La chasse à l'homme est ouverte !

Une fois tous devant leur tasse fumante, le silence avait reprit ses droits dans la pièce. Ils ne se connaissaient pas et deux d’entre eux n’étaient pas des références en matière de lien social. Pour le coup, Melena était bien décidée à être la reine des têtes de mule. Elle buvait son breuvage à petite lampée pour ne pas se brûler, dans un mutisme total, ses yeux gris perdus dans le vague. Le monde s’estompait autour d’elle, elle aurait continué longtemps sans être dérangée, mais Dakota estima qu’il valait mieux qu’ils fassent connaissance.

La façon dont elle présentait les choses fit tiquer l’œil droit de la nécrophobe : la gamine ramenait tout à sa personne, comme si c’était elle qui avait été mandatée par des gardiens de Freedoom pour leur rapporter une terroriste. C’était quand même relativement gonflée de sa part de prétendre qu’elle doutait des facultés de ses acolytes, alors que la seule dans cette pièce qui avait son CV imprimé sur le corps, c’était la brunette.

L’irlandaise faillit lui adresse une remarque cinglante à ce sujet, mais la benjamine avait prit l’initiative de commencer. C’était au moins plus intéressant que de l’envoyer se faire voir. Elle était plutôt douée avec son intellect parait-il ? Tant mieux. Elle devrait comprendre assez vite qu’une des choses primordiales à faire si elle espérait que leur trio fonctionne, ce serait arrêter de prendre son ainée pour une quiche. La mine fermée, Melena donnait l’impression de ne pas écouter, et la sonnerie tomba à point nommé pour éviter qu’elle n’ait à se prêter au jeu.

Leur visiteur était chargé. Du papier plein les mains, du plomb plein le cœur. Sa tentative d’engager la conversation en avançant qu’il n’avait rien contre les voyageurs ne lui attira qu’un regard moqueur de l’adepte qui semblait dire « Cool ! Et après, tu veux une médaille ? ». Toutefois, quand il s’assit pour commencer à vider son sac, l’adolescente comprit que ce qui allait sortir de ses lèvres de premier de la classe risquait d’être important. Elle récupéra vivement un stylo et un bout de papier sur une sorte de petit buffet et se mit à prendre des notes.

Plus le récit avançait, plus il était difficile de conserver son calme et d’écrire correctement. Était-ce parce qu’elle était une fille ? Parce qu’elle avait pu constater sur sa meilleure amie les désastres psychologiques d’une agression sexuelle ? Impossible de savoir réellement. Mais l’idée que cette femme ait été détenue dix jours, très certainement torturée mais surtout violée, lui retournait l’estomac. Et Emile qui leur confiait ça comme un enfant avouait avoir mangé des bonbons en cachette, comme si cela suffirait pour mériter le pardon de son âme.

Les sentiments qui la tourmentaient Melena étaient indescriptibles si ce n’est qu’à l’instant présent, elle avait envie d’enfoncer son pieu entre les deux yeux bleus ternes et larmoyants de leur visiteur. Quand ce dernier prit congé, elle ne réussit même pas à le regarder en face. Elle resta muette, ses orbes d’orage fixant le vide, alors que Gregory s’adonnait à un numéro de lèche-bottes qui lui donnait envie de gerber.

Quand il revint, il reprit comme si de rien était son tour de parole, à la suite de l’échange initié par Dakota avant qu’ils ne soient interrompus. La thanatophobe était sidérée : c’est tout ce que ça lui faisait ? On venait de leur apprendre que la personne sur laquelle ils enquêtaient était certainement une jeune femme qui avait été violée dans une cave pendant 10 jours, et l’hématophobe ça ne lui faisait… rien. Il reprenait son blabla sans complexe.

- J’ai presque plus envie de l’arrêter maintenant…, murmura-t-elle enfin après que le mâle du groupe se soit tut.

Sans regarder aucun de ses camarades, elle se rassit sur la chaise où elle buvait son thé un peu plus tôt, son corps engourdis par des tremblements émotionnels. Elle enfouit sa tête dans ses mains quelques secondes, le temps de se ressaisir, puis refit surface pour planter ses yeux pâles sur la carte. Sa peau plus blanche que d'ordinaire si possible.

- C’est évident qu’elle les prévoit à l’avance, répondit-elle assez sèchement, ce serait stupide de les faire exploser au fur et à mesure qu’elle les pose. Mais oui, elle est bien là pour tuer ses violeurs au milieu de son bazar.

Melena avala une gorgée de son thé, mais elle ne sentit aucun gout. Seulement celui amer de la sensation d’être dans le mauvais camp. L’air ailleurs, l’irlandaise peignit un tableau noir de ce qui risquait de se passer dans les prochains jours :

- Elle s’amuse. Elle aurait pu faire exploser le commissariat en premier non ? Mais elle ne l’a pas fait. Elle a envie que les elipsiens aient peur et que les flics s’essoufflent à lui courir après. Et au milieu de tout ça, elle s’assure que les premiers à payer soient les types qui l’ont violée. Les gens vont finir par sortir dans la rue. Pour se casser, pour la traquer, ou pour oublier qu’ils ont les pétoches en foutant le bordel. Elle l’a dit dans la lettre qu’elle a laissé le soir de son arrivé, rappela la nécrophobe, elle veut mettre le chaos à Elipse… ses yeux gris croisèrent enfin ceux de ses compagnons, c’est ce que j’aurais fait moi en tout cas.

Elle haussa les épaules et jeta un œil sur ses notes. Dur de se remettre dans le bain, de paraître détachée. Si ce n’était la menace de Kay et Chayan, elle aurait déjà retourné sa veste pour aider Janice – si c’était bien elle – dans ses méfaits.

- On l’a aperçue à la station d'essence hier soir, vers 20h… je suis pas sûre qu’on y trouve grand-chose, mais ça peut être une piste. Sinon on peut essayer de trouver un des types sur la liste vous ne croyez pas ? Il aura peut-être les noms de tous les autres. Si on identifie toutes ses cibles prioritaires, on a plus de chance de la coincer…

Ça devenait intéressant. Ils n’avaient pas envoyé qu’un péquin lambda mais quelqu’un qui détenait des informations. Heureux hasard ou manipulation grossière, entre les deux le cœur de Dakota balançait. C’est qu’il faisait bien sur lui, avec son visage de premier de la classe et ses discours de paix, et c’était justement ça qui le rendait suspect. Ça semblait tellement facile, tous ces renseignements qu’on leur apportait sur un plateau d’argent...

Le regard glacé de la surdouée ne semblait pas s’émouvoir de la sollicitude du jeune homme. Elle se fichait bien qu’il soutienne les voyageurs ou non. C’était d’ailleurs le cadet de ses soucis. C’était ses réminiscences du passée qui l’intéressaient, mais surtout leur potentielle véracité. Son cerveau -tout comme aurait pu le faire celui de Sydney- hurlait au piège. Mais il faudrait malgré tout suivre cette piste. En avaient-ils une autre de toute façon ? Non, il faudrait donc faire avec. Elle écouta donc attentivement le récit du rapt, des tortures et du viol, son visage parfaitement de marbre. C’était horrible, soit. Mais pleurer ou s’insurger ne changerait rien à ce qui s’était passé. Si Gregory le comprenait, Melena elle... c’était une autre histoire. Vu ce qu’elle osait déclarer à peine la porte refermée, il y avait plus d’une raison de douter d’elle en temps de crise. Elle répondait aux passions plus qu’à la raison. Une tare et un boulet lors de moments critiques.

- Plus envie de l’arrêter ? Parce que pour toi les agissements d’un petit groupe de 12 personnes justifient la mort de centaines de personnes ? Dont des enfants, des sympathisans à la cause voyageuse, des voyageurs fraîchement débarqués eux-même et tout ça juste parce qu’ils ont eu le malheur d’être au mauvais endroit au mauvais moment ? C’est à cause de voyageurs comme toi qu’on veut notre peau ici. Vindicatifs et incapables de recul. A penser comme ça tu ne vaux pas mieux qu’un elipsien.

Le retour de Gregory dans l’appartement l’empêcha de poursuivre, malheureusement ou heureusement, tout dépendait du point de vue. Ce dernier se prêta aussitôt à la poursuite du «jeu» qu’elle avait enclenché avant l’arrivée d’Emile mais Melena, elle, les snoba totalement. Cette mauvaise volonté ne faisait que conforter Dakota dans son analyse d’instabilité émotionnelle et mentale. Obstination, sentiment de supériorité infondée, absence d’objectivité probablement due à un égoïsme poussé à son paroxysme... et ce n’était que la partie immergée de l’iceberg. Elle s’abstint de souligner tout ça, autant parler à un mur. Le gaspillage de salive ne faisait pas partie de ses loisirs favoris.

Ils avaient mieux à faire de toute façon. Chacun y allait de son petit raisonnement, l’hématophobe proposant de se rendre sur le lieu de la fusillade et la nécrophobe de retrouver ses cibles. On parlait d’intention, de désirs, de vengeance... et les faits passaient à la trappe. Ses comparses pêchaient dangereusement en méthodologie même si la conclusion de Melena était correcte. Dakota pinça les lèvres, attendit que le duo ait fini et pris la parole à son tour d’un ton mesuré :

- Les attentats ont commencé il y a trois jours et d’après sa lettre se poursuivront encore 9 jours. 12 jours pour 12 bourreaux, on peut supposer d’après les faits qu’elle compte abattre l’un d’eux à chaque jour qui passe, de préférence dans des attentats à la bombe. Nous savons aussi que si les bombes ne suffisent pas elle vient en personne pour finir le travail.

Dakota attrapa la carte et l’étala sur la table après avoir repoussé son café. Elle suivit du doigt les attentats du premier jour, puis du second.

- Les attentats se suivent, comme s’ils représentaient des trajets. Vous voyez ? Trajet du premier jour... et là du second... et enfin le troisième. On peut toujours faire un travail de vérification pour vérifier la véracité de la supposition mais je ne suis pas sûr qu’on ait du temps à perdre en ce sens.

La surdouée se saisit ensuite du papier arraché au calepin où étaient écrits les noms des 4 violeurs présumés.

- Nous ne savons pas dans quel ordre elle cherchera à les atteindre, mais si nous trouvons ces deux là nous pourrons les pousser à nous mener aux autres. Réunissons les tous dans un endroit sûr et elle sera forcée de venir à nous. Même si son plan est calculé, c’est aussi quelqu’un de passionné, d’impulsif. Le fait de se mettre en danger pour réussir son plan en est une juste illustration. Elle aurait pu attendre le lendemain, poser une autre bombe mais non. Elle le voulait ce jour là, pas un autre. En ce sens on peut être quasi assurés qu’en ayant toutes ses cibles sous le coude elle viendra avant la fin du jour, peu importe le danger.

Elle n’était pas sure qu’une confrontation directe soit une bonne chose, mais ils auraient le choix de l’endroit et la possibilité de préparer les lieux à leur guise. Dak’ pouvait même déclencher son aura d’annulation de pouvoir pour les préserver d’éventuels missiles. Par contre... constituer une bonne réserve de calmants était une priorité. Le valium de Selene ne pourrait pas suffire, il fallait être prévoyant. Rien ne disait que la confrontation ne traînerait pas en longueur.

La phobophobe se leva, glissa le papier dans la poche dans sa veste grise qu’elle enfila et se dirigea vers la porte. Plus le temps passait et plus ils risquaient de perdre la trace des deux seuls hommes dont ils connaissaient l’identité. Ils pourraient mourir, ou prendre peur et se cacher. L’un comme l’autre contrarierait fortement leur plan. Et puis... Dakota ne pouvait s’empêcher de penser que cette Janice White avait peut-être eut vent de leur présence et avait piégé l’immeuble. S’il devait exploser, elle préférait ne plus être dedans à ce moment là.

Sa hotte sur le dos et la poignée dans la main, elle se retourna vers Gregory et Melena avec un regard qui semblait dire «vous venez ou vous comptez gober les mouches ici ?».

- Venez, mais il faut d’abord qu’on fasse un crochet par une pharmacie.

Gregory avait bu les paroles d’Emile, et n’avait pas senti de manipulation dans sa voix. Pour lui tout était sincère, et il n’y avait aucun doute là-dessus. C’était certes un peu donné de demander  un peu d’aide et d’avoir pile la bonne personne pour les aider, mais c’était aussi peut-être une chance qu’ils avaient eu, et une telle opportunité ne se présenterait sûrement pas de nouveau. Enfin ils avaient eu quand même un bon gros paquet d’informations supplémentaires, et personne ne cracherait dessus. Mais vu les horreurs dépeintes, il y avait de quoi se méfier. Cette Janice White devait être sacrément puissante et armée pour vouloir à elle seule mettre  une ville dans le chaos. S’ils survivaient déjà ça serait bien.

Gregory fit mine de ne pas prendre en compte les remarques de Melena, qui aurait pu avoir raison au fond, mais l’enjeu était bien plus grand qu’une seule personne et ses douze agresseurs. Toute la ville était sous la menace d’une folle dingue, et peu importe la cruauté des actes des malfaiteurs, elle était bien plus dangereuse. Les malfaiteurs allaient sûrement subir leur juste châtiment, mais les vies d’innocents devaient être sauvées. Dakota ne fit pas de remarques du même ordre d’idées que la thanatophobe, ce qui conforta Gregory, qui au moins n’était pas le seul à avoir la présence d’esprit de voir plus loin que ses émotions, et faire tourner son cerveau.

Mais bon, au moins elle faisait un effort pour se concentrer sur la mission et mettre ses sentiments de côté, même s’il fallait  se méfier d’elle en cas de trop gros coup de sentiments et d’émotions. Elle pouvait tout faire foirer si elle se mettait à être émotionnelle devant la menace, et ils pouvaient même y laisser la peau. Il fallait juste espérer que cela n’arrive pas, car dans le cas échéant, ils auraient du mal à la retenir, vu son évidente puissance. Après si Dakota était encore plus forte, pourquoi pas, mais c’était mieux de construire un plan à partir de données précises et pas à partir de suppositions.

Même si ça pouvait être un problème, elle était capable de réfléchir. En effet, les différentes analyses des deux voyageuses étaient pertinentes, et Gregory put révéler certaines zones d’ombres qu’il n’avait pas réussi à éclaircir tout seul. Il y voyait un peu plus clair qu’avant, et même s’ils n’étaient pas le  plus avancés du monde, ils avaient des gens à interroger et des pistes à explorer. Enfin ça allait être compliqué, surtout le contact avec les séquestreurs, et il fallait savoir comment ils allaient agir pour avoir une stratégie commune et ne pas faire n’importe quoi.

Ils allaient devoir de débrouiller, mais ils auraient le chemin pour discuter un peu de quoi faire et quand. Gregory avec ses habits plutôt normaux allait se fondre dans la foule, et tant mieux pour lui. Du moment qu’il n’avait  pas un pouvoir du genre devenir tout rouge ou pisser le sang par les fesses il ne risquait pas de se faire trop repérer et du coup il n’allait sûrement pas réveiller  la colère enfouie des habitants anti voyageurs d’Ellipse. Enfin, il n’avait rien à prendre, vu qu’il n’avait rien sur lui, ce qui lui fit prendre conscience qu’il n’avait rien pour se défendre, aucune monnaie, rien. Le vide absolu. Il espérait remédier à ça le plus vite possible, mais ce n’était ni le lieu ni l’heure pour pousser ce genre de caprices. S’il sortait vivant d’ici, il pourrait demander à Dakota ou Melena comment elles avaient eu tout ça, mais la réponse semblait évidente : l’aide qu’ils fournissaient en tant que voyageurs.

Suivant Dakota qui menait les opérations, Gregory se plaça au milieu, comme pour faire bouclier à un éventuel conflit qui ne se produisit pas, enfin pas pour l’instant pensa-t-il.

-Par contre qu’est-ce qu’on fait quand on les voit ? On leur dit qu’ils ont violé quelqu’un qui veut les tuer, et qu’on est là pour tous les regrouper pour se faire potentiellement tuer ? Il va falloir être plus fin que ça, et quelque soit l’approche qu’on envisage, on va avoir du mal à les convaincre, à moins de se montrer très persuasifs évidemment. A quoi vous pensez pour avoir des informations  de leur part?

Il montrait un peu son absence de connaissances dans le sujet, mais il ne voyait que la méthode un peu brute et persuasive pour ce cas-là. Il comptait bien sur l’importance et la puissance que les deux voyageuses pouvaient se donner pour parfaire à la tâche, mais il ne fallait pas oublier que les deux qui restaient étaient des hauts gradés. Il fallait quad même faire attention à ce qu’ils faisaient, et ne pas se mettre  à dos tout le monde. Ils allaient devoir jouer très fin et agir intelligemment. Les complications les attendaient au tournant, et comme d’habitude, l’erreur ne serait pas permise, à moins que Dak’ et  Mel’ soient tellement pleines de ressources qu’elles épatent à 100% l’hématophobe. Bref, tout restait encore à faire.

Dans un coin de sa tête, Melena ruminait ce que Dakota lui avait craché au visage pendant l’absence de Gregory. Elle avait envie de lui dire. De lui dire que OUI, à ses yeux, la destruction de tout Elipse vaudrait la peine si ça pouvait faire avaler aux tarés anti-voyageurs que leur infliger des traitements aussi atroces n’amènerait rien d’autre que ce dont ils avaient le plus peur. Parce qu’ils avaient mérité leur sort eux ? Toute la bande capturée par l’équipage du Slavedog millionnaire et vendue en esclave comme un convoi d’animaux. Qu’avait fait Melena pour ça ? Rien d’autre que mettre un pied dans ce monde de détraqués, ce qui ne se serait jamais passé si sa mère n’avait pas été tuée par un ivrogne.

Tendre l’autre joue c’était bon pour ceux qui ne savaient pas voir les choses en face. On ne discutait pas paix avec des violeurs qui s’en tiraient indemnes. On les émascule à vif et on les laisse mourir dans leur sang. C’est ce qui doit arriver. Les autorités elipsiennes l’ont bien mérité ; si elles ne toléraient pas les horreurs faites aux voyageurs, ils n’en seraient pas la non plus.

L’irlandaise se garda bien de faire part de ce raisonnement, consciente de ne pas faire l’unanimité. Toutefois, elle ne pourrait se résoudre à aller contre son instinct. Si la contrainte suffisait à la persuader de mettre fin aux agissements de cette « Janice », rien ne la forçait à protéger ses anciens bourreaux. Qu’ils servent de sources d’information et d’appâts, c’était logique. Si jamais ça leur coûtait la vie, elle n’en avait cure.

Aussi impassible qu’une morte, son teint d’une blancheur presque surréaliste, Melena hochait la tête en suivant les déductions de la blondinette. Il leur restait 7 jours… elle se demandait ce qui se passerait le dernier. Janice pourrait-elle se contenter de faire exploser une dernière bombe et simplement s’en aller ? Bien sûr, l’idée était qu’ils l’arrêtent avant qu’elle ne fasse trop de dégâts, mais on ne sait jamais. A voir la façon dont s’était développé les pouvoirs des voyageurs qu’elle avait connu en quelques semaines, quel stade devait avoir atteint ceux de leur proie en 10 ans ?

La nécrophobe fût tirée de ses pensées par Dakota qui sonnait le départ. Sans un mot, elle glissa dans la poche de son manteau ses notes, plia la carte pour l’emporter également, et sortit en dernière, prenant soin de fermer la porte avec les clefs qu’on leur avait remis la veille.

- Pour quoi faire une pharmacie ? demanda-t-elle brusquement.

Elle n’eut pas de réponse, coupée par Gregory qui demandait si elles avaient un plan pour faire parler leurs potentiels indic’. L’adolescente faillit répliquer quelque chose en rapport avec leurs couilles qu’elle menacerait de couper, mais se mordit les lèvres pour se contenir. Finalement, elle répondit :

- On devrait commencer par celui qui s’appelle Robert je pense. Emile a dit qu’il était caractériel, il doit être plus facile à faire craquer d’un haut fonctionnaire de police. En plus c’est lui qui doit avoir le plus d’infos, compléta-t-elle avec une grimace de dégoût, c’est lui qui a kidnappée Janice, il a organisé tout sa petite « fête »… je suppose qu’il connaissait la plupart des gens qui participaient.

Melena marqua une pause, le temps d’attendre à un feu rouge de piétons, puis reprit après s’être assurée qu’aucune voiture ne viendrait leur rouler dessus pendant qu’ils traversaient la rue. Une idée germait dans sa tête ; elle la révulsait d’avance.

- Pour la manière… on pourrait essayer de les faire flipper en leur disant qu’ils sont sur la liste prioritaire de la terroriste. C'est le genre d'argument qui marche pas mal généralement. Si ça ne suffit pas bah… j’ai un filtre d’amour qui traine dans mes affaires, je ne sais même plus comment je l’ai eu. C’est censé me rendre irrésistible un moment , elle eut un sourire en coin mi-moqueur, mi dégoutée, ça pourrait suffire pour qu’une bande de pervers fasse à peu près ce que je leur demande.

Alors une pharmacie se dessina déjà l’angle d’un trottoir, l’irlandaise secoua légèrement la tête en ajoutant :

- Je ne pense pas que la manière soit le vrai problème. Plutôt… « où » on va les réunir ?

Le groupe s’était engagé dans le couloir mais avant même d’avoir pu poser un pied dans l’escalier, Gregory se glissa entre Dakota et Melena. Et il se mit à poser des questions. Plutôt exaspérantes à vrai dire. La surdouée le montra d’ailleurs en levant les yeux au ciel de manière ostensible avant de descendre les marches d’un pas mesuré. Elle évita de la même manière la question de la nécrophobe concernant la pharmacie. Dans le premier cas la réponse était évidente, dans le second elle ne voyait aucune raison d’éclairer la lanterne de cette peste. Autant tendre le bâton pour se faire battre et il était hors de question de lui faire ce plaisir.

Elle laissa le duo débattre sur la manière de procéder -alors qu’il n’en existait pas soixante, loin de là- jusqu’à ce qu’ils se retrouvent dans la rue et ne se mit à réagir qu’à la dernier réplique de l’irlandaise. D’accord ! Là c’était pertinent !

- Il vous en a fallut du temps pour en arriver là. En effet le moyen importe peu. Ils ont dû comprendre avant nous ce qui se passait et son probablement morts de trouille. Je doute qu’ils repoussent notre proposition, après tout nous représentons potentiellement une garde rapprochée. Même s’ils ne reconnaîtront pas leurs crimes de bonne grâce, il faudrait être suicidaire pour tout cacher et attendre sagement de se prendre une bombe sur la tête. Dans le pire des cas une menace «musclée» devrait régler le problème et ça je crois que c’est parfaitement dans nos cordes. Donc oui, la vraie question c’est «où ?».

La pharmacie n’était plus très loin et Dak’ préféra suspendre la conversation le temps de ses achats. Elle fit signe à ses compagnons d’attendre dehors et pénétra dans le magasin, une sonnette tintinnabulant à son entrée. A l’intérieur les clients la dévisageaient, les yeux braqués sur le collier métallique qu’elle portait. Elle pouvait presque voir les rouages de leur cerveau se mettre en branle... «c’est une bombe ? Il va encore y avoir un attentat ?!». La phobophobe se contenta d’un regard méprisant dans leur direction avant de se rendre au comptoir où la pharmacienne n’en menait pas large non plus. Après s’être assurée d’un coup d’oeil que Greg’ et Mel’ étaient toujours dehors, hors de portée de voix elle commença :

- Bonjour.
- B... bonjour ? Qu... que désirez-vous ?
- Je voudrais une boite de calmants. Quelque chose de fort et si possible qui agisse dans un bref délais.

La commerçante la fixa avec des yeux ronds, commençant à baragouiner quelque chose concernant la nécessité d’une ordonnance. Sauf qu’il n’y avait pas le temps pour ces bêtises. Dakota l’interrompit d’un claquement de langue agacé avant de planter son regard glacé dans les yeux noisettes de la bonne femme qui lui faisait face.

- Ecoutez, je n’ai pas le temps pour ça. Vous voyez la fille, dehors ? C’est une adepte. Elle a été envoyée pour régler cette affaire d’attentats et nous avons besoin de ces calmants pour ça, tout de suite, sans ordonnance. Si vous nous poussez à nous lancer dans de la paperasse alors que chaque minute compte j’espère que vous aurez au moins la décence d’aller présenter vos condoléances aux familles de ceux qui seront morts par votre faute.

Opération culpabilisation réussie. Il ne fallut que deux minutes pour qu’elle puisse échanger 10 rubz contre une boite de calmants, avant de sortir retrouver les autres, non sans l’avoir soigneusement rangée dans la poche intérieure de sa veste au préalable. Elle leur adressa un vague signe de la main pour leur signifier qu’ils pouvaient repartir, reprenant la conversation là où elle l’avait arrêté :

- Donc, il faudrait choisir de préférence un lieu à l’écart. Je rappelle que nous tentons de tendre un piège ce qui sera grandement compromis par la présence de civils. Un terrain vague, un immeuble désaffecté, un hangar, n’importe quoi tant que c’est grand et vide. Il faut qu’on puisse la voir venir ce qui inclue donc une bonne visibilité. Rien ne sert d’essayer de la cloîtrer dans un endroit fermé étant donné qu’elle pourra probablement se créer une sortie à sa guise, à coup de bombes s’il le faut.

Oui, le terrain vague ou le hangar restait les meilleures options. Dans un bâtiment en béton, tout ce qu’ils risquaient c’était de se retrouver aplatis par les conséquences d’une explosion. Il fallait aussi éviter de laisser les otages en vue, ce qui signifiait préparer le terrain à l’avance. On n’était pas à l’abri de voir Janice White s’essayer au fusil sniper.

- Un endroit de préférence sans plafond, mais où nous aurons préparé une cache au préalable. Même un simple trou creusé dans le sol recouvert d'une plaque de tôle pour cacher ses cibles suffira. Je n’aimerais pas les voir abattus par balle, eux aussi.

Ils n’auraient jamais le temps de trouver l’endroit parfait, s’il existait. Laisser passer du temps, c’était prendre le risque de subir plus de pertes et quitte à faire un travail elle comptait le faire bien. Avec un peu de chance elle en retirerait des bénéfices suffisants, même de la part d’un salop comme Azael. Il fallait juste trouver un endroit potable, qui ferait l’affaire. Comme ce terrain vague un peu plus loin, avec comme unique «construction» un énorme panneau indiquant «Bientôt ici : la résidence de la Tortue !»...

Il n’avait pas trop d’idée sur comment s’y prendre pour convaincre les futures victimes de Janice de venir avec eux, mais évidemment, comme le soulevaient Melena et Dakota, ils auraient trop la frousse et se mettraient  à les suivre comme des petits chatons obéissants. Mais ça c’était le scénario optimal, et rien n’empêchait que tout ne se passe comme prévu. Il faisait  un peu le pessimiste en pensant ça, mais l’hématophobe restait inquiet sur ce qu’il pouvait se passer, et penser à des scenarii où tout ne se passait pas très bien confortait cette idée. Il devait arrêter de penser comme ça, parce qu’il y avait toujours pire, et cela ne ferait qu’augmenter  son inquiétude et son stress.

Il envoya toutes ses pensées  négatives dans  un recoin de sa tête pour les garder pour une autre occasion, et essaya de rester positif. Les deux voyageuses avec qui il voyageait étaient expérimentées et avaient des pouvoirs impressionnants. Donc, même s’ils étaient  face à une voyageuse qui avait eu 10 ans pour devenir super forte, ils avaient peut-être une chance de l’avoir, et de profiter de ses faiblesses psychologiques pour ne pas se faire marcher dessus et exploser ne mille morceaux. C’était dangereux, mais Gregory n’avait pas le choix. Soit il allait finir cette capture pokémon et sortir de cette ville avec Melena et Dakota, soit il allait mourir ici et ne plus jamais revoir le jour dans son monde.

L’épisode de la pharmacie ne dura pas longtemps, car de ce qu’il pouvait voir de l’extérieur, tout se passait bien. Ils se dirigèrent ensuite vers la maison de leur première visite. Melena avait les adresses, et savait où aller, si bien que Gregory la suivait, essayant de se repérer au fur et à mesure d’éléments clés, pour ne pas se perdre en cas d’urgence. Dakota développa sa théorie, et son regard pointait en direction d’un potentiel endroit pour attirer Janice. Elle avait raison sur pas mal de points, et c’était sûr que les terrains dégagés étaient les plus sûrs. Mais il restait la proximité avec la ville.

-Ce terrain là-bas semble pas mal, et tout ce que tu dis est bien vrai. Personnellement j’avais pensé à la décharge dans laquelle on est arrivés. Le terrain est à peu près plat, sans  immeuble, sans toit, et surtout on peut voir arriver n’importe qui de loin. Enfin si ça se trouve y’a encore mieux mais on n’y a juste pas pensé.

Si ça se trouvait, il y avait une solution évidente, mais Gregory ne voyait rien de plus. Après il y avait toujours des risques. S’ils recevaient un missile dans la figure, ils auraient du mal à l’esquiver, mais le tout était d’arriver à avoir Janice en l’immobilisant et en lui mettant les menottes techyoïtes. Pour cette partie  ils allaient devoir faire preuve d’inventivité et surtout d’une chance monstre, parce que ça risquait d’être dur.

-On peut toujours trouver une planque pour cacher ses cibles, ça ne devrait pas être la partie la plus difficile. Il faut se débrouiller pour lui passer les menottes. Donc à moins de posséder des pouvoirs de télékinésie ou un objet pour le faire, il faut se rapprocher d’elle. Soit la rendre  inconsciente ou affaiblie, soit la piéger et l’obliger à s’immobiliser, soit aller au corps à corps et se débrouiller.

Il y avait tout ça à prendre en considération, et même si les trois voyageurs y allaient un peu à l’aveuglette pour faire cette mission, ils n’avaient pas grand-chose à faire de plus vu le manque de moyens et le manque d’informations. Qui disait que ce n’était pas un piège de Janice ? Tout pouvait être un piège pour eux, et tout un tas de mésaventures pourraient arriver. Mais ils n’avaient pas trop le choix, et leur décision était la plus adaptée, enfin Gregory le pensait, même s’il y avait toujours mieux.

Il avait quelques appréhensions à l’idée d’aller voir les cibles de Janice, ces monstrueux humains qu’ils devaient protéger. Enfin pas vraiment, ils ne devaient pas les protéger, mais juste s’en servir comme appâts. L’idée de les laisser à la merci de Janice était tentante, mais il restait humain, et ce monde ne l’avait pas encore changé à ce point. Cependant il devait faire attention, car sa phobie risquait d’être mise à  l’épreuve, et se pouvoirs pouvaient se révéler à n’importe quel moment.

Ils avançaient prudemment dans les rues, et personne ne les avait remarqués pour l’instant. C’était encore assez tôt le matin et alors que la plupart des ellipsiens – ceux qui n’étaient pas au boulot très tôt le matin comme à la pharmacie – se réveillaient et prenaient le petit-déjeuner, les trois voyageurs marchaient dans les rues de la sombre jumelle de San Francisco. Ils allaient sûrement  interrompre leurs futurs appâts dans leur routine matinale, et ça allait sûrement ajouter au fait qu’ils allaient être convaincants.

Il imaginait déjà la scène dans sa tête. Un policier haut gradé un peu empoté qui se faisait servir par la bonne de la maison, et qui, avec leur entrée, ferait tomber sa tartine dans son café, se tâchant sa chemise. Mais ce n’était que dans les films. En tout cas, ils étaient presque arrivés, et le quartier dans lequel vivait un des noms de la liste se tenait en face d’eux. C’était un quartier assez commun, qui connaissait encore les traces funèbres qui martelaient la ville un peu comme à côté de leurs appartements. Et dire qu’ils allaient devoir aller là-bas et convaincre un gars de les suivre. En tout cas pour la première fois il comptait laisser ses amies se débrouiller. Après il aviserait.

Avant d’entrer dans une pharmacie pour acheter ses calmants, la phobophobe mit un stand by à la conversation avec sa gentillesse habituelle. Melena ne prit même pas la peine de relever, croisant les bras et s’adossant à un lampadaire un peu usé. La brise fraiche qui soufflait en faisant danser ses cheveux sombres apportait une odeur de fumée, comme pour leur rappeler où ils étaient. Dans une ville qui pouvait exploser à chaque instant. Quelle serait la prochaine zone ciblée par leur proie ? Ils n’avaient aucun vrai moyen de le savoir.

Dakota reparut assez vite en ayant pris soin de ranger ce qu’elle venait d’acheter. L’irlandaise fronça légèrement les sourcils : quoi que ce soit, elle n’avait pas envie d’en parler à ses alliés. Mademoiselle « on met tout sur la table » aurait encore des choses à cacher ? Quelle hypocrite. Un sourire en coin discret et moqueur s’afficha sur le visage pâle de la nécrophobe quand ils se remirent à marcher. Impossible de savoir pourquoi, mais elle ne savait pas faire confiance à la benjamine de leur groupe. Comment croire en une personne froide et sans cœur ?

Gregory renchérit sur l’idée du terrain vide et dégagé en pointant un grand espace à construire encore vierge. Sur le sujet, ils étaient tous d’accord : ce serait anti-constructif d’essayer de l’enfermer par la force dans une pièce, et suicidaire de l'attirer dans un bâtiment. Elle n’aurait qu’à le faire s’effondrer en leur riant au nez. Lorsque l’hématophobe énuméra les différentes « stratégies » pour passer les menottes à Janice, Melena leva les yeux au ciel. Merci Captain obvious, sans lui, elle n’aurait certainement pas pensé à tout ça.

- C’est bien, cingla-t-elle méchamment avec un faux air impressionné, t’as trouvé ça tout seul ?

Ses orbes grises considérèrent encore un instant le terrain vague où sera prochainement érigée une résidence et secoua la tête. Effectivement, ils verraient Janice venir de loin, mais ce serait au final leur unique avantage. Quand bien même elle se présenterait au rendez-vous, elle pourrait s’enfuir aussi facilement qu’elle était arrivée dans le cas où la situation devenait trop délicate. En plus, auraient-ils sérieusement le temps de creuser un trou assez grand pour accueillir toutes les cibles ? Sans compter que rien ne garantissait qu’au final, la terroriste ne les ferait pas tous sauter au lance-roquette traditionnel.

Les premiers HLM  du quartier où vivait Robert Peterheson se dessinaient lentement. Ici et là, poubelles brûlées et vitres de station de bus brisés n’étaient pas dues aux voyageurs, mais à la délinquance. Le trio était au niveau de l’immeuble numéro 3 de la rue Aston Mayfield, ils allaient au 118. Encore un peu de marche en perspective. Une idée s’illumina alors dans l’esprit de Melena qui cogitait toujours sur leur stratégie. Répugnante, horrible, mais pourtant…

- Le cimetière, murmura-t-elle.    

Ses yeux d’orage se tournèrent vers ses compagnons. Elle se mordit imperceptiblement la lèvre inférieur avant de s’expliquer :

- Un endroit dégagé où on aurait l’avantage, pour moi ce serait… un cimetière. Il doit bien y en avoir un grand ici, non ? On pourrait cacher les… « cibles » dans un caveau familiale et on s’arrange pour que Janice nous rencontre sur la fosse commune. Les gens n’ont pas toujours les moyens de payer une tombe individuelle. Avec la nuit sanglante et les attentats, la fosse d’Elipse a du bien se remplir…

Elle frissonna. Dur de croire que c’était elle qui prononçait ces mots. Plus pâle que d’ordinaire à l’idée de volontairement se replonger dans un contexte qui évoquait de douloureux souvenirs de Freedoom, l’irlandaise poursuivit :

- Je vous ai dit que je peux contrôler les cadavres… en fait, je n’ai pas besoin de les voir. A partir du moment où elle aura mit un pied sur la fosse, je pourrai faire sortir un mort de terre pour lui attraper les jambes. J’ai aussi un… coffre… où je peux stocker des corps. Je pourrai le faire apparaître en même temps pour essayer de la ceinturer.

Après un instant de pause tandis qu’ils passaient l’immeuble portant le numéro 27 de la rue, Melena haussa les épaules, l’air faussement dégagé. Ses entrailles, elles, se tordaient déjà.

- Je suppose que ce sera un bon départ. Mais je ne peux avoir le contrôle qu’une dizaine de minute… et il faut que je puisse utiliser mes pouvoirs.

C’était bien là tout le problème, pas vrai ? Parce que Dakota prévoyait de les annuler. Malgré ça, le cimetière lui paraissait être la meilleure option. En plus, la blondinette avait théoriquement copié ses pouvoirs. Potentiellement, elles étaient donc deux marionnettistes de charognes ; de quoi doubler la mise ou s’alterner en cas de besoin.

On parlait stratégie, et là Dakota se sentait en terrain connu - et pas en terre inconnue, gros malins. Gregory soulevait une question importante lorsqu’il se mit à parler de la manière dont ils pourraient passer les menottes à Janice mais en réalité ce ne serait pas la partie la plus difficile, loin de là. Si la terroriste rentrait dans le rayon d’action de NPL, elle ne serait plus qu’une simple femme. Et une simple femme ne ferait pas le poids face à leur trio. C’était comme si le jeune homme avait complètement occulté le fait qu’elle ait dit pouvoir annuler les pouvoirs et se mettait en tête de lister tous les cas de figures possible. A ce rythme ils en auraient pour la nuit, sans parler de l’aspect complètement contre-productif de la chose. A la remarque cinglante de Melena elle ajouta donc, blasée :

- Tu occultes certaines données du problème, ce qui rend ton raisonnement fallacieux.

Elle ne sut jamais si c’était parce qu’il reconnaissait ce fait ou parce qu’il en avait marre d’être rabroué à chaque fois qu’il ouvrait la bouche mais le fait est que l’hématophobe laissa la parole à Melena, se contentant de marcher en silence. Dakota ne pouvait qu’apprécier la bonne volonté du jeune homme mais il fallait avouer que son manque d’expérience à Dreamland faisait de lui un touriste difficilement utile dans la situation présente.

Ils avaient déjà dépassé le terrain vague pour pénétrer dans une zone HLM glauque à souhait quand l’irlandaise leur fit part de son «idée de génie». A dire vrai du point de vue de la nécrophobe c’était surtout une épée à double tranchant. Un bel avantage et un énorme inconvénient. Impossible de dire si l’un valait l’autre, aussi se contenta-t-elle de tenter de visualiser les choses, les yeux mi-clos.

L’association du lieu avec les pouvoirs de la nécrophobe pouvait offrir une belle synergie, à condition qu’elle puisse les utiliser bien sûr. Ce qui serait le cas étant donné que laisser à Gregory l’utilisation de son don inconnu ne leur servirait probablement à rien. Le réel problème était la distance entre la fosse commune et la crypte la plus proche. On ne mélangeait pas les riches et la plèbe, autant dire qu’il y aurait sûrement bien plus que 6 mètres entre les deux lieux pré-cités. Impossible alors de protéger leurs futures appâts et Melena simultanément. Il faudrait faire un choix mais aucun n’était satisfaisant.

La seule chose satisfaisante en réalité c’était d’avoir appris quelques détails sur les dons qu’elle avait copié...

- Ce n’est pas une mauvaise idée en soit, loin de là, mais il y a un hic. La dernière fois que j’ai utilisé mon pouvoir j’ai mesuré approximativement et il n’agit que sur 6 mètres de rayon, tout au plus. Les cimetières sont assez hiérarchisés, aussi les cryptes nécessitant un investissement conséquent ne jouxte pas les fosses commune. Une... question de standing. Je ne pourrais pas protéger ces hommes et te protéger toi. Utiliser tes pouvoirs ne serait pas un problème, là n’est pas la question, je peux te permettre de t’en servir. C’est... juste une histoire de distance.

Dakota se pinça l’arrête du nez alors qu’elle cherchait -en vain- une solution convenable. Ses jambes avançaient mécaniquement, toute son attention porté sur le plan qu’ils essayaient d'échafauder. Et pourtant il faudrait bientôt s’intéresser au but de leur marche car ils avaient presque rejoins l’endroit où vivait ce très cher Robert Peterheson.

- Si tu avais un moyen de te protéger de ses missiles, comme... comme une dame blanche si tu connais cet artefact, ce serait réalisable. Je me tiendrais alors cachée entre toi et la crypte, juste assez proche pour qu’elle soit dans mon rayon. Lorsque Janice se rendrait compte de son impuissance à atteindre ses cibles elle se dirigera probablement vers toi. Ne me restera plus alors qu’à te rejoindre pour la priver de ses pouvoirs et précipiter la fin du «combat». Passer les menottes ne serait plus qu’une formalité et nous pourrions accessoirement la mettre dans ton coffre si elle pose problème. Mais pour ça, il faut investir et je ne sais pas si tu as les fonds nécessaires.

Si elle avait su que Melena possédait déjà cet objet cela lui aurait retiré une belle épine du pied. Et la sienne propre ? Elle comptait bien la porter. La générosité n’était pas une de ses qualités premières.

Leur groupe s’immobilisa devant un immeuble décrépis dont la majorité des fenêtres étaient barricadées par des planches. Un cloaque infect et puant infesté de rats qui servait de taudis aux familles sans le sou. La bouche de la surdouée se pinça de dégoût mais elle pénétra tout de même, sans quitter des yeux un homme maigre à faire peur qui s’enfonçait une aiguille dans le creux du coude sur les marches du perron. C’était le genre d’endroit qui vous faisait vous poser la question «mais qu’est-ce que je fous là ?».

- Le lieu est aussi charmant que ses habitants. C’est au quatrième c’est ça ?

Lorsque Melena acquiesça Dakota se mit à grimper les marches qui menaient à l’étage, ses mains crispées sur sa couronne de plastique rose qu’elle venait de tirer de son barda. Elle se stoppa alors qu’elle venait d’atteindre le premier étage et fit volte-face, les sourcils froncés.

- Quelqu’un ferait mieux de surveiller l’escalier de secours, sait-on jamais.

Devant son miroir, il regardait fixement l’insigne sur sa poitrine. Pour lui, elle était synonyme de bon et de mauvais. C’était surtout sa guerre sans fin contre les voyageurs, sa haine sans borne depuis que l’un d’eux avait tué sa femme, 15 ans auparavant. C’était comme hier pour lui, une blessure à vif qui ne serait jamais refermée, malgré tous ces monstres qu’il avait fait envoyer à Freedoom ou Enojo ; malgré tous ceux qu’il avait tués de ses propres mains. Longtemps, il avait été galvanisé par cette sensation de force, cette immunité politique. On ne comptait plus ses fautes professionnelles, parce qu’avant d’être flic, il était un chasseur de voyageurs. Aux portes de la retraite peut-être, mais avec la même rage au ventre.

Sauf qu’aujourd’hui, il avait peur. Il se souvenait de la belle Janice White, la douce Janice White. Cette fille avait quoi ? 20 ans ? Elle avait eu confiance en son discours de fonctionnaire de police lorsqu’il l’avait interpelée, alors qu’il était en réalité suspendu. Si innocente, si ingénue. Robert ne se souvenait plus s’il l’avait haïe avant de la désirer ou l’inverse. Il savait juste que son idée tordue lui était apparue immédiatement. Il avait ce qu’il fallait dans sa vieille cave, quand il habitait encore la maison qu’il eut partagée avec sa femme ; et il était persuadé que pas mal de ses copains répondraient à l’appel.

Ces copains dont il n’avait plus vraiment eu de nouvelles ces derniers temps. Les gens changent, le temps passe… en fait, il n’avait gardé contact qu’avec Matthew Hardway. Ce dernier était parti en voyage à Techyo, quelques semaines avant le début des attentats, et avait été porté disparu. Quelques jours plus tard, on l’avait retrouvé pendu à un lampadaire dans la rue, portant visiblement des marques de tortures. Robert avait été désolé, mais il croyait à un acte isolé d’un malade mental, jusqu’à la veille au soir. Avec la fusillade qui avait causé la mort de Dick Malls, haut gradé de la police d’Elipse, il s’était posé des questions.

En cherchant un peu, il a découvert dans les listes des victimes des attentats qu’en plus de son neveu, un autre type parmi ceux qui avaient participé à la tournante sur Janice était mort. Coïncidence ? Dans ces circonstances, on pouvait dire oui. Dans les faits, son instinct lui hurlait que non. Voilà ce qui se passait quand on ne faisait pas les choses soi-même ! Ce mec dont il n’avait jamais connu le nom, un jeune blanc-bec sous l’aile de Dick Malls à l’époque, c’est lui qui avait prétendu avoir tué Janice. Cet abruti l’avait frappé trop fort parce qu’elle lui avait crevé un œil. Bon sang, mais ça faisait 10 jours qu’ils la torturaient, fallait y aller doucement ! Robert et ses comparses avaient encore envie de s’amuser avec elle. Mais le mal était fait… et la voilà de retour. Aucun doute là-dessus.

Ça lui arrachait les couilles de l’admettre, mais il ne faisait plus le poids. Cinquante ans, bedonnant, la peau grasse, calvitie… il n’était plus qu’une vieille épave remplie à la bière bonne à exploser sur la prochaine bombe, mais il ne lui ferait pas ce plaisir ! Il avait déjà appelé le boulot, prétextant être déjà sur les lieux de l’attentat qui avait eu lieu à l’extrême est de la ville. Mais en réalité, il s’enfuyait.

Il avait pris un sac de voyage, ses clefs de voiture, et se détachait enfin du reflet de sa plaque de flic pour sortir de l’appartement, sans même claquer la porte. Des bruits dans les escaliers, plusieurs personnes apparemment. Il ne voulait pas être surpris, alors il se précipita vers l’escalier de secours, cage métallique extérieure. Il commençait à dévaler les marches aussi vite que lui permettaient sa corpulence et son chargement, alors qu'une silhouette semblait se dessiner au niveau du premier étage.


Dans la pièce sombre où elle avait installé sa tanière, ses multiples écrans techyoïtes renvoyaient des lumières bleutées. Elle admirait ses exploits, un sourire satisfait et dément sur ses lèvres décolorées. Sur l’image placée en haut à droite, un mouvement attira son attention : c’était une des caméras discrètement dissimulées dans le quartier de Robert Peterheson, Elle voyait l’homme gras descendre à toute vitesse les marches de l’escalier de secours de son immeuble, sac de voyage à la main. Une lueur folle brilla dans ses yeux dont l’iris possédait une étrange couleur rouge bordeaux.

- On dirait que les rats quittent le navire ?! Il n’est franchement pas coopératif, j’avais prévu de le tuer que demain. Demain hein ? C’est bien ça ?!

Pas une réponse ne brisa les ténèbres où elle était tapie, mais elle dégaina l’un de ses nombreux révolvers, l’inspectant avec la mine concentrée d’un enfant qui redécouvre un jouet.

- Qu’est-ce que tu en dis Pow ? demanda-t-elle soudainement en regardant au ciel. Faut aller l’intercepter hein ? Il ne doit pas s’échapper, surtout pas lui.

Gregory avait parlé trop vite, et il s'en rendait compte au vu des réponses de ses homologues féminines. Il avait la volonté de participer et d'aider, mais rien de constructif ne sortait de sa bouche. Même sic e n'était pas comme au début où il n'arrivait pas à en placer une, là c'était en quelque sorte pire. Déjà que physiquement il ne servait à rien au corps-à-corps, et qu'il n'était bon à rien à part courir, il n'aidait pas trop. Il se sentait tellement inutile que cela le révulsait. Il était faible, et il voulait devenir plus puissant pour qu'on ne le regarde plus de haut. Mais tous ces sentiments, bien que justifiés, n'avaient pas raison d'être. Il avait beau vouloir être utile, l'expérience, les pouvoirs et les objets des deux filles les rendaient tellement plus fortes et leur donnait de quoi se battre. Il devait découvrir ses pouvoirs, et il devait se dénicher de quoi être plus fort.

L'hématophobe était obligé de faire profil bas, et il rageait un peu de ne pouvoir rien faire, mais il acceptait amèrement cette fatalité en prenant sur lui-même.Ses yeux bleus étaient perdus dans le vide, ses pensées étaient perdues, et ses pieds marchaient d'eux-mêmes. Un pas après l'autre, il essaya de trouver le courage de continuer, car à quoi bon continuer à être la cinquième roue du carrosse si ce n'est de rajouter du poids pour finir par être un boulet qu'on traine. La seule chose qu'il avait fait de bon pour eux était d'avoir quoi, fait à bouffer ? C'était comme s'ils devait compenser son inutilité par ses basiques notions de cuisine approximative. Il n'avait pas l'habitude d'être en quelque sorte en bas de la chaine alimentaire, et le fait de ne plus être dans le top lui empêchait de profiter au maximum. Mais il faisait avec, car après tout, seul les nuls restaient où ils étaient. Lui pouvait progresser, et si ça se trouvait, il allait avoir un pouvoir qui servirait.

Même s'il savait que ses espoirs étaient assez infondés, il gardait en tête que l'utilité viendrait avec le temps passé dans ce monde, et qu'à la fin de cette quête il allait déjà être plus fort,que ce soit avec l'expérience acquise ou avec leurs pouvoir qu'il se découvrirait.

Leur plan avançait, et la proposition de Melena fut sûrement celle qui sortit du lot. Tout était parfait, et ils avaient désormais une grande chance d'attraper Janice si elle se montrait sans les tuer avant. Cela montrait à quel point Melena pouvait être puissante dans les conditions propices. Arrêter un voyageur très puissant comme ça, et surtout manipuler des cadavres, l'idée était macabrement géniale. Même si Gregory restait inférieur à la thanothophobe, il n'en restait pas moins qu'il était fasciné par ses pouvoirs, bien que cela n'implique que trop le sang, ce qui le fit frissonner. Ce plan était déjà en train de bien se former, et l'addtion de Dakota scella le tout. Ils étaient presque prêts, et étaient passé d'une situation ou ils ne savaient pas quoi faire à une situation où ils pouvaient éventuellement arrêter la terroriste.

Malgré que le plan soit assez génial en soit, et qu'ils disposaient d'une grosse protection avec le NPL de Dakota, il en restait tout de même qu'ils ne connaissaient pas l'étendue des capacités de Janice, et cela restait un facteur déterminant pour leur réussite éventuelle. Mais si Greogry restait derrière, pour surveiller les cibles pour ne pas qu'elles s'échappent, et que Melena et Dakota restaient devant en étant potentiellement intuables avec leurs pouvoirs, tout devrait bien se passer. Enfin si les deux mourraient l'une après l'autre et qu'elles ressuscitaient pas, il pourrait toujours prendre la poudre d'escampette, mais il n'allait pas survivre bien longtemps tout seul. Cela lui brulait le cerveau d'admettre ça, mais il était entièrement dépendant des deux filles pour survivre – sans misogynie bien sûr, complexe d'infériorité ici.

Gregory regarda autour de lui lorsqu'ils arrivèrent devant l'immeuble où logeait leur premier « client » particulier. C'était un peu miteux sur les bords, et cela révulsait l'hématophobe de devoir entrer là-dedans, mais au moins il ne mettait pas les pieds dans les égouts. Melena s'était portée volontaire pour aller surveiller l'escalier de secours, et Gregory suivit Dakota à l'intérieur.

A peine eurent-ils fini de monter les marches jusqu'au premier pallier que Melena leur fit comprendre qu'il fallait revenir. Gregory se retourna direct et dévala les marches à grande vitesse. Il pouvait entendre du bruit dans les escaliers de secours, sûrement que quelqu'un les avait remarqué et qu'il se dépêchait de s'enfuir et prendre la poudre d'escampette. Il espérait que Melena réussisse à la stopper pour qu'ils puisse l'aider en temps voulu. Il comptait sur elle, car lui n'était pas doué, et puis surtout Melena avait plus d'un atout dans son sac.

Gregory s’était enfermé dans un mutisme aux allures boudeuses. Sans doute que se faire rabrouer par les deux filles ne lui avait pas fait plaisir, mais la nécrophobe n’arrivait pas à s’en vouloir.

Dakota n’avait pas rejeté son idée, c’était un bon point. Melena écoutait l’opinion de son allié d’une oreille attentive, suivant discrètement des yeux les numéros de rue qui défilaient. Un frisson était descendu le long de sa colonne vertébrale : elle devrait faire face à la terroriste seule, alors qu’elle disposait de tous ses pouvoirs ? Un instant, elle eut l’impression de prendre brusquement conscience de tout son corps ; comme si un liquide glacé, entre appréhension et détermination, s’écoulait dans ses veines. C’était son heure, pas vrai ? Elie n’aurait pas eu peur, elle. Ace non plus sans doute. Ils avaient prouvé pendant toutes les épreuves de Freedoom qu’ils avaient la force de prendre des risques pour réussir. Si elle n’avait pas le courage de faire la même chose, ce serait comme admettre qu’elle n’avait pas sa place parmi les privilégiés de la tour de la paresse.

- J’ai déjà une dame blanche, souffla l’irlandaise alors qu’ils s’immobilisaient devant l’immeuble portant le numéro 118.  

C’était un endroit répugnant. D’autant plus choquant finalement que la ville était sensiblement semblable à San Francisco. Melena n’avait plus franchement l’impression d’être à Elipse, mais plutôt dans un de ces bas quartiers américains où une bande de racailles patibulaires pouvait débarquer à tout moment pour les raquetter – dans le meilleur des cas. C’était à se demander pour quelle raison un flic vivait ici en fait : il aurait dû se faire dessouder la tête avant même d’emménager. Ou bien il était tellement pourri que les voyous du quartier l’avaient adopté pour x raison, la nécrophobe n’était pas vraiment sûr de vouloir savoir.

Quand la phobophobe demanda si c’était bien au quatrième, elle répondit d’un « oui » absent, ses yeux gris figés sur la loque humaine en train de se défoncer sur le perron. Melena avait un air hautain de dégoût quand elle arrivait au premier. Les lieux étaient réellement crades, presque glauques. Il ne devait plus y avoir de femme de ménage depuis un moment, c’est sûr. Sans le dire, elle apprécia la présence d’esprit de Dakota qui suggéra de surveiller l’escalier de secours et leva la main pour signaler qu’elle y allait.

A peine avait-elle rejoint la cage métallique agrippé au flanc de l’immeuble qu’un concert de pas précipités lui parvint. En levant les yeux, elle aperçut un homme portant un uniforme de la police, sac de voyage en main, dévalant les marches quatre à quatre, le teint blafard. Trop d’éléments coordonnaient : elle ne l’avait jamais vu, mais se doutait que c’était leur homme.

- Robert Peterheson ? Appela-t-elle sans pouvoir retenir une grimace de dégoût à la vue de cet individu gras au passif de violeur.

En d’autres circonstances, il se serait arrêté – ou aurait au moins ralentit – pour dévisager cette adolescente aux traits exotiques. L’instinct de la bête aurait repris le dessus quelques secondes, le temps de s’imaginer la dominer dans son lit. Mais ce jour-là, il était ailleurs. Il bouscula l’irlandaise sans ménagement, manquant de l’envoyer au sol, et poursuivit sa course.

- Hey ! Il est là ! s’exclama la jeune fille, sans savoir si ses compatriotes ne seraient pas trop loin pour l’entendre.

Se lançant à la poursuite de leur cible, bien plus rapide que lui compte tenu de sa condition physique, Melena l’avait rejoint en quelques enjambées et lui attrapait l’épaule pour le retenir. Elle l’avait touché… il allait falloir qu’elle lave sa main plusieurs fois.

- Arrêtez-vous, on doit vous parler ! C’est au sujet de Janice White.

Elle avait pensé que le nom de la terroriste le ferait réagir, mais pas de cette façon. Robert fit brusquement pivoter toute sa masse pour la frapper avec son sac de voyage. Cette fois-ci, le corps frêle de la thanatophobe fût balayé par la force du cinquantenaire. Le temps qu’elle redresse la tête, ce dernier avait sorti son arme de service et la tenait en joue, hésitant à décider s’il devait l’abattre ou pas. Qui était-elle pour avoir entendu parler de Janice ? Que venait-elle faire ici ?

Son cœur s’était mis à battre à lui fracasser les cotes, mais cette longue hésitation fût propice à Melena. Cet air concentré que Robert prit sans doute pour du défi, c’était en fait celui d’une nécrophobe qui faisait apparaître son coffre à cadavre dans son dos. Sur le coup, elle s’en moquait royalement qu’ils soient en pleine rue, que n’importe quel élipsien aurait pu la voir. Cette espèce d’immondice humanoïde menaçait de la tuer, c’était trop pour ce qu’elle pouvait tolérer. Son cadavre se dressa hors de sa boite, dégelé cette fois, et tapota l’épaule du flic ripoux afin de lui envoyer une droite quand il se retournait.

Il était lourd. Il fût à peine désarçonner, mais sous la commande de l’irlandaise, la charogne réitéra encore. Et encore. Et encore. Rouant de coup le pauvre homme trop vieux pour se battre contre un adversaire qui ne ressentait pas la douleur des coups qu’il lui rendait maladroitement. Robert finit alors par tomber par terre, essoufflé, mais Melena ne se priva pas d’ordonner à son sbire mort de lui balancer encore deux/trois coups dans les côtes. Elle se remit sur pied en observant les alentours, s’assurant qu’aucun groupuscule extrémiste n’était sur le point de lui tomber dessus, et lui confisqua son arme tombée par terre. Sans abandonner le lien sur son cadavre, elle attrapa sa couronne de méduse pour la mettre sur sa tête, transformant ses cheveux noirs en une masse de serpents sifflant de rage. Le flic fût alors relevé de force par la charogne, tandis que l’irlandaise s’approcha, le visage frémissant d’une colère contenue.

- Ecoute-moi bien espèce de connard, si ça ne tenait qu’à moi, je t’aurais tué maintenant, tout de suite, en faisant en sorte qu’il t’arrache les couilles à vif. Mais je suis là pour arrêter la terroriste, et je suis sais que t’as plein de chose à nous dire. Donc on va retourner chez toi, et on va discuter. Et essaye même pas de t’enfuir encore, ou d’appeler à l’aide. Je te promets que je te tue.

Fût un temps, il aurait peut-être joué au gros dur, mais là… la lueur glacé dans les yeux d’orage qui le dévisageaient ne mentait pas. Il était flic, il voyait ces choses-là… et ne voulait pas mourir. Il n’y avait même pas de témoin. Les gens se barricadaient quand ils ne partaient pas à cause des attentats. Il ne restait que les junkies, comme cette épave sur le perron de son immeuble, qui le regardait sans le voir.

Gregory, qui avait entendu l’appel de sa collègue, se tenait à quelques mètres de là, l’air de se demander comment il pourrait aider. Ça tombait bien, parce que la migraine commençait déjà à marteler son cerveau. Melena commanda donc sa marionnette pour qu’elle traine Robert sans ménagement jusqu’à l’hématophone et lui dit :

- Je te laisse prendre le relai ?

En réalité, son ton était sans équivoque. Quand l’ainée du trio se fût décider à attraper leur cible par le col pour le ramener dans son appartement, l’irlandaise renvoya son mort dans son coffre et fit disparaitre le tout.

Melena s’était dévouée pour surveiller l’escalier de secours, laissant Gregory et Dakota en tête à tête. Elle le fixa un moment en silence puis se remit à gravir les marches comme s’il n’existait pas. Elle ne savait pas quoi lui dire ni quoi faire de lui. Chaque fois qu’elle se retrouvait confronté à un nouveau voyageur c’était la même chose : la gamine avait l’impression de se retrouver devant des pseudos répliques de son Moi passé, en bien moins débrouillardes. Mais l’hématophobe avait au moins le mérite d’essayer de se rendre utile et non de geindre comme 99% du sang neuf qui débarquait à Dreamland. Ca au moins, elle pouvait le reconnaître.

Alors qu’ils étaient presque arrivés au 4ème, la voix de l’irlandaise retentit à l’extérieur, les avertissant que Robert tentait une fuite de son côté. Alors que Jake se précipitait dans les escaliers, Dakota sortit son miroir de poche tout en descendant à son rythme. Elle ne voulait pas déranger Mary pour rien. S’ils arrivaient à se débrouiller sans recourir à ses pouvoirs ce serait tout aussi bien.

Une fois sur le perron elle vit le cadavre de Melena qui retenait le flic prisonnier et Greg’ qui tentait de mettre ses muscles à profit en prenant le relais. Autant dire qu’ils s’étaient montrés étonnamment efficaces, elle se contenta donc de les regarder venir, droite comme un i à côté du drogué qui avait sérieusement l’air de se demander si ce qu’il voyait était une hallucination due à la drogue. Bien sûr son inactivité n’avait pas l’air d’avoir plus mais cela lui passait bien au-dessus. L’air impassible elle se contenta de gravir les escaliers, menant le groupe jusqu’à l’appartement de leur otage.

La première chose qu’elle pensa était que cet appartement sentait l’urine de chat. C’était le parfait logement d’un vieux célibataire, bordel et saleté au rendez-vous. Des coupures de journaux de ses « hauts-faits » du passé étaient épinglées de ci de là, probablement pour flatter l’égo de cet abruti obèse. Dakota fit signe à l’hématophobe de laisser leur prisonnier s’installer dans un fauteuil, non sans avoir verrouillé la porte au préalable. Elle fit signe à Mel’ qu’elle s’occupait du reste et prit place à son tour dans un fauteuil qui faisait face à Robert.

- Mr Peterheson, il va falloir que vous coopériez. Vous devez vous savoir la cible d’une certaine Janice Wh…
- J’ai rien fait de mal ! C’était qu’une salope de voyageuse ! Et regardez ce qu’elle fait à présent ! On n’aurait pas dû la louper cette sale petite p…
- Je ne saurais que trop vous conseiller de vous taire. Je suis plutôt patiente, mais je ne tolérerai pas ce genre d’échange non productif.

L’homme la fixa d’un œil presque amusé. Comment cette mioche pouvait penser lui faire peur ? L’autre qui contrôlait les cadavres c’était autre chose… mais elle ? C’était tout bonnement ridicule. Et ce raisonnement était si visible sur son visage que Dakota ne pouvait le rater. Elle tourna la tête vers le buffet dont les portes de verre lui renvoyaient son reflet blafard. Le nom de Mary fut prononcé une fois, puis deux, puis trois… et la revenante s’extirpa de la surface réfléchissante. A la vue de la morte ensanglantée, un couteau à la main, le sang de l’otage ne fit qu’un tour. Il allait peut-être parler finalement. A quoi bon se taire si c’était pour mourir ? Il ne faisait pas le poids face à trois enfoirés de voyageurs.

- Je vous présente Mary. Si vous avez des problèmes à parler elle se fera un plaisir de vous agrandir la bouche pour faciliter la manœuvre. Pas la peine de me remercier, c’est un plaisir pour moi de proposer.
- Tu ne veux pas te taire pour voir ? ajouta Bloody Mary, un étrange rictus sur le visage.

Dakota laissa le temps à la menace d’imprégner le cerveau de son interlocuteur avant de reprendre :

- Nous savons ce que vous avez fait à cette femme il y a dix ans. Nous savons aussi qu’elle souhaite vous exterminer jusqu’au dernier dans un très court délai. Alors si vous voulez vivre, il va falloir nous donner les noms des autres. Nous pourrons alors assurer votre sécurité jusqu’à ce que nous capturions Janice. Elle adressa un regard appuyé à Melena, qui semblait lui dire « pas de vendetta ». Nous n’avons pas le temps de tourner autour du pot. Si vous tentez de vous jouer de nous ce n’est pas elle que vous devrez craindre. Vous serez mort bien avant ça.
- Je… rha… c’est bon. Mais vous me protégerez ok ? Je ne veux pas crever comme un chien. Elle a déjà eu au moins cinq d’entre nous. Il doit rester Damien Heatfield, Jason Young, Peter Osbourn, Alexander Higgins, James Higgins et… j’ai jamais su le nom de l’autre. C’était Dick qui l’avait amené avec lui. Un petit de sa brigade à qui il voulait montrer la vraie vie.

Les lèvres de la surdouée se pincèrent en entendant ça. La vraie vie ? Violer, torturer et tuer des femmes sous prétexte qu’elles étaient voyageuses c’était la vraie vie ? Bon sang, ces Elipsiens étaient vraiment du même acabit que les nazis.

- C’était lui qu’on avait chargé de se débarrasser du corps de cette gonzesse… cette enfoiré ne s’est même pas rendu compte qu’elle était encore en vie. Il était hors de lui parce qu’elle lui avait crevé un œil, le gauche, il devait pas avoir les idées claires et maintenant ça nous retombe sur le coin de la gueule !

Robert avait presque l’air de chercher de la pitié, mais l’esprit de Dakota était ailleurs. Ses mains jusqu’alors occupées à noter les noms qu’on lui donnait s’étaient figés sur la feuille griffonnée. Il avait parlé d’un jeune policier, quelqu’un qui aurait eu le temps de monter en grade en dix ans. Quelqu’un qui détestait les voyageurs et qui était borgne. **Quelqu’un qui nous a probablement caché volontairement des informations, cet imbécile !**

La phobophobe se redressa avec raideur et emmena Gregory et Melena dans la cuisine, laissant Robert sous la bonne garde de Mary. Une fois sure de ne pas être entendue de leur otage elle entreprit de leur faire part de ses déductions tout en sachant pertinemment le type de réactions que cela risquait de provoquer chez l’irlandaise.

- Celui dont il nous manque le nom… je suis persuadée que c’est Azael. Il devait être le sous-fifre de Malls avant d’arriver là où il est. Ça expliquerait aussi pourquoi il nous a donné aussi peu d’informations : il avait peur qu’on remonte jusqu’à lui et que cela détruise sa carrière. Peut-être même espérait-il que nous nous entre-tuerions avec Janice. L’important étant qu’il n’aura pas ce qu’il veut. Il faut qu’on aille au commissariat pour dégoter leurs adresses et vérifier que d’autres ne font pas déjà partie de la liste des victimes des attentats. Et bien sûr… il va falloir se traîner ça.


Elle désigna d’un geste méprisant l’homme obèse dans la pièce adjacente, plaqué au dossier de son fauteuil sous l’effet de la peur.

Gregory était sous le coup de l'action, et avait dévalé les escaliers pour rejoindre Melena, qui était en bas et avait sûrement besoin d'aide. Au moment  où il arriva dehors, leur cible, Robert Peterheson, était déjà neutralisée, et visiblement Melena, qui s'en était bien tirée, lui demandait de l'aide. Enfin il était utile pour quelque chose ! Enfin il restait un peu l'homme à tout faire, mais ça lui allait. Du moment qu'il ne nettoyait pas derrière les corps ensanglantés ça lui allait. Il s'empressa de prendre l'ex futur échappé, et de le ramener par la peau des fesses dans son appartement. Enfin presque... Il le conduisit peu gentiment, répondant aux tentatives vaines de gagner plus de liberté par une prise plus ferme de sa part, si bien qu'il se comporta bien jusqu'à ce qu'ils soient arrivés dans l'immondice qu'était son appartement.

Cela répugnait Gregory que quelqu'un puisse vivre dans un tel désordre et dans une telle porcherie. Le dégout pouvait se lire sur son visage, et il s'empressa d'envoyer sa prise sur le canapé, donnant le relai à Dakota, qui fit un boulot d'enfer. Tout était parfait, et Gregory était aux anges. Il devait certes arrêter celle qui voulait le tuer, mais le voir souffrir mentalement et avoir peur ravissait l'hématophobe. Au moins  il n'avait que ce qu'il méritait, et la suite risquait d'être encore plus compliquée pour lui. Cependant, la porcherie dans laquelle ils étaient éveillait des images glauques et terrifiantes dans la tête du jeune voyageur.

Sa vision se troubla, remplacée par l'écho de coups de feu produits par son propre cerveau, dans sa scène imaginaire. Il voyait des cibles humaines se faire cribler de balles, avec un sourire diabolique qui retentissait. Du sang jaillissait de partout, rendant sa vision rouge. La vision s'arrêta d'elle-même, lorsqu'il fut sorti de l'horreur par Dakota, qui les intimait à venir discuter plus loin. Gregory se demandait bien ce qu'il lui était arrivé, mais la réponse lui vint toute seule. L'endroit respirait tellement le mal vivre, qu'il en dégageait la même impression qu'il avait  à chaque fois qu'il repensait au tragique incident qui avait changé sa vie. Il ne voulait pas rester ici, et c'était avec joie qu'il entendit la partie où la phobophobe disait qu'ils devaient s'en aller d'ici.

-Je suis tout à fait d'accord avec toi pour Azael, ça coule de source quand  on y pense. Du moment qu'il ne nous empêche pas d'avancer ça va, mais ça risque d'être dur de persuader de venir avec nous pour exécuter notre plan, enfin, sauf si vous savez déjà comment vous y prendre, dans ce cas-là je vous laisse faire. Mais je suppose qu'on peut pas procéder de la même manière avec lui. A voir...

Il laissa sa phrase et son attitude en suspens pour quelques secondes, et pensa à quelque chose.

-Bon, on se tire d'ici ?

C'était plus une question rhétorique qu'autre chose, car ils n'avaient pas de temps à perdre. Mais cela suffit pour faire s'activer les gens de la pièce. Gregory marcha calmement vers Robert, qui était toujours collé à son siège, et qui n'avait visiblement pas envie d'y bouger tellement  il avait perdu ses balls. L'effet de la peur était assez impressionnant, et  il suffit à l'hématophobe de prendre un ton calme mais intimidant pour le faire filer droit.

-Tu voulais t'éclipser avec ta voiture ? Dommage, parce que maintenant tu vas nous conduire au commissariat, et si tu t'avises de faire quoi que ce soit qui puisse fâcher l'un d'entre nous, eh bien tu sais ce qu'il se passera. N'est-ce pas ?

Robert ne put qu’acquiescer silencieusement, et la peur qui se lisait dans les yeux de cet être déshumanisé suffisait à lui faire  perdre toute notion de soi-même. Il leur obéissait, parce qu'il dépendait d'eux pour survivre. Mourir ou vivre mais devoir servir, le choix était vite fait pour ce lâche du premier ordre. Ainsi, ils sortirent de l'appartement tous ensemble, et ils furent guidés vers la voiture qui allait les conduire jusqu'au commissariat.

Etait-ce dangereux de le laisser conduire ? En même temps Robert devait connaître le chemin pour les mener là ou les voyageurs voulaient, et ça serait plus facile. Il interrogea les deux fille du regard, pour avoir une réponse, et regarda aux alentours. Les rues étaient presque désertes, et tant mieux. Mais ils n'étaient pas seuls. Ils avaient généré un peu de boucan pour récupérer la première future victime, et l'information ne tarderait pas  à venir aux oreilles de la terrible Janice White. C'était logique, car  si elle avait  pu descendre la cible manquée à une station service où elle savait qu'il était, elle devait avoir des moyens de se renseigner.

Ils ne devaient donc pas tarder et se hâter de bouger, au cas-où que quelque chose n'arrive.

Tandis que Gregory faisait rouler ses biscottos pour inciter Robert à marcher au pas, Melena suivait en fermant la marche, pinçant l’arrête de son nez. Mal à la tête. Comme chaque fois qu’elle utilisait ce pouvoir. Avec le temps, elle s’y habituait, mais se demandait quand même si un jour, cet exercice serait moins épuisant. Le concert de sifflement des serpents noirs qui ornaient sa tête ne l’aidait pas, mais elle se refusait à ôter sa couronne de méduse. C’était son ultime moyen de pression : si leur cible faisait le moindre geste presque, il était mort. C’était sans équivoque, quoi qu’en dise Dakota.

L’appartement était dégoûtant. Un de ces taudis si sale qu’ils avaient l’air glauque qu’on voyait dans les films américains sauf que cette fois, elle y était. Quand la benjamine fit signe qu’elle s’en chargeait, l’irlandaise haussa les épaules en se détournant. C’était mieux comme ça, elle n’aurait pas la patience de discuter avec un type comme lui. Quand la phobophobe fit apparaître Bloody Mary, Melena fronça ses sourcils enflammés par la migraine. Elle ne lui avait pas parlé de ça quand ils étaient censés se « confier » leurs pouvoirs et leurs compétences.

Qu’importe. L’heure n’était pas aux querelles internes et force était de constater que jusqu’à maintenant, la gamine faisait son travail et le faisait bien. Après un regard entendu avec la blondinette, la nécrophobe s’octroya le droit de s’aventurer dans la cuisine. Les relents de vaisselles sales et de poubelles pleines de nourriture moisie lui soulevèrent le cœur, elle crut même voire un cafard courir dans un coin sombre à son approche. Ouvrant tous les placards un à un, sans soucis de pudeur mais du bout des doigts, l’adolescente poursuivit son manège jusqu’à ce qu’elle trouve ce qu’elle cherchait : un flacon de cachets d’aspirines. Elle prit soin de choisir le verre qui avait l’air le moins sale et le remplit d’eau pour faire passer le médicament. Après tout, elle n’avait jamais essayé… Ça apaiserait peut-être le contrecoup de son pouvoir ?

Au final, elle avait été presque heureuse de retrouver l’odeur d’urine de chat et de vieille sueur qui régnait dans le salon tant celle de la cuisine était infecte, mais Dakota leur demanda d’y retourner pour un petit conciliabule. Effectivement, Melena avait écouté le discours de Robert distraitement avant de quitter la pièce, mais n’avait pas entendu la partie concernant Azael. Elle eut l’impression que son corps tout entier était fait de glace, comme la statue qui représentait Dakota dans son miroir en argent. Encore une fois, Dakota et Gregory avaient l’air d’accueillir la chose avec objectivité alors qu’elle… elle devenait folle. Ils étaient en train de bosser pour un violeur ?! C’est ÇA sa mission d’adepte ? Faire le ménage pour un enfoiré de criminel qui, en plus, avait réussi à monter en grade avec son sourire méprisant aux lèvres ?!

Et en plus elle devrait protéger ces monstres ? Les laissez en vie après ce qu’ils avaient fait ? Non. Aucun moyen qu’elle l’accepte au fond d’elle-même. A cet instant, il n’y avait que la présence de la mariée fantôme qui l’incitait à rester calme et à ne pas aller tuer Robert sur le champ. Mais tout son mépris devait suinter de ses mots lâchés d’une voix glaciale :

- Azael… bien sûr.

Un jour, elle reviendrait finir le travail que Janice avait commencé. Pour l’instant, l’injonction des gardiens de ne pas faire de vague planait sur sa tête et elle ne voulait pas mourir pour une poignée d’ordures. Elle ne voulait pas mourir tout court. Mais un jour… un jour. La menace de Gregory, bien que l’objet soit louable, lui tira un sourire en coin sarcastique. Il se prenait au jeu maintenant ? Ça y est, on a des alliés puissants alors on se sent pousser des ailes… il aurait moins fait le malin si Dakota et elle-même n’étaient pas là.

Pourtant, sa tirade désagréable resta bloquée dans sa gorge. Elle n’avait pas le cœur à s’en prendre à leur aîné, toute sa colère était actuellement dirigée envers les cibles de la terroriste. Une fois dans la voiture, l’irlandaise choisit de s’asseoir dans le dos de Robert. Ses serpents pouvaient alors sournoisement se glisser sur ses épaules pour lui rappeler ce qu’il encourait à la moindre bêtise.

- Et bien démarre, siffla-t-elle, on n’a pas la journée.

Le contact fit vrombir la vieille voiture. Melena se pinça encore l’arête du nez, tentant de faire abstraction à la fois de sa migraine et de son rythme cardiaque accéléré, pour réfléchir calmement.

- Vous ne pensez pas que ce serait mieux de demander à Azael de rassembler tous les types de la liste encore vivants ? Quand on pense à Dick Malls… Janice a pu le retrouver à la station où il prenait de l’essence. Ça s’est passé le soir alors que son immeuble a explosé dans la matinée, donc on peut supposer soit qu’elle était occupée, soit qu’il lui a fallu un moment pour le retrouver, mais elle l’a fait. Alors…, elle regarda dehors comme si d’un coup, une silhouette allait surgir de nulle part, on peut penser qu’elle les surveille tous. Elle doit avoir un moyen de savoir où ils sont, ou au moins, où ils ne sont pas. Du coup… si on va tous les récupérer un par un nous même, elle risque de se rendre compte de notre manège et viendra nous intercepter avant qu’on soit prêts à l’affronter. Si on demande à Azael d’organiser une opération de rapatriement pour toutes les cibles en même temps… je ne suis pas sûre que Janice puisse tous les intercepter en même temps.

Ses yeux gris se tournèrent vers Dakota. C’était son approbation – ou en tout cas son avis – qu’elle attendait. Gregory, elle s’en fichait un peu.

- Il ne pourra pas nous refuser ça après ce qu’on sait sur lui.

Ses déductions faisaient l’unanimité et, comme Dakota l’avait supposé de prime abord, la découverte de la nature de violeur de leur « patron » n’était pas pour plaire à Melena. C’était même un doux euphémisme. Si son apparence restait calme, son regard, lui, flamboyait de haine mal contrôlé. Le rapide coup d’œil vers Mary fut suffisant pour comprendre ce qui retenait la nécrophobe d’aller faire la peau au borgne. La blondinette lâcha un soupir discret, levant les yeux au ciel. Ça n’allait pas être de la tarte si elle devait tenir cette fille en laisse.

Heureusement que Gregory restait calme et objectif. C’était toujours ça de moins à gérer. D’ailleurs à peine le trio était-il revenu dans le salon que celui-ci se prenait au jeu en menaçant le flic pour le pousser à prêter sa voiture. Le seul hic c’était que pour que la menace ait un poids il fallait pouvoir la mettre à exécution, mais le jeune homme avait bien de la chance que le flic ripou ne sache pas qu’il était un bleu en tant que voyageur. Dakota leva les yeux au ciel devant cette scène, attendant tout même patiemment qu’il ait fini. Si cette technique marchait, tant mieux !

Et elle marcha. A croire qu’après avoir vu Mel et Dak’ à l’œuvre le pauvre homme n’avait pas envie de tenter le diable en asticotant le troisième voyageur.

Fermant la marche, la gamine suivit la troupe jusqu’au tas de ferraille de Robert, Bloody Mary à ses côtés. La revenante n’était pas du genre à apprécier les balades, aussi à peine furent-ils montés en voiture qu’elle se tourna vers la phobophobe assise à l’arrière entre Greg’ et elle.

- Bon, maintenant tu m’expliques. Tu attends quoi de moi ? Pas de la collecte d’informations j’espère, sinon je m’en vais tout de suite, j’en ai marre de tes conneries.

Dakota inspira profondément pour se retenir d’être désagréable avant de désigner Robert du doigt et de répondre de sa voix monocorde :

- Non, le but pour l’instant c’est à la fois de protéger et de surveiller cet homme et ses anciens camarades que nous n’allons pas tarder à retrouver. Ils vont nous servir d’appâts pour attirer une dangereuse voyageuse. Et comme tu t’en doutes, un appât marche mieux quand il est vivant.
- C’est presque dommage, je n’ai pas tué depuis si longtemps que j’aurais bien été tenté de répandre ses tripes dans l’habitacle.

Suite à cette révélation la voiture zigzagua, le flic se mettant à transpirer abondamment, les mains crispées sur le volant. A cette vue la revenante lâcha un rire sarcastique puis se tourna vers l’hématophobe. Celui-ci ne semblait pas en mener large, et à raison ! Lui qui avait peur du sang, Mary en était imbibée. Sa longue robe blanche, sa peau d’albâtre, son couteau… tout était éclaboussé d’hémoglobine en quantité astronomique.

- Qu’est-ce qui y’a ? Ma tête te revient pas ? lui cracha-t-elle, agressive.

Dakota qui réalisait seulement le problème en train de se poser leva les deux mains en signe de paix. Elle avait fait totalement abstraction du fait que le jeune homme avait une peur phobique du sang et les choses risquaient de mal tourner. Non seulement Mary était susceptible mais s’il se mettait à faire une crise d’hystérie par-dessus tout ça ils risquaient de ne jamais arriver au commissariat… surtout que tout ça faisait naître une multitude de peurs chez elle, plus ou moins fondées.

- Ignorez-vous. Elle glissa ensuite à l’adresse de son invocation, l’air très sérieuse : C’est un allié, ne tente rien contre lui. C’est juste sa phobie qui s’exprime. Laisse tomber.

Non sans un nouveau regard noir Bloody Mary tourna son visage cadavérique vers la fenêtre et le reste du voyage se passa dans une paix relative. Dakota en profita pour tenter de planifier la suite des opérations. Tout d’abord, il était hors de question de laisser Melena rencontrer Azael. Ce serait donc Gregory et elle qui seraient en charge d’aller parler au chef de la cellule anti-terroriste mais il fallait d’abord trouver une bonne raison pour écarter l’adepte. Celle-ci était si fière et hargneuse qu’elle ne supporterait pas d’être simplement écartée. Il lui fallait une raison… raison qu’elle lui servit sur un plateau d’argent.

Pour charger Azael de récupérer les cibles il fallait d’abord leurs adresses. Ils n’auraient donc qu’à charger l'irlandaise de s’occuper du travail de recherche. Soit, ce n’était pas le boulot le plus gratifiant du monde mais il y avait peu de chance qu’elle s’insurge avec Mary dans le coin. Il était toujours utile d’avoir un mort couvert de sang sous le coude quand on traînait avec un hématophobe et une nécrophobe. Les moyens de pression étaient bien appréciables en temps de crise.

- Ça me va, ça nous économisera aussi du temps que nous pourrons mettre à profit ailleurs. Par contre il vaudrait mieux se répartir les tâches et comme je suis plutôt douée en négociations je pense qu’il vaut mieux que j’aille discuter avec Azael pendant que tu cherches les adresses des cibles dans la base de données. Devant l’air pseudo-réticent de Melena elle ajouta : Ne t’inquiètes pas, je ferais en sorte qu’il n’ait pas envie de nous faire sauter la tête.

La proposition fut validée alors que la voiture s’arrêtait devant le commissariat. Toute la troupe descendit de voiture et la phobophobe laissa Robert entre les mains de Melena. Elle avait beau haïr la bande de violeur elle ne lui ferait rien au beau milieu d’un troupeau de flicaille et Dak’ ne voulait pas se traîner un boulet avec la conversation importante qui l’attendait.

Après avoir quitté Melena et annoncé à l’accueil qu’ils souhaitaient parler à Azael, on les fit s’asseoir dans ce qui servait de salle d’attente pendant que quelqu’un allait se renseigner pour savoir si le chef de la cellule anti-terroristes voulait bien les recevoir. Inutile de dire que la présence de Mary n’était pas du plus bel effet au milieu de ces pseudos nazis en uniforme, mais Dakota s’en fichait bien.

Robert n'en menait pas large. Il avait peur, et si un jour prochain il s'en remettait, ce serait un miracle. Une telle peur était en lui, que sa personne s'était effacée, au profit d'un homme très obéissant qui luttait pour sa survie. Il était tellement dans un état second, que même Gregory semblait menaçant. Quelques minutes de réflexions auraient  pu rétablir ce préjugé, mais son cerveau était préoccupé pour le moment.
L'hématophobe avait bluffé sur le coup, et cela avait marché, enfin au moins pour Robert. Melena et Dakota savaient bien qu'il n'avait aucun moyen de pression autre que sa force physique, ce qui ne valait absolument rien dans le contexte où ils étaient. Dans un match 1 contre 1 à mains nues, il avait ses chances, mais la probabilité que cela arrive tendait vers zéro quand  on s'approchait de la réalité.

Il était toujours peu sur de lui, et même s'il essayait de ne pas le montrer, il sentait bien que sa présence n'était la plus utile du groupe. Ceci dit, il le savait, donc au moins  il ne jouerai pas les super héros.
Gregory avait progressé sur le point « je suis dans un nouveau monde ».Il était passsé de l'étape, « c'est pas possible » à l'étape « c'est bien la réalité », et il arrivait de mieux en mieux  à appréhender ce qui se passait autour de lui. Il s'adaptait. Ce monde ne l'avait pas encore changé, mais il savait que face  à la dure réalité de Dreamland, il allait être confronté à différents événements et circonstances qui allait le pousser à prendre des décisions qui allaient le changer.
Et puis il y avait sa phobie.

Il savait qu'ici il allait y être confronté, et l'idée lui faisait  froid dans le dos. Il y pensait, assis dans la voiture, dos contre le dossier de son siège, le regard plongé dans ellipse, la ville qui leur en voulait, mais  qui avait besoin d'eux. Il fut tiré de ses réflexions par une voix qu'il avait entendu dans l'appartement, et dont il n'avait pas vu la source. Ce devait être  un pouvoir de Dakota, elle qui tenait les rênes, oui, cela semblait coller. L'hématophobe se retourna, avec Dakota à côté de  lui, et puis Bloody Mary.
Bloody Mary
Le sang de Gregory fit un tour dans son corps, et l'information arrivait au cerveau. Du sang, partout.

Son regard ne pouvait s'échapper de cette vision. Il était paralysé par sa peur, et il avait envie de crier à plein poumons et s'en aller d'ici. Mais non, il restait là, sans bouger, et ne pouvait détourner son regard de l'horreur qui s'étendait devant lui. Souvent on dit qu'on ne peut détourner le regard des choses qui nous dégoutent, et là c'était le cas. Le cœur de l'hématophobe pulsait, et son sang faisait pression dans son corps, ravitaillant ses muscles en oxygène, essayant de le calmer. Mais cela ne faisait qu'aggraver les choses.

Des flash successifs entre la vision de Bloody Mary et celle de son enfance s'alternaient, de plus en plus sinistres. Tant de sang, ce n'était pas permis, ce n'était pas possible. Combien de fois avait-elle du tuer pour accumuler tant de sang ? Son corps en tressaillit.

Dans un grand effort, il serra sa main droite, comme point d'ancrage pour se reprendre, et commença à serrer de plus en plus fort. La douleur qui faisait son apparition permit à Gregory de se détourner de l'invocation meurtrière, et il put fermer les yeux. La douleur s'en alla avec un relâchement de la pression sur son poing, et cette main chercha la bouton pour faire descendre la fenêtre. L'air qui rentra doucement dans la voiture calma ses idées, et tout redevint plus agréable. Il ralentit son rythme de respiration, inhibant la peur qui voulait s'introduire dans son cerveau.

S'il devait faire ça à chaque fois qu'il voyait autant de sang, il allait souvent être handicapé. Il prit son courage à deux mains, et se retourna. Il laissa Bloody Mary dans s vision périphérique, et soncentra son regard sur Dakota. Elle n'était pas pleine de sang, elle, et elle était plus gentille que Melena. Enfin qui ne l'était pas ? Azael peut-être ? Ce n'était qu'une impression, mais il sentait que Melena ne l'aimait pas du tout. Dakota à la limite s'en fichait de lui, mais c'était déjà mieux.

Son avis comptait peu, donc  il hocha la tête quand il fallut être d'accord avec Mel. Même si c'était Dakota qui faisait le  poids sur les décisions, au moins les autres savaient qu'il était doté de capacités mentales suffisantes pour comprendre la situation et accepter la proposition.

Gregory ignorait  toujours Mary,et quand ils furent dans le commissariat, en salle d'attente, il se demanda s'il pouvait éventuellement faire de Dakota une vraie alliée. La phobophobe l'apprécierait-il ? Comment en être sûr ? Cette dernière ne montrait aucune émotion, et il était dur de savoir ce qu'elle pensait. Peut-être pouvait-elle au moins l'aider ? Il se tourna vers elle, et mit en action sa parole.

-Je suppose que je ne suis pas le seul phobique qui met les pieds  à Dreamland, et que les autres ont aussi été confrontés à leur peur. T'as bien vu ma réaction dans la voiture, j'étais pathétique. Il prit une respiration, et continua.  Si ici je suis confronté en permanence au ... sang ... , et que mes pouvoirs n'aident pas non plus, ça va être difficile. Tu sais par hasard si on peut faire quelque chose pour ça ?

Il n'espérait pas de solution miracle contre sa phobie, mais au!oins un conseil, une aide pour les situations critique, un moyen de refaire surface et de reprendre le contrôle de son corps. Tout ce qu'il voulait, c'est savoir s'il allait être handicapé à vie par sa peur, ou s'il pouvait éventuellement apprendre  à la contrôler.

Dos droit, mains sur les genoux et pied bien à plat, Dakota se tenait strictement immobile dans la position de la petite fille modèle. Si quelqu’un s’était amusé à mesuré les angles il aurait pu constater à quel point la gamine respectait la position jusque dans les moindres détails. Education ou amour de la géométrie ? Peut-être les deux, ou aucun à bien y penser… juste l’expression que sa pensée carrée. Ses yeux quant à eux suivaient consciencieusement le trajet de l’aiguille des minutes de la pendule qui lui faisait face. Elle avait l’impression qu’Azael tentait de les faire poireauter jusqu’à ce qu’ils s’en aillent mais c’était bien mal la connaitre. Elle ne partirait pas d’ici sans avoir eu ce qu’elle voulait.

Bien déterminée à attendre en silence, la phobophobe haussa un sourcil quand Gregory engagea la conversation. Elle tourna lentement la tête vers lui, un sourcil haussé. Que cherchait-il au juste ? Du réconfort ? Du soutien ? De l’amitié ? Bah ! Si le pauvre avait su le temps qu’il avait fallu pour nouer des liens entre James et elle, il aurait probablement été découragé d’avance par l’ampleur de la tâche. Ne restait plus qu’à voir si cette ignorance lui serait bénéfique ou néfaste…

- Pathétique oui, c’est le mot. Devant la tête que tirait Greg’ elle ajouta dans un soupir agacé, Ce n’est pas personnel, nous le sommes tous. Pathétique, j’entends. Je suis aussi une phobique et ma phobie me paralysait complètement dans le monde réel. Ici au début… c’était pire.

Elle avait même voulu mettre un terme à ses jours. Mais il n’avait pas besoin de le savoir. Pas besoin de la connaitre. S’il voulait une solution miracle ou de la compassion le pauvre risquait d’attendre longtemps.

- Il n’y a rien à faire. Que croyais-tu ? L’horreur reste la même. Mais plus tu y es confronté plus… plus tu arrives à la maîtriser. Plus tu prends du recul. Plus tu t’endurcis. Mais la peur ne disparaît pas, elle reste tapie au fond de toi, toujours. Sa voix se fait plus sourde, moins insidieuse, mais tu l’entendras encore. Je ne sais pas ce que tu attends de moi, mais si c’est te dire que tout ira pour le mieux dans le meilleur des mondes je crois que tu aurais dû poser la question à quelqu’un d’autre.

Bloody Mary lâcha un rire moqueur devant la tirade de son invocatrice. Ce n’était que trop vrai. Les Hommes vivaient dans la peur et mourraient dans la peur. Ils étaient ainsi faits.

Pendant ce temps Dakota avait tiré James-le-chat de son sac et le caressait distraitement. Ses pensées vagabondaient autour de l’idée de guérison… car c’était pour cela qu’elle était revenue, non ? Mais tout ce qu’elle souhaitait c’était non pas tuer sa peur mais la museler assez pour que sa vie ne soit plus une torture permanente. Si elle avait eu son meilleur ami avec elle, elle aurait pu lui en parler. Mais là ? Avec cet homme ? Non. Se livrer à un inconnu était inconcevable : autant donner une arme chargée à son pire ennemi. On ne savait jamais de quoi demain serait fait, ni si les alliés d’aujourd’hui le resteraient toujours. Moins il en savait sur elle mieux elle se porterait.

Mais son regard de cocker ne la quittait pas. Dans un sens il ressemblait à James. En moins guilleret. C’était une situation inconfortable pour la jeune fille qui n’avait pas l’habitude d’avoir à faire la conversation, surtout avec la secrétaire qui persistait à ne pas revenir.

- Quoi ? lâcha-t-elle finalement en levant les yeux au ciel, Je ne sais pas quoi te dire de plus. Je ne suis pas du genre à raconter ma vie. Je ne suis ni expressive, ni expansive. Je ne t’empêche pas de parler de toi mais je ne parlerai pas de moi. Il n’y a rien d’intéressant à dire de toute manière. Quant à te raconter ce que j’ai vécu, ce n’est ni le moment ni le lieu pour ça.

Tout en parlant elle suivait des yeux le manège d’une femme dans l’entrée, visiblement venue pour porter plainte. Elle portait un cache-œil et Dakota n’arrivait pas à se souvenir pourquoi ce visage lui disait quelque chose puis tout lui revint d’un coup. Elle avait fait partie de la foule, de la meute affamée qui les attendait au pied de l’immeuble où son groupe avait trouvé refuge lors de la nuit sanglante. La surdouée se souvenait encore lui avoir balancé au visage le morceau de verre qui lui avait servi à sectionner le tentacule du monstro-poulpe…

Elle était donc borgne ? Ce n’était que justice. Que disaient ces adeptes de la religion déjà ? Ah oui : « œil pour œil, dent pour dent ». Pour l’heure l’adage avait été plutôt bien appliqué, même si cette harpie n’avait même pas eu le quart de ce qu’elle méritait. Et les autres non plus. Mais ce n’était pas le moment pour une vengeance. Si Melena ne le comprenait pas, cela apparaissait à Dakota avec une clarté surréaliste. Lorsqu’elle en aurait les moyens, elle cherchait ceux qui lui avaient causé du tort. Elle ne frapperait pas au hasard non, elle choisirait avec un soin méticuleux ceux qui avaient essayé de la tuer et ferait en sorte qu’ils ne puissent plus recommencer. C’était peut-être le seul moyen de faire taire dans sa tête la foule de peur qui se bousculaient dans les tréfonds de son cœur. Celle d’avoir peur d’avoir peur de mourir, d’être blessée, de souffrir, de perdre James…

Gregory voulait avoir ce contact humain, une réponse pour confirmer qu'il n'était pas le seul à éprouver des difficultés dans ce monde, et même dans le monde réel. Quand il était confronté à sa peur dans sa vie, il trouvait toujours un moyen de prétendre autre chose, et personne ne le savait. Dans ces moments là il se sentait si inférieur et si faible, et il n'y avait rien pour changer ça. Au moins ici il y avait des gens comme lui, qui avaient aussi des faiblesses dans le même genre, mais pour d'autres raisons. Du coup il se sentait moins seul, et moins faible, vu que sa faiblesse allait se transformer en force avec ses pouvoirs qui se manifesteraient un jour, mais il en avait peur.

Dakota, elle, semblait bien s'en sortir avec Dreamland et tout le reste, toujours plongée dans une éternelle pokerface depuis le début du voyage, mais au moins elle était vivante. C'était une énigmatique adolescente, et quand  il la voyait, il apercevait le regard d'une adulte, mature et sûre d'elle. Cependant, son âme semblait torturée, tout comme l'avait  indiqué la vision dans le miroir aurait pu le laisser paraître. En plus sa posture géométrique était là, un ordre  impeccable, une apparence parfaite de petite fille gentille et obéissante, qui faisait totalement contraste ou compensation pour son caractère et sa façon d'être.

L'extérieur et l'intérieur de la phobophobe étaient tellement en contradiction que cela faisait ressortir une émotion chez le garçon du groupe. Même si l'esprit de Dakota pouvait lui aussi être très carré et structuré, Gregory avait conscience que l'adolescente avait vécu des choses terribles, et que cela l'avait changée. De plus, sa réponse directe confirma ce que pensait l'hématophobe. Même si elle ne voulait pas se livrer  à lui, elle avait quand  même révélé  un de ses  moments de faiblesse, quand elle était venue ici. C'était peut-être rien pour Dakota, mais pour Gregory, c'était l'équivalent d'une confidence.

-Je sais que ça s'en ira pas, fit-il, souriant tristement, regardant ses chaussures, se sentant encore pathétique. Ça serait trop facile sinon ...

Il rassembla ses deux mains, et regarda le chat de Dakota, puis la regarda  à nouveau. Elle lui faisait  penser à sa sœur Madilyn, dans les photos d'enfance qu'ils avaient.C'était ses yeux, oui ses yeux. Elles avaient les mêmes, enfin c'était ce qui semblait être évident pour lui. Sa famille lui manquait, mais cela lui faisait du bien de changer d'air. Sa vie du petit parfait étudiant qui réussit était monotone, et il se sentait seul au fond. C'était sa famille qui comptait le plus pour lui, et il s'en trouvait séparé. Heureusement, comme personne n'avait parlé des rapports de temps entre les deux mondes, il préféra penser que le temps s'écoulait différemment entre les deux mondes, créant certainement des paradoxes temporels.

Il se redemanda encore  une fois ce qu'il adviendrait de son corps quand  il se réveillerait. Où serait-il ? Qu'est-ce qu'on aura fait de lui ? Pourquoi l'avait-on drogué ? Toutes ces questions restaient sans réponses, mais  il n'avait pas envie d'y penser pour le moment. Son regard n'avait pas quitté la phobophobe, et il s'en rendit compte lorqu'elle lui parla de nouveau. Gêné, il arrêta de la fixer, et regarda James-le-chat, qui regardait tour à tour les deux phobiques.

-Je vais pas non plus te raconter ma vie, ça servirait à rien, dit-il dans un soupir. Par contre je me demande comment ça se passe pour faire le voyage en sens inverse. C'est pas que j'aimerai pas rester ici, mais je sais pas trop ce qui adviendra de mon corps là-bas. Enfin c'est pas encore le moment de s'en aller ...

Il n'avait pas envie de retourner d'où il venait, et encore moins envie d'affronter la réalité qui allait l'attendre. Il était un peu bloqué dans cette situation, mais au moins ce n'était pas comme s'il était poursuivi pour meurtre dans la vraie vie. Enfin peut-être se réveillerait-il et serait-il blessé, abusé sexuellement, voire kidnappé. Il y avait  plein de possibilités, et celle qui faisait le moins peur était celle de l'abus. Évitant de tomber dans la peur et l'anxiété, Gregory pensa à autre chose, comme à Melena, leur comparse qui était allée s'occuper d'autre chose, pour ne pas qu'elle égorge Azael vivant.

En voyant qu'il était en train de  jouer nerveusement avec ses mains, il les rangea dans ses poches. Il aurait  bien aimé avoir une capuche pour la rabattre sur sa tête et se couper du monde. Après tout ils avaient émergé du sommeil il y a peu de temps.
Il fixa le faux plafond avec ses néons qui grésillaient faiblement, et se demanda ce qu'il deviendrait dans ce monde. Qui savait, il allait peut-être réaliser son rêve d'être  un ninja ! Ouais il avait envie de devenir un ninja ici, et puis fuck la réalité, il allait partir à la chasse aux marshmallows dans la lande des arc-en-ciels.
L'hématophobe sourit devant sa propre stupidité. Il s'était trompé de monde décidément.

La voix de Gregory tira Dakota de ses pensées et elle reporta son regard glacé sur lui. Au moins il lui épargnait le récit de sa vie qui l’intéressait autant que la méthode de culture des haricots, mais il ne pouvait s’empêcher de poser des questions. Et si y devoir y répondre l’ennuyait profondément elle ne pouvait lui en vouloir de se les poser. Vu l’inquiétude qui transparaissait chez lui, il n’avait pas dû venir ici d’une bonne manière. Un coma peut-être, ou de la drogue ? C’était alors légitime de se demander s’il serait encore entier à son retour même si elle pouvait déjà le rassurer sur plusieurs points. Quant au fait de revenir par soi-même, là… elle n’avait pas encore la réponse.

- Je ne sais pas comment revenir sur commande. Certains le font mais ils ne doivent pas être arrivés ici de la même manière que moi. C’est l’hypnose qui m’a mené à Dreamland, aussi dépendé-je de mon médecin pour me réveiller. Certains, dans le coma, n’ont même pas la possibilité de revenir dans le monde réel.

Ça avait été le cas du charismatique capitaine qui les avait vendus à Sextus et probablement de beaucoup d’autres. Mais ce n’était pas le plus important, ce qu’elle allait dire achèverait probablement de rassurer l’hématophobe. Ou pas, pour ce qu’elle connaissait des émotions humaines.

- Mais si tu es là, entier, c’est que ton corps est encore dans le même état de l’autre côté. J’ai connu un voyageur qui était manchot dans le monde réel et la personnification de son âme souffrait du même handicap. Par conséquent, peu importe où tu es, tu es vivant et plus ou moins intact à ce que je vois.

La secrétaire choisit ce moment pour faire irruption dans la pièce et leur demander de la suivre. Dakota se leva avec raideur et suivi la femme sans même vérifier si Greg’ lui emboîtait le pas. Il leur fallut quelques minutes de marche pour parvenir jusqu’au bureau d’Azael. Celui-ci les attendait derrière son bureau, non sans un agacement visible. La surdouée ne savait pas s’il avait conscience de la raison de leur présence mais il était évident qu’il était tout sauf heureux de les voir. Et encore moins de voir Mary qui lui adressa l’un des regards les plus noirs de sa panoplie personnelle.

Sans attendre qu’on l’y invite, Dak’ prit un siège et fit signe à Gregory de faire de même. Il ne fallait surtout pas que le borgne pense mener la danse. Ils étaient ici dans une discussion d’égal à égal et il fallait faire en sorte que ça rendre dans la caboche étroite d’esprit de l’elipsien. Et c’est celui-ci qui engagea la conversation avec sa rudesse habituelle.

- Où est l’adepte ? Et qu’est-ce que vous fichez là ?
- Elle est occupée ailleurs et nous sommes là pour discuter de deux choses. La première étant que nous avons découvert l’identité des cibles de votre terroriste et que nous souhaitons l’aide de vos agents pour les réunir ce qui nous permettrait de les protéger et lui tendre un piège. La seconde étant que vous faite partie desdites cibles.

Un silence lourd de sens s’installa après quoi le chef de la cellule terroriste répondit, son unique œil brillant d’une rage froide.

- Vous n’êtes pas capables de vous débrouiller seuls, monstres que vous êtes ? Mais soit, vous aurez vos hommes. Mais concernant votre second point je ne vois absolument pas de quoi vous parlez.

Alors il voulait le jouer ainsi ? Le visage de la gamine resta de marbre alors qu’elle le dévisagea un moment pour tenter de discerner un quelconque mensonge. Mais cet homme était aussi imperméable aux émotions qu’elle-même, hélas. Peut-être que quelques détails suffiraient à confirmer leur hypothèse ?

- Vous êtes sûr ? Le nom de Janice White ne vous dit rien ? C’est une voyageuse qui aurait été séquestrée, violée et torturée avant d’être laissée pour morte par ceux qui sont ses cibles à l’heure actuelle. On nous a même raconté qu’elle aurait crevé un œil à un bleu emmené par Dick Malls pour lui « apprendre la vie ». Quelqu’un qui aurait eu le temps de monter en grade en dix ans, pour… par exemple, devenir chef de la cellule anti-terroriste d’Elipse ?
- Ça suffit. Je ne tolérerai pas plus longtemps ces calomnies. Des borgnes il y en a plus d’un dans nos services et même si elle se trompait et me prenait pour cible je suis parfaitement à même de me protéger seul.
- Pourtant il me s…
- Taisez-vous et sortez ! Vous aurez ce que vous voulez alors déguerpissez et emmenez votre machin avec vous ! s’emporta-t-il en désignant Mary du doigt.

La revenante crispa sa main sur son couteau, bien décidée à montrer ce dont le « machin » était capable mais un regard appuyé de Dakota l’arrêta dans son élan. A moins que ce ne soit la main de la gamine qui tapotait discrètement son collier explosif ? Le fait est que le trio se retrouva bientôt dans le couloir avec un goût amer dans la bouche.

- Cet homme est la mauvaise foi incarnée. Il ne s’énerverait pas autant s’il était innocent.

Les néons brillaient avec leur intensité habituelle, donnant cet air gris et maussade au commissariat qui n'inspirait déjà pas la joie. Les gens qui allaient et venaient, les sonneries de téléphones et les coup de fils. Tout cela faisait partie intégrante de ce lieu, et Gregory ne voulait pas rester là trop longtemps. Mais en même temps, dehors, c'était la ville qui inspirait la mort et la défaite. La rage qui était insinuée dans les veines des gens ici était telle que rien n'était bon à voir à Ellipse. Quitte à choisir entre le commissariat et l'extérieur, rester ici semblait bien.

Il avait hâte d'en finir avec cette mission et de s'en aller pour voir d'autres régions. Si cette ville était la jumelle défigurée de San Francisco, alors ce monde restait à explorer, et comme l'avait dit Dakota, des villes devaient être plus passionnantes et plus accueillantes. Son envie de voyager était là, mais ils étaient pour l'instant bloqués ici en mission de capture de terroriste, et rien ne disait qu'ils allaient sortir d'ici rapidement. Cependant le temps s'écoulait, et si leur plan échouait, ils seraient bien sur leur fesses, et la défaite serait mémorable.
Janice White voulait se venger et plonger la ville dans le chaos, et eux étaient bloqués dans cette ville jusqu'à sa capture. Heureusement pour eux, grâce à Melena, ils avaient une immunité diplomatique avec leur mission. Mais, si Azael décidait de les faire exploser ici ou de ne pas les laisser sortir pour jouer avec eux, ils seraient bien dans le pétrin. C'était entre autres pour cela que Gregory n'avait pas trop hâte d'aller voir ce haut gradé qui n'inspirait rien de bon.

Entre sa vie ici qui était menacée mais qui avait  une tournure très atypique par rapport au monde réel, et justement son corps à San Francisco qui pouvait se trouver quelque part, c'était assez dangereux comme situation. Ce n'était pas le pire évidemment, mais il se faisait du souci. Les paroles de Dakota virent le réconforter, et le rassurèrent beaucoup. C'était comme un principe de réciproque action sur les corps, si le corps dans la vie réelle était endommagé, sa projection dans ce monde le serait aussi. L'inverse n'était pas vrai apparemment, et heureusement pour eux. Rassuré, il répondit à la phobophobe.

-Merci, au moins c'est déjà ça.

Il furent invités dans le bureau d'Azael, et pendant qu'ils marchaient dans le dédale du commissariat, Gregory ne put n'empêcher de penser à Emile, le gars qui les avait aidé. Si il y avait des gens comme lui ici, c'était génial, mais c'était rare. Des gens qui inspiraient la bonté, qui ne voulaient que le bien de tout le monde et qui se battaient  pour une cause juste, ça c'était ce pour quoi il fallait arrêter Janice. Le nombre d'innocents qui allaient périr si on ne la stoppait pas était inimaginable, et ce n'était pas parce que cette ville était anti-voyageuse que c'était le cas de tout le monde. Un tel massacre n'était pas permis, et si Azael entravait leur mission en ne coopérant pas, il pouvait bien aller crever tout seul.

Ils arrivèrent dans son bureau, identique à ce qu'il était précédemment, mais avec un Azael qui était différent, et qui semblait être mécontent de leur présence. L'hématophobe s'assit à la suite de Dakota, montrant bien leur indifférence envers la position sociale du haut gradé. Naturellement, Gregory laissa Dakota faire la parlotte, vu qu'elle était douée pou ça. La discussion était intéressante, et la haine qu'éprouvait Azael envers eux était bien réelle. Rancune du passé ? C'était ça. Tout collait. Un sourire se serait dessiné sur les lèvres de Gregory s'il n'avait pas voulu garder une expression figée de désintérêt total. Il avait avoué sans le vouloir des éléments qui étaient importants.

Ils furent reconduits hors de  son bureau, et se retrouvèrent à leur point de départ, dans le commissariat, dans la salle d'attente, attendant que Melena rassemble les éléments qui leur étaient nécessaires.

-Au moins  on est sûr que c'est lui, répondit l'hématophobe à l'adolescente. En plus il n'a fait que confirmer de son côté que Janice White était encore vivante, et qu'il avait conscience de son existence, ce qui n'est pas donné à tout le monde non ? De toute façon pas besoin de se poser plus de questions sur ça.

Ils avaient la pièce du puzzle qui leur manquait pour finir d'assembler tous les indices qu'ils avaient récoltés. Ils connaissaient toute l'histoire derrière ces attentats, qui en était responsable, et qui étaient les cibles prioritaires. Ils pouvaient à présent mettre leur plan en action, et en finir avec ça. Mais il y avait quand même le facteur Janice qui était imprévisible. Et si cette dernière empêchait le rassemblement des différentes cibles ? Et si rien ne se passait comme ils l'avaient prévu et qu'ils ne puissent pas l'attirer dans leur piège ? Et si ce piège se révélait inefficace ? Tout pouvait arriver malheureusement, et la pire chose qui pourrait arriver était l'arrivée prématurée de J. W.

-J'aime vraiment pas ces colliers, et j'aimerai pas du tout qu'on s'en serve contre nous, ça foutrait tout en l'air...

- On s’en fout de tout ça ! Dès que vous n’avez plus ces choses autour du cou je reviens le voir et je l’éventre ! cracha Bloody Mary entre ses dents.

Dakota fixa tour à tour la revenante et Gregory avant de soupirer profondément. Entre captain obvious et Conan le barbare elle ne savait pas ce qui était le pire. Ou plutôt si : que les mots de son invocation parviennent aux oreilles d’Azaël. La gamine entraina donc le duo avant que cet homme abject s’amuse à voir s’ils se tenaient encore devant sa porte. D’ailleurs elle n’était pas la seule à s’inquiéter de leurs colliers. L’hématophobe commençait à angoisser et elle ne pouvait lui en vouloir pour ça. Lui n’avait ni la capacité de devenir un fantôme, ni ne possédait de robe de mariée magique. C’était ballot.

Il n’eut que le silence en réponse jusqu’à ce qu’ils soient seuls dans la pièce qui servait de réfectoire aux flics. En dehors des heures de repas l’endroit était désert et donc propice aux discussions privées. Bien sûr ils auraient pu aller retrouver Melena mais la dernière chose dont la phobophobe avait envie était d’affronter sa mauvaise humeur. De toute façon elle devait être bien trop occupée à donner les informations aux sous-fifres que lui avait confiés Azaël sur leur demande pour s’occuper de ses « accompagnateurs ». Car c’était ce qu’ils étaient en somme. Des sortes de gardes du corps, des coaches ou des stratèges. Des faire-valoir dans tous les cas.

D’une main elle tira une chaise et s’assit avec calme, non sans avoir au préalable fermé la porte. Bon, où en étaient-ils déjà ?

- Pour répondre à ta remarque de tout à l’heure, je n’aime pas non plus porter cette chose mais je doute qu’ils s’en servent vraiment. Le système judiciaire est ici très fortement lié à Freedoom. S’en prendre à un adepte en mission serait une véritable insulte, voire une déclaration de guerre, sans réelle menace. Non seulement les elipsiens devraient ensuite gérer eux-mêmes leurs puissants prisonniers mais ils s’exposeraient à de violentes représailles. Ils sont stupides mais pas à ce point.

Les gens de cette ville étaient lâches, il ne fallait pas l’oublier. Et s’ils avaient peur d’eux au point de leur faire porter des explosifs au cou, ils avaient encore plus peur de subir la vengeance d’êtres pseudo-divins. Bien heureusement d’ailleurs car sinon Dakota n’aurait pas donné cher de leur peau. L’image d’un kleenex dont on se servait avant de le jeter aux ordures s’imposa à son esprit. Oui, c’était peu ou prou ce qui les aurait attendus si les patrons de la nécrophobe n’étaient pas si influents.

Mais ce n’était pas leur principal problème. Non, ce qui inquiétait la surdouée c’était l’affrontement avec Janice qui se rapprochait. Une voyageuse vieille de 10 ans dans ce monde… à quel point pouvait être forte ? Elle en tremblait rien que d’y penser. Il était primordial de mettre toutes ses chances de son côté.

- C’est Janice qui me préoccupe. D’ailleurs si tu permets je vais m’équiper un peu. Nous serons probablement parti dans une heure ou deux si tout se passe bien et il reste du domaine du possible qu’elle devine nos plans et attaque ici avant qu’on ne les mette en application.

Avec un soin maniaque, elle tira de sa hotte sa dame blanche qu’elle enfila par-dessus sa combinaction sous le regard amusé de Mary. Celle-ci se permettait même des commentaires comme « habillée comme ça on dirait presque moi » ou « tu ne veux pas un peu de sang pour parfaire le tableau ? ».La couronne de Méduse trôna bientôt sur son crâne pour remplacer sa chevelure blonde par une nuée de serpents et ses lunevolutives trouvèrent une place de choix sur son nez. L’ensemble hétéroclite était plutôt comique : d’un point de vue extérieur Dakota ressemblait à une enfant vêtue d’un costume d’halloween de sa création… si on mettait de côté l’aspect vivant de ce qui lui servait de coiffure.

Devant l’air surpris de Gregory son regard se durcit sous ses lunettes noires avant qu’elle se souvienne qu’il était un parfait néophyte à Dreamland. Son attirail devait être tout sauf la parfaite tenue de combat, aussi entreprit-elle avec un léger ennui de lui expliquer à quoi servait tout ce barda :

- Cette robe permet de devenir inconsistante, cette couronne en plastique change mes cheveux en serpents venimeux pouvant s’allonger jusqu’à 3 fois la taille de mes cheveux et ces lunettes… peuvent devenir n’importe quel type de lunettes. Infrarouge, jumelles, lunettes de soleil, de vue, de natation, de vision thermique… que sais-je ? Bref. Je conçois que ce ne soit pas du plus bel effet mais c’est leur utilité qui compte.

Mary commençant sérieusement à s’ennuyer, elle profita que l’attention du duo soit concentrée ailleurs pour s’en aller à travers un miroir accroché au mur. Si dakota avait besoin d’elle, elle la rappellerait plus tard.

Mis à part le fait que c'était une tueuse morte habillée d'une robe de mariée pleine de sang, Gregory aimait bien Bloody Mary ... Enfin il aima bien sa réplique qui concernait Azael. Lui péter les dents serait très agréable, mais ce n'était pas dans la nature de l'hématophobe d'endommager les gens. Le sang était partout dans le corps humain, et rien qu'une petite entaille pouvait le faire couler. La violence physique lui était presque proscrite, parce que rien que le fait de penser aux contrecoups sanglants lui faisait perdre toute enfin de se battre.

Dakota les emmena dans un réfectoire vide pour l'heure, où ils furent tranquilles. Bloody Mary restait à une certaine distance de Gregory, ce qui n'était pas pour lui déplaire. La phobophobe avait bien raison pour Janice. Elle pouvait attaquer n'importe quand, et cela ne faisait que confirmer ce qu'il avait déjà pensé. Leur plan, pour marcher, devait réunir certaines conditions, comme être dans le cimetière, avoir les victimes, et que la voyageuse terroriste vienne leur rendre  une petite visite une fois qu'ils seraient là-bas.

Puis ce fut le passage de l'équipement, ou comment surprendre un hématophobe avec quelques pièces d'équipement. La première étape, qui fut celle de la dame blanche, était déjà assez étrange. Était-ce vraiment pour ressembler à Mary comme elle le disait ? Peut-être cela lui permettait-elle de l'invoquer sans miroir ? Peut-être cela lui donnait des pouvoirs spéciaux ? Puis ce fut au tour des lunevolutives et de la couronne de méduse. Les serpents qui s'agitèrent sur la tête de la phobophobe lui donnaient un air gracieusement mortel. C'était une vision parfaite d'une beauté cruelle, dangereuse, mais exquise.

Gregory était surpris, mais assez fasciné par cet ensemble hétéroclite qui pouvait en faire douter plus d'un. L'explication détaillée de Dakota fut la bienvenue, et cela claquait ! Son équipement était juste génial, et leurs spécificités étaient juste géniales. Si seulement il avait une seule pièce d'équipement comme ça il serait tout de suite moins inutile, mais c'était sûr qu'il devrait se débrouiller avec les moyens du bord. Personne ne lui prêterai quoi que ce soit, car  on ne lui donnait pas d'importance, il était le nouveau, le bleu. Au moins Dakota le supportait, c'était déjà ça. C'était presque si Gregory était le juge pour les notes de style, d'ambiance et de swagitude dans l'émission « La capture de Janice White ».

Gregory sourit à la dernière remarque de la voyageuse, et avec la disparition de Mary, il fut tout de suite moins à cran. Il pouvait enfin regarder partout sans avoir peur de croiser l'écarlate couleur qui parsemait la robe blanche de Mary. Il leva son regard et croisa celui de la phobophobe.

-C'est sur que tu seras pas en couverture d'un magazine de mode dans le monde réel, mais les serpents, c'est la classe.

Gregory faisait presque pitié à côté, mais il avait  au moins le style qui allait. Les deux voyageuses avaient sûrement beaucoup d'attirail, et elles étaient très utiles avec, mais lui n'avait rien. Dans le plan pour capturer Janice, s'il n'était pas là, ça serait pareil. Mais il était là depuis le début de la mission, et il avait dû dire  à peu près une chose  intelligente qui avait servie depuis son arrivée. Il n'était pas une source de sagesse et de conseils stratégiques, mais il avait son corps et son cerveau pour se rendre utile. Et puis il savait faire des pâtes quoi.

Il faisait profil bas, mais il se fascinait tout le temps du monde dans lequel il s'était retrouvé. Des pouvoirs magiques, des objets magiques avec des effets surprenants, et un monde totalement différent. C'était un ilôt de possibilités qui s'ouvrait devant lui, et il n'avait qu'une seul envie, c'était de partir d'ici une fois la mission terminée. Il voulait s'aventurer dans des contrées magiques, technologiques ou même fantastiques. Ellipse ne semblait pas être la ville qui rayonnait la joie, et, bien que ce soit le lieu d'accueil des voyageurs, ils n'étaient pas du tout les bienvenus ici.

Mais qui sait s'ils allaient sortir d'ici vivants ... Ils ne savaient rien sur Janice, à part qu'elle avait pour projet de mettre cette ville à feu et à sang. Ses pouvoirs leurs étaient inconnus, et même sa maladie mentale leur était inconnue. Ils ne pouvaient pas trop prévoir ses agissements, et encore moins se préparer à quoi que ce soit. Cette voyageuse était là depuis 10 ans. On lui avait dit que les pouvoirs venaient avec le temps, et qu'ils s'intensifiaient plus on restait ici. Mais en 10 ans, à quel point pouvait-elle être dangereuse ? Mais une question demeurait. Pourquoi avait-elle attendu 10 ans ? Pour être plus forte ? Pour faire référence à ses 10 jours de capture ?

Tout cela était sans réponse, et aussi inutile que de savoir sa date de naissance, mais cela taraudait l'esprit de l'hématophobe. Cette Janice devait être vraiment tarée, et avait du perdre beaucoup de neurones depuis son arrivée ici. A quel point ce monde changeait-il les voyageurs qui le parcouraient ? Il n'en avait aucune idée, mais vu l'ampleur des dégâts que cette ville subissait, il y avait beaucoup de choses qui allaient changer chez Gregory, et il le redoutait. Qu'allait-il devenir, et allait-il changer à un tel point que ses parents ne le reconnaitraient plus ? Allait-il pouvoir revenir à sa vie normale une fois son séjour ici terminé ? Ou bien allait-il rester ici pour le restant de sa vie, passant un jour dans le vrai monde et des semaines ici ?

Il était perdu dans ses pensées, et un petit miaou l'en sortit. Le chat de Dakota s'était rapproché de lui, et se frottait à ses chaussures. Il était trop mignon, et c'était touchant de voir son innocence comme ça.

-Tu sais ce que tu voudras faire après qu'on en ait fini avec Janice ici ? demanda-t-il à la phobophobe, sans grand espoir de réponse.

Il avait plusieurs idées en tête, mais il avait peur qu'on lui dise non, et qu'on le prenne encore plus pour un crétin profond. Si le point faible de leur plan se reposait sur comment mettre les menottes à Janice, il fallait se concentrer là-dessus. Est-ce que le cadavre qu'allait manipuler Melena pouvait le faire ? Est-ce que Bloody Mary pouvait s'en charger ? Évidemment, perdre ces menottes serait l'erreur à ne pas commettre, et cela signerait sûrement leur mort. Mais pour protéger les victimes, se protéger soi-même et capturer J. W., il y avait tout un effort à fournir. Voulant montrer son implication dans ce projet, il proposa quand-même son idée.

-Je sais pas si ça peut marcher, je connais pas tes pouvoirs, et je sais pas comment ça fonctionne mais ... Tu pourrais pas faire apparaître Bloody Mary près de Janice quand elle sera immobilisée, et lui donner les menottes pour qu'elle sen charge ? Si elle apparaît dans son dos directement ça serait plutôt facile non ?

Il était peu sur de ce qu'il avançait, mais il aurait au moins essayé.

Classe… ? Dakota haussa un sourcil devant l’avis stylistique de Gregory. Elle se fichait bien d’être classe, jolie ou à la mode. Ce qu’elle voulait c’était acquérir une défense et une attaque convenable pour le combat qui les attendait. Et si possible ne pas passer pour une bête de foire, mais c’était probablement loupé pour ce point, hélas. Elle lissa avec un soin maniaque les plis de sa robe de mariée, se demandant si elle marcherait bien le moment venu. Et si le vendeur l’avait arnaqué ? On pouvait dire ce qu’on voulait, que les gens du village du père Noël étaient bons et honnêtes, on n’était jamais à l’abri d’un sale coup d’un vendeur à la sauvette. Le problème étant qu’elle ne pouvait se permettre de tester son attirail d’avance, de peur de le décharger complètement. Bon sang… les calmants qu’elle avait achetés ne pourraient pas lui faire de mal vu la foule de potentielles angoisses qui lui venaient soudain en tête, la vraie peur dans leur sillage.

Alors que l’attention de l’hématophobe était captée par James qui avait décidé de s’offrir une petite escapade, elle jeta l’emballage des calmants et lu minutieusement la notice. Une fois les informations importantes emmagasinées, le bout de papier rejoignit le reste dans la poubelle et la gamine ne garda que les plaquettes de petites pilules. Blanches, anonymes… impossible de connaitre leur utilité dans cet état. C’était peut-être puéril mais Dakota n’avait aucune envie que Melena ne connaisse son problème. Ni Gregory, même si le caractère facile à vivre de ce dernier rendrait la découverte plus supportable.

Alors qu’elle revenait vers son comparse –après avoir donné quelques coups de pieds dans la poubelle pour que ses déchets glissent sous les autres ordures- il se mit de nouveau à vouloir discuter. Il s’informait de ses projets pour l’avenir lointain, ce qui la ramenait immanquablement à James, et s’inquiétait de leur avenir proche, ce qui nourrissait ses propres angoisses.

Ce qu’il proposait n’était pas réalisable, il en attendait bien trop d’elle. Mais comment lui expliquer ? Elle n’avait ni l’envie ni la force de disserter sur ses capacités. Ils brassaient de l’air et parlaient dans le vide. Les données manquantes étaient trop nombreuses pour élaborer une stratégie imparable et continuer quand même à réfléchir là-dessus ne servait qu’à souligner les potentielles faiblesses de leur plan, contre lequel ils ne pouvaient rien. La puissance de Janice et la teneur de ses pouvoirs… tout dépendait de ça. Si elle pouvait les trouver et se pointer ici comme une fleur les choses seraient infiniment plus difficiles que ce qu’ils avaient imaginé. Si elle avait la capacité d’intercepter simultanément  toutes ses cibles aussi. Sauf qu’ils n’en savaient rien. Ils ne savaient rien sur rien et ça insupportait Dakota plus que tout.

- Non, je ne peux pas. Quand je désactive les pouvoirs des autres, je désactive aussi les miens. Et si je pourrais permettre à Melena d’utiliser un de ses pouvoirs je ne peux pas le faire avec les miens, hélas. Bref, je n’ai pas envie d’entrer dans les détails, sache juste que c’est irréalisable. Je ne suis là que depuis 3 ou 4 mois, ne me surestime pas. Et Melena de même. A la moindre surprise nous pourrions échouer. Et si je suis presque sure de ne pas mourir… je ne peux pas en dire autant de toi. Donc pour l’heure, tu devrais surtout te préoccuper de toi et de la manière de survivre à cette « mission ».

Il était celui qui avait le plus de chance de sortir de là les pieds devant. Pas de pouvoir, pas d’objets magiques, rien pour l’aider en cas de coup dur. Il risquait de finir comme beaucoup de voyageurs : mort avant même d’avoir quitté Elipse. Et pourtant il persistait à tenter d’apporter des solutions à un problème dont il ne possédait pas toutes les données sans se rendre compte de ses effrayantes chances d’y passer. Il voulait de l’aventure ? Ah pour ça… il serait servi. Mais s’il comptait ne pas finir en légume dans le monde réel il allait falloir qu’il apprenne à commencer par se préoccuper de lui-même avant toute chose. L’égoïsme était la clé de la survie ici-bas.

- Quand on y sera, reste à moins de 6 mètres de moi. Toujours. Ne t’éloigne sous aucun prétexte. Si tu le fais je décline toute responsabilité concernant ton éventuel décès. Et si possible cache toi. Je sais que ce n’est pas glorieux mais ça ne l’est pas plus que de mourir bêtement pour avoir présumé de tes forces.

Aux yeux de Dakota, Gregory lui rappelait un peu James. Peut-être ce côté gentil et volontaire, même s’il demeurait bien plus sérieux que son meilleur ami. Moins enthousiaste aussi. Ces pensées la ramenèrent à la première question de son camarade qu’elle avait éludé jusqu’à maintenant. Ce qu’elle comptait faire après… vaste question. Ses projets restaient les mêmes, c’est-à-dire voyager et rencontrer des personnes puissantes, visiter des tours… bref, persévérer dans cette vie dangereuse dans le but de guérir complètement. Mais elle avait besoin de James pour ça. Il était celui qui lui donnait le courage de ne jamais reculer et pour l’heure, il n’était plus là.

- Si nous arrivons à en finir avec Janice j’attendrais dans le coin jusqu’au retour de Chouette je présume. Devant le regard interrogateur de Greg elle ajouta : C’est ma chouette harfang. Elle me sert entre autre à envoyer du courrier… bref. J’attends la réponse d’un ami. Quand je l’aurais j’irais le rejoindre, où qu'il soit. Je n'aime pas le savoir seul, ou pire encore : en mauvaise compagnie. Les tordus sont légion à Dreamland.

Son regard se tourna vers la fenêtre, observant le ciel où aucune trace de son volatil ne se trouvait. Cela ne faisait qu’un jour qu’elle l’avait envoyé mais ça lui semblait déjà trop long…

Dakota validait son idée, proposant alors une suite aux événements directs. L’irlandaise fût tentée de protester face au fait qu’elle était mise à l’écart de la négociation avec Azael mais en fait, elle n’avait aucun motif valable. On pouvait reprocher autant qu’on le voulait son antipathie à la gamine, elle semblait incroyablement précoce et compétente. En plus, ça lui permettrait d’échapper au moins quelques temps à la tête de premier de la classe volontaire mais inutile de Gregory. Ce serait toujours ça de gagné.

- Ça me va, répondit la nécrophobe en sortant de la voiture.

Comme Robert avait l’air de traînailler au volant, comme s’il espérait pouvoir repasser le contact et s’enfuir sur le champ, Melena ouvrit sa portière sans douceur. Ses serpents descendirent lui chatouiller le cou alors qu’elle l’observait de ses yeux gris glacials ; il était hors de question qu’elle le touche avec ses mains plus que nécessaire.

- Ecoute, menaça-t-elle d’une voix étrangement calme, tu nous as dit tout ce que tu savais donc concrètement, tu ne nous sers à rien. Je ne te tue pas simplement parce que… ça ne plairait pas à mes « collègues » et je n’ai pas envie de régler une crise interne maintenant. Mais parfois il faut ce qu’il faut… donc tu sors d’ici sagement, où je traine ton cadavre.

Elle avait encore mal au crâne, mais l’elipsien obèse n’avait aucun moyen de savoir qu’elle n’était pas en mesure de réutiliser ses pouvoirs dans l’immédiat. Et de toute façon, la horde sifflante qui remplaçait ses cheveux était un moyen de persuasion bien plus direct. Le violeur quitta donc l’habitacle avec une sorte de précipitation maladroite qui tira un sourire en coin dégouté à l’irlandaise.

Dans le hall d’accueil, on ne peut pas dire que son entrée avait fait l’unanimité. La grosse secrétaire aux lunettes en écaille avait d’abord vu Robert et lui avait adressé un petit signe de la main avec un sourire poli. Au moment de lui demander si la prétendue intervention du matin s’était bien passée, elle aperçut l’adolescente au crâne orné de serpents et resta muette. Livide. Melena s’approcha jusqu’à son comptoir, se délectant de la vue de la bonne femme qui se ratatinait au fur et à mesure que la distance entre elle et les crochets venimeux se réduisait. Elle y posa alors les coudes et demanda avec une politesse forcée :

- Bonjour, vous savez qui je suis ? J’ai été engagée par la cellule anti-terroriste pour arrêter la responsable du bazar dont vous êtes victimes. J’aurais besoin de retrouver les adresses de… 5 personnes, et de pouvoir garder ce criminel à l’œil. Mes collègues doivent être en train de s’entretenir avec Mr Azael.

Comme pour illustrer ses propos, l’un de ses serpents se tendit brusquement en direction du visage de Robert, pour le faire sursauter lui et la secrétaire. Celle-ci ne savait pas vraiment quoi répondre et bredouilla quelque chose d’inintelligible. Ce fût finalement le violeur qui dit à contrecœur :

- On peut utiliser mon ordinateur… j’ai un petit box à l’étage…

Melena se tourna vers lui. Son visage gras frémissait légèrement, on sentait bien que ça le révulsait qu’une voyageuse qui aurait pu être sa fille le mène par le bout du nez.

- Bien, acquiesça l’adolescente, on y va alors.

Elle fût conduite dans une grande pièce en open space remplit des brouhahas de voix et de téléphones qui sonnaient. C’était particulièrement le chaos depuis le début des attentats. Les citoyens appelaient sans cesse pour se plaindre de l’insécurité, réclamer la police, prétendre avoir aperçut la responsable, ou bien déplorer une catastrophe. Penchée sur le clavier crasseux qui appartenait à Robert, la nécrophobe appris que deux bombes avaient explosé dans la mâtiné, dont une qui avait fait s’effondrer un centre commercial. Il était à peine 10:00. Le violeur était à ses cotés, baissant les yeux, n’osant pas répondre aux regards interrogateurs de ses collègues. Melena avait pris un malin plaisir à le menotter à son propre bureau, des fois qu’il essaye de s’enfuir en courant. A un moment, un de ses vieux amis et collègue était venu pour demander ce qui se passait, mais l’expression de la jeune fille qui s’était tournée vers lui l’avait décidé à repasser plus tard.

- D’après toi, elle surveille le commissariat ? demanda l’irlandaise alors qu’elle finissait de recopier l’adresse de Alexander Higgins.

En réalité, elle n’attendait pas vraiment de réponse, mais son prisonnier consentit étrangement à ouvrir la langue. Déformation professionnelle peut-être :

- Sans doute… t’as dit toi-même qu’elle devait sûrement avoir un œil sur toutes ses « cibles » ma jolie, alors ça inclus au moins leur domicile et leur lieu de travail. Moi, je bosse ici.

En pleine réflexion, l’adepte fit abstraction de la façon avec laquelle Robert l’avait appelé. Ses méninges tournaient à plein régime et malheureusement, Dakota n’était pas là pour lui donner son avis. Il se passa un certain temps de silence avant qu’un homme se présentant comme le « capitaine McAlister » ne se présente à lui, sous les ordres de Mr Azael. Melena donna donc fébrilement ses instructions – c’était la première fois qu’elle avait sous son commandement une unité policière.

Quand le gradé fût parti, elle détacha Robert pour aller à la recherche de Gregory et Dakota. Il lui fallu de longues minutes avant de les dénicher où ils étaient : dans le réfectoire désert du commissariat. Elle songea d’abord à leur reprocher de ne pas être venus la trouver, mais opta finalement pour pousser un soupir en incitant d’une main à leur prisonnier de s’assoir :

- Bien joué, admit-elle, j’ai vu le capitaine McAlister, il est parti avec une unité récupérer tout le monde.

Elle laissa filer une seconde, le temps d’observer Dakota qui avait revêtu tout son attirail de combat, et confia son plan :

- J’ai pris l’initiative de lui dire de ne pas ramener les autres ici, mais directement au cimetière St Elisabeth. D’après lui, c’est le terrain idéal pour le plan dont on a parlé, tous les autres ont des caveaux trop éloignés de la fosse commune. Ses hommes vont surveiller les cibles jusqu’à ce qu’on arrive.

Sentant qu’il fallait qu’elle se justifie, elle ajouta :

- Je me suis juste dis que si Janice surveillait aussi le commissariat, alors il ne fallait pas réunir toutes les cibles ici. Elle le verrait et n’aurait qu’à tous nous faire exploser, même si ça perturbe son jeu de compte à rebours. Je ne pense pas qu’elle surveille le cimetière. Mais si jamais vous pensez que c’est une mauvaise idée, je peux encore appeler McAlister pour lui dire de rapatrier tout le monde ici.



HRP : je ne veux pas donner l'impression de MJter le topic avec Melena. Il s'agit vraiment d'une initiative de Melena ici donc... et bien vous pouvez choisir mettre un véto et d'opter pour autre chose. Rien ne dit qu'elle a la meilleure solution ou qu'une autre idée ne nous serait pas profitable.

Comme il s'en doutait, ce qu'il ne proposait n'était pas valide, et Dakota s'empressa de le faire remarquer. Il avait essayé de participer, mais pour le moment autant ne rien, dire, vu les données manquantes sur Janice White. Greogry était plutôt rassuré d'avoir la présence de deux voyageuses assez expérimentées avec lui, mais comme lui n'avait rien pour se défendre, il risquait de prendre cher. Et c'était peu dire. Aucune objet pour se rendre inconsistant, aucun pouvoir pour se défendre, mais juste sa volonté et ses techniques de cachette pour survivre. Il était mal barré tout seul, et avait eu de la chance d'être tombé sur ces deux voyageuses.

En effet, le pouvoir de Dakota était sûrement celui qui leur permettrait de gagner leur affrontement, car c'était la défense suprême contre tout voyageur. Peut-être pouvait-elle même se confronter avec Melena, et sûrement gagner. Enfin il ne connaissait pas l'étendue des pouvoirs de cette dernière, mais c'était sûr qu'ils étaient puissants. Certes, ce n'était pas le moment de penser à un duel entre deux voyageuses dans le même camp, mais si on se disait que ces deux filles qui étaient déjà asez puissantes pouvaient ne pas faire le poids contre une seule terroriste dotée de pouvoirs, on pouvait facilement prendre peur.

Du moment que le sang ne venait pas tout gâcher, Greg' pouvait se cacher et faire en sorte qu'on ne le tue pas, mais il ne pouvait rien dire quant-à sa réaction si jamais le liquide corporel écarlate se déversait. Comment allait-il faire s'il était paralysé ? Dakota se sauverait elle-même plutôt que de sauver un débutant, car la loi de l'égoïsme régnait ici. Il fallait vivre  pour soi-même et pour sa survie, et tant pis si les autres y passaient. Mel, elle, en aurait sûrement rien à battre qu'il se fasse tuer, si ce n'est pour récupérer son corps et s'en servir. L'idée en elle-même était répugnante, et même si ce n'était pas sa phobie, il ne pouvait s'empêcher d'être dégoûté par les pouvoirs macabres de cette voyageuse.

-J'apprécie le fait que tu me donne au moins les éléments pour m'aider à survivre ici. Je suppose que pas mal d'autres avant  moi sont morts pour moins que ça. Faut que je reste en vie, c'est tout ... acheva-t-il dans un soupir.

Cette tâche qui semblait simple allait-être ardue. Rester  en vie n'avait jamais été si compliqué pour le jeune homme, et s'il n'avait jamais eu à s'en soucier dans sa vie, là c'était le moment. Le nombre de possibilités pour sa mort était grand. Un missile qui explosait sur lui, une bombe qui explosait sur lui, une mine sur la quelle il pouvait marcher, un bâtiment qui pouvait s’effondrer sur lui ... Un peu parano, il regarda le plafond, et fut rassuré de ne pas le voir tomber sur lui. Il en restait qu'il pouvait mourir facilement, et il n'avait pas d'objet magique pour le ressusciter. Gregory était désormais anxieux, mais il fallait qu'il prenne son courage  à deux mains, car peut-être cette mission allait se terminer rapidement.

Dakota avait un ami à qui elle tenait beaucoup. Quelqu'un dont elle se souciait et dont elle voulait assurer la sécurité. C'était assez intriguant, quand  on savait la représentation que le miroir magique avait donné de la phobophobe, mais c'était possible. Ce devait-être quelqu'un d'une gentillesse extraordinaire, ou d'une qualité importante, parce qu'il avait réussi à briser la glace et à toucher le cœur de l'adolescente pour devenir son ami. Peut-être rencontrerai-t-il cette personne  un jour ? L'idée était plaisante, et si Dakota avait réussi à se faire des amis ici, lui aussi y arriverait sûrement. Enfin si on voulait bien de lui évidemment.

L'hématophobe n'eut pas le temps de répondre, car Melena était de retour, et elle avait bien bossé. Enfin elle devait avoir fait bosser les autres pour elle, mais ce n'était qu'un détail. Leur plan pouvait désormais être mis en œuvre, et ils avaient les moyens pour. Cependant, c'était toujours risqué. Ils fallaient qu'ils agissent vite, car si Janice s’apercevait de leur manœuvre, elle risquait d'aller leur rendre visite prématurément, ce qui causerait certainement la mort de l'hématophobe. Youpi ...

-On était d'accord sur le fait d'aller dans un cimetière, donc t'as bien fait. Ceci dit, il va falloir être sur les lieux rapidement, si Janice surveille ses cibles,elle va vite savoir ce qu'on fait, donc autant ne pas traîner.

Il avait pris la parole naturellement, et même si Melena ne l'aimait pas trop et ne s'adressait peut-être pas à lui, il restait humain et avait le droit de s'exprimer. Après c'était sûr qu'ils n'étaient pas dans le monde réel et que les règles changeaient, mais s'il restait silencieux 100 % du temps, on allait le prendre pour un débile mental. Mais bon, s'il ne faisait qu'énoncer des choses évidentes il n'était pas non plus utile.

La voyageuse n'avait sûrement pas eu vent de la réponse agressive d'Azael, et il fallait donc qu'il sache. Regardant Dakota, puis revenant à la thanatophobe, Gregory reprit la parole, plus discrètement pour que Robert ne l'entende pas.

-Pour ce qui est de notre ... entrevue avec Azael, c'est une autre histoire. On est sûr que c'est lui, mais ce déchet nie tout en bloc, rien à faire. On ne pourra pas l'avoir, et inutile d'insister, faut faire sans.

Gregory attendit les réponses des deux voyageuses, dans l'espoir qu'ils puissent vite se tirer d'ici pour bouger, car si le rassemblement des cibles était commencé, leur départ n'était pas encore prévu. Comme d'habitude depuis son arrivée à Ellipse, le temps comptait, et il s'écoulait – sûrement trop vite – laissant le temps à Janice de détruire la ville. Au fond de lui, l'hématophobe n'avait pas peur, il était terrifié. Si la menace n'était qu'évoquée à l'oral et était encore distante, la voir en face était une autre chose. Il voulait que ça se termine vite, mais il ne suffisait pas de vouloir pour que ça se réalise.

James le chat retourna dans les bras de sa propriétaire, ramenant Gregory à la réalité.