Pour un nouveau départ

Provient de Freedoom
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- Rhaaaa ! Putain ma têêêêête !!
De retour dans le monde réel… Enfin. Ace plaqua ses mains contre ses yeux et resta ainsi pendant quelques secondes, allongé sur son lit, à se remémorer les derniers événements qui s’étaient passés à Freedoom.

Il se rappelait de tout ; c’était bien trop réel pour n’être qu’un simple rêve. Bien que…
Se repassant la fin de sa discussion avec Elie et Mel, le pyromane tentait de se convaincre que tout ça avait bien existé, il tentait de revivre cet instant où son lui à Dreamland allait rejoindre son corps physique.

Il ne comprenait pas ? Mais c’était elle qui ne comprenait pas… Comment annoncer du jour au lendemain à une bande de dealers que leur chef de bande les laissait tomber comme de la merde sous prétexte qu’un voyage au pays imaginaire l’avait ‘changé’. Il aurait tant voulu le faire… Pour Elie… Mais il fallait croire que ça faisait aussi partie des choses auxquelles il ne pouvait rien changer.

Alors qu’elle l’emmenait dans le couloir, le Ken avait bien cru qu’il allait se faire démolir la gueule à coup d’ ‘arguments’ mais derrière son tempérament de feu, cette fille était tout simplement géniale. Son cœur qui battait encore la chamade rien que d’y penser était un signe : ça ne pouvait pas ne pas avoir existé !
Il se souvenait aussi être revenu penaud dans la cuisine, juste à temps pour assister à la transformation de la nécrophobe. Même s’il le savait entre de bonnes mains, ce pouvoir avait quelque chose d’assez intimidant. L’expérience de la mort, physique ou de manière plus symbolique, était une épreuve en soi difficile à surmonter. Et pourtant c’était lui qui avait demandé expressément à se faire faucher :
- Fais-moi rentrer aussi, que j’me prépare à votre arrivée. J’attendrais l’temps qu’y faudra

Maintenant qu’il vivait le retour à la réalité, les dernières paroles en date de Melena prenaient tout leur sens. Il commençait à douter de la réalité de ce rêve, oui. Mais les oublier, ça serait impossible. Avant de se faire faucher, il avait juste adressé à son amie son plus beau sourire d’enfoiré ; comme une signature attestant un contrat.

Une sensation de mal-être naquit en lui, obligeant le pyromane à se lever pour chasser ce sentiment désagréable. Hm… Peut-être un peu vite en besogne… A peine debout, ses jambes flageolèrent et il n’eut d’autre choix que de rester assis quelques secondes supplémentaires. Il jeta un œil à son réveil. Seulement quelques heures s’étaient écoulées depuis qu’il avait pris le dreamburster et pourtant c’était désormais tout un monde qui le coupait de ce souvenir. Il y avait effectivement un avant et un après, bien distincts, mais pas assez pour influencer le cours de sa vie. Personne n’en aurait rien à faire de son détour à Dreamland. A part Elie et Mel, personne n’était capable de le comprendre.

D’ailleurs est-ce que tout irait bien pour elles..? Pourvu que les flics ne les aient pas encore trouvées !
Il secoua la tête et se décida à réitérer le passage au mode bipède. Ce n’était pas encore très viable mais il réussit néanmoins à se diriger vers la salle de bains pour passer sa tête sous l’eau froide pour se réveiller. Le silence était éprouvant. Il n’y avait personne, comme toujours mais c’était comme s’il n’y était plus habitué.

Aucun bruit de fond, seulement sa respiration et le flot continu d’eau glacée. Feufolé était resté là-bas ou avait tout simplement disparu ; les cris des Freedoomiens s’étaient tus eux aussi. Qui aurait pu croire que le silence pouvait être assourdissant..? Bon, c’était peut-être exagéré, mais juste un peu.

Le pyromane coupa l’eau et passa une serviette sur sa tête, commençant à s’essuyer. Sa main gauche n’avait rien perdu de sa couleur habituelle sinon que le tatouage ‘Sloth’ avait lui aussi disparu. A croire que tout ça était déjà loin. C’était d’un cynisme épouvantable. Il était redevenu Ace Ridley, le type tout à fait banal sans rien d’autre qu’un grain dans le crâne.

Une fois à peu près séché, il fit un détour vers la cuisine en passant par la porte d’entrée qu’il déverrouilla. Ça éviterait aux filles de se casser la tête à passer par derrière… Si elles venaient un jour…
Le frigo était plein, mais le bon vieux paradoxe de « j’ai faim mais y a rien à manger immédiatement » fit que le pyromane referma ce dernier avec dédain. Il opta pour le paquet de chips dans le placard. Il avait mangé à Freedoom mais ici, il était presque à jeun. Ah mais non : ça ne faisait que quelques heures qu’il dormait. Cela donnait l’impression que son esprit était déjà loin de son corps : ils ne partageaient plus la même notion de temps. Son âme avait compté en jours ce que le monde réel avait compté en heures, non : encore moins.

Mangeant ses chips sans réel intérêt, le Ken regardait par la fenêtre, dans la direction de Mission District. Si ça n’était qu’un rêve alors il attendait pour rien, il espérait voir ce qui d’un point de vue extérieur n’étaient que des chimères. Trop de réflexion, il expira bruyamment avant de retourner dans sa chambre pour attraper son portable qui trainait sur la table de chevet.
Zéro messages, rien, pas même une facture. Sur son fond d’écran, une photo de lui incendiant une voiture. A l’époque ça le faisait beaucoup rire, c’était chargé d’images et de symboles. A l’époque… Mais bordel, c’était y a à peine trois heures !!

La solitude n’avait pas changé, ici. Elle s’imposa d’elle-même ainsi que le besoin d’allumer un feu. Il n’y avait rien pour l’occuper, personne à qui parler, alors ses envies pyromanes répondaient naturellement présentes.
Bon… Il avait un feu à allumer, et un coup de fil à passer.

Ace mit quelques bûches dans la cheminée qu’il alluma sans y faire attention. Les vieux réflexes…
Il observa le départ de flamme sur les boulettes de journaux puis agrippa son portable sur lequel il composa un numéro.
- Allo, Stan..?

>> En provenance de Dreamland - plaines félicités -

Jade ouvrit les yeux brusquement et son premier réflexe fut de porter sa main droite à ses yeux pour les protéger de la lumière du soleil, agressive, qui pointait à travers les rideaux du salon. Il lui fallut un long moment pour comprendre qu’elle n’était plus dans la chambre d’hôtel où elle avait trouvé le sommeil mais plutôt sur son sofa. Comment était-elle arrivée là ? Elle n’en avait aucune idée à vrai dire, même si on pouvait supposer que quelqu’un, Elie a fortiori, l’avait trainé jusque-là.

La maison était silencieuse, la seule source de bruit provenant de la chambre de Josh où la bonne jumelle pouvait reconnaître la musique d’un de ses jeux vidéo, Skyrim si elle ne se trompait pas. Un doux sourire s’étira sur ses lèvres alors qu’elle basculait en position assise pour bailler généreusement et se frotter les yeux. C’était bon de se retrouver à la maison, ça lui apportait l’impression étrange que tout ce qu’elle avait vécu n’avait réellement été qu’un rêve, peut-être même était-ce le cas ? Peut-être qu’elle ne s’était même pas encore rendue à son premier rendez-vous chez Parkinson, et que tout ça n’avait été qu’extrapolation de la part de son esprit malade ?

Cette hypothèse la fit rire, un rire frais et léger qui résonna dans la pièce déserte. Son estomac profita de l’occasion pour se manifester et la mauvaise jumelle réalisa qu’elle n’avait pas seulement faim, mais elle crevait littéralement la dalle. Sa soif n’était pas en reste non plus. La prochaine étape imposée une fois debout fut donc la cuisine où Jade se servit généreusement en céréales qu’elle inonda de lait, l’esprit toujours embrumé. Ce n’est qu’après plusieurs cuillères qu’elle s’inquiéta de ne pas voir revenir sa mère.

L’horloge indiquait 10h15, et elle aurait dû revenir du marché en pestant contre Josh qui avait dû faire semblant d’être malade pour rester à la maison et ne pas avoir à porter les sacs. Pourtant toujours aucune trace de Maria, et un coup d’œil à la fenêtre lui permis de voir que la buic était toujours là. Bizarre…

- Josh ? Tu sais où est maman ? cria-t-elle depuis la cuisine.

Pas de réponse forcément, elle n’eut donc plus qu’à aller jusque la chambre de son petit frère qui ouvrit des yeux ronds en la voyant rentrer. Jade haussa un sourcil, ne comprenant pas cette réaction, et rétorqua simplement :

- Qu’est-ce qu’il y a, t’as vu la vierge ou quoi ? Où est maman ?

- Bah… elle est partie vous chercher toi et ton amie, ils l’avaient mauvaises que vous soyez parties en douce. Les parents m’ont dit de rester là pour surveiller Jade qui pionce toujours sur le canapé.

Les yeux de la bonne jumelle papillonnèrent alors qu’elle tentait d’intégrer ce qu’on venait de lui dire. Visiblement Josh la prenait pour Elie, ce qui voulait dire que non seulement elle n’avait pas rêvé, mais qu’en plus ses géniteurs étaient au courant pour leurs pouvoirs ? C’était dingue, complètement dingue. Elle quitta la chambre sans mot dire, trop obnubilée par la masse d’informations qui découlaient de cette révélation. Pour classer tout ça elle avait besoin de temps, et d’une bonne douche pour se réveiller aussi…

L’adolescente fila à la salle de bain pour se glisser sous un jet d’eau glacée, histoire de donner un bon coup de fouet à ses neurones, puis s’habilla à la va vite. Petite robe d’été et ballerines, elle était prête à sortir pour tirer tout ça au clair, mais le destin en avait décidé autrement. Alors qu’elle tendait la main vers la poignée de la porte d’entrée, quelqu’un toqua à la porte. Jay ouvrit en croyant que c’était juste ses parents qui avait oubliés leurs clés mais ce qui l’attendait de l’autre côté du panneau de bois était tout autre. Un homme en uniforme se tenait là, raide comme un piquet alors que son collègue l’attendait dans la voiture.

- Bonjour mademoiselle… il consulta le bloc-note qu’il avait en main pour compléter, …Martins. C’est justement vous que nous cherchions, si vous voulez bien nous suivre. Rien de grave, c’est juste pour vous poser quelques questions concernant les évènements étranges de ces derniers jours.

Le cœur de la psychotique rata un battement et, pur réflexe défensif, elle voulut fermer la porter au nez de l’officier de police qui cala in extremis son pied dans l’entrebâillement. Il ne lui fallut pas plus de 5 minutes pour la convaincre qu’elle n’avait pas d’autres choix que de le suivre et la pousser à l’arrière de la voiture stationnée dehors, gyrophare allumée.

Jade en était malade, la situation la dépassait complètement. Qu’est-ce qu’ils allaient lui faire bon sang ? Est-ce qu’ils allaient la mettre en cellule ? Faire des expériences bizarres sur elle ? Ils finiraient bien par réaliser qu’elle aussi faisait partie de cette menace nouvelle, et elle pourrait se brosser pour revoir la lumière du soleil ailleurs qu’entre les barreaux d’une cellule. Son esprit s’emballait, accumulant les options les plus sombres jusqu’à ce qu’elle ne tienne plus. Il fallait se tirer de là, et vite.

Le mode origine lui permettait de garder un contrôle relatif de ses moyens, si bien qu’elle réussit à concevoir un plan basique mais suffisant pour se faire la malle en douce. Profitant que les policiers discutent à un feu rouge, elle se pencha en avant comme pour remettre sa chaussure et, une fois masquée par le dossier des sièges avant, elle devint inconsistante. Il n’y eut plus alors qu’à traverser la portière comme une ombre et courir loin, très loin, avant que les passants éberlués ne retrouvent leur langue.

[HRP : je poste chez toi, parce que dans mon prochain message Jade va te téléphoner. Sois gentil avec elle hein :3]

Le pyromane faisait les cent pas en attendant que son dealer attitré ne daigne décrocher son putain de téléphone. C'est qu'il en mettait, du temps, l'animal !! Finalement, Ace put entendre la voix de son ami, visiblement très étonné d'entendre à nouveau le manager de l'équipe.

- Allo ? Ben alors, tu décroche plus ? ... Ben évidemment que j'suis en vie, ducon ! ... Ouais ... Nan ... Je sais, rien à foutre ... Ah ? Et Mike ? ... Bon ... Bon écoute, je-... Ouais, super, bon je-... Ta gueule, espèce de porc ! Ecoute-moi deux secondes ! ‘Faut arrêter la vente du DreamBurster. … Oui, maintenant … Evidemment que je sais c’que j’fais ! … Mais j’en sais rien, balance ça aux chiottes ou c’que tu veux mais arrête d’en refiler. Oh, et autre chose : on abandonne Mission’. … Ben ça veut dire c’que ça veut dire, eh ! … Je sais, je sais ... Nan j’ai pas pété un câble, écoute-moi et fait c’que j’te dis, c’est clair ? Bon.
… Oui … Ça va, j’te dis. … Nan, pas ce soir ; disons que j’prends mon weekend. … Je sais, qu’on est mardi, pauvr’imbécile… Ouais, salut.

Il raccrocha d’un air méprisant avant d’ajouter un pauvre con…
Voilà, c’était fait… Il avait promis à Elie qu’il le ferait. D’un autre côté le pyromane comprenait le désarroi de Stan : Mission District était un des quartiers où ils se faisaient le plus de blé. Ace se promettait que quand il aurait le temps il trouverait un plan pour palier la perte de chiffre, pour éviter toute émeute au sein de la bande. Déjà que ce qu’il demandait devait être passé comme un baobab dans le cul d’un hamster…
Et pourquoi pas un jour quitter l’affaire pour de bon..? Mais comment !?

Le Ken alla s’asseoir sur un fauteuil du salon, en face de la cheminée. Jonglant avec son portable, il regardait les flammes pour perdre son regard dedans. Ça faisait du bien de voir un vrai feu qui ne s’éteignait pas si on le fixait trop… pouvoirs à la con… Y avait que Feu’ qui était un tant soit peu utile bien que douloureux. D’ailleurs est-ce qu’il avait eu des nouveaux pouvoirs, depuis..? Les deux premiers n’avaient pas mis longtemps à se déclarer, après tout. Quoique… Il était mort entre-temps alors ça changeait peut-être quelque chose. Plusieurs minutes passèrent sans que Ace ne pense à quoi que ce soit. Le cerveau vide, les yeux dans le vague.

Il soupira et se releva, se dirigeant vers sa chambre encore une fois. Il ne savait pas trop ce qu’il cherchait mais il s’ennuyait. Pourquoi pas une petite partie de jeux vidéo, comme au bon vieux temps ?
Left 4 dead… Nan. Zombieland… Nan !! Doom 4… NAN !!! Resident Evil 5…. Bordel, pourquoi y a que des jeux avec des zombies !?
Retour vers les vieilles consoles… Dans un coin, la PlayStation 1, dinosaure vidéo-ludique, moisissait tranquillement. Le pyromane souffla dessus et ouvrit la console. Crash Bandicoot ? Chier, il était vachement vieux, celui-là… Ce jeu, il y jouait quand il avait quoi… Sept ans..? Oui, sept ans. Il y jouait avec Alexander. Quand il n’arrivait pas à un niveau, le majordome le regardait avec un sourire paternel avant de venir lui prêter main forte. A chaque fois. Aujourd’hui, c’était Ace qui souriait, comme s’il était à la place de son père spirituel, observant le petit Ridley faire la moue devant la console.

Il reposa cette dernière pour se diriger vers sa table de chevet où se trouvait une photo encadrée d’Alexander et lui. Il s’était toujours demandé si c’était un sourire qui se dessinait sur les lèvres du vieil homme et avait fini par conclure que oui.
Le portable se mit soudain à vibrer, tirant Ace de ses souvenir en un sursaut. Qui pouvait bien l’appeler ? Aucun nom par-dessus le numéro mais ce dernier lui rappelait quelque chose. Sans trop réfléchir d’avantage, il décrocha. Merde, et si c’était les flics !? Tant pis. Concrètement, il n’avait rien fait et aucun dossier n’avait été déposé à son nom.

- Euh allo ? … Jade, c’est toi ?? … Euh.. ben ouais, y a pas d’souci, tu viens quand tu veux… T’as d’quoi noter ? J’habite au 2056 Jackson Street, à Pacific Heights. C’est entre les deux parcs de Pacific’. Mais grouille-toi, les flics te recherchent p’têt déjà !
Oh et t’en fais pas pour Elie et Mel, elles devraient arriver dans peu de temps, elles aussi. A toute.

Ace était bien resté une bonne minute à tenter de récupérer son cerveau après que l’appel soit terminé. Si Jade l’appelait, alors c’était bien la preuve que ça n’était pas un rêve ! C’était réel !!
Il avait le cœur léger, comme si on venait subitement de lui ôter un poids. Le moral remonté à bloc, il était plus que jamais décidé à aider les filles à se cacher. D’un œil impatient, il scrutait la rue par la fenêtre, des fois que ses premières invitées soient déjà là.

Essoufflée, Jade courait. Elle filait comme une flèche droit devant elle sans chercher à éviter les obstacles, leur passant juste au travers comme s’ils n’existaient pas, qu’il s’agisse de murs, de poubelles, de voitures ou même de gens qui n’en menaient pas large. La psychotique n’en revenait pas de ce qu’elle venait de faire, et de toutes les conséquences que ça engendrerait. Son esprit était obnubilé par le désir pulsionnel de se cacher, de se trouver un trou où se terrer pour recouvrer un minimum de sérénité.

C’est la cabine d’essayage d’un magasin de fringue d’un centre commercial qui écopa de ce rôle. Jade s’assit dans un coin, les genoux remontés contre son torse et inspira profondément, une fois puis deux. Il fallait se calmer, mais surtout réfléchir à ce qu’elle devait, ou plutôt pouvait faire maintenant. Rentrer à la maison comme si de rien n’était était utopique et risible, aller trouver refuge sur quelqu’un ne sachant rien de ce qu’elle traversait lui paraissait tout aussi absurde. Il aurait fallu un voyageur à contacter, n’importe qui mais malheureusement tous les numéros qu’elle avait recueillis à son premier réveil se trouvaient dans son portable qu’Elie avait dû emporter.

Tout ce qu’elle avait, c’était sa robe, sa veste et tout un tas d’ennuis. Même pas de quoi passer un coup de fil d’une cabine d’ailleurs. Cette pensée fit alors émerger un détail qu’elle avait jusqu’alors mis de côté. Un numéro qu’elle avait enregistré de tête, faute de pouvoir ramener le bout de papier où il était griffonné d’un monde à l’autre. C’était celui d’un mec qu’elle connaissait à peine, mignon, vantard et un peu –c’est le moins qu’on puisse dire- violent, mais c’était la seule personne auprès de qui elle pourrait recevoir le soutien nécessaire.

Son calme à peu près retrouvé, elle quitta la cabine en douce à la rechercher d’une petite pièce à taxer, mais surtout une cabine dans laquelle la glisser. Alors qu’elle arrivait au niveau du starbuck café, son corps reprit de la consistance et elle put arrêter d’éviter frénétiquement qu’on ne fasse ne serait-ce que la frôler, découvrant du même coup qu’elle était là sans l’être. Elle se servit ensuite de son joli sourire pour taxer le prix d’un appel à un garçon plus qu’intéressé par ses jambes dénudées que laissait voir sa robe courte, et s’enfuit avant qu’on ne lui demande ses coordonnées.

- Bon… une cabine, il me faut une cabine…

La bonne jumelle trouva son bonheur près de l’entrée du centre commercial et pénétra dans le cercueil de verre avant de décrocher le combiné. Elle espérait vraiment que sa mémoire ne lui ferait pas défaut en lui filant un mauvais numéro, et le stress était plus que palpable lorsqu’elle entendit sonner dans le vide.

- Décroche… bon sang décroche… supplia-t-elle avant d’entendre la voix d’Ace au bout du fil, Euh… allo, je… oui c’est Jade, je sais pas si tu te souviens de moi et là je suis vraiment, mais vraiment dans la merde… je suis vraiment désolée de te demander ça alors qu’on se connait à peine mais je pourrais venir chez toi ?

C’était vraiment beaucoup demander et elle en était consciente, d’ailleurs ça ne l’aurait pas étonné qu’on lui raccroche au nez mais au lieu de ça le pyromane accepta, ajoutant même qu’Elie et Melena viendraient elles aussi. Le cœur de la psychotique lui donna l’impression d’exploser de reconnaissance et de soulagement. Elle enregistra l’adresse dans un coin de sa caboche avant de raccrocher, non sans bredouiller un « merci » gêné.

2056 Pacific Heights, un quartier huppé et, heureusement pour elle, pas très loin de l’endroit où elle avait échoué après sa course effrénée. Il lui fallut seulement 15 minutes pour rejoindre le perron de la maison imposante des Ridley, après quoi elle toqua timidement, puis une autre fois plus fort.

- Euh… Ace ? Tu es là ? C’est Jade.

Elle se sentait idiote, pas à sa place aussi. Même si sa tenue était mignonne elle ne pouvait s’empêcher de penser que dans ce décor, elle n’était rien d’autre qu’une pouilleuse. Tourner les talons ? Non, trop tard, la porte s’ouvrait déjà sur la silhouette légèrement débraillée du pyromane. Les yeux rougis de ce dernier laissaient à penser qu’il venait de se réveiller, ou de consommer un truc pas net, au choix. La bonne jumelle un poil nerveuse lui adressa un sourire voilé avant de se lancer en se triturant les mains :

- ‘Lut… j’espère que ça te dérange pas, je voudrais pas t’attirer d’ennuis…

Ace espérait que savoir qu’Elie et Mel seraient ici dans peu de temps avait donné un petit surplus de courage à la bonne jumelle. Il ne s’en faisait pas sur ses capacités à se sortir d’un mauvais pas mais avoir le gouvernement à ses trousses c’est pas le truc le plus amusant au monde. Si elle était dans la merde, il l’était aussi pour le simple fait d’héberger trois fugitives, alors pourquoi ne pas faire les choses à fond..?

Même s’il connaissait à peu près ses invitées, le pyromane ne pouvait s’empêcher d’appréhender les critiques ou ce qu’elles pourraient penser. Pudeur ou simple honte d’avoir passé les dernières heures vautrés comme une loque après avoir avalé un cachet rigolo, Ace ouvrit la fenêtre de sa chambre pour aérer et descendit pour vérifier que la maison n’était pas un dépotoir. C’était pas une décharge, mais c’était pas nickel chrome non plus… Résigné, il fit le nécessaire pour que sa tanière soit présentable. Intérieurement, il rageait : c’était pas à lui de faire le ménage, normalement ! Il avait des domestiques – qu’il avait congédiés, certes – mais le fait est que c’était lui qui se retrouvait à faire le sale boulot. Et en bénévole, en plus !! Dégueulasse !

En passant devant un miroir, il put apercevoir un jeune homme au teint pâle, les yeux rougis par la fatigue – diront-nous – et les cheveux en bataille. Merde. La flemme. Il se demandait surtout s’il avait le temps de prendre une douche ou changer de vêtements ; ces derniers ne lui rappelaient que trop les épreuves de la tour. Idée stupide… les filles ne tarderaient pas à arriver. Plus le temps. Mais pourquoi il pensait à des trucs aussi débiles alors que la situation ne se prêtait aucunement à la détente..?

Stop. Le pyromane coupa net la communication avec son cerveau décidément peu coopératif pour se concentrer d’avantage à garantir la protection des lieux. A cette heure-ci, Stan devait déjà avoir prévenu les autres et le DreamBurster ne circulait plus. Du moins, plus chez eux. D’ailleurs d’où venait-elle, cette drogue ? Qui l’avait conçue ? Peu importe du moment qu’ils n’en vendaient plus, les flics ne pourraient pas remonter jusqu’à lui. Ils ne s’étaient jamais fait chopper auparavant grâce à leur politique de discrétion, mais ça n’était pas le moment de prendre des risques inutiles.
Deuxième menace : qui pourrait remonter la piste des filles ? Personne à part si l’appel de Jade avait été tracé. Mais si ça venait d’un téléphone publique, est-ce qu’on pouvait tracer ce genre d’appels ??

Hey, sombrer dans la paranoïa ça aidait pas non plus. Le seul truc vraiment gênant c’était au final que les vieux d’Ace décident de faire un saut chez eux. Pourquoi faire ? Non, franchement chez lui y avait pas meilleure planque.

Le Ken tendit l’oreille alors qu’il lui semblait entendre un bruit à la porte d’entrée. Ses doutes furent confirmés alors que Jade se manifestait une nouvelle fois. D’un bond, il se rua vers la porte pour ouvrir. Il était préférable que personne ne la voit.

- Hey, salut ! Nah, ça m’dérange pas du tout, ‘contraire. Entre, j’t’en prie. Il laissa passer la bonne jumelle avant de refermer la porte non sans avoir jeté un coup d’œil furtif dans la rue. Si les flics n’étaient pas là, il n’y avait pas non plus de trace de la mauvaise jumelle ni de la nécrophobe.
- T’as fait vite, dis-donc. Les autres sont pas encore arrivées. Euh.. ben fais comme chez toi, t’es la bienv’nue. Si t’as besoin de quelque chose n’hésite pas, surtout.

C’était assez troublant de voir à quel point Elie et Jade se ressemblaient tout en étant si différentes. Elle semblait stressée. N’avait-elle pas dit qu’elle était dans la merde ? Il n’y avait pas vraiment réfléchi sur le coup mais ça semblait assez important.
- Qu’est-c’qui t’as fait v’nir si vite, au fait ? Les keuf’ s’sont d’jà ramenés chez toi ? La bonne jumelle n’avait pas besoin de répondre que déjà ses traits trahissaient que c’était effectivement le cas. Bon, il fallait la rassurer, au moins ça.

- T’inquiète, ici y a rien à craindre, vraiment. Personne pensera à v’nir vous chercher ici *à moins qu’on s’traine une poisse impossible*. Viens, on va s’caler à l’étage, s’tu veux.
Le pyromane espérait que ça suffirait pour que Jade se détende un peu et c’était peut-être stupide, mais il se sentait plus en sécurité en haut qu’au rez-de-chaussée. Peut-être parce que si quelqu’un entrait subitement dans la maison ça serait par là ; ouais.. logique.

Il invita donc la bonne jumelle à entrer dans sa chambre, lui-même s’allant fermer la fenêtre et tirer de fins rideaux de soie pour éviter tout regard indiscret de la part des voisins. De toute façon ses voisins étaient tous des cons. Des sales coincés incapables de comprendre la jeunesse, assis sur leurs convictions et prêt à balancer les filles gratuitement, c’était certain. Vieux cons !!
Jade s’assit sur le bord du lit tandis qu’il alla s’adosser au mur, à quelques pas de la porte. Des fois que les invités ne soient pas celles qu’il attendait.
- S’cuse pour le bordel, hein.. J’viens d’me réveiller et j’m’attendais pas à tant de visite d’un coup. admit le pyromane en un sourire amusé. En à peine quelques minutes, la maison allait passer de no-man’s-land à lieu de vie commun. D’ailleurs ça ne tarda pas.

Malgré la porte fermée, le Ken entendit distinctement des pas monter l’escalier. Inconsciemment, la pression monta d’un cran alors qu’il se posait la question « ami ou ennemi » ?
Il fut soulagé de voir Elie entrer, suivi de près par Melena ; mais une gêne s’installa rapidement alors qu’il observait la mauvaise jumelle les dévisager. Il tourna la tête en direction de Jade. Hm… Jupe courte, lit défait, et lui qui avait une gueule de lundi matin… Ah ouais ok… Grave.
Que dire dans ce genre de moment ? « C’est pas c’que tu crois ! », « j’peux tout expliquer ! » ? Ces deux phrases équivalaient au suicide direct. Malgré le ton cassant qu’adopta Elie, elle se rattrapa avec un trait d’humour. Ace en profita pour rebondir dessus.

- Hah ouais, heureusement qu’y en a qu’un ! ‘Fin bref, j’sens v’nir le malaise alors j’vais faire bref : Jade m’a appelé y a quoi… un quart d’heure..? pour me d’mander si elle pouvait loger ici ; j’pense que c’est mieux si on est regroupés, nan ?
Il ajouta à cela un sourire qui paraissait d’avantage gêné que convainquant. Il ne manquait plus que ça… Qu’Elie croie qu’il avait fait une partie de jambe en l’air avec son double.

Jade avait suivi le pyromane, embarrassée. Elle avait l’impression dérangeante de s’imposer, de ne pas être la bienvenue malgré les paroles rassurante qu’on lui servait sur un plateau d’argent. Et la culpabilité ? Et en ressentait aussi bien sûr, ne serait-ce que de peur d’attirer réellement des ennuis à celui qui lui tendait la main. Il suffisait d’un témoin qui affirme l’avoir vu pénétrer ici et la flicaille débarquerait pour interroger le jeune homme, elle en aurait mis sa main à couper.

La question du pyromane sur sa rapidité à venir lui tira une légère grimace qu’il traduisit par un « oui ». Un peu qu’ils étaient passés, ils l’avaient même embarquée comme une vulgaire criminelle ! Elle qui dans le monde réel n’avait jamais rien fait de pire que de mentir à ses parents pour aller à une fête, il y avait franchement de quoi rire.

- Ils sont venus chez moi, et ils m’avaient emmené mais j’ai eu peur alors je me suis sauvée, elle marqua une pause et ajouta le regard fuyant, En passant à travers la portière. Bon, je sais que c’est pas malin mais sur le moment je voyais pas quoi faire d’autre.

Ses doigts fins se crispèrent sur les volants de sa robe alors qu’elle suivait le Ken à l’étage pour rejoindre sa chambre. Celle-ci était encore en bordel, confirmant le fait qu’il venait bel et bien de se réveiller. Il avait l’air amusé du chaos ambiant, et Jay répondit à son sourire par un autre lumineux. Elle avait fait le bon choix en l’appelant, même si elle ne comprenait pas vraiment pourquoi Elie et Melena étaient censées le rejoindre alors qu’ils se détestaient la dernière fois qu’elle l’avait vu.

Assise sur le bord du lit elle lissait sa robe, tentant de faire le tri dans ses pensées mais surtout d’identifier cette étrange impression qu4elie se rapprochait. Non pas parce qu’on le lui avait dit, mais parce qu’elle en avait la certitude jusque dans le creux de son ventre. Une fois intérieur semblait lui hurler « elle est là » et aussitôt… la porte s’ouvrit sur son double.

Agitée entre un mélange de joie et de culpabilité, Jay n’osa d’abord rien dire et accueillit les remarques de la mauvaise jumelle en baissant les yeux vers la pointe de ses ballerines. On aurait dit qu’elle la voyait comme une menace, ce qui ne faisait que confirmer ses craintes : elle lui en voulait à mort de l’avoir laissé mourir et allait vouloir lui refaire le portrait façon Picasso. Elle s’apprêtait à s’excuser, expliquer pourquoi elle avait fait ça, mais la réponse du pyromane la laissa sur le cul.

Elie serait juste… jalouse ? D’elle ? Pour lui ? La psychotique laissa errer son regard du pyromane à Elie, les yeux ronds. Non là vraiment, elle avait besoin de comprendre. S’il lui rendait des comptes c’était qu’ils étaient plus que des ennemis, des connaissances ou des amis. Qu’ils étaient « ensembles ». Sauf que… c’était impossible non ? C’était El’, celle qui vous envoyait à l’hôpital parce que vous aviez le malheur de la bousculer sans vous excuser, celle qui voyait le mal partout et qui réagissait comme un chien de garde. C’était juste complètement improbable, Jay en restait sur le cul.

- Vous… tu … ?

Puis Melena entra dans son champ de vision et son cœur se ratatina un peu plus dans sa poitrine. Si Elie devait déjà lui en vouloir à mort, que dire de sa meilleure amie ? Même si elle ne l’avait pas formulé explicitement, même si elle ne comprenait pas bien la situation, elle avait ni plus ni moins ordonné à son double de la tuer. Elle devait la détester maintenant, la haïr plus que tout et pourtant… c’était si rassurant de voir qu’elles étaient là devant elle, bien vivantes !

Elle se mordit la lèvre, hésitant à prendre la parole de peur qu’on l’envoie chier ou pire, qu’on l’ignore. L’envie de les serrer dans ses bras la faisait presque trembler et alors qu’elle n’attendait rien d’autre que des insultes, l’irlandaise s’avança pour la prendre dans ses bras en lui murmurant qu’elle lui avait manqué. Le cœur de Jade bondit douloureusement dans sa poitrine alors qu’elle enlaçait son amie à son tour, débordant de reconnaissance.

- Tu m’as manqué aussi… vous m’avez manqué toutes les deux. Je suis vraiment, vraiment désolée pour… pour tout ça. Je comprenais pas, ou je voulais pas comprendre je sais pas. J’ai du mal à réfléchir quand j’ai peur mais la dernière chose que je voulais était de vous voir mortes je vous le jure !

Viens de Fugitives vers Pacific Heigts

Elie lui rétorqua que ce ne serait pas utile de contacter la bonne jumelle par télépathie et la nécrophobe lui fit confiance. Ça faisait assez longtemps qu’elle faisait équipe avec la personnalité agressive de la psychotique pour savoir qu’elle n’était pas une complice dont elle pouvait douter. Elle se contenta donc de la suivre, simplement surprise que Jade puisse se trouver dans les parages. Comment ? Par qui ? Pourquoi ? Ces considérations s’effacèrent vite cependant, au profit de cette petite boule de chaleur qui s’installait au creux de son estomac à l’idée de revoir sa meilleure amie.

A chacune des pièces luxueuses qu’elles découvraient, son cœur s’accélérait, anxieux et impatient, appréhendant ces retrouvailles, comme si elle pouvait recéler quelque chose de désagréable et d’inattendu. Au détour d’un couloir, Melena croisa son reflet : celui d’une adolescente blême à la longue chevelure corbeaux ; son style jean, tee-shirt et converses jurant affreusement avec la demeure huppée. Elle avait l’impression d’être une pouilleuse perdue dans un univers qui n’était pas le sien, à se demander comment le pyromane pouvait bien s’être assez attaché à elle pour l’inviter chez lui.

La première halte infructueuse la tira de ses pensées futiles. Après tout ce que le trio avait partagé, ce serait le comble qu’Ace les renie dans le monde réel parce qu’elle ne faisait pas les boutiques dans les magasins de luxe. Suivant toujours Elie à la trace, l’irlandaise grimpa l’escalier et perçut enfin les éclats de voix qui filtraient jusque dans le couloir. Au fur et à mesure qu’elle approchait de la porte de la chambre du pyromane, elle avait l’impression que son rythme cardiaque accélérait, encore, encore, frappant toujours plus fort jusqu’à ce que les deux fugitives fassent irruption dans la pièce.

Jade était là. Ingénue, irrésistible dans sa robe d’été qui dévoilait ses jambes minces ; identique à Elie, et pourtant incroyablement différente. Pour avoir côtoyé les deux, la nécrophobe commençait à reconnaitre ces petits détails qui permettaient de ne pas se tromper, comme leurs expressions, leurs gestes, leurs postures, l’impression qu’elles dégageaient. Ace était là bien sûr et elle lui adressa un sourire vague tandis qu’il résumait la situation à sa petite amie possessive, mais ses yeux gris ne pouvaient quitter la bonne jumelle. Doucement, elle s’approchait, comme si elle ne l’avait pas vu depuis des mois.

Comment engager la conversation avec sa meilleure amie qui avait l’air aussi mal à l’aise qu’elle ?! Avec des gestes lents et silencieux, Melena posa son sac et son ordinateur sur le lit, les mots se bousculant trop dans sa tête pour sortir dans un ordre construit. Par quoi commencer ? Lui dire qu’elle était contente de la revoir ? La réprimander pour toutes ses bourdes ? Faire comme si ça ne l’atteignait pas tant que ça ? Oh et puis, au diable les contenances ! Elle avait affronté les pires atrocités pour la retrouver, était passée en haut de liste des ennemies de la métropole – si ce n’était plus –, alors faire semblant n’aurait aucun sens.

- Tu m’as manqué, souffla-t-elle en se penchant pour enlacer la bonne jumelle, vraiment.

Ce contact était tellement doux, tellement agréable, l’irlandaise aurait voulu qu’il ne s’arrête jamais. Comme un mal qui choisissait toujours le meilleur moment pour frapper, la réalité lui asséna que Jade était hétéro et que bien qu'elle l'aimait très fort, ce ne serait à jamais qu’à sens unique. Une larme s’échappa de ses yeux, furtive. Elle l’essuya discrètement avant de s’écarter, consciente que le regard de la mauvaise jumelle n’était pas bien loin.

Les excuses tombèrent, peut-être profondément sincères, mais inutiles. Celles-ci n’effaceraient pas la marque des adeptes que portait son corps astral, elles  ne lui feraient pas oublier l’horreur qu’avaient été les épreuves, ni l’abomination qu’avait été sa mort douloureuse. La douce voix de son amie remuait si bien le couteau dans la plaie en pensant bien faire que Melena lui imposa un index fin sur les lèvres. Blanche comme un linge, avec un sourire qui se voulait détaché, mais qui était en réalité légèrement crispé, elle lui dit calmement :

- C’est bon t'inquiète pas, on est bien vivante, et on t’a retrouvée. ‘Faut qu’on passe à la suite maintenant, parce qu’on est dans la merde jusqu’au cou, dans les deux mondes.

En effet, si Ace était préservé pour sa part, les adolescentes devaient retrouver ce qui manquait à leurs âmes à Dreamland tout en étant considérées comme de dangereuses fugitives dans leur dimension. Ce n’était pas demain la veille qu’elles se reposeraient tranquillement.

Voir Ace se justifier de façon bancale faisait tiquer l’œil d’Elie, et accessoirement oublier ce qui l’empêchait de leur encastrer la tête à tous deux dans le mur le plus proche. S’ils avaient… s’ils avaient vraiment… non, il ne lui ferait pas ça. Il avait dit qu’il l’aimait non ? Il ne se serait pas foutu de sa gueule comme ça. C’était peut-être un enfoiré, mais c’était un enfoiré qui tenait à la vie, son amour pour elle ne pouvait pas être qu’une vaste blague.

La mauvaise jumelle tenta de sourire mais ne réussit qu’à afficher un rictus alors que la bonne jumelle s’étonnait un peu trop visiblement de cette révélation. Croisant les bras, elle se renfrogna tout en s’écartant pour laisser passer Melena qui fondit sur Jay comme un navire toutes voiles dehors. Ça avait un côté dérangeant de la voir ainsi se coller à son autre « elle » en sachant qu’elle en était amoureuse et que par conséquent elle avait probablement des idées derrière la tête, mais… en un sens c’était touchant. Et puis si l’autre pouvait virer sa cuti’ ça l’arrangeait presque désormais. Presque.

Elle se glissa jusqu’à Ace alors que le moment des grandes déclarations arrivait, ou plutôt celui des excuses. Impossible pour elle de ne pas voir que Jade était sincère et pour tout dire elle lui avait déjà pardonné ne serait que pour une raison. Sa trahison était l’une des raisons qui lui avait permis de se rapprocher autant du pyromane, et rien que pour ça elle ne pourrait lui en vouloir éternellement, mais lui déclarer qu’elle était tout excusée lui semblait bien trop facile.

- J’espère bien que tu voulais pas nous voir mortes, manquerait plus que ça, grommela Elie tout en attrapant la main d’Ace pour marquer son territoire.

Ce contact la rasséréna, lui donnant la force de ne pas lever au ciel lorsque Melena se mit à tenir des discours sur le pardon, et leur futur. Quelle suite ? Ils étaient pourchassés, obligés de se cacher chez un dealer de drogue –aussi charmant soit-il- ce qui était loin de se présenter comme une perspective d’avenir. Quant aux solutions pour se sortir de là elle n’en voyait aucune, y’avait franchement de quoi déprimer.

- Par merde t’entends qu’on est recherchées par les flics ? Parce qu’avec le bordel de tout à l’heure ça m’étonnerait même pas qu’on passe déjà à la télé.

L’adolescente jeta un coup d’œil autour d’elle mais aucun poste en vue. Elle haussa les épaules pour reporter son attention sur le pyromane qui n’avait vraiment pas l’air bien éveillé. Y’avait pas à dire, les effets de la drogue étaient loin d’être glorieux. Elle attrapa le menton du jeune homme entre ses doigts et l’examina avant de lâcher, dubitative :

- Et bah mon chou, t’as pas l’air frais…

Un sourire moqueur étira ses lèvres sucrées alors qu’elle se détournait pour planter ses orbes bleus dans ceux identiques de Jay. S’ils avaient pu parler, ils auraient hurlé un « pas touche » plus qu’explicite qu’il était impossible de ne pas remarquer.

- Bon, on est tous un peu HS et déboussolés, je crois qu’on a besoin de souffler un peu non ?

C’était vrai, mais c’était aussi une invitation pas très subtile pour que Jade se retire dans n’importe quelle chambre autre que celle-là. Elle l’aimait comme on ne peut qu’aimer soi-même mais elle avait besoin de temps pour classer ses pensées et ses sentiments. La voir ainsi après ce qui s’était passé et associé à sa jalousie dévorante c’était juste trop pour qu’elle puisse conserver son calme.

Sa remarque avait installé une sorte de malaise et elle se savait en être responsable, mais pour être franche c’était bien le dernier de ses soucis. Tout sera mieux accueillit que de se prendre le bec avec la bonne jumelle parce qu’elle avait voulu attaquer le morceau avant d’avoir fait le tri dans sa tête. Et accessoirement avant d’être sûre qu’Ace n’était pas du tout intéressé par Jade.

- On pourrait se retrouver dans deux heures pour déjeuner, quand on sera remis de nos émotions. Enfin moi j’dis ça, j’dis rien.

C’en était presque déboussolant de voir qu’il y avait tant de chose à expliquer, tant à raconter pour qu’enfin tout retrouve un semblant d’ordre. Lui-même n’était pas sûr de bien comprendre le malaise qui subsistait entre les deux jumelles. Bon d’accord, il y avait peut-être eu accrochage mais ils étaient tous en vie et aucun ne s’était fait attraper, jusqu’à présent ! A moins que ça ne soit son séjour à Freedoom qui ait donné à Ace un recul par rapport à ce genre de choses..

Il suivit la trajectoire de Mel des yeux sans trop savoir où se mettre. Impact dans trois… Deux… Un… Et voilà que les deux amies s’enlaçaient avec émotion. C’était touchant, ok, mais quand on pensait qu’elles avaient dû se voir quelques heures plus tôt dans le monde réel, alors qu’à Dreamland c’était un océan et sans doute plusieurs jours qui les séparaient, ça faisait prendre conscience de beaucoup de choses. D’ailleurs s’ils avaient fait ces épreuves, c’était pour aller retrouver Jade, entre-autres. Entre-autres. Ace se fixait un autre but imaginaire comme celui de simplement retrouver la liberté. Un but pour éviter de penser que les épreuves n’avaient servi à rien.

La main d’Elie vint se glisser dans la sienne, lui apportant un peu de réconfort. Le sourire sur son visage laissa place à une expression d’interrogation. Comment ça « le bordel de tout à l’heure » ? Il n’était pas sûr de comprendre, ça devait avoir un lien avec la mésaventure de Jade mais il poserait la question plus tard.

D’ailleurs la mauvaise jumelle embrayait déjà sur un autre sujet que Ace aurait préféré enterrer définitivement. Il se contenta d’un second sourire gêné. A la différence d’Elie, Jade ne savait pas ce qui était la cause de sa tête de défoncé, et par extension, elle ne savait rien de ses activités ; moins il y aurait de monde au courant, mieux le Ken se sentirait. Mais toutes ces marques d’affection semblaient surfaites, comme si la mauvaise jumelle tentait de faire comprendre sans le dire à Jade qu’Ace lui appartenait à elle et rien qu’à elle. Ça avait un côté amusant, mais le pyromane ne comptait pas en tirer profit. On ne badine pas avec l’amour, sans compter que les sentiments du pyromane allaient bel et bien vers Elie et non Jade. Si elles avaient le même corps les caractères étaient trop différents, pour ne pas dire opposés.

La proposition de souffler un peu faisait bizarre dit comme ça, mais Elie avait raison : mieux valait essayer de se calmer pour éviter des tensions inutiles. Ace n’avait aucune envie d’une engueulade chez lui ou bien devoir séparer les jumelles à cause de leurs différends.
Se retrouver dans deux heures, pourquoi pas ? D’un autre côté sortir serait assez risqué donc ça signifiait surtout se dispatcher dans la maison. Soit, ‘elles qui voyaient…

- On peut faire ça, ouais. J’veux pas vous emmerder avec ça, mais vu qu’on vous recherche déjà, ‘vaut mieux pas trop sortir, ‘fin j’pense que c’est logique, quoi…

Bon, c’est p’têt pas soft d’être enfermé toute la journée mais si vous voulez r’garder un film ou quoi y a une télé dans l’salon, on a une douche à l’étage ‘pi sinon vous pouvez aller choisir vos chambres, j’vous laisse faire. Z’êtes chez vous. Il enjoignit ses invitées à disposer comme elles le voulaient de la maison d’un geste de la main accompagné d’un sourire chaleureux.

Une fois que Melena et Jade eurent quitté la chambre, Ace serra doucement la main d’Elie pour la retenir près de lui.
- Je… J’ai appelé les gars tout à l’heure. Y vont arrêter d’vendre le Dreamburster, et j’leur ai d’mandé d’quitter Mission’. Je peux rien faire d’autre pour le moment sinan y vont m’tomber sur la gueule mais j’te promet qu’j’arrêterai cette merde dès que j’pourrais. Il marqua une pause durant laquelle il plongea ses yeux dans ceux de la mauvaise jumelle. Sois pas jalouse de Jade, elle m’a juste demandé de l’aider et j’l’ai fait, rien d’plus. C’est toi que j’aime, tu l’sais. J’veux pas qu’y ait d’problème à cause de ça…

Sur ces mots il déposa un baiser sur les lèvres d’Elie. Il était vraiment heureux de la voir pour de vrai, en dehors du cadre morbide de Dreamland, à l’abri des attaques de zombies et des gardiens. Ici tout semblait différent, pensé de manière différente et alors que son cœur brûlait d’une flamme qu’il avait longtemps cru éteinte pour toujours, la maison elle aussi reprenait vie. Cette longue solitude qu’avait été sa vie prenait fin, il était prêt à en commencer une autre, plus radieuse ; un nouveau départ.

Dans ses bras, le corps de Melena s’était raidi à l’écoute de ses excuses et Jade regrettait déjà de les avoir formulées. Si elle avait pu avoir un bouton de retour arrière elle l’aurait pressé de bon cœur, juste pour ne pas voir le sourire tendu de son amie alors qu’elle tentait de la rassurer sans conviction, plus pour fuir le sujet que parce qu’elle lui pardonnait vraiment. La pression de l’index de son amie sur ses lèvres les faisait trembler, impossible de savoir combien de temps elle mettrait avant de craquer et de fondre en larmes mais heureusement Elie régla la question pour elle en l’invitant à s’en aller.

Comme un coup de poignard en plein cœur, l’attitude de son double la laissait bouche bée, presque choquée. Bien sûr elle ne s’attendait pas à être reçue à bras ouvert mais là on lui donnait tellement l’impression qu’elle était de trop qu’elle se sentait mal. La situation lui apparaissait d’un coup sous un angle différent : elle ne retrouvait pas son double non, elle se taillait juste de force une place dans un trio soudée. Se voir soudain comme une intruse était terriblement blessant, au point de lui donner envie de s’en aller et de ne plus jamais revenir.

- Ouais, souffler… murmura Jade, les yeux trop brillants pour ne pas attirer l’attention de Melena.

Penaude elle écouta Ace leur présenter toutes les possibilités qui s’offraient à elles, mais la seule chose qu’elle souhaitait était de se retrouver seule pour pleurer un bon coup. Quand même l’autre partie de soi ne voulait plus de vous, c’était qu’on ne valait plus grand-chose. L’adolescente ne se rendait même pas compte que ce n’était que l’exact inverse de ce qu’elle avait fait vivre à la mauvaise jumelle en lui rabâchant qu’elle n’existait pas, qu’elle n’était qu’une tare qui l’empêchait de vivre normalement, un vulgaire pouvoir. Un juste retour de flamme que sa mauvaise foi l’empêchait de percevoir.

Une fois à la porte de la chambre du pyromane, la psychotique resta immobile quelques secondes avant de trainer les pieds jusqu’à une chambre qu’elle avait choisi au hasard. Regarder la télé ? Cette simple idée lui retournait l’estomac. Elle voyait déjà d’ici la haine des gens envers eux déferler sur les ondes en les qualifiant de monstres, d’abominations. C’était plus qu’elle ne pourrait supporter.

C’est seulement après s’être laissée tomber sur le lit qu’elle réalisa que l’irlandaise l’avait suivi, et aussitôt un sourire tremblant étira ses lèvres. Voir que sa meilleure amie ne se détournait pas d’elle était sa seule lumière dans son océan de désespoir. Sa vie partait en morceau, mais tant qu’elle pourrait au moins se raccrocher à quelque chose comme l’amitié qu’elle partageait avec Melena tout ne serait pas perdu.

Elle tapota timidement le matelas à côté d’elle et lorsque son amie l’eut rejoint, elle attrapa sa main pour la serrer dans la sienne. Ce contact chaleureux lui donnait du baume au cœur et faisait affluer les mots dans le fond de sa gorge. Il y avait tant à dire, à partager… juste discuter comme elles l’avaient fait tant de fois au cours de leur voyage ! Tout pour oublier que dans une pièce voisine, l’autre moitié d’elle-même se serait mieux trouvée sans elle.

- Toi aussi, tu m’as manqué tu sais… ? En revenant, j’ai été ramené à Elipse, alors j’avais voulu fuir par les égouts mais les voyageurs pleuvaient de partout c’était à n’y rien comprendre et… je me suis retrouvée déguisée en loup-garou à chasser – encore- un rat géant. Dans tout ça je pigeais pas grand-chose aux messages que m’envoyait Elie.

Ses yeux obliquèrent vers ses chaussures mais elle se força à les lever jusqu’à les planter dans ceux de sa camarade. Elle avait déjà trop fuis, elle en avait plus qu’assez.

- Je suis rassurée de voir que vous allez bien, j’avais peur que vous soyez mortes. En fait j’ai vraiment cru que vous l’étiez, Elie répondait plus et j’avais aucun moyen de vérifier… c’était horrible. Mais moins que ce que vous avez vécu je suppose.

Dans sa poitrine son cœur s’emballait sous le coup de l’émotion. Plus elle en parlait, plus elle s’en voulait. Sur un coup de tête elle attrapa Melena dans ses bras pour la serrer tendrement alors que les larmes se mettaient à couler sur ses joues blêmes sans qu’elle ne puisse rien y faire. Lorsqu’elle eut recouvré un semblant de calme elle murmura sans lâcher son amie :

- Tu veux bien partager ta chambre avec moi ? On a du temps à rattraper et j’ai pas envie de dormir seule, ça m’angoisse.

>> Direction une autre chambre (Jade et melena)

Dans la chambre, le silence pesant s’étira jusqu’à ce qu’Ace le brise en acceptant sa proposition. En réalité elle n’avait eu que peu d’espoir à ce sujet, s’attendant à un refus massif, et l’appui du pyromane la laissa passablement surprise. Une pointe de paranoïa s’insuffla alors dans son esprit pour lui murmurer insidieusement qu’il voulait peut-être juste se retrouver seul à seul pour lui dire que c’était fini, qu’elle était trop possessive et que finalement il préférait sa vie de célibataire. Pire encore, il pourrait lui annoncer son désir de changer de jumelle juste parce que l’autre lui convenait mieux.

Au départ de Melena et de son double, elle s’attendait à s’en prendre plein les dents et commençait même à penser sortir avant d’entendre ces paroles au-delà du supportable, mais au lieu de ça la main de son petit ami pressa la sienne avec tendresse pour la retenir. Surprise Elie leva son visage opalin vers Ace, juste à temps pour recevoir un regard intense qui la fit vibrer jusque les tréfonds de son âme incomplète.

Au lieu des horribles paroles qu’elle attendait, il lui annonça qu’il avait tenu sa promesse, tout simplement. De quoi lui faire s’en vouloir d’avoir douté de lui un seul instant. La déclaration qui suivit ne fit qu’enfoncer un peu plus la mauvaise jumelle qui ne pouvait plus dès lors qu’endosser le costume de la chieuse de service. Ce mec était trop bien pour elle, c’était à se demander comment il pouvait la supporter alors qu’elle passait son temps à rendre la vie des autres impossible…

« C’est toi que j’aime », ces mots résonnaient à l’infini contre les parois de son crâne alors qu’Ace se penchait pour l’embrasser. Elle en tremblait presque, de colère contre elle-même, de culpabilité aussi. Elle avait beau être forte, tant qu’elle douterait autant d’elle-même il lui serait impossible d’avancer, ne serait-ce que d’un pas.

- Désolé, c’est juste que quand je vous ai vu je… elle était toute mignonne, rien à voir avec moi, alors j’ai pensé que peut-être c’était plus ton type de fille, elle grimaça, l’air coupable, avant d’enlacer son compagnon rien que pour le plaisir de sentir la chaleur de son corps contre le sien, Mais merci d’avoir tenu parole et… de m’aimer tout simplement. J’aurais pas dû douter de toi, c’était juste plus fort que moi.

Cet amour était vrai, aussi vrai que le corps qu’elle tenait entre ses bras. C’était étrange de se dire que la nuit qu’ils avaient passé ensemble n’était que du domaine du rêve et qu’ici la seule personne qui avait effleuré sa peau nue était Melena. L’envie d’effacer ces souvenirs pour les remplacer par des nouveaux brûlait en elle, pour concrétiser aussi leur relation aussi, et oublier que dehors tout le monde voulait les voir en cage comme de vulgaires bêtes de foire.

Elie se hissa sur la pointe des pieds, les yeux mis clos, pour déposer un baiser papillon dans le cou du pyromane alors que ses doigts fins se perdaient dans ses cheveux en bataille. Son cœur longtemps terre aride et déserte débordait désormais de passion, faisant sauter les digues de sa raison. Une fois encore elle fit basculer Ace sur un lit, le sien cette fois, tout en lui murmurant à l’oreille :

- Montre-moi combien tu m’aimes…

Peu importe qu’il soit un dealer, un pyromane et un véritable enfoiré avec 99,99% des gens qui peuplaient cette planète, qu’ils aient les flics aux trousses ou que Melena et Jade ne soient potentiellement qu’à quelques mètres de la porte à l’affut de bruits suspects. Pour l’heure, cette chambre représentait son univers entier et le reste n’était qu’accessoire.

Ses mains s’insinuèrent bien vite sous la chemise de son compagnon alors que son esprit s’évadait. Tout semblait tellement plus « réel » ici… c’était comme vivre sa première fois une seconde fois. Cette pensée lui tira un rire léger auquel Ace ne comprit probablement pas grand-chose mais elle empêcha l’afflux de questions en colmatant la fuite par un nouveau baiser enflammé. Elle avait l’impression de se consumer et si c’était ça la mort, ne n’était pas si désagréable.

Bientôt leurs ombres projetées sur le mur à la manière d’un théâtre chinois par la lumière filtrant à travers les rideaux de soie dessinèrent un spectacle qui aurait sûrement faire rougir Jade jusqu’aux oreilles mais Elie s’en fichait bien. Elle aimait Ace, et il n’y avait aucune honte à aimer jusqu’au bout.

Peu importe ce que Elie était allé s’imaginer, Ace avait besoin de la rassurer ; peut-être pour se rassurer lui-même de surcroit. La jalousie peut amener à des conclusions bien loin de la réalité et demeure un doute insurmontable. Il avait besoin de savoir autant qu’elle. Savoir si elle lui faisait confiance, savoir si elle l’aimait autant que lui l’aimait.

Il ne sut pas vraiment comment réagir sur le coup, quand Elie lui avouait qu’elle avait eu peur en voyant Jade. Si cela lui tira un sourire un peu amusé, il n’était pas certain que ça l’amuse vraiment. Si la mauvaise jumelle se mettait ce genre d’histoire dans la tête ça n’allait pas arranger son histoire avec son autre moitié…

Que répondre à ces aveux sinon remarquer qu’encore une fois, serrer Elie dans ses bras sembla bien plus parlant. Le baiser que la mauvaise jumelle déposa dans son cou le fit presque frissonner et une nouvelle fois, il ne se rendit compte qu’au moment de la chute qu’il s’était déplacé jusqu’au lit.

Son cœur battait à tout rompre alors que les mains de sa petite amie parcourraient son corps. Lui faisait de même, s’enivrant du parfum de l’élue de son cœur. Elie n’avait vraiment rien à voir avec Jade en effet : c’était Elie qui était le style d’Ace. Il brûlait du désir de lui exprimer tout son amour ici, maintenant. Le rire fluet de la mauvaise jumelle acheva son palpitant. C’était juste… Trop mignon.
La question du pourquoi mourut sur les lèvres du jeune homme alors qu’ils échangeaient un nouveau baiser brûlant. Définitivement consumés par la passion, les deux corps fusionnèrent pour se délecter des plaisirs charnels.

Leurs courbes ondulaient alors que l’étreinte se voulait enflammée dans le brasier qu’était à présent la chambre du pyromane. Plus rien d’autre n’importait qu’eux. Ils étaient ensemble, se retrouvaient enfin dans ce monde réel comme ils se l’étaient promis et rien ne pourrait jamais les empêcher de consommer leur amour ; rien ni personne ne pourrait les séparer, et de cette union naissait le rêve utopique que ça soit toujours ainsi.

Plus tard, une fois les appétits de chacun satisfaits, Ace retrouva peu à peu l’usage de son cerveau. Il était allongé, là, dans les couettes et espérait bien que cette fois personne ne viendrait troubler cette tranquillité. Dans ce petit nid improvisé, il la regardait en souriant, passant ses doigts dans ses longues mèches. Il avait fini par s’habituer à la nouvelle coupe de la mauvaise jumelle à Freedoom mais à vrai dire les deux lui allaient bien. Tout lui allait. Elle n’avait pas besoin de petite jupe attrayante pour être magnifique.

- Alors, c’était un peu mieux que « bien », cette fois ? demanda-t-il sur un ton amusé. T’as été incroyable aussi ; sérieux j’suis claqué maint’nant…
Il s’étira tout en passant sa main sur ses yeux fatigués. Trop dormir ça vous pompe encore plus d’énergie que dormir peu… vraiment, s’il y avait une logique là-dedans le Ken aurait bien voulu la connaitre.

Alors que la journée s’annonçait terne et grise, un rai de lumière filtra à travers les rideaux, inondant la pièce d’une douce lueur rassurante. Ace aurait voulu que ce moment dure des heures ; passer sa vie au calme à contempler la mauvaise jumelle mais ils avaient dit ‘deux heures’ à Jade et Mel, et de toute façon après le déjeuner il faudrait penser à repartir pour Dreamland. Ou bien un jour de plus… Rien qu’un jour de plus au calme, sans zombies, sans crétins asservis, prisonniers d’une île de… oh ! Trop fatigué pour continuer. Ces gens n’avaient qu’à continuer à se qualifier tous seuls.

A l’occasion, le pyromane comptait bien demander si au moins l’une des filles savait si on pouvait emporter des choses du monde réel dans le monde des rêves. Un peu de provisions ou même un flingue ça serait jamais de trop, même si pour l’heure l’attitude Peace and Love du jeune homme l’empêchait de voir une quelconque utilité en cet objet.

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Désolé du post de qualité moindre mais si j’écoutais Ace, il s’endormait comme un gros tas.

C’était comme si la réalité avait magnifié ces instants, sa « seconde première fois » comme elle aimait la qualifier non sans humour. Dans les bras d’Ace, Elie profita de la sensation des doigts de son amant glissant dans sa longue chevelure brune alors que le sommeil menaçait de l’emporter sous peu elle aussi. C’était si calme, si apaisant… son caractère fougueux peu habitué à ce genre d’accalmie en profitait comme si c’était la dernière fois, goutant à la tranquillité d’après l’amour. L’adolescente se sentait vidée, mais tellement bien, ce bien qui titillait pourtant l’orgueil du pyromane comme le laissait entendre sa remarque. Un sourire taquin s’étira sur les lèvres de la mauvaise jumelle alors qu’elle effectuait une légère rotation pour répondre en regardant son interlocuteur dans les yeux :

- Oui, c’était mieux que « bien », c’était vraiment super mais excuse-moi de ne pas pouvoir te faire une étude comparative poussée. T’es mon premier mec, mais si jamais l’avenir me permet d’élargir mon panel test, tu seras le premier informé de l’évolution de la situation je te le promets !

Sa langue s’échappa brièvement de sa bouche, narquoise, sans que la marque de la paresse ne la corrompe. Un rire frais ne tarda pas à suivre, véritable tintement de clochettes, après quoi Elie se lova contre le pyromane en poussant un soupir de satisfaction. Le délai de deux heures qu’elle avait fixé était décidément trop court. Elle n’avait ni envie de quitter cette chambre, ni cette maison, ni ce monde. Quitter les bras d’Ace serait déjà un déchirement.

En tendant l’oreille elle pouvait entendre le babil étouffé de Melena et de Jade dans la pièce d’à côté, presque un ronronnement qui la plongeait dans un état de somnolence. Elle se frotta les yeux pour tenter d’émerger tant bien que mal et s’étira comme un chat, sa chair se couvrant temporairement de chair de poule. Paresse quand tu nous tiens… ils n’en étaient pas devenus adeptes pour rien.

- Au fait, reprit-elle dans un bâillement étouffé, même si on discute de la suite pour le déjeuner faudra pas sortir avant la nuit. Quand on est allé chercher Jay y’avait les flics à la maison, qui discutaient avec mon père. On en a profité pour tirer la caisse mais ils nous ont poursuivi et… Mel’ a fait apparaitre son coffre en plein milieu de la route et bam ! je te dis pas le carnage.

La psychotique mima avec un talent certain des voitures qui s’emboutissaient avant de laisser retomber ses bras sur les draps en soupirant. Ses doigts fins se saisirent d’une de ses mèches pour l’enrouler autour de son index alors qu’elle reprenait, le regard perdu :

- Y’a eu des morts, je pense. Vu l’état des voitures le contraire serait surprenant. Ils doivent nous rechercher à l’heure actuelle et j’ai abandonné la voiture un peu plus loin, mais s’ils arrivent jusqu’à toi à cause du Dreamburster ils vont faire le lien entre cette proximité et le dealer de rêves que tu es.

Son visage s’était rembruni alors qu’elle se redressait sur un coude, les draps glissant pour dévoiler un sein. Elle se fichait bien d’être capturée, elle pourrait toujours s’en sortir tout comme Melena et Jade, êtres déchirés qui avaient emportés leurs pouvoirs avec eux. Mais Ace… Ace n’était qu’un homme ici. Riche, puissant mais humain. Et même avec le meilleur avocat du monde il ne pourrait se sortir d’une histoire où se mêlaient trafic de drogue, meurtres et voyageurs.

Les orbes bleus de la mauvaise jumelle détaillèrent un moment son petit ami avant qu’elle ne se morde la lèvre et se penche pour l’embrasser. Impossible de savoir ce qui allait se passer mais elle le protègerait quoi qu’il en coûte. Hors de question qu’il souffre de les avoir aidées, c’était quelque chose qu’elle ne pourrait supporter. Peut-être que lancer les flics sur une autre piste était encore le mieux à faire ? Comme déplacer la voiture ?

- Tu crois qu’un de tes potes pourrait déplacer la voiture pour la planquer, si les flics ont pas déjà mis la main dessus ? Je pense pas qu’ils soient allé la chercher à Pacific Heights j’ai aucune connaissance dans le coin – enfin je n’en avais aucune – alors ça doit être encore jouable. J’ai pas envie qu’ils te tombent dessus à cause de moi.

Son regard s’était durci, dévoilant sa franchise et sa détermination. Si elle avait pu elle serait plutôt morte 1000 fois que de voir quelqu’un qu’elle aimait souffrir à sa place, tels étaient ses principes.

La taquinerie d’Elie tira à Ace un sourire très explicite. Il y aurait autant de test qu’elle voudrait [hrp : même si je vais en chier pour écrire – again] et ce tant qu’ils seraient ensemble. Il passa son bras autour du corps de la mauvaise jumelle, tirant les draps pour se réfugier d’avantage dans ce cocon où l’Amour était maître mot.

Le pyromane avait d’abord été surpris d’apprendre qu’il était son « premier mec » mais la réalité lui revint soudainement. Jade avait déjà dû avoir des petits copains, mais Elie n’avait peut-être pas encore de corps à elle à ce moment-là. Peu importe, il comptait bien assumer sa fonction de petit ami n°1 ; il aimait bien être le n°1 dans ce qu’il entreprenait, alors ça ne posait aucun problème !
Peut-être un peu enthousiaste sur les bords, il se disait qu’il ferait tout pour être ou devenir celui dont elle avait toujours rêvé. Son premier obstacle était de renoncer au groupe d’amis qu’il avait connu depuis des années. Il se rappelait maintenant que l’un d’entre eux les avait abandonnés pour se vouer totalement à sa petite amie. En ce temps-là, ils n’avaient pas compris et l’avaient traité de tous les noms. Aurait-il droit au même traitement ? Le ton incrédule de Stan au téléphone en disait déjà long sur leur ressenti si jamais il leur annonçait cash « j’me casse »…

Entre deux bâillements – c’est contagieux, ces conneries.. – Ace apprit la suite de l’histoire dont il avait deviné le début en accueillant Jade. Seulement n’ayant pas la deuxième partie, il n’avait pas pu lier les différentes versions.
- Oais, j’ai cru comprendre ça, pour les flics chez vous. Si ça s’trouve ’vous êtes croisés sans l’savoir, vous et Jade. Si y a eu des morts, on l’saura bien à un moment ou un aut’, t’façon… ‘Pi ça change quoi ? Y voulaient vous transformer en cobaye, j’vois pas où est l’mal… Mais en même temps, quand on est dealer et qu’on arrive à dormir sur ses deux oreilles en sachant ça, on ne voit par définition pas où est le mal…

D’un autre côté, pas vu… pas pris ! Mais là c’était vraiment différent : Melena et Elie avaient peut-être clairement été identifiées, et Jade l’était, aucun doute là-dessus. En revanche, pour ce qui concernait le pyromane… Il était peut-être un homme normal, en ce monde mais ça jouait en sa faveur ! A lui de savoir jouer ce rôle comme il le fallait et tour irait comme sur des roulettes ! En quoi, sous quel motif est-ce qu’un gosse de riche comme lui connaitrait des filles de Mission District..? C’était insensé !! Et puis il avait confiance en ses gars, quoi qu’il puisse en dire. Il leur avait clairement demandé d’arrêter le DreamBurster, et il savait qu’ils l’avaient d’ores et déjà fait.

- T’inquiète pour le Dream’. J’les connais, on a rien à craindre. Ils doivent déjà avoir bazardé le stock dans un coin bien pensé – par moi. Hé hé ! Par contre, laisser la voiture si près de chez lui, c’était mal joué… Mais elles n’avaient pas eu le choix, d’un autre côté… Se garer à 3km équivalait à se taper le reste du chemin à pied… ‘Pas la peine d’être capté par tout le voisinage, ‘valait mieux éviter, au contraire.

Echangeant un nouveau baiser, plus tendre et doux que les autres, la mauvaise jumelle fit part au pyromane de son plan qui – à vrai dire – était plutôt pas mal du tout. Comme quoi, il y avait quand même un bon côté à avoir gardé les dealers sous la main ! On a toujours besoin de personnel qualifié. Toujours ; de la femme de ménage hystérico-maniaque de la propreté au dealer passé maître dans l’art de la furtivité.
- Hm, ça peut s’faire. C’est même carrément excellent ! Par contre ton vieux va pas être joisse ; les bagnoles on les balance à la mer d’hab. Enfin j’peux leur demander de juste la jarter ailleurs, remarque… J’appellerai Sean, c’est un as pour désosser une bagnole. Alors pour la bouger, un jeu d’enfant pour lui.

Il remarqua les traits de sa petite amie qui s’étaient durcis. Elie devait certainement s’en faire pour tout ça. Les flics, et tout… C’était beaucoup, même pour quelqu’un qui a vécu des épreuves comme celles de Freedoom ; comme si le cauchemar avait débordé de l’île pour atteindre le monde réel, les poursuivant où qu’ils aillent. C’était oppressant…

- Hey… Te démolis pas pour ça ; ta famille ira bien, ils savent même pas où t’es alors on finira par leur lâcher la grappe. ‘Pi j’suis pas fiché en tant qu’voyageur, si les flics se ramènent ici, j’leur dit que j’sais rien et ça passera, tu verras. Y savent à qui ils ont affaire. Mon vieux a des relations ; pour une fois qu’y s’rend utile…

Il lâcha un « enfin… » presque inaudible avant d’embrasser Elie. Toutes ces pensées négatives le parasitaient et ça ne l’aidait pas à réfléchir mais aussi loin qu’il lisait les investigations de la police, personne ne les trouvait. Cependant l’idée de repartir à Dreamland en laissant leurs corps sans protection n’était pas très agréable et même si le pyromane savait qu’ils n’avaient rien à craindre ici, demeurait le soupçon du « et si… »

Le ventre d’Ace choisit ce moment pour se manifester, signe infaillible qu’il était pas loin de midi. Son cerveau était court-circuité par le paradoxe de : manger – ce qui incluait un déplacement – et rester dans le lit comme un paresseux et continuer d’avoir une petite fringale. Pourquoi fallait-il que le monde soit si compliqué, parfois..? le Ken résuma ce problème existentiel en une moue teintée de fatigue. Pourquoi se lever alors que le corps de l’homme tendait à être plus stable allongé ? La réponse est claire : l’homme ne devrait plus se lever. Na.

Si Ace ne voyait pas le mal, Elie ne le voyait que trop. Le fait est que pour l’instant Jade n’avait été qu’emmenée pour être interrogée alors que du côté de leur petit groupe les méfaits s’empilaient déjà bien trop nombreux en une tour de Pise qui manquait de s’écrouler en emmenant leurs vies dans sa chute. Evasion, vol de voiture –ça avait beau être celle de son père, un vol était un vol – dégradation de biens publics et meurtres. Devant un tribunal leur argumentaire « mais on aurait fini comme cobayes ! » ne tiendrait pas deux secondes. Après tout ce n’était qu’une hypothèse de leur part, autant dire du vent.

Leurs têtes ne tarderaient pas à être placardées partout, comme un clin d’œil de San Francisco à sa jumelle du monde des rêves qui avait déjà fait la même chose plusieurs mois auparavant. On les chasserait, on les huerait, on leur cracherait à la figure. Si la mauvaise jumelle pouvait très bien supporter ce genre de traitement la tête haute tout en distribuant des coups pour faire payer l’affront, Jade n’aurait pas cette force. Melena non plus d’ailleurs. Elles n’étaient pas de taille à lutter contre le monde entier. Elles n’avaient pas assez de colère en elle pour tenir bon.

La portoricaine pinça les lèvres en s’abstenant de répondre. Ca n’aurait avancé à rien et elle ne voulait pas inquiéter Ace inutilement, surtout alors qu’il se réjouissait déjà de l’idée qu’elle avait lancé un peu au hasard. Comme les tricheurs avaient des as dans leur manche, le pyromane avait des amis douteux et l’un d’eux avait l’air tout destiné à la tâche de déplacer la voiture même su entendre qu’il les désossait d’habitude n’était pas pour plaire à El’. C’était la voiture de son père, et même si elle était vieille et cabossée Sergio ne pardonnerait pas qu’on la balance dans la baie, ni qu’on en revende les pièces à la sauvette.

- Ouais bah assure-toi qu’on pourra la retrouver intacte derrière. S’il manque ne serait-ce qu’une vis mon père va devenir fou, et Dieu seul sait ce que peut faire un portoricain en colère… après un regard entendu elle enroula son bras fin autour de la taille du Ken, Déjà que s’il savait ça mon chou, tu pourrais entamer une belle carrière d’eunuque.

Un rire mourut au bord de ses lèvres alors qu’Ace tentait tant bien que mal de la faire positiver sur son avenir. Mais… quel avenir ? Pas de passé, pas de futur, Elie vivait dans l’éternel présent. Bien sûr que sa famille irait bien, il n’allait pas les coffrer parce que son père s’était foutu au milieu de la route pour ralentir les flics. Il passerait une ou deux nuits au frais dans le pire des cas avant de recouvrer sa liberté. C’était pour ses amis, sa nouvelle « famille » qu’elle s’inquiétait à l’heure actuelle. Et elle était loin d’être aussi persuadée que son petit ami par le pouvoir tout puissant de ses relations.

Le baiser du pyromane l’empêcha d’exprimer le fond de sa pensée à ce sujet, et d’ailleurs elle n’en avait pas l’envie. A l’instar de son compagnon son estomac criait famine, un comble alors qu’elle venait de manger. Nourriture spirituelle mon cul, à se demander pourquoi ils s’emmerdaient à bouffer là-bas s’ils n’en retiraient aucun bénéfice réel autre qu’une perte de temps bien concrète. Et dire qu’ils avaient passé plus d’une heure à cuisiner pour… pour rien. Frustrant.

- J’ai la dalle, soupira l’adolescente.

Quelle heure pouvait-il bien être ? Aucune horloge à l’horizon, pas même un réveil sur la table de chevet. Ace n’était pas le genre de mec à se plier à des impératifs horaires, c’était eux qui se pliaient à sa volonté, pas étonnant qu’il ait exilé tout tic-tac de son antre de mâle. Elie se serait bien levée pour vérifier l’heure, faire à manger aussi mais elle n’avait aucune envie de s’activer de nouveau aux fourneaux. Il fallait un truc simple, un truc rapide…

- Tu crois qu’on pourrait commander des pizzas ? Ou chinois ? N’importe quoi qu’on nous apporterait dans une boite, déjà chauffé et prêt à être mangé ? elle marqua une pause après quoi elle ajouta très sérieusement, Je te rembourserais.

Vivre aux crochets de quelqu’un très peu pour elle, le cliché de la femme vénale lui retournait l’estomac. Le jour où elle se retrouverait drapée de soie, les doigts ployant sous le poids de monceaux de bagues elle supplierait qu’on l’abatte pour mettre fin à ses souffrances. D’accord elle n’avait pas d’argent à l’heure actuelle, mais elle trouverait un petit boulot quelque part, dans un endroit où ils ne seraient pas trop regardant sur ses antécédents et… pfff, trop chiant. Elle réfléchirait au futur lorsqu’il se sera transformé en présent. Pour l’heure ce n’était que brasser de l’air.

Une moue assurée constitua sa seule réponse à l’appréhension d’Elie de voir la voiture de son père désossée. Si seulement ça s’arrêtait là… Sean avait aussi pour compétence de rapporter un revenu supplémentaire à la bande en revendant chaque pièce mécanique au meilleur prix possible. Il arrivait ainsi à tirer jusqu’à deux fois le prix neuf de la voiture qui avait eu la malchance de tomber entre ses clés à molettes. Mais il n’en ferait rien si Ace le lui interdisait ; du moins c’était ce que le pyromane espérait…

Le père de la mauvaise jumelle s’imposa comme la figure du bourreau ultra-protecteur dans la tête du Ken. Protecteur pour Elie, bourreau pour lui. Il y tenait, à ses couilles, quand même ! Alors bon, ‘fallait avouer que l’argument était assez fort, mais monsieur Martins n’était pas obligé de le savoir, après tout. Et malgré les paroles rassurantes du pyromane, Elie semblait continuer à nourrir des craintes et des soupçons bien fondés. Elle était peut-être habituée à être une fugitive à Dreamland, mais dans le monde réel, c’était une autre chose et si elle n’était pas encore habituée au côté obscur de la Force, le Ken était persuadé qu’elle s’y ferait tôt ou tard. On s’y fait toujours ; l’humain est merveilleux pour ces choses-là : même le pire déchiqueteur d’animaux arrive à avoir bonne conscience.

Le tout fut suivi d’une séance de conjugaison : j’ai la dalle + elle a la dalle = on a la dalle. Manque de pot, le seul « réveil » dont disposait Ace était son portable, bien sagement rangé dans la poche de sa veste qui devait trainer par-là… Ou bien par-là… Ou peut-être sur le trottoir d’en face.
Et dire que le plat cuisiné avec amour par le trio était resté seul et sans défense à Freedoom… La vie est vraiment injuste. En tout cas, hors de question d’y toucher à nouveau une fois qu’ils seraient revenus à Dreamland : Pas avait dû passer dans le coin et vider gaiement une de ses fioles dans les assiettes. A moins qu’affamée, elle ait dévoré les restes et léché les plats. Hm ouais, cette dernière vision de crevarde solitaire était d’avantage amusante.

- J’ai faim aussi… C’fait chier… maugréa-t-il, sans bouger pour autant.
Commander des pizzas était encore le plus simple – ou chinois, si on voulait – et ça donnait une nouvelle bonne raison à Ace de se lever pour entreprendre l’opération ‘recherche de portable’. Il s’apprêtait à répondre mais Elie le scia littéralement. Il tourna la tête pour la regarder avec de grands yeux sans rien pouvoir dire pendant une bonne poignée de secondes… Finalement, voyant le regard que lui renvoyait la mauvaise jumelle, il se força à l’expression.

- Désolé, c’est… T’es la première à me dire ça à moi… Vraiment… Lui, le gosse de riche, se faire rembourser par Elie qui venait de Mission District.. Il peinait à trouver une logique là-dedans mais ne pouvait s’empêcher de concéder que le geste était réellement noble, quand bien même cela cachait le désir de ne rien devoir à personne. ‘Pas à dire, sa petite amie était unique.

Il s’étira avant de se lever pour aller repêcher son caleçon et ses autres habits, pour finir par trouver en dernier ce qu’il cherchait initialement : sa chemise. La posant sur son bras comme un torchon pour un barman, il fouilla dans les poches pour en extirper son téléphone – dernier modèle, multi-multi-fonction et très très cher ; normal – pour commander quelques pizzas dont on insistait pour lui rembourser… Très déstabilisant, et assez gênant, d’un autre côté.

Mais avant ça, il opta de préférence pour un appel à sa planque où il espérait bien trouver son lascar mécano. Le téléphone sonna une bonne minute tandis qu’Ace faisait les cent pas avant qu’on lui réponde avec une voix méfiante.
- Ouais, c’est Ace... Ben oui, celui qu-… Haha, très drôle… Bref, tu m’passe Sean, steup’ ?
… Ouais, mec ? Salut. Dis voir, j’ai un service à te d’mander… Ouais, nan, pas comme d’hab. Ramène toi vers chez-moi, y a une bagnole… Ouais, je pense que tu la reconnaitras… Ouais, et tu me la bouge d’ici, steup… Nah, tu la fous à la planque, et elle reste entière, celle-là, ok ?... Ouais, merci. Atchao, ma pute !

Bon, ça c’était fait. Ensuite, les pizzas. Bien sûr il allait commander et payer, mais il ne pouvait décemment pas laisser Elie le rembourser pour ça… Et puis les filles étaient – en plus de ses invitées – ses amies. Ses vraies amies. Si le pyromane n’aurait eu aucun scrupule à se faire rembourser de la part d’un de ses dealers, il avait d’avantage de respect pour les jumelles et la nécrophobe.
- T’en fais pas pour la bouffe, ça va pas m’arracher la gueule de vous payer ça, quand même. Si c’parc’que t’as pas envie de me devoir quelque chose, j’respecte ; on a qu’à dire que je commande ça pour moi et que j’veux bien partager proposa-t-il à la jumelle avant de se saisir d’un petit calepin dans lequel il chercha le numéro de la pizzeria la plus proche.

Là, il commanda quatre pizzas, renseigna le restaurant sur son adresse et demanda la livraison express. Mieux valait trop que pas assez, selon lui et au moins ils auraient des restes à leur prochain réveil. Puis le pyromane revint s’asseoir sur le lit et croisant le regard d’Elie il lui demanda : - Au fait, on fait comment pour r’tourner à Freedoom, maint’nant qu’on est totalement réveillés..?

La réaction de son petit ami était vraiment à mourir de rire. Avec la tête qu’il tirait n’importe qui aurait pu croire sans mal qu’elle venait lui annoncer être enceinte de quintuplé et pourtant, la seule chose qu’elle avait annoncé était qu’elle comptait bien le remboursé. Le prince Ridley avait visiblement eu l’habitude de distribuer les billets de banque pour entretenir ses précédentes copines dont l’évocation ne manqua pas de faire légèrement grimacer la mauvaise jumelle malgré son air amusé. Elle était la première à lui dire ça, mais combien s’étaient conduites autrement avant elle ? Une ? Deux ? Trois ? Plus encore ? Après tout Ace avait 23 ans et en fils de riche il avait dû accumuler les conquêtes, le genre de pépés vénales avec un tour de poitrine à damner un saint.

Alors que le pyromane partait en quête de ses vêtements qu’ils avaient une nouvelle fois semé aux quatre coins de la pièce avec une conscience toute professionnelle, Elie l’observa en silence. Son regard glissait de temps à autre jusqu’à sa propre silhouette enroulée dans les draps, après quoi elle fronça les sourcils. Non y’avait pas à dire, elle pigeait pas ce qu’un mec comme lui faisait avec une fille comme elle. Sans Dreamland il ne lui aurait probablement pas accordé un regard… et elle non plus à vrai dire. Comme le jour et la nuit, il avait fallu 5 épreuves au-delà du supportable pour qu’ils apprennent à voir au-delà des apparences, de la classe sociale et de toutes ces conneries qui dressaient dans le monde réel des barrières infranchissables entre les gens.

Elie finit par s’extirper des draps bon gré mal gré alors que le « Sean » dont avait parlé son camarade répondait enfin au téléphone. S’ensuivit une chasse au trésor, de la petite culotte au jean en passant par le t-shirt et ce jusqu’à ce que la mauvaise jumelle soit vêtue de pied en cap. Elle en était à lacer ses rangers quand Ace lui proposa une pirouette de rattrapage pour ne pas la laisser débourser un penny.

- J’ai jamais dit que ça t’arracherait la gueule, c’est juste que j’aime pas être entretenue. Le fait que tu sois plein aux as arrange rien d’ailleurs, j’ai pas envie de passer pour un parasite, encore moins à tes yeux. J’ai dit que je te rembourserais et je le ferais. D’ailleurs on va tenir une ardoise.

A ces mots elle s’approcha de lui pour lui prendre un stylo, une page de son bloc note et y noter le quart de la somme due au livreur de pizza, après quoi elle la plia en quatre et la glissa dans son soutien-gorge pour que le pyromane n’ait pas l’idée saugrenue de la lui prendre pour la jeter au feu. Ce mec pouvait être têtu quand il voulait, mais elle comptait bien gagner à ce petit jeu.

L’adolescente aurait bien ajouté quelque chose, mais le Ken lui posa une question qui la laissa muette quelques instants. C’est vrai qu’elles l’avaient poussé à se réveiller sans lui faire part de la totalité du plan dont elles avaient discuté plus dans ce monde ci que dans l’autre. Elie resta plantée devant lui un moment à le fixer, se demandant comment il verrait le fait qu’elles veuillent se payer des sortes de « cours de voyages interdimensionnels » auprès d’un sorcier vaudou de Mission district.

- Bah… tu sais qu’on était venues en transe shamanique hum ? Le sorcier nous a dit pouvoir nous apprendre à voyager toutes seules, aller et venir sur commande. Bon, forcément ça a un prix, mais étant donné notre « maladie » on pensait que ce serait un bon investissement.

Sauf que pour investir il fallait des fonds, fonds qu’elle ne possédait pas. Elle aurait pu vendre quelques DVDs chez elle, où emprunter de l’argent à son père mais la conjoncture actuelle ne le permettait plus. On revenait alors à l’option « emprunter de l’argent à Ace » mais cette idée lui répugnait franchement. Pourtant ce n’était pas comme s’ils avaient le choix…

La mauvaise jumelle se gratta la tempe les sourcils froncés avant de croiser les bras. Elle avait beau se creuser la tête encore et encore elle ne voyait pas comment s’en tirer sans ça, sauf si pour parfaire son casier judiciaire déjà chargé elle se lançait dans les cambriolages ou les attaques de banque. Elle avait bien un peu d’argent sur son compte, mais il devait d’ors et déjà être bloqué à l’heure qu’il était.

- Le truc c’est que j’ai pas un rond, elle retourna ses poches désespérément vides, Mais je pourrais me débrouiller. Si je suis assez discrète je pourrais peut-être rentrer chez moi et demander un peu d’argent à ma mère ? Et puis Emilio travaille, je pense qu’il pourrait m’avancer un peu.

C’était risqué, insensé, mais elle refusait de mendier. Il faudrait probablement l’assommer avec une poêle pour qu’elle accepte que le pyromane règle pour elle. Dans ce genre de situations, être pauvre se révélait terriblement frustrant. Et dire que dans l’autre monde elle était –relativement- riche et respectée ! Dommage que les bureaux de change du monde réel n’acceptent pas les rubz.

Sans rien dire, Ace observa Elie se saisir d’un stylo et du calepin pour y inscrire l’ardoise qu’elle s’entêtait à garder bien au chaud dans son soutien-gorge.
- Comme tu veux ! répondit le pyromane en haussant les épaules, amusé. C’était bel et bien la première fois qu’on défendait une dette avec autant de ferveur, mais s’il accordait le point à se petite amie, à têtu, têtu et demi !

La seconde manche se jouerait plus tard. Déjà, il fallait arriver à gober la ‘transe shamanique’, même si… Il les avait vues à Dreamland, donc ça devait avoir marché, non ? Il demeurait tout de même un soupçon quant à la pratique douteuse : avaler un cachet n’était certes pas très glorieux, mais renifler de l’encens jusqu’à s’évanouir dans les bras d’un sorcier vaudou, il y avait de quoi en laisser sceptique plus d’un à commencer par le Ken qui haussa un sourcil alors que la mauvaise jumelle continuait son récit.

La maladie était un bon argument ; elles avaient besoin d’un moyen rapide de revenir à Dremland et de se réveiller efficacement au cas où les malaises se répétaient… Un flash s’imposa à Ace, un flash dans lequel il revit les mines pâles d’Elie et Mel, les symptômes de ce mal qu’il espérait curable. Serait-il en mesure d’assurer la sécurité des deux… des trois filles au cas où elles utilisaient les bidules shamaniques pour se rendormir ? Si Elie souffrait de cette absence d’ombre – si tant est qu’il y ait un lien – alors Jade en souffrait également.

Son sourire qui s’était évanoui devant ces pensées revint plus large que jamais à l’évocation du besoin d’argent d’Elie. Il riait sous cape : elle ne lui demanderait jamais d’argent, ça crevait les yeux. D’un côté il ne pouvait que l’aimer d’avantage pour cet aspect désintéressé, mais d’un autre côté il imaginait la gêne qu’Elie devait ressentir en lui annonçant ça de but en blanc, juste après avoir tant insisté pour constituer une ardoise.
Cependant le rictus du pyromane s’envola aussi vite qu’il était apparu alors que sa petite amie planifiait de retourner chez elle. C’était hors de question !

- Nan mais attends, t’es sérieuse, là !? Tu t’es cassé le cul à arriver ici incognito sans te faire chopper et tu m’sors que t’as envie d’faire le chemin inverse ?? Pas question. J’t’avance le fric. Tu peux bien r’fuser ou vouloir m’rembourser, moi j’te laisse pas y r’tourner ! Pour tout le monde il y avait des limites. Des limites qu’imposaient l’argent, certes, mais surtout des limites qu’il fallait s’imposer pour survivre. Ace n’était certes pas le mieux placé pour faire des remarques là-dessus, ne pouvant bases ses arguments que sur son expérience de dealer dans les quartiers pauvres ou bien son voyage à Freedoom, mais si Elie ne voulait pas demander alors il lui proposerait. Non, d’ailleurs ça n’était pas une proposition. Il ne supporterait pas d’être séparé de la mauvaise jumelle, surtout si celle-ci devait être arrêtée puis traitée comme un monstre, exilée dans une zone 51 bis.

Le fait est qu’ils devraient bien se déplacer pour aller chercher ce vieux sorcier de pacotille… Ben oui, jamais il ne bougerait son cul pour venir ici, et puis même : c’était trop risqué de dévoiler leur adresse au premier manouche venu.
- Bon, il est où, vot’ sorcier, là ? Pas loin j’espère ? Oh et j’pensais à ça : Jade sait pour la… « maladie » ? Ça s’rait con qu’elle retourne à Dreamland sans savoir, quoi…

Connaissant les dealers de toute espèce, un vaudou ça devait être cher… Il ne savait pas s’il allait raquer pour une drogue peut-être inefficace, mais ça serait toujours mieux que rien… A priori. Il n’y avait pas cent cinquante manières de se rendre à Dreamland et justement, c’était à double tranchant. Il devait exister à San Francisco des psy mettant en pratique les méthodes Parkinsoniennes, mais ces lieux de consultations – puisque légaux – seraient les premiers endroits fouillés par les autorités ; tous les adorateurs de la légalité devaient l’avoir bien profond à l’heure actuelle. Bien fait pour eux. Non, vraiment, ça lui arrachait la gueule de le dire, mais il n’y avait que le sorcier.

Le pyromane ouvrit le tiroir de son bureau pour en sortir son porte-feuilles. Il revint alors s’asseoir sur le lit pour compter son argent de poche. Mouais.. 500 et quelques, ça devrait suffire, nan ? Au pire un poing dans la gueule ferait l’appoint. Les pratiques vaudou n’étaient peut-être pas illicites mais extorquer de l’argent l’était, alors ça ne serait que justice, dans un sens. Point de vue strictement acéen.

Un gosse, c’est exactement ce qu’elle avait l’impression d’être aux yeux d’Ace alors qu’il la réprimandait sur le plan qu’elle avait osé formuler. Pourtant elle était sûre de pouvoir le faire. Après tout Mission district était son quartier, et elle en connaissait les moindres recoins pour y avoir crapahuté toute son enfance en compagnie d’Amber. Aucun raccourci n’avait de secret pour elle, et sans voiture à piquer il n’y avait aucune raison pour que les flics la repèrent non ? Et bien si, du point de vue du pyromane du moins, qui ne se contentait pas de montrer sa désapprobation. Il lui « interdisait » de le faire.

Plus il parlait plus les yeux d’Elie se chargeaient de nuages d’orage, assombrissant le bleu de ses yeux. Qu’il essaye de l’en empêcher seulement ! Elle était assez grande pour prendre ses décisions seules et assez forte pour se défendre en cas de pépin. L’adolescente brûlait d’ailleurs de lui balancer que s’il voulait chérir, choyer et protéger une midinette fragile il aurait dû opter pour Jade puis… elle réalisa qu’il s’inquiétait juste pour elle.

Impossible de savoir ce qui causa le déclic, peut-être tout simplement l’inquiétude qui transparaissait sur les traits de son petit ami, mais cela eut le mérite de relâcher la pression colérique qui croissait en la mauvaise jumelle de manière exponentielle. Comme un ballon qui se dégonfle elle se vida de sa rage en la laissant seulement contrariée. En croisant les bras elle grommela d’un air de défi :

- Pfff… t’es chiant, j’aurai réussi. Je te rembourserais aussi, et t’as pas intérêt à refuser ça.

Sa main tapota son sein gauche contre lequel était plaquée sa « note », bien à l’abri dans son soutien-gorge. L’idée de devoir de plus en plus d’argent au Ken titillait son amour propre et elle espérait bien trouver sous peu une source de revenus, n’importe quoi tant que ça lui permettrait d’éponger sa dette. Les rapports à l’argent au sein d’un couple étaient malsains, et elle voyait déjà venir d’ici la position de supériorité qu’afficherait Ace en permanence. S’il pouvait se torcher le cul avec la gueule de Benjamin Franklin, elle préférait qu’il n’en joue pas devant elle surtout quand il était flagrant qu’elle n’avait même pas Georges Washington en poche.

Heureusement la conversation dériva sur la localisation de leur prochaine étape, et la réponse risquait de ne pas plaire à son compagnon. Quant à Jade… Elie n’avait pas la moindre idée de la réponse. Melena et elle avaient mis si longtemps à se rendre compte qu’elles n’avaient pas d’ombres et qu’elles étaient malades que son double ne savait probablement encore rien. Étant donné son caractère angoissé, ce n’était pas si mal.

Son regard suivi le pyromane alors qu’il allait vers son tiroir pour faire un inventaire des fonds disponibles qui fit légèrement grimacer Elie. Rien que d’imaginer ce qu’elle pourrait acheter avec ça elle en avait le vertige, alors qu’avoir cette somme entre les mains ne faisait ni chaud ni froid à Ace. La psychotique secoua la tête pour chasser ces pensées parasites et haussa les épaules avant de répondre :

- Il est à Mission, à une quinzaine de minutes de chez moi à pattes. A Oakwood street, pas loin de Mission Dolores park. Faudra essayer de couvrir nos visages, même le tien. T’aurais pas des sweats à capuche, ou n’importe quoi du genre ? Ça se fondrait dans le paysage en préservant nos identités.

Cela dit, les chances qu’Ace possèdent ça dans sa garde-robe étaient plus que minimes. Impossible de l’imaginer dans autre chose qu’une chemise, même le t-shirt semblait déplacé sur lui. Alors un sweat ? Ça tenait presque de la blague.

- Enfin bon, pour Jade j’en ai pas la moindre idée mais je pense pas qu’elle sache. Elle serait carrément angoissée sinon, la peur de mourir toussa toussa… elle est fragile, elle stresse pour un rien alors ça, c’est carrément l’apocalypse pour elle. On pourrait lui dire qu’elle a le cancer que ça lui ferait même moins d’effet. Au moins le cancer, on sait le guérir.

La porte choisit se moment pour s’ouvrir, dévoilant une Jade souriante dont l’expression gaie mourut aussitôt, remplacée par un air interdit et un teint écarlate. Aussi vite qu’elle était venu elle repartit, et il fallut quelques secondes pour qu’Elie comprenne pourquoi. C’est le reflet que lui renvoyait une glace qui lui rappela qu’elle s’était rhabillée à la va-vite, que ses cheveux étaient décoiffés et que tout laissait sous-entendre de leur précédente activité. Le caractère prude de son autre elle lui revint alors en lui tirant un soupir alors qu’elle passait une main dans sa tignasse.

- Tu vois ? C’est exactement ce que je disais. Il lui en faut peu. Je pense qu’on l’a choqué pour dix ans là…

Le pyromane avait bien remarqué que cela ne plaisait pas à Elie qu’on ne suive pas ses plans, mais là pour le coup, il s’en fichait bien. Lui aussi avait un plan : rester tous en vie. Or ces deux plans étant incompatibles, il faisait légitimement primer le sien. Logique, non ? Certes, elle aurait été capable de réussir, le pyromane n’en doutait pas. Mais à quel prix ? Déjà à l’aller Melena avait créé un sacré remue-ménage, alors quoi, la prochaine fois ? Boah, puisqu’on y allait comme ça, il l’accompagnerait et cramerait quelques bagnoles en route, pendant qu’on y est !

Hm… ‘Pas une si mauvaise idée que ça, d’ailleurs puisque – chance immense – le sorcier se trouvait justement à Mission District. Le pyromane poussa un soupir las, se rendant compte que quoi qu’il avance comme arguments, ils devraient aller là-bas de toute façon. Il venait de se faire battre, échec et mat. Et ça l’irritait un peu, d’ailleurs, même s’il n’en fit rien.
Il se contenta seulement de relever la tête avec un air indécis alors que la mauvaise jumelle lui demandait s’il possédait des… sweats à capuche. Il lui adressa un non sceptique pour toute forme de réponse. Il avait des chemises à 100$, des pantalons encore plus chers… Il ne lui manquait que les bottes en poils de bébé phoques pour avoir la panoplie du riche héritier Ridley, mais des sweats, ça, il n’en avait jamais eu même dans son enfance. Les magasins de vêtements qu’il fréquentait n’en vendaient même pas.

Encore une fois il se rendit compte du gouffre qui séparait la famille Ridley de la famille Martins. Un fossé social dont la seule passerelle était le monde des rêves, sans lequel ils ne se seraient même pas rencontrés. En fait, ça lui rappelait un bouquin, une histoire romantique… Mais les histoires romantiques étant à gerber, il mit au placard cette réminiscence pour se concentrer sur la marche à suivre. Il ne pouvait pas contacter sa bande toutes les dix minutes, tout de même. Ils allaient le prendre pour un indécis ou bien se rendre compte que ça cachait quelque chose. Déjà que c’était un peu gros, ce qu’il leur avait demandé dans la journée…

Il connaissait bien San Francisco, mais pas assez pour savoir quels chemins emprunter pour se cacher des forces de l’ordre… D’habitude, il devait se montrer, revendiquer son appartenance au clan Ridley ; pas se terrer !! Peut-être qu’Elie connaitrait d’avantage les secrets de son quartier ? Il fallait l’espérer, car sinon ça risquait d’être assez compliqué.

Et ça risquait d’être d’avantage compliqué si Jade était de la partie… Si elle était sujette à angoisses comme l’affirmait la mauvaise jumelle, faire le trajet en espérant que tout se passe bien tiendrait de la folie pure. Tiens d’ailleurs, quand on parle du loup… Jade fit une apparition éclair avant de refermer précipitamment la porte. Le Ken mit un temps à comprendre sa réaction en regardant la chevelure ébouriffée d’Elie. Ah oui, effectivement… ça n’allait pas être simple… du tout.

- Ouais, j’vois l’genre… Bon, on dirait qu’on leur manque, ‘pi les pizzas vont pas tarder à abouler… Bref, j’sais pas si c’est une bonne idée qu’on aille tous les quatre chez vot’ zoulou, là. Bamboula et compagnie, ‘l’est bien gentil, mais Mission c’est loin, alors si on s’fait prendre, autant qu’on se fasse pas tous prendre, t’vois c’que j’veux dire..? ‘Fin c’est comme tu veux, après. Si t’y tiens vraiment…

Il lâcha un nouveau soupir avant de se lever, refaisant à moitié son lit, comme pour se donner une excuse, feindre la décence. Mais ça le fit vite chier, aussi le lit passa-t-il d’une forme de champ de bataille à une autre, peut-être un peu moins freestyle mais on ne pouvait cependant pas qualifier ça d’ordre pour autant.

A défaut de pouvoir présenter sa chambre, le pyromane opta pour la seconde option : être présentable lui-même. Il attrapa une cravate bleue qu’il noua rapidement avant de revêtir sa veste et se passer une main dans les cheveux. Ça ferait l’affaire. Sur ce relooking express, il se dirigea vers la porte et sortit de la chambre en direction de celle présumée de Melena et Jade. Être interrompu par la bonne jumelle dans ses pensées avait eu pour effet de faire avorter ces dernières. De toute façon, il n’était pas fait pour penser en profondeur, il n’y avait que les philosophes pour faire ça et à voir leurs gueules, ça ne leur faisait pas du bien.

Arrivé sur le pas de la porte, le pyromane toqua – plus pour signifier sa présence que pour demander l’autorisation d’entrer.
- Eh ben, ‘sont moches, mes rideaux ? ‘Vous ont fait fuir ? lanca-t-il avant de rire tout seul. Se pinçant l’arête du nez pour mettre fin à son fou-rire, il reprit : on a commandé des pizza, pour c’midi, si c’est ça qu’vous vouliez savoir. L’estomac du Ken se manifesta à nouveau à l’évocation de ce qui allait le remplir incessamment. … Et pass’que j’ai faim aussi, accessoirement. Bref, vous v’nez quand vous voulez !

Il adressa un sourire aux filles avant de se diriger vers la cuisine, au rez-de-chaussée. Là, il sortit le couvert pour quatre. Il préférait manger sa pizza à la main, mais avec trois amies à la maison, on essaye de faire preuve d’un tant soit peu de raffinement…

Comme depuis le début de cette conversation Ace n’était pas d’accord avec elle mais commençait à capituler. Et il faisait bien. Diviser le groupe ne ferait que les affaiblir un peu plus et il ne fallait pas oublier qu’ils devaient tous apprendre comment voyager seuls. Si le marabout avait le talent de le leur enseigner il était loin d’être dit qu’ils pourraient le faire à leur tour si la moitié d’entre eux seulement s’y rendait et cet échec les forcerait à y retourner une seconde fois ce qui était autrement plus risqué, non ?

Alors que le pyromane faisait son lit, Elie entreprit de peigner sa chevelure avec ses doigts ce qui relevait de la véritable guerre capillaire. Ses mèches brunes s’étaient entremêlées jusqu’à lui donner des allures de jungle inextricable au point de lui faire regretter sa coupe courte dreamlandienne. La mauvaise jumelle avait malgré tout retrouvé un aspect convenable lorsqu’elle suivit le Ken encravaté hors de la pièce jusqu’à la chambre dans laquelle patientait Jade et Melena.

Elie se tut lorsque la tentative d’humour tomba à plat, tout comme lorsque son compagnon s’éclipsa pour rejoindre les cuisines. L’adolescente quant à elle resta un moment immobile et silencieuse, scrutant les traits tirés de son double. L’irlandaise qui ne l’avait pas encore remarqué lâcha les mains de Jay comme craignant d’être vue, ce qui tira un sourire amer à la psychotique. Que croyait-elle cacher ainsi ? Ça faisait un moment déjà qu’elle était au courant et ce n’était pas la surprendre tentant de se rapprocher de son autre elle-même qui allait briser l’étrange relation qui s’était formé entre la nécrophobe et elle à Freedoom. Oh bien sûr la voir lorgner sur Jade ne lui plaisait pas, mais elle n’avait plus envie de lui crever les yeux avec des épingles ce qui représentait une amélioration non négligeable.

Dans tous les cas, elle avait bien plus important en tête, à commencer par l’état psychologique déplorable de la bonne jumelle. Vu la teneur de leur conversation Mel’ l’avait mis au courant pour leur « maladie » et comme on pouvait s’y attendre Jay y réagissait plus que mal. C’était dans ces conditions qu’ils allaient devoir la trainer à Mission district ce qui présageait des moments difficiles. De quoi faire presque regretter à Elie de ne pas avoir accepté la proposition d’Ace de ne pas tous y aller.

Alors que son ancienne ennemie lançait le signal du départ, la portoricaine s’envola aussitôt en direction des cuisines. Mieux valait qu’elles ne sachent pas ce qu’elle avait vu et entendu. Ces deux filles étaient du genre fragiles, à entretenir leur jardin secret avec soin. Plus réfléchies, plus pondérées mais aussi indéniablement plus faibles face aux coups durs et à l’opinion des autres. Par-dessus tout Elie n’avait aucune envie de s’expliquer ou de se justifier sur sa présence en retrait digne d’une espionne de bas étage.

Elle arriva dans la cuisine une petite minute avant les autres filles et Ace avait déjà bien rempli son rôle d’hôte en mettant la table et réceptionnant les pizzas. A vrai dire elle ne voyait pas bien l’utilité des assiettes et préférait de loin piocher directement à la main dans les cartons mais par soucis de ne pas fouler au pied les efforts du pyromane elle s’abstint de le signaler. Par défaut elle se laissa donc tomber sur une chaise avant de pianoter machinalement sur la table.

A l’entrée de Jade et Melena elle les salua d’un geste désinvolte puis comme s’il s’agissait d’un signal de départ implicite elle se servit une part de pizza. Délicieux, jouissif, fantasmagorique. Elie ferma les yeux pour laisser ses papilles gustatives exprimer leur bonheur puis une fois qu’elle eut avalé quelques bouchées elle se mit en tête d’entrer dans le vif du sujet vu que personne ne semblait s’y mettre.

- A la nuit tombée, faudra retourner chez le sorcier. Et discrètement, donc pas de coffre au milieu de la chaussée, pas de traversée de portière… rien, que dalle, ok ? On y va en douce, on apprend ce qu’on a à apprendre et on revient ici avant que les flics n’aient pu ne serait-ce qu’imaginer qu’on s’est pointé là-bas.

Ils devaient fourmiller là-bas, comme des insectes rampants. Sauf qu’ils n’avaient aucun moyen de cibler le marabout en particulier, ni de supposer qu’elles voudraient remettre les pieds à Mission. C’était dangereux, et un fuyard en théorie cherchait à s’éloigner le plus possible pour avoir la paix. Avec un peu chance ça suffirait à rendre leur petite balade plus sure.

- J’aurais préféré qu’on puisse masquer nos visages, mais apparemment le tailleur d’Ace ne connait pas les sweats à capuche donc… faudra faire sans. Des objections ?

Sa question n’en était pas une en réalité, et il suffisait de la regarder dans les yeux pour le comprendre.

Jade et Melena reviennent de Retrouvailles chez les Ridley


Elle n'avait pas vu Elie, et c'était sans doute mieux ainsi. L'impression que quelque chose était mal passé auprès de sa meilleure amie plombait un peu ses entrailles, mais elle ne savait pas quoi dire. Rien ne saurait vaincre la cruelle réalité qui avait creusé un fossé énorme entre la bonne jumelle et les trois autres : l'adolescente blessée d'un coté, les criminels de l'autre. Plus aucun pouvoir ne soignerai cette plaie, mais leur groupe devrait faire avec, parce qu'ils n'avaient rien d'autre à quoi se raccrocher. La nécrophobe se sentit soudainement écrasée par une chape de plomb qui cherchait à faire ployer ses épaules frêles, fatigue psychologique qui finirait sans doute par avoir raison d'elle. Pratiquement pas de répit depuis un temps qui lui paraissait déjà bien lointain ; combien de temps ses nerfs tiendraient encore le choc avant de se disloquer ?

Dans la cuisine des Ridley, Melena se servit une part de pizza et mâchouilla distraitement, ses yeux gris dans le vague. Retourner à Mission, chez le marabout, était une chose ; s'y rendre à visage découvert, même de nuit, en était une autre. Les têtes de la psychotique et de la nécrophobe devaient déjà être diffusées dans toute la ville, si ce n'était pas l’État. Espérer se repointer dans le périmètre de leur crime aussi facilement relevait de l'utopie. D'autant que les Martins habitaient à deux pas de leur destination et les flics devaient certainement les surveiller, des fois que leur fille cherchent à les joindre. Ça ne serait pas un scénario stupide et d'ailleurs, les concernées y avaient même déjà pensé.

L'irlandaise pinça les lèvres en silence alors que Jade soulignait la dangerosité du plan. Les précisions presque accusatrices de la mauvaise jumelle ne changeaient rien : même sans coffre et sans traversée de portière, ça relevait presque de l'impossible. Mâchant une deuxième part de pizza, une main dans ses cheveux noirs qui dégageaient son front ivoirin, Melena réfléchissait toujours. Toutes les idées qui lui venaient étaient aussitôt auto-refusées et malgré le regard déterminé de son amie, elle finit par lâcher dans un soupir las :

- En fait, rien que se déplacer à 4, c'est trop grillé. Les flics surveillent forcément le quartier, rien que parce qu'en retirant Ace de l'équation, la seule chose qu'ils peuvent pas deviner, ce serait logique qu'une ado qui fuit sans argent et sans rien finisse soit par commettre un autre crime, soit par reprendre contact avec ses parents ou quelqu'un de sa connaissance... même s'ils ne cherchent que 2 filles, une bande 3 brunes et 1 mec, ça attirera forcément l'attention.

La nécrophobe n'avait pas l'impression de faire d'alarmisme. Si trois voitures avaient été mobilisées juste pour Jade, après qu'elle ait simplement traversé une portière, combien en avait-on mit sur le dos de deux criminelles ? Qui sait si les rues de Mission District n'étaient pas déjà envahies par les officiers en civil ? En fait, plus elle y réfléchissait, plus cette opération lui apparaissait comme du suicide, mais ils avaient à peine le choix. Un mauvaise pressentiment tordait ses entrailles, si bien que son regard se perdit par la fenêtre, sur le ciel de même couleur que ses iris pâles. C'était comme une appréhension que le carambolage n'avait été que le prélude d'un cauchemar, le premier acte d'une pièce macabre où elle incarnait l'un des émissaires de la mort. Parcourue d'un frisson glacé, l'irlandaise ajouta malgré tout :

- Ce serait vraiment pas un luxe d'avoir quelque chose pour se fondre un peu dans le décor, quitte... à le voler. Ça se trouve, y'aura pas que les flics pour nous chercher, mais aussi tous les gens qui veulent jouer au bon citoyen. Y aller à visage découvert, ça me parait vraiment - vraiment - risqué.

Elle soutint le regard en acier trempé de la mauvaise jumelle. Bien sûr, elle était parfaitement conscience qu'au stade où elles en étaient, masquer leurs traits avec des fringues chopés sur le bord d'une fenêtre ne changerait peut-être pas grand chose, mais c'était toujours une garantie supplémentaire, simple protection psychologique. Diviser le groupe pour se rendre séparément à destination effleura l'esprit de Melena, mais elle n'en dit rien sur le coup. Ça pouvait se révéler à terme beaucoup plus suspect de voir quatre individus se rendre successivement au même endroit et ils n'avaient aucun moyen de prévoir le degré de surveillance établi sur le quartier. Elle cilla avec lenteur, attendant une proposition qui pouvait venir de n'importe qui : elle n'avait pas de meilleure idée non, elle ne savait que soulever comme jamais ils n'avaient sciemment pris des risques pareils.

Le repas ne s’annonçait pas très lumineux… Au programme, regards dans le vide et discours pessimistes. Ace faisait de son mieux pour détendre l’atmosphère mais cette fois ça ne suffisait pas. Les ennuis étaient bien trop réels pour qu’on se permette la frivolité, apparemment. Le pyromane s’installa donc à table sans mot dire en attendant les filles. Voyant que les couverts n’étaient pas très utilisés, il se permit donc d’en faire de même et attrapa une part de pizza dont il enleva l’olive pour la poser sur un coin de son assiette. Il n’aimait pas ça.

L’idée était déjà bien ancrée dans l’esprit d’Elie à tel point que le Ken n’osait même plus essayer de la contredire. Il fallait reconnaitre que sur ce point-là elle était encore plus têtue que lui ; et puis s’engueuler pour si peu, ça n’était pas ce qu’Ace recherchait dans une relation. Soit, ils iraient chez le sorcier, chercher on ne sait quoi, se faire entuber de plusieurs centaines de dollars en passant et se faire probablement chopper par les flics, à moins d’un coup de bol monstre.

Malgré qu’il soit resté en retrait de la conversation, Ace avait roulé les yeux à la remarque de la mauvaise jumelle sur son tailleur. En même temps, il n’avait jamais vraiment porté ce genre de trucs ni voulu en porter… Il n’était même pas sûr que ça lui irait ou quoi, alors quitte à être classe, autant l’être en cravate. Même en réfléchissant, il ne trouvait rien pour les déguiser. La garde-robe de ses parents… Inutile d’y songer, ça n’était pas là qu’on allait trouver un… sweat à capuche…
Non, il n’y avait rien d’autre que des torchons mais par les temps qui courent, se déguiser en afghan pour aller à Mission District c’était peut-être pas ze bonne idée.

Non, bien sûr, aucune objection. Quand bien même, on se rendait compte que ça n’était pas vraiment une question pour peu qu’on connaissait Elie. Néanmoins Melena se risqua à faire une remarque similaire à celle qu’avait faite le pyromane un peu plus tôt et il y avait fort à parier qu’on lui répondrait la même chose qu’à lui. D’un autre côté, Ace était on ne peut plus d’accord avec la nécrophobe et la laisser se défendre seule… L’union fait la force !

- Ouais, c’est c’que j’disais ! Mais après on est pas obligé d’se séparer non plus, juste : on fait deux groupes de deux et on s’suit à distance raisonnable ! Rien qu’ça, on s’ra moins suspects et si on s’fait chopper, au moins un groupe sait où est l’autre et pi bah… On s’organise, quoi !

La non réaction des filles dans l’immédiat eut pour le pyromane l’effet d’un bide total. Prenant difficilement sur lui, Ace préféra se venger sur une autre part de pizza.
L’idée de voler ne lui plaisait pas tant que ça, par contre. Vendre de la drogue en revanche ça ne le gênait pas, allez savoir pourquoi. Peut-être parce que faire un casse ça n’était pas la même chose, pas la même dimension…

Non, il devait forcément y avoir un moyen d’éviter de faire une connerie pareille… Si les dealers ne s’étaient pas fait chopper, les voleurs, eux…
- Ouais, pour qu’on s’retrouve dans les journaux dès d’main ? En plus on est sympa : c’est comme si on leur donnait directement l’adresse. Nah, j’suis pas dans c’coup-là, moi.
Il n’était pas le mieux placer pour le dire, mais il fallait savoir s’imposer des limites dans ce genre de choses. Ace avait toujours procédé de sorte que rien ne soit laissé au hasard ; ou du moins… le moins de choses possibles. Alors miser sur la chance c’était déjà pas sympatoche, mais alors prendre en plus le risque de commettre un vol dans le quartier, c’était jouer avec le feu – dans le mauvais sens du terme !

L’évocation du mot feu tira au Ken une pensée envers son compagnon violet. Ça devenait de plus en plus dur de le voir uniquement comme un pouvoir. Il était trop réel pour ça… Mais il fallait se rendre à l’évidence : à l’heure présente, Feufolé n’existait pas, n’existait plus. Il ne restait que Ace, et Feu’… Il était dans sa tête, c’est tout. Déprimant, comme constat. Peut-être que bavard comme il était, il aurait eu un plan à proposer. Peut-être qu’en se forçant à penser comme lui..?

*Golf.*

Non. Ça ne marchait pas.

Comme on aurait pu s’y attendre sa proposition était loin de recueillir tous les suffrages. Le silence lourd qui avait pris ses aises dans la cuisine outrageusement grande des Ridley c’était définitivement envolé pour laisser place à un débat qui n’avait pas lieu d’être. Ce n’était pas comme s’ils avaient le choix après tout. Leur groupe avait besoin d’un moyen d’aller et venir à leur guise et à ce qu’Elie savait à l’heure actuelle seul le marabout était capable de le leur offrir… ou plutôt le leur monnayer.

La remarque de Jade lui crispa les mâchoires spasmodiquement, un vrai retour de flammes. Qu’elle essaye seulement de lui balancer au visage un « je te l’avais bien dit » et la mauvaise jumelle se ferait un plaisir de lui rappeler à quel point elle avait été stupide tant de fois en ignorant ses conseils ce qui lui avait entre autres valu un viol, alors qu’elle au moins avait plusieurs choix qui se présentaient à elle. Ce serait indélicat et cruel, mais la psychotique était dans un état d’esprit qui ne tolérait pas ce genre de réflexion. Même si elle avait décidé de pardonner son double, sa trahison qui avait causé sa mort et celle de Melena et Ace lui restait encore en travers de la gorge. Il faudrait plus que des excuses pour chasser ces ombres de son cœur meurtri.

Ce fut ensuite à Melena de prendre le relais, en soulignant de toutes les manières possibles et imaginables que son plan était voué à l’échec. Elle voulait qu’ils se séparent pour diminuer les risques ce qui faisait doucement rire la mauvaise jumelle. Moins risqué ? Ils auraient juste moins de moyens de riposter en cas de descente de flics, tu parles d’une idée de génie… le pire était qu’Ace approuvait cette partie même s’il rechignait à l’annoncer clairement, probablement de peur de déclencher la colère d’El’. C’était peine perdu, elle était DÉJÀ en colère. La proposition de vol, quoique déjà rejetée par le pyromane, fut la goutte d’eau qui fit déborder le vase.

Elie détestait les voleurs. Non, le mot était trop faible. Elle les abhorrait. C’était des gens fourbes, qui refusaient le labeur et préférait vivre de celui des autres. Des gens qui en dépouillaient d’autres souvent bien plus dans le besoin qu’eux, des égoïstes cupides et sans aucune valeur morale. Elle pouvait tolérer qu’on tue pour se défendre, qu’on arnaque à la rigueur car l’essentiel de la faute reposait sur la stupide crédulité de la victime mais pas le vol. De nourriture à la rigueur, en étant affamé mais juste parce que ça rejoignait le principe de survie.

Au fil de la discussion ses poings s’étaient crispés jusqu’à ce que ses phalanges blanchissent alors que ses yeux s’étrécissaient jusqu’à n’être plus que deux fentes. La pression montait en elle progressivement au point de presque pouvoir voir de la fumée s’échapper de ses oreilles à l’instar d’une cocotte-minute et ce qui devait arriver arriva : elle explosa. Son poing heurta la table avec violence qui vibra sous le choc, causant la chute d’un verre dont le contenu se déversa sur la table en imbibant le carton à pizza le plus proche.

- Vole un truc devant moi et je te fous mon poing dans la gueule. Essaye seulement si tu crois que je rigole, tu seras vite fixée, son ton lourd de menaces avait définitivement refroidit l’atmosphère, On a pas besoin de ça, et je veux pas m’abaisser à chiper des sweats sur des cordes à linge. Tu veux être méconnaissable ? Teins toi les cheveux, maquille toi, change de fringues, trouve toi une paire de lunettes… mais vole un truc et je ne veux plus jamais entendre parler de toi.

Sa colère froide était pire encore que celles explosives qui enflammaient ses traits. La résolution qu’affichait farouchement son visage était une menace plus terrible que celle d’un poing brandit. Si Jade mentait comme une arracheuse de dents, Elie était une femme de parole et de principe. Il n’y avait aucun doute sur le fait qu’elle réaliserait avec soin la prophétie qu’elle venait de déclamer.

On aurait pu entendre une mouche voler dans la cuisine alors qu’elle ramenait sa main vers elle, encore crispée en un poing rageur. L’adolescente entreprit alors d’éponger le liquide répandu à l’aide de quelques feuilles de sopalin tout en reprenant de matière un peu moins agressive, mais à peine. D’autres écarts du même genre que celui que s’était permis Melena ne seraient plus tolérés.

- On se pomponne, on se sape autrement… on devient blonde ou rousse ou je ne sais quoi. On va en voiture jusqu’au quartier du marabout et on fait en sorte de pas passer trop de temps sur les trottoirs. Il fera nuit, on sera juste un groupe de personnes qui sortent un samedi soir, y’a rien de suspect là-dedans. C’est si vous gardez vos gueules de constipés qu’on se fera prendre. On suit notre petite initiation au voyage en solitaire et on se tire, naturellement.

Un sourire amer étira le coin de ses lèvres alors qu’elle levait un regard narquois vers ses camarades.

- Quant à se séparer, on sera juste plus faible. Les flics recherchent deux personnes, et on sera quatre. On sera différents. Vous voulez que je vous dise ? Si on se fait choper, c’est juste parce que vous êtes persuadés que ce sera le cas. Du coup vous transpirez la culpabilité, elle fit semblant d’humer l’air avec un certain dégoût, et ça, les flics le sentiront.

La mâchoire crispée de son double avait dissuadé Jade de poursuivre sur sa lancée moralisatrice et elle s’évertuait désormais à suivre la conversation tout en admirant le fromage dégoulinant de sa part de pizza. Elle chipa discrètement l’olive abandonné par Ace pour la mâchonner distraitement alors qu’elle espérait que les remarques de Melena et du pyromane suffiraient à faire revenir Elie sur sa décision mais c’était peine perdu. Ça ne fit même qu’empirer les choses. Elle avait beau ne pas avoir grand-chose en commun avec son clone elle la connaissait comme si elle l’avait fait, et ça risquait bientôt de barder. Jay sursauta d’ailleurs par anticipation lorsque la nécrophobe proposa de voler des vêtements pour dissimuler leurs identités.

Le poing s’abattant sur la table fut l’argument final la réduisant au silence. Elle garderait son avis pour elle. Personne ne voudrait l’entendre de toute façon, vu qu’il serait motivé par la peur viscérale qui la prenait pour tout et rien en entravant chacune de ses actions. Pire que des chaines, ses angoisses s’enroulaient autour de son corps frêles jusqu’à la paralyser complètement, et la simple pensée de retourner à mission lui donnait envie de hurler et de se cacher dans le premier placard venu. Annoncer ça de but en blanc ne ferait que la décrédibiliser et elle en était bien consciente.

Le seul soulagement qu’elle tira du discours teinté de rage froide d’El’ était qu’ils n’auraient pas à se séparer. Elle partageait l’avis de son double sur le fait que ça ne ferait que diviser leurs forces déjà faibles, par contre en ce qui concernait le reste…

- Tu veux qu’on se relooke ? résuma-t-elle les yeux ronds.

Blonde ou rousse hein ? L’adolescente se saisit d’une mèche de cheveux pour l’observer quelques instants avant de la laisser retomber sur ses épaules. Le résultat risquait juste d’être vulgaire, ou ridicule, surtout si elles se grimaient toutes en pot de peinture. D’habitude un simple trait de crayon et d’eyeliner suffisait à habiller son regard mais pour la rendre méconnaissable il faudrait probablement y aller à la truelle et elle n’était pas sûre d’avoir les compétences nécessaires. Et puis… elle transpirerait forcément la culpabilité, quoi qu’elle fasse. C’était dans sa nature d’être faible et on ne pourrait rien y faire.

Jade se mit à éponger à son tour l’eau qui s’était répandue sur la table après qu’un verre – le sien – ait été renversé par son double sans autre forme de procès. Tout en s’activant des images se formaient dans son esprit, tentant de représenter le résultat final de cette proposition mais elle n’y arrivait décidément pas. Et pour leur hôte d’ailleurs ? Fallait-il le maquiller aussi ? C’était délirant, trop délirant. Impossible de faire confiance à un plan pareil.

- T’as beau dire… on nous connait là-bas, depuis toutes petites. Je suis pas sûr que ce soit suffisant. Ça le sera pour Melena mais… pas pour toi et moi. Et si en cas de coup dur je peux m’enfuir droit devant moi en passant au travers de tous les obstacles qui se placeront sur ma route toi tu seras coincée Elie. Qu’est-ce que tu cherches à faire ? Mourir ?

Les lèvres pincées, elle marqua une pause durant laquelle elle tenta, en vain, de stopper les tremblements de ses mains en les plaquant sur la table. L’angoisse la rendait encore plus pâle qu’à l’accoutumée et soulignait les larges cernes sous ses yeux. Elle avait dormis plus que son quota ses derniers temps, mais les soucis l’épuisaient déjà.

- Je suis pas pour voler des trucs non plus, désolé. Pour l’instant je peux encore me vanter de n’avoir fait que m’enfuir, et j’ai pas envie de me retrouver avec un véritable casier judiciaire. On est dans le monde réel, pas à Dreamland.

Le silence était pesant, seulement troublé par le bruit du noyau d’olive qu’elle tapotait sur la table sans même sans rendre compte, tic nerveux qui devait porter sur les nerfs de tout le monde. Elle aurait voulu proposer des solutions mais tout ce qui lui venait à l’esprit était une série de remarques réfutant celles des autres. Tout ce qu’elle pouvait voir, c’était qu’ils allaient se jeter dans la gueule du loup. Qu’ils restent ensembles ou se séparent, qu’ils se déguisent avec ce qu’il y avait ici ou volent des vêtements… ça finirait mal. Il ne pouvait en être autrement.

La bonne jumelle cherchait désespérément une idée, n’importe laquelle qui lui permettrait de sortir de l’image de « celle qui dit non à tout » mais elle ne trouva que le néant. C’était profondément frustrant. C’était évident que personne ne tolèrerait de rester tous ici inactifs en attendant que les choses se tassent, c’est donc à contrecœur qu’elle finit par grommeler tout sauf convaincue :

- Mais bon, j’ai rien de mieux à proposer. Teins moi les cheveux si ça t’amuse.