Inception (quête parallèle)

Selene ne savait pas si l’aveu du frigophobe était légitime ou maladroit, mais il eu au moins le mérite de balayer ce qui restait de sa crise d’angoisse. Elle le détaillait de ses yeux noisette, cherchant à deviner l’âge qu’il pouvait bien avoir, le sens dans lequel tournaient les rouages de son cerveau, ce qu’il avait traversé. Il ressemblait à un type un peu malheureux, seul, trahi par un irrésistible besoin de protéger. Mais pour se prouver quoi ?

Le sourire qui naissait sur les lèvres pâles de l’adolescente mourut quand il lui demanda, l’air un peu sévère, la raison pour laquelle elle s’entaillait la cuisse. Du moins, c’était ce que cru la rouquine, jusqu’à ce qu’Alexander renchérisse en précisant qu’il n’était pas un monstre vagabond. Cette fois, c’est un sourire triste qui fleurit sur son visage, ses yeux ternes soudain remplis d’une mer de désespoir. Elle ramena un peu plus ses jambes contre elle, calant son menton sur ses genoux, et murmura sans oser regarder son interlocuteur :

- J’ai juste… pas eu beaucoup de chance… je crois. Mais j’ai l’habitude d’avoir mal maintenant, je ne sens presque plus rien.

Lentement, elle retira son manteau pour déplier ses bras, exposant ses cicatrices à son aîné. Chose qu’elle ne se souvenait pas avoir déjà fait sciemment : dévoiler ses marques, ses amis précieux qui veillaient sur elle – retenaient fermement en un seul morceau son âme qui se disloquait.

- Ce sont eux qui m’aident à vivre. Beaucoup de gens trouvent ça anormal… que je puisse voir un signe de réconfort dans les épouvantails, mais ils m’ont sauvés ; plusieurs fois. Tu vois ? J’ai déjà eu envie de mourir. J’ai essayé même, mais il n’y avait toujours qu’eux pour me faire changer d’avis.

Le flot de parole sortait tout seul, comme si la digue qui le gardait s’était brisée sous les assauts de ses chocs émotionnels. Même à James, l’adolescente ne s’était jamais vraiment confiée. Par pudeur ? Parce qu’ils avaient d’autres choses à penser ? Pour paraître forte ? Aucune idée. Selene ne savait pas ce qui la poussait à tant en dire à Alexander, mais elle poursuivit en repliant ses bras :

- Il y a une chose que j’ai oublié. Je crois que c’est le pire souvenir que j’ai, la pire chose qui me soit jamais arrivée, qui aurait pu me rendre folle. Mais je l’ai confié à mon meilleur ami, l’épouvantail de mon jardin d’enfance ; je peux le rappeler avec mes pouvoirs. Il m’a écouté, et il me la prit, pour que je ne souffre plus. Il ne peut pas encore tous les prendre, mais je suis sûre que ça me soulage déjà.

Comment le frigophobe l’avait-il qualifiée déjà ? De fragile ? Oui, c’était le mot. Elle était une poupée de verre, posée sur une étagère en plein tremblement de terre. Une simple chute la ferait voler en éclat, et elle avait beau se persuader qu’elle pouvait braver le cataclysme, elle ne s’en sortirait pas indemne seule. Toutefois, elle se sentait un peu plus légère d’avoir parler. Du bout du doigt, elle traçait les traits grossiers d’un épouvantail sur son short, imaginant le rendu en ligne brillante. Elle sourit à cette vision qu’elle était la seule à voir, mais déchanta bien vite.

D’un coup, comme s’ils se trouvaient dans un film en accéléré, la nuit engloutit la forêt. Une nuit noire, sans lune, mais pourtant, une lueur laiteuse perçait le feuillage épais, glissant sournoisement sur les troncs pour se répandre au sol en une constellation sinistre.

Suite à chacune de ses paroles, il put voir plusieurs sentiments passer sur le visage de la jeune fille. Mais si cela était déjà important à ses yeux, il retint surtout ce qu'elle fit ensuite. En effet, après ce qu'il avait dit, il eu l'impression qu'un poids était retiré de la jeune fille, et elle raconta... énormément de choses, concernant sa vie passée et actuelle. Ce qui était sûre, c'est qu'elle n'avait pas du avoir la vie facile.

Au départ, il fut choqué de voir toutes les cicatrices qu'elle lui exhibait. Puis, il se remit en question. Après tout, son moignon n'était-il pas une cicatrice? Et puis, ce qu'elle disait semblait coller... bien qu'il n'était pas sûr de comprendre. Cependant, il commençait à comprendre le lien entre les épouvantails et elle. Mais il n'était pas à sa place.

Il attendit patiemment qu'elle est fini son récit, puis se tourna vers elle. La neige continuait de tomber. Ses sentiments vacillaient entre tristesse... et tendresse. Il ne pouvait pas lui en vouloir pour ces cicatrices. Il voulait bien le comprendre. Et cela renforçait son rôle de "grand frère" qu'il s'était donné.

- Merci d'avoir été sincère avec moi. Je ne suis pas sûr de tout saisir, mais je pense comprendre l'essentiel. En tout cas, je te soutiendrais. Mais tant que je suis là, considère que tu as un autre ami à qui te confier, et qui te protégera. Et n'hésite pas à me demander quelque chose surtout.

Cependant, elle n'eut pas le temps de lui demander quoi que ce soit. D'un coup, la nuit tomba sur la forêt. Une lumière blanchâtre, presque spectrale, semblait surgir du ciel ténébreux. Quelque chose ne collait pas.

Soudain, il entendit un bruit, du côté du lac. Instinctivement, il se releva, et se mit face au bruit, protégeant celle qu'il considérait comme sa petite sœur. Une ombre semblant humanoïde s'approchait d'eux. Mais il ne l'était qu'en apparence. Par simple réflexe, il activa son pouvoir, transformant du même coup la neige en grêle. Sa main de glace apparut, le terrorisant, mais pouvant lui servir d'arme... ou de défense.

Bien que l'entité siégeait encore dans la pénombre, des espèces de tentacules semblait surgir de son corps.

Alexander s’était vendu comme étant aussi un ami à qui parler, mais l’adolescente n’eut pas le temps d’étudier la proposition. Une silhouette s’était extirpée du lac, la démarche lente mais assurée, des tentacules serpentant autour de son corps humanoïde. Le frigophobe  fit barrage de sa personne, mais lorsque la créature s’avança dans la lumière fantomatique, les yeux de la rouquine s’écarquillèrent. Si cette chose avait été humaine, elle ne l’était plus depuis longtemps. La peau blanchâtre, morte, était visqueuse, tendu sur des os irréguliers, anomaux. Son visage n’en était pas un : pas de bouche, deux fentes pour le nez, deux grands yeux sombres comme un gouffre qui ne clignaient pas. Ses mains étaient fines, terminées par des ongles sales et longs. Les tentacules étaient toutes plantées dans son dos, noirâtres, recouvertes de ventouses qui semblaient respirer sur le même rythme effrayant.

La peur au ventre, la galloise fit rapidement le calcul des chances qu’ils avaient. Cette fois, elle avait la douloureuse impression que les circonstances ne jouaient pas en leur faveur. La forêt paraissait s’étendre à l’infini, toujours identique. Comment se cacher ? Comment se préserver ? Et cette chose semblait si monstrueuse, si forte… elle doutait que son acolyte en vienne à bout, à moins qu’il lui ait caché des atouts. Pourtant, la météo vira de nouveau à la grêle autour de lui, giflant la jeune fille qui du se protéger d’un bras, et il fit réapparaître sa main de glace à la place de son moignon.

- Il faut y aller, implora-t-elle à mi-voix en s’agrippant à la manche d’Alexander, j’ai un mauvais pressentiment, on ne pourra pas le tuer !

Même pas le temps de décider quoique ce soit. Le monstre s’était brusquement mi à cavaler en posture animal, s’aidant de ses mains pour se propulser, et parvint à la hauteur des voyageurs à une vitesse effrayant. Une tentacule frappa Selene dans l’abdomen, lui coupant le souffle en l’envoyant valser contre l’épais tronc d’un arbre. A moitié sonnée, elle retomba au sol comme une poupée de chiffon, tout son corps douloureux, ses membres momentanément paralysés. Les bruits de lutte entre son ami et la créature lui parvenaient : il fallait qu’elle se relève, qu’elle lui donne un coup de main. Elle savait qu’elle pouvait le faire, elle s’avait qu’elle… avait une idée !

La toquée se redressa fébrilement, secoua la tête pour tenter de dissiper l’étourdissement, et se remit sur pieds. Elle savait comment bloquer cette chose suffisamment longtemps pour qu’ils s’en aillent, si toutefois ça voulait bien fonctionner. C’était un risque à prendre. Avec un effort de volonté, l’adolescente matérialisa sa poupéventail, et l’aiguille assortie, qu’elle glissa dans sa poche.

Un vent de courage s’était emparé de son corps fragile, alors qu’elle voyait son ami se battre tant bien que mal. Elle se mit alors à courir vers le monstre et s’appliqua à lui lancer sa poupée à la figure. Ce dernier, aux réflexes surdéveloppés, se retourna furtivement pour enrouler simplement un tentacule autour de l’objet et le rejeter au loin. Une autre frappa de nouveaux Selene dans le ventre, la pliant sur elle-même, la bile au bord des lèvres. Comme s’il sentait qu’elle était un adversaire de moindre mesure, la créature l’écartait pour se consacrer à Alexander. Pourtant, elle l’aurait. Il fallait juste… qu’elle récupère sa poupée !

La créature était hideuse, et semblait ressembler à ces créatures des nouvelles légendes urbaines, une créature sans visage, si... Étrange, effrayante. Toute la force de son esprit semblait se briser face à la vue de cette monstruosité, mais il chercha à en faire abstraction.

Mais durant ce laps de temps infime, la créature sembla deviner qu'il était vulnérable, et elle chargea, éjectant au passage Selene d'un coup de tentacule. Alexander retint le choc de ses mains, mais la force de la créature était réellement important, et il fut estomaqué par la charge. En réaction, le jeune homme chercha à lui donner un coup de poing gelé, mais la créature ne fit que reculer.

La créature semblait seulement ralenti par la grêle qu'elle prenait sur elle, mais elle chercha à l'atteindre. Le jeune homme eu grand mal à esquiver, attrapant son bras et se poussant en arrière, mais une tentacule le faucha. Il se releva. Ces tentacules... C'est comme si cette créature possédaient plusieurs paires de bras. Il ne pourrait pas se défendre ainsi.

Soudain, il se rendit compte d'un détail. Il regarda sa main... qui se prolongeait maintenant en griffes de glace. Depuis quand cela était-il possible? Comment cela était venu?

Mais il n'avait pas vraiment le temps de se pencher sur la question, car la créature repartait à la charge, à l'aide de ses appendices. D'un geste qui se voulait fluide mais ne l'était guère, il trancha un de ces appendices, semblant arrêter net la créature. La surprise du coup?

Peut-être, mais il s'était aussi pris une poupée sur son corps. Il se retourna, et envoya valser Selene dans les airs. Comment pouvait-il se détourner de lui? Il avait peur, très peur pour lui... Mais encore plus pour Selene! Cependant, elle avait sans doute une bonne raison d'avoir agit ainsi...

- Hey, je suis là moi aussi!

La grêle tombant autour de lui cessa de tomber, tandis qu'une armure glaciale, celle qui pourrait le tuer, entoura le jeune homme. Il allait donner un maximum de temps à Selene.
Il chercha à planter ses griffes dans la créature, mais elle esquiva d'un saut en arrière.

Il espérait que l'idée de Selene allait pouvoir leur permettre de s'enfuir. Il avait l'impression que ses griffes fondaient plus vite que sa main, ce qui n'était guère amusant. Et sa carapace ne lui permettrait pas d'encaisser tout les coups de la bête.

Il lui fallut un moment pour reprendre son souffle. Trop de temps à son goût, mais son corps d’adolescente frissonnait déjà, cocktail de terreur et de douleur. Quand elle se sentit enfin en état de bouger, Selene se précipita vers l’endroit où elle avait vu disparaître son épouvantail vaudou. Sans ménager ses genoux, elle se jeta au sol pour fouiller à tâtons, l’obscurité l’empêchant de se fier à ses yeux.

A cet instant, la toquée eut presque l’impression de chercher une aiguille dans une botte de foin. Les incertitudes l’envahissaient : avait-elle bien vu la trajectoire du lancé du monstre ? Avait-elle bien estimé le point d’impact ? Chaque seconde sans résultat était une seconde de souffrance de plus. Des lames d’aciers brûlant s’enfonçant dans ses muscles agressés par ses nerfs, tandis qu’Alexander, lui, devait continuer de se battre à mains nues contre la créature.

Et s’il mourrait ? S’il était tué avant qu’elle ne mette la main sur ce qu’elle cherchait ? Alors elle serait la prochaine. Seule, sans défense. Un dessert facile pour une chimère sanguinaire. La rouquine se refusait un regard en arrière ; elle cherchait, farfouillait, retournait les alentours, ignorant les orties qui irritaient sa peau blanche ou les racines où se heurtaient ses mains fragiles.

Enfin, ses doigts tremblant se refermèrent sur la tête de sa poupéventail : celle touchée par le monstre. Son cœur se mit à battre plus fort alors qu’elle sortait l’aiguille de sa poche. Ça allait marcher ! Ça allait marcher ! En faisant volte face, elle s’aperçut que son ami n’en menait plus très large devant son adversaire. Il s’épuisait – évidement – alors que la créature semblait infatigable. Et si ça ne marchait pas ? Pensée paralysante qui glaça son cerveau. Si ça ne marchait pas ? Alors elle serait la prochaine. Seule, sans défense. Un dessert facile pour une chimère sanguinaire.

Même conclusion. Son corps se mit alors à bouger, sans plus attendre l’accord de son encéphale. Avec une détermination qu’elle ne se connaissait pas, la galloise enfonça la pointe de métal dans le cœur de sa poupée. Immédiatement, le monstre poussa un hurlement de douleur, inhumain et cauchemardesque, avant de s’effondrer à genoux. Il ne mourrait pas, mais la souffrance le clouerait au sol, au moins tout le temps que le pouvoir serait actif.

Selene tremblait, osant à peine s’écarter de son œuvre, pourtant il le fallait. Son corps n’était plus qu’une boule de chair aux nerfs à vifs, une envie de crier et de pleurer menaçant d’exploser, mais elle se fit violence pour retrouver l’équilibre sur ses deux pieds et rejoindre Alexander. Là, aussi petite qu’elle était, elle voulait l’aider à marcher, tout en lui glissa d’une voix si marquée par la peur qu’elle était méconnaissable :

- On doit y aller, je ne sais pas combien de temps ça va durer !

Pour tenter de le persuader, elle plongea ses yeux noisette brillant de terreur dans les siens. Son cœur battait toujours à lui briser les côtes, il ne cesserait pas avant qu’ils ne soient éloignés, dusse-t-elle mourir d’une crise cardiaque. Tout ce qu’elle voulait, c’était mettre le plus de distance possible entre eux et cette chimère. Ensuite, elle se savait, elle craquerait. Parce que l’adrénaline n’était pas faite pour elle, parce qu’elle était trop fragile, trop jeune, trop innocente. Trop faible.

La créature continuait de l'attaquer, mais il se sentait en train de lâcher. Ses griffes finissaient de fondre, ne laissant plus que de pâles protubérances au bout de sa main, en train de fondre elle aussi. Sa carapace se fragilisait elle aussi malheureusement, en train de fondre. Il était lui aussi en train de sentir ses forces fondre devant la force de cette créature. Son heure était-elle venue?

Soudain, la créature tomba à genoux et hurla, mettant ses tympans à rude épreuves. Un cri cauchemardesque, signifiant horreur et terreur pour tout être humain n'éprouvant ni l'un ni l'autre. Alexander se tourna, et sentit le regard de Selene. Il pouvait lire dans ses yeux sa terreur et son angoisse, son envie de pleurer... Mais son courage, aussi, d'avoir agi jusqu'au bout.

Il n'hésita pas une seconde, et courut avec elle, jusqu'à trouver une espèce de tanière, dans laquelle ils se réfugièrent. Alexander reprit son souffle quelque instants, puis il prit Selene dans ses bras, comme pour la consoler, tout en oubliant les restes de sa carapace refroidi et sa main de glace.

- C'est fini maintenant....

Il la tenu ainsi quelques instants, avant de réaliser son oubli. Il arrêta de l'entourer, s'excusant dans le même temps pour la glace qui l'avait entouré, le froid qu'il lui avait fait ressentir... Ce froid destructeur, mais qui lui avait sauvé la vie...

Il réalisa cependant que ce froid n'avait pas fini de le détruire. Il vit son moignon légèrement violacé, suite à l'utilisation de son second pouvoir. Il ouvrit ses vêtements, et constata que son corps entier était bleu de froid. Il tremblait, mais il s'efforça d'annuler la tempête de neige. Il referma ses vêtements, et chercha à se réchauffer dans un coin.

- Il ne nous rattrapera pas ici. Je le sais, je ne sais pas pourquoi... Mais il ne nous cherchera pas. Merci, pour tout à l'heure.

Selene se laissa entraîner par Alexander, de toute façon bien trop incapable de penser par elle-même. La forêt défilait sans qu’elle ne la voit, tableau de formes méconnaissables drapées par la nuit. Plusieurs fois, elle s’était cognée contre une branche, avait trébuché sur une racine, mais la terreur qui palpitait dans son corps anesthésiait jusqu’à la douleur. Rien d’autre ne comptait que sa fuite, jusqu’à ce que son aîné ne les arrête enfin dans une tanière.

Elle avait les poumons en feu, la tête brûlante, des sueurs froides, et une crise de tremblement autant dû à l’épuisement qu’à l’émotion. L’étreinte du frigophobe lui parut lointaine, irréelle, comme si son esprit avait déjà mis un pied hors de sa carcasse de chair. Doucement, alors que seule sa respiration saccadée brisait le silence, les sensations lui revenaient. Une à une, les douleurs se révélaient, écorchures et hématomes divers, déferlant sur sa peau fragile.

Vint alors le tournis, qui l’obligea à se laisser choir sur son arrière-train, lorsqu’Alexander mit fin à son embrassade. Ce dernier la remercia, mais à vrai dire, la jeune fille n’entendait plus vraiment. Fébrile, elle se recroquevilla sur elle-même, son front enfouit contre ses genoux, et éclata enfin en sanglot. Des pleurs nerveux, incontrôlables, qui secouaient tout son corps de soubresauts. C’était plus fort qu’elle ; le barrage qui avait tant bien que mal retenu la terreur cédait. Immédiatement, son pouvoir se déclencha, faisant apparaître son meilleur ami, qui se pencha jusqu’à doucement caresser ses épaules.

- Ça va aller Selene, je suis là… tu as été courageuse. Vraiment, courageuse.

La galloise ne pouvait plus s’arrêter. Elle se laissa juste basculer sur le coté, pour s’appuyer contre le piquet de son épouvantail. Alexander était le témoin de cette scène saugrenue : une adolescente effrayée qui se rependait en larmes aux pieds d’un homme de paille. Pouvait-il comprendre comme elle se sentait rassurée à ses cotés ? Comme elle trouvait de la chaleur dans sa présence ? L’unique maillon stable de sa raison était là. Celui qui avait retenu sur la rive des vivants une fillette dont le foyer avait été détruit.

Au bout d’un temps interminable, au court duquel l’épouvantail avait fidèlement tenu son rôle, ne cessant de murmurer des mots rassurants à l’oreille de la rouquine, celle-ci s’apaisa enfin. Les cascades de pleurs avaient laissé leur place à des larmes silencieuses, qui roulaient encore sur les joues trempées de la toquée quand elle redressa la tête.

- Excuse-moi, murmura-t-elle en essuyant ses yeux rougis d’un revers de la main.

Comme une enfant qui s’agrippe à son doudou, elle se saisit d’un pan de la chemise de son ami, et appuya sa tête contre lui. Son odeur, comme son bras sur ses épaules la rasséréna. La fatigue lestait son corps frêle de plombs. Elle vibrait encore, secouée de frissons irrépressibles, mais son rythme cardiaque s’était calmé. Toute la douleur de son corps s’était faite silencieuse, même l’inflammation de ses mains écorchées par les orties.

- Ça va toi ? demanda-t-elle à Alexander. Tu es blessé ? Tu peux… reprendre mon manteau, si tu as trop froid.

La jeune fille tombait en larme, au côté d'un épouvantail qui était apparu... sans raison. Un pouvoir de la fillette? Sans doute, mais il s'en fichait. Ce qui l'importait, c'est qu'elle ait trouvé un moyen de se calmer. Il ne dit mot, assistant à la scène étrange suite à la terreur qui les avait atteint. Il regardait son corps, qui le faisait souffrir, l'effrayait. Sa main avait maintenant fondu. Mais les résidus du combats et de la morsure du froid persistait. Si le combat s'était éternisé, ils seraient sans doute mort tout les deux. Si elle n'avait pas agi ainsi....

Elle s'était calmé, et lui demandait si tout allait bien. Il se tourna vers elle.

- Oui ça va. Ne t'en fais pas pour moi....

Il n'allait pas accepter son manteau, malgré le froid qui persistait, il voulait être fort, pour elle. C'est lui qui devais prendre soin d'elle. Et puis, il commençait à avoir un peu plus chaud.
Il se frictionna, puis se rapprocha d'elle, comme si l'épouvantail n'était qu'une personne ordinaire.

- Tu peux me présenter à ton ami?

Après tout... Pourquoi pas? Ils n'étaient guère chez eux. Et il était apparu comme ça, alors... Il ne devait pas être méchant. Et puis, à sa place, il n'aimerait pas qu'on ignore ses amis.

Quoi qu'il en soit, il commençait à être épuisé, même dans cette dimension étrange. Il leur faudrait trouver le repos ici... En espérant que le terme trouver le repos ne soit pas similaire au terme reposer en paix. Il commença à s'allonger, suffisamment loin de Selene pour ne pas la déranger.

- Je ne sais pas toi, mais je pense qu'on va devoir se reposer ici... Malgré les dangers qui peuvent nous guetter, si nous continuons ainsi, nous allons juste tomber dans les pommes.

Qu'allait-il faire pour se sortir d'ici? Après tout... Il devait tout de même y avoir une sortie. Une solution de secours. Il en était persuadé. Peut-être était-ce juste un test du Marchand de Sable?
Son jeu ne pouvait pas se finir pas un simple " Partie Terminé". Il en était persuadé.

Tandis que ses pensées partait vers son majordome, il commença à chercher le sommeil...

Selene n’était pas convaincue qu’Alexander aille mieux, mais elle garda le silence. Tous les deux étaient blessés et épuisés de toute façon, c’était inutile de se leurrer. Elle sursauta légèrement lorsque le frigophobe lui demanda de lui présenter son épouvantail. C’était la première fois, elle ne savait pas trop comment réagir. Après avoir étudié le visage du jeune homme, pour être certaine qu’il n’était pas en train de se moquer de son affection, la toquée introduisit son ami d’enfance comme il se devait.

Agrippé à la chemise usée, ses larmes silencieuses s’étaient vite taries. Il ne restait sur ses joues que des sillons salés disgracieux, qu’elle ne prenait pas encore la peine d’essuyer. Elle avait l’impression que si elle lâchait son apparition, elle disparaîtrait immédiatement. D’ailleurs, celle-ci sentait qu’elle allait partir, même si elle aurait souhaité s’attarder auprès de sa protégée.

- Je vais devoir te quitter Selene, murmura-t-il avec douceur, ça va mieux ?

La rouquine marqua un temps d’hésitation. Elle se doutait que son corps ne lui avait pas encore fait ressentir toute la rancœur qu’il éprouvait après ce qu’elle lui avait fait endurer, mais la peur viscérale qui la rongeait avait disparu. A la place, un apaisement intérieur lui permettait d’avoir les idées plus claires. Tandis qu’Alexander lui conseillait de se reposer, elle répondit à son épouvantail :

- Ça va, grâce à toi. Merci.

Alors son ami disparut, la laissant seule avec son aîné dans la tanière improvisée. Quelles garanties avaient-ils que rien ne viendrait les dévorer dans leur repos ? Aucune. Mais il fallait dormir, c’était la vérité. Sinon, ils mourraient tout simplement d’épuisement… et de faim, parce que l’estomac de l’adolescente commençait à se manifester. Il verrait plus tard. Pour l’instant, la nuit noire imposait ses droits à l’extérieur, et quelque chose disait à la jeune fille qu’il ne valait mieux ne pas la braver.

Alors qu’elle fermait ses yeux noisette, son cerveau se mit à tourner à plein régime pour trouver une solution. Ce n’était pas facile, parce qu’en fin de compte, ils n’avaient que peu d’éléments ; mais il fallait trouver, s’ils voulaient s’en sortir vivants. Quand elle sortait de son inconscience plusieurs heures plus tard, la galloise ne savait pas si elle avait vraiment dormi, mais elle sentait qu’elle avait fini par avoir une idée. Un esquisse plutôt, mais c’était un début.

En essayer de se redresser, son corps tout entier lui renvoyait des signaux de douleur qui la firent grimacer, et la clouèrent au sol. Courbatures dans les muscles, bleus sur les jambes, genoux écorchés, bras irrités, elle n’était pas franchement belle à voir. Au bout du troisième essai, elle réussit à trouver son équilibre sur ses pieds, et remercia l’absence de miroir qui lui épargnait de voir son teint blafard et son allure échevelée. Par contre, elle regretta sa hotte et les quelques chocolats qui lui restaient. Elle avait faim… et soif aussi.

Attendant patiemment que son acolyte se réveille à son tour, Selene dessinait des visages d’épouvantails du bout du doigt dans la terre. Elle s’était encerclée de têtes aux sourires tordus quand le frigophobe ouvrit enfin les yeux. Silencieuse, elle attendit qu’il émerge avant de pointant la sortie d’un pouce fébrile :

- Tu crois qu’on peut trouver de quoi boire et manger ? J’ai vraiment faim et soif là…

Mais si le Marchand de Sable avait crée un monde stérile ? Ou pire, entièrement empoisonné ? C’était peut-être gros, mais cette crainte soulevée, elle taraudait les entrailles de la galloise. N’osant pas faire part de sa théorie à Alexander, elle préféra le lancer sur leur souci premier :

- Et j’ai réfléchi cette nuit… j’ai cru entendre, ou lire, qu’à Dreamland, le monde était plus ou moins maintenu par les 7 tours. Du moins, sans elle, l’équilibre serait bouleversé. Du coup… tu crois que ce serait pareil ici ? Je veux dire, pas forcément une tour, mais il y a peut-être un endroit qui maintien l’équilibre de cette dimension. Si on pouvait l’atteindre, peut-être qu’on pourrait…

Elle ne finit pas sa phrase. C’était absurde. C’était drôle comme c’était clair dans sa tête, alors que ça devenait idiot à haute voix. Quand bien même elle avait raison, comment viendraient-ils à bout de ce mystérieux « pilier » ? Ils n’étaient que deux, et ne canalisaient des pouvoirs bien folichons. Et puis, comment le trouveraient-ils déjà ?

- Laisse tomber, acheva finalement la galloise, c’était bête.