Aujourd'hui, c'est la foire à la Pastèque !

Impressionnant n’était pas vraiment le mot qu’elle aurait utilisé, mais elle n’eut pas le temps de faire part de son jugement qu’un nouveau rot lui échappait. A choisir, elle préférait les costumes saugrenus ou le sale môme qui réclamait des bonbons ; ce petit tour était sérieusement embarrassant. Elle se sentait affreusement ballonnée et même si chaque éructation était un soulagement, c’était assez dégoûtant. Certes, l’onde de choc avait été bien utile, mais comme tout pouvoir incontrôlé, c’était insupportable une fois sortie d’une situation où c’était nécessaire. C’était assez mignon de voir la façon dont la japonaise s’inquiétait de sa santé. En hochant la tête, elle marmonna un « ça va » mais le reste de sa réponse fut coupé par un autre rot.

- Désolée, marmonna-t-elle envoyant des étals s’effondrer.

L’avantage de mettre toute son énergie à essayer de se retenir, c’était qu’elle ne faisait plus du tout attention à son attirance artificielle pour son amie. D’ailleurs, celle-ci semblait s’estomper petit à petit. Un local vint à la rencontre des jeunes filles pour blâmer les dégâts causés par l’irlandaise mais celle-ci ne put rien répondre, une main plaquée contre ses lèvres hermétiquement fermées. Elle posa une main amicale sur le bras de Yoake qui avait volé à son secours et sourit aussi en réalisa que les effets magiques de son bonbon s’étaient terminés. En ouvrant la bouche pour parler, Melena laissa s’échapper l’énorme rot qu’elle retenait depuis quelques minutes.

- Bonbon de merde ! grogna-t-elle alors que son aînée tentait de la rassurer.

Elle ne pouvait pas devenir violette aussi hein ? Ou même devenir un aimant à pervers, ça restait mieux que « ça ». Si elle revoyait cette sorcière, elle lui ferait bouffer toutes ses friandises en même temps, histoire de voir quel joli combo ça ferait. Et donc Ian s’était envolé parait-il ? La thanatophobe ne dit rien pour l’instant, mais il fallait avouer qu’elle était plutôt ravie de s’en être débarrassée. Et puis si jamais il s’était mis dans une situation embarrassante – par exemple, en ayant la bonne idée d’atterrir à Miquitzli – il était hors de question qu’elle aille le chercher. Kay et Chayan lui avaient largement suffit, elle n’était pas masochiste comme Ace et Elie.

Quand l’adolescente reconnut les derniers mètres qu’il lui restait à parcourir pour rejoindre Sydney et Jade, elle s’arrêta. Elle était trop pudique pour exposer la vision de ses rots disgracieux aux yeux de sa petite amie et d’ailleurs, l’endroit où elles se trouvaient était parfois : elle pouvait diriger ses éructations vers une zone dénuée de stands ; finis les dégâts.

Autour d’eux, la fête tentait tant bien que mal de reprendre son cours, même si la rupture causée par une bête meurtrière était un incident impossible à oublier. Tout le monde était fébrile, locaux comme touristes, et craignaient de ne voir un autre monstre débarquer de nulle part. Le Marchand de Sable étant encore une légende pour beaucoup, les gens croyaient certainement que la créature avait été envoyée par Léviathan et bien que les villageois puissent s’offusquer que le gardien se permettent de tels agissements hors de sa métropole, personne n’oserait aller lui faire part de son mécontentement.

Après un dernier rot, le ventre de Melena sembla subitement soulagé. Elle se sentait légère et prit alors conscience de la douleur imprimée dans ses mâchoires à force d’essayer de se retenir. La bouche ouverte, les bras écartés en signe de victoire, elle attendit… mais rien ne se passait ! Elle était donc bien débarrassée de cet effet ABSOLUMENT STUPIDE ! Repoussant alors sa chevelure d’ébène en arrière, l’irlandaise sourit à Yoake avant de la gratifier d’un :

- Désolée pour… euh… ça. On peut y aller.

Maintenant qu’elle pouvait penser à autre chose qu’à ses éructations intempestives, la jeune fille comprenait bien que Jade n’avait pas du tout écouté ses recommandations envers le pirate. Comme toujours, elle voulait faire confiance, voir du bon là où il n’y en avait pas. Oh il y avait bien cette petite voix qui lui soufflait qu’elle voyait bien du bon en elle, ce qui n'était pas gagné, mais elle la chassa comme on chasse une mouche. Sans Elie – ou Melena – la bonne jumelle était incapable de faire preuve de discernement. C’était un rôle difficile à endosser, mais c’était pour son bien.

- Au fait, dit-elle à Yoake tant qu’elles étaient encore hors de portée des concernés, méfie-toi du type qui nous à aider. Il fait le héros, mais c’est pas un altruiste… j’ai pas eu besoin de le croiser plus de 5 minutes pour le savoir. S’il s’incruste, c’est simplement parce qu’il y trouve un intérêt, et j’ai pas l’intention de ne laisser manipuler par un geek fan de pirates.

Si au moins elle pouvait rallier la japonaise à sa cause sans qu’elle ne discute, ce serait une bonne chose. Après tout, ne l’écoutait-elle pas aveuglément depuis qu’elles étaient sorties d’Elipse ? La nécrophobe se sentait responsable de son aînée, comme si c’était une disciple, une personne à protéger jusqu’à ce qu’elle puisse voler de ses propres ailes. En réduisant les quelques mètres qui la séparait encore de Sydney et de Jade, l’irlandaise se massa la racine de ses cheveux, la paume de sa main étrangement froide sur son front brûlant de migraine. Le paranoïaque lâcha un rot tonitruant et bien qu’elle se doute de la cause de ce dernier, Melena ne se priva pas de le dévisager d’un air dégouté avant de se tourner vers sa petite amie en l’ignorant complètement.

- Excuse-moi d’être partie un peu brusquement, je…, aucune justification satisfaisante ne venait, je le ferai plus.

Elle avait envie de lui prendre la main mais, comme toujours, n’osait pas, surtout à cause de la proximité de Sydney. En glissant nerveusement les doigts dans ses cheveux sombres, l'air embarrassé, elle demanda :

- Qu’est-ce que tu veux faire maintenant ? Tu crois que la fête va pouvoir reprendre ? On a perdu Ian d’ailleurs…

Feindre de s’intéresser à l’hyperactif pour que sa petite-amie délaisse leur héros d’un jour. C’était bas, mais suffisamment bien amené pour qu’elle ne se doute de rien. En tournant la tête, les yeux pâles de l’irlandaise tombèrent sur les restes décomposés de la charogne de Bald et elle sursauta, électrifiée par un éclair de terreur. Pourvu qu’on ne lui fasse pas nettoyer…

Ian entrouvrit à nouveau les yeux; il voyait flou et la migraine était lancinante. Il porta encore la main à sa bosse qui avait grossit.
Il ne voulait pas donner son argent à l'agresseur et était prêt à se battre comme un démon pour protéger ses biens sinon Dreamland ne le récompenserait plus !
Pourtant, il n'entendait plus la voix de l'homme et ne sentait plus le contact froid de la lame d'acier sur sa gorge.
Que s'était-il passé ? Que lui était-il arrivé ?
Un traumatisme crânien peut-être ? Un délire de son cerveau chamboulé ? Il ne savait pas trop.
Dans sa demi-conscience il entendait le brouhaha de la foule d'où perçaient parfois les bribes de phrases des badauds qui passaient non loin de lui, du style:
«Vivement que ce soit l'heure du bus!... Martino ? Il fait une sieste à la ferme... Hasta Luego!... Recompte ta tune hombre... C'est Pedro qui me l'a dit !... Papa, j'ai trouvé un petit couteau tranchant comme du silex !... Va falloir tuer le porc demain si on veut du boudin pour le mariage... C'est qui ? Un voyageur? On ne l'a jamais vu, il est blessé, son bras saigne... Laisse-le ce ne sont pas nos affaires! »

Quand il se sentit un peu mieux, il s'assit sur son séant et le premier réflexe fut de poser les yeux sur son sac en plastique.
Il était déchiré.
Gaston en était sortit et le regardait réellement avec des yeux mauvais, lâchant une fiente sous son nez mais tout son trésor était intact: son caleçon noir et fluo, son cache oreilles et ses gemmes. Sourire aux lèvres il se leva et constata qu'il avait bien des baskets aux pieds, banales mais neuves mais pas en position savates car aucune ampoules n'apparaissaient à ses talons.
Interloqué, le jeune homme regarda autour de lui et reconnu l'endroit.
Il s'était cogné à l'angle du bâtiment où les filles avaient laissé leurs affaires en consigne.
En levant les yeux, il pouvait voir le ballon crevé, pendant lamentablement, accroché à la gouttière.
Encore sous le choc, il était néanmoins aux anges: il allait pouvoir offrir une téquila pastèque à Saint Georges de Lydda venu ici combattre le dragon afin de libérer la princesse !
Ses yeux tombèrent sur sa blessure au bras. Il ne cria pas au secours mais cracha dessus afin de désinfecter la plaie, sait-on jamais...
Sa tête tournait, il se rassit. Se sentant partir à nouveau il hurla:
NON, JE NE VEUX PAS RETOURNER DANS LES CHAMPS DE PASTEQUES NI SUR LE CHEMIN DE CRAIE ET DE SILEX !!!
Pour toutes réponses, il entendit une série de rots sonores au loin, le délire l'avait repris; allait-il devenir encore plus fou qu'avant ? Il espérait bien que non sinon Milly ne voudrait plus de lui et Saint George ne deviendrait pas le super-pote qu'il ait jamais connu; du coup il se mit à pleurer.
Tout était foutu; il était dans le coltar sur Terre, guère mieux au Paradis et il allait crever là, tout seul, au pied d'une baraque décrépie sans même être allé chez le coiffeur, ni trouvé de chien, sans avoir dansé au bal, sans même plus une chansonnette à pousser en cet instant précis et surtout...
Mais il ne se laisserait pas faire !
Avant de lâcher l'ultime soupir, il le lui demanderait encore une fois, en un râle lugubre et il lui répondrait enfin car on exhausse toujours les dernières volonté d'un homme à l'agonie.
Rassemblant ses dernières forces, il se tiendrait droit devant lui et hurlerait aux cieux la requête définitive avant de tomber raide mort:
BALL FROM HELL, C'EST QUOI TON PARFUM, JAKE ???!!!
Mais ça c'était normal; il avait fait une bêtise et n'avait reçu que se qu'il méritait. Sa maman ne lui avait t-elle pas dit et répété un million de fois: « n'accepte jamais les bonbons d'un étranger»?
Et voilà le travail maintenant !

A vrai dire, plus Jade écoutait Sydney parler, moins elle savait quoi penser de tout ça. Son compte-rendu comme celui de Melena étaient aussi semblables sur certains points que drastiquement opposés sur d'autres alors que d'après leurs dires ils ne s'étaient croisés que 5 minutes. Comment est-ce qu'on pouvait avoir une version si diamétralement opposée de cinq pauvres minutes ? C'était un peu comme contempler deux gamins proclamer « c'est pas moi c'est lui ! »... un peu pathétique, même si l'adolescente comptait bien garder cette conclusion pour elle.

Dans tous les cas, ce pirate avait bien utilisé un pouvoir sur elles et ça, ça l'intéressait. Un carnet qui révélait des secrets concernant celui qui le touchait ? C'était... c'était juste...

- Génial ! Je peux voir ? J'aimerais bien savoir ce que ça dit sur moi, d'ailleurs... ça te donne quelles genres d'informations ? Pas de trucs trop intimes j'espère ? Ce serait un peu gênant, à vrai dire.

Étonnamment, il ne se fit pas prier pour lui dévoiler le contenu de son casier judiciaire. Penchée sur le livre, Jade ne perdait pas une miette de ce qui était écrit, ses sourcils légèrement froncés. Bon, le fait de ne posséder qu'une demi page n'était pas si surprenant, mais c'était quoi cette liste étrange ? Gémélaire, belle et bête, origi... mais bien sûr ! C'était tellement évident maintenant qu'elle faisait le lien avec ses pouvoirs ! J'aimais la psychotique n'aurait cru que ces dons puissent réellement posséder un nom. Plutôt classes, soit dit en passant, mis à part ce « lâcheté abusive » qui faisait tâche. Mais après tout, ça ne représentait que trop bien ce qu'elle était depuis sa séparation d'avec Elie : une lamentable pleutre. Et tous les efforts qu'elle faisait étaient encore trop insuffisants pour effacer cette réalité.

La suite était visiblement un compte-rendu de ses dernières bonnes et mauvaises actions. Pas si mal même si elle pouvait repasser question franchise, mais elle avait des circonstances atténuantes. Que ce carnet ne dévoilait pas, bien sûr. C'était peut-être même ça, le problème. Ce pouvoir était tellement objectif qu'il prêtait à confusion. Pas de contexte, rien, juste des faits bruts sans aucune explication. Si elle avait tué quelqu'un pour se défendre, est-ce que ce truc l'aurait déclaré meurtrière sans autre forme de procès ?

Ce genre de questions ne se posa que plus lorsqu'elle découvrit la page de sa petite amie. Vraiment, mais alors vraiment pas glorieux. Menaces, agressions... ses rares bonnes actions notables étaient souvent contrebalancées par une mauvaise actions tout aussi importante vis-à-vis de la même personne. C'était normal dans ces circonstances que Sydney ait une aussi mauvaise opinion d'elle. Si elle avait été à sa place, elle aurait probablement réagit pareil. Sauf que... elle connaissait la nécrophobe. Elle devait être blessée, à bout de nerf, désespérée. Elle n'avait rien de mauvais, n'importe qui ferait des erreurs sous la pression et une tornade émotionnelle.

- Vous avez eu un mauvais départ... soit. Mais elle n'est pas aussi mauvaise que le dit ton livre. Il... il manque le contexte tu comprends ? Pourquoi est-ce qu'elle les a menacé, ces clandestins, par exemple ? Peut-être qu'ils ne comprenaient pas qu'ils mettaient leurs vies en danger s'ils étaient trouvés. Et ce Nikodim... je l'ai connu. C'est un mafieux, louche jusqu'au bout des ongles. Elle devait avoir une raison de le menacer, ne serait-ce que pour qu'il se tienne tranquille.

Elle avait beau croire en ce qu'elle disait, plus elle parlait plus Jay avait l'impression de se faire l'avocat du diable. Si seulement Mel' avait pu être là pour prouver elle-même sa bonne foi et remplacer toutes ces hypothèses par des certitudes...

Heureusement la conversation vira sur l'arrivée du paranoïaque à Tehinastèque. D'après ses dires, il cherchait Jake. Le même Jake qu'elle avait perdu quelques heures plus tôt ? Impossible de le savoir. Il n'avait pas l'air d'avoir relevé son nom dans le carnet, il devait probablement s'agir de quelqu'un d'autre. Ce qu'il avait relevé par contre, c'était qu'il se sentait en droit de lui extorquer des informations sans rien lui avoir encore dévoilé sur ce « marchand de sable ». La bonne jumelle aurait pu se vexer, mais elle préféra en rire à vrai dire. Un rire franc et bref qui laissa bien vite place à un sourire en coin.

- Pas de ça avec moi, cap'tain. Mes informations, je ne les marchande pas. Si tu en as besoin et que ça ne me fait pas de tort, je te les donne. C'est tout. Ca ne me coûte rien de plus qu'un peu de salive, je ne suis pas à ça près.

L'adolescente haussa les épaules avant de saisir son menton entre ses doigts, pensive. Qu'est-ce qu'elle pourrait bien lui apprendre d'utile ? Il n'avait pas l'air né de la dernière pluie alors ce n'était pas les bases pour débutant qui serait d'une grande utilité. Le coup des ombres alors ? Les tours ? La résistance ? Hum, mieux valait éviter ce dernier point si elle ne voulait pas s'attirer des ennuis avec sa hiérarchie. Les tours et leurs fichus gardiens conviendraient bien assez et s'il était déjà au courant et bien... tant pis. Jade n'était pas une encyclopédie universalis après tout, son savoir avait ses limites. Par exemple elle n'avait aucune foutre idée de la manière dont le bonbon qu'avait enfourné le rouquin lui provoquait des rots dévastateurs, mais elle ne s'en formalisa pas pour autant. Elle était bien devenue violette, elle, et il ne l'avait pas mis au pilori pour autant.

- De quoi je pourrais te parler ? Je sais pas moi, tu connais les 7 tours? Vu la tronche qu'il tirait, c'était évident que non. Elle reprit donc avec plus d'assurance : Ce sont des édifices mystiques érigés tout autour de Dreamland. La plupart des cités principales sont construites autour, mis à part Elipse. Elles représenteraient un lien entre notre monde et celui-là, d'après ce qu'on m'a dit. Pour protéger ce lien, chaque tour possède un gardien représentant un pêcher capital. La tour la plus proche est celle de l'envie, elle n'est qu'à quelques kilomètres d'ici, et je ne te conseille pas d'aller y faire un tour. Les gardiens sont de véritables plaies, surpuissantes qui plus est. Ma... sœur est là-bas. Elle passe des épreuves pour devenir adepte. Ce sont... ce sont des gens chargés d'aider les gardiens à défendre la tour des attaques. Certaines personnes voudraient voir ces tours tomber pour diverses raisons, enfin bref... ce marchand de sable alors ? Je suppose qu'il n'est pas vraiment du genre à aider les enfants à s'endormir?

Enfin elle allait pouvoir avoir une réponse à sa question... ou pas en fait. Sa petite amie revenait en compagnie de Yoake, lui adressant des excuses pour sa fuite rapide. Jade lui lança un regard sévère qui ne signifiait que trop qu'excuse ou non c'était assez malvenu. Après tout, ne lui avait-elle pas demandé de ne plus la planter il y avait à peine, quoi ? 30 minutes ? Et Melena était bien trop jeune pour souffrir d'Alzheimer.

N'ayant pas non plus envie d'un esclandre, ses traits se détendirent rapidement alors que sa camarade de toujours l'interrogeait sur la suite du programme. Faire la fête ? Il faudrait pour ça attendre que les organisateurs remettent un peu d'ordre et à vrai dire elle mourrait d'envie de savoir qui les avait attaqué plus que de faire du rodéo sur une pastèque à pattes. Prendre quelques minutes de pause à papoter ne pourrait pas leur faire mal, quant à Ian... elle n'avait aucun moyen de le trouver ou de le contacter. Il n'y avait plus qu'à espérer qu'il les retrouverait rapidement.

- Ce que je voudrais surtout, c'est que notre corsaire me rende la politesse, comme convenu. Ce serait un peu frustrant, sinon. Elle soupira avant de jeter un coup d'oeil aux alentours à la recherche de la tignasse blonde de l'hyperactif. Pour Ian... tu n'aurais pas un moyen de le trouver ? Il n'a pas d'iwok et dans cette foule je doute qu'on puisse le retrouver facilement. Tourner ne servirait à rien d'autre qu'à nous fatiguer...

Plus qu'un mauvais départ, les relations entre Melena et le pirate viraient vers la mauvaise continuité, à peine viable à court terme. Ceci dit, ce n'était pas important aux yeux du pirate : si Melena avait pris soin de le calomnier dans son dos, c'était que convaincre Jade était le point stratégique car elle devait être ce qui se rapprochait le plus d'un leader. Convaincre Jade qu'il n'était pas ce que dépeignait la nécrophobe et entretenir de bonnes relations avec elle était donc bien plus important que des querelles intestines vaines et dangereuses. Le pirate avait décidé qu'il n'attaquerait pas Melena : cela ne lui apporterait rien et de plus, il la savait puissante. Probablement plus que lui, d'ailleurs. Mais il y avait bien d'autres façons de museler les clébards un peu trop bruyants ou de faire en sorte que les mutins passent d'eux-même à la planche.

L'effort de la mythomane pour esquiver les négociations firent sourire Sydney en retour. Ce genre d'hypocrisie était assez touchant de naïveté. Elle disait non mais elle le faisait quand même, une autre preuve que les gens ne sont jamais ce qu'ils semblent et n'en sont eux-mêmes pas toujours conscients.
- Je ne marchande pas non plus : je discute. Je dis des choses, tu dis des choses, puis je dis des choses à nouveau. Tu vois : rien de plus sain ! Ne t'en fais pas : je n'ai de pirate que l'habit. Enfin parfois.. Y'arrr

Jade entreprit alors de lui parler des Tours, des Gardiens et des Adeptes, choses assez inconnues au corsaire qui n'avait vu de cette facette de DreamLand que l'édifice de Gloutoniskaïa et n'avait que vaguement entendu parler de son gardien, Baal. Cependant que la bonne jumelle parlait, le capitaine au bandana essayait d'établir un schéma de tout ce système et ce qui en découlait : des tours, des gardiens et les soldats des deux armées s'opposant pour un but des plus obscurs. Quelle raison pouvait-il y avoir de vouloir briser ou protéger ces liens ? Il haussa les épaules en décrétant qu'il n'avait aucune envie de rejoindre ni l'un, ni l'autre camp. Paladin esclave d'une bande de monstres déviants ou chien-chien d'une armée d'anarchistes indécis, non merci.

Cette distinction entre Adepte et Résistant éveillait pourtant une grande curiosité chez le parano' qui comptait désormais analyser ses nouvelles rencontres à travers ce prisme moral nouveau. D'ailleurs où se positionnait Jade ? Si elle avait éludé la réponse, il était probablement inutile de la lui demander et elle se montrerait plus réticente qu'autre chose, ce qui n'était pas souhaitable. Il respecta donc ce choix sans en être particulièrement ravi.

Il allait poursuivre sur la lancée des aveux lorsque la gothique nécrophobe/phile revint avec la chinoise. D'ailleurs, cette dernière sembla familière au corsaire sans qu'il ne put mettre un nom sur ce visage. Il devait confondre, de toute façon ces gens se ressemblaient tous sans jamais vouloir l'admettre.
Quelle meilleure manière d'accueillir ce nouveau duo qu'en étant forcé de sortir un énorme rot dégueulasse qui crachait de la manière la plus honnête du monde tout son mépris ? Il eut à peine le temps de se retourner que le monstre passait déjà le bout de sa bouche. La terre trembla. Il attendit que la crise fut terminée pour reprendre une tenue un peu plus correcte.

- Je tiendrai promesse, pas de souci, matelot. Je vais vous dire ce que je sais sur ce qui vous a attaqué. Mais pour votre moussaillon, je ne peux rien faire. Enfin je pourrais vous aider à le chercher mais je n'ai ni pouvoir ni objet pour faciliter les recherches.
Il attendit que l'attention de Jade revienne à la conversation initiale pour poursuivre sur un ton calme en se concentrant sur le factuel.
- Je soupçonne ce lézard de n'être qu'une invocation, un monstre de sable créé de toute pièce pour tuer l'une d'entre vous. Pourquoi vous ? Parce que quand votre ami s'est envolé, elle est restée. Je base cette théorie sur mes observations passées : j'ai déjà assisté à des manifestations de ce type et elles avaient toute un point commun... il désigna le tas de sable qui se réduisait avec le temps, tantôt envolé dans la brise, tantôt s'enfonçant dans le sol.

- Le responsable derrière tout ça s'appelle le Marchand de Sable. On ne sait que très peu de choses sur lui car le seul endroit où nous avons trouvé son nom mentionné, c'était dans un bouquin extrêmement vieux relatant de vieilles légendes Dreamlandiennes. D'ailleurs, ce livre avait attiré l'attention du Marchand de Sable sur notre groupe... L'une d'entre nous y est même restée, emporté par un tsunami de sable qui est sorti du bouquin après qu'on ait entendu un truc du genre « je te vois » pas du tout rassurant. Je pense que ce truc est un dieu... ou plutôt un super-dieu lié à Dreamland même.
Il prit quelques secondes afin d'observer l'effet de son récit sur son auditoire. Satisfait, il continua, bien que son visage s'assombrit nettement.
- Là où ça nous concerne, c'est que cette... chose... ne s'en prend qu'aux voyageurs et seulement eux. Je ne l'ai jamais VU autrement qu'à travers ses manifestations mais je sais de manière certaine qu'il nous déteste pour une raison que j'ignore. Il veut nous tuer et semble s'acharner sur ceux sur qui il jette l'anathème. Vous êtes au courant des perturbations magiques un peu partout dans ce monde ? On pense que c'est à cause de lui. Et cette histoire de perte d'ombre, c'est également lui : il a réussi sans que je sache comment à chasser les voyageurs de Dreamland. Tous en même temps ! Et disons que la suite n'a pas été jolie pour tout le monde.. D'ailleurs, ça a même affecté le monde réel : ces voyageurs avaient gardé leurs pouvoirs et s'en servaient pour faire le mal. J'ai vu Melena à la télévision ; elle est recherchée par toutes les polices des États-Unis, comme la plupart des voyageurs qui ont eu la mauvaise idée de se faire remarquer.

Sydney marqua une pause, lui-même troublé par la réminiscence de ce constat terriblement sombre pour l'espèce voyageuse et pour lui-même, de fait.
- Notre groupe a été disloqué et j'ai été forcé de faire équipe un moment avec la fille qui avait trouvé le livre dont je vous ai parlé. On a fui Gloutoniskaïa pour aller dans les Terres gelées. Et même là « Il » nous a retrouvé et attaqué. Mais aujourd'hui, ce n'était pas pour moi qu'il venait. Tout ce qu'on peut faire, c'est fuir et espérer survivre : nous nous battons contre un dieu, j'en suis convaincu ! On a aucune chance de s'en débarrasser. Alors quand j'entends parler de Tours et de personnes qui se battent pour les faire tomber, ça me fait bien rire. C'est tellement petit comparé au risque qu'on prend à chaque fois qu'on fait un pas à Dreamland...

A bien y réfléchir, il n'y avait peut-être que dans le métier d'adepte qu'une rédemption quelconque était possible, bien qu'il était impossible de savoir de quoi ce Marchand de Sable les accusait réellement. Peut-être qu'en protégeant ce monde, ce dernier se montrerait plus clément... En suivant cette logique, la Résistance était par définition l'endroit le plus propice pour s'attirer les foudres de cet être.

Il soupira avant de conclure : c'est tout ce que je sais sur ce qui vous a attaqué. Mon seul conseil : soyez prudentes. Toujours. C'est pour ça que j'ai été un peu dur quand tu m'as dit que vous n'aviez sur vous aucun objet, Ja-.. Milly. Ce monde est dangereux : il veut nous voir tous morts. Ne pensez pas que c'est le Paradis : Dreamland ne tient de rien d'autre que de l'Enfer.
L'Enfer peut-être, mais il y était pourtant retourné de son plein gré. Et si c'était ça, la malédiction des voyageurs : condamnés à errer dans ce monde onirique et être tentés d'y retourner à chaque fois ? A la fois, ce monde les attirait et les repoussait avec la même force, comme la marée qui emporte dans son sillage ce qui a le malheur de s'y trouver un jour.

Ses pensées allèrent à feue Selene que ce monstre avait tué dans la fleur de l'âge et remplacée de manière éhontée par un agent infiltré. Nulle doute qu'en tuant cet imposteur, ce ne serait pas du sang mais un flot doré de petits grains qui s'écoulerait de la plaie mortelle. Dieu seul sait où se trouve actuellement ce cancer sur patte dont le seul but est de mener les voyageurs à leur perte. Peut-être Sydney évoquerait ce destin funeste au besoin, s'il fallait marquer encore un peu plus les esprits avec du concret. Il espérait juste qu'il ne risquait pas d'attirer l’œil du Marchand de Sable du fait de ses révélations nombreuses. Pourtant, il avait la désagréable sensation que toutes ces connaissances ne faisaient encore qu'effleurer la nature de ce contre quoi ils luttaient. Il restait tant de questions en suspend, tant de mystères occultes autour de cette personnalité insaisissable...

Son regard se posa finalement dans les yeux bleus de Jade dont il espérait tirer un soutien quelconque, comme si ses révélations devaient suffire à légitimer sa position de « bonne patte » sympathique qui devait le prémunir contre le venin de Melena. Il estima qu'un peu d'empathie devrait pouvoir aider la manœuvre, comme un café digestif après un repas un peu lourd :

- J'espère seulement que Jake aura lui aussi su garder ce précepte à l'esprit et qu'il est encore vivant...
C'était en fait assez honnête car le capitaine savait à quel point son premier matelot pouvait être tête en l'air et inconséquent. Il envisagea un instant la possibilité que ce dernier ait connu le même sort que Selene et cette pensée le laissa assez anéanti.

Fort heureusement... peut-être... un énorme rot se forma à nouveau au bord de ses lèvres. A nouveau, il se détourna du groupe pour laisser libre court à sa symphonie viscérale qui vint souffler un stand nouvellement placé comme s'il était aussi lourd qu'une feuille morte.
- Désolé~ C'est ma faute~ Désolé~

Melena semblait aller mieux, mais elle choisit de rester à l’écart dans le doute où ses rots reprendraient, sûrement.

Yoake en profita pour regarder autour d’elle, ce qu’il se passait les villageois s’entre aidaient pour reconstruire chaque stand avant la fin de la soirée, peut-être qu’avec un peu de chance la fête reprendrait. Mais la Nipponne allait devoir oublier ce qu’il s’était passé une nouvelle fois et retrouver sa joie de vivre… Elle pensa alors au coup de fouet qu’elle avait lancé pour vaincre Melena dans cette attraction stupide, elle n’aurait pas dû prendre à cœur cette fête de la pastèque pas au point d’utiliser ces faibles pouvoirs toujours, a présent, elle en payait le prix.

Elle fut sortie de ses pensées par la thanatophobe qui s’excusa de son état.

- C’est bon, ne t’inquiète pas, j’espère juste qu’on ne reverra pas la grand-mère de sitôt.

Elles reprirent leur chemin, quand Melena lui demanda de se méfier du nouveau venu, qu’il servait uniquement ces propres intérêts. Yoake faisait amplement confiance à Melena pour ce genre de chose, certes, elle était peut-être un peu trop méfiante, mais depuis qu’elle se trouvait à Dreamland, les méthodes de la thanatophobe s’étaient révélées bien efficaces. Donc certes le nouveau venu s’était occupé du monstre et pour ça elle le remerciait, mais elle ferait en sorte de ne pas trop en dire sur elle-même et sur le groupe.

- Ne pas faire confiance aux inconnus ça me va.

Fit-elle dans un sourire en entrant dans la place, c’est là qu’elle vit les conséquences qu’avait eues son bonbon sur les autres, des hommes se soignaient mutuellement, d’autre la regardait avec de grands yeux étonnés comme s’ils avaient du mal à assimilé qu’il y avait encore un instant, ils se battaient pour elle. C’est alors qu’elle croisa le regard de Gab, il se faisait soigner par ses amis et éviter son regard. Peut-être avait-il peur d’elle à présent… Elle espérait que non.

Son regard se porta alors sur le fameux héros qui avait terrassé la bête avec l’aide de Jade, ses traits ne lui étaient pas étrangers et contrairement à Sydney, l’hematophobe mit très peu de temps à le reconnaître.

- Le pirate !

Murmura-t-elle étonné en détaillant ses traits elle, elle remarqua le sang alors sur son visage. Le sien blanchit soudain à vue d’œil et elle stoppa net laissant Melena passer devant. Tout de suite, la nausée tordit son ventre et elle serait déjà partie si la thanatophobe ne comptait pas sur elle. Serrant les dents son regard se concentra sur Jade plutôt que sur celui du pirate, elle prit le temps de respirer doucement cherchant à calmer sa crise qui montait une nouvelle fois en elle.

La terre trembla alors devant le rot de Sydney, et Yoake ne pût que tomber à genoux afin de reprendre son équilibre ce n’était pas le moment de montrer des faiblesses… Pourtant…

Une fois proche du groupe, Melena chercha à s’excuser vainement d’après l’expression qui s’affichait sur le visage de Jade. La Japonaise réfléchit sur ce qu’elle pouvait dire pour justifier l’absence de Melena, mais la conversation dériva sur l’absence de Ian, Yoake faillit proposer la boussole de la thanatophobe, mais ce n’était pas à elle d’en parler de plus contenir sa phobie lui demandait un réel effort de concentration.

*il n’y a pas de sang, il n’y a pas de sang, il n’y a pas de sang…* se répéta-t-elle comme un chant de courage qui faisait l’effet inverse.

Sydney se lança alors sur des explications concernant le monstre de sable, l’hematophobe buvait chacune de ses paroles, mais ne pu jamais regarder Sydney en face afin que ce soit moins visible la jeune femme resta en retrait son regard perdu dans le vide.

Il parlait du marchand de sable et assena que c’était lui le responsable, logique dans un sens cette bête de sable ne pouvait que lui appartenir. Il parla aussi d’autre fait dont ce « dieu » était responsable l’une de ses réflexions attira alors son attention des personnes se seraient servit de leurs pouvoirs dans le monde réelle, des extraits de journaux télévisés lui revenait en tête, le nom et les photos des personnes recherchés défilait sur le bas de l’écran… Sydney annonça alors que Melena en faisait partit comme s’il était fière de cette révélation…

Les yeux sombres de l’hématophobe regardèrent alors la silhouette de la thanatophobe son regard perdu alors sur le tas d’os non loin, était-elle vraiment recherché par la police ? Et qu’est-ce que ça changeait pour elle maintenant qu’elle le savait ? L’Irlandaise l’avait sauvé des nombres incalculables de fois, des souvenirs de la thanatophobe lui revenaient peu à peu en mémoire des petits sourires tristes comme si quoi qu’elle fasse, elle n’avait aucun chance de vivre sainement que se soit dans un monde ou dans l’autre.
Un fin sourire se dessinait alors sur son propre visage

*on est tous fous que ce soit dans un monde ou dans l’autre*

Sans un mot, elle posa une main sur l’épaule de Melena cherchant à lui montrer son soutien qu’importe que ce soit vrai ou pas, l’hematophobe lui devait beaucoup et quitte à faire confiance à quelqu’un, elle faisait plus confiance à la mort elle-même qu’aux paroles d’un dernier venus.

Elle continua d’écouter les paroles du pirate et ne pu qu’être d’accord avec lui sur le dernier point il n’était pas au pays des rêves, ces lieux avaient tout de l’enfer lui-même.

Le pirate conclu, ses paroles par un rot tonitruant qui aurait fait rire la Japonaise dans une autre situation, s’il n’était pas blessé au visage par exemple. Elle changea de position pour paraître moins suspect, mais la chaleur de la crise montait tout comme sa nausée, elle murmura alors :

- On devrait peut-être chercher Ian maintenant non ? Il est peut être mal-tombé.

*Une fois de plus* pensa-t-elle.

En tout cas, c’était l’occasion parfaite d’éviter le visage ensanglanté du pirate, après tout en quoi le sort d’un homme sans pouvoir devait l’intéresser.

Jade n’eut pas l’air satisfaite de ses excuses mais… qu’importe. Melena, elle, n’était pas satisfaite que sa petite amie accepte de discuter avec un mec contre lequel elle l’avait mise en garde. Elles étaient quittes et comme la bonne jumelle jugea préférable de ne pas s'aventurer sur le terrain du conflit, l’irlandaise en fit autant. Pour retrouver Ian, elle avait bien sa boussole magique effectivement, mais elle préférait feindre avoir oublié pour l’instant. Il y avait déjà Sydney dans les parages, elle ne pouvait sainement supporter que deux gêneurs à la fois.

S’appliquant à garder le silence, la nécrophobe écouta les renseignements offerts à propos du Marchand de Sable. Elle en avait vaguement entendu parler, plutôt comme une légende, mais jamais encore elle n’avait eu la sensation de toucher le véritable problème du doigt. L’entité ultime de Dreamland, un « super-dieu » en avait après elle… voilà qui était rassurant. Ce n’était pas comme si elle était déjà sous le joug de deux gardiens et à une poignée de kilomètre d’un autre qui ne rêvait que de la posséder. Elle se sentait soudainement incroyablement fragile et vulnérable. Cette invocation, elle était là sa faute, n’est-ce ? La cible prioritaire, ça avait été elle… dans un monde comme dans l’autre, elle apportait le danger à ses amis. Combien de temps encore avant que l’un d’eux soit tué ?

Et puis, elle se posait une question : quel était le lien du Marchand de Sable avec les tours ? Est-ce qu’il serait sensible à la destruction de l’une d’entre elle ? La bonne jumelle avait-elle une chance de s’en sortir si elle mettait en rogne consécutivement un gardien et un dieu ? Est-ce que les personnes qui lui avait donné cette mission avait une réponse à ça ? Finalement, la thanatophobe se demandait si le plus responsable n’était pas de dissuader sa petite amie d’agir. Elle n’était pas marquée comme un animal, elle… elle n’avait pas à craindre de se faire tuée en cas de désobéissance.

Alors, Sydney fit ce qu’il ne fallait pas : évoquer à haute voix, avec un manque de tact révoltant, je fait qu’elle était l’un des ennemis publics numéro principaux aux Etats-Unis. Se faire cracher sa propre vie au visage de cette façon, ça faisait mal. Surtout qu’elle n’avait pas fait exprès ! Ce n’était qu’une suite d’accidents et de mal entendus… et Yoake qui n’était pas au courant, qu’allait-elle penser ? Elle allait la regarder différemment pas vrai ? Melena eut soudainement envie de pleurer et seule sa fierté retenait ses larmes. Elle ne put même pas ouvrir la bouche pour parler, sa gorge était trop nouée. Indifférente à la main amicale qui se posait sur son épaule, l’irlandaise s’enferma dans sa propre tête et se désintéressa du petit meeting pour regarder le ciel.  

Il était d’un bleu éclatant. Pourtant, il lui paraissait inaccessible. Pas seulement à cause de sa distance, mais parce qu’il semblait d’une pureté irréprochable alors qu’elle… zut, une larme venait de glisser sur sa joue, elle s’empressa de l’essuyer. Pourquoi rien n’était simple ? Pourquoi devrait-elle choisir entre un monde où les autorités voulaient la mettre sous clef et un autre où un dieu voulait sa tête ? Doucement, les voix recommencèrent. Ces voix prisonnières dans sa tête, qui ne lui avaient plus parlé depuis qu’elle avait retrouvé Jade. Elles murmuraient, l’appelaient, glissaient des mots horribles, trépanaient sa raison.

- Non-non-non-non…, souffla silencieusement Melena en prenant plaquant ses mains contre ses oreilles.

Elle perdait le fil. De quoi parlait Sydney ? De prudence non ? Ou d’un certain Jack… ou Jake… ou bien c’était Yoake qui parlait de Ian ? Ou bien… pourvu qu’ils n’aient pas vu. Surtout pas Jade. Que dirait-elle si elle devenait folle ? L’irlandaise respira profondément et les voix malsaines se turent. Elles laissèrent place à un silence presque dérangeant dans l’enceinte de son crâne. L’adolescente était plus pâle qu’à l’accoutumé lorsqu’elle réussit à reprendre la parole, d’une voix un peu plus aigüe qu’à l’ordinaire :

- Si vous soulez j’ai… euh… une boussole qui permet de retrouver ce qu’on désire… pour Ian, dans ma consigne, euh… merci pour les informations, on fera attention.

Elle était confuse et troublée. L’envie de pleurer était toujours là. La peur lui tenait compagnie désormais. La peur que les morts recommencent à psalmodier dans un coin de son cerveau. La peur de perdre la personne qui lui était le plus cher parce que sa santé mentale atteignait ses limites. Un sourire tout sauf naturel s’étira sur les lèvres pâles de Melena qui se gratta maladroitement l’arrière de la tête. Ses yeux d’orage évitaient soigneusement de croiser ceux de la psychotique et ne pouvaient soutenir ceux de l’hématophobe. En désespoir de cause, elle ajouta de la même voix étranglée :

- On ne va pas rester ici indéfiniment, si ? Les restes de cadavres me mettent vraiment mal à l’aise…

Bon, il n'allait pas rester ici indéfiniment à broyer du noir, il fallait qu'il bouge à présent.
Il se leva chancelant tant la tête lui tournait encore, s'ébroua et se mit en quête d'un nouveau sac plastique.
Le sol était jonché de détritus et d'objets divers à tel point qu'un étranger aurait pu penser qu'il y avait eu une tornade.
Il aida une jeune fille à ramasser les bijoux de son stand fraîchement remis sur pied et trouva son bonheur.
Il était content: ce cabas de fortune était plus grand que l'autre.
Il s'appliqua à transvaser ses affaires et fronça des sourcils au moment de prendre ses gemmes; soucieux il recompta et à sa grande surprise y trouva vingt rubz de plus; Dreamland l'avait récompensé pour ses bonnes actions, il était plein aux as !  
Sourire aux lèvres, il se remit au travail et posa tous les objets sur l'étal. C'est alors qu'il aperçut parmi toutes les bricoles de...
Comment tu t'appelle ? Moi c'est Ian.
Pakita, répondit la jeune fille, merci de m'avoir aidé, c'est gentil !
L'adolescente était mignonne. Pas aussi belle que Felizita mais bien plus sympa.
Il s'apprêtait à lui dire au revoir quand il se souvint qu'il avait vu quelque chose de joli.
Il fouilla à nouveau dans le déballage et revit la broche qu'il avait repéré. C'était une petite pastèque colorée sur laquelle était dessiné un sourire, c'était juste ce qu'il fallait à Melena: de la couleur et du bonheur afin qu'elle oublie un peu son sale caractère.
Il déboursa huit rubz, les tendit à Pakita qu'il salua d'un clin d'oeil taquin avant de tourner les talons.

Sans réfléchir il avait repris le chemin vers l'étang aux canoës, la où la bataille avait eu lieu, en sifflotant « d'on't worry, be happy ». Il avait hâte d'offrir son cadeau !
D'un coup d'oeil il s'assura que Gaston suivait bien, cracha encore un coup sur sa blessure et piqua un sprint.
Au loin il aperçut le groupe qui semblait discuter ferme. Seule Melena était en retrait.
Il biffurqua à l'endroit où il avait laissé son pantalon mais ne trouva rien d'autre qu'un papier froissé.
Fuck ! Marmona t-il, je ne vais pas rester en slibar toute la soirée quand-même...
Il haussa les épaules, ramassa le papier, le lissa et le plaqua sur la plaie sanguinolente, juste histoire de ne plus rien voir.

Il arriva à hauteur de ses amis au moment où la trop belle racontait quelque chose sur les cadavres qui mettent mal à l'aise.
Salut tout le monde me revoilà !!! lança t-il puis il se tourna vers Melena.
En voyant le visage de la jeune fille son sourire à lui s'effaça d'un coup, elle ne faisait pas la gueule comme d'habitude, c'était pire ! On aurait dit qu'elle était triste et qu'elle allait pleurer; alors là, il n'aurait jamais cru... Heureusement, il avait ce qu'il fallait pour lui redonner de la joie.
Il fouilla dans son sac et tendit à Melena le petit présent en disant: tiens c'est pour toi; je l'ai trouvée jolie...
Puis il leva les yeux vers dans l'attente d'une réaction.

Le tableau dépeint par Sydney était apocalyptique. C'était trop, c'était une folie et pourtant... ça expliquait tout. Pourquoi ils s'étaient tous retrouvé dans le monde réel sans préavis, dépossédés d'une partie de leur âme. On ne voulait pas d'eux et on les avait fait sortir de force. Comprendre que l'instigateur de tout ça était l'équivalent d'un Dieu et qu'il continuait à les pourchasser... ça faisait froid dans le dos. En écho à cette pensée, Jade s'étreignit, prise de frissons. Comment cette chose avait pu avoir vent de leur existence ? Était-ce à cause de l'île volante ? Non, impossible. Tout ce qui la concernait était entouré de secrets, ça devait être autre chose, forcément lié à Melena. Est-ce que tout cela allait perturber ses projets ? Là était la vraie question.

Les lèvres pincées, l’adolescente hochait la tête comme pour ponctuer le récit, ne se figeant que lorsque les voyageurs recherchés par la police furent évoqués. Elle en faisait partie mais ce n'était pas le genre de choses dont on se vantait. Criminel en fuite, ce n'était pas très reluisant sur un CV. La bonne jumelle pourrait bien clamer son innocence, révéler que les responsabilités n'incombaient qu'à Melena et Elie, personne ne la croirait. Nous étions aux U.S.A., personne n'était innocent jusqu'à preuve du contraire, c'était même l'inverse, et à moins que les deux filles se dénoncent tout était foutu. D'ailleurs comment son double pourrait se dénoncer ? Ce serait le meilleur moyen de finir à l'asile avec comme cadeau de bienvenue une jolie camisole. Oh oui, quel bonheur en perspective !

- Elle n'est pas la seule, je suis recherchée aussi. Comme beaucoup de gens qui n'ont rien demandé. Ces pouvoirs... ils ne sont pas toujours contrôlables. Nous avions peur, nous étions déboussolées et les policiers traquaient tous ceux qui sortaient du cabinet du Dr Parkinson. Nous avons conscience que notre vie est fichue à cause de cette histoire, alors si tu pouvais ne plus évoquer le sujet ce ne serait pas un mal.

Ce n'était pas la faute du pirate mais à cet instant elle le détestait. Parce qu'il lui rappelait l'horrible réalité, parce qu'il réveillait ses rancœurs, parce qu'il titillait la dégoût qu'elle avait à blâmer ceux qui ne cherchaient qu'à la protéger. Le gémissement de sa petite amie lui fit tourner la tête et elle contempla, désemparée, le visage humide des larmes qui venaient de le dévaler. Sans réfléchir elle la prit dans ses bras, sa main droite enfouie dans la tignasse brune de l'irlandaise tandis que la gauche s'enroulait autour de sa taille. Contre sa poitrine elle pouvait sentir le cœur de la jeune fille battre à une vitesse folle.

- Ça va aller, Mel'. On trouvera une solution. Ace... il pourra peut-être nous aider.

De l'argent et des relations, alléchant mais suffisant ? Rien n'était moins sûr. Une multitude de questions naissaient puis mourraient sans trouver de réponse alors que Syd' continuait son exposer sans même tiquer face au déballage de sentiments. On ne pouvait vraiment lui en vouloir, il ne les connaissait même pas. On n'avait pas toujours le don de compatir aux malheurs d'illustres inconnus. Il se souciait au moins de les voir se promener sans rien pour se défendre et c'était un bon point pour lui. Son ignorance avait poussé Jade à prendre des risques inutiles mais elle ne reproduirait pas la même erreur, même si...

A vrai dire, plus elle y pensait plus elle constatait qu'elle n'avait pas grand chose d'utile sur elle. Sa combinaison était un réel atout, son couteau maudit peut-être... mais ce n'était pas des armes suffisantes face à un dieu. Elie avait toujours été la préposée aux combats, c'était donc elle qui s'équipait en conséquence. Mais le temps du tourisme touchait à sa fin et il faudrait bientôt trouver de quoi se défendre. Le simple fait de s'imaginer avec une arme plus meurtrière que sa batte de base-ball mettait la psychotique mal à l'aise mais il fallait qu'elle se fasse à l'idée sans traîner.

- Merci pour l'info'... les conseils, aussi. J'ai pas grand chose d'utile mais quand on aura quitté cet endroit pour un autre plus... Elle hésita un instant, cherchant une alternative à « évolué ». ...commercial, je me constituerai un petit arsenal. D'ici là, mes pouvoirs suffiront amplement à me faire survivre.

La démonstration attendrait néanmoins. Yoake ramena la conversation sur la recherche de Ian et Jade s'apprêtait à acquiescer quand ce dernier se pointa, gai comme un pinson. D'un coup d'oeil, l'adolescente put constater qu'il était entier et en pleine forme, ce qui signifiait qu'ils s'en étaient tous sortis indemnes. Plutôt rassurant quant à leurs chances de survie tant qu'ils restaient groupés.

- Je ne sais pas quels sont tes plans Cap'tain, mais en ce qui nous concerne on doit attendre encore un peu dans le coin, que ce soit dangereux ou non. Pour passer le temps, je vous propose qu'on retourne chercher nos affaires et qu'on s'occupe avec des jeux sur le plancher des vaches et qui ne nécessitent pas de nous séparer de nos affaires... ça vous va ?

Desserrant légèrement son étreinte pour observer le visage de Melena, Jade écarta l'une des mèches brunes qui masquait le visage blême de sa petite amie et déposa un baiser sur son front. Mais malgré ces attentions, le regard d'orage fuyait le sien comme la peste, tout autant que sa propriétaire souhaitait s'éloigner du cadavre.

- Qu'est-ce qu'il y a ? Si c'est pour la discussion qu'on a eu dans le monde réel je suis désolée, tu sais... j'étais bouleversée, j'avais peur, j'avais l'impression de perdre le contrôle de ma propre vie mais je ne t'en veux pas vraiment. Quand j'ai peur je dis toujours des choses qui dépassent ma pensée, je sais bien que tu regrettes tout ce qui c'est passé autant que moi.

Comment en vouloir à ces esprits faibles d'avoir du mal à encaisser la nouvelle ? Il ne voulait pas non plus dire qu'il n'avait pas eu peur la première fois qu'il s'était fait attaquer mais à la bibliothèque, il avait tout de même été un peu plus courageux qu'eux et avait su ne pas se lamenter sur son sort.

La réaction la plus amusante à voir fut celle de Melena, bien que Jade interrompe rapidement ce manège ridicule en venant calmer et, cerise sur le gâteau, lui demander de ne plus parler de ce Marchand de Sable. Il ne put retenir un rire excédé.
- Non mais c'est l'hôpital qui se fout de la charité ou quoi ? C'est toi qui a demandé à savoir, je te rappelle ! Alors je vous donne des informations confidentielles et EN PLUS des nouvelles du monde réel mais non, bien sûr, ça ne plaît à personne et je peux me les manger. « Merci, Sydney, c'est sympa de nous avertir, tu n'étais pas obligé. » « Oh mais de rien, c'est un échange de bon procédé et j'avoue que votre ouverture d'esprit me rassure quant à votre survie ! »

Entre temps, les éructations intempestives avaient cessées, fort heureusement. Ravi de retrouver une attitude gastrique plus sociable, Sydney fit tourner en boucle les dernières paroles de Jade dans sa tête tandis qu'il marmonnait toujours en aparté des dialogues imaginaires sur le ton du reproche.
Elle aussi était recherchée, hein ? Ce n'était pas surprenant vu le manque de prudence de ces jeunes gens. Les pouvoirs ne sont pas toujours contrôlables mais il y a aussi des circonstances et il faut être alerte, conscient de ses tares.

En fait, le plus difficile échoyait encore à Sydney qui devait prendre garde à ne pas révéler ses pouvoirs quand bien même ces derniers ne relevaient d'aucun trouble psychologique. Et pourtant, il y parvenait alors c'était très probablement que les autres ne le voulaient pas tant que ça.
Milly/Jade finit tout de même par présenter ses remerciements, même si le corsaire sentait dans son ton que celle-ci ne cernait pas aussi bien que lui la gravité de la situation.

Vint la question houleuse des buts individuels, question qui, par un hasard ironique, avait toujours réussi à le caser dans des groupes dont les objectifs n'avaient rien à voir avec les siens. Si Dieu existait, alors il prenait un malin plaisir à lui refuser son indépendance pour une raison X ou Y.
- La chasse au trésor commence par la recherche du plan lui-même, matelot ! Enfin pour être un peu plus précis, je suis revenu à Dreamland parce que je croyais y retrouver quelqu'un mais maintenant que j'y suis, je m'aperçois que je n'ai aucun moyen de savoir où cette personne se trouve. Ce qui, euh... en d'autres termes.. eh bien... Je ne sais pas. Voilà. Je ne sais absolument pas dans quel coin de ce monde de merde je vais aller me faire suicider ni si ma prochaine escale sera la dernière ou non.

C'était un bien piètre portrait de lui-même qu'il dépeignait actuellement mais cet autoportrait avait au moins le mérite d'être honnête et d'aucuns diraient que c'est ce qu'on attend généralement de ce genre d’œuvre artistique.
- Et merci pour l'invitation à faire mumuse mais non, je passe. C'est stupide.
Il délaissa ainsi Jade et Melena dans leur session de mamours, de même qu'il ignora l'hurluberlu fanatique qui venait de revenir, et entama d'aller s'asseoir à une sorte de stand buvette.
Sa déception fut visible lorsqu'il constata que toutes les boissons étaient à base de pastèque. Il se détourna du comptoir mais ne libéra pas pour autant le tabouret qu'il venait d'accaparer, ce qui dérangea assez le propriétaire du stand – qui n'osa rien dire du fait du manque évident de clients après l'attaque du monstre.

Il fit brièvement le point dans sa tête, analysant la situation ainsi que la composition du groupe que les griffes du destin le forceraient à rejoindre faute d'autres boucliers à se procurer. Il songea un instant à partir seul, ce qui était tout à fait faisable bien que dangereux. Mais pour aller où, au juste ? Il ne savait même pas où il était.
- Dites-moi, chef, lança-t-il à l'adresse du barman par-dessus l'épaule, on est dans quel coin, là ? Oh, attendez : j'ai une carte, ça sera plus simple si vous m'indiquez directement.

Le commerçant lui indiqua avec précision un coin de verdure au milieu de la Jungle Pazthèque en ajoutant que le village s'appelait Téhinasthèque. Un nom parfaitement ridicule mais dans le thème du bout de monde paumé dans lequel il se trouvait. La capitale régionale la plus proche était Miquiztli, probablement la ville dont lui avait parlé Jade. C'était donc l'endroit qu'il était censé éviter sans qu'il ne sût réellement pouquoi. Il haussa les épaules et se pencha davantage sur la carte du monde. Il était bien tenté de se rapprocher de la côte, à l'occasion. Il avait toujours voulu un bateau et puisque Jake n'était pas là, c'était sans doute le moment où jamais de se lancer dans sa quête personnelle. Un pirate sans bateau, ça fout la honte. Et il était hors de question qu'on se moque plus longtemps du Capitaine Syd'.

Enfin ça viendrait avec le temps car il se rappela également qu'il n'était pas très riche, ni ici, ni dans le monde réel. Cela lui laissait deux choix plus ou moins viables et à plus ou moins long terme : travailler longtemps afin d'économiser ou bien se procurer un bateau par un autre biais, fut-il peu légal. Eh, après tout : on est pirate ou on ne l'est pas, non ?
Dans tous les cas, il fallait rester réaliste : il ne pourrait jamais se procurer un galion ou un vaisseau de ligne dès le début. Il lui faudrait gravir les échelons de la vieille école. Il commencerait probablement par un sloop, ou une corvette dans le meilleur des cas, un vaisseau capable d'être manié seul. De toute façon, niveau équipage, il ne savait pas vraiment par où commencer. Enfin si : il considérait déjà qu'il avait un second mais celui-ci était introuvable.

Yoake se tourna vers Jade qui avait su trouver les mots pour rembarrer Sydney, et la Japonnaise nota mentalement chaque information qui pouvait lui servir. Elle imaginait parfaitement la justice américaine traquer les gens anormaux, un dérapage ? Elle en avait vaguement entendu parler, mais elle n’avait pas cherché plus loin, obnubilée par ses propres problèmes, elle avait même prit un rendez vous dans un cabinet d’hypnose après ça, tu parles d’une idiotie…

Son regard se tourna vers Melena tandis que le pirate se justifiait, ce regard perdu dans le vide qu’elle commençait à connaître. Sur ce coup, elle ne pouvait pas remercier le nouveau venu c’était sur : Heureusement, Jade était là.

Peu de temps après avoir annoncée qu’il fallait mieux rechercher Ian, ce dernier se pointa tout sourire et tendit un cadeau à Melena.

Toujours le même, pensa la japonaise, il revient comme si de rien était, et il a même trouvé un cadeau pour la thanatophobe son regards passa alors sur bras du jeune homme blond, quelques gouttes de sang tombèrent du papier le colorant d’un rouge que la japonaise ne pouvait s’empêcher de détester. Blanche comme un linge, elle pensa que son hématophobie était loin de se calmer, elle se demandait même comment elle pouvait encore tenir debout.

Elle avait faim, envie de se laver et de se reposer mais elle ne savait plus vraiment dans quel ordre elle devait le faire. Cette contradiction, faisait qu’elle tenait encore debout sans savoir comment. Elle constata qu’elle avait perdue de vue le pirate et le retrouva devant un étal de boisson qui avait miraculeusement survécu à l’attaque du monstre de sable. Rassurée, qu’il ne puisse plus la surprendre, elle répondit finalement à la proposition de Jade :

- Tu as raison Jade, commençons par récupérer vos affaires… Pour le reste….

Son regards passa sur les villageois qui remontaient un à un les stands de jeux, réparant tout ce qui pouvait l’être, mais il fallait sûrement attendre quelques heures avant que la foire à la pastèque reprennent vraiment :

- ça me semble compromis pour le moment.

Quelques villageois jetaient un coup d’œil aux voyageurs comme s’ils guettaient leurs réactions.

- On peux toujours leurs donner un coup de main ça nous ferait passer le temps non ?

Bon, elle n’avait pas vraiment la motivation de bouger et son corps réclamait avant tout le repos, mais elle ne voulait pas paraître si faible, surtout que ce n’est pas son fouet qui avait détruit la bête. Son regard passa alors sur le corps squelettique de Bald, Tout en écoutant les réponses de ses amis.

- Eloignons-nous d’ici, on aura le temps de décider quoi faire ensuite.

Son regard s’attarda sur le pirate au loin, il avait dit ne pas vouloir profiter de la foire avec eux, alors qu’il reste à la buvette s’il le souhaitait…, mais dans un sens, l’hématophobe pourrait-elle retrouver son envie de rire et de sourire  qu’elle même avait perdue avec l’apparition du monstre.

Elle suivit ses amies et remarqua que Jade parla à Melena en douceur tentant de la rassurer. Pourvu que ça marche pensa alors la japonaise avec espoir, car elle-même ne savait pas comment rassurer la thanatophobe.

Sans un mot elle laissa un peu d’intimité au jeune couple en passant devant. Son regard perdu au loin, vers la consigne qui tenait encore debout, une chance pensa-t-elle.

- En fait Jade…

Dit elle après quelques minutes en se tournant vers le Duo :

- C’est impressionnant, tu peux soigner les gens rien qu’en les touchants, et puis cette monture…

Elle ne termina pas sa phrase, se demandant quel pathologie pouvait lui apporter autant de pouvoir positif alors que Melena et Elle se retrouvait affublé de pouvoir sordide avec des conséquences qui leurs impliquaient de se confronter sans cesse à leurs phobies respectives… La thanatophobe devait penser à la même chose qu’elle à présent… Peut-être avait elle fait une erreur en parlant de ça… Après tout que connaissait-elle de Jade, peut-être était-elle phobique elle aussi. Pourtant, l’hématophobe ne pouvait ignorer que le pirate et elle l’avaient sauvé tout comme Melena d’ailleurs. En ce moment, elle se sentait tellement redevable qu’elle ne trouvait plus les mots pour remercier convenablement. Il fallait qu’elle devienne plus forte pour ne plus avoir à le faire.

Les bras de Jade qui l’enveloppèrent chassèrent définitivement les voix dans sa tête. Si elles avaient été seules, Melena aurait fondu en larmes. Toute cette culpabilité lui pesait tellement… elle n’était pas faite pour ça. Avant Parkinson, sa vie se résumait à aller en cours, lire des livres et feindre s’intéresser à son avenir. Multicriminelle ne faisait pas partie de ses options. Elle se noyait complètement et c’était encore plus horrible de le savoir. Si Ace pouvait les aider ? Peut-être. Le voudrait-il ? Pas sûr. Oh oui il protégerait la psychotique, parce que c’était dans sa tête que se cachait sa petite amie. Mais il n’avait plus aucune raison de s’encombrer de la thanatophobe.

Au moins, la bonne jumelle avait envoyé bouler le paranoïaque et ça, c’était un progrès. Peut-être se rendrait-elle compte qu’il était néfaste pour leur groupe ? Comment faire confiance à quelqu’un qui se méfiait de tout le monde ? C’était assez surprenant en soi qu’il ait participé à l’élimination de la chimère de sable. Dans tous les cas, pendant que le pirate déclinait l’invitation à se joindre à eux, Ian était revenu et se planta devant l’irlandaise, encore blottie dans les bras de son ange gardien. Elle vit d’un œil à moitié dissimulé par ses cheveux d’ébène la broche colorée qui lui était offerte. Après quelques secondes d’hésitation, elle leva l’une de ses mains d’ivoire pour accueillir le présent.

- Merci, souffla-t-elle d’une voix éteinte.

Elle ne comprenait pas. Ces gens qui l’appréciaient alors qu’elle était l’incarnation du malheur. Melena ne se souvenait pas s’être montrée particulièrement agréable avec l’hyperactif mais pourtant, celui-ci avait beau être blessé et à moitié nu, voilà qu’il lui faisait des cadeaux. L’adolescente ferma les yeux. Ce monde n’avait plus aucun sens. Sydney s’était éloigné, Yoake attirait leur attention sur le fait que les attractions n’avaient pas encore officiellement reprit et Jade… s’écartait pour la regarder. Le baiser sur son front diffusa dans tout son corps fragile une sensation de réconfort indicible mais ses orbes orageux se défilaient. Encore.

Ce qu’elle avait ? Au mon dieu, si elle savait… était-elle prête à l’entendre ? La nécrophobe se sentait comme au bord d’un précipice. Elle pouvait mentir et vivre avec la peur de tomber ou bien se jeter et voir ce qui l’attendait en bas. Sans vraiment le vouloir, elle trouva enfin les yeux de la bonne jumelle. D’un bleu limpide et sincère. Le visage n’était plus le même, mais la sensation qui l’embrassait quand elle croisait ce regard était intacte. Ensorcelant. Melena avait pris sa décision. Si elle ne parlait pas à sa petite amie, alors elle ne parlerait à personne et ce serait pire. Bien pire.

Ils étaient au moins d’accord pour aller récupérer leurs affaires. L’irlandaise laissait le soin à Jade de décider si après ça, il convenait de s’amuser ou d’aider les locaux à réparer les dégâts. Après s’être assurée que le pirate s’était éloigné – visiblement pour se souler comme tous les marins – et que Yoake prenait les devants accompagnée de Ian, la brunette profita de l’instant de pseudo-intimité. En marchant, elle serrait l’une des mains de la psychotique et ses mots mirent plus de temps qu’elle ne le voulut pour atteindre ses lèvres.

- Je… euh… je deviens folle Jade… je veux dire… vraiment, elle se mordit les lèvres, tout était si irréel, j’entends des… voix. On dirait toutes les personnes que j’ai… tué ou utilisé. Mais elles sont dans ma tête… et elles n’arrêtent pas de m’appeler… ou de me parler…

Voilà. C’était dit. La bonne jumelle était libre de la laisser tomber désormais. Qui voudrait d’une petite amie qui perd les pédales ? « Même » elle n’en voudrait pas. Aux yeux de Melena, la portoricaine n’était pas malade. Sans doute parce qu’elle avait connu les deux personnalités séparément, elle ne pouvait pas imaginer qu’elles cohabitent dans le même corps. Maintenant que la valve était ouverte, l’irlandaise ne voulait plus s’arrêter. Quelque part, sa conscience était soulagée.

- Quand je te cherchais j’ai dû… passer par un village… ces mecs nous ont pris en stop, j’ai été bête, j’ai accepté… en fait ils voulaient nous manger. Comme des animaux, on était des proies. Et j’ai… j’en ai tué tellement si tu savais… j’avais tellement peur, mais je devenais quelqu’un d’autre…

Elle ne s’était même pas rendu compte que des larmes avaient coulé sur son visage de craie. La consigne n’était plus très loin. L’irlandaise essuya ses yeux humides au moment où l’hématophobe se retournait pour soulever la nature des atouts de Jade. Cette fois, la brunette était trop centrée sur ses propres aveux pour percevoir l’amertume dans la voix de la japonaise, mais elle réussit à accrocher un faible sourire sur ses lèvres pâles en commentant :

- Oui, elle est géniale.

Ian était content !
Elle n'avait eu l'air de rien comme ça mais il avait bien vu que Melena avait été émue par son cadeau. Certes, il n'était pas suffisamment important pour lui tirer un sourire mais tout de même, elle l'avait remercié; de toutes manières il n'y avait rien d'autre par ici et les poteries c'était fragile.
Un coup d'oeil rapide l'informa que le groupe n'avait pas l'air des plus joyeux; d'ailleurs le type que Milly appelait Cap'taine partait vers la buvette et tout le monde en semblait soulagé; pourquoi ? Il avait l'air sympa pourtant et puis c'était un héros !

Il décida d'emblée de laisser les filles aller récupérer leurs affaires et se dirigea à grands pas vers le stand où le capitaine était attablé devant rien.
Sans montrer qu'il était intimidé par le personnage, il s'installa sur le tabouret d'à côté et commanda une téquila-pastèque en chantonnant « Hissons nos couleurs » du film « Pirates des Caraïbes » simplement parce que le gus leur ressemblait un peu; cela faisait un bon préambule.
Tu as des médailles ? Demanda t-il histoire d'entamer la conversation, parce que tous les capitaines ont des médailles... Enfin, peut-être pas les pirates, tu me diras...
C'était étrange, son visage lui disait quelque chose, son attitude générale aussi et cet air mal aimable de celui qui est toujours à deux doigts d'exploser de colère...
Tiens, tu devrais goûter, c'est pas mauvais. Ajouta t-il en poussant son verre vers son voisin et si tu en veux un je te l'offre.
« Ah, oui ! » se dit-il... Pourtant non, il ne lui ressemble pas vraiment... A moins que...
Tu as un bateau à Dreamland ? Moi j'ai pas grand chose mais j'ai de la tune et quand j'aurai dépenser ma centaine de rubz j'en gagnerai cinq cents, j'ai compté !

Ian se dit qu'il aimerait bien être moussaillon sur un bateau de pirate avec ce capitaine; ils seraient deux bons potes, attaqueraient le moindre rafiot, s'empareraient des trésors et auraient une fille dans chaque port, la belle vie quoi !
Enfin, je veux dire, si tu n'en a pas encore ici, je pourrais t'aider à en voler un si tu veux. Et comme le type semblait un peu étonné il ajouta: bah oui, les pirates n'achètent pas de bateaux, ils les piquent !
Le jeune homme repartit dans ses pensées; un problème le taraudait.
Moi je viens d'arriver; c'est cool Dreamland, j'aime bien, on s'amuse bien ! Lança t-il de but en blanc.
Tout à coup la lumière se fit dans sa tête; du coup il regarda son comparse avec de grands yeux étonnés où se lisaient le respect et l'embarras mêlé et ajouta en reprenant son verre:
excuse-moi, je ne voulais pas te forcer; c'est vrai que quand on a un père alcoolique, on évite...
La découverte était phénoménale, c'est sûr, il entrerait à son service dès que possible.
Le problème restait que Ian n'avait jamais navigué; il faudrait s'exercer.
L'homme semblait avoir une habitude, un tic presque: il se retournait constamment comme s'il avait peur que quelqu'un l'attaque dans son dos.
C'était normal; tous les marins faisaient cela, surtout les pirates; il fallait savoir être méfiants !
Le jeune homme s'exerça donc.
Il prit un air soupçonneux, fronça les sourcils, bomba le torse et jeta à la dérobade des regards noir par dessus son épaule; le type apprécierait l'effort, c'était certain !

J'aime bien Milly, c'est une pote, dit-il pour combler le silence. Je l'ai rencontré dans la jungle, elle était avec un mec pas bavard avec du feu dans ses cheveux et une batte comme Yoake, on est même monté sur le dos d'un éléphant !
Sa maman lui avait toujours dit qu'il fallait faire la conversation aux gens importants et leur raconter des choses intéressantes afin de les divertir cela leur plaisait et là, il avait en face de lui une pointure !
Il dévisagea encore le pirate et se dit que oui, c'était certain à présent, la ressemblance était flagrante: il ne tenait pas de son père mais de sa mère; il en était même le portrait tout craché; presque.
N'empêche, cela n'avait pas dû être évident de passer son enfance avec une femme qui chantait à longueur de journée « Est-ce toi Marguerite » en s'admirant dans un miroir et un père toujours absent; il avait dû souffrir de solitude... Restait le château, les bijoux et les bouteilles de rhum malgré tout.

Ian avait fini son verre, il fallait payer.
HOLLY BEANS ! Hurla t-il en ouvrant son sac et en découvrant les bottes rouges et blanches fourrées, encore un cadeau de Dreamland ! Continua t-il en présentant sous le nez du capitaine les chaussures kitch.
Trop cool, je vais les enfiler tout de suite !
Tout en alliant le geste à la parole, il rassembla mentalement les éléments de sa trouvaille: le capitaine Hadock et la Castafiore avaient fauté en catimini à Moulinsart, un enfant était né de cette union puis caché au grenier afin que personne ne le sache. Et lui, Ian Sparrow avait l'honneur de boire un verre avec CE fils, c'était pas rien tout de même !
Tu comptes embarquer quand ? Demanda t-il en admirant ses pieds.

Assurément susceptible et potentiellement parano', Sydney avait visiblement mal pris le désir de Jade de mettre un terme à la conversation qui dérivait vers leur glorieux futur carcéral. Un sourcil haussé, la psychotique le fixa un moment sans comprendre de quoi il s'offusquait puis, enfin, réussit à comprendre l'amalgame qu'il avait fait. Elle secoua la tête pour lui signifier qu'il faisait fausse route et retorqua, un léger sourire au coin des lèvres :

- Et j'ai dit merci, capt'ain. C'est pas l'exposé sur le marchand de sable qui posait problème, c'était juste... tu sais, ça ne fait jamais très plaisir de se souvenir qu'on est attendu par des flics à la maison. C'est pas contre toi, vois ça juste comme un relent général d'émotivité ok ?

Qu'il accepte ça comme la vérité ou non, il aurait tout le temps de se pencher dessus vu qu'il avait l'air tout sauf décidé de leur tenir compagnie. Il n'aimait pas les jeux ? Tant pis ! Malgré l'attaque, cette journée restait l'une des plus belles que la bonne jumelle ait connu et elle comptait bien ne pas la finir dans l'angoisse. Elle avait assez noyé son chagrin dans l'alcool pour la journée et, avouons-le, les gueules de bois n'étaient vraiment pas un cadeau. Si Sydney voulait ruminer la disparition de son compagnon, c'était dommage pour lui. Même si... avec Ian sur les talons il y avait fort à parier qu'il n'en aurait pas le loisir. L'hyperactif avait le don de vous occuper l'esprit jusqu'à l'overdose. A cette pensée, elle ne put s'empêcher de pouffer derrière sa main.

Une fois les hommes abandonnés au bar, les filles se retrouvèrent en petit comité, toutes en accord sur la suite du programme. Enfin, plus ou moins. Yoake avait l'air bien décidée à jouer les bénévoles et Jay n'était pas sure de vouloir la suivre sur ce coup là. Primo, ils risquaient de gêner plus qu'autre chose vu qu'ils n'avaient aucune idée de la manière de réarranger les choses après l'étape du déblayage ; secondo elle se sentait bien trop fatiguée pour se lancer dans des travaux physiques de grande envergure. Même si ses parents lui avaient appris à être généreuse et à aider son prochain, l'adolescente ne pouvait s'empêcher de nourrir le désir égoïste de ne rien faire. Et puis Melena avait besoin d'elle, non ?

- Je sais pas... on va juste traîner dans leurs pattes et leur faire perdre du temps. Je ne me souviens même plus de quelles attractions se trouvaient là et je n'ai aucune idée de comment construire mieux qu'un château de carte.

La bonne jumelle leva les mains en signe d'impuissance... juste à temps pour réceptionner un cadeau tombant du ciel. Elle était pourtant certaine de ne pas avoir utilisé son pouvoir, alors quoi ? Une surprise du Père-Noël ? Elle déballa le présent avec une certaine curiosité et soupira de soulagement en constatant que la boite ne contenait qu'une paire de bottes. Avec le passif du bonhomme, elle aurait été prête à découvrir une bouteille de whisky alors voir un objet aussi normal était plutôt réconfortant.

- Joyeux noël, je suppose ? Non mais c'est vrai, une heure après halloween, quoi de plus logique ?

Comme pour souligner la blague que cela représentait, le soleil sembla briller plus fort pour les inonder d'une chaleur qui n'avait rien à faire au mois de décembre. La suite par contre fut à prendre bien moins à la légère. Le moins qu'on puisse dire était qu'elle était complètement à côté de la plaque quand elle avait supposé que Mel' s'en faisait pour le monde réel. Voilà que cette dernière lui annonçait devenir folle, rien que ça ! Qu'elle entendait des voix ! Et que penser du cannibalisme et des meurtres de masse ?

Jade resta silencieuse jusqu'à ce que sa petite amie ait fini son récit, l'air grave. S'ensuivit de longues secondes de silence qui ne furent brisées que par l’événement le plus incongru dans cette situation : un rire. C'était plus fort qu'elle, impossible de se retenir. Elle en avait presque les larmes aux yeux et ne réussit à se calmer qu'après avoir plusieurs fois inspiré profondément.

- Mel'... on est tous dingues. Et question voix dans la tête, je crois que tu t'adresses à la spécialiste du genre. Je souffre d'un dédoublement de la personnalité, tu te souviens ? C'est pas moi qui vais te juger sur ce genre de choses. Elle ébouriffa la chevelure de l'irlandaise et reprit avec un sourire doux : Des choses horribles, tuer des gens... qu'on le veuille ou non c'est devenu notre quotidien. Je sais que tu n'es pas une tueuse dans l'âme, t'es quelqu'un de bien. Si tu as fait ce que tu as fait, c'était pour survivre. Et pour sauver Yoake, non ? Pour que vous soyez devenues proches aussi vite, ça ne peut qu'être ça.

Est-ce que c'était de la jalousie qu'elle ressentait ? Non... pas vraiment. A vrai dire elle n'était pas capable de s'en rendre compte et après tout ce n'était pas ça qui était important. Ce qu'elle avait à faire, là maintenant, plus que marquer son territoire en faisant pipi sur le premier sapin venu, c'était faire réaliser à sa compagne de toujours qu'elle n'était pas le monstre qu'elle s'imaginait. Elle avait encore un long chemin à faire avant la camisole, foi de Martins !

- Quand ça t'arrive, rumine pas ça toute seule. Parles-en. Tu sais... on a tous des voix qui nous murmurent des choses pendant les situations de crise. C'est... je sais pas, notre subconscient peut-être. Nos peurs refoulées, nos désirs profonds, notre ressentiment. Tous ces sentiments profitent de notre faiblesse pour nous sauter au visage toutes griffes dehors. Mais t'es pas toute seule face à ça. N'essaye pas de porter le monde sur tes épaules ma belle !

La bonne jumelle lui adressa un sourire engageant dans l'espoir d'être cru. Elle savait ce que c'était pour l'avoir vécu mille fois, mais c'était toujours une épreuve que de franchir le pas et admettre que d'autres partageaient votre situation. Se voir comme un démon ou un martyr devait être un mécanisme quelconque de leurs cerveaux détraqués, il fallait juste prendre du recul et passer le cap.

D'ailleurs l'hématophobe semblait avoir compris le concept, orientant la conversation vers un sujet moins noir. Une façon de souligner que ce n'était pas la fin du monde ? Peut-être, qui sait ? Ça tombait à pic en tout cas, même si... ça mettait toujours la psychotique un peu mal à l'aise d'être ainsi admirée pour des choses qui ne tenaient qu'à son dédoublement de personnalité.

- Oh, ça... mes pouvoirs sont pas tous charmants tu sais. Même si c'est plutôt l'autre qui s'y colle pour les mauvais aspects, comme se changer en loup-garou. Au début elle se retrouvait tout le temps à poil parce qu'elle craquait ses vêtements. Tu imagines le malaise? Elle s'ébroua pour chasser ces images de sa tête -et la honte par la même occasion- Mais j'ai plutôt hérité des choses sympas, c'est vrai. Comme passer au travers de tout. C'est probablement parce que je suis l'une des pires froussardes que les deux mondes aient porté, et là c'est pas très glorieux. Enfin bref, le fait est que seule, je ne suis pas très utile. Avec Elie on est bien plus fortes, même si ça veut dire faire l'effort de s'entendre.

Le pirate profitait enfin d'un peu de calme, de sérénité. Il sentait déjà ses épaules perdre de leur raideur mais non. Non, c'était trop beau, trop pur, un tel moment ne pouvait pas durer. Et il ne dura pas : le fanatique hyperactif avait, semble-t-il, jeté son dévolu sur le paranoïaque qui lâcha un râle discret de mécontentement. Il soupira. Qu'est-ce qu'il lui voulait, l'hurluberlu ?

Au moins ce dernier avait de la culture cinématographique pour chantonner l'air de Pirate des Caraïbes. Mais Sydney décida qu'il en fallait plus pour l'amadouer et que tout le monde était capable d'en faire de même.
- Des médailles ? Non, j'ai pas de médailles. Par contre j'ai vu un vrai trésor, un jour. Et oui, effectivement : les pirates n'ont pas de médailles, sinon ça s'appelle un « corsaire ».

D'un geste de main qui se voulait le plus amical possible malgré la réticence certaine, Sydney repoussa doucement le contenant de jus de pastèque. Boire derrière quelqu'un, c'était déjà pas jojo alors en plus accepter un verre comme ça, non. C'est comme ça qu'on finit empoisonné.
Le curieux enchaînait les questions en rendant le capitaine plus mal à l'aise à chaque fois. Ce type était comme un raz de marrée : à peine on se relevait de la première lame qu'une seconde venait vous coller le cul par terre à nouveau. Incroyable d'avoir un tel débit d'incohérences !

D'ailleurs, de quoi il parlait, là, avec son histoire de 500Rbz ?! Syd' écarquilla les yeux et fixa Ian comme s'il s'agissait d'un extraterrestre faisant son come-back ; l'incompréhension se lisait sur son visage.
Il détourna finalement le regard et finit par hausser les sourcil tout en soupirant. Celui-là, c'est clair : il en tient une couche ! Il agrémenta tout de même le semi-vide qu'on lui laissait pour seule opportunité de formuler une réponse par un pouce levé en feignant d'être impressionné.
A l'adresse du barman, il souffla, dépité :
- Pourquoi je suis un aimant à abrutis ?
- Padon ? lui répondit le gérant.
- Rien, un verre d'eau, s'il vous plaît.

On lui servit son verre d'eau rendue chaude par le soleil. Il joua un peu avec le gobelet, le faisait pivoter dans un sens et dans l'autre tandis que le torturé du bulbe poursuivait avec passion son avalanche de reproches passif-agressifs.
- Ça va, j'ai compris l'idée, moussaillon ! Tu vas quand même pas me faire un dessin, si ? Et laisse-moi te dire une chose, non : Dreamland n'est pas « cool ». On ne s'amuse pas « bien », ici. C'est l'enfer déguisé en conte de fée alors te laisse pas avoir. T'as bien vu le monstre de tout à l'heure, non ? C'était pas un JEU, c'était réel !

Jamais il n'eut autant l'impression de parler dans le vide. Ce gus avait écouté, pourtant, mais à peine une demi-seconde plus tard, son visage se recomposa et il reprit son babillage incessant. Et pour quel résultat, en plus ?
- Hein, quoi ? Mais mon père est pas...
Sans le remarquer, Sydney s'était mis à se retourner par intermittence dans l'espoir qu'il ne s'agisse que d'une mauvaise blague, d'une caméra cachée ou même que quelqu'un lui vienne en aide. Non, hélas, la place était désespérément vide et les gens se désintéressaient totalement de sa détresse. Son sang se glaça lorsque le fanatique l'imita. Est-ce que c'était pour se foutre de lui ? C'était plus que probable vu la tournure de la discussion. C'était une farce et le paranoïaque au bandana en était le dindon.

Ou alors... Ou alors ce mec essayait de faire une sorte de diversion dans le but de faire perdre son temps à Sydney afin de permettre à un quelconque groupuscule dangereux de commettre quelque méfait ou sombre dessein.
A partir de cet instant, à chaque fois que l'hyperactif se retournait, Sydney ne pouvait pas s'empêcher de regarder par-dessus l'épaule de ce dernier, espérant discerner ce que l'autre tentait de lui cacher. Son stress grimpait en flèche. Il attendait le Biip d'un instant à l'autre.

La discussion portait à présent sur Milly et cela n'arrangea pas l'angoisse du pirate. Le stratagème ne le désignait donc pas comme victime mais comme allié à détourner. La cible, c'était la jeune femme et ses amies... Quel salaud, il avait bien joué son jeu ! Plus ça allait et plus cette histoire sentait le sapin.
- Attends, quoi ? Un mec avec... des cheveux en feu ?! Jake !!
Le cœur de Sydney rata un coche à l'idée que ce dernier soit devenu une cible de ces terroristes de l'ombre. Il avait envie de hurler, d'étrangler ce déglingué, de courir... mais pour aller où ? Le cadeau qu'il avait fait à son ami avait été la seule chance qu'il avait de retrouver son second. Peut-être que ce machin avait fonctionné, finalement, mais ne possédait pas l'exactitude qu'on lui prêtait à priori, ce qui serait logique en fait, pourvu que ça se vende.

Le hurlement d'euphorie du grand blond fit sursauter le corsaire. Il écarta d'un doigt les bottes qu'on lui plaquait devant les yeux avant de regarder sans broncher, comme un cerf effrayé, le gus enfiler son nouvel attirail partiel de Père-Noël et lui poser une nouvelle question n'ayant que peu de lien avec ce qui venait de se passer.
- Embarquer ? Je.. euh... Non mais attends : tu comptes sérieusement garder ces bottes vu la chaleur qu'il fait ?
Étonnement, il se détendit en voyant le sourire de gosse de son interlocuteur. Non... c'était juste impossible qu'un complot de cette envergure soit mené par ce type... Il était juste con. Très con.
Médusé, Sydney s'affala sur le comptoir, vidé de son énergie à force d'avoir trop angoissé. Pour peu, on l'aurait pris pour un paranoïaque. Le manque de sommeil était vraiment un fléau.
- Je sais pas, j'embarque pas, moi... Et puis je sais même pas qui tu es, toi ! Qu'est-ce que tu veux savoir à propos d'embarquement, bordel de merde ?

Tenaillé par une appréhension qui refusait de le quitter, le boucanier se leva et invita Ian à le suivre d'un hochement de tête.
- Allez zou, matelot : on met les voiles. J'en ai déjà ma claque d'être assis.
Il délaissa ainsi son verre d'eau qu'il n'avait de toute manière pas l'intention de boire et se mit en route dans la direction que les filles avaient empruntée.
Il les retrouva finalement au détour d'une attraction et se contenta de les regarder de loin, rassuré de constater que pour une fois, il s'était trompé.

Sa mémoire décida de lui repasser la fin de conversation avec Jade-Milly. Un « relent général d'émotivité » ? Admettons, on va dire. C'est évident qu'apprendre ça ne fait jamais plaisir mais il se serait attendu à un peu plus de gratitude, lui qui apportait des nouvelles du monde réel. Au lieu de ça, il se sentait quand même rejeté et la présence de Melena ne faisait que creuser davantage le fossé qui le séparait de ce groupe hétéroclite.
Le capitaine au bandana reporta son attention sur Ian. Maintenant que les présentations étaient faites, il se sentait un peu plus à même d'essayer d'envisager de comprendre cet oiseau exotique qu'il avait en face de lui.
- Et sinon, t'es là pourquoi, toi ? Histoire que ça m'épargne le gâchis d'une page. Et seconde question avant que tu recommences à faire le perroquet pendant 3 plombes : t'es sûr d'avoir croisé Jake, le mec aux cheveux enflammés ? Tu sais par où il est parti ? S'il est arrivé ici ? C'est vraiment important alors par pitié essaye de te concentrer juste... cinq secondes.

La Japonaise avait profité de passer devant pour réfléchir sur la réponde de Jade. Elle avait raison, Yoake ne maîtrisait pas le montage de stand, et même si elle aurait pu remettre les étales en place, elle ne savait pas vraiment si elle allait tenir la journée debout.

Au moment où elle sortit ses compliments sur la psychotique, Melena lâcha qu’elle était géniale ce qui n’étonna pas la Japonaise et Jade partit dans une description assez détaillée de ses pouvoirs. Elle avait beau dire, se transformer en loup-garou, ou passer à travers les murs, c’était le top… Et qu’importe les quelques désagréments. Bon d’accords, se retrouver nu devant tout le monde ce n’est pas terrible, mais apparemment son pouvoir a évolué depuis.

Elle comprit aussi que la psychotique n’était pas seule. Elles étaient plus fortes à deux est-ce que c’est ça l’origine de son pouvoir ? Et pourquoi les pouvoirs augmentaient selon le nombre de personnes ? Jade lui en parlera peut-être un jour pensa-t-elle.

- Se transformer en loup-garou… Ou même devenir immatériel, c’est super stylé. Si tu veux, on échange et je te laisse mes pouvoirs de Sado-maso.

Répondit l’hématophobe plus pour plaisanter que par envie… Elle savait bien que ces pouvoirs faisaient parties d’elle et qu’ils l’avaient sauvé plus d’une fois… Aussi fallait-il les accepter. Mais c’était vrai qu’entre blesser les autres quand elle se blessait et son fouet de sang, c’était plutôt voir même des pouvoirs très tendancieux.

Une fois arrivée à la consigne, la Japonaise laissa ses amies récupérer leurs affaires quand un paquet portant son nom retient son attention. Elle défit le paquet, sortit les bottines et la couverture et ne put s’empêcher de dire :

- Chouette, c’est exactement ce qu’il me manquait.

Elle rangea ses affaires dans son sac et faillit perdre le billet qui tomba sur le sol, le sourire de la Japonaise s’agrandit.

- C’est noël avant l’heure ou quoi ?

Elle rangea le ticket de l’hôtel dans sa bourse qui commençait à peser et remit le tout sur ses épaules. Elle réajusta aussi son chapeau et regarda autour d’elle cherchant quelque chose d’intéressant pour la suite. C’est à ce moment qu’elle crut voir le pirate et Ian, mais ne bon ça ne servait à rien de s’inquiéter pour eux que risquaient-ils, le danger était maintenant écarté non ?

La Japonaise se tourna alors vers ses amies qui avaient récupéré chacune récupérée leurs affaires. Il était temps de décider quoi faire si elle ne voulait pas rester planter devant la consigne.

- Donc on laisse tomber, la mission humanitaire de la foire à la pastèque, ça me va aussi, je n’ai pas envie de me prendre un stand « made by Jade » sur la tête.

Elle croisa un moment leurs regards se demandant un peu ce qu’elles avaient en tête avant de dire finalement ce qu’elle avait vraiment envie :

- On peut aussi se trouver un coin tranquille, pour manger, boire, discuter et surtout nous reposer avant la soirée… Enfin si elle est toujours maintenue.

Elle pensa un moment que le couple qu’elle voyait en face d’elle voulait peut-être se retrouver toutes les deux, pour profiter de leur retrouvaille, surtout que le monstre de sable avait fait une drôle d’impression à Melena, Yoake l’avait trouvée beaucoup moins active qu’a Riven Town.

- Après je peux vous laisser toutes les deux.

Ajoute-t-elle en faisant un clin d’œil

Un rire. Elle confiait à sa petite amie qu’elle perdait les pédales et cette dernière… éclatait de rire. Le plus étrange, c’était que Melena se sentit soudainement soulagée d’un poids. Comme si ce sentiment autodestructeur qui la rongeait comme un cancer en phase terminale était un épouvantard. L’hilarité de la psychotique l’avait fait voler en éclat et le monde devint plus lumineux. Un sourire rayonnant illumina le visage pâle de l’irlandaise qui se félicita d’avoir sauté le pas. Au bas de la falaise, elle ne s'écrasait pas, elle découvrait qu'elle savait voler.

Jade ignorait à quel point elle comptait. Elle était l’unique personne capable de l’empêcher de perdre la raison et cette d’acceptation lui redonnait espoir. En quelques mots, elle venait de lui faire rentrer dans le crâne ce que ni Elie, ni Ace, n’étaient parvenus à lui faire entendre. Sans elle… la thanatophobe n’était qu’une fillette terrifiée dans le noir.

La chape de plombs sur ses épaules frêles s’était envolée. La brunette entreprit de recoiffer à la hâte ses cheveux fins qui masquaient sa vision après qu’ils aient été ébouriffés par la bonne jumelle. Cette dernière était occupée à dévaloriser ses propres pouvoirs. Melena leva les yeux au ciel et fit une petite grimace désapprobatrice que la concernée ne pouvait pas voir. A son opinion, toute faculté qui n’impliquait pas le besoin d’approcher un cadavre était un don, mais elle comprenait la complexité de ceux de la psychotique. Jade et Elie étaient antinomiques, séparées par trauma, alors… comment faire pour qu’elles s’entendent ? Elles étaient si différentes que la nécrophobe aurait juré fréquenter deux personnes différentes.

Les trois acolytes avaient retrouvé les consignes. La queue était bien moins importante qu’au moment de déposer leurs affaires. Puisque les deux inséparables étaient seules dans la file, l’irlandaise mit un léger coup de hanche à sa meilleure amie pour attirer son attention, un sourire timide sur ses lèvres pâles.

- Merci… merci, vraiment.

D’un geste souple, elle écarta de son regard une longue mèche de cheveux noir et fit mine de s’intéresser à la bonne femme qui gérait la remise des effets. Si elle attardait ses orbes d’orage sur la bonne jumelle, elle risquait de l’embrasser. Malgré sa bonne humeur définitivement retrouvée, Melena ne fut pas mécontente de recouvrir son attirail intégral. Elle avait presque oublié comme sa hotte était encombrante et c’était sans compter que trois cadeaux à son attention s’y étaient glissés. Des bottes et une couverture assortis, ainsi qu’un bon pour une nuit. Le révolver qu’elle rattachait à sa taille gracile lui procurait une incroyable sensation de puissance. Illusoire mais encourageante. En plus, Sydney et Ian avaient eu la judicieuse idée de partir ensemble ! L’adolescente n’était donc entourée que de personne qu’elle appréciait.

- Toi aussi tu as eu des cadeaux ? demanda-t-elle en revenant près de Yoake, ça doit être l’esprit de Noël qui s’amuse. Entre lui et celui d’Halloween, je crois qu’ils ont perdu leur calendrier depuis belle lurette.

A la remarque de la japonaise sur la qualité d’un stand qui aurait été réparé par Jade, l’irlandaise rit en regardant sa petite amie avec affection. Elle se sentait tellement légère avec ses deux comparses, sa conscience apaisée, qu’elle n’avait pas envie d’arrêter de rire. Oui elle était lunatique. Oui elle était folle. Mais elle emmerdait tout le monde… et « ça » c’était beau. En cet instant, la jeune fille songeait que même la prison serait supportable si elle traversait cette épreuve avec la psychotique.

- Tu te moques de ma petite amie, tu mériterais qu’on t’abandonne effectivement, rétorqua Melena en feignant retenir son hilarité, qu’est-ce que tu en dis ? demanda-t-elle à Jade avec un faux air sérieux.

Elle glissa sa main derrière la taille de la bonne jumelle. Ce genre de geste devenait naturel, c’était bon. Finalement, il suffisait bien de laisser se faire les choses. Elles étaient deux cinglées, deux adolescentes sans expérience, et avaient une aventure en commun dont aucun mec ne pourrait se vanter. Ça pouvait ne pas être si mal…

- Je veux bien aller au bal dont n’arrête pas de parler Ian, ajouta l’irlandaise avec un petit sourire intimidé, seulement si tu es ma cavalière.

Ian nageait dans la bonhneur le plus intense.
Le fils du capitaine Hadock, lui-même capitaine ayant déjà vu un trésor lui avait prêté attention. Mieux, il avait même répondu à ses questions sans paraître troublé par sa rapidité d'élocution alors que le commun des mortels aurait déjà été perdu.
C'est sûr, il ne l'appellerait plus désormais que Capitaine avec un C majuscule; il serait son Patron.
Il avait bien vu qu'il avait été à la hauteur de la leçon élémentaire de méfiance puisque le Capitaine en avait même rajouter, allant jusqu'à vérifier avec méfiance sa propre méfiance; il était fort.
Ah comment il allait prendre soin soin du vaisseau !
Le pont serait briqué tous les jours, le bois serait ciré, la machinerie serait graissée, les cuivres luiraient comme de l'or. Il monterait régulièrement à la hune et crierait TEEEERRRE ! ou A L'ABORDAAAGE ! Prendrait l'épée si besoin, se chargerait de pendre haut et court les récalcitrants, trierait les trésors et les rangeraient dans la cachette secrète...

En plus le Capitaine était très intelligent et surtout réactif: il avait accepter la proposition d'aller voler un bateau sans même avoir besoin d'un dessin donc d'un plan, ce qui revenait au même.
Ce que Ian ne comprenait pas c'était pourquoi l'individu considérait Dreamland comme un endroit dangereux, un enfer...
Là il parlait comme Yoake avec ses cannibales donc comme tout le monde; où était la ruse ?
Ian regarda quelques instants SON Capitaine avec un air surpris puis ayant compris le message caché lui envoya un grand sourire avant de répondre:
non, ne t'inquiète pas, je ne mettrai ces bottes quand je serai sur le vaisseau, là c'est juste pour faire rigoler les nanas au bal qu'il y aura ce soir !
Ian était fier, il avait répondu juste, au point que le Capitaine semblait très rassuré, il se détendait même à l'idée d'avoir un mousse aussi intelligent, ce qui était rare en ce qui concerne le petit personnel.

Il avait bien vu que le monstre n'était pas vraiment un jeu, il n'était pas si bête; d'ailleurs il avait été blessé avec du vrai sang qui coulait; il aurait même pu mourir mais tout de même, à part ce détail, l'endroit était fun.
La seule ombre au tableau était qu'il aurait vraiment aimé pourvoir dire à sa maman qu'il allait bien, qu'il s'amusait et qu'il avait beaucoup amis afin qu'elle ne soit plus malheureuse de le voir inerte sur un lit d'hôpital et surtout...
Une vision d'horreur traversa son esprit déjà encombré par l'idée qu'il avait proposé à Yoake un échange entre le chapeau fromage et ses caches oreilles, le chien qu'il n'avait pas trouvé, Gaston qui lui faisait la tronche, la chanson dont il ne se rappelait plus les paroles, le rendez-vous à prendre chez chez le coiffeur, etc.
Vivement il se tourna vers le Capitaine et demanda: il n'y a pas de téléphone ou quelque chose du même genre ici, pour prévenir les gens du monde réel de quelque chose de grave ?
Après un temps il ajouta:
c'est juste que là-bas faudrait pas qu'ils débranchent la machine sinon je suis cuit !

Le Capitaine avait pris un air de circonstance. Il avait bien compris qu'un jour où l'autre les médecins proposeraient de débrancher le matériel en annonçant: « mort cérébrale, il n'y a plus rien à faire... »
Pris de pitié il avait même annoncé ne plus vouloir embarquer sans son apprenti. Il avait même juré mais ça c'était normal, les marins étaient souvent grossiers à cause de la rudesse de la besogne; cela tombait bien, Ian en connaissait un rayon à ce niveau là.
Le problème était que du coup, le Capitaine voulait des références pour être plus sûr, un C.V. Quoi. Le jeune homme se dit que là, il faudrait jouer finement, son avenir était en jeu !

Pour paraître bon matelot il jura aussi: fuck that shit ! Moi c'est Ian Sparrow, 19 ans, entre la vie et la mort dans le monde réel mais en pleine forme à Dreamland.
130 de QI, Capitaine mais ça ne se voit pas car je suis humble; nul sur les bancs d'écoles, excellent des les conne... euh dans les activités physiques et de plein air.
Je veux tout savoir à propos d'embarquement mon Capitaine car j'aimerais travailler à votre service en tant que mousse !
Je suis infatigable, je suis speed, votre bateau sera nickel, foi de marin !

La réponse avait satisfait l'employeur: il l'avait appelé matelot ! C'était dans la poche.
Ian poussa un soupir de soulagement et entonna: « tiens bon la barque et tiens bon le vent Hissez haut, etc... » tout en suivant le héros qui lui non plus ne savait pas tenir cinq minutes sur un siège; ah comme ils s'entendraient bien !
Toutefois, avant de partir, le jeune homme vida le verre d'eau: le sucre de son cocktail lui avait donné soif.
Le Capitaine s'était planté non loin des filles, pensif.
Avec le plus profond respect, Ian laissa son patron réfléchir et prit l'air important et inspiré qu'arborent certains hommes à la vue de filles vaquant à des tâches forcément secondaires.

Au bout d'un moment, n'y tenant plus, il prit un air de conspirateur, regarda derrière lui comme il l'avait si bien apprit et dit sur un ton des plus sérieux:
Capitaine sans Vaisseau, j'ai un plan. Nous allons remédier à cette carence.
Ah... comme il avait bien parlé ! Il ne remercierait jamais assez son père de l'avoir obligé à apprendre le beau vocabulaire, aujourd'hui cela lui servirait bien.
Il continua:
je ne connais pas bien Dreamland mais comme par moment cela ressemble à la vie réel, je me suis dit qu'il devait bien y avoir des océans ici, or, qui dit océan dit bateau sur l'eau ou dans un port...
Il jeta un coup d'oeil vers son patron pour voir s'il suivait bien la logique avant d'ajouter:
comme dans le monde réel, il doit bien exister des marins qui voguent avec de la marchandise illégale, non ?
Ces marins là, en cas d'attaque, ils ne pourraient pas aller se plaindre à police, n'est-ce pas Capitaine ?
Eh bien voilà: je propose qu'on aille vers l'océan, qu'on repaire un de ces trafiquants et qu'on attaque leur rafiot en loucedé. Ni vus ni connus, j'tembrouille, si la marchandise est intéressante tu la garde sinon on la jette à la baille, le bateau est à toi et moi je le nettoie comme un sou neuf ! T'en dis quoi là tout de suite de l'éclair de génie ? On est parti ?

Tout à coup, le Capitaine lui balança une question sans crier gare. Surpris, l'hyperactif sursauta et fit un bond en arrière. Pourquoi était-il là...?!
après un temps il répondit: bah j'en sais rien... Tu sais pourquoi t'es là toi ?
En fait j'ai rien choisi. Je suis arrivé dans la jungle là-bas après avoir glissé sur une sorte de manège-toboggan à sensation, j'ai suivi Milly et Jake puis après Milly toute seule et voilà...

C'est alors que le Capitaine l'agressa presque, il voulait savoir pour Jake, il disait même « par pitié »; ce devait être ultra important, il n'allait pas faillir à sa première mission de confiance, certainement pas !
Il le rassura tout de suite:
ne t'inquiète pas mon capitaine, je n'ai qu'un pouvoir mais c'est justement celui qui te conviendra !
Il se mit à brailler:
ABRICADABRA, CONCENTRATION ! EFFICACITE !
Le pouvoir se mit en place comme par enchantement; il raconta:

Capitaine, non seulement j'ai croisé Jake, celui qui a des flammes dans les cheveux, mais je lui ai aussi parlé, construit un paddock dans les arbres et cueillit des fruits exotiques afin qu'il se nourrisse !
Quand je suis arrivé dans cette jungle, il faisait presque nuit. Milly et Jake marchaient côte, côte.
Ils m'ont accueilli et expliqués ce que je devais savoir.
Jake trouvait que j'étais bavard et moi je pensais qu'il ne l'était pas, du coup c'était assez tiède entre nous... mais bon , rien de bien méchant.
Par contre Jake aimait beaucoup Milly; il lui a même prêté son bandana noir quand elle a déchiré son masque afin que personne ne la reconnaisse le temps qu'elle aille se le faire réparer.
Naturellement, elle lui a rendu le turban dès son retour.
Ce matin encore, nous étions tous les trois ensemble mais tout à coup, une éléphante nous a attaqué. Moi et Milly, on s'est retrouvé projetés sur son dos; elle a piqué un sprint et nous a déchargé comme un vulgaire sac à patate en haut de la colline que tu vois là-bas.
Jake, lui a disparu. Je pense qu'il est resté dans la jungle car Milly a dit qu'il nous rejoindrai certainement mais tu le vois bien: il n'est pas là... Tiens, d'ailleurs il portait un collier comme tu as toi, autour du cou; cette espèce de morceau de puzzle. Je le sais car il était torse nu, c'était donc bien visible.
Voilà, c'est tout ce que je sais....
Alors, on y va vers l'océan ?

Ian avait hâte de vivre de nouvelles aventures avec cet homme, hâte d'embarquer à son service après avoir vaillamment combattu la pègre pour gagner un bateau, hâte de voguer sur la Belle Bleue et découvrir les horizons immenses.

Le gamin était vraiment inépuisable et retenir ne serait-ce que la moitié de ce qu'il disait relevait du travail d'Hercule. Il fallait d'abord discriminer l'intelligible du ramassis de sons, puis, dans l'intelligible, déterminer ce qui avait un sens de ce qui n'en avait pas. Et même là, ça n'était pas gagné parce que d'une part, on ne sait pas toujours de QUOI il parle, et dans un autre temps, l'ahuri continuait encore à débiter d'autres choses pendant ce temps-là.
Hébété, le pirate arborait un visage inexpressif et sans vie, conscient du mal de crâne qui s'installait peinard dans sa boîte crânienne à mesure que Ian parlait.

Au moins, l'hyperactif avait eu le bon sens de ne pas le fâcher, ce qui en soit était un véritable miracle par rapport à la quantité de choses qu'il débitait. Proportionnellement, c'était un très beau ratio mais Syd' ne voulait surtout pas l'encourager et risquer de le perdre dans des brossages de nombril interminables.
Plusieurs idées défilaient à toute vitesse dans l'esprit du pirate – dont le suicide qui devenait une éventualité de plus en plus plaisante – à croire que Ian lui-même accélérait vos pensées. Ce viol mental et auditif était bien pire que tout ce qu'il avait vécu jusqu'à présent, mais paradoxalement plus vivable.

- Écoute-moi, « Ian Sparrow, 19 ans, entre la vie et la mort dans le monde réel mais en pleine forme à Dreamland » : je te remercie de.... toutes ces informations que tu me livres parce que ça signifie que je n'ai plus à t'écouter avec attention à présent, ce qui est une véritable bénédiction car j'en suis au stade où je m'interroge sincèrement afin de déterminer si j'ai envie de rire ou de pleurer. J'envisage les deux, pour être franc.

Jake était donc bien passé par-là, ou du moins était dans la région, ça ne faisait aucun doute. Il n'y avait pratiquement aucune raison de douter du témoignage de Simplet.
Pourtant, Sydney se sentait frustré car son incapacité à trouver le thermoréactif le forçait à faire un bout de route avec un groupe auquel il n'avait pas envie de s'inclure. Jake était à la fois si proche et si loin... Pas foutu de monter sur un éléphant, mais bordel, qui a éduqué ce gosse ?!

- Bon, matelot, t'es sympa et j'aimerais vraiment faire quelque chose pour toi mais je ne connais aucun moyen de te faire revenir dans le monde réel si t'es dans les choux comme tu penses l'être. Moi, la première fois, j'étais juste sous hypnose et ça m'a pris un temps fou pour me réveiller... mais tu sais ce qui est le plus bizarre dans cette histoire ? Quand je me suis réveillé, après avoir passé plusieurs mois à Dreamland, il ne s'était pas passé plus de quelques heures dans le monde réel. Alors je pense que t'as encore du temps devant toi pour trouver une solution.

Avec cette révélation, le corsaire estimait qu'il n'était plus redevable à Ian : les bons comptes font les bons amis. Toujours préoccupé, il espérait pouvoir toucher un mot de tout ça à Jade, quand celle-ci serait disponible. Si elle aussi avait côtoyé Jake, elle saurait peut-être un peu mieux où chercher. Ou pas. L'important était de lui parler seul à seul, sans Melena qui se ferait un plaisir de jouer les requins dans cette négociation houleuse.

Il se détourna finalement des filles, décidant de les laisser aller se suicider toutes seules comme des grandes. Une nouvelle fois, il déroula la carte de Dreamland sur laquelle un X figurait à l'endroit où il se trouvait. Ignorant l'échelle ou même la taille de Dreamland, il était incapable de se rendre compte si la côte était loin ou non. En comparant avec ses souvenirs de Gloutoniskaïa, il put établir qu'il avait effectivement plusieurs jours de marche devant lui dans le meilleur des cas, peut-être même plusieurs semaines ? Mais s'il quittait la ville pastèque, Jake serait-il en mesure de le retrouver ? Probablement pas... Dilemme infernal !

Il se tourna vers Ian, toujours occupé à faire ses singeries sans que ce soit possible de dire s'il savait ce qu'il faisait ou non. Ce petit devait vraiment être problématique. Sydney visualisait parfaitement sa mère apposer un oreiller contre le visage de son enfant afin de le plonger dans le coma où il se trouvait. Une mère épuisée, les traits tirés par la fatigue et le stress, une mère à bout de devoir supporter une tornade comme ça. L'expression sceptique du pirate ne se fit que plus prononcée.

- Ian... IAN ! Ian, écoute-moi un instant. Il posa sa main sur l'épaule du mousse, tant pour le maintenir en place que pour s'assurer son attention relative. Tu as l'âme d'un vrai pirate, petit. D'ailleurs, tu me rappelle un pirate que j'ai bien connu. Il s'appelait Jack. J'ai cru comprendre que tu cherchais un capitaine ? Tu es le bienvenu dans mon équipage... mais ne crois pas que ce soit si facile ! Je suis un grand pirate alors c'est une fleur que je te fais en t'acceptant à bord. Il va falloir te montrer digne, m'obéir au doigt et à l'oeil et, plus important : m'obéir à moi plus qu'à Melena. Parce que je suis ton capitaine, quand même.

Le corsaire maquillait son discours avec un air fier et imposant, insistant avec panache sur les mots clés afin de bien faire rentrer le bourrage de crâne. Il venait de se trouver un nouveau bouclier humain ; un bouclier idéal, un de ceux qui ne pensent jamais par eux-mêmes.
Il faudrait encore régler deux ou trois détails mais il sentait qu'il pourrait faire gober à peu près n'importe quoi à l'hyperactif.
- Avant, j'avais un bateau. Mais ça, c'était avant. Ne me demande pas ce qui s'est passé : ça ne se fait pas, chez les pirates. Évidemment, je veux trouver un nouveau bateau mais la côte est très loin. On y arrivera un jour mais d'ici-là, j'ai besoin que tu me restes fidèle car c'est ce qu'exige le code d'honneur des vrais pirates ! Même si on devait être séparés, tu devras être fidèle à ton capitaine parce que le capitaine n'est pas capitaine pour rien. Je t'ai déjà dit que j'avais trouvé et sauvé la ville d'Atlantis ? Bref, tu m'as compris ?

Il laissa un petit temps à Ian afin d'être sûr que ce dernier comprenait bien chaque mot de chaque phrase, ce qui n'était jamais garanti. Satisfait de son petit effet, il lâcha l'épaule du jeune homme.
Intérieurement, le capitaine parano' dressait un tableau de la situation actuelle : il avait trouvé un nouveau matelot qui, si tout se passait bien, lui serait dévoué et n'obéirait pas à Melena, ce qui le protégerait d'elle en cas de besoin. Les informations recueillies concernant Jake étaient insatisfaisantes et il devait poursuivre les recherches mais il n'était sûr de rien.

La suite de son plan impliquait de se trouver un navire au plus tôt, ce qui voudrait dire qu'il aurait besoin d'encore quelques marins avec lui. Des gens prêts à le suivre jusqu'au bout du monde. Suffisamment dépendant pour ne pas toujours lui coller aux basques mais pas trop car il voulait éviter la mutinerie. Étrangement, Syd' craignait de ne pouvoir trouver de tels marins que chez des personnalités de type Ian ou Jake. Dans un sens, c'était bien car il s'assurerait une suprématie intellectuelle à bord mais... Que dirait-on du Capitaine Sydney et de son équipage gogol ? Bah, qui sait ? Ça pourrait peut-être faire peur à deux ou trois péquenauds.

- Je me disais qu'on va quand même essayer d'éviter de voler un bateau à d'autres pirates, en fait. Parce que c'est pas sympa, tu comprends. Y a effectivement des pirates pas sympas, mais y a aussi des pirates au cœur noble qui ne recherchent que l'aventure et la liberté. Moi, je fais partie du second groupe. Du coup, je préfère essayer de trouver un bateau de manière légale dans un premier temps...
C'était une excuse absolument débile et ridicule tirée tout droit de l'univers de One Piece mais le capitaine au bandana préférait vraiment une solution légale. Voler des pirates pouvait avoir de nombreuse répercutions plus ou moins mortelles et il s'attirerait des ennuis. Trop d'ennuis.

La question du prix d'un bateau serait également plus vite réglée s'il parvenait à extorquer de l'argent à ses futurs matelots en leur promettant monts et merveilles. Mais même en imaginant ça, le pirate devinait une longue route, un futur de plus en plus lointain à mesure qu'il effectuait le calcul.

Ian était ému.
D'avoir parlé de Jake donnait envie au Capitaine de rire et de pleurer à la fois; comme il devait l'aimer... Du coup les larmes montèrent aussi aux yeux du jeune homme qui fit une grimace. Il aurait tellement voulu pouvoir lui en dire plus sur le sujet. D'un autre côté, il avait raconté tout ce qu'il savait et le Grand Homme lui en avait su gré puisqu'il l'avait remercié; les larmes se tarirent pour laisser place à un grand sourire mais comme toutes ces émotions étaient trop paradoxales pour son cerveau déjà bien échauffé, il péta un câble et se mit à danser un peu comme un sioux en psalmodiant ce qui pouvait vaguement s'apparenter à une chanson, c'est à dire un air techno bien rythmé dont il fit profiter tout l'entourage, tant les paroles étaient recherchées:
dox dox dox dox dox
paradoxe dox dox dox dox
para para dox dox dox dox dox, etc...

Tout à coup il sursauta: l'illustrissime marin l'avait appelé, la main posée sur son épaule.
Ian s'arrêta net, prêt à se mettre au garde à vous et écouta le message que le pirate avait su décoder version behaviourisme, technique pseudo-psychologique avec laquelle il avait été conditionné, consistant en une annonce claire du sujet tout en appuyant sur les mots clés.
Ayant compris l'essentiel, il resta bouche-bée, les yeux pétillants de bonheur fixés sur le héros, ne sachant plus quoi dire et ce pour la première fois de sa vie.
Dans sa tête, tout bouillonnait tellement qu'il pensa tomber dans les pommes. Habituellement, pour faire passer ce genre de malaise, il aurait fait le tour du village en courant à fond la caisse mais là ce n'était pas possible puisque le Patron avait ordonné d'être digne; alors il prit une profonde inspirations et déclara:
Merci Grand Capitaine. Je jure sur mon honneur de t'obéir au doigt et à l'oeil, de me montrer digne et d'être ton plus fidèle serviteur.
Ian était fier; en plus il avait prononcé son serment d'allégeance dans les règles de l'art.
Il s'apprêtait à conclure par un « Amen ! » histoire de faire rigoler le pirate mais quelque chose l'interpela.
Il se gratta la tête, déstabilisé et répondit:
mais... je n'obéis jamais à Melena, pourquoi faire ?
C'était sortit le plus naturellement du monde puisqu'en général il avait un mal de chien à obéir à qui que ce soit. Il faudrait d'ailleurs qu'il fasse un effort surhumain pour son Patron, ceci dit en passant...
Pour le reste, Ian acquiessait à tout et buvait littéralement les paroles du fils illégitime du Capitaine Hadock; enfin, presque.

Toute raison revenue, il se pencha sur la carte de Dreamland qu'il découvrait pour la première fois, visualisa la croix, repéra la colline ou l'éléphante les avaient évacués et s'écria:
Un de ces jours ? T'es pas fou mon Capitaine ? Sauf votre respect, d'accord la mer est loin mais... Il se pencha, ramassa deux brindilles – car il y avait quand-même quelques brindilles au sol - les croisa en forme de compas, pris la mesure entre Techinastèque et la colline, la rapporta jusqu'à Ellipse puis d'Ellipse à l'océan avant d'annoncer:
deux jours à tout casser mon Capitaine !
Comme le pirate semblait surpris il expliqua:
un astronef va partir d'ici en soirée, il est sur le petit aéroport là-bas. L'engin nous déposera aux alentours d'Ellipse, la ville que tu vois, là. Ensuite on prend un bus direction la côte que tu vois ici. Dit-il en pointant le compas sur l'étendue bleue entre la plaine Félicitée d'un côté, Sextus de l'autre, avant d'ajouter: alors, t'en penses quoi toi ?!

Pour ce qui était du bateau à acheter, l'hyperactif n'était pas chaud: trop cher et surtout: trop long...
D'accord, il y avait le code d'honneur et tout le toutim mais quand-même... Il fallait qu'il trouve un argument de taille afin de faire flancher le coeur noble du pirate.
Pour aider la réflexion, il sifflota « Pretty woman walking down the street » et la chanson lui donna une idée.
Il faut dire que quand Ian se passionnait pour quelque chose, cela devenait une obsession.
Non seulement il pouvait user de tous les arguments possibles et inimaginables jusqu'à épuisement de l'interlocuteur mais en plus, il pouvait être capable d'une ultra concentration sur le sujet qui pouvait aller jusqu'à frôler l'autisme.
Après avoir tourné une ou deux fois en rond, il revint à la charge:

Je suis d'accord mon Capitaine, il faut être réglo. J'espère que tu as plusieurs milliers de rubz parce que moi je n'en ai que cent !
Allez, disons que pour un chalutier tu t'en tireras pour 30.000 rubz; c'est pas grand chose mais faudra faire le plein !
Ian n'était pas ce qu'on pouvait appeler un calculateur, il n'en avait pas le potentiel ni même l'état d'esprit mais c'était un malin qui savait appuyer sur ce qui faisait mal pour obtenir gain de cause. Il ne lâchait jamais quand il voulait quelque chose; ses parents en connaissaient un rayon. Que de jours, que de nuits d'épuisement à tenter de lui refuser ce qu'il désirait. Combien de fois leur porte de chambre ne s'était-elle pas ouverte à quatre heure du matin simplement parce qu'il avait trouvé un argument supplémentaire...

Il poursuivit son langage:
Capitaine, imagine !
Que dirais-tu d'avoir un bateau gratos et en plus d'avoir les honneurs pour avoir fait parler ton coeur noble ?
Je te donne un exemple là comme ça, au hasard, qui trottine dans ma tête:
Imagine des gus sur un bateau; des vrais connards, gros, moches, puants avec un regard lubrique et mauvais...
Et imagine mon Capitaine que ces fumiers là feraient un trafic de jolies petites nanas toutes gentilles, qu'ils se les envoient en l'air, sous entendu qu'il les violent sauvagement, histoire de les habituer à faire les putes dans les bas-fonds....
T'aurais pas envie de leur foutre sur la tronche et de leur confisquer leur rafiot ? Avec en prime les mignonnes gonzesses qui te tombent dans les bras en remerciement et peut-être même les flics qui te sert la main en te faisant l'accolade ?
Et toi, royal, tu refuserais la légion d'honneur en disant que tu n'a fait que ton devoir... Ce serait pas beau ça ?
Et même, tiens; si c'était pas des jeunes filles mais des enfants ?....
Pouah ! J'en ai envie de gerber !
Il se recula afin de laisser le pirate assimiler les propos et conclut:
Bon, on va à l'aéroport ou on se tape le bal pour y danser le rock n' roll pendant que des filles fragiles sont enchaînées ?
Enfin... je raconte tout cela par hasard moi, c'est toi qui voit...

C'était toujours dans ces moments là qu'on se rendait compte à quel point tout était subjectif. Nos pouvoirs nous semblaient toujours terribles et ceux des autres fantastiques, c'était un fait. Yoake et Melena s'évertuaient d'ailleurs à le lui prouver une fois encore. Même si elle avait conscience d'être assez chanceuse, Jade ne pouvait s'empêcher de penser que ses compagnes dramatisaient. Un fouet de sang ? Ça, c'était « stylé ». Et aussi répugnant que ce soit, pouvoir se soigner très efficacement en mangeant des charognes était plus qu'impressionnant. Mais... à quoi bon le dire ? Personne ne le croirait. Elle se contenta donc d'un sourire énigmatique, la tête penchée sur le côté, jusqu'à ce que les deux filles changent de conversation. Elle en profita pour adresser un clin d'oeil complice à Mel' qui venait de la remercier.

- De rien, vraiment.

La file avançait vite et elles purent bientôt récupérer leurs affaires... plus quelques autres additionnelles. Intriguée, la bonne jumelle déballa même ses présents un à un avant de prendre la peine de se changer. La dernière fois qu'il y avait eu une pluie de cadeaux elle avait été oubliée et c'était Elie qui avait tout eu. Est-ce qu'ils avaient les objets en double cette fois ou le père-noël avait eu la délicate attention d'alterner ? A moins de lui écrire, elle n'aurait probablement jamais la réponse.

Lorsqu'elle eut fini de s'interroger, l'adolescente se glissa dans son jean,  troqua la bandelette qui masquait ses seins pour son soutien-gorge et son t-shirt et enfila ses baskets. La température ambiante était bien moins acceptable tout d'un coup mais c'était le prix à payer pour restaurer un peu de sa pudeur détruite. Sa petite amie et elle purent alors retrouver Yoake à qui papa noël avait aussi pensé, visiblement. La psychotique jeta un œil, curieuse, à ces nouvelles possessions et ne put s'empêcher de rire en levant les yeux au ciel.

- Ah ah ! Non mais c'est pas possible ! Ce vieil alcoolique offre la même chose à tous les voyageurs ! Tu parles, de cadeaux personnalisés !

D'un hochement de tête elle appuya la nécrophobe quant aux paradoxes temporels qui devenaient une véritable habitude. Halloween le matin, noël le soir, puis pâques une semaine plus tard... et rebelote. Avec tout le barda dont ils écopaient à chaque fois il leur faudrait bientôt investir dans une roulotte.

La discussion s'orienta rapidement vers la suite du programme et, même si Melena tenta de préserver son honneur, il fut rapidement admis que retaper la foire était une mauvaise idée. Quand l'asiatique proposa ensuite de manger, Jade tira une grimace. Avec le ventre plein à craquer de pastèque, grignoter était la dernière chose qu'elle souhaitait. A vrai dire elle aurait encore bien fait une ou deux attractions mais Jade commençait à craindre d'emmerder les autres à les traîner partout. Cela dit, on pourrait peut-être trouver un compromis acceptable...

- Désolée mais je peux rien avaler, là... on a fait un concours de mangeurs de pastèque avec Ian tout à l'heure. Je vous empêche pas d'aller manger un bout, hein ! C'est juste que ce sera sans moi. Elle écarta les main, l'air coupable. Et si je suis partante pour la soirée, j'aimerai quand même faire deux ou trois trucs avant. Comme le bowling... j'adore le bowling. Je vous empêche pas de rester à côté à papoter si vous ne voulez pas bien sûr, je comprendrait si vous étiez trop claquées pour en faire plus!

A l'invitation de Melena, Jay répondit par une révérence qui ne laissait pas de place au doute.

- Et je serai ravie d'être votre cavalière, Melle Autumn.

Alors qu'elle se redressait avec un sourire, ses ailes poussèrent de nouveau pour se déployer dans son dos. Aussitôt l'air réjoui fut troqué par une visible appréhension. Dans un coin de son crâne, la bonne jumelle tenta de contacter son double afin d'avoir quelques renseignements. Elle avait beau savoir qu'on ne pouvait pas passer des épreuves d'adepte sans danger, elle ne pouvait rester là à s'amuser sans savoir si Elie s'en sortait ou était aux portes de la mort.

**Elie ? Ca va ? Qu'est-ce qui se passe ?**
**On fait une thérapie de couple. Maintenant lâche-moi !**

- Une thérapie de couple ? S'étonna-t-elle à voix haute sans se soucier d'être totalement incohérente.

**Comment une thérapie de couple pourrait te mettre en danger ? C'est n'importe quoi ! Dis-moi la vérité ! Je t'ordo... **
**FERME TA GUEULE ! Ordonne-moi un truc et tu peux te torcher avec tes futures excuses si quelqu'un crève encore à cause de ça !**

Jade recula de deux pas, comme si on l'avait giflé. Même si elle avait fait son maximum pour être pardonnée il fallait se rendre à l'évidence : cette erreur la poursuivrait encore et encore jusqu'à sa mort. Mais est-ce qu'elle pouvait vraiment être tenue coupable du fait de vouloir que l'autre moitié d'elle-même soit saine et sauve ? C'était un réflexe de survie basique, le genre de choses qu'on ne contrôlait pas. Dans tous les cas, la conversation avec El' était belle et bien close. Braquée comme elle était c'était peine perdue et Jay s'en serait voulu à mort si la déconcentration qu'elle causait lui coûtait la mort. Elles auraient bientôt tout le temps de s'engueuler en face à face, de toute façon.

Après un soupir, elle leva les yeux vers Yoake et Melena, y cherchant un soutien muet. Quoi leur dire ? Ca ne changerait rien à ce qui se passait à quelques kilomètres de là.

- Et bien... j'ai l'impression qu'on ne passe pas tous un joyeux noël...

D'habitude, avoir l'ascendant intellectuel sur une personne, asseoir une certaine domination ne passant pas par l'affirmation brutale de force physique était tout à fait ce que recherchait Sydney. Mais comme pour un boxeur qui s'acharne sur un ballon de baudruche, tenter de contrôler un faible d'esprit relevait plutôt de la corvée.
Sauf que la faiblesse de ce gamin n'était qu'apparente, ou alors savait-il utiliser son QI impressionnant – que le corsaire évaluait jusqu'alors aux alentours de 2, plus ou moins – pour anti-penser de manière efficace. Mathématiquement, c'était logique : rendez négatif un négatif et ça devient positif... Alors si un crétin absolu se met à anti-réfléchir, il peut théoriquement frôler le génie.

Au terme de cette réflexion assez déstablisante, Syd' ne savait plus du tout comment s'y prendre avec Ian. Devait-il le voir comme un simplet ou au contraire se méfier de l'eau qui dort ? Dans tous les cas, l'hyperactif avait de la ressource et ne se laissa pas amadouer par les discours rocambolesques du capitaine parano'. Ce dernier, assez frustré, accepta cependant d'expliciter sa pensée.
- Pourquoi ne pas obéir à Melena ? Tout simplement parce qu'elle ne m'aime pas. Elle me déteste, ce qui signifie qu'elle déteste les pirates. Et si toi aussi tu deviens un pirate, elle va vouloir te donner pour ordre de me causer des problèmes à moi et je ne veux pas de mutinerie.
Tu peux bien sûr lui obéir si elle te demande d'aller chercher un verre de jus d'orange par exemple, mais si elle te demande de me nuire, tu devras refuser car je suis ton capitaine.

Il n'était pas vraiment satisfait de son explication trop manichéenne. Celle-ci ne correspondait pas vraiment à la réalité mais il espérait que cette version simpliste saurait convaincre le jeune homme qui posait des questions décidément dérangeantes.
Néanmoins, il dut reconnaître que son nouveau matelot savait au moins s'y prendre pour mesurer les distances. Il lui révéla même le temps approximatif qu'ils mettraient pour arriver à la côte. Dreamland ne semblait pas si vaste, vu comme ça. Mais il était probable que de nombreux obstacles ou bien caprices temporels jalonnent le chemin qu'emprunte un voyageur peu préparé.

- Pas mal, matelot. Pas mal du tout. Mais je n'irai pas à Ellipse pour la seule raison que je souhaite encore chercher le matelot Jake par ici. Et s'il me connaît un tant soit peu, il se sera dirigé vers la côte et m'attendra sûrement dans le port le plus proche. Enfin tout du moins l'espérait-il. La dernière fois, ils s'étaient quittés précipitamment et n'avaient pas pu convenir d'un point de rendez-vous. Il ne connaissait pas suffisamment le thermoréactif pour deviner dans quel endroit l'attendre alors il espérait vraiment que ce dernier fasse preuve d'un peu de bon sens.
- On va d'abord accompagner les filles à Miquiztli. Ça va nous permettre de nous préparer au voyage, dans un premier temps. On devra prendre de la nourriture pour pouvoir faire le chemin jusqu'à la côte ; j'ai pas de fric à foutre en l'air dans un voyage en dirigeable quand j'ai un bateau à acheter.

Simpleinstein ne lâcha pas le morceau si facilement. On aurait dit l'un de ces requins qui, une fois qu'ils vous ont attrapé, ne vous relâchent pas avant de vous avoir gobé entier. Déjà il mettait le paranoïaque en situation. Un tel artifice faisait toujours plaisir à entendre et flattait l'égo. Mais ça s'arrêtait là et ne restait qu'un artifice – dangereux de surcroît. Le pirate eut tôt fait de trouver une réponse pragmatique :
- D'accord, et du coup, comment on fait pour se débarrasser de ces gros connards moches si on est que deux ? Si ces barjos se sont lancés dans le trafic d'humain, il faut s'attendre à croiser le fer avec des gens redoutables et je ne suis pas immortel. Mon maître mot, c'est la prudence. C'est parce que je suis prudent que je suis encore en vie. J'ai vu mes anciens amis se faire tuer, enlever, arracher leur ombre et même encore d'autres se faire fouetter et exécuter devant mes yeux. Mais moi, moi je suis encore là pour le raconter, moi.

Il reporta son regard vers les stands d'attractions et tenta d'y retrouver les silhouettes de Jade, Melena ou Yoake... en vain. Il plissa les yeux pour affiner sa vue mais l'affluence d'autochtone rendait la tâche impossible.
Le soleil commençait à décliner franchement, annonçant que la soirée était proche. Si voyager de jour était déjà une épreuve en soi, voyager de nuit était rarement conseillé : tous les films d'horreurs en donnaient la démonstration probante.

- Tu sais, ça ne me plaît pas non plus d'aller à ce bal mais je crois qu'on n'a pas vraiment le choix : il va bientôt faire nuit. Ce serait trop dangereux de partir maintenant et j'ai horreur des transports de nuit. Ça me fout l'angoisse de voir tous ces gens pioncer si naïvement. Non, je pense vraiment que la meilleure solution pour l'instant est d'accompagner Milly à Miquiztli ; on avisera là-bas.

L'idée d'assister à ce genre de rassemblement mondain l’écœurait vraiment et cette fête foraine lui rappelait trop son enfance. Pourquoi cet épisode avait-il été si traumatisant ? Qu'importe. Inconsciemment, le corsaire croisa les bras et se renferma un peu plus, les traits de son visage devenant plus austères.
Il réfléchissait avec une grande concentration aux éventualités qu'il faudrait prendre en compte durant le voyage. Tout un réseau d'idées se superposait à un arbre de scenarii donnant les uns sur les autres afin de former une toile théorique sur laquelle le pirate comptait bien naviguer pour ne pas se faire surprendre.

Il fallait donc prendre en compte l'éventualité que Jake était là ou non, celle que le voyage se passe mal ou que Melena se rebelle ; le problème aussi de Miquiztli et de son gardien... Et plus sa pensée avançait dans le temps, plus les situations devenaient théoriques. Lorsqu'il crut atteindre la limite du statistiquement possible, il s'arrêta, satisfait de ce qu'il appelait sa « prévoyance ».

- Dis-moi, vous avez déjà un endroit où dormir ce soir ? J'aimerais au moins prendre une chambre et poser mes affaires.
L'idée de partager une chambre avec Ian effleura l'esprit du corsaire mais il se souvint des fois où un tel scenario c'était réalisé. La dernière fois, c'était avec Dakota dans les Terres Gelées. Et le moins qu'on puisse dire, c'est que ça n'avait pas été du tout un joyeux Noël.

Ian n'en revenait pas; pour une confidence, s'en était une de taille !
Mal à l'aise, il tourna en rond.
D'accord elle avait mauvais caractère mais de là à détester un héros... Bon, il pouvait comprendre, on ne peut pas plaire à tout le monde; le problème était qu'il aimait bien la « Trop belle » comme il l'appelait et cela lui en flanquait un coup; décidément, même à Dreamland, rien n'était parfait.
Malgré tout, son serment ne serait pas mit à mal, il n'avait pas du tout l'intention de nuire au pirate aussi le rassura t-il:
ne t'inquiète pas mon Capitaine moi non plus je n'aime pas les mutineries; je n'obéirai à personne d'autre qu'à toi; c'est toi le patron après tout. De toutes façons, je pense que Melena ne m'aime pas tellement non plus, alors...

Ian regarda à nouveau la carte. Le port le plus proche n'était pas si loin et en allant à Miquiztli ils s'en rapprocheraient encore.
En plus l'illustre personnage avait raison sur tous les points: il fallait préparer le voyage, acheter des vivres et... Attendre Jake.
Il espérait seulement qu'il ne soit pas trop long à revenir de la jungle, d'autant que s'il avait pris le chemin inverse... Bah, il verrait bien.
En attendant, le capitaine était au moins aussi bavard que lui, du coup, il avait du mal à suivre toutes les explications. Il retint seulement qu'effectivement, il serait difficile de combattre des truands sans armes; il faudrait qu'il s'en achète !
En tous cas, le Capitaine avait su contrer ses arguments un à un; il était balaise quand-même.
A court d'idées nouvelles, il lança: tu as raison, on va être prudent, je te suis.
Ian n'avait pas répondu cela par excès de zèle mais simplement parce qu'il n'aimait pas trop les bastonnades et l'idée d'avoir à en découdre avec la pègre l'avait vite refroidit.

Convaincu que le patron avait un plan bien déterminé en ce qui concernait l'achat d'un bateau, le jeune homme n'insista pas; il fallait être juste un peu patient.
Par contre, il commençait à s'ennuyer; ils étaient restés longtemps immobiles, et voulait bouger un peu mais le pirate réfléchissait.
Il se mit à l'écart en sifflotant, fouilla dans son sac et découvrit son lot de vêtements: un jean banale, un tee-shirt, banale, des chaussettes. et encore un caleçon, banale aussi; il se dit que décidément, en matière de fringues Dreamland n'avait vraiment pas d'imagination mais au moment d'enfiler son pantalon, un paquet enveloppé dans du papier brillant rouge lui tomba sur le coin du nez.
Mind blowing ! Lança t-il.
Tout guilleret, il déballa son colis et découvrit entre autres choses, un assortiment de pâtes de fruits.
Ma parole, c'est Noël ou quoi ? S'écria t-il en enfournant une friandise dans sa bouche et en tendant le sachet afin que le Capitaine se serve.

Non, on a rien prévu pour le moment mais il y a un hôtel dans le coin si tu veux, répondit Ian à la question du patron tout en découvrant le reste de ses cadeaux avec le plus grand plaisir.
Quand il eut tout regardé, le sachet de bonbons était terminé, peu importe, il avait un autre trésor en vue:
regarde, j'ai un ticket pour une nuit gratuite, petit-déjeuner compris ! Déclara t-il en bondissant de joie.
Moi qui pensait devoir dormir dans une grange... On dirait que Dreamland a décidé de nous souhaiter un joyeux Noël !

Le capitaine parano' accueillit la coopération de Ian avec un sourire satisfait. Il ne savait toujours pas jusqu'à quel point il pourrait lui faire confiance mais si cette bataille était au moins gagnée, c'était déjà ça.
Le garçon avait l'air honnête, voire parfois un peut trop... Tant de transparence sur ses émotions était déconcertant.

Pourtant, Syd' ne se sentait pas en mesure de se détendre : le cadre dans lequel ils se trouvaient, une jungle dangereuse, et son inimitié avec Melena et Yoake restaient des sujets de préoccupation trop importants. Et plus il parlait, plus il s'enfonçait dans son mensonge avec l'hyperactif. Bien sûr qu'il voulait un bateau mais il était très loin d'avoir un plan aussi détaillé que le jeune matelot semblait le croire. Mais briser l'illusion n'apporterait rien de bon à la synergie de l'équipage naissant, aussi le corsaire ne dit rien.

Et puis de toute manière, ce dernier était bien trop occupé à découvrir ses cadeaux de Noël. Un vrai gosse.
- Oui, c'est l'esprit de Noël qui t'envoie des cadeaux. Et à moi aussi, on dirait... Entre lui et l'esprit de Halloween, je sais vraiment pas si on pourra un jour être tranquille.
D'un geste poli, il refusa les pâtes de fruits de Ian tout en parlant. Il n'avait rien contre une friandise mais n'aimait pas ce genre de partage sur faux-semblant de générosité. Accepter, c'était devenir débiteur, ne serait-ce que moralement ou psychologiquement. Et il ne voulait pas ça : il devait se montrer ferme et dominateur, en tant que capitaine pirate.

Dans son sac à dos, quelques cadeaux s'étaient d'ores et déjà entassés ; il en fit un rapide checking et remarqua qu'à la différence de l'hyperactif, il n'avait pas eu droit aux pâtes de fruits.
- Pff. De toute façon, je n'en voulais pas, lâcha-t-il à voix basse dans une tentative de se convaincre lui-même. Par contre, il avait bien le bon pour la nuit à l'hôtel.

- Bon, on va essayer de retrouver Milly pour lui demander si on passe effectivement la nuit ici, déjà. Si ce n'est pas le cas, j'irai juste poser mon sac dans un des casiers.
Il laissa à Ian le temps de ranger ses affaires et se mit en route, déambulant à travers le dédale de stands et attractions. Il avait horreur des bains de foules et celui-ci lui plaisait encore moins depuis qu'il avait eu l'opportunité d'expérimenter la férocité de la faune locale.

Plusieurs vendeurs les hélaient, tentant de leur refourguer leur marchandise. Cela allait du parfaitement inutile au comestible en passant par le décoratif et le ridicule. Ces gens rappelaient à Sydney les SDF qu'il pouvait croiser au hasard de ses rares promenades en centre-ville. Des charognards prêts à tout pour vous déposséder de votre argent. Entre les maîtres chanteurs professionnels et les voleurs modernes, le corsaire ne se sentait pas rassuré. Il raffermit sa prise sur sa dague, prêt à dégainer son arme si le besoin s'en faisait ressentir.

Il y avait même un type qui se brossait le nombril en exhibant fièrement une bouteille remplie d'une boisson noire aux reflets marrons « de son invention ». Sydney fut interpellé par la police d'écriture du panneau placé au-devant du stand. Il ne s'agissait ni plus ni moins d'un abruti ayant détourné le traditionnel Coca-Cola en y incorporant un goût pastèque. Quelle originalité...
- Ils savent vraiment plus quoi inventer, ces types...

Ce fut finalement la paire d'ailes majestueuses qui aiguilla le pirate au bandana à travers la foule. Et il ne se trompa pas sur la personne à l'origine de tout ça. Il fit signe à Ian de le suivre afin qu'il ne s'égare pas et s'approcha des filles
- Milly ! Justement, je te cherchais. C'est sympa d'avoir sorti tes ailes de pigeon pour m'aider mais tu sais, un simple panneau en carton « je suis ici », c'est un poil plus discret, quand même. Bref, trêve de plaisanterie, matelot. Je voulais te demander : est-ce que vous comptez passer la nuit ici ou bien attendre demain pour aller à Miquiztli ? Pour poser ça simplement : j'aimerais vous accompagner alors je ne voudrais pas payer une chambre pour rien.

Il sortit son bon pour une chambre gratuite : - J'ai reçu ça de la part de l'esprit de Noël. Avec un peu de chances, vous aussi. Mais je vous déconseille de les utiliser ici... Vu le niveau de pauvreté, on n'aura que des chambres insalubres et peu chères, ça serait du gâchis. M'enfin si vous avez que ça... ça aide toujours, hein.

Ce n'est qu'après avoir fini de parler qu'il remarqua la triste mine de Jade. Haussant un sourcil interrogateur, il demanda :
- Quelque chose ne va pas ?
A vrai dire, il s'en fichait assez mais bon... la « politesse » était un ciment social. Et si en plus il pouvait avoir des informations sur la situation, il ne cracherait pas dessus. On ne pouvait de toute façon pas lui reprocher de porter un masque de faux semblants quand la principale concernée cachait son véritable visage aux yeux de tous.

Ne pas manger. Faire du bowling. C’était donc ce que retenait Melena. En fait, elle ne savait plus trop quel clan plaider parce que la vue du cadavre, et le bonbon goût bière de la sorcière, lui avaient complètement coupé l’appétit. C’était vrai qu’elle n’avait pas mangé depuis un moment mais visiblement, son organisme n’était toujours pas réconcilié avec la nourriture.

Le sourire qui illumina son visage quand Jade lui avait dit accepter d’être sa cavalière se déforma quand les ailes d’ange s’extirpèrent brusquement de son dos. L’irlandaise n’était pas encore au fait de la raison pour laquelle ce pouvoir se déclenchait, mais voir sa petite amie s’immobiliser quelques secondes lui donna une petite idée de ce qui se passait dans sa tête.

Ce qu’elle s’exclama à voix haute mit fin à ses soupçons. L’unique personne avec laquelle elle pouvait discuter par télépathie c’était Elie. La même Elie qui était effectivement en couple avec un criminel plein aux as et… visiblement en pleine thérapie de couple. La brunette songea mesquinement qu’avec deux personnalités comme les leurs, c’était téléphoné qu’ils finissaient par se taper dessus. Bon, la rancœur devait peut-être ajouter des épices à ses pensées. Et puis, elle aussi avait eu un petit faible pour Ace pendant quelques heures de leurs épreuves morbides alors…

La tristesse qui traversa les yeux bleus de Jade suffit à ce que la nécrophobe oublie les futilités qui voguaient dans son esprit lunatique. Elle reconnaissait cet éclat plein de remords et de culpabilité, ça la déchirait de voir la bonne jumelle dans cet état. Impossible de savoir ce que lui avait dit son double mais il suffisait de la connaître un peu pour savoir qu’elle était particulièrement douée pour taper là où ça fait mal. Étrange de pouvoir adorer quelqu’un et la détester en même temps.

- Fais pas cette tête, lui dit Melena en prenant ses mains, je ne sais pas ce qu’elle t’a dit mais…, elle poussa un soupir, tu sais bien que c’est une éternelle tête de mule, te laisse pas abattre aussi vite.

Venant de la reine des idées noires, son discours optimiste était osé, mais c’était ce qu’elle pensait. Elle ne savait pas trop quoi dire puisqu’elle ne savait pas exactement de quoi il était question. Néanmoins, elle était sûre d’une chose : la conversation avait coupé court et avait passablement éprouvé la psychotique. L’irlandaise pinça ses lèvres pâles avant d’ajouter :

- Qu'est-ce qui se passe ? T’es là pour elle, non ? Ça suffit amplement.

Est-ce que Jade allait la comprendre ? Peut-être pas. En fait, la thanatophobe n’était pas certaine saisir elle-même. Là où les mots n’avaient plus leur place, il restait les gestes. Elle pressa amicalement les mains de sa petite amie et lui offrit un léger sourire. Il était d’ailleurs temps d’appliquer la résolution évoquée des heures auparavant, quand elles s’étaient retrouvées : les larmes ne résolvaient rien, alors autant essayer de les remplacer par un peu de bonheur.

- S’ils ne sont pas prêts à ce qu’on les retrouve, tu veux qu’on aille se changer les idées au bow-

Elle fut interrompue par la voix de Sydney, qui revenait en compagnie de Ian. Bien évidemment. Les bonnes choses ont toujours une fin et généralement, celle-ci parvient plus tôt que lors des mauvais événements. Visiblement, il était passé du stade « je ne veux pas traîner avec vous » à « je m’incruste et je demande pas votre avis ». Une vraie blague. Et quand il s’intéressa à l’état de Jade, Melena s’interposa comme s’il était en train de la menacer et le défia de ses yeux gris.

- C’est pas tes affaires, trancha-t-elle d’un ton sans équivoque, et fais pas semblant, je sais que tu t’en fiches.

Elle. Ne. L’aimait. Pas. C’était devenu presque viscérale, comme un mauvais virus qu’on attrape et qui devient plus fort avec le temps. En fait si elle avait ses raisons : un peu plus tôt il leur crachait à la figure qu’elles étaient des criminelles et les plantait pour s’isoler, et là il revenait comme une fleur et pensait être accepté à bras ouvert. Il se mettait le doigt dans l’œil jusqu’à son coude de faux pirate.

- Et je ne sais pas encore si on dort ici ce soir, consentit à répondre l’irlandaise en se désintéressant du paranoïaque pour lui préférer un homme qui distribuait des tracts pour la « boisson festive de l’année » : le Coca-cola (pastèque) – ou le Coca’stèque pour les intimes.

Le Capitaine semblait content, c'était le principale. D'ailleurs lui aussi l'était, l'esprit de Noël l'avait gâté et en plus le pirate ne voulait pas de pâte de fruit; Ian ne se le fit pas dire deux fois et dégusta l'ultime friandise avant de ranger ses affaires.

A la remarque de son patron, Ian tenta de répondre que oui, ils avaient eu l'intention de dormir à Techinastèque mais il n'entendit rien tellement le brouhaha avait repris.
Les stands avaient tous été remontés et chacun y allait de sa voix pour vendre leurs articles afin de combler le manque à gagner causé par l'incident.
Le jeune homme n'insista pas; il faut dire qu'il y avait tellement de choses à regarder...
Suivant de loin l'homme illustre, il contemplait les bijoux, les fioles de parfums de mauvaises qualité, les poteries aux couleurs criardes, touchant deci delà la marchandise, glissant un oeil en coin sur le postérieur ou les seins généreux des jeunes filles.

Tout à coup, il vit un étalage de verres que surmontait un panneau rouge et blanc. Tout joyeux il s'écria: Du coca cola à Dreamland ? trop top, j'en veux ! Et sans plus s'occuper du Capitaine, il se rua vers le marchand et paya sa boisson.
Il en profita pour se rappeler qu'il devait aller chez le coiffeur et s'apprêtait à rebrousser chemin quand son patron lui fit un signe de le suivre.
Tiraillé entre l'envie d'être enfin bien coiffé et l'obéissance pour laquelle il avait prêté serment, le jeune homme hésita mais quand il aperçut Milly métamorphosée en ange, sa décision fut prise; il emboîta le pas du marin.

Arrivé devant le groupe des filles, le pirate eut à peine le temps de s'expliquer que Melena l'agressa verbalement tant et si bien que le jeune homme éclata de rire; la harpie ne changerait donc jamais ! Mais ce n'était pas grave, il sentait bien qu'au fond elle n'était pas méchante...Enfin, pas trop...Et puis peu importe.
Il haussa les épaules et se mêla à la conversation pour dire: ce matin vous étiez d'accord pour dormir à l'hôtel ici, même que moi je voulais aller dans une grange vu que j'avais pas une tune...
Ceci dit, il se détourna; l'ambiance sentait le roussi et il n'aimait pas cela.
A la place, il alla voir le Cadeau que Bouddha avait Repris et lança: tu es toujours d'accord au fait, pour échanger ton chapeau fromage contre mes caches oreilles ?
Il attendit la réponse en espérant vivement qu'elle dise oui et sans même prendre la peine de vérifier si les autres parlaient encore ou non, il s'écria: Patron ! Je viens d'avoir une idée: je donne le ticket que l'esprit de Noël m'a offert à l'hôtelier et on partage la chambre comme cela toi tu économises le tien pour une prochaine fois et en plus Yoake pourra en avoir un lit pour elle toute seule, qu'en penses-tu ?

A présent, le jeune homme ne savait plus que faire et s'ennuyait ferme. Il aurait bien voulu s'occuper de Gaston histoire de faire quelque chose pendant que les autres papotaient mais le dindon n'avait pas l'air de vouloir s'amuser. Il aurait bien aimé faire du lèche-vitrine histoire de voir quels armes une telle ville pouvait proposer mais il devait attendre les ordres du marin. Du coup, il trouva son nouveau job un peu frustrant.
Il regarda autour de lui. Si seulement il pouvait s'acheter une DS avec un jeu quelconque, cela aurait pu l'absorber cinq minutes...
Il se mit à siffloter « Ah c'qu'on s'emmerde ici », juste pour passer le temps puis déclara: j'ai un peu faim moi, pas vous ?