Inception (quête parallèle)

HRP : bon bah puisqu'il en faut un, j'inaugure ! J'accepte d'être rejoins par qui le veut bien, donc que ceux qui veulent n'hésitent pas à poster à ma suite et à me rencontrer. Les autres et bien... bon courage de votre coté =)


Elle ne dormait pas. Comme souvent, le sommeil n’était pas son meilleur allié. Il fuyait ses pensées glacées, ruisseau de démence ou pluie torrentielle de folie. L’impression de recevoir du sable dans les yeux l’avait faite se redresser brusquement. La jeune femme frotta ses paupières sans rien y comprendre, alors que les fils tissés par son encéphale s’effilochaient. Sa tête retomba lourdement, comme chargée de plomb, et elle perdit connaissance avant d’avoir pu hurler au complot.

Eve crut se sentir sombrer dans le vide pendant une éternité. Et si elle était morte dans le monde réel ? Egorgée pendant sa transe par une codétenue qui ne la portait pas dans son cœur ? La sensation de passer au travers un trou minuscule lui donna la nausée tant elle était désagréable, puis elle ouvrit ses yeux marron. Sans la voix qui éclata soudainement, elle aurait pu se croire sourde dans cette dimension stérile. Elle tanguait au rythme des vagues de sable, ses sourcils légèrement froncés tant la situation lui paraissait cousue d’hallucinations. Mais elle n’était pas folle, et elle ne rêvait pas. Elle ne sut pas vraiment si elle s’affaissait ou si le décor s’extirpait du sol, mais les premières tuiles usées d’une ville sinistre apparurent ; se dressant vers le ciel noir comme pour l’emprisonner.

Le sable glissait entre les bicoques d’un autre âge jusqu’à disparaitre, les rafales de vent se turent, le silence se fit total. Eve s’humecta les lèvres avant de se remettre sur pieds. Elle ne comprenait toujours pas de quel avertissement il était question, mais avait bien saisi être la proie d’un être puissant qui l’avait piégée dans un endroit encore plus macabre que Dreamland.

Elle fit volte face, l’impression d’être épiée. Ses yeux scrutaient ce qui ressemblait à une ville du XIXè d’Europe de l’ouest, les fenêtres remplacées par des gouffres sans fond, les portes grinçantes sous de légers coups de vent. La lueur fugitive des flashs éclatant dans le ciel d’encre projetait à intervalles irréguliers une lumière laiteuse sur les environs déserts et glauques.

Ce n’était pas la peur qui faisait s’accélérer le rythme cardiaque de la russoaméricaine, simplement l’adrénaline ; la sensation du danger qui rôdait, prêt à lui sauter à la gorge. Par instant, elle avait l’impression que le vent lui portait des claquements réguliers, comme les sabots de chevaux spectraux sur les dalles du sol.

- Je ne sais pas qui t’es, mais t’as mal choisi la victime de ton jeu sadique, souffla-t-elle dans le vide, persuadée qu’une entité malsaine la surveillait.

Puisque ce n’était pas en restant sur place qu’elle s’en sortirait, Eve commença à suivre l’avenue qui s’offrait à elle. Elle réalisa alors que des lampadaires crasseux s’étaient allumés, diffusant des halots fantomatiques sur les contours tordus des bâtisses vides. Son regard glacé croisa son reflet inexpressif dans une vitrine. De l’autre coté, un étalage de poupées de porcelaine qui la dévisageaient de leurs pupilles de verre luisantes dans l’obscurité. Par réflexe, la jeune femme s’approcha jusqu’à effleurer du doigt la surface froide. Chacune des petites figures avait l’air d’être vivante, leurs sourires semblaient s’allonger vers un rictus de sadisme micromètre par micromètre. L’envie d’exploser la vitre et les présences malsaines qui se trouvaient de l’autre coté titilla un instant le monstre lové dans ses entrailles, mais elle secoua la tête comme pour se rappeler à l’ordre.

- Voyons Eve, murmura la taularde pour elle-même, tu vas pas péter un plomb quand même…

Elle se remit en marche, sans réellement savoir ce qu’elle devait chercher. Parfois, une ombre semblait se glisser dans le halot d’un lampadaire burtonien, mais celle-ci s’éclipsait aussitôt lorsque les orbes glacials de la jeune femme se jetaient sur elle. Une chose était sûre : elle n’était pas seule ; mais l’entité qui la suivait semblait être la seule à pouvoir décider quand elle se ferait connaitre.

Alexander avait du s'assoupir, ou quelque chose, mais ce qui était sûr, c'est qu'il avait souffert durant son repos. Il s'était "éveillé" dans un décor désertique... Si on pouvait appeler le panorama ainsi. Le ciel était étrange, l'endroit aussi... Et quelque chose, ou quelqu'un, se trouvait en ce lieu.

Et ce n'était sans doute pas la meilleure des choses qui lui soit arrivé, vu l'endroit. Au moins, il ne ressentait pas la température ici... Ce qui était d'ailleurs tout aussi flippant, d'un côté. Mais de l'autre, il ne souffrait guère du froid et cela ne pouvait être que positif.

Soudain, la voix retentit, comme venant de nulle part et de partout à la fois. Qui était-il? Le Marchand de Sable? Il était revenu pour eux? Quoi qu'il en soit, il devait s'expliquer avec lui... Ses expériences lui avait appris à devenir fort. Il allait apprendre à cet individu ce qu'il en comptait de chercher un Blizzhead!

Mais la chose qui se passa ensuite défiait tout entendement. Le sable tourbillonna autour de lui, et il crut que c'était la fin... Mais le cauchemar ne faisait que commencer, et il se forma autour de lui une caverne cristalline aux teintes sombres, illuminés par d'étranges sources verdâtres par endroit. Cette endroit lui rappelait trop les cavernes de glace qu'il avait pu apercevoir en allant en sport de neige, dans son enfance. Quelque chose qu'il appréciait tant autrefois... Et qu'aujourd'hui, il aurait préféré éviter.

Mais il était là, maintenant, à l'intérieur de l'une de ces cavernes... Le vent soufflait à l'intérieur, faisant vivre la cavité d'un écho horrifiant, presque spectral. La mort l'attendait ici, et la main de glace pouvait être n'importe ou....

Mais il devait se ressaisir! Il devait sortir d'ici. La grêle tombant autour de lui, le jeune manchot se dirigea comme il pouvait sur ce sol qu'il ressentait comme froid, vivant dans son cauchemar infâme. Il tourna dans plusieurs couloirs, avant d'arriver à un cul de sac. Décidément, il n'avait aucune chance.

Mais, soudainement, il vit une ombre apparaître au loin. Il allait se préparer à se battre... Il n'allait pas abandonner son sort ainsi aux corbeaux!

Comment aurait-elle pu croire une seule seconde que ce serait si simple ? Que le Marchand de Sable la laisserait tranquillement retrouver son ombre et rentrer chez elle ? Il était là ce Dieu méconnu, une ombre dans un tourbillon de sable, une voix qui la gelait de terreur. Dans l’espoir de trouver une échappatoire, ses yeux noisette couraient de droite à gauche, de gauche à droite, mais ils ne lui offraient rien d’autre que le désert mouvant profondément surréaliste. Et James ? Elle avait perdu James ! Son unique repère, sa boussole dans ce monde détraqué, l’unique personne qui savait faire taire ses craintes d’une simple promesse d’adolescent.

Selene ferma les yeux à s’en faire mal, priant pour que ce décor chaotique s’efface, et lorsqu’elle les rouvrit, l’intempérie s’était calmée. Plus d’océan de sable, mais des pics montagneux aiguisés qui semblaient vouloir crever le ciel d’encre. La galloise se releva, secouant sa chevelure rousse, époussetant ses vêtements, réalisant alors qu’elle n’avait plus aucun de ses objets ici. Ni même ses sacs ; à croire que le Marchand de Sable avait simplement eu la décence de ne pas les faire mourir nus.

Secouée de frissons, la jeune fille détailla les alentours, et constata avec horreur que les montagnes escarpées et menaçantes dessinaient un cercle autour d’elle : elle était complètement piégée d’un mur de pierres brutes haut de plusieurs centaines de mètres. L’angoisse était à son comble, explosant dans sa tête en anéantissant tout fonctionnement normal de son cerveau. Elle avait besoin de son ami, de l’avoir au plus près d’elle, gravé dans sa chair. La toquée dénicha bien vite une pierre aux coins tranchants et attaqua sans état d’âme la peau blanche de son bras gauche. La douleur rendue muette par la démence, la nécessité maladive plus forte que tout.

Tout en se mordillant nerveusement la lèvre, sautillant d’un pied sur l’autre, l’adolescente s’entailla pour faire apparaitre une tête maladroite complétée uniquement d’un sourire tordu, puis un bâton de travers et des bras en croix. Alors seulement, Selene put revenir à elle. Sa respiration s’apaisa, son cœur fragile consentit à ralentir, ses tremblements s’amenuisèrent, tandis qu’elle gardait les yeux rivés sur son ami ensanglanté. Sa main droit serrait encore fortement la pierre qui lui avait servit : elle la garderait très certainement.

Calmée, la galloise remarqua la petite pilule bleue tombée à ses pieds, manifestation de son pouvoir, qu’elle rangea immédiatement dans une poche de son short. Elle se décida alors à explorer les alentours. Il fallait qu’elle s’en sorte, qu’elle survive par ses propres moyens, elle en était capable.

Ce fût rapide de faire le tour : il n’y avait rien dans cette cage de pierre d’autre que des rochers plus ou moins gros et des arbustes morts noircis et rachitiques. Les flashs projetés par le ciel n’ajoutaient que l’éclairage sinistre qu’il manquait à ce décor inquiétant. Lorsqu’elle découvrit l’entrée d’une caverne, la toquée ne sut pas définir s’il s’agissait d’une bonne nouvelle ou si elle s’enfonçait vers le pire des cauchemars. Des amas verdâtres non-identifiés offraient une visibilité correcte, mais ça ne disait toujours rien qui vaille à l’adolescente.

Comme pour s’aider à choisir – ou pour chasser l’angoisse qui menaçait de revenir lui nouer les entrailles – elle utilisa sa pierre pour graver sur l’entrée une autre réplique de son épouvantail. Il lui souriait avec une chaleur qu’elle était la seule à percevoir, mais qui pourtant existait belle et bien dans son cœur. Après lui avoir adressé un hochement de tête convaincue, elle s’aventura à l’intérieur, lentement, méfiante.

Les râles spectraux du vent s’engouffrant dans l'ouverture étaient terrifiant, plus encore que l’impression de s’enfoncer dans un gouffre sans retour possible. Selene resta un instant figée sur place lorsqu’elle parvint à une croisée d’une dizaine de chemin que choisir ? Aurait-il été préférable qu’elle essaye d’escalader les montagnes plutôt que d’entrer là-dedans ? Et si elle n’en sortait jamais ? Elle eut alors une idée qui lui donna l’illusion d’être rassurée. Avant de quitter sa voie, elle grava sur la paroi un épouvantail bien en évidence, pour qu’elle ne le manque pas s’il fallait revenir sur ses pas.

Ce n’était pas grand-chose, que des manifestations de son esprit, mais retrouver son ami dans un lieu pareil le rendait moins hostile, plus familier. En s’avança à pas lents dans un chemin choisi au hasard, le cœur de l’adolescente vint cogner lourdement ses cotés minces. Quand au détour d’un virage elle aperçut la silhouette d’Alexander, éclairée par les sources vertes, elle eut si peur que son hurlement se bloqua dans sa gorge. Elle ne put que tomber à la renverse, livide, l’impression soudaine que sa vie s’était terminée dans un flash.

Son rythme cardiaque était si insoutenable qu’elle avait la nausée, sa tête qui avait heurté le sol lui faisait mal, et c’est en se frottant le crâne qu’elle se redressa en chancelant. S’aidant d’une paroi, elle put retrouver appui sur ses pieds et alors poser plus calmement son regard terne sur le manchot, sans oser approcher. Ses jambes étaient comme scotchées au sol en vérité, il faudrait une grue pour la faire avancer dans l’état actuel des choses. Un homme seul dans une caverne psychédélique, en plein cauchemar… ça ne pouvait que signifier des problèmes pour la chose fragile qu’elle était. Pourtant, il lui disait quelque chose. Comme si…

- On… on se serait pas déjà vu ? hasarda-t-elle d’une voix rendue trop aigue par la peur, su-sur le Slavedog Millionnaire, ce n’est pas ça ?

La personne qui s'approcha de lui était une jeune femme qu'il avait aperçu sur le navre esclavagiste, du côté "cage". Elle n'était pas vraiment joli, mais après, il n'était pas là pour ça. Et puis, elle avait l'air aussi terrifié que lui... Peut-être pas pour les mêmes raisons, cependant.
En tout cas elle avait chuté, et avait exhibé l'effroi au travers son visage.

Ses pressentiments furent vérifier lorsque la jeune femme parla du navire d'esclave. Sa voix était mené par la terreur. Il la regarda droit dans les yeux.

- C'est possible oui. Je suis dans le même cas que vous n'ayez pas peur, on va sortir de là.

Mais c'était compter sans le vent qui commençait à être glacial... Ou la caverne. Quoi qu'il en soit, Alexander n'aimait guère l'endroit... Ils devaient sortir d'ici, et au plus vite. Il se releva difficilement, et lui tendit sa seule main pour l'aider à se relever.

- Vous allez bien? Je ne voulais vraiment pas vous faire peur... Je m'appelle Alexander. Et vous?

En tout cas, tandis qu'il l'aidait à se relever, il pensa à une chose: ici, il n'avait rien. Comme si il était passé dans une autre dimension.... Pourtant, aussi loin qu'il s'en souvienne, il n'avait rien fait de spécial. Mais il y avait des problèmes plus important à gérer.

En commençant par la menace de ces cavernes. Tremblant, la neige tombant autour de lui, il se dirigea vers un autre couloir, espérant que la jeune inconnue le suivait. Il se demandait s'il faisait le bon choix de la prendre avec lui. Elle pourrait le ralentir, ou pire, c'était peut-être une complice du Marchand de sable.... Voir de l'individu l'ayant emmener ici, si ce n'était pas la même personne. Après tout, cela était possible.

Tout les couloirs de cette caverne se ressemblaient, avec ses lumières spectrales se reflétant dans la glace naturelle. Au moins, ils étaient en sécurités, mais pour combien de temps? Et puis, le vent était tout de même un danger. D'ailleurs, comment pouvait-il s’engouffrer aussi loin? Le vent était-il si fort à l'extérieur?

Après avoir parcouru ce qui lui semblait être des kilomètres, Alexander se posa près d'un caillou sur l'une des multiples voies de la caverne. Il ne prit guère place dessus, de peur que la pierre soit trop froide.

- Je ne sais pas ou l'on va, mais j'aimerais en savoir plus sur toi... Que peux tu me dire à ton sujet?

Après sa réponse, il décida de lui raconter qui il était. Après tout, il était dans la même galère... Apparemment. Il lui raconta donc ses mésaventures, en commençant par sa jeunesse, puis son arrivée auprès de Parkinson, l'arrivée dans le navire, le passage à Techyo, puis le retour... Toute son histoire hypnosienne en somme. Il eut même peur de l'endormir. Cependant, lui commençait à ne pas aimer le fait de rester sur place: le froid était en train de le transir, et il était hors de question qu'il se laisse tuer par celui-ci.

- Nous devrions avancer. Je déteste le climat, par ici....

Et ils repartirent à la recherche de la sortie. Cependant, des bruit lointains se faisaient entendre vers un couloir. Il se dirigea en direction de ses bruits, bien qu'effrayés par la suite des évènements.

- Selene, murmura l’adolescente quand son interlocuteur demanda son nom, ça va merci.

Elle n’osait toujours pas le regarder, même s’il lui avait promis qu’ils allaient s’en sortir. De la neige tombait inlassablement autour de cet individu, sans doute la manifestation d’un pouvoir lié au climat. Le faisait-il exprès ? Ces flocons avaient-ils une vertu spécifique ? La galloise eut tout le loisir de faire mûrir ces questions en emboitant le pas à son ainé. Par précaution, elle observait une certaine distance de sécurité, des fois qu’il fasse subitement volte face pour se jeter sur elle.

D’ailleurs, Alexander n’avait sans doute même pas remarqué qu’à chaque carrefour, l’adolescente gravait un épouvantail sur la paroi pour marquer leur chemin. Chacune des nouvelles apparitions lui donnait du courage, comme un cortège squelettique venu lui prêter mentalement main forte. C’était une manière de s’approprier les lieux, d’apaiser son rythme cardiaque et de conserver le contrôle de ses pensées. L’entaille sur son bras la picotait également de temps en temps, lui rappelant ses chairs blessées laissées sans aucun soin.

Quand ils firent halte au milieu d’un couloir qui ressemblait aux dizaines d’autres couloirs qu’ils avaient parcourus, la jeune fille commença à douter de leurs chances de s’en sortir. Aurait-elle du parler à ce dénommé Alexander du fait qu’elle venait de l’extérieur ? Quand bien même l’endroit était encerclé par les montagnes, il y avait peut-être un autre chemin, autre chose que ce labyrinthe souterrain qui ne semblait que tourner en rond. Bientôt, même s’il s’agissait d’un songe dans un songe, la faim viendrait – accompagné de la soif – et il n’y avait rien dans les parages que des pierres froides.

Le frigophobe lui adressa enfin la parole depuis qu’il s’était préoccupé de connaitre son prénom. Toutefois, ce qu’il demandait était cette fois parfaitement surprenant. C’était comme en classe, quand un professeur incitait à se présenter : on ne savait subitement pas quoi raconter sur soi. Baissant ses yeux noisette sur le bout de ses rangers, Selene répondit confusément :

- Moi je… je ne sais pas… j’étais dans les Terres gelées, et j’ai été transportée ici par le Marchand de Sable. J’ai perdu mes amis et…

Elle s’interrompit, réalisant que très certainement, tous les voyageurs avaient subi le même sort. Après tout, pourquoi aurait-elle rencontré cet Alexander sinon ? Dans ce cas, James devait être quelque part. Pourvu qu’il ne lui arrive rien, ça lui ferait… sincèrement mal, de le perdre dans ce monde psychédélique.

- J’aimerais bien les retrouver, souffla-t-elle, je pense qu’ils sont aussi ici, et je voudrais… être sûre qu’ils s’en sortent.

Encore faudrait-il qu’elle puisse se sauver elle-même, lui susurra une voix mentale. Heureusement, Alexander eut la bonté de ne pas le lui faire remarquer. En réalité, la toquée n’était pas certaine qu’il l’ait écoutée, puisqu’il se répandit immédiatement dans le récit de toute sa vie, depuis sa petite enfance jusqu’au cauchemar qu’ils vivaient actuellement.

Avec la gentillesse qui était la sienne, Selene s’appliqua à l’écouter jusqu’au bout, tout en se demandant régulièrement d’où il voulait en venir. Elle pouvait comprendre d’un coté : les gens avaient besoin de parler parfois, quand ils rencontraient des situations difficiles ; mais elle, ce n’était pas vraiment son truc. Son passé et ses mauvais souvenirs étaient clos dans une boite de Pandore, quelque part dans son cœur fragile. Quand le frigophobe proposa d’avancer, ne sachant que répondre à son récit, elle s’empressa d’acquiescer en lui emboitant le pas. Quand il lui eut tourné le dos, un sourire timide – léger – éclot sur ses lèvres : il n’avait pas l’air méchant. Juste… spécial.

Des bruits caractéristiques commençaient à se faire entendre. Si la galloise avait voulu ouvrir la bouche pour suggérer de s’en éloigner, c’était raté, car son ainé prenait la direction de leur source, si vite qu’il lui laissait à peine le temps de marquer régulièrement ses épouvantails. Ça ressemblait à des claquements de pierre sur la pierre, entrecoupés de crissements non identifiables. C’était effrayant, angoissant, mais le duo s’en rapprochait inexorablement, sans que la jeune fille ne sache qu’elle voulait la poussait à suivre.

Ils débouchèrent alors subitement dans une pièce en forme de dôme, où les sources de lueur verte dessinaient des arches s’entrecroisant en ogive au plafond. Des stalagmites et des stalactites condamnaient une large portion extérieur de la pièce, ne laissant libre qu’un cercle d’à peine quatre mètre de rayon au centre. Il y avait bien une sortie – ou ce qui y ressemblait – à l’autre bout, mais elle était gardée par une créature étrange. Son corps de pierre n’était qu’un énorme œil lévitant, affublé comme une gorgone d’une horde de pointes mouvantes qui ressemblaient vaguement à des cheveux.

A la vision de la pupille brillante d’un éclat émeraude, la peur fût si intense que Selene déclencha son premier pouvoir, et celui-ci lui sauva la vie : sans prévenir, trois pointes s’étaient subitement allongées, décrivant une cloche, avant de plonger se planter dans sa poitrine de paille, la clouant au sol. Elle poussa un hurlement de surprise et de terreur avant même de réaliser qu’elle était indemne. Mais ce n’était peut-être qu’une question de temps ?

C’était lui. Le Marchand de sable, cette entité divine qui l’avait condamnée à mort pour le simple fait d’avoir été malade. Juste la malchance, le sort du destin qui avait voulu qu’un séjour chez le docteur Parkinson la lie inextricablement à un monde onirique. Dieu n’existait sûrement pas, mais le maître de Dreamland, lui, il était là. Elle n’avait rien pu faire contre lui, juste masquer ses yeux pendant la rafale qui dissimulait sa disparition. En dégageant sa chevelure peroxydée de son visage, Melena put observer les environs qui se transformaient.

Les vagues de sable se glissaient dans les failles de la terre, jusqu’à ce que soit parfaitement identifiable une armée de tombes aux croix pointues qui dardaient vers le ciel. D’étranges lampadaires en forme de faucille éclairaient les sépultures, halos laiteux qui s’étalaient comme des fantômes silencieux. Horrifiée, l’adolescente s’empressa de bondir sur ses pieds, mais elle était encerclée. Pire encore : son pouvoir lui rapportait la présence des corps sous moins d’un mètre d’humus.

Et si c’était comme à Freedoom ? Et si les macchabés sortaient de leurs cercueils pour s’en prendre aux vivants ? Elle n’avait plus que ses pouvoirs pour se défendre, et rien d’autre à l’horizon qu’une petite chapelle sinistre. Du moins, ça y ressemblait, mais les icônes sur les vitraux fissurés n’avaient rien de catholique ou d’anglican. Toutes représentaient des condamnations à mort, des tortures, de la pendaison à la dame de fer, et un petit quelque chose disait à la nécrophobe que ces allusions étaient directement adressées aux voyageurs.

Si seulement elle avait pu contacter Jade… même Elie, ou Ace, n’importe qui qu’elle avait pu considérer comme un ami, pourvu qu’elle ne reste pas seule au milieu de ce cauchemar. Malgré tout, son cœur se serra en visualisant le visage de la bonne jumelle : finalement, même son absence était douloureuse. De toute manière, elle ne devait pas se soucier d’elle, n’est-ce pas ? Si l’irlandaise mourrait dans cette dimension, ce serait un monstre de moins sur les bras.

Une goutte d’eau tomba sur son nez, et Melena réalisa qu’il s’était subitement mis à pleuvoir. L’eau était glaciale, menaçant de la frigorifier même au travers de sa tenue techyoïte. N’ayant pas d’autres choix, elle se mit à courir vers la petite bâtisse, slalomant entre les tombes en essayant de ne pas penser à la possibilité qu’une main surgisse de terre pour lui attraper la cheville. Une fois parvenue à moins de trois mètres, la lumière s’alluma si soudainement que la jeune fille se figea sur place.

Sous l’averse, ruisselante d’eau glacée, l’irlandaise observait de ses yeux gris la lueur tremblotante de l’autre coté des vitraux. Des cierges. Il y avait quelqu’un. A pas lent, elle réduisit l’écart qui la séparait de la porte et dut appuyer tout son corps contre elle pour la pousser. A l’intérieur : un tapis ocre miteux fendait en deux d’étroites rangées de bancs qui filaient droit vers une espèce d’autel sacrificiel. D’ici, le toit avait l’air incroyablement plus haut, comme si une magie quelconque dissimulait la véritable taille de l’endroit vu de l’extérieur.

Sur les cotés de l’entrée, de grands cierges noirs étaient allumés, sans pour autant faire fondre la cire ou consumer la mèche, mais il n’y avait personne. Les premiers pas de Melena à l’intérieur se réverbéraient de façon surnaturelle. Dehors, la pluie était déjà terminée, comme si elle avait été crée par un Dieu quelconque ( ?) pour la forcer à venir s’abriter.

Malgré l’effroi que lui inspirait ce lieu sinistre, elle ne put s’empêcher de marcher jusqu’à l’autel. Des anneaux étaient placés sans doute pour retenir les poignets et les chevilles des victimes, des traces de sangs séchés incrustées dans la pierre. Posé à coté, il y avait un grimoire épais et une boite en fer blanc. Alors que l’irlandaise allait se pencher pour la toucher, l’orgue se mit à jouer doucement un air de requiem. L’adolescente remarqua alors la silhouette encapuchonnée devant la porte d’entrée, haute et massive, qui lança avec cruauté :

- Les jeunes brebis égarées font toujours les meilleurs sacrifices…

La porte claqua avant de se verrouiller dans une suite de cliquetis sonores. Le cœur de Melena sembla se décrocher de sa poitrine. Immédiatement, son pouvoir létal se déclencha. Déjà blanche comme un linge, elle perdit les couleurs qui lui restaient et s’écroula dans une parfaite imitation de la mort par arrêt cardiaque, sous le regard ébahi de celui qui pensait être son bourreau. Si elle avait pu trembler, son corps serait agité de spasmes de terreur, mais elle n’en pouvait rien : elle était inerte, « morte », pas plus de 20 minutes pour réfléchir à la façon de s’en sortir.

Nikodim avait, commede nombreux autres, perçu ce changement d'atmosphère étrange et ces vibrations, ce décor changeant et cette voix autoritaire... Cependant, il n'en avait rien à secouer.
Après tout, qui avait le droit de commander la famille Nikodim? Personne, bien sûr. Il était lui seul maître de la situation.

Ce qui était plus gênant, c'est qu'il avait bien du mal à se rappeler où il était auparavant. De plus, il n'avait plus rien sur lui: aucune possession physique, pas d'argent, pas d'échiquier, rien. Mis à part ce qu'il portait, bien sûr: sa tenue d'affaire trouée. S'il devait reprendre tout son plan depuis le début, cela risquait d'être gênant pour la suite... Mais il prendrait tout le temps nécessaire.

L'endroit qui s'était matérialisé autour de lui ne manquait pas de charisme, en tout cas. Il se retrouvait en effet dans le hall de ce qui semblait être un manoir. 'ambiance lugubre n'était pas pour déplaire au russe, le hall n'étant éclairé que par des chandeliers et bougies diverses. Une lueur spectrale émanait de ces sources de lumière. Sans doute un joli effet de lumière pour l'accueillir. Au centre du hall, un tapis sombre, parsemé de symboles dorés étranges, montait jusqu'à un escalier, allant de chaque côté de la demeure. En haut de l'escalier, en plus de ces chemins, il y avait une porte d'un bois cendré inspirant le respect.

Mis à part l'escalier, il y avait des couloirs, à gauche et à droite. Plutôt grand, semblait-il. Les vitraux possédaient des héraldiques tout aussi lugubre que le reste du manoir. Pour rajouter à "l'horreur" de l'endroit, il n'y avait guère personne pour accueillir le Russe.

Soit, si personne ne le connaissait encore ici, c'était normal, d'une certaine manière.
Cependant, il y avait peut-être quelqu'un dans ce manoir, et dans ce cas, il se devait d'aller apprendre à cet individu les bonnes manières. Personne ne dupait Nikodim ainsi.

Il commença donc par monter les escaliers, d'un pas nonchalant. Les marches semblaient vieilles, puisque malgré l'aspect du manoir, elles grincèrent dès son premier pas. Il se dirigea immédiatement vers la porte, qui fit le même bruit que les marches: un bruit se voulant terrifiant, le revigorant d'une certaine manière. C'était lui, le maître de la manipulation. Il n'allait pas se laisser faire par des petits tours "d'horreur".

Derrière la porte, c'était un couloir rempli d'"armure" de différent peuples et siècles. Certaines étaient même inconnu aux yeux de Nikodim. Il n'y avait rien de spécial mis à part celà. Le Russe ne se préoccupa donc pas réellement du lieu, et traversa l'allée... Pour arriver au sein d'une salle à manger.

La salle possédait une de ces tables pour les grands banquets d'aristocrates, vêtu d'une simple nappe, tâché par le vin et les aliments d'anciens voyageurs.. Ou d'autres choses. Les couverts étaient disposés pour une trentaine de personnes environ, et les plats remplis de victuailles. Lorsque le quadragénaire se rapprocha, il crut même apercevoir des tâches de sang.

Pour sûr, il y avait bien pire que de se retrouver dans un tel manoir, avec un si magnifique repas, fût-il si vide et glaucque. Le Russe appréciait l'endroit. Il prit un plateau ou siégeait une dinde, et se dirigea vers la cuisine en réfléchissant. En effet, il y avait bien pire.

Comme la personne qui lui faisait face à ce moment précis.

- Et bien, comme on se retrouve. Un morceau, peut-être?

Le pyromane avait d’abord cru à un problème dans le monde réel. Cette sensation de passer par le trou du cul d’un plancton était la même que lorsqu’il passait d’un monde à l’autre. Quel connard avait osé le réveiller ? Enfin la question était plutôt : quel futur cadavre pensait le déranger et rester en vie ? Il fallait s’appeler Usain Bolt pour réussir un tel exploit !
La voix qui se fit entendre durant ce voyage spirituel des plus désagréables était si mystique qu’il ne pouvait s’agir que du responsable de cet enlèvement. Ace ne mit pas longtemps à faire le rapprochement entre cette éminence grise et la maladie dont souffraient Jade, Elie et Mel’. Ce sale type qui parlait n’était autre que le Marchand de Sable. Le jeune Ken présomptueux eut bien envie de répondre qu’avec un pseudonyme aussi bidon, il ferait mieux de descendre de ses grands chevaux, mais sa condition de boudin en conserve ne lui permettait même pas de respirer.
Bientôt, pour son plus grand bonheur, la téléportation prit fin.

Au lieu de se voir refoulé dans le monde réel, Ace ouvrit les yeux sur un plafond haut d’une dizaine de mètres aux ornements d’une richesse à faire pâlir ses vieux. Il tourna la tête sur le côté sans se relever ; un tapis rouge et or était déroulé sous lui tandis que les murs anciens ornés de tableaux aux paysages oniriques le confortèrent dans son hypothèse : il avait atterri dans une sorte de château ou de manoir.
Se relevant péniblement, le pyromane pivota plusieurs fois sur lui-même afin d’observer l’étrange endroit dans lequel on l’avait trainé de force. C’est clair que ces gueux savaient recevoir… à un détail près : il n’y aurait pas de majordome pour l’accueillir, puisqu’il n’était pas « le bienvenu ».
- Espèce de con, pourquoi tu m’amènes chez toi si j’suis pas l’bienv’nu !?

De son corps s’extirpa une petite flammèche violette qui prit instantanément la forme d’une balle de tennis sur laquelle deux petits yeux vifs s’ouvrirent, fixant le pyromane avec malice. Feufolé, fidèle à lui-même, ne comptait pas laisser tomber une opportunité de tenir compagnie à son meilleur ami – c’est-à-dire le noyer sous un flot de parole sans queue ni tête, comme le Ken s’en doutait.
- Hey ! On dirait que c’est reparti pour un tour, hm ? Glauque, comme endroit. Moi je crois que c’est là qu’habite le Marchand de Sable, à moins que non et que ça ne soit qu’un leurre.. Dis, est-ce que ça a une forme, un dieu ? Et est-ce qu’il est omniprésent ? Parce que dans ce cas, il est là, là, là, ici, là, ici et là aussi, et.. Nan, c’juste un gros con qui veut jouer avec nous, rien d’autre. Ceci dit, j’ai pas à m’plaindre : c’plutôt sympa comme endroit. Pour peu, j’squatterais bien quelques temps.

Le jeune homme se mit en marche, invitant son invocation à le suivre d’un mouvement de tête. Le petit esprit s’exécuta aussitôt, voletant autour de son ami, l’air guilleret.
Eclairés à la simple lumière de torches et de lampes à huile, les couloirs donnaient encore d’avantage cette impression de ‘vieux’ en y ajoutant une dimension inquiétante : les flammes dansantes reflétaient les ombres de sorte qu’on pourrait les croire vivantes, ce qui n’était pas impossible dans le monde des rêves, après tout. La progression du duo enflammé ne fut néanmoins entravée que par quelques bruits intermittents, échos diffus et lointain témoignant soit de la présence d’autres voyageurs, soit du bois qui travaillait. Quelques portes grinçaient et des bruits sourds retentissaient parfois sans qu’on ne puisse établir de lien avec quoi que ce soit.

Après quelques minutes de marche, Ace s’arrêta devant une torche fixée au mur pour la fixer avec intérêt : une source de lumière supplémentaire ne pouvait que leur faciliter la tâche dans cette progression en pointillés uniquement ponctuée par ces torches et les carrefours qui s’offraient à eux. Une de plus, une de moins… le pyromane arracha sans ménagement la torche à son support et repris son chemin. La proximité du feu avait quelque chose d’envoûtant : différente de celle de Feufolé, ne serait-ce que par la couleur ou la chaleur, avoir sur lui un tel objet donnait au Ken un sentiment d’invincibilité. Son regard se perdit ainsi plusieurs fois sur le sacro-saint objet, quittant le trajet rectiligne sans qu’il s’en inquiète outre mesure.

- Là, Ace, regarde : un hall ! A moins que ça ne soit l’entrée, ou bien on est revenus sur nos pas.
- C’est impossible, j’ai fait un plan dans ma tête : on est allé toujours tout droit et on a tourné qu’une seule fois à droite. On peut pas s’être gouré d’chemin.
Ace continua donc d’un air confiant jusqu’au hall qui se tenait au bout du chemin. Un grand escalier en bois que couvrait le même tapis rouge et or leur faisait face, les invitant implicitement à les emprunter. De toute façon, ils n’avaient pas beaucoup d’autres choix à part continuer dans un autre couloir juste sur la droite ou bien retourner sur leurs pas. Haussant les épaules, le Ken accepta donc cette invitation.

A l’étage, des grincements attirèrent l’attention du duo. On entendait à présent les martèlements assourdis des talons contre le sol : quelqu’un marchait. Ace tendait l’oreille, mais les bruits étaient si diffus qu’ils semblaient venir de partout et nulle-part. Guidé par les pas comme s’il s’agissait d’un écho au radar, le pyromane déboucha dans un cul de sac. Frustré d’avoir été trompé par ses sens, il se retourna brusquement, faisant presque s’éteindre sa torche. Il s’arrêta quelques instants, concentré sur la flamme mourante, priant pour qu’elle reparte. Celle-ci recommença lentement à entamer la toile sur laquelle elle s’était installée et la lumière ainsi produite lui permit de voir une porte qu’il n’avait pas vue auparavant. Il plaqua son oreille tout contre cette dernière mais seul le silence oppressant des lieux lui répondit. Méfiant, le pyromane se résolut à abandonner sa torche sur un support libre et ouvrit discrètement.

A peine entré, il se retourna pour faire face à Feufolé, lui intimant d’un doigt sur la lèvre de ne pas faire de bruit. C’était une cuisine étrangement moderne pour un manoir de cet âge, mais l’odeur de la nourriture se fit sentir, derrière une autre porte. Ace écarta sa chemise pour trouver le révolver qu’il avait coincé sous sa ceinture… sans succès. Enervé de palper sans rien trouver, il regarda directement, s’apercevant ainsi qu’il avait été dépouillé de ses biens. Ah ! Ce connard de dieu des sables avait bien monté son coup ! Même le briquet que le Ken conservait religieusement dans sa poche n’était plus là. De quoi vous tuer le moral, vraiment !

S’armant de la poêle la plus proche, il passa la porte menant à une salle à manger somptueuse où l’attendait le vieux russe. Surpris de le trouver ici, Ace leva un sourcil interrogateur en sa direction tout en s’avançant. Bien sûr, il avait baissé son arme : inutile de déglinguer ce dinosaure alors qu’il avait peut-être des infos sur ce trou paumé.
Nikodim fit le premier pas dans la voie de la sociabilisation, perche que le pyromane ne voulut même pas saisir.
A défaut donc de saisir cette perche, le pyromane se saisit de la dinde qu’on lui présentait, ne laissant au fana des échecs qu’un plat vide.
- Ouais. Merci.

Il tourna le dos au quadragénaire pour aller s’asseoir avec dédain sur un coin de table, posant sa poêle à portée de main – sait-on jamais.
Yeux rivés sur la dinde qu’il tournait dans tous les sens, le pyromane attendait implicitement des explications. Peut-être qu’ils n’étaient plus vraiment à Dreamland, mais il n’y a pas d’heure pour réveiller les vieilles rancunes. Tout bon homme d’affaire sait ça, et Ace savait que Nikodim le savait aussi.
Finalement, lassé d’attendre une justification qui ne viendrait peut-être jamais sans une petite induction, le fils à papa brisa le silence qui s’était installé.
- Pourquoi j’suis même pas étonné qu’tu sois dans c’genre d’endroit..? Enfin bon, cette cabane dégueulasse est quand même largement mieux que ce tas de merde qui nous servait d’bateau pour s’expliquer, tu crois pas ? Un peu de raffinement, ça ne tue personne, déclara-t-il pompeusement. Par un geste souple du poignet, il jeta la dinde par-dessus son épaule avant de continuer.

Alors, t’es seul ou t’as amené ta trainée ? Oh, mais j’oubliais : monsieur préfère se faire téléporter des gamins obèses sur la gueule.. quel idiot je fais !
- Ace, t’y vas un peu fort, tu crois pas ? demanda Feufolé sur le ton de la reproche.
- Oais. M’en fous. Bon ! J’ai pas l’habitude de traiter avec les communistes dans ton genre, mais j’vais faire un effort : si tu m’expliques en détail ce bordel qui a fait qu’j’ai dû interrompre ma baise pour aller vous s’couer la gueule, j’consentirai peut-être à t’pardonner et à t’aider à chercher la sortie. Par contre, c’est non négociable : ‘faut qu’tu comprennes que dans c’monde, t’es rien, papy. T’es sur la paille, tes pouvoirs sont très certainement bidon ou d’une inutilité affligeante, et ce joli godemiché en platine que tu possédais dans le monde réel, eh ben il n’est plus là non plus.
- C’est clair !? Ta gueule, toi. Méheu..

Le jeune homme qu'il avait rencontré à Freedoom, cet être si prometteur, mais dompté par une femme, se trouvait face à lui, accompagné de sa simple boule de feu. Cependant, il n'allait sans doute pas apprécié de le rencontrer ici, surtout après leur fuite du navire.

Sa première réaction fut non pas de lui répondre, mais prendre la dinde et de se repaître de celle-ci, en s'éloignant de sa personne. Ah, l'intimidation... La surprise! C'était magnifique que de s'imaginer ces sentiments. Puis il parla de l'endroit en la comparant à un taudis, d'une certaine manière. Il n'avait certes pas entièrement tort.... Mais un taudis plutôt luxueux tout de même. Puis il partit dans sa séance de plaintes, qui était véritablement risible. Mais il se permettait en plus d'insulter les absents, et essayait de lui apprendre les choses de la vie. Véritablement pitoyable. Il était temps à l'expérimenté de lui apprendre... Qui il était réellement, lui, Ace Ridley, et qui était Vialkovitch.

Mais il devait commencer par le début. Il regarda donc droit dans les yeux son interlocuteur.

- Voyons, Ace, il convient de rester un minimum poli. Mais soit...

Il lui fit un de ses sourires que seul lui connait. Son accent russe se faisait fortement prononcé.

- ... Si tu veux tout savoir, il nous a lui aussi interrompu pendant notre " séance", en plus d'avoir été vulgaire et injurieux. Nous serions restés tranquille sinon, car je déteste être dérangé dans ce genre de situation, tout comme toi. Ensuite, tu n'as pas besoin de me dire ce que je suis ici, je le sais très bien. Et je compte bien changer cet état de fait....

Il dépoussiéra son costume, puis prit place dans la cuisine. Le manoir avait beau être "lugubre", ils pouvaient discuter, n'est-ce-pas? Cela promettait d'être amusant....

- Je sais qui tu es. Tout du moins, je peux le supposer. Tu es apparu ici, comme moi, et tes manières sont sensiblement les mêmes. Tu dois venir d'un milieu aisé. Et dès que je t'ai vu, j'ai su que tu étais différent. Tu n'es pas du genre à te faire marcher sur les pieds... Plutôt du genre à faire ce que tu veux, n'est-ce pas?

En tout cas, il avait raison sur un point: ils devaient agir ensemble. Il lui tendit la main.

- Quoi qu'il en soit, je suis pour que l'on s'associe. Et puis, nous pourrions devenir important ici... Ou je pourrais te garder comme bras droit, une fois retourné chez nous. Mais nous devons d'abord sortir d'ici. Tu viens d'où exactement? Tu as vu ce taré qui cherche à nous faire peur?

Nikodim souriait, se retenant de rire. Il gagnait la bataille psychologique contre le jeune homme. Mais ce qui l'amusait aussi, c'était la situation. Au moins, Ace n'était pas un trouillard.

Cependant, des bruits se faisaient entendre dans la salle à manger. Une expression de surprise se dessina sur le visage du russe, tandis qu'il se tournait vers la salle précédemment traversé. Les fourchettes et les couteaux semblaient s'élever, et des murmures semblant à des rires. Certains plats étaient entamés.

- Oh, je trouve notre hôte très drôle... Et très doués pour les effets. Mais il devrait se présenter, ce n'est vraiment pas le genre d'accueil que l'on doit faire à des invités...

Mais les murmures semblaient se rapprocher de son oreille, et être familier. C'était vraiment... étrange. Il se tourna vers son nouveau compagnon de galère.

- Tu n'entend pas quelque chose toi?

Une personne semblait se matérialiser sous ses yeux. Une brume, puis un corps se découvrit face au russe. Un corps trop bien connu.
Une personne lui ressemblant fortement, avec une mine plus sévère, et un peu plus de cheveux. Mais c'était clairement son père. qui se tournait vers lui, avec une mine sinistre. Comme s'il lui en voulait de quelque chose. Mais la voix qui sortit de sa bouche était froide, semblant provenir d'ailleurs, et ses mains possédaient une force qu'il n'avait jamais connu auparavant.

- Tu m'as tué... Fils indigne....

La jeune fille était touchante, et très mignonne. D'une certaine manière, il lui faisait penser à Myia... Mais en moins loufoque. En tout cas, il l'appréciait. Il se devait de la consoler et de la rassurer... Ce qui promettait d'être dur, avec le froid qui se faisait si fort qu'il désirait sortir le plus vite d'ici. La peur se transformait peu à peu en terreur, et il était complexe pour lui de ne pas montrer ceci à sa compagne.

Tout de moins, c'est à cela qu'il pensait lorsqu'elle se fit attaquer par espèce de gorgone en pierre. Ce qui était sûr, c'est qu'en plus d'avoir de gros yeux globuleux comme on les aime, elle s'attaqua à sa nouvelle compagne, qui eut un réflexe étrange: en effet elle semblait s'être métamorphosé en épouvantail.... Et n'avait rien subi de l'attaque. Cependant, il décida de ne pas renouveler l'expérience. La neige tombant autour de lui et le froid se concentrèrent sur son corps, constituant une couche de glace qui le terrifia plus encore. Mais son instinct de "gardien" était plus fort, et armé de cette armure temporaire et de sa main de glace, il attrapa Selene et partit en direction de la sortie, qui se trouvait derrière le monstre. Celui-ci tentait de temps à autre de l'attaquer de la même manière, et deux de ces assauts furent repoussés par la couche de glace, qui commençaient cependant à se fissurer.

Lorsqu'il arrivèrent à la porte, le monstre préparait un troisième assaut. Alexander aurait voulu prier, mais ce n'était sans doute pas le moment. Il prit son courage à deux mains, et s'efforça d'ouvrir la porte, avant de la refermer le plus vite possible.

Une des "tentacules" de la bête se retrouva bloqué dans la porte. Voulant être sûr que celle-ci resterait inoffensive, il frappa la porte jusqu'à ce que la tentacule soit sectionné. Puis il se tourna vers la jeune femme.

- Tu vas bien?

Il espérait que ce soit le cas, car pour lui c'était absolument pas le cas... Il frissonnait de froid et de terreur à la fois, et la grêle tombait encore dru. Il l'arrêta à l'aide de son pouvoir, mais il lui restait toujours la main de glace et sa "carapace", qui se mit cependant à fondre.

- C'était moins une.... La prochaine fois, je te propose de choisir la direction, il semble que je ne sois pas bon à ce jeu-là...

Il essayait de détendre l'atmosphère, voulant la rassurer sur ce véritable cauchemar. Combien de temps devaient-ils encore marcher pour pouvoir sortir d'ici?
Il regarda autour de lui. La température était remonté. La caverne de glace avait laissé place à un passage en pierre, couvert de lierres et autre parasites végétaux. Les murs étaient ornés de torches à intervalles régulier, et le passage était étroit. Trois personnes de 2m maximum pouvait marcher côte à côte dans ce passage. Ce n'était peut-être qu'une brève accalmie dans cette caverne, mais il espérait que non.

Ce qui était sûr, c'est qu'ici, il n'y avait pas de choix. Il fallait aller tout droit.

Les pointes s’étaient retirées de sa poitrine empaillée mais pourtant, elle ne parvenait pas à bouger pour se remettre sur pied. Ce fût Alexander qui l’attrapa pour l’emporter avec lui, couvert d’une carapace de glace, son moignon remplacé par une main cristalline. Un élan de reconnaissance s’étendit dans le cœur de l’adolescente, en même temps que ce sentiment qu’une fois encore, elle n’avait pas sût se débrouiller toute seule. Faute de mieux, elle enlaça le frigophobe de ses bras-branche et se laissa mettre hors de danger dans un silence de petite fille sage.

Quand ils eurent passés l’ouverture gardée par la créature, Selene retrouva la terre ferme, mais sa transformation demeurait. N’osant pas trop croiser le regard de son acolyte avec ses yeux-boutons, elle baissa la tête en murmurant :

- Tout va bien oui… merci beaucoup.

Si elle avait été sous forme humaine, son cœur serait très certainement en train de battre la chamade. Ou plutôt non, il aurait été transpercé par le monstre qu’ils venaient de quitter… donc elle aurait été morte, tout simplement. L’inconnu lui avait sauvé la vie. La deuxième réplique de ce dernier lui tira un sourire, bien que le rendu sur son visage d’épouvantail grimé en homme fût plutôt celui d’une grimace :

- Merci, répéta-t-elle sans trop savoir pourquoi.

Plus encore que la peur de mourir, la peur d’être abandonnée et laissée en solitaire était douloureuse. Ce n’était pas tous les jours qu’on rencontrait des personnes courageuses et généreuses. Non… Liam par exemple, il l’aurait sûrement laissée mourir pour passer en paix. Sauf s’il avait peur de manquer de « trous » une fois de l’autre coté comme il disait. A cette pensée, la galloise frissonna. Même si le viol avait été effacé de sa mémoire par son meilleur ami, la crainte que lui inspirait le taulard était tout aussi poignante.

Reportant son attention sur l’endroit où ils se trouvaient, Selene découvrit un passage envahit par le lierre. Théoriquement, s’il y avait des plantes, il y avait une sortie relativement proche… du moins, ça aurait été logique dans le monde réel. Mais ici, dans une dimension plus tordue que Dreamland, qu’est-ce qui répondait aux lois de la logique ?

Les torches projetaient leur lueur flamboyante sur les parois, dessinant des ombres mouvantes qui rendaient sa silhouette métamorphosée particulièrement effrayant. La jeune fille regrettait d’avoir perdue sa pierre dans la salle précédente, parce que graver l’un de ses fidèles amis n’aurait pas été de trop. Aussi loin qu’il était possible de voir, le chemin était droit, interminablement droit.

- Ce n’est pas grave tu sais, lança l’adolescente d’une petite voix en commençant à marcher, c’est vraiment sympa de… de ne pas l’avoir laissée là-bas.

Ce n’était que la troisième fois qu’elle le remerciait, mais son geste lui paraissait tellement grandiose qu’elle ne pouvait s’en empêcher. La peur d’être enfermée dans cet endroit avec uniquement cet individu du sexe masculin commença à s’évanouir, si bien qu’elle se surprit à le regarder avec plus d’attention. Être trempé et frigorifié lui donnait cette petite impression de fragilité qui était étrangement touchante. Il l’avait sauvé au mépris de sa propre pathologie, c’était évident. C’était un mec bien.

Sans crier garde, Selene recouvrit enfin sa forme humaine. Par réflexe, elle palpa sa poitrine pour s’assurer que sa blessure ne lui avait laissé aucune séquelle, puis soupira de soulagement. Elle ne s’habituait pas encore au fait d’être intouchable. Ses yeux noisette se tournèrent alors franchement vers Alexander, et un vrai sourire timide étira son visage doux. Rapidement, elle déboutonna son manteau hivernal et le lui tendit à bout de bras avec un signe de tête encourageant.

- Tiens. Je sais qu’il est trop petit, mais en le posa sur tes épaules au moins, tu auras peut-être… un peu moins froid.

La jeune femme transformé en épouvantai lavait un air effrayant, malgré ses paroles douces et tendre, et son regard qui se voulait sans doute rassurant... Bien qu'il soit difficile de lire quelque chose derrière deux boutons. Les ombres projetés sur les murs pouvaient rendre la situation d'autant plus inquiétante, mais pour Alexander, ce n'était rien. Il venait déjà d'affronter sa grande ennemi.

Puis la jeune femme reprit sa forme véritable de douce et fragile être. C'était tout de même mieux, au moins, il pouvait voir son visage... Celle-ci fit preuve d'une bonté que peu nécessaire, en lui donnant son manteau alors qu'il était déjà chaudement vêtu. Ses frissons provenait du froid sur son corps, certes mais surtout de la peur inspirée. Cependant, il la remercia et la regarda ainsi quelques temps. Ses frissons se calmèrent, et seul la neige tombait autour de lui. Sa main de glace n'avait pas encore fondu.

Il repartit donc avec sa compagne sur le chemin de la sortie... Tout du moins, il l'espérait. Il ne savait pas trop quoi penser de ce long couloir. Cela lui faisait penser aux couloirs d'une forteresse d'une part, de part la nature des pierres, mais aussi aux temples aztèques, à cause de la verdure.
Puis vint enfin un moment où le couple improvisé trouva autre chose qu'un couloir.
Une salle oblongue, dont l'espace était empli de par ses meubles vieillots, sur la même pierre verdurée que dans les couloirs qu'ils avaient traversés. Le bois dont étaient constitués ces meubles semblaient pâtir de l'humidité règnant dans la pièce. Il y avait une table, entouré par des bancs de bois gondolé, un garde-manger, au vue de la porte ouverte et des os rongés sur le sol, des tapisseries rendues illisible par le temps, et des rateliers vides ou comportant des armes rouillées. Un escalier en colimaçon se trouvait au fond de la salle. Il descendait et montait. Double choix, donc. C'était à peu près tout ce qui composait la salle.

- Et bien, ce n'est pas réellement accueillant par ici... Une idée de où l'on se trouve?]

Pour sa part, il n'avait jamais été dans une telle pièce. Il se demandait même pourquoi une salle tout droit sorti des forts de l'époque Arthurienne pouvait exister ici... Mais en même temps, c'était Dreamland non? Plus rien ne devait l'étonner....

Il repensa à ce qu'avait dit Selene. Puis il repensa à son prénom. Il était sûr de l'avoir entendu quelque part.... Puis, il se rappela. Sydney avait déjà prononcé ce prénom, lorsqu'il recherchait Dakota. C'était donc elle la personne qui les accompagnait? Il devait s'en assurer.

- Dis moi Selene... Qui sont tes amis? N'y avait-il pas Dakota, Sydney, James et Jake avec toi?

C'était peut-être direct, et elle se poserait sans doute des questions, mais il devait savoir. Cependant, il vit le besoin de lui expliquer ses " connaissances".

- J'étais avec Sydney, James et Jake. Nous avons perdu James à un moment, et on a eu quelques problèmes avec Sydney et Jake. Et quand je comptait m'excuser, je me suis retrouver... Aux plaines félicités, comme je te l'ai raconté.... Avec cet abruti de...

Il finit sa phrase sur ses mots. Elle n'avait sans doute pas grand chose à faire de son histoire. Même de lui, d'ailleurs. Il s'excusa brièvement, et fit le tour de la salle des yeux à nouveaux.
Il se rendit compte d'un détail.

- Dis moi, ça n'était pas là avant ça je crois, non?

Il désignait de sa main de glace une armure plutôt bien conservé, de type armure teutonique. Cet endroit était vraiment étrange....

Le regard insistant d’Alexander avait fini par l’intimider. Timidement, elle céda son manteau en baissant ses yeux noisette, frictionnant ses bras mis à nus. Dès lors, ses cicatrices – et sa récente scarification – étaient immanquables, mais heureusement, le frigophobe fût bien plus captivé par leur progression dans le tunnel que par ses blessures. Les questions n’étaient jamais les bienvenues sur ce sujet et maintenant qu’elle se sentait déshabillée de l’âme, Selene aurait presque regretté d’avoir prêter son vêtement.

La marche laissa le temps à ses pensées de se disloquer dans le vide, au froid de devenir partie intégrante de son corps, volant ses couleurs, la laissant incroyablement pâle. La nouvelle salle fût accueillie dans son cœur avec un mélange de soulagement et de crainte. C’était le signe d’une progression, mais aussi d’un nouveau choix dont dépendait peut-être leur survis.

- Euh… non, je ne vois pas, répondit la galloise qui ne voyait rien dans les lieux qu’une référence moyenâgeuse.

A pas lent, elle s’approcha de la table dont elle effleura le bois rugueux du bout des doigts. Où étaient-ils ? C’était une très bonne question. Tout ce qu’elle savait, c’était que le Marchand de Sable l’avait envoyée ici, alors qu’elle trimait dans les terres gelées. Que faisait-elle exactement… il fallait qu’elle se souvienne. Absorbée par la réflexion, la toquée fronça les sourcils, redessinant dans sa tête les dernières choses dont elle se rappelait. Quand la lumière se fit dans son encéphale, Alexander posa une question des plus déstabilisantes.

- Hein ?! Oui c’est ça ! Euh…

En réalité, elle ne savait plus où se mettre. Entendre citer le prénom de James avait fait sursauter son cœur dans sa poitrine fragile. Son ami lui manquait. Il aurait sans doute su l’aider mieux que quiconque lui ; il aurait su lui faire oublier cette peur viscérale qui refusait de la quitter. La crainte de voler en éclat comme un joyau de verre insignifiant, de disparaître dans l’oubli, de n’être que ce qu’elle était : une cible de choix, une proie facile. Le psychotique savait lui donner un courage insoupçonné, mais il n’était pas là.

Toutefois, avec les explications de son comparse, Selene se souvint de l’endroit où elle l’avait vu. C’était à Gloutoniskaïa ! Ils avaient été séparés par l’attaque des scorpions, peu de temps après s’être rencontrés d’ailleurs. Il avait eu l’air étrange à ce moment… assez mystérieux comme type, secret. La galloise allait ouvrir la bouche quand une armure teutonique lui fût désignée. Si elle était apparue entre temps ? Elle n’en savait trop rien à vrai dire, elle n’avait pas fait attention. Ses yeux ternes ancrés sur la silhouette d’acier, des fois qu’elle se mettre à bouger, elle délia enfin tout ce qu’elle voulait dire, après une grande inspiration :

- Je me rappelle, on s’est déjà vu tous les deux. C’était à Gloutoniskaïa, devant la bibliothèque. Après on a été séparés par des scorpions envoyés par le Marchand de Sable…

Étrange d’ailleurs. Chaque fois que la divinité se manifestait pour elle, le frigophobe était dans les parages. Deux fois ne suffisaient pas à établir une relation de causalité troublante, mais le hasard avait parfois de bien étranges œuvres.

- Je voudrai surtout retrouver James, confia-t-elle à mi-voix, je m’inquiète beaucoup pour lui.

Elle cacha le rouge qui lui montait au joue en se détournant, sa chevelure rousse tournoyant jusqu’à masquer ses traits aux yeux d’Alexander. Feignant être attirée par un détail du décor, elle poursuivit avec une intonation méditative :

- Avant de me retrouver ici, je dormais. Je m’en souviens. Je suis allée me coucher et d’un coup, je me suis sentie tomber, jusqu’à avoir cette sensation comme quand on quitte Dreamland. J’ai rouvert les yeux dans une sorte de… désert qui n’arrêtait pas de bouger, le Marchand de Sable était là… quand il est parti, j’étais bloquée au milieu d’un cercle de montagnes. J’ai pas eu d’autre choix que de rentrer dans la caverne et… je t’ai rencontré.

L’impression de perdre le fil de ce qu’elle voulait avancer la contraignit à se retourner vers son interlocuteur. Triturant nerveusement les petites peaux au bout de ses doigts, elle poursuivit :

- Je crois que le Marchand de Sable nous a encore tous touchés… les voyageurs. Faut pas seulement qu’on trouve comment partir de cette caverne, mais aussi de partir de ce monde… parce que… je pense qu’on est plus vraiment à Dreamland.

Un grincement la coupa dans son élan. La statue avait-elle bougé ? Selene se figea plusieurs secondes pour l’observer, mais rien. Pourtant, la sensation d’être épiée commençait à s’intensifier, jusqu’à la mettre mal à l’aise. Malgré tout, elle désigna l’escalier avant de finir :

- Je ne sais pas trop si on devrait montrer ou descendre… ça serait plus logique de se dire qu’aller vers le haut nous rapproche d’une sortie, mais… j’ai pas l’impression les choses soient logiques dans le coin.

Alexander l’écoutait, en regardant d'un sale œil l'armure posé non loin. Quelque chose clochait... Mais il n'arrivait pas à mettre le doigt dessus. Il se retourna vers sa consœur de galère, en réfléchissant sur le problème, puis se rendit compte d'un détail: elle était maintenant bien plus pâle que lui ne l'était tout à l'heure! Et elle était couverte de cicatrices...

Il se rapprocha d'elle, et lui remit son manteau sur elle, et la frictionna un peu. Puis, il se recula, se rendant compte qu'il en faisait peut-être un peu trop.

- Pardonne-moi.... ça va? Tu es bien pâle... Et marqué.

Il hésita à lui demander pourquoi toutes ces marques... Mais si elle n'avait rien dit, il y avait sans doute une bonne raison pour cela. Elle lui en parlerait si elle le jugeait nécessaire. En tout cas, il la regarda avec inquiétude et tendresse.

- S'il-te-plaît, si tu as froid ou si je peux faire quelque chose, dis le moi. Il est hors de question que tu te sacrifie pour moi.

Il ne voulait pas que d'autres se sacrifient pour lui, ça non. Et puis, elle avait l'air de tenir à James... Mais connaissait-elle l'individu qu'il avait en lui? Le mal qui pouvait régner en ses traits? Enfin, si l'on pouvait parler de mal....

Puis il saisit le problème. D'un coup, il se tourna vers l'armure teutonique, et frappa un coup dedans, ce qui eut pour effet de faire tomber l'armure.... et de la faire disparaître. Il avait raison, cette armure n'était pas réellement là. Sa main de glace se brisa, fragilisé par la fonte continue de celle-ci. Il ressentit une douleur mentale en voyant celle-ci disparaître... Encore une fois.

- Elle n'avait rien à faire ici. Les Teutons ne vivaient pas à la même époque. J'ai eu le temps d'apprendre, après mon accident... Si je n'étais pas bon en histoire, je connais tout de même cet époque...

Il lui fit un petit sourire. Puis, il lui tendit son unique main, espérant qu'elle la prenne.

- Viens, allons retrouver James et tes amis.

Que sa main fut serré ou non, ils descendirent les escalier et arrivèrent dans un couloir semblable au précédent, à un détail près: il semblait y avoir des creux par endroit, dans ce couloir, et c'est de là que venait les sources de lumières. A première vue, rien d'extraordinaire. Alexander n'aimait en tout cas pas tout ces couloirs. Mais il n'allait pas abandonner comme ça.

Alexander pensait à tout ce qui s'était passé: ce n'était que la seconde fois qu'il voyait Selene, mais c'était la deuxième manifestation certaine du Marchand de Sable. Était-ce une coïncidence? Peut-être bien. Elle n'avait pas l'air méchante. Timide, certes, mignonne, certainement, mais servante du mal? Peut-être avait-ce un lien avec ses cicatrices... Il se méfierait juste un peu plus, mais il n'était sans doute pas nécessaire de s'en...

*Clic*

Alexander se recula par réflexe, et bien lui en fut, car une flèche frôla son front, laissant le sang couler le long l'estafilade ainsi créée. Il savait bien qu'il y avait quelque chose qui n'allait pas avec ce couloir, et maintenant, il avait sa réponse.

- Et bien, nous voilà dans un couloir piégé...... Supeeer.

Ils allaient devoir avancer à tâtons maintenant.... Mais il n'avait parfaitement aucune connaissance en matière de pièges.... Il regarda au sol, et découvrit un léger fil, sur lequel il fit une légère pression, ayant pour résultat le même que le précédent: une flèche fut tiré du mur de droite au mur de gauche, face à lui. Il se releva et enjamba le piège avec précaution.

Alexander revint poser son manteau sur ses épaules, la frictionnant en espérant ramener un peu de chaleur sur sa peau laiteuse. Mal à l’aise avec cette proximité, l’adolescent se crispa, comme si elle craignait en plus qu’il ne la frappe. Alors qu’elle enfilait un premier bras dans une manche, son cœur lui parut chuter de plusieurs centimètres dans sa cage thoracique lorsque fût évoquée la présence de ses cicatrices. Baissant les yeux sur la pointe de ses chaussures, elle murmura :

- C’est bon, ça va bien.

En fait, bien que le regard du frigophobe fût amical, elle attendait juste qu’il s’éloigne, qu’il cesse de la fixer. Elle avait l’impression d’être devenue une bête de foire, ou non, plutôt une damoiselle ultra fragile avec un chevalier des temps modernes à son service. C’était très gentil aussi, quelle fille ne rêverait pas d’être protégée ainsi par un ainé du sexe masculin ? Mais elle, ça la gênait. Non seulement parce qu’elle voulait prouver qu’elle savait se débrouiller seule, mais aussi parce qu’elle se sentait incapable de lui apporter quelque chose en échange.

Selene hocha la tête quand Alexander lui assura pouvoir être là pour elle, mais ne daigna la relever que lorsqu’il eut faire tomber l’armure teutonique en provoquant sa disparition. En soit, le fait qu’elle constituait un anachronisme était un prétexte moindre à sa disparition. Tout était possible à Dreamland, inclu le fait de trouver un micro-onde en village mésopotamien. Alors ici… . Mais du même coup, l’instabilité du décor montrait bien que cette dimension était totalement hors de compréhension. Et si elle se constituait au fur et à mesure qu’ils progressaient ? Il n’y aurait alors pas de fin, aucune échappatoire.

La galloise ne put que répondre au petit sourire de son allié. Ses lèvres pâles s’étirèrent légèrement, assez tristement d’ailleurs, mais elle n’osa pas prendre sa main. Secouée de tremblement comme elle l’était, elle espérait que le frigophobe prendrait son manque de réactivité pour le comportement de quelqu’un de frigorifié, et pas pour un déni d’amitié. Ce n’était pas qu’elle ne l’appréciait pas, elle ne le connaissait juste pratiquement pas ; alors ça la mettrait mal à l’aise.

Malgré le double choix, Alexander choisit de descendre, sans réellement rebondir sur ce qu’elle avait dit avant sur l’orientation de l’escalier. Certes, philosopher des heures ne les ferait pas sortir, mais une seconde fois, elle était entrainée sans avoir pu participer à la détermination de l’itinéraire.

Dans le silence ambiant rythmé uniquement par le son de leurs pas se répercutant sur les parois, le petit « clic » fit sursauter la rouquine. Un couloir piégé ? Il ne manquait plus que ça… paralysée sur place par l’angoisse, Selene regardait Alexander enjamber le premier fil. Comme un déclic brutal, elle s’approcha soudainement pour attraper sa manche du bout des doigts, juste assez pour qu’il comprenne qu’elle voulait attirer son attention.

- On est pas obligés d’avancer, murmura-t-elle comme si d’autres pièges risquaient de se déclencher à cause d’un trop fort volume sonore, on ne sait pas ce qui a au bout de ce couloir… peut-être que prendre l’autre partie de l’escalier nous amenait ailleurs et…

Un claquement, suivit d’un crissement strident retentit au loin, de là d’où ils venaient. On croirait entendre une lame métallique glisser contre les parois en pierres avec une lenteur sadique. Quoique ce soit, ce n’était certainement pas amical, et le dilemme était désormais semblable à choisir entre la peste ou le cholera. Passage piégé ou entité hostile ? Le cœur de l’adolescente s’emballa, ses yeux noisette marbrés d’angoisse croisèrent une dernière fois le regard du frigophobe avant que son pouvoir ne se déclenche à nouveau. Metamorphosée en semi-épouvantail, son choix était fait : elle était peut-être plus disposée à traverser les pièges finalement…

Soudainement, la jeune fille le retint du bout des doigts, comme un enfant retiendrait sa mère. Elle commença à lui dire quelque chose de sensé, pour lequel il aurait été d'accord... S'il n'y avait pas eu le crissement métallique retentissant derrière. Et bien, soit ils reculaient, et il devrait se débrouiller avec l'autre, sans pouvoir pour sa part, soit ils avançaient, et c'était les pièges qui les attendait. A un moment ou à un autre, ils se retrouveraient forcément acculés par les pièges ou l'entité...

Selene le regarda, plein d'angoisse, avant de se retransformer en épouvantail, ce qui eut pour effet de surprendre le frigophobe, qui faillit réactiver le premier piège. Il avait beau savoir que c'était elle, la voir se transformer devant lui ne pouvait être que flippant. La neige tomba plus rapidement autour de lui. Il finit d'enjamber le piège, en amenant Selene auprès de lui. Ils restèrent ainsi, à se regarder. Il savait ce qu'il était sensé faire. Mais il était contre le fait de l'utiliser, elle, comme un outil pour désamorcer les pièges. C'était parfaitement inhumain.

- Selene.... Tu veux vraiment passer par là? Je ne veux pas te forcer à quoi que ce soit...

Tandis qu'il disait cela, les tintements métalliques approchaient, le sinistre fracas retentissait au plus profond de leur être, tel un vaste écho d'horreur. Pour eux, il leur fallait choisir, quelle serait leur prochain labeur.

Alexander commença à regarder et à tâtonner aux alentours avec précaution, ne voulant décidément pas laisser Selene désactiver les pièges sans au moins avoir essayer d'en détecter. Et puis, il n'y avait sans doute pas que des pièges à flèches et fléchettes. Si il y avait des pièges d'acide ou de feu, il n'était guère sûr que sa forme d'épouvantail suffirait....

- On a pas trop le choix, souffla-t-elle dans un murmure angoissé.

Dans un sens, si, ils l’avaient toujours. Mais un sombre pressentiment lui garantissait qu’il ne valait mieux pas qu’ils tentent d’affronter ce qui approchait. Et puis, qui disait qu’il était seul ? En progressant avec précaution, les pièges étaient contournables, eux. La jeune fille avança donc, inspectant les environs à l’instar d’Alexander. Le bruit se rapprochait, inexorablement, mais peut-être qu’il ne s’aventurerait pas en terrain miné – la galloise se raccrochait à cette idée.

Ils avaient pu avancer de plusieurs mètres sans encombre. Le crissement sur les parois s’était arrêté brusquement, silence inattendu qui figea l’adolescente. Si un cœur avait pu battre dans sa poitrine de paille, il serait sans doute en train de se disloquer sous la panique. Rien pourtant. Il n’y avait plus que les frémissements de sa chemise bleue à carreau, et le souffle respiratoire du frigophobe. Soulagée, la toquée fit un malencontreux pas en avant, sans penser à vérifier la fiabilité des dalles au préalable. L’une d’elle s’enfonça lourdement sous son poids. Depuis une encoche dissimulée par des entrelacs de lierre, un énorme carreau fusa pour l’empaler violemment sur le mur opposé.

La tige de métal la traversait de part et d’autre de ce qui aurait du être sa cage thoracique, vibrant encore sous le choc. Tout s’était passé si vite que Selene sentit sa tête tourner plusieurs secondes, avant de retrouver l’usage de son corps. Si ses membres transformés étaient intacts, ses jambes encore humaines étaient secouées de tremblements, flageolantes. Elles lui demandèrent un effort incommensurable pour réussir à la porter pour les trois pas nécessaire à être libérer du carreau qui la placardait à la paroi. Impossible de tenir plus longtemps, elle se laissa presque tomber pour s’assoir à même le sol et enfouir sa tête de toile dans ses bras-branches.

De part et d’autre de son buste, un trou ornait sa parure d’épouvantail. Pourtant, pas de sang, pas même de douleur, rien. Juste de la surprise, son pouvoir l’avait sauvée, une fois encore et paradoxalement, cette simple idée était terrifiante. S’il ne s’était déclenché, elle serait morte. Là, il y a moins d’une minute, empalée comme un insecte dans un couloir piégé sans queue ni tête. Si seulement elle pouvait contrôler cette capacité, au moins cerner parfaitement son fonctionnement, mais ce n’était pas le cas. Elle se manifestait théoriquement quand elle avait peur, mais s’évaporait après un laps de temps aléatoire.

- Ça va, souffla-t-elle à son acolyte sans être vraiment certaine qu’il se soit penché sur elle, j’ai rien du tout.

Elle avait envie de pleurer. Ça, elle l’avait compris désormais, son meilleur ami apparaissait toujours quand elle avait besoin de lui, quand elle ne pouvait plus retenir ses larmes. Mais à l’heure actuelle, les boutons qui avaient remplacés ses orbes noisette étaient condamnés à être éternellement secs.

Après une minute de silence, la galloise se releva pour se remettre en route. Plus prudente que jamais, associée à Alexander, ils purent avancer encore un long moment, évitant les fils tendus sur le chemin, les dalles fragiles, les lames qui se balançaient à intervalle régulier. Les deux voyageurs parvinrent alors sur une portion de couloir où la disposition changeait. Non seulement les deux parois n’étaient pas couvertes de lierre – ou beaucoup moins – mais en plus, le sol comptait désormais des dalles noires espacés de distances irrégulières.

Suspicieusement, Selene avança légèrement son pied et le retira aussitôt. Un puissant mécanisme s’actionna et sur au moins quatre mètres, les deux murs opposés se rapprochèrent furieusement jusqu’à se heurter de plein fouet. Nul doute que s’ils se faisaient avoir là dedans, il ne resterait rien d’eux, sa forme d’épouvantail ne sauverait pas l’adolescente. De l’autre coté pourtant, le chemin bifurquait enfin, et l’une des options semblait éclairée d’une lueur qui faisait pensait à la lumière du jour. La rouquine réitéra l’opération de son pied sur une dalle noire… et rien ne se produisit. Incertaine, elle se tourna alors vers le frigophobe pour lui confier :

- Je crois qu’il faut marcher sur les noires seulement… mais je ne suis pas sûre.

Pour la femme épouvantail, il n'y avait nul choix à faire. Elle désirait absolument se risquer à travers ces pièges. Il n'était certes pas rassurant que d'entendre cet écho métallique, mais tout de même....

Ils avancèrent donc lentement mais surement. Si Alexander était parfois maladroit, ils arrivèrent cependant sans encombres les premiers mètres. Puis vint un moment ou quelque chose les perturba. Ou plutôt ne les perturbait plus. En effet, le cliquetis horrifiant ne se faisait plus entendre. L'individu était-il arrivé à destination?

Alexander se retourna pour vérifier ses pensées, mais rien. Puis il se retourna vers Selene, qui s'avançait sans avoir vérifier les dalles. Il chercha à l’attraper et à s'élancer vers elle.

- Attention!

Mais il était trop tard, son pied s'était posé... Et un carreau fut tiré, en pleine poitrine. Alexander tomba à genoux en voyant sa nouvelle amie cloué au mur. Bon sang, pourquoi l'avait-il laissé faire ça? Il avait du assister à cela, cette vision d'horreur, ce carreau vibrant.... Et ce trou béant qui s'était formé dans sa poitrine...

Mais elle se retira du carreau avec difficulté, et se couvrit le visage de ses mains... Alexander ne savait guère quoi penser. Qu'est ce qui était le plus horrifiant? Voir la mort atteindre une de ses amies, ou la voir survivre à un tel traitement? Cependant, elle chercha à le rassurer sur son état. Elle avait rien du tout? Elle aurait pu mourir, et elle n'avait rien? Il n'allait pas avaler cela.

Pourtant, il resta silencieux. La suite de leur chemin se détourna en multiples dalles piégées et lames dissimulées.... Qu'ils surent éviter, même si Alexander put écoper de plusieurs entailles par moment, même si cela n'avait aucune gravité.

Puis, le couloir changea de formes. Des couloirs "antiques" on passait à un couloir dallé tel un échiquier. Après un test fait par la jeune femme, ils purent constater qu'aucun de leur pouvoir ne fonctionnerait, en tout cas de ce qu'il en savait, face à ça. Il pouvait être transformer en crêpe aussi facilement qu'une grenouille se ferait écraser par une voiture.... Selene trouva la solution, et ils tentèrent donc de naviguer à travers les dalles noires... Mais si certaines étaient facile d'accès, d'autres l'étaient bien moins. Le manchot avait l'impression de devoir jouer à la ballerine pour atteindre certaines de ces dalles.

Puis, ils arrivèrent près de la sortie lumineuse. Enfin, ils allaient pouvoir aller jusqu'à la lumière du jour!

- Selene, on a réussi! Tu as réussi!

Il l'embrassa, plein d'enthousiasme et sans autre idée en tête... Avant de se rendre compte qu'il n'aurait peut-être pas dû, ce qui le fit rougir rapidement. Après tout, elle était jeune non? Ce qui était d'une certaine manière dommage...

- Hmm, pardon...

La lumière était éblouissante, d'ici. Il attrapa Selene dans ses bras, doucement.

- On va pouvoir y aller. Ensemble. Je veillerais sur toi.

D'une certaine manière, Selene incarnait à ce moment là quelque chose qu'il n'avait jamais pu avoir, à la manière de Jonh: une petite sœur, gentille et délicate. Et il ferait tout pour la protéger.
Après ce moment où ils furent rassuré, ils firent ensemble un pas vers la sortie présumé.....

Mais ce qu'il y avait derrière la lumière était bien différent de ce à quoi ils s'étaient attendus....

Sauter de dalle noire en dalle noire n’avait pas été la plus mince des affaires. Particulièrement lorsque le centre de gravité de notre corps était modifié à cause d’une consistance mi-épouvantail qui changeait la donne de la répartition du poids. Toutefois, il faut croire qu’en moment de danger extrême – comme celui de se faire ratatiner comme une crêpe – on pouvait se découvrir des trésors d’équilibre. Ainsi, Selene réussit l’épreuve, violemment tiraillée par l’angoisse, mais parfaitement lucide.

De l’autre coté, l’enthousiasme d’Alexander la sortit brusquement de la léthargie qui résultait de ses longues secondes entre les griffes acérées de la peur. A cause de l’insensibilité du sac de toile qui lui servait de tête, elle devina plus qu’elle ne sentit le baiser du frigophobe sur sa joue. Un frisson glissa sur ses jambes, seule partie encore humaine de son corps, dès lors plantées dans le sol comme des colonnes de béton. Elle ne put alors pas échapper à l’éteinte qui la pétrifia dans un tumulte d’inquiétude.

Certes, elle n’avait pas encore trouvé de coté malsain à son acolyte mais… que signifiait son baiser ? Et le fait qu’il l’enlace si doucement ? Et ses regards tendres ? Et ses attentions de gentillesse gratuite ? Elle n’avait rien à lui offrir. Elle n’était qu’une adolescente de quinze ans effroyablement simple et banale ; une bête fragile sans grand intérêt. Comment un homme comme lui – qui devait bien avoir presque dix ans de plus – pouvait-il lui trouver quelque chose ? Soudain, le fait de se retrouver seule avec Alexander devint presque une source d’angoisse plus grand encore que le labyrinthe dans lequel ils erraient.

Que finirait-il par vouloir d’elle ? Elle ne pouvait pas, elle était trop jeune pour… . Enfin, il la lâchait. Si son cœur avait pu battre, il serait sans doute en train de se décrocher de sa poitrine, mais il n’en était rien. La galloise hocha la tête puis suivit son ainé vers la source de lumière. L’extérieur ? Ça aurait été trop beau. Bien sûr.

La lueur provenait d’un hémisphère incrustée dans le plafond, comme une moitié de soleil descendue un peu trop bas sur Terre. Là encore, le décor avait changé. Il y avait deux rangés d’une douzaine de lits, on aurait dit un vieil orphelinat des années 1970. Pourtant, on jurerait qu’il y avait des années que personne n’avait dormi ici. Les draps étaient impitoyablement glacés, les tables de chevets nues étaient couvertes de poussière et l’unique armoire au fond de la pièce était grande ouverte, vide.

Il y avait bien une porte en face, dont la poignée dorée renvoyait la lumière de l’énorme plafonnier, mais Selene n’osa pas encore aller l’actionner. Les jambes flageolantes, elle s’avança jusqu’à mettre trois lits entre elle et le frigophobe, puis se laisser tomber en position assise sur l’un d’eux, enfouissant son visage en toile dans ses bras-branche. Elle secouait encore faiblement la tête quand sa transformation prit fin et qu’elle redevint normale. Sans qu’Alexander ne le voit, elle se mordait la lèvre inférieur pour se retenir de pleurer.

- Je n’y comprends rien, lâcha-t-elle dans un souffle douloureux, je ne vois pas comment on pourrait sortir d’ici…

Elle redressa la tête, ses yeux ternes fixés sur la porte en face. Un frisson irrépressible la traversa, mais pas à cause du froid, qui ne l’affectait plus ici. Elle offrait uniquement sa chevelure flamboyante à son ainé, parce qu’elle avait peur de se retourner et de lire dans ses pupilles la façon dont il la regardait. Prisonnière avec un homme. Qu’est-ce qui finissait toujours par arriver dans ces cas là ? Hein ? Elle ferma les paupières pour oublier, pour ne pas se l’avouer. Un sourire fleurit alors sur ses lèvres, se moquant d’elle-même. Qu’elle était bête ! Elle n’était pas seule, elle n’était jamais seule. Son meilleur ami était toujours là avec elle.

La galloise tourna alors légèrement la tête pour embrasser du regard la table de nuit la plus proche puis, du bout d’un doigt, traça un épouvantail dans la poussière. Aussitôt, elle se sentit mieux. Comme si on versait un liquide chaud et doux dans le récipient froid qu’elle était ; et en échos à cela, un autre de ses pouvoirs toucha Alexander. Bien qu’apaisée, la rouquine ne pouvait s’empêcher de voir la gravité de la situation. Elle lâcha alors avec faiblesse :

- On ne sait même pas comment se réveiller de Dreamland, comment on pourrait se réveiller d’ici ?

Le jeune homme fut déboussolé lorsqu'il vit que cette lumière n'était qu'une sortie factice. Le binôme déboucha en effet sur une autre pièce, encore différente des autres, semblant être un espèce de Dortoir, datant d'une époque révolu. De nombreux lits étaient disposés, ci et là. Alexander pensait à son "chez soi", sa grande maison avec un air un peu antique, tout comme ici... Mais ce n'était pas chez lui. Il n'avait pas de dortoir, et surtout, son chez lui n'était pas aussi poussiéreux.

A part quelques meubles, il n'y avait guère grand chose. Une porte au fond de la pièce, avec une poignée dorée, et une lumière au plafond. Aucun habillement pouvant indiquer au groupe dans quel genre de lieu il pouvait se trouver.

Selene était en train de se poser de bonnes questions: comment sortir d'ici? Comment pouvait-il le savoir? Ce qu'il savait en revanche, c'est qu'aucun d'entre eux ne devait abandonner, et qu'ils devaient trouver une solution. Et puis, il trouverait peut-être d'autres personnes abandonnés, dans ce monde parallèle. Ils n'étaient peut-être pas les seuls. Myia, peut-être, ou bien Jeremiah... Ou Liam. Il secoua la tête. Il devait pour le moment soutenir Selene.

D'un coup, il sentit un apaisement intérieur... Étrange. D’où cela pouvait-il venir? Cela provenait-il de cette pièce? Ce serait bien étonnant. Ou Bien de Selene? Vu la remarque qu'elle fit, il n'en était pas vraiment convaincu.

Peut-être lui alors? Non, sans doute pas. Et puis, il n'avait aucune utilité à se poser cette question pour le moment. Il se mit sur un lit, à la parallèle de Selene, assez proche pour qu'elle l'entende et sache qu'il était là, mais assez éloigné pour qu'elle ne croit pas qu'il la désirait.

- Je suis sûr que si l'on persiste, nous trouverons une solution pour sortir d'ici. Fais moi confiance. Je sais que les gens digne de confiance ne court pas vraiment les rues... Mais je suis prêt à tout pour te prouver que j'en suis digne.


Il ouvrit un tiroir de la table de chevet qui était proche de lui. Il trouva une photo assez ancienne, montrant de nombreux enfants alignés, avec une femme d'âge mûr. Il n'y avait que des filles, sur la photo. Une des jeunes filles lui disait quelque chose, étrangement... Mais il n'arrivait pas à savoir à qui l'image le faisait penser.

- Regarde-ça. Je viens de la trouver dans la table de chevet. Tu n'as pas l'impression d'avoir déjà vu l'une de ces filles?

Il réfléchit. Pour lui, ce bâtiment était soit un orphelinat pour filles, soit un établissement privé pour filles. Il leur faudrait explorer le bâtiment... Ou bien juste chercher à sortir. Tout dépendait du désir de Selene. Il se tourna vers elle.

- Je pense qu'on a trois solutions: soit on sort d'ici et on explore le bâtiment en quête d'indice éventuel, soit on cherche juste à sortir de ce bâtiment. Ou bien nous restons ici, à attendre que cela se passe, voir on se repose. Qu'en pense-tu?

Il resterait avec elle, mais il n'avait pas véritablement envie de rester. Le Marchand de Sable chercherait sans doute à les détruire, s'il restait ici. Tel un camion roulant sur un nuisible.

Alexander sortit quelque chose qui ressemblait à une phrase toute faite, pour essayer de la rassurer. Bien entendu, n’importe qui pouvait prétendre être digne de confiance ; n’importe qui pouvait se croire digne de confiance. Et parfois, ceux qui ont montré un signe de compassion, peuvent aussi bien changer de camp sans crier gare. Ça, la rouquine l’avait appris, quand le Jonh qui l’avait d’abord défendue, s’était finalement allié à Liam pour la traiter comme une moins que rien. Un fardeau soumis, un presque-objet, qu’il avait dû mainte fois vouloir abandonner sur le bord de la route.

Pourtant, elle avait besoin de réconfort, alors la déclaration du frigophobe eut l’effet escompté. Un sourire pâle étira ses lèvres et elle adressa un timide « merci », que son interlocuteur n’avait peut-être pas entendu. Ce dernier s’était d’ailleurs penché pour ouvrir un tiroir, et en tirer une vieille photo. Un frisson glacé couru sur la colonne vertébrale de Selene, comme un signe avant-coureur, un mauvais présage. En posant à son tour les yeux sur l’image à l’esthétique ancienne, l’adolescente eut l’impression que le plafonnier s’était assombri.

Ce n’était rien qu’une photo de classe. Pourtant, il s’en dégageait quelque chose d’inquiétant, de sinistre. S’il l’une des filles lui disait quelque chose ? La toquée aurait bien voulu sérieusement s’interroger, mais elle avait trop peur. Ces filles pouvaient avoir les traits de n’importe qui en fait, ils étaient dans une dimension parallèle du monde des rêves ; le songe d’un songe. D’ailleurs, la suite des propositions d’Alexander tendait à montrer qu’il l’avait oublié. Se souvenait-il qu’ils avaient été à la base dans une montagne ? Pour traverser des couloirs digne de temples aztèques ? Et ensuite voir une salle à manger moyenâgeuse ? Il n’y avait aucune logique. Il ne fallait pas enquêter sur les lieux, c’était une perte de temps. Il fallait fuir ; fuir, et sortir de ce monde.

- Il faut qu’on sorte d’ici, souffla Selene en se frictionnant les bras, il n’y a… rien à comprendre ici. On est juste pris au piège, le Marchand de Sable… il veut qu’on meurt.

Elle tourna la tête, ses yeux noisette remplis de désespoir, et sursauta en poussant un cri suraigu. Dans un coin de la pièce, jusque là absolument vide, un enfant se tenait immobile. Ce devait être une fille, compte tenu de la robe qu’elle portait, mais un sac de toile marron couvrait sa tête tout entière. Le cœur fragile de la galloise battait douloureusement dans sa poitrine, alors que ses pupilles tétanisées ne pouvaient plus se défaire de cette vision inquiétante.

Des pieds à la tête, elle était secouée de tremblements irrépressibles. Depuis combien de temps était-elle là ? Comment avait-elle pu arriver sans qu’ils ne le voient ? La chambre était vide, elle en était certaine. La gamine masquée bougea enfin ; elle pencha la tête à droite, puis à gauche, comme un automate glauque en fin de vie. Alors, sans aucun signe avant coureur, elle poussa un hurlement, long, perçant, glaçant. Prise de panique, la rouquine roula sur le lit où elle était assise et se vautra lourdement sur le sol.

La douleur inhibée par la terreur, elle se redressa d’un bond et se réfugia sans réfléchir dans les bras d’Alexander. Il avait été son unique protecteur pour l’instant, son dernier rempart devant cette dimension psychédélique. Inévitablement, son premier pouvoir se déclencha à nouveau, la changeant en hybride d’épouvantail. Le cri strident de l’enfant au sac semblait remplir la pièce, sans jamais s’arrêter. Brusquement, la porte à la poignée dorée s’ouvrit à la volée, sur la silhouette haute et sèche d’une marâtre au rictus pétrifiant.

Alexander écouta attentivement ce que lui répondit la jeune fille. Elle avait raison, en partie. Le Marchand de sable voulait d'abord jouer avec eux, puis les tuer. Mais il arriverait à la sauver, au moins elle, si ce n'est pas lui.

Il sursauta lorsque sa camarade hurla de terreur. Il suivit le regard de la galloise et vit ce qu'elle voyait: une enfant, puni ou moqué par d'autre sans doute, vu le sac qu'elle portait sur la tête. Il avait vu ça quelque part, mais il ne se souvenait plus vraiment ou...

Mais cet enfant avait quelque chose de ... Malsain, et de glauque. Dans sa façon d'être, de se tenir... Il y avait comme quelque chose d’irréel. Et puis, comment était-elle arrivée ici, d'un coup?

Ses soupçons furent confirmés lorsque l'individu, ou bien la chose, commença à crier. Un cri strident, qui aurait presque pu briser des verres. Un cri de désespoir, de terreur, et de sentiments si fort qu'ils semblaient s'insuffler en eux. Alexander n'eut cependant pas l'occasion de se boucher les oreilles, car sa jeune amie se jeta sur lui, se transformant presque instantanément en épouvantail... Il allait encore devoir la transporter, au final.

Un autre "être" entra dans la pièce, ouvrant la porte mystérieuse. Une femme âgée, qui n'avait guère l'air aimable. Et, il le sentait, qui n'était pas normale du tout.
Le stress commença à monter en lui, et la neige tombait autour de sa personne.

- Qui êtes-vous?

La femme ne répondit pas, faisant un sourire effrayant. Soudain, elle se mit, elle aussi, à crier, se précipitant sur eux. Alexander n'hésita que peu de temps et se releva, la repoussant d'un coup d'épaule. Il se dit qu'en temps normal, il n'aurait jamais osé poussé une vieille dame. Puis, il se rappela que ce n'était sans doute pas une vieille dame.

Il courut avec Selene dans les bras droit vers la sortie, débouchant sur un couloir qu'il ne chercha même pas à détailler. Il n'avait pas vraiment le loisir.
La Neige se transformait en grêle, tellement le stress montait. Il ne savait cependant pas si leur assaillants les suivait. Il ouvrit une porte, sans même faire attention à ce qui était écrit, et déboucha....

Dans une forêt. Définitivement, il n'aimait pas du tout les jeux du Marchand de sable. Il voulu fermer la porte, mais il n'y en avait plus. Elle était remplacé par des arbres florissants, tout autour d'eux. La zone semblait... Apaisante. Un lac se situait non loin d'eux.

Il s’installa près d'un arbre, et déposa Selene à côté de lui. La grêle se transformait en neige à nouveau.

- Je crois que nous sommes à nouveau en sécurité. Excuse moi pour la grêle...

Il lui fit un petit sourire, puis chercha à reprendre sa respiration.

Bien entendu que la femme ne répondit pas à la question d’Alexander. Au contraire, elle se mit à hurler à son tour, le visage déformée par un rictus inhumain, puis se jeta sur le duo de voyageur. L’adolescente se sentit alors soulevée de terre. Son protecteur repoussa la marâtre d’un coup d’épaule et se rua aveuglément dans le couloir, ne regardant que devant lui. Selene se cramponnait à son cou de ses bras-branches, ses yeux-boutons rivés sur leurs arrières. Rien ne les suivait, si ce n’était une tempête de grêle qui inondait le couloir entièrement gris ; un gris désespéré, triste, sans âme. Mine de rien, les grêlons étaient gros, et si sa moitié de corps empaillée ne ressentait rien, ses jambes nues percevaient chaque heurts avec une acuité décuplée par la peur.

Quand le frigophobe la déposa enfin à terre, la rouquine avait la chair de poule. Alors qu’elle se recroquevillait pour enlacer ses jambes, les gros morceaux de glace étaient remplacés une des flocons de neige. Le pouvoir d’Alexander, bien sûr. Incontrôlable, comme le sien.

- Ne t’en fais pas, rétorqua la toquée en levant son visage de toile.

Une forêt hein ? Au moins, ils n’étaient plus enfermés. Mais cette dimension était si instable, si imprévisible… le calme qui régnait était presque plus oppressant que le bruit d’une armure qui se traîne, que le cri d’une enfant masquée, ou que le cliquetis d’un piège. Cet espace de paix ne pouvait être qu’un leurre, un faux-espoir, qui dissimulait  à merveille la prochaine horreur.

L’adolescente commençait à doucement se balancer d’avant en arrière. Elle avait envie de l’un de ses amis, tout de suite. Même si son corps n’était plus fait de chair, la panique lui semblait étouffer ses voies respiratoires, comprimer sa poitrine de paille. En cherchant des yeux la moindre chose pouvait servir à son œuvre, Selene croisa le regard d’Alexander. D’un coup, elle se souvint qu’il venait encore de la sauver, alors qu’il aurait pu l’abandonner. Instinctivement, elle rentra la tête dans les épaules, contemplant ses rangers, avant de lâcher dans un souffle :

- Merci, encore. Merci beaucoup.

En vérité, ça lui semblait irréel. Dans ses souvenirs, les seules personnes qui avaient été gentilles avec elle à Dreamland ne l’étaient pas restées longtemps. Sauf James… oh, et Myia ! Cette Myia qui a disparu, cette Myia qui lui manque. Honteuse et confuse, elle ajouta à mi-voix :

- Je suis… inutile, je suis désolée. Tu n’es pas obligé de t’encombrer avec moi, vraiment.

Ça lui faisait peur de dire ça, mais c’était le cas. Le frigophobe n’avait aucune obligation, aucune raison de se préoccuper d’une gamine déprimée et terrorisée. Elle voulait être forte, elle le voulait vraiment ; mais… tout la dépassait, irrémédiablement. Sans sa bague d’Unseelie, la partie violente de sa personnalité était muselée, ligotée ; un monstre refoulé loin sous elle.

Si elle avait oublié la nuit chez Asmodée grâce à l’un de ses pouvoirs, elle se souvenait de l’avant, et de l’après. Du traitement que lui infligeaient Liam et Jonh, de la façon avec laquelle il la regardait, ce que le taulard menaçait de lui faire – ce qu’il aurait pu lui faire. Selene se tortura alors à nouveau, en pensant qu’elle était seule dans une forêt onirique avec un homme. Cet homme qui l’avait sauvé, et qui pouvait aussi bien la détruire, malgré son apparente gentillesse. Une boule psychologique dans son ventre de paille, elle largua d’une voix blanche :

- Tu me veux, c’est ça ?

Une légère douleur, presque imperceptible, lui fit remarquer qu’elle venait d’inconsciemment de tailler, à l’aide de l’une de ses branches, le visage d’un épouvantail dans la chair blanche d'une cuisse. Une perle vermeille roula sur sa peau, alors qu’elle retrouvait son apparence normale. Celle d’une adolescente fragile, blême, mais dont l’angoisse était apaisée par son rituel. Sans le savoir encore, elle venait de déclencher son deuxième pouvoir, diffusant son effet valium au frigophobe.

Alexander n'était pas vraiment soulagé par les déclarations de son amie. Ne pas s'en faire? Il avait dû lui faire mal, avec sa grêle! Elle risquait d'avoir des bleu partout sur son corps... Elle qui semblait déjà si fragile!

Au début, il prit peur lorsqu'il vit sa camarade se balancer. Elle semblait terroriser. Puis, elle le regarda dans les yeux, et lui souffla un remerciement, avant de déclarer qu'elle était inutile.
Certes, elle n'était pas forcément d'une grande aide... Mais elle l'avait sauvé, d'une certaine manière, dans les salles piégées. Et surtout, elle l'avait sauvée de la solitude, et de la dépression qu'il aurait pu avoir.

- Ne sois pas idiote! Tu m'as déjà sauvée tout à l'heure, et puis, personne n'est inutile! Tu es juste un peu fragile.... On va sortir de cette impasse.

Mais ce qu'elle dit après le choqua, ce qui devait se voir sur son visage. La vouloir? La désirer? Si elle avait été plus jeune, peut-être en effet y aurait-il songé... Mais jamais il ne l'aurait forcé. Jamais cela n'avait été son style. Mais... Qu'est ce qui lui faisait penser cela?

Ce qui était sûr, c'est qu'il y avait pensé aussi a un moment... Il se devait d'être sincère avec elle.

- Tu aurais été plus âgée, peut-être aurait-je penser à une éventuelle relation amoureuse... Mais jamais je n'aurais osé te toucher ainsi, et je ne te toucherais pas non plus aujourd'hui. J'aurais plus l'impression de toucher une petite sœur qu'autre chose....

Il voulait lui montrer qu'elle pouvait lui faire confiance, mais comment? Il se releva, et s'éloigna un peu. Soudainement, comme dans l'orphelinat, il se sentit apaisé, sans aucune raison apparente. Se pouvait-il que...

Il se tourna vers Selene, et remarqua sa jambe, ou se trouvait maintenant une effigie sanglante. Il tendit la main quelque instants, comme pour voir ce que c'était, puis se ravisa. Il ne voulait pas lui faire peur, et vu ce qu'elle venait d'annoncer...

- Pourquoi t'infliges-tu cela?

Il parlait d'un air légèrement sévère. Mais il ne pensait pas seulement à cette marque. Il pensait à la totalité de la chose.

- Je ne sais pas ce qui t'es arrivé, mais fais moi confiance. Je ne suis pas l'un de ces monstres trainant les rues, pas comme ce....

Il ne laissa pas échapper le nom. Peut-être avait-elle déjà rencontré Liam? Certes, il ne savait pas réellement quel genre d'homme il était... Mais il était sûr d'une chose. Liam et lui était parfaitement incompatible. Et c'est lui qui l'avait laissé pour mort, chez Jeremiah.