dreamland en avait décidé autrement.
Il allait insister auprès du jeune homme quand Milly réapparut, les rouspétant à propos d'une bestiole.
Il tourna la tête en tous sens sans rien voir quand ses yeux se posèrent sur le visage de la jeune fille.
Elle avait l'air gênée, pourquoi ? à cause du chat ? à cause du masque ?
il allait dire quelque chose mais Milly poursuivait ses remontrances; une vraie maman !
Enfin quand elle prononça le mot "bouger" l'hyperactif bondit sur ses jambes, sourire aux lèvres: il était prêt !
J'ai apporté des fruits, tu en veux un ? tu dois avoir faim...
Milly n'écoutait pas. Il plongea sa grande main pataude dans la nourriture et lui tendit la noix de coco.
Tu as l'air triste, prends ça et arrête de parler tout le temps comme si tu étais moi!
L'adolescente leur avait pris la main. C'était agréable mais elle expliquait des choses trop longues, il commençait à s'ennuyer. Malgré tout il avait compris le principal: quelque part, plus loin, il y avait une ville dangereuse: il ne fallait pas y pénétrer sous peine de mort.
Un peu trouillard, il ne se le fit pas dire deux fois:T'inquiète, j'y mettrais pas les pieds dans la ville et tout en marmonnant des phrases très personnelles sur le sujet il s'éloigna vers un buisson: il avait entendu du bruit.

Il n'avait pas fait trois pas que le bruit se matérialisa en... un bébé éléphanteau qui s'approchait vers eux.
Après avoir fait un bond de surprise et de frayeur mêlées, le jeune homme se ressaisit rapidement et s'écria: Milly, Jake, regardez comme il est mignon !!!.
Certes, le petit animal sauvage encore tout duveteux était adorable; il ne devait pas avoir plus de quelques jours, marchait maladroitement, les regardant avec de grands yeux naïfs et curieux mais la silhouette qui commençait à se découper derrière lui l'était beaucoup moins: énorme, regard furieux, trompe raide, la mère se dirigeait droit sur Milly et Ian d'un pas lourd et assuré.
Aucun des deux n'eut droit à une seconde de réaction.
Sous les yeux de Jake impuissant, à l'aide de sa redoutable trompe, la femelle avait attrapé Milly à la volée, l'avait envoyer valdinguer sur son dos, se jeta sur Ian, le fit décoller de terre pareillement et le jeta comme un vulgaire sac de noix à côté de la jeune fille.
Sonnés, ils eurent à peine le temps de s'accrocher aux poils ras et malodorants que l'éléphante s'élançait au pas de course au travers de la jungle.
Ils ne surent pas combien de temps dura la cavalcade... Juste assez, en tout cas, pour avoir mal partout et se sentir partir en état second tant le choc des lourdes pattes sur le sol se répercutait sur leur squelette et jusqu'aux tréfonds du crâne.
Ian ferma les yeux, il était terrorisé. La force même de crier l'avait abandonné.
Tout à coup, il sentit Milly glisser dangereusement vers le sol. Etait-ce réel ou le fruit de son imagination ?
il ne prit pas le risque d'expérimenter la réponse, il empoigna la cheville d'une main ferme et ramena tant bien que mal le corps de l'adolescente à l'horizontal.
Serrés l'un contre l'autre par la peur de tomber à nouveau, ils purent juste s'apercevoir que la végétation était un peu moins dense.
L'instant d'après, il furent jetés au sol à grand fracas.
Immobile, ne sentant plus son corps, Ian perçut à peine le galop du mastodonte qui repartait vers son petit en faisant trembler le sol.

Quand il reprit conscience, il leva la tête: tout au bout de la grande clairière où ils gisaient, il aperçut une ville, en contre-bas.
Il se tourna en grimaçant de douleur vers jeune fille.

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