[job] Attention aux pépins

Il s’attendait un peu à se faire rembarrer par Temara mais au lieu de ça Samara l’invita simplement à compter son histoire à l’intérieur pendant qu’ils déjeuneraient. La collation avait été si légère qu’elle était déjà oubliée et les héséprydes avaient l’air pressées de se mettre à table pour assouvir leur faim physique, mais aussi celles d’histoires palpitantes capables de les faire sortir en dehors de leur prison par le biais de leur imagination. Liam ne se fit pas prié et les suivi tout comme ses compagnons jusque la demeure qu’ils n’avaient pu contempler que brièvement.

Une fois dans le hall l’une de leur hôte qui devait être Sia… à moins que ce ne fut Melinda ?... les invita à rejoindre le deuxième étage dédié aux invités sous la houlette de quelques domestiques qui leur montreraient leur chambre afin qu’ils puissent se rafraichir avant de manger. Encore une fois il suffit le troupeau sagement et ce ne fut qu’une fois la porte de leur suite refermée derrière eux qu’il retrouva sa langue.

Ils n’étaient plus que tous les trois, mais il attendit tout de même que les pas s’éloignent dans le couloir pour attraper Yoru par le col avec une force nerveuse telle que le jeune homme n’avait plus que le bout de ses orteils qui touchait le sol. Ils avaient un compte à régler, et surtout des pendules à mettre à l’heure. Si cet idiot continuait sur sa lancée ils allaient finir par se faire prendre, et tuer pour faire bonne mesure.

- Toi il va falloir que t’apprennes à fermer ta grande gueule… Tu fais bourde sur bourde depuis le début et je ne me laisserais pas buter parce qu’on m’a collé un collègue demeuré.

Les doigts de la main libre de Liam se glissèrent dans l’ouverture formée par la bouche bée de l’asiatique qui n’avait pas encore réalisé ce qui se passait et tira avec force.

- Bah vas-y parle. Dis quelque chose allez, toi qui a une si grande…

La fin de sa phrase mourut dans sa gorge alors que la bouche de Yoru s’étirait jusqu’à atteindre une taille trois fois supérieure à celle qu’elle avait à l’origine. Un fou rire s’ensuivit aussitôt au point de le pousser à lâcher le pauvre garçon pour reculer et admirer le résultat, hilare. Il ne savait pas ce qu’il venait de faire mais c’était du grand art ! L’asiatique venait de se transformer en une sorte de caricature de lui-même et dans cet état, dieu merci, rien de ce qu’il pouvait dire n’était compréhensible. S’il avait su que ce serait si simple il aurait effectué ce petit tour de passe-passe bien plus tôt dans la journée !

Spoiler:

- Mais dis donc, c’est que dans cet état je pourrais presque te trouver une utilité !

Un regard lubrique à moitié factice glissa sur sa victime avant qu’il ne se détourne pour aller s’asseoir sur le lit qu’il venait de s’octroyer mentalement. Sans le vouloir cette mise en scène paracheva le petit effet provoqué dans son discours et Yoru fila dans la salle de bain. Que ce soit pour fuir, y faire sa crise d’ado tardive ou réparer les dégâts le tueur s’en fichait bien. Ce qui était sûr c’est qu’il ne pourrait pas se présenter devant les héséprydes ainsi et leur laissait donc le champ libre au moins pour l’instant.

Le taulard reporta alors son attention sur Sydney qui semblait désormais ressentir plus que de la méfiance pour lui. Il y répondit par un simple haussement d’épaules amusé avant de se laisser tomber sur le dos pour admirer le plafond doré à l’or fin.

- Oh c’est bon, je réparerais ça plus tard si je le peux fais pas cette tête. Avoue quand même que ça fait du bien de penser qu’il ne va pas nous plomber pendant le déjeuner.

Il tourna ses yeux noirs abritant toujours une lueur d’amusement vers le pirate et ajouta en plaçant ses mains derrière son crâne avec désinvolture.

- Surtout que je commence à me plaire ici, ce serait stupide de se faire étriper par de si jolies filles.

Apparemment, la suite se déroulait à l'intérieur. Quelque part, ça faisait penser à une araignée qui attire sa proie jusque dans son nid pour lui couper toute chance de survie. L'insecte a beau s'agiter dans tous les sens, le venin a déjà été injecté et tout n'est plus qu'une question de temps. L'instinct de survie du pirate lui hurlait de quitter ce lieu le plus rapidement possible mais s'il partait maintenant, Liam et Yoru en paieraient les conséquences. Non seulement il ne pouvait pas accepter ça, mais en plus, rien ne lui garantissait qu'il s'en tire pour autant !

On invita le trio à monter au deuxième étage, ce qui était purement logique si l'on voulait empêcher que ses hôtes ne fuient discrètement. Des esclaves rapporteurs devaient d'ailleurs avoir été disposés à chaque coin de pièce, sous chaque escalier, même dans les murs ! Si, si, il avait vu ça dans un film ! D'ailleurs dans le film, le héros mourait. Ça voulait dire ce que ça voulait dire. La pièce, bien que potentiellement meurtrière était cependant agréable et très joliment décorée. On s'y plaisait et il y faisait bon vivre, à tel point que le pirate avait de moins en moins de mal à comprendre le désir des Héséprydes de quitter cette "prison". On était très bien, enfermé chez soi, pardi !

Une fois leur escorte aux mille oreilles partie, Liam se déchaîna sur Yoru, le secouant comme un prunier et lui... Agrandissant la bouche ?? L'orifice avait triplé de volume par la seule volonté de l'ainé du groupe ; un de ses pouvoirs, indubitablement. Alors que ce dernier se tordait de rire, le pirate parano' avait fait un pas en arrière, sur sa garde, imposant une barrière entre lui et le dément, constituée de son seul bras. Il ne savait pas comment réagir même si ne rien faire semblait plus prudent à priori.

Prenant conscience que lui aussi était resté bouche bée, il la ferma. Mieux vaut ne pas tenter le diable... Ce type était vraiment fou à lier, dangereux au possible et Sydney se jura de tourner sa langue sept fois dans sa bouche avant de parler désormais. Il ne voulait en aucun cas être le cobaye n°2 de ce pouvoir plus qu'embarrassant. D'ailleurs Yoru s'était éclipsé dans la salle de bains et on ne l'entendit plus.
Est-ce que cela lui faisait vraiment du bien de savoir dans quel état était le jeune asiatique..? Sydney n'était pas sûr de le savoir... Mais il joua le jeu et sourit comme si la blague lui avait plu. C'est vrai que quelque part, la scène était assez drôle d'un point de vue extérieur mais sans doute le paranoïaque ne l'était-il pas assez pour apprécier le spectacle à sa juste valeur.

Toujours méfiant, il se risqua cependant à dévoiler le fond de sa pensée au taulard.
- Hm, il faut être prudent c'est vrai. Mais tu ne crois pas que ta réaction était un peu... Extrême ? Que diront les Héséprydes en voyant Yoru comme ça ? Parce qu'il devra bien sortir à un moment donné. Essayons de montrer qu'on est un groupe soudé, ça sera bien plus prudent.
Je veux bien faire des efforts pour ne pas dire d'âneries, mais je me sentirai bien mieux si tu me promettait de ne pas me réserver le même sort que pour... Enfin... il baissa la voix et regarda autour de lui, s'assurant qu'ils n'étaient pas épiés. J'ai l'impression d'être pris en étau entre les Héséprydes qui passent leur temps à nous suspecter alors si en plus je dois te craindre aussi, ça n'arrangera rien ! Et c'est peut-être la même chose que ressent Yoru.

Par mesure de précaution, il ne bougea pas. S'avancer serait risqué si Liam prenait mal ce que Sydney venait de dire, et reculer d'avantage serait une fuite qui donnerait à ses arguments la force d'un brin d'herbe contre un char d'assaut.
Voyant que cela ne faisait en apparence ni chaud ni froid à Liam, Syd se décida finalement à aller s'installer contre le mur. Il était hors de question de s'allonger sur un lit sans avoir au préalable vérifie s'il n'y avait aucun micro, serpent, poignard ou autre caché sous la couette et sous le matelas !

Le discours de Sydney était comique à la limite du jouissif. Le parfait petit discours visant à resserrer les liens d’un groupe, avec des histoires de confiance, de serrage de coude et de promesses. Qu’était-il sensé répondre à ça ? il y avait fort à parier que la vérité ne siérait pas au pirate. A vrai dire Liam se fichait bien de ce qui pouvait arriver à Yoru ou Sydney, ou même de ce qu’elles penseraient de l’état actuel de l’asiatique. Sa langue était aussi douée pour offrir du plaisir que pour blesser et mentir, il n’aurait sûrement pas trop de mal à les mener en bateau en racontant qu’il s’agissait par exemple du contre coup d’un pouvoir de son comparse.

Toujours allongé l’ex-taulard se contenta de fixer un moment son collègue pour le simple plaisir de le mettre mal à l’aise, et ce jusqu’au moment où Syd’ se décida enfin à bouger pour se trouver un place contre un mur. Le monstre calculateur dans sa caboche cherchait l’option la plus utile mais aussi la plus amusante à mettre en pratique. Jouer les amis était peut-être le mieux pour l’instant… c’est pourquoi il finit par lâcher un éclat de rire et rétorquer en se passant la main dans les cheveux :

- Tu me crains vraiment ? Qu’est-ce que tu crains au juste, que je t’agrandisse la bouche ? Ça te tuera pas tu sais, c’est juste… une blague. Je t’ai dit que je lui rendrais son apparence en temps voulu si j’en ai la capacité. Je viens de découvrir ce pouvoir en même temps que toi, c’est pas comme si je l’avais fait volontairement.

Il se tourna sur le côté pour faire face à Sydney et ajouta avec un étrange sourire :

- Et je ne tenterais jamais rien qui risquerait de me causer du tort, j’ai aussi peu envie que toi de me faire avoir par les héséprydes surtout avec Temara qui a l’air d’avoir une dent contre nous.

Le regard de faucon chargé de suspicion de la demoiselle lui revint en mémoire, éclipsant du même coup son sourire. C’était leur plus gros problème à l’heure actuelle, si seulement il pouvait trouver un moyen pour endormir sa méfiance ! Mais avant ça il fallait déjà réfléchir à quoi raconter pendant le repas, des choses assez intéressantes pour être racontées mais qui ne leur donnait pas une trop mauvaise image… inutile de dire que ce n’était pas facile pour le tueur qui avait causé des torts plus souvent qu’à son tour.

Il tenta de se repasser en vitesse rapide ses souvenirs, mais après avoir fait le tri il ne restait plus grand-chose. Mais les héséprydes n’avaient pas l’air toutes blanches, peut-être que la violence ne serait qu’un attrait supplémentaire à leurs yeux ? Impossible à confirmer sans avoir essayé malheureusement. Le trentenaire se décida toutefois à interroger le pirate juste au cas où. Avoir un avis extérieure ne pouvait pas être une mauvaise chose et dans le pire des cas il n’en tiendrait juste pas compte.

- Tu penses qu’elles s’offusqueraient de quelques actes pas très glorieux ? Comme une agression, voir un meurtre ? Parce qu’à bien y réfléchir j’ai ce genre de détail dans presque toutes mes histoires.

Liam pencha la tête sur le côté, pensif, sans se rendre compte que l’ambiance venait soudain de s’alourdir. C’était typiquement le genre de choses à ne pas dire à un paranoïaque, mais c’était désormais trop tard. Il en remit d’ailleurs une couche en ajoutant avec un petit sourire :

- Enfin je suppose que tant qu’on ne parle pas de viol tout ira bien !

Toujours allongé sur son lit moelleux il s’étira comme un chat avant de balancer ses jambes hors du lit et de passer en position assise. Leurs hôtes allaient finir par se demander ce qu’ils faisaient, il était plus que temps de faire un petit tour dans la salle de bain et de descendre les rejoindre.

Liam se leva donc avec nonchalance pour rejoindre la salle de bain dont sans se soucier de Yoru qui boudait dans un coin sans oublier de le fusiller du regard lorsqu’il fit son entrée. Cette vision ne fit que lui tirer un rire narquois après quoi il s’aspergea généreusement la figure d’eau glacée. Il allait avoir besoin de tous ses moyens s’il ne voulait pas faire de bourdes dans les heures qui allaient suivre.

S'il le craignait vraiment..? Evidemment, il faudrait être fou pour lui faire confiance ou même l'apprécier. Seulement le lui avouer, c'est aussi délicat que de demander à une personne si elle veut un cachou pour régler ses problèmes d'haleine.
- Eh bien... Si tu pouvais juste éviter de découvrir des pouvoirs avec ma tronche, ça serait cool... Juste comme ça.
Syd se demanda après coup s'il avait bien fait de dire ça. Avec un peu de chance l'ainé du groupe se ferait un malin plaisir à le faire quand même. Il en mourait d'envie, ça se voyait.

Apparemment, Liam ne l'avait pas entendu, embrayant sur un nouveau mensonge effronté. Pour sûr, il ne tenterait rien tant que les sirènes seraient là, mais lorsqu'elles auraient le dos tourné, il poignarderait le pirate pour le simple plaisir des yeux.

Toujours adossé contre le mur, Sydney effectuait un second examen minutieux de la pièce et ne remarquant rien de suspect du genre caméra ou microphone, il se décida à aller s'asseoir dans un fauteuil non loin de l'hypersexuel. Le fauteuil était physiquement plus confortable bien que la proximité avec le malade soit psychologiquement dérangeante. A fortiori lorsqu’il évoqua les crimes dont il se vantait d’être l’auteur.
- Racontes ce que tu veux, ma foi… Une histoire est une histoire ; ça peut les divertir. *Et toi au moins tu as des histoires à raconter…* Mis à part des menaces de mort indirectes, des agressions verbales et des tentatives de meurtres, Syd n’avait pas grand-chose à dire. Ou alors, il faudrait remonter à son enfance et ça ne l’enchantait pas trop de passer pour une victime alors que le voisin était un tueur en série.

La dernière supposition du détraqué resta sans réponse, à moins que le bruit d’un fauteuil que l’on éloigne petit à petit ait une réelle signification. Non, bien sûr qu’il ne craignait pas d’être violé – quoique… Des cinglés il y en a partout – mais côtoyer un tel monstre était à la limite du supportable. Penser à toutes ces horreurs qu’il avait pu faire dans sa vie, et maintenant voilà qu’il parlait de viol !? Si le pirate avait eu le pouvoir de créer un mur entre lui et son… "collègue", il l’aurait fait sans attendre mais malheureusement il ne disposait pas de ce pouvoir, ni même d’un objet à l’efficacité suffisante pour neutraliser le monstre en cas d’attaque.

C’était plus que décidé : il prenait ces pommes et il se tirait d’ici. Enfin… Après avoir récupéré son salaire, quand même. Être venu ici pour des prunes (ou des pommes en l’occurrence), ça serait la pire chose au monde. Le paranoïaque poussa un soupir de soulagement lorsqu’il fut enfin seul.
Il faudrait bientôt aller rejoindre les quatre sorcières mais était-ce réellement le pire, à présent..?

Il gagna cependant le recul nécessaire pour appréhender la situation. S’il n’arrêtait pas maintenant de faire un focus sur Liam et sur les Héséprydes, il allait craquer, c’était sûr. Mais relâcher sa vigilance plus d’une minute et on courrait droit à la catastrophe. Sans compter qu’il n’avait plus très faim, désormais. S’il ne mangeait pas, il devrait parler. Et ça lui coupait encore plus l’appétit.

Penchant sa tête en direction de la salle de bain où s’était éclipsé son collègue, il osa tout de même poser une dernière question avant de devoir aller à l’échafaud.
- Liam ? Tout à l’heure, une des héséprydes… Sia, je crois. Elle me tournait autour – je crois. Tu n’aurais pas des phrases types que je pourrais lui sortir pour… Je sais pas, moi : pour qu’elle me lâche ou du moins qu’elle ait d’avantage confiance en nous… Parce que à part elle, les autres sont pas très amicales…

C’est vrai, autant en profiter. Elle était le maillon faible dans leur défense. C’était donc sur elle qu’il faudrait miser pour qu’on leur lâche la grappe. Mais pour ça, il fallait une certaine éloquence que le pirate n’avait pas. Il fallait reconnaitre que Liam avait une certaine facilité à ce niveau-là donc autant lui demander conseil ; il n’allait pas lui planter un couteau dans le dos pour si peu.. Si ?

Provoquer la terreur chez ses interlocuteurs avait un aspect jouissif galvanisant et l’angoissant qui transparaissait sur les traits de Sydney n’était pas loin de lui faire dresser le chapiteau. La seule chose qui tempéra ses ardeurs fut de savoir que ce genre de situation briserait définitivement le peu de cohésion au sein de leur groupe, ce dont il ne pouvait pas se permettre. Ils étaient tous dans le même bateau qu’ils le veuillent ou non. Réussir ensemble et être riche, ou échouer ensemble et mourir. A ce stade ce n’était même plus un choix réel.

Le pirate prenait peu à peu ses distances et le taulard sentait qu’il essayait de ne pas le brusquer en répondant évasivement, mais ce n’était pas ce genre de choses qui allaient les aider. Il avait vraiment besoin de savoir ce qu’il pouvait se permettre ou non et l’avis d’une majorité était encore le mieux pour l’aiguiller. Ne lui restait plus qu’à faire avec ce manque de conseil, et avec le désir de tentative de drague de son camarade qui lui lâcha ça comme si de rien alors qu’il plaquait ses cheveux en arrière avec un peu d’eau.

Liam laissa ses mains trempées retomber le long de son corps tout en observant son collègue. Il était sérieux ? il aurait vraiment le cran d’en arriver là avec l’une d’elle juste pour se remplir les poches ? Le trentenaire en doutait pourtant, Syd’ avait plutôt l’air du genre frileux quand il s’agissait de prendre des risques même aussi ridicules que de plonger dans une piscine.

- J’en ai aussi une qui me tourne autour, mais ce ne sont pas elles dont on doit le plus se méfier. C’est Temara qui me pose problème. Tant qu’elle aura l’œil sur nous, nos mains seront liées. Mais pour en revenir à ta question, je pense que la sauter est encore le meilleur moyen pour qu’elle te fiche la paix.

Devant l’expression interloquée du paranoïaque Liam haussa les épaules avant de se servir d’une serviette et de s’essuyer soigneusement les mains. Le silence se poursuivant malgré sa gestuelle équivoque il se mit en tête de compléter son geste par un discours plus que clair.

- Je rigole pas tu sais. A être enfermées ici depuis des lustres leurs hormones les travaillent et ça se voit.

D’ailleurs en parlant de temps qui passe, il s’en était tellement écoulé depuis qu’ils avaient rejoint leur chambre que leurs hôtes allaient finir par s’impatienter. Il réajusta sa chemise et se dirigea vers la porte, mais alors qu’il allait sortir il fit demi-tour pour revenir dans la salle de bain. L’air moqueur il jaugea longuement le bridé brimé avant d’attraper les commissures de ses lèvres pour redonner à sa bouche sa taille normale. Etrangement ce petit manège marcha. Liam aurait préféré ne pas pouvoir réparer son méfait pour la simple satisfaction de voir souffrir Yoru mais il fallait admettre qu’ils ne pouvaient pas le laisser là et mentir en disant qu’il était malade.

Ces salopes aux yeux de faucon auraient été capable d’envoyer quelqu’un vérifier et alors il n’aurait pas donné grand-chose de leur avenir dans ce monde et dans l’autre.

- Hey, tu pourrais dire merci quand même… ironisa-t-il avant de tapoter l’épaule de l’asiatique d'un geste faussement amical, Lève-toi et viens, on va pas passer la nuit ici.

D’un geste de la tête il invita Sydney à les suivre et ils quittèrent leurs appartements pour rejoindre le domestique qui les attendait sagement devant la porte pour les mener à ses maitresses. Après quelques couloirs, portes et escaliers ils débouchèrent dans une vaste salle à manger dont la magnificence n’avait rien à envier au reste de la propriété. La table croulait sous des mets dont la vue et l’odeur suffisaient à vous remplir l’estomac, mais c’était les regards des 4 femmes-rapaces qui captèrent l’attention de Liam à leur arrivée.

Depuis combien de temps attendaient-elles sagement ici leur venue ? Il était prêt à parier qu’elles n’avaient pas perdu de temps en discussion sur leur coiffeur ou leur manucure mais que le sujet central de leur conversation avait plutôt été leur trio. Et si deux d’entre elles les dévoraient des yeux alors qu’une autres les accueillait avec un doux sourire, l’expression de Temara n’avait rien d’amicale. Le tueur réussit à en faire abstraction et s’installa à la place qu’on lui attribua, juste entre miss méfiance et Mélinda qui lui glissait des regards dont la chaleur n’avait rien à envier à l’enfer.

- Et bien ! Je n’en espérais pas tant. Vos cuisiniers se sont vraiment donnés du mal, ça me mettrait presque mal à l’aise !

Liam avait parfaitement raison, comparé à Temara, les autres héséprydes ne posaient aucun souci particulier - mis à part le fait que justement, deux d'entre elles soient assez pot-de-colle. La proximité avec ces créatures empêchait Sydney de se concentrer ; il ne leur faisait pas confiance. Son collègue tueur en série avait dû croire qu'il cherchait simplement à draguer mais le pirate voulait juste qu'on arrête de le désirer de la sorte. C'est gênant, quoi...
Surtout que les histoires d'hommes tués par leurs conquêtes étaient nombreuses, trop nombreuses pour que ça ne soit qu'une simple fiction.

Lui, préconisait simplement de les "sauter". Bon dieu mais pourquoi il avait accepté ce job... Ah, quelle équipe, vraiment...
- Ouais, les hormones... Si tu le dis. En tout cas, crois-moi si tu leur balance des choses aussi crues, elles risquent de mal le prendre. Ou bien... Ouais, bref. Sans importance.

Il était temps de descendre rejoindre leurs hôtes et Yoru n'était toujours pas revenu, Liam partit le chercher. Sydney s'était attendu au pire mais en voyant ses deux collègues arriver, il put remarquer qu'au contraire, le tueur en série avait eu la gentillesse de redonner une dimension convenable à la bouche de l'asiatique. Même si ce dernier ne semblait pas très enjoué, ça prouvait que le groupe n'en était pas au point de se saborder.

Yoru les suivit sans rien dire alors que le domestique faisait traverser la résidence aux voyageurs. Il y avait un nombre de pièces incalculable et les dimensions gigantesques de la villa ferait envie à n'importe qui.

Enfin ils arrivèrent dans une pièce encore plus somptueuse que toutes les autres. Un grand espace très bien décoré avec des meubles de qualité, des piliers rappelant l'architecture grecque aux couleurs de l'or. Le plafond était assez haut et également ouvragé. Et au centre de la pièce, une table débordant de nourriture les attendait.

Il prit place à côté de Sia, à croire qu'elle avait réservé la place quelques mois à l'avance, pour être bien sûre que personne ne lui volerait sa proie.
Tandis que Liam s'extasiait - ou faisait semblant - devant les mets proposés, Sydney en était encore à se demander lesquels des aliments étaient empoisonnée ou non. Avec une telle quantité de nourriture, empoisonner le tout serait extrêmement long et onéreux, et puis les héséprydes mangeraient bien, elles aussi. Elles étaient peut-être immunisées ou alors elles savaient ce qui n'était pas badigeonné de sauce létale. C'en était encore plus sadique de procéder ainsi. Une roulette russe contemporaine...

- C'est vraiment magnifique. La décoration, la cuisine... Tout !
Oh, mais je vous en prie, honneur aux dames ! D'un geste de la main, il invitait poliment Sia à se servir. Il saurait ainsi quels types d'aliments étaient sains et avec un peu de chance, le fait de prendre la même chose que sa voisine la charmerait peut-être.
Il n'y avait pas d'autre idée derrière ça que la survie ; endormir le serpent pour se libérer de son étreinte.

Malgré l'appétit qui commençait à venir, le pirate ne pouvait s'empêcher d'appréhender les questions de ses hôtes. Il fallait se concentrer, à présent. Parler intelligemment et ne pas faire de boulettes ! Sinon, adieu les pommes, adieu la vie.

Il se servit à manger, répondant aux sourires amusés de Sia par d'autres sourires ; jetant parfois un œil à ses camarades pour voir s'ils n'étaient pas morts. Soit ils étaient particulièrement chanceux, soit aucun des plats n'était empoisonné, ce qui était encore plus frustrant bien que rassurant.
Malgré ça, il réussit à se détendre et à profiter du répit qu'on lui accordait avant que les choses sérieuses ne commencent. Et puis mince, à la fin ! Il était un voyageur, lui aussi... Donc il devrait pouvoir trouver des histoires intéressantes à dire !

A l'autre bout de la table, Temara lui jeta un regard noir sans raison apparente. Ne sachant comment le prendre, le pirate détourna le regard, se saisissant de son verre et but une longue gorgée. Lorsque l'hésépryde paranoïaque eut cessé de le dévisager, il se pencha vers Sia et lui glissa à l'oreille
- Je crois que votre amie Temara ne m'apprécie décidément pas... Je comprends votre méfiance mais j'aimerais tellement vous prouver que nous ne voulons rien de mal... Comprenez...

Le pire dans tout ça ? Il croyait presque à son mensonge. Il se rappela qu'il mentait seulement après avoir parlé. A force d'être traité comme des voleurs alors que concrètement ils n'avaient - encore - rien fait le persuadait presque qu'il était réellement innocent.
Ce paradoxe méritait d'être réfléchi plus tard, tiens.

Toutes les Héséprydes s’étaient concertées après l’épisode de la piscine, discutant des évènements ayant eu lieu avec leurs invités. Bien évidemment, Temara s’était faite sermonnée par Samara, qui jugeait que son comportement paranoïaque pouvait nuire à leur image, mais la concernée s’était contentée de fixer sa sœur d’un regard las. Elle verrait bien de toute façon, si jamais on essayait encore de leur voler quelque chose à leur insu, aucune ne pourrait dire qu’on ne les avait pas mises en garde.

Finalement, l’un des esclaves vint couper court à leur discussion en annonçant que la table était mise. Vêtues de belles robes en soie légère qui enveloppaient leurs corps diaphanes comme des voiles divins, les créatures au visage de femme se rendirent les premières dans le somptueux salon en demandant d’aller chercher leurs visiteurs. Fatiguée par la méfiance de Temara, l’ainée – ou en tout cas, celle qui agissait comme telle – accepta que la place de Liam soit ménagée à coté de cette dernière, pour qu'elle puisse le "garder à l’œil".

En voyant arriver les voyageurs, les orbes mordorés des Héséprydes parurent s’illuminer. Particulièrement dans la monotonie de leur vie qui s’étirait avec le temps, avoir quelqu’un avec qui partager ses repas était toujours source de joie. Melinda apprécia d’avoir gagné la proximité du taulard, tandis que Sia eut un grand sourire mystérieux en voyant le pirate devenir son voisin. Leurs grands yeux de rapaces n’avaient dès lors de cesse d’épier les invités, et au compliment du doyen de la bande, Samara rétorqua :

- Voyons, ce n’est rien. C’est vous qui nous faites un véritable plaisir en acceptant de partager notre repas. On s’amuse beaucoup moins seules.

Sydney en remettait une couche et reçut le regard bienveillance de la porte-parole des quatre femmes alors qu’il invitait Sia à se servir. Il ne savait pas que les Héséprydes ne se donnaient pas cette peine, justement entourées par une armée d’esclaves qui étaient là pour ça. Un simple coup de ses grands yeux en amandes et déjà, on remplissait les assiettes des maitresses de maison, et proposait aux voyageurs de leur offrir quelque chose parmi les multiples salades et boissons disponibles.

- Ne vous inquiétez pas, murmura la créature vers laquelle s’était penchée le paranoïaque, Temara se méfie de tout et tout le monde. Elle finira par s’habituer.

Un sourire gracieux fendit son beau visage ivoirin et elle prit une bouchée de son plat composé sans même se mettre une goutte de sauce sur les lèvres. Être aussi parfaite même en mangeant tenait de l’irréalité la plus totale, mais déjà, Samara engageait la conversation avec Liam, un verre de vin à la main :

- Je n’ai pas oublié que vous nous promis quelques anecdotes qu’il me tarde d’ailleurs d’entendre, mais avant je voulais aussi vous dire que nous avions discuté de votre désir de travailler pour nous afin de préparer votre retour. Je ne vous cache pas que ça ne nous ressemble pas d’offrir de l’argent aux touristes, mais sommes tombées d’accord pour vous offrir l’hospitalité plusieurs jours, ainsi que suffisamment de provisions pour que la nourriture ne soit pas un problème pendant votre voyage avant un moment.
- Si vous êtes toujours volontaires, renchérit Melinda.

Tout semblait bien se dérouler… pour l’instant. Sydney faisait preuve d’une bonne volonté admirable, Yoru par miracle avait enfin décidé de tenir sa langue et les héséprydes – à l’exception de Temara – affichaient toutes des airs réjouis. Même s’il en doutait beaucoup, c’était peut-être la porte de la confiance qui s’ouvrait devant eux et Liam ne comptait pas laisser filer cette opportunité. Lorsque Samara l’invita à compter l’une de ses histoires avec laquelle il les avait appâtées plus tôt, le taulard ne se fit pas prier. Mais avant d’en arriver là, il restait à régler quelques problèmes techniques.

A vrai dire il n’était pas sûr de tout saisir. Elles refusaient de les payer, mais pas de les embaucher ? Croyaient-elles vraiment que quelques nuits et un peu de nourriture aideraient significativement les voyageurs itinérants qu’ils étaient censés être ? C’était ridicule, travailler dans n’importe quelle petite boutique se serait dès lors révélé plus rentable. Les voir être si près de leurs sous alors qu’elles étaient plus riches que Crésus dépassait le trentenaire, qui finit malgré tout par acquiescer avec un sourire mystérieux.

- Je ne vous cache pas que je suis un peu déçu, mais ça m’ira très bien. Votre compagnie compensera l’absence de pécule à la clé… après tout il parait qu’on peut vivre d’amour et d’eau fraiche.

Dans un rire il se saisit du plat le plus proche pour remplir son assiette alors qu’une tempête se déchainait sous son crâne. Il détestait avoir l’impression de se faire avoir mais il ne pouvait laisser filer l’opportunité d’entrer dans les bonnes grâces de leurs hôtes et de gagner des droits suffisants pour se balader dans la propriété sans éternels gardes du corps. Il prit soin de boire une longue gorgée de vin le temps de remettre de l’ordre dans ses pensées, après quoi il reprit plus serein :

- Mais venons-en plutôt aux distractions si vous le voulez bien. Qu’est-ce que je pourrais vous raconter… s’interrogea-t-il en se grattant le menton, Il s’est passé tellement de choses. Tenez par exemple, je ne sais pas si vous aviez entendu parler de la disparition du père noël il y a quelques temps de ça ?

Les héséprydes firent non de la tête, leurs grands yeux dorés braqués sur lui avec curiosité. Il se sentait comme un animal sauvage pris dans les phares d’un véhicule arrivant à toute allure. Rester paralysé n’était pas une solution, et une nouvelle gorgée de vint dénoua sa langue liée par la pression qui reposait sur ses épaules pourtant solides.

- C’était quelques temps après qu’on ait rencontré Sydney à Telehem. Alors qu’on s’éloignait de la ville les lutins du père noël ont déboulé de nulle part pour demander notre aide. Dans notre monde ce vieux bonhomme n’est qu’une légende pour enfants, mais malgré la surprise causée par la découverte de son existence à Dreamland nous avons accepté de les aider. Oh, pas par bonté d’âme il ne faut pas se leurrer, mais c’était une occasion en or de s’éloigner de cette zone où nous étions recherchés comme esclaves en fuite, il ajouta alors avec un sourire en coin, Et puis ma fille m’en aurait voulu de me défiler, je crois.

Etant donné ce qu’il avait déjà raconté au bord de la piscine il s’était vu obligé d’intégrer Sydney à l’histoire, mais ce fait posait désormais problème. Les choses risquaient de mal tourner si le pirate se voyait interrogé sur le sujet par les femmes rapaces. Il fallait trouvé une raison simple pour qu’il ne garde pas souvenir de cet évènement. Quelque chose de drôle de préférence pour entretenir l’atmosphère enjouée du repas.

Liam fit mine d’avaler une bouchée de viande terriblement coriace le temps de trouver une explication satisfaisante qui, heureusement, finit par arriver. Mêlée au reste de son histoire réelle, cette anecdote comique passerait comme une lettre à la poste.

- On a donc été emmené jusqu’aux terres gelées où se niche leur village, et ce à dos de rennes. Le voyage bien que rapide était assez mouvementé tout comme l’atterrissage et… pardonne moi Syd’ mais… si vous l’aviez vu ! Il s’était mal accroché et lorsque sa monture a posé les sabots par terre il lui est passé par-dessus tête pour aller faire un beau roulé-boulé dans la neige. Le pauvre était tellement mal en point qu’il a passé tout le temps dans un lit au lieu de nous aider dans notre quête, mais je le soupçonne d’avoir juste fait preuve de fainéantise si vous voulez mon avis !

- Hein ? Euh... Oui, oui j'en veux bien. Euh ça ? Pourquoi pas et- Non, stop, merci ! Ca ira. Hm... Vous êtes sûr que- hmmmm... Merci beaucoup, ça ira. Vite, trop vité débordé, Sydney avait failli faire une crise cardiaque alors qu'une horde d'esclaves l'entourait en lui proposant toute sorte de plats et boissons dont il n'avait que faire. C'était comestible ou pas, point barre.

Il essaya de conserver son calme alors qu'on le sollicitait à chaque instant. Finalement - et heureusement - on lui accorda un peu de répit. Le pirate en profita pour fourrer de la nourriture dans sa bouche. Au moins quand il mâchait, on ne pourrait rien lui demander. Bande de vautours malintentionnés ! Ouste !! Il regarda Sia avec un sourire gêné. Il n'était pas habitué à ce qu'on soit autant sur lui et bien sûr, tout le monde se moquait de lui. Ah ça, ils n'en avaient pas perdu une miette. Il fit semblant de rire un peu alors qu'intérieurement ils maudissait chaque être vivant présent à cette table.

Outre le fait qu'il était désormais la tête de turc du groupe - Yoru ayant décidé de passer le repas dans un profond mutisme, apparemment -, Sydney se concentra du mieux qu'il put sur l'histoire de Liam qu'il devait s'approprier dans un temps record au cas où on lui posait des questions. Père Noël, traineau, malade. Ok. Euh... Liam avait une fille ? Ca devait être un élément de la partie inventée de l'histoire, certainement.

C'était à son tour de jouer ; Liam lui lançait la balle assez adroitement et il devait la renvoyer sans faire n'importe quoi. Le parano' prit alors un air boudeur.
- Hm... En même temps, personne ne m'avait prévenu, moi. Comment je pouvais savoir que ces rennes n'avaient aucun talent pour atterrissage ? Il continua d'un ton un peu plus enjoué. Au moins j'ai passé mon temps au chaud en vous attendant. Parce que à cette période de l'année, il faisait vraiment froid, dehors ! Enfin ça ne t'as pas empêché d'avoir fait du bon boulot, sur ce coup-là !

Sydney mordit dans une cuisse de poulet qu'il mâcha assez longuement, le temps de lui donner des idées pour continuer. Et puis ça entretenait le suspense... Noël... Noël... Qu'est-ce qui est en rapport avec Noël à part ça ? Les cadeaux !! Il fallait qu'il parle de ça, mais le mieux aurait été d'avoir quelque chose à leur montrer... Mais il n'avait rien du tout.
Comme si l'on répondait à sa prière, un cadeau joliment empaqueté apparut devant lui dans un pop ; le pirate le rattrapa in-extremis. Ça alors... C'était lui qui venait de faire ça ? Depuis quand en était-il capable..?
Maintenant, il fallait trouver un lien. Oui, voilà :

- Hop ! Un joli cadeau mystère ! Personne ne sait ce qu'il contient mais c'est déjà un cadeau en soi, un pouvoir donné par le Père Noël pour nous remercier. Même si je n'ai pas fait grand chose, c'est une personne adorable et il me l'a tout de même donné.
Fier de son invention, Sydney montra le cadeau aux quatre héséprydes avant de l'offrir à sa voisine de table.
- Vous pouvez l'ouvrir, si vous le souhaitez. Je tiens à dire encore une fois que je n'ai moi-même aucune idée de ce qui se trouve à l'intérieur, c'est réellement une surprise. précisa-t-il en levant le doigt pour insister sur ce point. Si le cadeau était d'un goût douteux, il ne faudrait pas que ça lui retombe dessus !

Il laissa donc Sia déballer le cadeau et découvrir son contenu. Bon, d'accord, ce n'était pas merveilleux. Du tout, même. Mais c'était un pouvoir et ça avait son intérêt dans l'histoire. Faute de pouvoir invoquer quoi que ce soit d'autre, même en se concentrant au maximum, Syd' parvint à la conclusion qu'il devrait laisser Liam finir l'histoire, car lui n'avait aucune idée de ce qui s'était passé là-bas... Il n'était déjà pas au courant de l'existence du père Noël dans ce monde...

- Hahaha ! Père Noël, vieux farceur ! Malheureusement, comme je n'étais pas en état de continuer l'aventure, je vais devoir laisser Liam vous raconter la suite. Car si vous savez maintenant que nous avons sauvé le Père Noël, vous ne savez pas encore comment !!

Le membre 'Sydney Miles' a effectué l'action suivante : Lancer de dés

'Joyeux noël' :

Sydney se débrouillait plutôt bien finalement, niveau improvisation. S’il n’avait pas su que tout n’était qu’un ramassis de mensonge il aurait pu croire sans problème le jeu enjoué de son camarade qui alla jusqu’à faire apparaître un cadeau de nulle-part pour l’offrir à l’hésépryde qui lui faisait des ronds de jambe. Se sachant doué du même don, Liam l’activa à son tour pour faire apparaître un cadeau à l’emballage un peu plus soigné sans savoir que cette attention était dû au caractère plus évolué de son don. Il tendit alors le présent à Melinda avec un sourire charmeur dans l’espoir que l’intérieur ne se révèle pas être une portée de cloportes.

- Suite que je vous raconterais avec joie, mais pas sans vous avoir à mon tour fait don d’une petite attention surprise…

La femme rapace put découvrir avec un léger sourire un petit sac de cuir, cadeau étrangement approprié ou du moins beaucoup plus que les brosses à dents et les sandwichs au thon que « joyeux noël » avait l’habitude de délivrer. Cette nouvelle rassura un peu le tueur qui put alors reprendre son histoire là où il l’avait laissé, non sans avoir avalé une bouchée d’un aliment non identifié mais pourtant délicieux qu’un esclave avait eu la bonne idée de déposer dans son assiette.

- Je disais donc qu’après avoir laissé Sydney aux bons soins de l’aubergiste du village, Yoru et moi sommes allés rejoindre les autres voyageurs qui avaient été convoqués. Nous nous sommes divisés en deux groupes, l’un pour aller enquêter à l’usine du père noël et l’autre pour partir sur les traces de l’imposteur qui semblait avoir pris sa place depuis lors. En compagnie d’une poignée d’hommes et de femmes je suis donc partit à dos de rennes pour tenter de rattraper le traineau volé. Ce ne fut pas bien dur à vrai dire tant le fauteur de trouble tenait plus de l’outre à vin que de l’homme. Inutile de dire que ça altérait grandement ses capacités à diriger son traineau en ligne droite.

Tout en parlant, les mains du trentenaire semblaient danser pour illustrer ces propos comme aurait pu le faire un italien pure souche, jusqu’à décrire le trajet en zigzag du vieux clodo bourré. Les héséprydes ne rataient pas une miette de son discours, pas même Temara dont la présence dangereusement proche aurait risqué de l’embrouiller mais heureusement pour une fois son histoire n’était plus que la pure vérité. Ainsi libéré de la peur d’être démasqué Liam pouvait se laisser aller, accumulant anecdotes sur anecdotes jusqu’à arriver à la fin de sa longue, bien longue histoire.

Il ne lui semblait rien avoir oublié, de leur capture de l’imposteur aux recherches troublantes de l’autre groupe qui avaient fini par révéler que le père-noël disparu avait aussi un penchant pour la bouteille et semblait avoir développé une frustration croissante face à la surcharge de travail. On atteignait le point d’orgue du conte fantastique et à ce stade on aurait pu entendre une mouche voler tant le silence était profond dans la salle à manger, même pas troublé par le cliquetis des couverts.

- On a finalement compris que le faux père-noël n’était rien d’autre que le vrai transformé par une consommation excessive d’alcool et un peu de magie de Dreamland. Il ne fallut plus qu’une entaille bien placée pour ouvrir la fausse enveloppe et en sortir le gros bonhomme inconscient. A son réveil il était confus et s’en voulait terriblement, mais ça aura au moins servis à lui apprendre qu’il ne serait pas plus mal pour lui de plus déléguer, voire de prendre des vacances de temps en temps pour éviter que l’incident ne se reproduise.

Le taulard écarta alors les bras, l’air modeste avant de conclure :

- Et c’est ainsi qu’on a sauvé noël ! Globalement ça ne nous à rien apporté d’autre que ce pouvoir de cadeau aléatoire mais maintenant aux yeux de ma fille je suis décidément un héros.

Son sourire était bien réel cette fois, même si un voile de tristesse le couvrait. Évoquer Ella était à chaque fois une source de joie mais aussi de douleur, et la perte de la gamine viendrait encore le tourmenter bien longtemps. Pour chasser ces idées noires il se gratta le bouc pensif, avant de se forcer à reprendre le fil de la conversation.

Elles voudraient probablement d’autres histoires mais pour l’heure le violeur passait la main. Parler autant lui avait asséché le gosier et creusé un abime au fond de son estomac, et il était plus que temps de remédier à ces deux problèmes pressants.

Le membre 'Liam Baldwin' a effectué l'action suivante : Lancer de dés

'Super joyeux noël' :

L'idée du cadeau semblait plaire au tueur en série qui imita Sydney en offrant à son tour un cadeau à sa voisine de table avant de poursuivre son histoire. Pendant ce temps-là, le pirate en profitait pour manger. Pas seulement pour éviter le plus possible la conversation, mais également parce qu'il ne savait pas quand serait son prochain repas. Ces créatures pouvaient à tout moment faire une saute d'humeur et les emprisonner à vie ! Il ne fallait écarter aucune hypothèse, aussi choisissait-il soigneusement ce qu'il mettait dans son assiette.

Le récit de Liam faisait presque rêver. Presque. Pourquoi ? Tout simplement parce que d'une part Sydney ne savait pas discerner le faux du vrai dans cette aventure où tout pouvait n'être qu'un mensonge, après tout ; et d'autre part, même si c'est une jolie histoire, ça ne donnait pas du tout envie de la vivre. Trop dangereux. Mais bon, ça divertissait les héséprydes, c'était le principal.

Et il en rajoutait une couche avec sa prétendue fille. Vraiment, il faudrait que Syd lui demande si c'était vrai. Hm... En fait non, Liam pouvait très bien lui mentir à lui aussi. Il le ferait surement d'ailleurs. Le pirate laissa l'enthousiasme ainsi créé se répandre chez les quatre femmes, espérant que Yoru délierait sa langue au moins pour cette fois... Que nenni, ce dernier avait bel et bien décidé de les mettre dans de beaux draps. Et qui écopait de la corvée d'histoire ? Sydney... *Comme par hasard...* pensait-il, accentuant chaque mot d'un mépris incroyable. L'hypocondriaque n'attendait que ça : que le corsaire fasse un faux-pas pour avoir le plaisir de danser sur son cadavre.

Bon ! Eh bien il était temps de se lancer. Que pourrait-il raconter ? Et plus important encore : que pourrait-il raconter qui ne compromette pas la cohésion du groupe ! Il n'avait pas vécu grand-chose à Dreamland. Peut-être pouvait-il raconter un passage de son histoire en la faisant passer pour antérieure à sa rencontre avec Yoru et Liam - ce qui en fin de compte était assez exact...

- Hm... En parlant de sauver, ça me rappelle une histoire, à moi aussi. Cela se passe quelques temps avant que je ne rencontre mes amis Liam et Yoru. A cette époque, j'étais de passage dans le ville de Gloutoniskaïa.
Le paranoïaque marqua une pause, le temps de se désaltérer.

- C'est une ville magnifique ! Elle est - et c'est peu de le dire : magique ! Chaque chose a été enchantée : les objets vous viennent droit dans les mains par un seul effort de votre pensée, les moyens de déplacements sont pour le moins étonnants aussi : des sortes de calèches volantes, des balais de sorcières, évidemment et j'en passe ! Une ville pleine de vie et de couleurs. Il marqua une nouvelle pause, prenant un air plus sombre. - Malheureusement... Tout le monde n'apprécie pas forcément toute cette beauté... Les unseelies, par exemple. Ce sont des fées, mais elles n'ont rien d'adorable, bien au contraire. Ce sont des esprits d'une méchanceté sans borne !

Le pirate espérait que son histoire arrive à captiver le quatuor féminin. A voir ces huit yeux brillants rivés sur lui, la réponse était assez positive.
- Je vous vois venir : vous vous demandez "mais en quoi sont-elles si méchantes ?" Eh bien voilà ; par un beau soir d'été, mes amis et moi avions décidé de dormir à la belle étoile dans le parc. Il faisait déjà bien sombre et par accident, nous sommes tombés dans un tronc d'arbre. Oui : dans un tronc d'arbre ! Il insista sur ce détail en mimant avec ses mains la dite chute.

- Nous avons rapidement compris qu'il s'agissait d'une galerie souterraine qui s'étendait sous toute la ville, loin de la surface et des regards. Nous nous sommes donc aventurés plus profond pour trouver une sortie et malheur ! Nous avons découvert que les habitants des lieux n'étaient autre que les unseelies !! Ils avaient pour plan de lancer un assaut contre la ville ce soir même !
Bien entendu, nous avons voulu remonter prévenir les mages gloutoniskaïens, mais nous avons été repéré. Alors nous nous sommes battus, démenés pour leur échapper ; libérant au passage les seelies, des bonnes fées qui avaient été faites captives par leurs cousines maléfiques. Une de mes amis a alors eu l'idée de charger les seelies de prévenir les mages pendant que nous chercherions un moyen de sortir.

Il ne fallait pas aller trop vite dans l'histoire ! Mieux valait faire durer le suspense et ne raconter que deux ou trois histoires que de devoir en inventer des dizaines. Le pirate se servit donc un plein verre d'eau qu'il but lentement. La tension était à son comble. Enfin.. Pour lui tout du moins...
Ayant vidé son verre, il reprit son histoire là où il s'était arrêté, accélérant ses paroles et mimant des actions rapides pour restituer au mieux la précipitation qui pouvait se dégager de ce passage.

- Les fées ne se sont pas fait prier, trop heureuses de retrouver la liberté. Hélas! les unseelies ont choisi ce moment pour passer à l'attaque ! Notre petit groupe est sorti en se faufilant à travers le dédale souterrain pour voir à notre arrivée que c'était une guerre qui faisait maintenant rage à la surface.
Les mauvaises fées sortait de partout ! Mais heureusement, les bonnes fées avaient eu le temps de prévenir les mages qui ont eu le temps de se préparer au combat. Les sortilèges fusaient de partout ! Tel un italien en grande forme, le pirate mimait la scène avec application.

Cela faisait déjà quelques bonnes minutes qu'il parlait sans réelle pause et il commençait à fatiguer. Il n'en avait pas l'habitude. Il n'aimait pas parler, de toute façon mais là c'était différent : il n'avait pas le choix. Il n'avait jamais le choix pour ce genre de choses, de toute façon ; les gens chargés de "bons sentiments" se chargeant généralement de l'épargner de sa liberté. Très touchant... Vraiment...
Point positif dans ce malheur, Sydney s'auto-galvanisait à raconter son histoire. Pour la première fois depuis longtemps, il avait l'impression d'avoir participé à quelque chose d'important. Même si concrètement il n'avait rien fait de très utile, lui... Enfin ça, personne n'était sensé le savoir ! Ils s'en serviraient pour se moquer de lui, si ça venait à se savoir.

- La bataille a duré toute la nuit mais finalement, les mages l'ont emporté. Même si nous n'avons pas tous été de taille à lutter contre ces créatures, nous étions tout de même assez fier d'avoir sauvé la ville. Prenant un air mystérieux, Sydney conclut ici son histoire avec les fées : - Oh, bien sûr... Nous n'étions pas au bout de nos surprises, dans cette ville... Mais peut-être qu'un intermède serait apprécié, qu'en dites-vous ? Il faut savoir savourer les meilleures choses !

Les récits des convives avaient animés le déjeuner. Bien vite, les Héséprydes avaient cessé de vouloir prendre la parole et se contentait de manger avec lenteur, suivant avec un intérêt visible les histoires plus ou moins mêlées de mensonges de Liam et de Sydney. Qu’importe, aucune d’elle ne semblait avoir saisit les petites incursions de l’invention dans l’authentique, et buvaient pour ainsi dire littéralement les paroles des deux hommes. La démonstration des pouvoirs hérités de Noël fit également son petit effet. Certes, elles avaient déjà le manuel des castors juniors en plusieurs exemplaires – même des versions uniques, pour le simple plaisir de la collection – et Melinda avait déjà un dressing immense qui comportait plusieurs modèles de sacs parfois bien plus jolis, mais c’était l’intention qui comptait. Et plus que l’intention, ils étaient des fruits de pouvoirs de voyageurs qu’elles n’avaient jamais vu : dans leur banalité, ces présents étaient donc uniques.

Alors que le paranoïaque mettait un point final à son histoire, sa voisine avait ses grands yeux mordorés fixés sur lui, une main fine posée au dessus de son cœur, comme réellement emballé par sa narration animée. Samara tenait son verre rempli d’une boisson clair en main depuis plusieurs minutes, mais n’avait osé le porter à ses lèvres, comme si le faire pendant le dénouement aurait risqué de lui faire manquer un élément important. Elle échangea ensuite un regard avec chacune de ses yeux, expression qui voulait clairement dire « ne sont-ils pas qu’ils sont captivants ? On a de la chance de les avoir ». Heureusement que la langue bien pendue de Liam et Sydney avait fait oublier le mutisme de Yoru, la porte parole des Héséprydes dit avec un grand sourire :

- Vous avez parfaitement raison, vos péripéties sont vraiment passionnantes, je pense que nous avons toutes été emportées hors du continent pendant quelques instants, c’était admirable. Mieux vaut en garder pour plus tard, car vous nous faites bien l’honneur d’être présent au diner n’est-ce pas ?

Elle ne reposait la question que pour la forme, car elle savait déjà que ses invités avaient accepté de rester au moins jusqu’au lendemain, mais elle était prête à leur demander personnellement de prolonger leur séjour si jamais ils se révélaient toujours aussi captivants.

- Nous n’avons malheureusement rien d’aussi palpitant à vous confier…, s’excusa Samara.
- Vivre entre quatre murs n’apporte rien d’extraordinaire…
- Si ce n’est son lot de touristes plus ou moins originaux.
- Bien sûr, reprit l’ainée, certains avaient aussi eu des récits inoubliables, mais nous les racontons jamais de nous même. Ils seraient sans doute déformés, et considérablement moins intéressants.

Le déjeuner se poursuivit donc, permettant à tout le monde de manger autant qu’il le désirait, voire même plus encore, sous l’œil bienveillant des hôtesses. Même Temara semblait un peu moins réticente à la présence des voyageurs, même si elle de se désarmait pas totalement de sa froideur. Alors que les esclaves s’affairaient à débarrasser les desserts, les quatre Héséprydes s’essuyèrent les lèvres pourtant visiblement immaculées avec une classe d’aristocrates. Samara détailla tour à tour Liam et Sydney, qui semblait être de loin les plus bavards, avant de leur dire :

- Nous vous remercions de votre présence agréable. Que voulez-vous faire cette après-midi ? Nous sommes à votre entière disposition, que ce soit pour une promenade dans les jardins, une visite guidée, une discussion sur la véranda, ou même une autre baignade dans la piscine.
- Vous pouvez aussi monter vous reposer dans vos suites, ou bien travailler comme vous nous l’avez demandé.
- Cette liste n’est pas exhaustive, conclut Samara avec un sourire amusé, dites-nous.

Les choses se déroulaient au poil, Sydney se révélant être un narrateur doué doublé soit d’un menteur phénoménal, soit d’un petit chanceux avec quelques histoires sous le coude. Le fait est que les héséprydes étaient aux anges suite à leurs deux histoires et voulaient désormais se réserver la suite pour plus tard. Ce n’était pas un mal, car même avec tout ce qu’il avait vécu Liam ne se voyait pas tenir plus de quelques heures avec un tel débit de paroles. Il accueillit donc le répit accordé avec un sourire et en profita pour faire ce qui vous était impossible en parlant : manger. Et il ne s’arrêta que lorsque son estomac menaça d’imploser. Vieux réflexes de crève la dalle contre lesquels on ne pouvait pas lutter.

Leurs hôtes leurs servirent tout au long de la fin de repas des salades comme quoi elles étaient profondément désolées de ne rien pouvoir leur raconter, et même si c’était de circonstance cette hypocrisie agaçait le tueur. Heureusement elles dévièrent bientôt sur la suite du programme, leur laissant le choix entre visiter les jardins, se baigner encore, bavarder ou trimer pour 3 bouts de corned beef. Où était le piège ?

La piscine merci, il avait eu sa dose. Discuter voulait dire babiller pendant des heures en regardant ces monstres dans les yeux, exercice qui ne tentait en rien le trentenaire. Visiter les jardins lui posait un réel problème, car même si Temara semblait moins tendue elle était loin de leur offrir la confiance qu’il attendait pour franchir cette étape alors…

- Un peu de travail nous aidera à digérer je suppose, s’exclama-t-il en se mettant debout.

Le besoin de souffler se faisait sentir, mais surtout de s’éloigner des regards de rapace qui les dardaient sans relâche. Perdre de vue les héséprydes quelques temps représentait des vacances bien méritées, ne restait plus qu’à espérer qu’elles ne passeraient pas leur après-midi sur des transat’ à les regarder trimer.

- Ça nous permettra aussi de nous remettre les idées en place pour choisir de quoi vous distraire ce soir et… ce n’est qu’après une éclipse que l’on profite le mieux de la splendeur du soleil.

Un baiser furtif fut déposé sur la main de Melinda avant que Liam ne quitte la pièce en compagnie de Sydney, Yoru et une flopée d’esclaves bien décidés à les mener sur leur lieu de travail. Il n’y avait plus qu’à espérer que les héséprydes ne seraient pas prises de l’envie de superviser leur travail, mais pour l’heure la foule autour de lui était trop compacte pour pouvoir se rendre compte de la présence des maitresses des lieux.

On leur avait déjà fait traverser la moitié du bâtiment et gravir un nombre hallucinant d’escaliers quand la vessie du violeur lui ordonna une pause dans les WC les plus proches. Il fit comprendre à l’un des larbins qu’il désirait s’éclipser quelques minutes et on les guida aussitôt vers une pièce d’eau située non loin avant de les y abandonner tous les trois. Une fois la porte refermée derrière lui, Liam colla l’oreille au panneau de bois pour constater que comme il l’avait craint les esclaves montaient fidèlement la garde dehors pour le cas où ils auraient tenté de se faire la belle pour une visite en solitaire. Leurs hôtes avaient beau dire, il avait plus l’impression d’être prisonnier qu’invité.

Yoru s’était réfugié dans une cabine de toilettes, le laissant seul avec Sydney. Faisant face à l’urinoir le plus proche, il déboutonna son jean et engagea la conversation à voix basse pour ne pas être entendu depuis l’extérieur.

- Pas mal ton histoire tout à l’heure… t’en as d’autres en réserve ? Parce qu’avec la pause qu’on vient de s’aménager ça va nous permettre de pas tomber en panne trop vite mais je ne pourrais pas tenir 3 jours en discutant tout seul.

Une fois les dernières gouttes tombées, il rangea son appareil et reboutonna son froc avant de se diriger vers les lavabo dont les robinets plaqués or avaient la forme de tête de cobra. C’était d’un goût douteux, sans parler de souligner le caractère potentiellement fourbe des habitantes de la villa. Alors qu’il commençait à se laver les main, le tueur reprit d’un ton plus jovial :

- Au fait, pendant le repas j’ai pensé aux pouvoirs qu’on avait sous la main à nous trois et… j’aurais peut-être trouvé un moyen de se payer une bonne part de tarte.

Était-il utile de rajouter « aux pommes » ?

A la proposition réitérée de rester ici pour le dîner, Sydney acquiesça avec un sourire bienheureux. Mais avait-il seulement le choix, de toute façon ? Bien évidemment que non, sinon il ne serait pas suivi par toute une horde d'esclaves au moindre de ses déplacements ! Ces derniers posaient leurs yeux sur lui, il le savait. Ils n'attendaient qu'un simple mot d'ordre pour l'éviscérer ou bien un simple mouvement pour le suivre comme de fidèles toutous espions. Révoltant !

C’est pourtant le ventre plein que Sydney quitta la table pour accompagner Liam et Yoru. Il avait pris des réserves au cas où ils n’auraient pas l’occasion de manger d’ici longtemps. On ne l’aurait pas comme ça !
Être suivi de la sorte par les esclaves était oppressant ; le pirate avait l’impression d’être un prisonnier qu’on amenait aux travaux forcés et que s’il avançait trop lentement au goût de ses tortionnaires il se prendrait un coup de baïonnette dans les côtes. A moins que ce ne soit les yeux de leurs hôtes qui ne le transpercent à distance ? Qui sait ?

Il n’avait pas spécialement envie de travailler mais c’était peut-être la meilleure solution pour connaitre les environs, étudier le terrain et les options de sortie seraient discutées tranquillement pendant le travail. Et puis ils n’avaient pas vraiment le choix, c’était vraiment retors de la part des héséprydes : en leur proposant ça, elles amorçaient un jeu psychologiques dont elles connaissaient déjà les règles et aboutissants. Si le trio décidait qu’ils voulaient aller visiter les jardins, ils seraient vus d’office comme des voleurs. Mais s’ils refusaient, on pourrait analyser ça comme une logique déviante visant à aller n’importe où sauf aux jardins ! ET ce ‘sauf’ signifiait qu’ils avaient dans l’intention de s’y rendre. Pourquoi ? Les pommes.

Ergo, ils s’étaient fait piégés et peu importe la réponse, elles avaient toutes les clés en main pour les accuser sans trop se tromper. Qui allait se faire décapiter en premier ? Yoru ? Liam ? Non. Ça serait Sydney, comme par hasard… Il avait toutes les raisons de le croire. Il n’avait que peu de marge d’action, désormais et le moindre pas de travers signifiait la fin de l’aventure.

Ils marchaient à travers un dédale incroyable de couloirs, escaliers et de pièces toutes différentes. Le corsaire ne se souvenait pas avoir pris l’option « tour touristique des lieux » mais ce n’en était peut-être pas un, non… Il était très probable qu’on les fasse tourner en rond, qu’on essaie de les perdre et de les déboussoler pour qu’ils ne retrouvent pas leur chemin aisément en cas de fuite. Oui, c’était forcément ça. Les domestiques ne permettaient pas de confirmer directement cette thèse mais leur stoïcisme en disait long sur leurs intentions.

Brisant cette chaîne délirante, Liam exprima son intention de se retirer au petit coin et tant pis si Yoru et Sydney n’avaient pas envie, on les enferma avec le tueur, question pratique : ils étaient plus facile à surveiller en groupe que séparément. Bien vu. Mais le parano’ préférait s’économiser, ça lui ferait un prétexte pour une pause ultérieure.
D’ailleurs pas besoin d’être un génie pour comprendre en regardant le visage du tueur que ça n’était pas l’endroit idéal pour discuter d’un plan : des pions avaient été placés derrière la porte et Syd imaginait parfaitement ces derniers l’oreille plaquée contre la porte alors que Liam faisait de même. Ça pouvait paraitre grotesque d’un point de vue extérieur mais c’était juste angoissant.

Enfin cela ne sembla pas trop gêner l’ainé du groupe qui engagea une conversation qui finalement n’était pas si dangereuse que ça.
- Merci… Je crois que je suis allé un peu vite, par contre. J’aurais dû m’économiser. Mais il me reste quelques trucs à raconter, t’en fais pas.
Au pire j’arriverais bien à inventer quelques trucs… ajouta Syd à mi-voix. Ceci dit, lui non plus ne tiendrait pas éternellement. Si seulement Yoru pouvait sortir de son mutisme !! On fait ça, normalement, entre collègues ! Mais non, il ne disait rien. C’était à croire qu’il conspirait avec ces sorcières pour enfoncer le groupe dans les problèmes comme dans des sables mouvants. Les mensonges ont cela de pervers qu’il faut savoir composer avec, garder de la cohérence ; mais il arrive un point où ça devient ingérable. Pour commencer, il fallait que le corsaire assimile bien l’histoire que le groupe s’était construite, c’était vital.

Intéressant, Liam semblait même avoir un plan pour récupérer quelques pommes ! Ça démangeait le paranoïaque de savoir mais ça n’était ni le moment ni le lieu propice à de telles révélations.
- Si tu le dis… Enfin mis à part mon pouvoir d’invoquer des cadeaux alors que je ne savais même pas que j’en étais capable, j’ai pas grand-chose d’utile, en pouvoirs… Enfin je te fais confiance sur ce coup-là. Tu nous diras tout ça une fois au travail, c’est pas très rassurant de savoir ces guignols en train d’épier dehors d’un mouvement de tête il indiquait la porte. Hors contexte, les esclaves n’avaient peut-être rien compris, mais les risques inutiles étaient la cause numéro un des accidents idiots. Autant ne pas tenter cette aventure.

Bien sûr il mentait en disant faire confiance au tueur/violeur de la bande. Qui le ferait..? Sérieusement ? Mais s’il était à peu près au courant de ses pouvoirs personnels, Sydney ne savait rien de ceux de ses collègues. Il se risqua donc à poser la question :
- Et toi, tu as quoi comme pouvoirs à part le cadeau ? Et à part agrandir la bouche de Yoru ? Hm… ‘Parlant de lui, je sais même pas non plus de quoi il est capable… Enfin bref.

Savoir les domestiques en train d’écouter à la porte lui tapait sur les nerfs. Liam avait soulagé sa vessie, il était donc temps de se remettre en route.
- Tu veux savoir ? Je mise 10$ qu’il y en a un qui va se la prendre dans le nez. Sur ces mots, le corsaire ouvrit brusquement la porte, en espérant ainsi heurter un de ces pions trop curieux. Par chance, il aurait gagné son pari : un esclave se retrouva les fesses sur le sol, à se masser le nez tandis que Sydney sortait tout guilleret. Imitant un ton étourdi, il lâcha un oh pardon, je ne savais pas que vous étiez derrière.
Bien évidemment que si, il savait ; il y avait baleine sous gravillon. Il reprit donc sa marche à travers la vaste demeure tout en rigolant sous cape. Avec ça, ils y réfléchiraient à deux fois, ces espions du dimanche !

- Voyons, vous maltraitez nos sujets maintenant ? lança une voix cristalline et amusée.

C’était Samara, suivie de ses trois sœurs, qui rejoignait le cortège. Un demi-sourire illuminait son visage diaphane, mais ses grands yeux en amandes ne cessaient de dévisager les voyageurs, comme s’ils étaient capables d’y déceler les plus petites expressions humainement réalisables. L’une de ses mains se posa délicatement sur l’épaule de la victime de Sydney, puis elle mena les invités jusqu’à une tour haut perchée, accessible par un somptueux escalier sénestrogyre.

Un concert de battement d’ailes précéda l’intrusion du cortège dans une volière circulaire minutieusement décorée, mais aussi souillée par des monceaux de fientes et de plumes égarées. Il y avait là plusieurs types d’oiseaux, communs et rares, réalistes ou oniriques, endormis ou agités, allant et venant parfois vers l’extérieur en poussant des mélodies connues ou inconnues. A la vue des Héséprydes, plusieurs spécimens – notamment des rapaces – s’étaient envolés de leur perchoirs pour les approcher, tournoyant gracieusement autour de leur silhouette ou se posant délicatement sur les bras fins qui leurs étaient tendus. Les jeunes femmes ne semblaient pas craindre que les serres n’écorchent leur peau ivoirine et l’on ne pouvait pas passer à coté de la parenté entre leurs yeux mordorés et ceux de certains volatiles, comme le faucon que Samara tenait précautionneusement sur son poignet.

- Voici notre volière, expliqua-t-elle, comme vous le voyez, nous avons un faible pour les oiseaux. Ils symbolisent tout ce à quoi des prisonnières comme nous aspirent : une vie libre et sans frontière ; vous ne croyez pas ?

Elle ne semblait pas attendre de réponse, partageant sa déclaration autant à l’animal qu’elle dévorait des yeux qu’à ses invités. Sia, autour de laquelle tourbillonnait un trio de moinillons, entama l’explication du travail à la place de son ainée, un grand sourire aux lèvres :

- Malheureusement, il y a tellement de choses à faire dans le palais que cette pièce est toujours reculée dans l’emploi du temps des esclaves, et cela fait maintenant un moment qu’elle n’a pas été nettoyée.
- Tout ce dont vous auriez besoin se trouve là, reprit Melinda en désignant une porte dérobée non loin de l’endroit où il se trouvait, et ici, vous avez un robinet relié à un réservoir d’eau de pluie largement suffisant.

Samara invita alors les voyageurs à les suivre pour pouvoir admirer la vue. Mis à part le fait que cette place offrait la vision d’une bonne partie d’Hésyprius, ainsi que les plaines qui l’entouraient, on ne pouvait pas manquer les incroyables jardins dont les haies semblaient tracer un labyrinthe, et les pommiers aux énormes fruits argentés qui scintillaient à la lumière du soleil. Ils étaient si proches, et pourtant si loin…

- C’est une vue unique ici, confia l’Héséprydes, vous pourrez en profiter autant que vous voulez si cela vous intéresse. Il y aura aussi toujours un esclave dans l’escalier : si vous avez besoin de quelque chose, un rafraichissement, de quoi grignoter, n’hésitez surtout pas à lui demander.

Samara fit alors un élégant mouvement du bras. On aurait pu le prendre pour de la pure forme si seulement tous les oiseaux sans exception ne s’étaient pas soudainement envolés pour se répandre comme une seule créature dans le ciel bleu. Là où régnait auparavant un concert de bruissement d’ailes, le silence tomba et ne fut rompu que par l’ainée des hôtes qui précisa :

- Vous voilà tranquilles. Si ce travail ne vous fait pas peur, commencez quand vous voulez, et prenez le temps que vous voulez.

Dès que les voyageurs seront près à disposer de leurs fonctions, les Héséprydes s’en iront en compagnie des esclaves, dont un seul restera à disposition, assis une dizaine de marches sous l’entrée de la volière. En tête à tête avec la tâche à accomplir, une chose notamment pourrait ne pas échapper aux protagonistes : comme les quelques longues plumes anormalement scintillantes, qui rappelaient mystérieusement la chevelure dorée des jeunes femmes.

Ce mec était définitivement paranoïaque mais pas sans ressources. Apprendre que la mémoire de Sydney recélait encore quelques aventures à servir aux Héséprydes en guise d’en-cas pour repousser le moment où ils se verraient contrains et forcés de quitter ce lieu d’une richesse décadente était plutôt rassurant d’ailleurs. Comme son collègue, le tueur maudissait la perte de conversation de Yoru – tout autant qu’il la chérissait pour d’autres raisons – et s’inquiétait de tomber en rade d’histoire avant d’avoir pu mettre son plan à exécution.

D’ailleurs l’évocation de ses projets avait semblé titiller la curiosité du pirate mais il avait décidé, sagesse ou couardise, de repousser leur discussion à plus tard. A vrai dire le tueur s’apprêtait à rire de la méfiance poussé de son collègue qui lui faisait s’imaginer que les domestiques attendaient l’oreille collée à la porte comme il l’avait fait plus tôt lui-même. En voir un tomber lorsque Syd’ ouvrit la porte beaucoup moins.

- Putain heureusement que j’ai rien parié… grommela-t-il entre ses dents.

Liam acheva de se laver les mains et referma les robinets pour rejoindre à son tour le couloir, l’asiatique sur les talons. Leurs hôtes avaient profité de leur « pause » pour les rejoindre et guider la marche jusqu’à une immense volière où les fientes s’étaient accumulées au fil du temps en véritable strates, mille-feuille scatophile qu’ils avaient visiblement la charge de nettoyer. La poésie symbolique de l’endroit lui passait au-dessus de la tête. Tout ce qu’il voyait à l’heure actuelle, c’est qu’on lui filait une version antique du récurage de chiotte.

Les yeux sombres du tueur suivirent le doigt de Mélinda qui désignait ce qui devait être un débarras, puis une arrivée d’eau. Qu’était-il censé répondre à ça ? « Génial, merci beaucoup ! J’ai toujours rêvé de patauger dans la fiente ! » refusait de passer ses lèvres figées en un sourire peu naturel alors qu’ils suivaient les femmes-rapaces pour admirer la vue. Ce fut d’ailleurs ce spectacle qui le dérida légèrement.

On voyait tous les jardins d’ici, y compris les pommiers abritant les fruits d’argent objets de toutes les convoitises. Ils pouvaient voir s’affairer les esclaves au loin, fourmis à forme humaine qui déambulait dans le labyrinthe végétal menant au verger. La tête penchée sur le côté Liam observait la vue, les yeux plissés pour ne pas être ébloui par l’éclat du soleil qui tapait fort depuis son zénith. Ce n’était pas un mal car cette grimace empêchait les héséprydes de voir ce qu’il regardait exactement, et de lire sur ses traits les pensées qui lui traversaient le crâne.

- Ne vous inquiétez pas, finit-il par annoncer sur le ton de l’insouciance, Lorsque vous remonterez ici la prochaine fois, le sol sera si propre que vous pourrez mirer vos magnifiques minois dedans.

L’envol massif des volatils juste au-dessus de leurs têtes pour gagner le ciel bleu avait achevé de le réveiller. Même si la tâche dégradante lui répugnait, il ne pouvait que se frotter les mains devant l’opportunité qui se présentait à eux alors que leurs hôtes et tous les esclaves sauf un tiraient leur révérence. Le seul intrus ne posait d’ailleurs pas problème, à moins qu’il ne soit doté de pouvoirs mais un simple regard suffisait à confirmer qu’il ne s’agissait que d’un homme plutôt jeune, boutonneux et tout sauf talentueux. Une fois qu’il se fut éclipsé dans l’escalier, Liam fit signe à Yoru d’aller faire le guet histoire de se rendre utile puis se tourna vers Sydney.

- Bon, maintenant qu’on a la paix on va pouvoir discuter des choses sérieuses. En tout cas j’espère que tu n’as rien contre les tâches ménagères parce qu’on va en avoir pour des heures et encore, ça c’est la version optimiste. Dans la pessimiste on sera encore là dans trois jours à frotter les angles avec une brosse à dent.

La pointe de son pied posé sur l’une des longues plumes dorées, le violeur ne put s’empêcher de faire le rapport avec ces déesses aux yeux de faucon. Mais qu’elles aient été originellement des piafs ou des dindons était le cadet de ses soucis, il se dirigea donc avec nonchalance vers la porte qu’on leur avait indiqué pour l’ouvrir. Quelques seaux, éponges et serpillères les attendaient sagement ainsi que des ustensiles dont ils ne tarderaient pas à découvrir l’utilité. Il se saisit d’un des récipients et d’une brosse à récurer avant de se diriger vers le robinet pour commencer le travail.

- Tu as remarqué la vue qu’on avait je suppose… t’as de quoi faire un plan du labyrinthe ? Ça pourrait toujours être utile même si mon projet nous épargnerait théoriquement ce genre de peine, tout en trouvant une utilité à Bernardo.

Le taulard pointa Yoru du doigt près de l’entrée de la volière. Celui-ci restait planté comme un piquet, jeta juste de temps à autre un regard dans l’escalier comme pour se donner bonne conscience entre deux réflexions sur le fait que son unique rêve pour l’instant était de leur fausser compagnie.

- J’ai des menottes qui permettent de partager les pouvoirs de deux personnes qui ne peuvent pas se voir en peinture et ça tombe bien, entre lui et moi c’est pas le grand amour.

Un frisson parcourut le dos du pirate alors qu'il entendit derrière lui la voix claire d'une des héséprydes. L'adrénaline que lui avait procuré le fait de molester l'espion en toge l'avait presque coupé de ce qui se passait autour de lui si bien qu'il n'avait pas vu arriver ses hôtes.
Il se retourna pour leur adresser un sourcil interrogateur. En tout cas elles revendiquaient que ces pions leur appartenaient donc c'est qu'elles étaient bien responsable de cet ordre d'une bassesse sans précédent.

- Hm ? oh je suis sincèrement désolé... C'est juste que chez moi on n'a pas l'habitude que des gens viennent écouter aux portes... des toilettes... Il avait accentué sur le dernier mot avec un mépris certain. Quel individu sensé irait faire ça sans qu'on lui en ait au préalable donné l'ordre..?
Syd' fourra ses mains dans ses poches avant de se remettre en marche négligemment. Il était prêt à passer l'éponge mais cela impliquait que les héséprydes devraient en faire de même avec cet impair dont il était la cause. *Donnant donnant, pirates !*

Ils continuèrent leur périple en compagnie des quatre femmes dont la présence ne rassurait pas beaucoup le paranoïaque. Pourquoi tenaient-elles à faire ça ? Garder un œil sur le trio directement ? Ou bien on ne les emmenait pas travailler sinon à la potence ?? Oui, il y avait des chances ; mieux vaut rester sur ses gardes...
Le groupe arriva bientôt dans une volière immense où une multitude d'oiseaux les regardaient d'un air mauvais. Ces piafs étaient louches, et le simple fait qu'il viennent s'agglutiner sur les quatre 'sirènes' était on ne peut plus clair : ces becs, ces serres étaient autant d'armes destinées à leur faire la peau si leurs bourreaux en exprimaient l'envie. Des espions depuis les airs, des menaces, des bombardiers implacables et irraisonnables : des guerriers ultimes.
... Non, peut-être pas des guerriers ultimes, quand même... Mais on n'était pas loin du stade "menace de niveau 5 sur l'échelle de Syd"*

Le corsaire ne prêta pas vraiment attention aux recommandations des héséprydes, voyant seulement la tonne de travail - ou de fientes, plutôt - qu'ils avaient devant eux, à moitié découragé, à moitié désespéré. Même si les oiseaux s'étaient envolés - ce qui en soi n'était pas un mal : si l'un d'entre eux osait rajouter la MOINDRE fiente pendant que Syd nettoyait, ce dernier en aurait fait du KFC sans procès - cela n'empêchait pas le paranoïaque d'avoir la désagréable sensation d'être épié, observé... Mais il se forçait à passer outre pour avoir l'air naturel.
Le naturel est contre-nature. Désolant, comme constat. soupira-t-il à demi-voix.

Bien qu'on se soit passé de la vison "pessimiste de Liam", le reste de ce qu'il avait à dire était autrement plus intéressant. Ou loufoque, au choix.
- Ouais, c'est super comme idée ! Tiens, t'as de quoi me tatouer le plan dans le dos ? Non mais franchement... 'Faut arrêter Prison Break... ... Et Zorro.

Les menottes, ça pouvait être utile, mais il a quoi, comme pouvoirs, lui ?
Sydney n'en avait aucune idée, que ça soit pour ça ou même pour sa pathologie. On lui avait peut-être dit mais il avait oublié. Il avait déjà du mal avec les prénoms des femmes oiseaux...

Ses yeux se posèrent sur une plume, par terre. Elle était sublime. "Sublime"... hm... La dernière fois qu'il avait utilisé ce mot, c'était pas pour... Non, ça devait être une coïncidence. A moins que...
Titillé par son sens de paranoïaque, Sydney pressentait le danger (Spider man, Spider man ! ♪) et pourtant il ne comprenait pas. Il ramassa l'objet qu'il fourra dans sa poche. Au pire ça lui ferait un souvenir.

- Je peux être utile pour ce qui est de monter la garde, moi. Quand je suis en danger j'entends une sorte de... de BIP dans ma tête. Ça plus quelques autres trucs, mais autant te dire que j'ai pas grand chose d'utile pour ce boulot,hélas.
Il haussa les épaules d'un air peu convaincu. Il avait accepté ce boulot pour quoi, à la base ? Il pensait avoir les compétences mais COMME PAR HASARD, on s'était bien gardé de lui cacher certains petits détails ! PIRATES !!

Sceptique quant à ses capacités et le job en lui-même, Syd se dirigea vers la porte dérobée qu'il ouvrit pour en sortir un sceau et un balai serpillère. Plus tôt ils commenceraient, plus tôt ça serait fini. Mais si le corsaire n'était pas très actif physiquement, son cerveau turbinait. Connaitre les pouvoirs de chacun c'était bien, mais le fait est qu'ils n'avaient toujours pas de plan concret.
- Il faudra aussi penser à une issue de secours au cas où ça tourne mal - car ça tournera mal, je le sens - et... Une idée pour sortir tout court. Sinon on aura fait ça pour rien.

La référence à Prison break fit tiquer l’œil de Liam avait qu’un rictus n’éclose sur ses lèvres. On aurait presque dit que Sydney savait pour son passé carcéral et tentait une boutade, sauf qu’il ne pouvait pas savoir non ? Est-ce que c’était une manière déguisé de chercher à faire pression sur lui, montrer qu’il avait l’ascendant ? Il l’aurait bien moins avec un couteau planté dans la gorge, le trentenaire en faisait le serment. Ce n’était peut-être que de la paranoïa mais c’était suffisant pour éveiller la méfiance concernant cet individu excentrique qu’il avait d’abord classé dans la catégorie des boulets inutiles. Mais s’il était capable de le menacer l’air de rien c’est qu’il était à la fois plein de ressources et particulièrement stupide. L’avenir lui dirait si tous ces soupçons étaient fondés où s’ils s’agissaient juste d’une image fort mal choisie.

D’ailleurs il n’y avait aucune raison de rejeter l’idée du plan. Si jamais ils se faisaient surprendre en plein milieu du labyrinthe il était plus que logique de palier à ce cas de figure en repérant les lieux. En garder trace sur papier était un atout non négligeable. Et si le rouquin soulignait juste leur absence de papeterie le taulard se chargea vite de lui montrer qu’il ne manquait pas de ressources. Il tira de son éternel sac à main son stylo et son bloc note qu’il agita ostensiblement devant le nez du paranoïaque.

- Je parlais de le dessiner là-dessus, mais si tu préfères un tatouage c’est toi qui vois mon grand.

Il fit disparaitre ses possessions dans son accessoire féminin avant de le poser au sol et de commencer à frotter. Il allait encrasser ses fringues, mais c’était bien le dernier de ses soucis. Ses muscles roulaient sous sa peau tannée par le soleil alors qu’il récurait à un rythme soutenu, fort de l’entrainement qu’avait représenté le travail sur le pont du Slavedog millionnaire. A l’époque il avait travaillé pour deux, compensant le manque de force d’Ella, et avec un peu de chance cela lui permettrait de finir cette tâche avant la fin du monde.

Du coin de l’œil Liam suivait les mouvements de Sydney qui se saisissait d’une serpillère tout en s’interrogeant sur la nature des pouvoirs du bridé. Liam était loin de connaitre toute l’étendue de son potentiel, mais il en savait assez pour monter un plan valable. L’idée de l’issue de secours était sensée, même s’il était évident que la trouver serait loin d’être évident. Berner les héséprydes représentait déjà un défi de taille mais leur échapper après avoir été découvert tenait du domaine de l’impossible. Quant aux pouvoirs du pirate… ils se passaient de commentaires, et pas dans le bon sens du terme.

- Lui ? Il peut rendre les gens malades, avoir l’air malade, donner aux gens l’apparence d’un malade… j’ai entendu dire qu’il pouvait aussi détecter les maladies mais c’était qu’une rumeur sur le bateau. Mais c’est son dernier don qui m’intéresse. Il peut fusionner avec les gens comme… un virus, pour le peu que j’en sache, c’est pas mon domaine.

Après un haussement d’épaules il trempa sa brosse dans son seau plein et se remit au boulot non sans vérifier que l’esclave ne pointait pas son nez en haut de l’escalier. Ce n’était vraiment pas le moment de se faire espionner, sauf s’ils voulaient finir le foie dévoré encore et encore par des rapaces comme le pauvre Prométhée.

- Le principe est simple : on repère les esclaves qui ont le droit de s’approcher au plus près des pommiers, les gardiens de nuit de préférence et à la nuit tombée Yoru et moi on se fond discrètement à l’intérieur. Après il nous mènera à notre but sans se rendre compte de rien, et on cueillera depuis son dos les pommes à portée. 4 mains, donc 4 pommes par voyage. Ils se baladent presque à poil donc pas de mouvement de vêtements pour trahir nos cueillettes. Le plus compliqué à vrai dire c’est de ne pas se faire voir pendant l’inoculation du virus et son « extraction ».

Ses mouvements s’interrompirent alors qu’il levait les yeux vers le paranoïaque. A vrai dire c’était là qu’il trouvait sa place dans le plan, même si ça n’allait probablement pas lui plaire.

- C’est pour ça que je voudrais que tu fasses diversion. L’opération prend quelques secondes et il est impératif que la cible ne regarde pas dans son dos sinon c’est foutu. Et éventuellement que tu nous couvres si jamais on se met à se demander pourquoi on ne tient pas compagnie à ces chères demoiselles aux yeux de rapace. Je peux compter sur toi ?

A vrai dire ils n’avaient pas vraiment le choix, c’était ça ou prendre le risque de rentrer bredouilles. Son plan comportait de nombreuses tâches d’ombre mais un après-midi à observer les déplacements à l’extérieur ainsi que les rôles de chacun finirait de le définir. Il ne serait jamais parfait, mais il n’avait pas mieux et… on avait rien sans rien. Il fallait parfois savoir prendre des risques.

Liam brandit devant le nez de Sydney un carnet et un stylo, fier de pouvoir rembarrer le pirate. Oui, bon, ce dernier n'avait pas envisagé l'option selon laquelle le tueur avait de quoi écrire, mais pourquoi il lui demandait de dessiner à lui !? Il avait une tête de dessinateur ? Nul, archi-nul.. Syd était lamentable en dessin. Mais un plan, ça serait peut-être différent..? Pourquoi ne pas voir ça comme une carte au trésor à dessiner.. Tiens ! C'était peut-être pour ça que Liam lui avait demandé de dessiner !
... C'était pour se moquer, c'est ça !? Tous les mêmes. Pirate et fier de l'être, le parano' n'avait pas à se justifier sur ses goûts vestimentaires.

Sydney se contenta pourtant de hausser les épaules, reconnaissant qu'il n'avait pas été très réfléchi sur ce coup-là. Le violeur rangea son matériel à dessin, entreprenant de commencer le Grand Nettoyage. Cela relevait du travail d'Hercule... Les écuries d'Augias !
Cependant que le pirate se mettait au travail, Liam lui fit un résumé des pouvoirs potentiels de leur ami bridé. Avec les facteurs dont Syd avait connaissance, il n'eut pas trop de mal à deviner la maladie dont souffrait Yoru, ou du moins à le supposer fortement. Ses pouvoirs, notamment le dernier pourraient s'avérer utile et c'est pourquoi le corsaire cala ces informations dans un coin de sa mémoire.

Ah.. Si Liam n'avait pas été un tueur en série ils auraient été deux à être sains d'esprit, mais il semblerait que Dreamland privilégie les cinglés aux gens normaux... Dommage... et effrayant. On ne pouvait jamais prévoir la réaction d'un fou ! Mais bon, ça n'était pas le moment de sombrer dans la paranoïa. Sans confiance les uns envers les autres, ce job dangereux ne pourrait jamais être mené à son terme.

Il fallait pourtant remarquer que bien qu'il soit détraqué mentalement, le plan de Liam était plutôt astucieux, bien que téméraire. Il restait trop de zones d'ombre pour que Syd envisage la manœuvre avec l'esprit serein. Mais à défaut d'avoir mieux...
Le blanc qui suivit mit mal à l'aise le paranoïaque qui releva les yeux vers son collègue. Hm... Ça ne lui plaisait pas du tout, mais alors du tout ; il sentait que ce qui allait suivre ne serait pas des plus agréable. Et pour cause : on voulait se servir de lui comme... "diversion" !? Un appât, plutôt, oui !!

Pendant une fraction de seconde, le corsaire tenta d'imaginer ce qu'il pourrait bien dire pour couvrir ses compagnons. S'il n'avait pas trop d'idée à l'heure actuelle, il espérait en trouver avant d'être sur le fait.
- Hmm... Je suppose que j'ai pas vraiment le choix, de toute façon. *pirate, tu avais tout calculé, avoue-le !* Enfin bon, oui, admettons. Je ferais ce que je peux, mais n'abusez pas quand même hein ! J'ai pas envie qu'on se fasse chopper, moi.

De toute façon il était dans l'impasse : il était là, venu de son plein gré pour travailler, alors il devait mettre ses talents à contribution. Pas d'autre choix, et même si faire le guet ne lui plaisait pas, Sydney ne voyait pas comment se rendre utile autrement. C'était de sa faute si ses pouvoirs ne concernaient que lui et lui seul !? Au moins il était protégé des autres, lui !! Monde cruel qui fait pression sur ceux qui tentent d'échapper à cette dernière... Malheur à qui n'est point mouton !! Humanité vicieuse, perverse, avide du moindre faux-pas venant d'autrui. Et POURQUOI 'autrui' c'était lui !??

Mais et Liam, en quoi ses pouvoirs étaient utiles, lui ? A part faire grossir ses bras et déformer la bouche des autres... Bon, peut-être qu'avec ses gros bras il pouvait assommer des gens ou faire s'écrouler un pommier, mais bizarrement, le paranoïaque n'éprouvait pas vraiment l'envie de connaitre les autres pouvoirs de son collègue... Peut-être par appréhension de découvrir la probable maladie qui le rongeait..?

En parlant de nature cachée, celle des héséprydes l'intriguait. Y avait-il vraiment un lien entre leur couleur de cheveux et cette plume qu'il avait ramassée ? Elles s'apparentaient à des sirènes et d'ailleurs, à la base, les sirènes ne sont-elles pas censées être des femmes oiseaux !??
Mais ce que redoutait encore plus Sydney, c'est qu'elles aient la capacité de lire dans les pensées. Que se passerait-il si elles avaient simulé la confiance depuis le début ; si elles savaient lorsque le trio mentait ou non, savait qu'ils fomentaient à l'heure même un plan pour leur dérober les précieux fruits !? Et pourquoi, bon dieu pourquoi attacher tant d'importance à ces pommes !!!??

Peut-être que comme certaines créatures magiques, elles étaient liés à ces fruits par la magie ? Leur prendre les pommes les tuerait peut-être !? Dilemme : Syd' n'avait pas du tout envie de continuer mais la seule façon de fuir c'était de finir le boulot.
Boah, il deviendra alcoolique ; comme ça il oubliera.

Par intermittences, il scrutait le ciel pour s'assurer qu'aucun volatile ne survole leur zone de travail. Un bombardement de fientes était si vite arrivé, et puis parmi ces aigles, il pouvait très bien y avoir des "corbeaux"... La relation que les quatre femmes entretenaient avec ces piafs n'était en rien rassurante...

- Tu me diras quand tu voudras que je fasse la carte, hm ? Et diantre, ils ont pas nettoyé depuis combien de temps !?? Y a trois ans de fientes, regarde : on dirait des strates rocheuses !!

L’image des strates rocheuses était particulièrement bien choisie. A chaque coup de brosse Liam entamait l’aggloméra de fiente, réussissait enfin à le décoller pour découvrir dessous –Ô surprise- une autre couche de fiente. La tâche semblait sans fin mais ce n’était pas un mal, ça leur offrait le temps de réfléchir pour consolider les bases plus que fragiles du plan qu’il tentait d’élaborer dans les méandres de son cerveau rongé par la perversion. Avec leurs moyens actuels ils risquaient de se retrouver aussi désarmés et fragiles que des enfants s’ils se faisaient prendre sur le fait. Il leur fallait un filet de secours, un parachute, n’importe quoi…

Le tueur jeta un regard circulaire autour de lui comme si la vue scatophilement apocalyptique qui s’offrait à lui pouvait lui apporter la solution. Est-ce utile de dire que ce fut sans succès ? Enfin… au début seulement. A cette masse dégoutante et gris verdâtre s’imposa un homologue humanoïde qu’il avait rencontré une fois à Elipse et qui pourrait peut-être leur apporter ce qui leur manquait. Ça risquait de se monnayer cher et malgré l’aspect absurde du fait de devoir payer pour engranger des gains, c’était potentiellement ce dont ils avaient besoin.

Le mouvement de va-et-vient de la brosse sur le sol s’interrompit quelques instants durant lesquels le pervers pesa le pour et le contre, après quoi il fixa Sydney de son regard perçant. Parano comme il était, son collègue ne verrait pas grandes objections à l’évolution du plan dans un sens sécuritaire… du moins fallait-il l’espérer.

- Syd’… c’était combien par pomme déjà ? 300 rubz ?

Il n’attendait pas vraiment de réponse, mais s’exprimer oralement lui permettait de mieux organiser tout ça c’est pourquoi il reprit aussitôt :

- Ouais, on devrait pouvoir éponger facilement quelques dépenses subsidiaires. Liam marqua une pause pendant laquelle il donna l’impression de se remémorer quelque chose, les sourcils froncés, après quoi il tenta, Labeau Nefaie, viens nous aider !

Rien ne se passa tout d’abord, lui donnant simplement l’impression d’être profondément ridicule. A vrai dire il n’était plus sûr de la formule à employer et commençait à se dire qu’il s’était trompé quand la géante au teint verdâtre et à l’embonpoint certain se matérialisa devant leur duo, l’air légèrement dégoûtée par l’état des lieux. Cette répugnance se sentit d’autant plus lorsqu’elle prit la parole avec son étrange accent.

- Té, j’espère que vous avez de bonnes raisons de me faire patauger dans la fiente…

- A vous de nous le dire, tout dépend de ce que nous proposerez, rétorqua Liam avec un sourire un coin.

L’air hébété de Sydney valait le détour et rien que pour ça il ne regrettait pas d’avoir fait appel à la géante verte qui commença à déballer ses babioles en prenant soin de ne pas salir son sac aux proportions aussi démesurées que sa propriétaire. Bientôt le tueur pu venir observer les objets classés avec minutie, mais surtout leurs prix écris en petits caractères sur les étiquettes à peine visibles sur les marchandises exotiques. Il y avait un peu de tout, un vrai bric-à-brac et pas grand-chose d’utile mais à bien y regarder on pourrait probablement trouver une utilité à quelques-uns de ces objets.

Spoiler:

Les petits yeux vicieux de Liam parcourraient la marchandise comme le corps d’une femme, sa langue pointant parfois de sa bouche pour caresser ses lèvres en un geste inconscient. La majeure partie de cette camelote ne leur servirait à rien. Mais il y avait toujours un « mais »… Ses doigts glissèrent sur le tissu de cuir du sac à dos magique, puis sur cet étrange petit accessoire nommé styleffaceur qui avait le pouvoir d’effacer la mémoire. Les bottes de 7 lieux étaient la porte parfaite de sortie mais il en possédait déjà, et bien heureusement vu le prix déjà élevé des deux marchandises qui lui faisaient de l’œil.

- Je prends le sac à contenance infinie ainsi que le styleffaceur.

- Bien ! Ça vous fera 1899… commença Labeau avant d’être interrompue brusquement.

- Ou pas. J’ai deux bons de réduction si vous le permettez, la coupa Liam avec un sourire en coin, J’utilise celui de 75% sur le sac et celui de 60% sur le stylo. Ce qui fait donc 609 rubz… non ?

La vendeuse répondit à son ton moqueur par un grommellement contrarié après quoi elle empocha une somme bien plus maigre que celle qu’elle avait espéré avant de se tourner vers Syd’ en espérant que cet individu grimé en pirate serait plus généreux que son comparse à l’air mauvais. Liam profita qu’on se désintéresse de lui pour lancer à l’adresse de son collègue :

- Tu ferais mieux d’investir dans les bottes. Faudra pas trainer ici lorsqu’elles découvriront qu’on a pillé leur verger. Enfin… tu fais ce que tu veux mon « pote ».

Astiquer, briquer, récurer… recommencer. Il fallait s’y prendre comme un barbare pour nettoyer dix pauvres centimètres carrés de sol à tel point que la tâche semblait digne de celles qu’on infligeait aux âmes punies dans le Tartare. Chacun s’affairait du mieux qu’il pouvait et bien que l’idée de faire monter la garde à Yoru fût bonne, un coup de main n’aurait pas été de refus… Bien que… en tant qu’hypocondriaque, ça lui aurait fait du mal.

Liam, qui avait cessé de briquer la volière, interpella le pirate. A l’évocation des pommes de la discorde, ce dernier regarda de chaque côté avant de hocher la tête pour acquiescer. Pourvu que l’asiatique fasse bien le guet car s’ils avaient besoin de ses talents, c’était bien maintenant !
Intrigué, Syd’ s’apprêtait à demander le pourquoi mais au lieu de ça, il fut coupé dans son élan par une deuxième phrase tout aussi obscure. Visiblement, le tueur en série avait un plan ! Mais lequel..? Qu’entendait-il par ‘dépenses’ ?

Plissant les yeux en écoutant l’invocation, le parano’ espérait bien que ce qui allait apparaitre apporterait les réponses à ses questions. Il n’eut pas à attendre longtemps pour qu’une grosse femme au teint verdâtre se matérialise devant eux. Elle était vraiment immon-… Spéciale… Sa couleur, sa taille, sa manière de parler…

Alors que le corsaire regardait encore Labeau avec des yeux de poisson mort, un rictus de dégoût naissant presque sur ses lèvres, Liam faisait déjà ses emplettes. Alors c’était donc ça ? Une sorte de vendeur sur commande ? Peu rassuré par l’imposante présence, Sydney s’approcha tout de même pour regarder de plus près la marchandise. Tout autant d’objets dont l’utilité était aussi obscure que le prix était élevé. Soupesant sa bourse, il espérait trouver un petit quelque-chose qui lui permette de survire en cas de coup dûr.

Il n’était pas sûr de savoir ce que Liam ferait du stylmachin-chose ; en revanche Syd’ voyait parfaitement à quoi pourrait lui servir le sac à contenance infinie. Avec ça, rapporter un maximum de pommes ne serait plus un problème ! C’était bien vu. Tellement bien vu que ça méritait bien qu’on renforce les mesures de précaution envers lui : il était trop intelligent et imprévisible pour qu’on le sous-estime.

« Mon pote »… Ces deux mots restèrent en travers de la gorge du pirate et son œil tiqua. Le paranoïaque écouta pourtant le conseil du violeur. Ça n’était pas dans son intérêt de créer des problèmes à Sydney, alors pourquoi ne pas se pencher sur cet objet…
C’était intéressant et effectivement, ces bottes de sept lieues était bien le petit quelque-chose que recherchait le matelot. Le prix était assez élevé et il ne possédait pas autant d’argent que Liam mais il avait lui aussi un bon de réduction qu’il tira de sa poche.

- Euh… Je vais vous prendre les bottes de sept lieues ; avec mon coupon, je vous dois donc 210 rubz. Peu assuré, il sortit la somme qu’il venait d’annoncer et la tendit à Labeau en même temps que le ticket de réduction, prenant soin d’éviter tout contact direct avec la peau verdâtre de cette dernière qui décidément ne lui revenait pas.

Il reçut les bottes et remercia le géant d’un hochement de tête. Intimidé, Sydney fit un pas en arrière et observa son achat avec minutie. Il espérait surtout ne pas avoir acheté une contrefaçon ou de vulgaires et banales bottes en cuir, au prix où il les avait payées. Ce serait vraiment terrible si au moment de s’éclipser il se rendait compte que les bottes n’avaient aucun pouvoir. Mais il ne pouvait pas les essayer au risque de se faire démasquer par les héséprydes. C’était assez angoissant.

- Merci du conseil, ça me sera utile ajouta Sydney en guise de réponse à son ‘pote’ d’un jour. Il ne souhaitait pas lui être redevable pour ça et estimait qu’on pouvait se contenter d’un merci. Même si les bons comptes font les bons amis, Sydney ne souhaitait pas compter parmi ses créanciers le tueur en série qu’était Liam.

Au fond de lui, Sydney se demandait s’il devait céder à sa folie consumériste et s’acheter ce ‘troisième œil’ qui correspondait parfaitement à ce qu’il cherchait. Mais il n’en avait pas besoin pour l’instant et cet achat lui demandait de sacrifier son deuxième bon de réduction, ce dont il n’avait pas envie. Et puis trop tard, il avait déjà fait ses achats alors tant pis !

S’il avait eu d’avantage confiance en Yoru, le paranoïaque lui aurait bien confié ses bottes le temps qu’il finisse son travail mais il ne pouvait décemment pas lui faire confiance. Il alla donc déposer son achat dans le cagibi d’où il avait sorti son balai éponge.
C’était reparti pour frotter et astiquer mais cette fois-ci, il y allait le cœur un peu plus léger, content de savoir qu’il avait maintenant son ticket de sortie sous la main.

Labeau Nefaie partie et Liam retourné à son travail, le corsaire osa poser la question tout en continuant à frotter :
- Tu comptes t’en servir pour quoi, du stylo truc-bidule ? Si tant est que ça soit pour ce job.

Au lieu de lui venir du cœur le merci de Sydney semblait lui avoir été arraché avec une pince chauffée à blanc. Mieux que rien me direz-vous, et vu ses relations globalement conflictuelles ça restait toujours davantage que ce à quoi Liam avait le droit d’habitude, mais c’était tout de même vexant. Lorsqu’il se penchait sur la question le taulard était persuadé d’être resté globalement correct avec son compagnon et subir autant de méfiance en retour était légèrement vexant. De quoi lui donner envie de confirmer les soupçons du pirate pour qu’il ait enfin une bonne raison de le regarder comme une bombe à retardement sur le point d’exploser.

La brosse tournoyait dans sa main alors qu’il tentait de trouver le juste milieu entre l’assouvissement de ses pulsions et la bonne continuité de leur job et la question du paranoïaque tomba à point nommé. Un éclat de rire inquiétant s’échappa des lèvres fines du tueur alors qu’il y portait sa nouvelle acquisition pour la mordller négligemment.

- Va savoir…

Voir Sydney blêmir et reculer par pur réflexe ne fit que croitre sa jubilation, mais il restait nécessaire d’aplanir les choses si on voulait que tout aille comme sur des roulettes. Même si ramoner le conduit de son collègue lui avait plus qu’effleuré l’esprit Liam préférait garder ça pour lui, au moins pour l’instant. Il aurait tout le temps d’essayer une fois dehors sans harpies sur le dos. Un danger à la fois je vous prie. Il agita donc la main avec négligence pour rassurer le pirate.

- Du calme, je veux juste effacer la mémoire du mec dans lequel je vais pénétrer en compagnie de Yoru. Histoire de rester discret jusqu’au bout.

Le jeu de mot volontaire avait pour but de tirer un ultime tressaillement à Syd’, après quoi le pervers retourna à son travail d’Hercule. Nettoyer, encore et encore, jusqu’à en avoir les mains douloureuses. Tout en frottant ses muscles roulaient sous sa chemise et les rouages de son cerveau tournaient à vive allure. Tout s’emboitait comme les pièces d’un puzzle, la seule pièce manquante restant la personne à infecter. Et s’il se trompait ? Et s’il faisait une erreur de jugement ? Les conséquences risquaient d’être fatales pour chacun d’eux mais à vrai dire… il s’en fichait bien. Jusqu’à maintenant il avait survécu pour lui, puis pour Ella. Maintenant qu’il l’avait perdu il ne voyait plus pourquoi prendre autant de précautions. Libérer des responsabilités de la paternité, il pouvait se permettre de prendre des risques. Que les autres payent aussi les pots cassés était bien le dernier de ses soucis.

Il s’offrit une pause cigarette sur le rebord de la vaste fenêtre qui donnait sur les jardins verdoyants, ses petits yeux noirs et perçants scrutant les environs, pensifs. Dans son nuage de nicotine il cherchait à repérer les personnes d’importance, celles qui pouvaient s’approcher du verger seules. Elles étaient rares bien sûr, et sûrement difficiles à approcher. Le front plissé il cherchait dans ses souvenirs s’il avait déjà eu l’occasion de les voir dans la maison ou près de la piscine et les résultats étaient peu concluants. L’un d’eux lui disait vaguement quelque chose, peut-être avait-il était présent lors du service du déjeuner mais d’aussi loin impossible de le confirmer.

Alors que les bouffées de nicotine lui brûlaient les poumons, Liam continua à contempler le paysage jusqu’à ce que a cigarette se soit consumée entre ses doigts avant de faire un vol plané vers un massif de roses en contrebas. Tant pis, advienne que pourra, il trouverait toujours un moyen de les approcher. Et si ce n’était pas aujourd’hui, ce serait pour demain. Ils n’étaient pas pressés.

- Au fait, commença-t-il d’une voix trainante, Tu te rends bien compte que j’ai des bottes, que tu as des bottes mais que Conchita n’en a pas ? Tu vas pas nous faire de crise de conscience hum ?

Si le bridé s’amusait à jouer les sourds-muets idiots et empotés ce n’était pas son problème. On ne trainait pas les boulets, on les laissait derrière nous. Sans parler du fait qu’un collègue en moins représentait des gains en plus, mais le tueur craignait que la paranoïa du pirate ne le pousse à suspecter qu’on l’abandonne à un funeste destin à son tour.

- Si c’est ce que tu crains je ne compte pas te trahir. Je suis pas un mec de confiance mais je sais où est mon intérêt et j’en ai aucun à ne pas avoir d’allié c’est pour ça que je t’ai conseillé pour les bottes, mais il est hors de question que je bosse pour ce mec et qu’il soit payé pour avoir boudé et « monté la garde » dans un escalier. Je te le dis tout de suite, je ne sortirais pas d’ici avec lui. Les pommes seront pour toi et moi… tu marches avec moi ou tu abandonnes tout de suite ?

Certes il aurait pu… Il aurait dû prévoir la réponse que lui donnerait Liam, mais Sydney ne s’y était pas du tout attendu. A tel point qu’il recula de quelques pas inconsciemment, les yeux exorbités. Même si le pirate ne savait pas quoi penser, il savait pertinemment qu’il ne voulait pas arriver à ce degré d’intimité. A fortiori avec Liam. Ils se supportaient, c’était déjà suffisant. Vraiment, pas la peine d’aller plus loin !

Si la vraie réponse fut accueillie avec un soulagement certain, l’œil de Syd’ tiqua au mot ‘pénétrer’. Il ne savait pas s’il devait y voir un jeu de mot ou pas mais avec ce genre d’individus, on n’est jamais trop prudent. Soucieux de maintenir ses relations sociales au point mort – pas d’évolution ni de dégénération –, le paranoïaque préféra continuer à travailler pendant que son collègue prenait une pause.

- Comment ça, une crise de consc-… commença le pirate avant de comprendre ce que voulait lui dire Le tueur. S’ils avaient un moyen de s’échapper, Yoru, lui, n’en avait à priori aucun. Que se passerait-il si les héséprydes mettaient la main sur lui !? Le tueraient-elles..? Ou peut-être le torturer avant de le réduire en esclavage !? On ne pouvait décemment pas l’abandonner !

Pourtant l’ainé du groupe semblait l’entendre d’une toute autre oreille. Pour lui, c’était un refus catégorique de l’aider. Pire encore : il ordonnait à Sydney de ne pas l’aider !
En faisant remarquer au pirate qu’il était pour l’heure un allié, Liam sous-entendait sciemment que le paranoïaque avait un choix à faire. Un dilemme affreux entre la morale et la survie. Que faire ? Que choisir ?

Le pirate se redressa un instant pour regarder le tueur. Il ne bougeait pas, calme, presque serein. C’était effrayant. Qu’oserait-il lui faire si Syd’ décidait d’aider quand même le japonais ?
On n’avait de cesse de vous répéter d’être moral ; dans les livres, dans la bible, dans des discussions calmes et réfléchies mais le fait est que dans le feu de l’action, tout est beaucoup plus difficile et l’homme dévoile sa vraie nature. Il était avec ou contre Liam, et peut-être par lâcheté, ou peut-être par instinct de survie, le corsaire se résigna à ne rien dire à Yoru quand bien même il avait du mal à le vivre bien.

Il avait fait son choix, et c’était déjà trop tard pour faire machine arrière. Il regretterait ce choix toute sa vie s’il ne relativisait pas. On pouvait voir ça comme ça : s’il aidait Yoru, Liam les abandonnerait tous les deux. Peut-être que l’asiatique trouverait-… oui, il trouverait un moyen de s’enfuir lui aussi.

Peu convaincu, Sydney dut s’y prendre à deux fois, pour que sa réponse soit audible. Je marche…

C’était la chose la plus horrible qu’il avait faite et pourtant sa conscience lui dictait de continuer, de prendre exemple sur le violeur qui semblait n’éprouver aucun état d’âme. Car ce dernier avait raison sur ce point : la maladresse du japonais était dangereuse. Alors à partir de là, n’était-ce pas juste qu’il paye pour ce qu’il avait fait ?
Difficile d’adhérer… Le paranoïaque n’était même pas en position de faire payer Liam lui-même s’il le trahissait lui aussi. Et quant à la promesse de Liam de ne pas le trahie, il n’avait même pas de preuve à laquelle se rattacher. Cette impuissance était véritablement déchirante. L’homme est assurément une créature horrible.

Syd’ était sur le point de reprendre son balai lorsqu’il remarqua un carnet à côté de son ustensile de travail. Ce dernier était vierge, mais en trop bon état pour avoir trainé sous une couche de fiente.
- Tiens, je crois que c’est à toi dit-il en tendant le carnet à Liam d’une main encore tremblante. Il n’arrivait pas à s’y faire : son choix était parfaitement immoral. Oserait-il encore regarder Yoru en face après ça ? Oui. Oui, bien sûr qu’il pourrait. Sydney Miles est un homme comme tous les autres : capable des pires atrocités. C’était juste une question de temps.