[job] Sauvetage dans les Limbes

Au milieu de ce qui pouvait ressembler à nulle part dans les Plaines aux collines, aux abords d’une route tortueuse en direction des montagnes empruntée simplement par de rares touristes amateurs de randonnée, trois hommes en smoking sombre dont l’apparence n’était pas sans rappeler les Agents de Matrix guettaient l’arrivée de leurs employés. Droits comme des i, impassibles, ils attendaient armés de leurs lunettes teintées que James et Dakota viennent enfin à leur rencontre. Lorsque ce fut enfin le cas, l’un des hommes tendit une main avec une pâle esquisse de sourire professionnel qui tenait plus de la grimace robotisée :

- Bonjour, agent Doe du Service de Surveillance des Mondes Parallèles, merci de vous êtes portés volontaires.

Ses deux collègues ne bougèrent pas, les mains jointes devant eux, fixant un point impossible à identifier à cause des verres qui masquaient leurs yeux. Le porte parole quand à lui, désigna quelque chose qui se dressait en travers de la route étroite. C’était une fente, flottant dans les airs, comme s’il ne s’agissait que d’une toile déchirée. Seule une lueur violette était perceptible pour l’instant.

- Comme nous l’avons brièvement expliqué dans l’annonce, ceci est une brèche vers un autre monde que le SSMP a appelé « les Limbes ». Elle n’est pas censée être ici bien évident, mais le problème n’est pas tant de la refermer, mais de récupérer les habitants de notre monde qui se sont retrouvés coincés là. Les avis de disparitions font mention d’un couple et de leurs trois enfants, de deux alpinistes solitaires, d’une bande de trois adolescents et d’une personne âgée ; mais il y en a peut-être plus.

L’agent Doe marqua une pause pendant laquelle il tendit à Dakota une mallette métallique. Une fois l’objet entre les mains de la gamine, il reprit avec le même flegme inexpressif :

- Un total d’au moins 11 personnes à ramener. Ne connaissant pas encore exactement les circonstances des disparitions, nous avons préférer engager des éclaireurs indépendants avant de déployer une équipe de professionnels. Dans cette mallette se trouve tout ce dont vous avez besoin, à savoir : des pilules nutritionnelles, une tente orgasmaïque, et deux iwoks. Vous aurez également un appareil multifonction qui vous servira de boussole dans les Limbes – les traditionnelles ne fonctionnant pas – et vous permettra d’envoyer un signal de détresse si vous avez besoin d’aide. Il permet aussi de placer des balises virtuelles afin de garder des points de repère et modéliser une carte gps.

Il avait embauché ces gens parce qu’il pensait qu’ils allaient réussir, pas qu’ils allaient échouer, même si aux premiers abords, la jeunesse de ses employés en laisserait pantois plus d’un. Néanmoins, par précaution, il rappela un point essentiel de leur contrat :

- Il va sans dire que la majoration de votre rémunération dépend grandement de vos résultats, tout comme un fiasco total risque de ne pas avoir d’échos très agréable. Vous avez des questions ?

Qu’ils en aient ou pas, tôt ou tard, le duo allait être amené à écarter les bords de la fente pour découvrir le nouveau monde qui les attendait le temps d’un emploi. Si Dreamland pouvait parfois paraitre saugrenu, les Limbes semblaient, elles, organisées selon un chaos relatif. Jusqu’à l’horizon, où les contours d’une tour noire évoquant la forme de la tour Eiffel se détachaient du ciel violet, tout semblait être littéralement un océan de désordre. Une eau étrange, sans température et réfléchissante, couvrait le sol sur une vingtaine de centimètres. Des éléments incongrus flottaient en dérivant ou baignaient : des tables, des chaises, des armoires, des chandeliers, des sucriers, des poneys à bascule, … en réalité, on se croirait dans un rêve inachevé.

Parfois, il pleuvait depuis le sol, des copeaux de chocolat tombaient du ciel, ou des ballons s’envolaient tout seul d’un emplacement à un autre. Tout seul ? Peut-être pas… de temps en temps, on croirait entendre des petits crissements, des bruits d’éclaboussures éclatant dans le silence lourd, voire un petit rire mesquin. Toutefois, une chose était immanquable : ce cliquetis régulier qui venait et allait comme un leitmotiv, comme le cycle perpétuel d’une montre à gousset.



HRP : Pour gagner du temps, j'ai déjà décrit l'entrée des Limbes. Comme ça, si vous n'avez pas de questions, vous rentrez directement et si vous en avez, posez-les moi par mp (sur le compte de Melena) s'il s'agit de quelque chose d'assez basique, qui ne nécessitera pas que je reposte forcément.
La tente orgasmaïque, c'est exactement la même chose que le lit, sauf que c'est une tente 2 places lol. Voilà... je vous laisse le loisir de décrire la boussole Itech là, et j'interviendrai de temps en temps pour vous guider et/ou vous mettre des bâtons dans les roues mettre un peu de piment.

- Non, aucune.

La réponse de Dakota avait été tranchante comme la lame d’un rasoir. Qu’aurait-elle pu leur demander ? Cette bande d’incapable avait avoué n’avoir jamais envoyé personne là-bas, par conséquent ils étaient incapables de répondre aux questions qui se bousculaient dans sa tête à commencer par « vais-je mourir ? ». Sur le coup postuler à ce job lui avait paru judicieux mais sans la présence de James à ses côtés la blondinette aurait fait volteface quitte à s’asseoir sur son salaire.

L’aura malsaine qui s’échappait de la brèche n’annonçait rien de bon. C’était comme une déchirure dans la trame même du rêve et cela ne pouvait mener qu’à la folie pure. Elle sentait déjà dans l’air son odeur aigre, presque piquante, qui s’insinuait dans ses poumons pour s’y tortiller comme des vers dans la chair d’un cadavre.

Chassant ces pensées malsaines la phobophobe détacha son regard de leur destination pour s’intéresser au matériel fourni. Rien pour se défendre bien sûr, à croire que le monde qu’ils s’apprêtaient à visiter était celui des bisounours. En plus d’être incompétents, ces cons pédants se révélaient tout sauf aptes à la préparation de plans de sauvetage. C’était bien beau d’avoir un costume classe, mais aucun d’entre eux n’était de taille à l’assumer. L’adolescente avait déjà une idée bien arrêtée de la manière dont elle les aurait traité s’ils avaient été ses employés…

Après avoir lu le mode d’emploi elle glissa l’iwok à son oreille droite et donna le second à son meilleur ami pour qu’il s’en équipe. Elle s’était déjà équipée par avance de sa combinaction et de ses lunévolutives, sans parler de sa couronne de Méduse, aussi ne pouvait-elle pas être plus prête qu’à cet instant. Ne restait plus qu’à se lancer. Au propre comme au figuré.

- Viens, on y va. Ça ne sert à rien de trainer ici, annonça-t-elle en glissant sa main dans celle du psychotique.

Sa seconde main portant la mallette métallique elle s’avança jusqu’à la brèche, entrainant James à sa suite alors que son cœur ratait un battement. Les hommes de la SSMP avait écarté les pans de réalité sur un monde qui n’avait rien de logique, ni même de sain. « Folie ! » lui criait son esprit. « Fuis ! ». Mais une fois n’est pas coutume elle ne l’écouta pas et franchit le seuil qui séparait Dreamland des limbes.

Son pied atterrit dans de l’eau stagnante qui réfléchissait tant la lumière que fixer la surface trop longtemps vous brûlait la rétine. Tout ici était pesant, détraqué et souillé, comme si un Dieu fou avait commencé un monde et avait tout laissé en plan à mi-chemin. Les yeux glacés de la gamine suivirent la courbe effectuée par un cheval à bascule flottant sur l’eau. Son sourire était vicieux et ses yeux paraissaient la suivre comme ces tableaux de film d’horreur.

**Ressaisis toi ma fille, tu délires**

Mais était-ce vraiment le cas ? Si tout était possible à Dreamland, ici c’était pire. Ca semblait illogique voir inconcevable mais impossible de ne pas le croire avec toute la ferveur d’un croyant maintenant qu’elle y avait fait quelques pas. Ses doigts crispés par l’appréhension n’avaient pas lâché ceux de son meilleur ami, mais ils le firent lorsqu’il se mit à pleuvoir. Par en bas.

L’œil de Dakota tiqua. La bruine qui commençait à tremper ses mains et son visage provenait du sol lui-même au lieu du ciel. L’idée que ce qu’elle prenait pour le sol était peut-être le plafond et que la gravité risquait de s’en rendre compte à tout moment avant de la laisser tomber dans un vide éternel lui passa par la tête et elle manqua de défaillir. C’était comme si toutes les terreurs absurdes qui avaient hanté son enfance devenait réelles. Et si le monstre de son placard se trouvait là, juste sous l’eau ? Qui lui disait que des doigts squelettiques et griffus n’allaient pas émerger de cette mare pour la saisir par les chevilles et l’entrainer on ne savait où ? Personne justement, et c’est ce doute qui la tuait à petit feu, alimentant à la fois sa peur d’avoir peur et sa peur tout court.

- Je sais pas pour toi mais je déteste cet endroit, souffla-t-elle à mi-voix.

Elle avait baissé le ton instinctivement, comme si quelqu’un était là à les épier. Probablement à cause de ces rires portés par le vent… à moins que ce ne soit son imagination qui lui jouait des tours ?

- Bon, je suppose qu’on n’a plus qu’à aller tout droit, décida-t-elle pour mettre un terme à ces questions troublantes en plus d’être inutiles.

Des questions ? James en avait pleins qui se bousculaient dans sa tête. Pourquoi n'avait il pas d'armes en allant pénétrer dans un endroit inconnu déjà ? C'était le minimum non ? L'adolescent avait écouté avec attention les paroles de leur supérieur mais à vrai dire il paraissait que l'individu en connaissait encore moins qu'eux. La bonne nouvelle c'était qu'ils ne mourraient pas de faim et avaient un lit transportable.
De toute façon la réponse tranchante de Dakota avait stoppé toute envie de poser une question. Il se serait senti complètement idiot. En silence il installa son iwok que son amie lui tendait et main dans la main ils pénétrèrent dans la faille. Sans savoir pourquoi James avait retenu sa respiration jusqu'à ce que ses pieds marchent dans de l'eau.
Cet endroit donnait la chair de poule. Lugubre et étrange il avait l'impression de marcher dans un de ses propres cauchemars. Surtout avec ce cheval à bascule qui les narguaient de loin et ne donnait pas envie de monter dessus. D'ailleurs que faisait il là ? James resserra sa prise sur la main qu'il tenait comme si c'était la seule chose qui ne le ferait pas devenir fou. C'était sans compter de la pluie qui se mit alors à tomber non du ciel mais comme une fontaine. C'était surprenant, illogique, bref aucun mot n'était assez bon pour définir ça. Qu'est ce que cachait cet endroit ? Et si jamais eux aussi se faisaient kidnapper et seraient coincés ici à tout jamais ? Rien que d'y songer ça lui donnait des frissons. Il ne pouvait qu'approuver les paroles de Dakota.

- Moi aussi je l'aime pas...finissons vite et partons d'ici...

Comme si ce qu'il venait de dire était comique des rires discrets tintèrent à ses oreilles. Moqueries ? Ou bien était ce un moyen de les rendre timbrés. C'était en restant ici debout sans bouger que ça allait se faire. James reprit la main de Dakota dans la sienne et avança tout droit. Ils croisèrent des objets divers et variés qui flottaient au gré de l'eau comme si une maison avait été inondé, comme si cet univers dans lequel il venait d'entrer en était une immense.

- J'espère que cet espace n'est pas infini...et qu'il n'y a pas de gros monstres genre comme dans les cauchemars...

Sentir James se raccrocher à sa main avait un côté à la fois rassurant et déroutant. Entre ça et la pluie venant du sol Dakota n’en menait pas large, surtout quand son meilleur se mit en tête de supputer la grandeur et la dangerosité de l’endroit. Et s’il avait raison et que les limbes n’avaient pas de limites ? Le sang de la phobophobe ne fit qu’un tour et elle se mit aussitôt en tête de poser un marqueur d’emplacement pour se remémorer la position de la faille autant que pour se donner un fil d’Ariane à suivre pour le moment où ils voudraient sortir de cet enfer.

L’adolescente se saisit de la boussole futuriste pour l’examiner. Son écran digital comprenait un menu tactile qu’elle explora brièvement. C’était d’une simplicité enfantine, tout y étant détaillé avec un soin maniaque. L’objet comportait même une partie « aide » qui détaillait en long en large et en travers chaque fonction et la manière de l’utiliser à force de mots techniques que seuls des techyoïtes pouvaient comprendre. Une fois à peu près sûre d’avoir compris comment faire, Dakota se rendit dans la partie balisage et appuya sur le message « déposer balise » qui s’affichait à l’écran en lettres bleues clignotantes.

A peine eut-elle frôlé les lettres qu’un point azur se matérialisa sur la carte affichée à l’écran, juste au centre de celui-ci. Il n’y avait plus qu’à espérer que ce gadget fonctionnait correctement…

- S’ils existent vraiment, je préfèrerais ne pas le savoir à la limite, maugréa-t-elle avant d’ajouter un poil plus haut, J’ai marqué l’emplacement de la faille. Le seul bâtiment visible est cette tour au loin, s’ils ont caché les disparus quelque part c’est probablement là-bas.

La silhouette métallique de la tour se découpait sur le ciel violet à une distance indéfinissable. Tout était si déformé dans cet espace malsain que la surdouée refusait de se lancer dans des estimations. Elle essuya la pluie qui ondoyait sous son menton, pénétrant ses narines et la faisant tousser, avant de se mettre en marche avec en fond sonore cet éternel tic-tac qui découpait le temps en tranches. L’ambiance était pesante, stressante, et bientôt ses doigts s’étaient tellement crispés sur ceux de James que le pauvre devait souffrir le martyr. Impossible de savoir depuis combien de temps ils marchaient. La tour paraissait toujours aussi lointaine et la seule estimation des distances qu’elle pouvait glaner était l’éloignement du point bleu sur leur boussole I-tech.

L’eau alourdissait ses chaussures et compliquait leur randonnée, et après 30 minutes seulement les jambes de la gamine la faisaient déjà souffrir. La pluie s’était arrêtée mais ça la soulageait à peine, trop obnubilée par son orgueil qui l’empêchait de demander une pause. Pourtant elle en aurait eu besoin, où au moins quelque chose pour détourner son esprit du tiraillement de ses muscles, c’est pourquoi elle finit par reprendre la parole après un monstrueux bruit d’éclaboussures à une vingtaine de mètres sur sa droite.

- On se croirait dans une version encore plus tordue d’Alice au pays des merveilles.

La blondinette repoussa du pied une poupée brisée qui avait dérivée jusqu’à elle. Son regard figé et vitreux avait un aspect glauque à souhait.

- Lewis Carroll avait peut-être voyagé jusqu’ici, qui sait, elle pencha la tête de côté, Et Gustave Eiffel aussi. Tu ne trouves pas que cette tour ressemble à celle de Paris ?

Dakota se tut alors, l’air blasé. C’était typiquement pour ça qu’elle ne parlait pas souvent. Les discussions pour ne rien dire n’étaient pas son fort et pour l’heure elle avait juste l’impression d’avoir gaspillé de la salive. Le fait de savoir que seul James avait été témoin de ce babillage ridicule était néanmoins rassurant, même si elle avait du mal à fermer les yeux sur sa tentative pitoyable de sociabilisation. Mais quoi faire d’autre quand tout autour de vous aurait filé les chocottes à un militaire surentrainé ?

James laissait la technologie dans les mains de Dakota. Elle était beaucoup plus rôdé que lui dans ce domaine qui n'avait même pas d'ordinateur dans sa maison. Une télévision était déjà exceptionnelle en soi. Bien sur il savait comment utiliser un ordinateur avec l'école. Puis de toute façon ce n'était pas comme si il en avait besoin. Bref, son amie semblait se débrouiller avec cet objet futuriste qui était comme une sorte de GPS à ce qu'il voyait. Le point rassurant c'était que l'adolescent n'avait pas parlé dans le vide. Lui non plus ne tenait pas à voir un monstre se pointer mais cela aurait été se bercer d'illusion de penser que cette histoire se passerait dans le plus beau monde qui soit. Elle l'informa qu'elle avait noté leur point de départ ce qui était assez rassurant si jamais ils se perdaient.

Au loin en effet James pouvait voir une tour métallique, comme le ciel elle semblait intouchables malgré le fait que cela faisait plusieurs minutes que les deux voyageurs marchaient. Enfin, James essayait tant ben que mal de lever ses chaussures gorgées d'eau et de protéger son visage de la pluie qui pulsait vers le haut. Ce dernier détail était en fait le plus chiant. Heureusement la pluie finit par s'arrêter mais tout comme Dakota près de lui il commençait à être déjà épuisé de la marche et la main de son amie qui serrait la sienne à lui couper la circulation n’arrangeait rien. cela dit James se garda bien de lui signaler car savoir la présence de la blondinette le rassurait. Qui sait si au fond de cette eau ne trainait pas des trous ?

Il sursauta lorsqu'un gros bruit se fit entendre, son coeur se mettant à battre rapidement. Cet endroit vraiment, était horrible et il fallait admettre que même le pays d'Alice était plus "joyeux".

- J'aurai préféré la version initiale...

Un lapin bizarre allait peut être surgir d'un instant à l'autre ? Ou bien un chat qui pouvait se rendre invisible ? Etant à Dreamland il fallait s’attendre à tout encore plus quand on se trouvait dans un univers inconnu. Tout comme le fait de trouver une ressemblance avec le plus grand monument de Paris qui les narguaient au loin.

- J'ai jamais été à Paris...il paraît que c'est magnifique...! J'aurai peut être l'opportunité quand je serai grand !

Il n'avait de cette ville que la vision de livres ou de films à la télévision. Cela lui avait donné bien envie d'y voir de plus près et avait inscrit Paris dans sa liste de choses à faire plus tard. James évita une porte qui dérivait sur son chemin. Si ce n'était que ça, il lui semblait qu'il y avait plus d'objets que tout à l'heure.

- A ton avis il s'agit d'enlèvement ou bien c'est que les personnes disparues sont entrés ici et n'ont pas retrouvés la sortie ?

Les serpents fouettaient l’air pour se débarrasser des gouttelettes parsemant leurs écailles glacées, fendant l’air dans une série de sifflements aigus, tandis que Dakota jouait avec la molette de ses lunévolutives. Elles passèrent successivement de lunettes infrarouges à lunettes de plongées en passant par de simples lunettes de vue avant d’atteindre enfin le stade cherché par la phobophobe. Jumelles sur le nez elle examina alors la tour qui se dressait devant eux tandis que James s’extasiait sur Paris.

La structure d’un noir d’encre n’était pas un simple assemblage métallique. Si sa forme rappelait celle de la tour Eiffel elle était loin d’être aussi vide et exposée aux regards inquisiteurs. L’endroit était clos et en zoomant au maximum la gamine arrivait à percevoir des ombres se mouvant derrière les minuscules fenêtres qui perçaient la paroi de ci de là, semblables à des meurtrières. Il y avait donc de la vie dans ce monde corrompu…

Eteignant son gadget oculaire pour économiser la batterie, ce qui lui rendit son apparence de simples lunettes de soleil, Dakota reporta son attention sur son meilleur ami qui lui faisait part de son désir de visiter la capitale française. Qu’est-ce qu’ils avaient tous avec cette fichue ville ? Soit disant romantique, la cité de l’amour… du vent oui ! Juste quelques vieux bâtiments et une tripoté de vacanciers armés d’appareils photos, des vendeurs à la sauvette à tous les coins de rue pour leur extorquer des fonds. C’était ça l’amour ? Elle s’en passerait bien.

- J’y ai été plusieurs fois, ce n’est qu’un vaste attrape-touristes, rétorqua-t-elle avec une franchise désarmante.

Devant l’air presque déçu de son comparse elle concéda à contrecœur, levant les yeux au ciel :

- Soit. Un joli attrape-touriste, « magnifique » demeure dans tous les cas un peu trop extrême.

Heureusement la conversation dérivait de nouveau vers des eaux sécurisées, celles de la raison de leur présence ici. La réponse à la question du psychotique était tellement évidente que Dak’ se demanda un instant si ce n’était pas une question rhétorique puis se souvint qu’il s’agissait de James et pas d’un double d’elle-même. Après avoir chassé un serpent de devant son visage blême avec un geste d’agacement elle répondit comme si c’était une évidence :

- Ils ne peuvent pas s’être perdus. On voit la brèche même de ce côté, quand tu débarques dans un monde psychédélique comme ça tu en sors non ? Il y a peut-être eu un ou deux curieux dans le tas mais pas 11, ce n’est pas crédible. La thèse de l’enlèvement ou celle de leur décès par l’attaque d’une quelconque créature vivant ici restent les plus probables. Et si on tient à toucher un salaire ils ont intérêt à avoir été kidnappés. Je ne suis pas sure qu’on nous paye pour rapatrier des cadavres.

Ces paroles pleines de cynisme ne seraient peut-être pas au goût de son compagnon mais ça avait eu au moins le mérite de la détendre assez pour qu’elle relâche la pression sur sa main. Ses jambes la faisaient toujours souffrir, l’angoisse l’étreignait tout aussi furieusement mais faire marcher ses cellules grises avaient un effet réconfortant. Peu importe le lieu où elle se trouvait elle pourrait toujours compter sur ses capacités. Si on ne pouvait pas trouver de réconfort là-dedans on ne le trouverait nulle part.

De l’index la blondinette désigna la silhouette de la tour alors qu’une pluie de copeau de chocolat commençait à tomber. Du ciel cette fois. A la vue de cette perturbation météorologique aux accents sucrés, Dakota hésita entre soupirer de dépit et se pincer l’arête du nez pour réprimer sa migraine. N’importe quoi, vraiment n’importe quoi. Mais au moins ils savaient qu’ils ne pourraient pas mourir de faim –la crise de foi par contre devenait réellement envisageable.

- Cette tour… j’ai vu des gens dedans. Du moins je crois. Avec un peu de chance il s’agira des personnes que l’on recherche. S’il se met à pleuvoir du chocolat tout est possible non ? D’ailleurs c’est quoi la prochaine étape ? Des cochons volants ?

Inconsciemment elle scruta le ciel violet pour être sûr qu’aucun dieu dérangé ne la prenait au pied de la lettre. Rien à signaler à l’horizon, bien heureusement.

Les paroles de Dakota, toujours aussi honnête, déçurent James qui pensait que c'était une jolie ville. Il avait envie de dire que des touristes il y en avait partout et puis de toute façon il avait l'impression que rien ne plaisait à son amie. C'était quand même assez triste d'être blasé à son âge alors que James lui continuait de s'émerveiller encore et encore devant de nouvelles choses.
Cependant en voyant la tête de l'adolescent la blondinette corrigea en disant que c'était un attrape touriste jolie mais pas plus. Ce n'était apparemment pas un sujet à l'aise et James changea de domaine en revenant sur leur mission. Il avait posé la première question qui lui était passé par la tête, plus pour combler le silence qui ne faisait que renforcer l'étrangeté de cet endroit. Même si sa question était débile, Dakota se garda de le signaler et eut même la gentillesse de lui répondre. C'est sur que onze personnes qui comme par hasard se perdaient au même endroit était un peu gros. Mais il espérait quand même que ce ne serait pas des cadavres de personnes qu'ils retrouveront...

- Je préférerai qu'ils soient vivants hein...pas que pour une question de salaire...

Il n'était pas avare en argent, la notion de cette partie importante pour vivre lui échappait. A vrai dire à partir du moment qu'il pouvait manger et se vêtir le reste n'avait pas d'importance. Alors quand on se retrouvait avec plus de milles rubz dans les poches on ne savait pas trop quoi en faire.
Alors que Dakota voulait lui montrer quelque chose une pluie de chocolat tomba du ciel surprenant les deux voyageurs. James avait bien envie d'y goûter, n'oublions pas que le chocolat était un luxe. Cela dit il n'était pas sur que cela soit sans conséquence pour lui si il mangeait quelque chose de ce monde.

Dakota lui révéla qu'elle avait vu grâce à ses lunettes sans doutes, des gens dans la tour. Encore faillait il qu'ils y arrive un jour...et pas sous des cochons volants de préférence. Comme une grosse averse, de plus en plus de copeaux tombaient. James avisa un meuble et lâcha la main de son amie pour aller voler deux tiroirs. Tirant dessus il faillit tomber sur les fesses dans l'au chocolatée. Il en tendit un à Dakota, ce n'était pas lourd alors d'une main elle pouvait le soulever tout en gardant le gps de l'autre. De son côté, l’adolescent mit sa trouvaille au dessus de sa tête pour se protéger. Il avait pas envie de finir en chocolat.

- Et le gps il dit pas le temps qui reste pour arriver à la tour ?

Les yeux baissés sur le tiroir qu'on lui tendait, Dakota mit quelques secondes à comprendre ce qu'on attendait d'elle. C'était un ersatz de parapluie ? Elle regarda son ami, puis le tiroir, puis son ami, puis le tiroir... et finit par le prendre sans grande conviction. La gamine aurait voulu lui dire que ce n'était que des copeaux de chocolat et qu'à sa connaissance en avoir dans les cheveux n'avait jamais tué personne mais elle n'avait pas le cœur à repousser son intention délicate. Soit ça ne servait à rien mais elle commençait à intégrer l'idée qu'il n'était pas nécessaire de le souligner à chaque fois.

Alors qu'elle le levait pour que quatre de ses serpents s'occupent de le tenir en l'air, coincé dans leurs mâchoires à l'aide de leurs crochets suintant de venin, le psychotique fit part d'une manière détournée de son impatience. Il ressemblait aux enfants harcelant leurs parents pour savoir s'ils étaient bientôt arrivé, et Dak' n'était même pas capable de rendre une réponse claire. Elle n'avait strictement aucune idée de la distance entre la tour et eux, ni des notions d'espace de ce monde. peut-être que le terrain s'étirait au fil de leur marche ? Si c'était exact ils ne parviendraient jamais à rejoindre le bâtiment, de quoi faire naitre une ou deux peur d'avoir peur dans le cœur de la blondinette.

C'est l'aspect purement inexact de la terminologie employée par James qui l'empêchait d'angoissée, bien trop occupée qu'elle était à vouloir rectifier le tir en employant un vocabulaire adéquat. GPS ? Mais quel GPS ? Ça signifiait guidage par satellite et ce n'était pas du tout de ça dont il était question.

- Ce n'est pas à proprement parler un GPS. D'une part car aucun satellite ne nous guide, d'autre part parce que même son principe de fonctionnement diffère. Il ne montre pas le chemin, tout ce que je peux faire avec ces déposer des balises virtuelles et visualiser leur emplacement. La distance entre notre position et les balises s'affiche, mais pas celle nous séparant de points non marqués. Comme la tour.

Dak' tandis l'objet pour que son comparse puisse regarder l'écran sur lequel clignotait toujours la balise déposée près de l'entrée. A côté de la pulsation lumineuse s'affichait en petits caractères "3 km". Ils avaient donc marché si peu ? Dans toute cette eau il lui avait semblé parcourir le double, voir le triple. L'adolescente soupira tout en jetant un œil dans son dos où la brèche était à peine visible, miroitant à quelques centimètres du sol.

Même en cherchant à évaluer les distances elle n'arrivait à rien. Peut-être qu'en se repérant à la taille des objets qui dérivaient elle aurait plus de chance ? Il ne lui fallut pas plus de deux secondes pour renoncer à cette idée utopique. D'ici elle ne discernait même pas la nature des épaves, alors de là à pondre un rapport taille réelle/taille visuelle pour déterminer une distance... il aurait presque été plus facile de créer une bombe avec un chewing-gum et un bout de ficelle.

- Enfin tout ça pour dire que non, il ne dit pas le temps qui nous sépare de la tour. De toute façon il ne pourrait pas parce qu'il faudrait qu'il soit apte à déterminer notre vitesse de marche moyenne ce qui reste impossible sans point de référence fixe -satellitaire ou autre, comme un radar de police. Même s'il est possible que les techyoïtes aient développé une technologie rendant ce principe obsolète mais...

Elle s'interrompit soudain en se rendant compte qu'elle avait probablement perdu James depuis fort, fort longtemps.

- Bref. Il ne le dit pas.

Les copeaux de chocolat continuaient de tomber autour d'eux, comme des flocons de neige, tandis que la phobophobe se disait qu'elle oubliait décidément trop souvent que les gens de leurs âges ne s'intéressaient pas à ce genre de choses, voire même ne les comprenaient pas. Être Dakota Earnshow c'était être une extra-terrestre perdue au milieu d'humains. Ils ne la comprenaient pas plus qu'ils ne la comprenaient et si en règle générale elle jugeait cet état de fait "plutôt acceptable" elle aurait bien voulu réussir à appréhender la mécanique de l'esprit du psychotique.

Son regard glacé balaya l'espace infini, terriblement lumineux même à travers ses lunettes de soleil. Et qui disait lumière forte disait ombres profondes, rendant chaque recoin terrifiant, chaque expression délirante. Comme celle de ce mannequin manchot qui la fixait à quelques mètres avec encore sur le dos une robe en lambeaux. Elle s'ébroua pour détacher son regard de cette horreur flottante et le reporter sur la tour. A vue de nez elle aurait dit 8 ou 9 kilomètres, mais il pouvait tout autant s'agir de 5, de 10, 20 ou même 100 km. Estimer dans ces conditions c'était comme tirer sur une cible avec une fléchette et elle n'avait jamais vraiment été douée à ce jeu. On se crevait trop facilement un œil pour qu'elle puisse accepter ne serait-ce que d'essayer de jouer.

- Je ne pense pas qu'on en ai pour plus de 10 kilomètres mais ça ne reste qu'une estimation personnelle. Tu veux qu'on fasse une pause ?

A la seconde où James avait posé la question il était sur d'avoir fait fausse route, aussi bien sur l'engin que sur ses capacités. Sinon Dakota dès le début aurait annoncé les kilomètres restant. Il essaye de suivre les explications de son amie qui en même temps lui montrait mais au bout d'un moment ce fut trop compliqué pour lui et il décrocha. Franchement, ils auraient pas pu faire un truc plus simple ? Pour James, la technologie était au dessus de lui et intouchable alors avec toutes ces explications il avait l'impression que la machine que tenait Dakota serait capable de s'animer d'un coup et de s'en prendre à eux comme dans ces films de rébellion.

James hochait donc la tête pour faire semblant qu'il comprenait, alors que c'était loin d'être le cas. La seule chose qu'il retenue donc c'est que ce n'était pas un GPS et que par conséquent, comme le conclu la blondinette, il n'indiquait pas les kilomètres. Toutes ces paroles pour en finir à là en fin de compte.

- Ok

Pas que ça ne l'intéressait pas, mais pour le moment ce n'était pas son truc. Il préférait...qu'est ce qu'il préférait au juste ? Il n'avait pas vraiment de centre d'intérêt si on regardait bien. A part regarder la télé avec sa mère ou Jules. Se promener dans le parc avec ce dernier. Même l'école n'était plus un endroit qu'il aimait à cause de ses camarades qui se moquait de lui et le fuyait comme la peste.
Il pouvait comprendre, la solitude de Dakota quelque part même si elle était différente.

Bref, James espérait que la Tour n'était pas à 100 kilomètres sinon ils en auraient pour un bout de temps tous les deux. Déjà qu'il était fatigué, que l'eau accompagné des copeaux n'aidait pas à marcher...Dakota lui redonna de l'espoir en lui glissant qu'il ne devait rester que 10 kilomètres. Bien sur elle savait penser ça à vue de nez mais c'était rassurant. Elle lui demanda si il voulait faire une pause. Est ce que c'était bien sage de s'arrêter dans cette eau ?

- Hum...j'avoue que mes jambes sont épuisés mais je ne sais pas si c'est tranquille de rester figé dans cette eau bizarre qui pourrait cacher des sables mouvants !

Trop regarder la télé ? Un peu mais dans ce monde allez savoir. Dans la vraie vie il y avait bien des trous cachés sous la mer et on était surpris lorsque l'on marchait. James regarda le sujet de ses soucis et les objets qui continuait d'y glisser avant de plisser les yeux en essayant de reconnaître quelque chose. Son visage s'éclaira lorsqu'il mit un nom dessus : une chaussure !

- Dakota regarde ! Il y a une chaussure ! Nous sommes sur la bonne voie !

Rassuré de ne pas avoir marché pour rien et content alors qu'il montrait à son amie du doigt la chaussure. Derrière eux un cheval à bascule familier nageait vers eux avec sa tête à faire pâlir un clown. Il ne manquerait plus qu'une poupée grotesque le chevauche pour se croire à une attaque chevaleresque.

Pourquoi ? Telle était la question qui hantait l’esprit de Dakota. Au lieu de simplement lui dire qu’il ne souhaitait pas s’arrêter James lui avait sorti une sombre histoire de sables mouvants sous l’eau dans lesquels ils pourraient potentiellement s’embourber. La gamine n’avait pas entrevu cette possibilité mais maintenant qu’elle était évoquée elle ne voyait plus que ça. Comment faire un pas dans ces conditions ? Combien de chance de se retrouver aspiré dans le sol sans pouvoir sans sortir ? Sous ses pieds le sol semblait solide mais ce ne serait peut-être pas le cas au prochain pas, ni au suivant, ni à celui d’après.

Paralysée il aurait fallu une grue pour la déplacer ne serait-ce que d’un centimètre. Non pas qu’elle en ait vraiment peur, après tout c’était un peu tiré par les cheveux mais elle pouvait se mettre à le craindre et alors tout serait perdu. La peur d’avoir peur avait pénétré son cœur en figeant ses muscles plus efficacement que le tétanos. Si seulement son ami avait pu s’abstenir de lâcher cette fichue remarque ! Et puis cette histoire de chaussure…

Le regard glacé de Dakota, légèrement ébranlé par l’angoisse qui grandissait dans ses entrailles, se posa sur le mocassin usé qu’on lui montrait. En quoi était-ce une preuve ? Elle n’était pas en état de faire preuve de tact aussi rétorqua tel du tac-o-tac :

- Ou pas. Qui te dit que ce n’est pas simplement l’un des nombreux déchets qui flottent dans le coin ? La précipitation est le pire ennemi de la réflexion. Ne va pas trop vite en besogne.

La phobophobe secoua la tête pour montrer sa désapprobation mais un clapotis dans son dos accapara rapidement son attention. Voir le cheval à bascule croisé plus tôt foncer droit dans leur direction acheva de lui changer les idées. Il fendait l’eau comme un croiseur, son regard vicieux braqué sur eux. Tout ce qui croisait sa trajectoire était heurté sans ménagement puis projeté sur le côté et le hennissement moqueur qui s’élevait sporadiquement vers le ciel était la preuve que Dakota attendait quant à la volonté propre de l’objet. Il fondait sur eux, et pas pour leur proposer de boire le thé.

La pression montait d’un cran alors que Dakota essayait machinalement de calculer le temps qu’il mettrait à les rejoindre avant de secouer la tête. Pas le temps de faire des maths, il fallait plutôt trouver de quoi se défendre ! Ce n’était pas ses serpents qui lui seraient d’une quelconque utilité dans le contexte aussi se mit-elle à scruter fébrilement les environs pour finir par jeter son dévolu sur une chaise. Elle s’en saisit par deux de ses pieds et la souleva non sans difficulté avec la ferme intention de s’en servir de batte de baseball. Malheureusement son geste était incertain et le jouet trop rapide, son mouvement ne lui permettant que de s’étaler à plat ventre dans l’eau dans un grognement de douleur.

Dans une roulade elle évita une nouvelle charge, l’esprit empli de pure panique. Tout n’était plus qu’eau opalescente, sourire fourbe et ciel violet, tournoyant autour d’elle à chaque fois qu’elle se jetait sur le côté pour ne pas se faire broyer les côtes. Ses serpents après avoir jeté le tiroir qu’ils soutenaient, arrivaient bien à repousser un peu l’agresseur mais ne pouvait l’abattre si bien que le combat semblait sans fin. Chacun de ses pouvoirs lui semblait inutiles contre un adversaire non humain, ne restait plus alors qu’une solution difficilement applicable.

Bloody Mary… mais pour ça il lui fallait atteindre son miroir de poche dans les recoins de sa combinaction. Une eau classique aurait pu remplir l’office de glace en lui renvoyant son reflet mais celle dans laquelle elle pataugeait allègrement était tellement lumineuse qu’il était impossible de la fixer ou d’y discerner quoi que ce soit. A chaque microseconde de répit, Dakota glissa ses doigts dans ses poches en espérant que James tiendrait assez longtemps de son côté lorsque le cheval de bois se jetait sur lui en fracassant une armoire ou une table sur son passage. Le contact froid du métal contre ses doigts lui tira un soupir de soulagement alors qu’elle tirait l’objet tant désiré de sa cachette.

Ne restait plus dès lors qu’à ouvrir pour plonger ses yeux dans ceux cernés et terrifiés de son reflet afin de psalmodier l’incantation bien connue. Bientôt la femme ensanglantée s’extirpa du miroir aux proportions ridicules et ce non sans efforts et regards furieux. La surdouée savait bien que ce point d’arrivée n’était pas à son goût mais ce n’était pas comme si elle avait eu le choix.

- Fais quelque chose, ce truc va nous tuer ! s’exclama-t-elle les bras dressés devant son visage en guise de protection alors que l’agresseur fonçait vers le duo qu’elle formait avec son invocation.

Mary fixa la silhouette chevaline avec mépris avant de s’avancer vers elle pour la tailler en pièce, la lame de son couteau s’insinuant dans les rainures pour disloquer l’animal de bois qui, même réduit à cet état pitoyable, continuait de la fixer d’un œil mauvais. Dakota déglutit en se remettant sur ses jambes, la main crispée sur son miroir de poche.

- Merci…

Se tournant alors vers James qui avait l'air aussi remué qu'elle, la gamine interrogea avec une inquiétude visible :

- Ça va ? Tu n'as rien ?

James pour une fois, pensa que Dakota avait tort. Ils n'avaient pas croisés de vêtement depuis le début mais des meubles et des objets. Pour l'adolescent cette chaussure appartenait à une des personnes disparues il en était persuadé, peu importe ce que la blondinette en pensait avec son super cerveau. De toute façon il n'y eut pas le temps de faire un débat car des clapotis étrange se faisait entendre. Ce cheval à bascule James l'avait déjà croisé il y avait cinq minutes. Et généralement quelque chose d'inanimé ne remontait pas le courant, c'était bien connu même pour un cerveau aussi primaire que le sien.

Le panneau danger s'illuminait dans sa cervelle, mais la présence de Dakota à ses côtés et le fait que l'ennemi n'était pas encore sur eux empêcha Jules de prendre sa place. Pour l'instant son créateur n'avait pas besoin de lui. Même si l'adolescent savait que c'était futile, il se servit du tiroir comme bouclier, inutile en effet mais au moins ce n'est pas lui qui termina brisé en deux.
C'était difficile de se mouvoir dans l'eau pour esquiver, c'était plus facile dans une tempête de neige face à un yéti. Même le cheval était plus effrayant que le monstre. L'adolescent essayait de gagner du temps car il voyait bien que la blondinette était en train de chercher quelque chose sur elle. En espérant qu'elle fasse vite car bientôt il n'y aurait plus de porte ou de meuble pour freiner le faux animal.

James était trempé de la tête au pied, constellé de copeaux de chocolat. Qu'est ce qui était résistant face au bois ? Il n'avait pas trop le temps de réfléchir à ça aussi l'adolescent entre deux esquives maladroites qui lui valut de boire la tasse imagina dans son esprit un bouclier en acier.
Alors que Dakota invoquait Bloody Mary, James éleva à la dernière seconde son invention, évitant de se faire broyer. Mais ses petits muscles face à la vitesse de l'élan du cheval l'envoya trois mètres plus loin, au fond de l'eau.
Un peu sonné, il voyait des papillons danser devant ses yeux et secoua la tête avant de battre des mains comme un dingue pour se redresser. Heureusement que il avait pied car...James ne savait pas nager. Ce dernier cracha de l'eau en grimaçant alors que son amie lui demandait si ça allait. L'inquiétude devait être placé en second plan après la survie ce qui voulait dire que Mary avait détruit le cheval. James souffla, soulagé.

- Ca va...j'ai juste un peu mal aux poignets

James regarda son amie qui était très seyante mouillé avec du chocolat, enfin ça ressemblait plus à de la boue du coup. La pression relâché, un sourire étira les lèvres de l'adolescent qui se mit à rire.
Entre deux gloussements il réussit quand même à lui glisser qu'il ne se moquait pas d'elle.
Cela dit les réjouissances fut de courtes durées lorsque des clapotis résonnèrent à nouveaux. L'adolescent cessa de rire instantanément et écarquilla les yeux en voyant des poupées refaites, encore plus horrible que Chucky, debout sur les meubles et autres choses qui glissaient sur l'eau vers eux.

Après s’être apaisés lorsque James affirma n’avoir qu’un peu mal aux poignets, les traits du visage de Dakota tressaillirent lors qu’il se mit à rire. A rire en la regardant. Qu’y avait-il de drôle ici ? Rien. Elle n’était peut-être pas très expérimentée niveau humour mais elle savait un minimum jauger une situation et manquer de se faire tuer n’avait jamais été hilarant. Ne restait que deux solutions : soit son ami pétait les plombs, soit il se moquait d’elle. Inutile de dire qu’aucun de ces deux cas de figure ne lui convenait.

Elle serra les poings alors que le chocolat qui s’était liquéfié dans l’eau lui dégoulinait dans les yeux. Le psychotique n’avait pas meilleure allure mais la gamine ne voyait ça que comme un bête effet cause-conséquence. Que ce puisse être la raison de l’hilarité de son camarade était bien loin de ses pensées. De toute façon elle n’eut pas le temps de se pencher sur la question ni de s’insurger car un mouvement dans le dos de James attira son attention.

- Ne bouge pas, articula-t-elle lentement en désignant du regard le danger qui couvait dans le dos de son ami.

Combien étaient-elles ? 5 ? 10 ? 15 ? Impossible de s’en rendre réellement compte tant les épaves jonchant ce lieu maudit était la cachette parfaite pour tous les sociopathes de petite taille du coin. Les yeux des poupées braqués sur elle lui donnaient des sueurs froides, rappel violent de ses terreurs d’enfance.

Dakota avait eu des jouets, il y avait longtemps. Une véritable armée de poupées, peluches et autres babioles dont ses parents avaient jugé bon de lui offrir en compensation de leur manque de présence et d’affection, mais loin de trouver du réconfort dans les bras de ces êtres inanimés la petite blonde n’avait récolté que des angoisses perfides. Ces reproductions ressemblaient à ces yeux à des êtres humains morts et autres animaux empaillés, leurs yeux vitreux désespérément fixes posés sur elle en permanence. La lueur des lampes et des phares des voitures au dehors leur offrait un semblant de vie horrible, modifiant leurs traits l’espace de quelques secondes. Ainsi naissaient des sourires, des clins d’œil, des gestes de la main… peuplant dès lors sa chambre d’une armée de monstres fourbes. Les adultes n’y avaient jamais rien compris.

Bien sûr elle avait fini par les convaincre de les enfermer dans la cave à force de supplications mais elle en avait gardé une certaine appréhension concernant les poupées. Les films comme Chucky n’avaient pas aidé et même si elle était à présent complètement apte à comprendre qu’un jouet n’était rien d’autre qu’un jouet… tout ici était déformé. Ses peurs infantiles prenaient le masque de la réalité comme un retour fulgurant en arrière. Plus de ciel violet ni de pluie de chocolat, il ne restait plus que la petite surdouée de 5 ans dans sa chambre obscure.

La main de bloody Mary se refermant sur son épaule rappela la phobophobe à la réalité. Elle s’ébroua comme après un affreux cauchemar et tendit l’oreille à ce que son invocation lui disait. Elle n’était pas seule, pas comme à l’époque. Et si cette fois le danger était réel, le soutien qu’on lui apportait l’était aussi.

- C’est bon, je m’en occupe. Je vais les réduire en charpie.

- Je compte sur toi, répondit Dakota d’une voix blanche.

Le fantôme ensanglanté s’élança en avant, ses cheveux d’ébène flottant dans son dos comme un lugubre étendard. Trois pantins lui sautèrent à la gorge mais elle les chassa comme s’il ne s’était agi que de vulgaires moustiques alors que la mini Méduse rejoignait James pour le prendre par le poignet et le trainer un peu plus loin.

Bien sûr il était utopique de croire que l’invocation pourrait s’occuper seule d’autant d’horreur à la fois, aussi Dak’ ne fut pas surprise de voir que quatre poupées les avaient suivi. L’une d’elle, en chiffon, la fixait de son œil unique qui brillait d’une lueur malsaine tandis que sa voisine de droite dévoilait une rangée de dents pointues comme des aiguilles. Le cœur de l’adolescente bondit dans sa poitrine alors qu’elle rétractait ses serpents, prête à les propulser sur ces monstres pour les envoyer voler vers d’autres cieux. Mais est-ce que cela suffirait ?

Chouette profita du calme avant la tempête pour battre des ailes, rappelant alors à sa propriétaire qu’elle existait. D’accord ce n’était qu’un volatil porteur de courrier, mais peut-être qu’en usant un peu de stratégie…

- Chouette ! Arrache lui son fichu œil restant ! cracha-t-elle entre ses dents avant que son animal de compagnie ne fonde sur la poupée de chiffon.

D'habitude James trouvait les poupées et les peluches mignonnes mais là c'était assez difficile de pourvoir caractériser celle qu'il avait devant ses yeux de cette manière. Il avait l'impression d'être entré dans un film d'horreur après une attaque d'un cheval à bascule. Il était forcément en train de rêver non ? Enfin vu la tête de Dakota et ses poignets qui lui faisaient mal ça indiquait que c'était bien la réalité de son esprit. Il dormait certes, mais de celui qui amenait à Dreamland.

Il n'y avait donc pas d'autres choix que d'échapper à une attaque de poupées moches. Ca lui aurait fait mal au coeur si elles auraient été belles mais là, il n'y aurait aucun soucis. Cela dit elles étaient plus nombreuses que leur trio, même si Mary était une tueuse sanguinaire. Cette dernière n'avait même pas eu la peine de demander à son invocation de passer à l'attaque, elle l'avait fait toute seule.
James suivit Dakota qui l'avait prit par le poignet pour s'éloigner mais malheureusement certaines de leurs ennemis avaient échappés à la vigilance de Mary et les avaient suivis. Un frisson parcourut l'échine de l'adolescent lorsque l'une d'elle montre ses crocs. Non, décidément les films d'horreurs s'étaient pas sa tasse de thé. Jules pouvait en voir des dizaines si il voulait mais lui un seul le clouait sous les couvertures pendant au moins deux bonnes semaines.

Sur, que ce job lui resterai gravé à jamais dans la mémoire. Dakota coupa le silence uniquement coupé par la bataille entre un fantôme et des poupées tout près en donnant l'ordre à Chouette d'attaquer. Et lui dans tout ça ? Il pouvait pas transformer des poupées en poupées...les brûler ? Oui mais avec quoi ? Il allait pas faire apparaître un briquet.
Toutes ces questions internes sur quoi faire comme action le stressait et inévitablement Jules prit sa place. Lui, il aimait pas les poupées et les peluches. C'était une fausse socialisation pour les gamins qui jouaient avec, leur parlait. Et après on se demandait pourquoi son meilleur ami avait un ami imaginaire.
Jules regarda Chouette s'évertuer à prendre l'oeil de la vulgaire poupée en chiffon qui tentait de chasser l'animal. Les serres du volatile agrippèrent l'orbite et d'un geste sec retira son objectif. La poupée aveugle, battit des mains pour dans une vaine tentative de se venger et puis tomba dans l'eau en s'approchant trop près du bord de son "bateau". Jules plissa les yeux mais la poupée ne remontait pas.

- Evidemment, absorption de l'eau par le tissu...

Dommage que d'autres étaient en plastiques. Le plastique ça flottait. Chouette était revenu vers sa maîtresse en attente du prochain ordre. Il restait encore trois autres horreurs à mettre hors d'état de nuire. Surtout celle avec des crocs qu'elle s'amusait à montrer comme si c'était un vampire.
Dans une seconde le combat commencerait. Trois, deux, un. Jules fouilla dans un poche et en sortie son coupe papier qu'il brandit le transformant en épée. Cela dit cela n'empêcha pas à cette fichue poupée de lui sauter dessus. Il lui ouvrit son ventre laissant apercevoir le vide qui constituait l'intérieur d'une poupée. Mais bon ça c'était pas une nouveauté. Cela dit Chucky 2 avait trouvé le moyen de s’agripper à la lame avec ses mains de faux bébés. Jules l'agita de toutes ses forces mais en vain.

- Oh tu m'emmerdes toi !

Sa main libre attrapa la poupée par le peu de cheveux qu'elle avait sur le cailloux. Son ennemie gigotait et ouvrait la bouche mais aucun son n'en sortait. Encore heureux qu'elle ne parlait pas tiens.A l'aide de son épée il lui coupa la tête, la partie la plus facilement déboîtable chez ces jouets débiles. Il arracha les bras et les jambes, on ne savait jamais c'était peut être aussi de horreurs capables d'aller chercher leur tête, et jeta le tout plus loin.

- Et de...

Un cri de surprise sortie de sa bouche lorsqu'il sentie une morsure dans son cou. Une poupée c'était vil et ça faisait pas de bruit. Il n'avait pas vue cette salope qui lui avait lâchement sauté sur le dos pour planter ses crocs en plastiques. Il voulu l'attraper mais un poids venait d’agripper son bras. Deuxième poupée...D'où elle venait celle là ?
Jules manqua de tomber lorsqu'une autre vint s'en prendre à sa jambe. Pas besoin d'être intelligent pour deviner qu'il était dans une situation bien merdique. Si Bloody Mary se battait avec joie, ses ennemis profitait du fait qu'elle soit occupée avec certaines de leurs collègues pour passer entre les mailles du filet. Si seulement il pouvait se bouger pour aller faire un "câlin" à Dakota pour se transformer en ours il aurait des superbes griffes pour étriper, lacérer ses petites merdes.

Dakota dû se baisser lorsque sa chouette étendit ses deux ailes d’un blanc immaculée pour fondre sur sa proie. C’était un rapace, de bonne taille de surcroît et maléfique ou non la poupée de chiffon n’en menait pas large face à cette attaque. C’est avec une satisfaction non dissimulée que la surdouée vit son animal de compagnie transformer la borgne en aveugle avant de lui offrir un grand plongeon. Un de moins ! Malheureusement les trois ennemis restant ne comptaient pas se laisser faire aussi facilement.

Comme s’il s’était agi d’une course de relai James avait laissé la place un Jules bien décidé à s’improviser escrimeur. Il fallait avouer qu’il s’en tirait mieux que bien mais pour avoir pu observer les effets du coupe-papier plusieurs fois Dak’ réalisait bien que c’était plus dû à la magie qu’à un talent inné. Bientôt la poupée qu’il combattait retomba en morceau sur le sol. Ses bras et ses jambes s’éloignèrent alors dans le faible courant alors que la tête coincée contre une bibliothèque leur jetait un regard haineux. Même étêtées elles ne mourraient pas ? Ces poupées étaient pires que des cafards.

Le cri de Jules fit sursauter la phobophobe et son regard se détacha de la tête du jouet, flotteur solitaire, pour voir ce qui se passait. Lorsqu’elle remarqua les rangées d’aiguilles qui servaient de dents à leurs assaillants planté dans le cou de l’ami imaginaire ainsi que dans sa jambe son sang ne fit qu’un tour. Il fallait faire quelque chose mais quoi ?

Dans son cœur se mélangeait une foule telle de peurs qu’elles n’arrivaient plus à les discerner. Celle d’avoir peur de ne pas arriver à temps, d’être impuissante, de se mettre en danger. Celle d’avoir peur que Jules décède et James par la même occasion si elle ne bougeait pas, ou de mourir elle-même si elle bougeait. Cruel dilemme. Après s’être violemment mordue la lèvre pour se sortir de sa torpeur elle s’élança vers le jeune homme, juste assez pour pouvoir atteindre la poupée qui s’attaquait au cou. L’un de ses reptiles mordit le plastique, puis un second, puis un autre encore… et rien ne se passa.

- Forcément, forcément… vu que ces saletés ne sont pas vivantes ! pesta la blondinette.

Tirer sur les membres de la poupée pour la détacher était une possibilité, tout comme celle que la tête de Jules vienne avec. Elle laissa donc rapidement tomber l’idée. Qu’est-ce qu’elle pouvait faire d’autre alors que Mary était toujours trop occupée pour leur apporter du soutien ? Chouette était trop occupée à déchiqueter la poupée de chiffon alourdie par l’eau stagnante et il aurait été trop dangereux de l’envoyer contre des ennemis plus solides. Y aller à la main se résumerait à un suicide. Non vraiment, elle ne voyait pas ce qu’elle pouvait faire de pl… oh. Sauf ça peut-être ?

Le souvenir des tunnels qui serpentaient sous Gloutoniskaïa était encore assez frais, et lorsqu’elle se trouvait sous forme de poupée l’ami imaginaire s’était changé en un ours monstrueux. Jamais ce phénomène ne s’était reproduit, et le seul déclencheur potentiel qui lui venait à l’esprit était le « câlin » qu’il lui avait fait à cause du pouvoir de Kalyss. Ca paraissait stupide mais peut-être que le prendre dans ses bras suffiraient à mettre fin à ce combat. Bien sûr ce n’était pas pour réjouir la phobophobe mais il fallait savoir faire des sacrifices.

- A la guerre comme à la guerre.

Faisant fi des risques de se faire mordre –une fois n’est pas coutume- Dakota se jeta contre Jules et entoura sa taille de ses bras. C’était un câlin sommaire, plutôt froid, mais ce fut suffisant pour que le corps de l’adolescent réagisse. Il se mit à gonfler comme une baudruche, vira au brun et fut bientôt affublé de griffes et d’une « superbe » allure de Pedobear. La gamine recula comme si ce contact même bref avait pu lui donner la peste et ajouta un ou deux mètres pour s’assurer que le jouet qui s’en prenait aux mollets de l’ours ne les troquerait pas contre les siens, plus humains.

- C’est bon ! Débarrasse t’en !

Elle profita de ce retournement de situation pour voir ou en était son invocation. C’était l’hécatombe côté jouets et seuls trois d’entre eux résistaient encore et toujours comme de vaillants gaulois. Ce ne serait plus que l’affaire d’une minute tout au plus. La seule chose à espérer était qu’ils n’avaient pas d’autres amis cachés dans le coin, voir jusque sous leur pieds.

A cette pensée Dakota grimaça et grimpa sur une table qui dérivait. On n’était jamais trop prudent.

Jules tentait de se débarrasser de ses sangsues accrochés à lui mais sans aucun succès. Ces poupées étaient pire que collantes et leur dents en plastiques restaient bien ancré dans sa chair. Un poids plus gros se jeta sur lui mais il ne s'agissait pas cette fois ci d'une ennemie mais de Dakota qui le serra dans ses bras. Le voyageur salua cette bonne initiative d'un sourire malsain avant de se transformer en pedo bear, la hâte de se servir de ses griffes pour étriper en milles morceaux les moches poupées.
Son corps recouvert de touffes de poil, les petites dents ne se plantaient plus et Jules attrapa celle qui était sur son cou, planta ses griffes dans ses yeux avec un plaisir nullement dissimulé. La poupée se battait pour qu'il la lâche mais il en était hors de question. Jules en fit de la chair à pâtée pour l'eau et jeta ce qu'il en restait.
Ses collègues, pas folles pour un sou voyait bien que cet ours était une grosse proie pour elles et avait fait demi tour pour s'en prendre à Dakota. Celle ci avait élu domicile sur une table comme si un monstre marin pouvait sortir de l'eau.

- Hop hop hop...

Tout à fait rancunier, Jules poursuivit les deux autres poupées, les attrapa et leur donna le traitement qu'elles méritaient. Bloody Mary avait aussi fini de son côté et le silence faisait sa place après la grande bataille. Penser à jeter les peluches et autres de James lorsqu'ils reviendraient dans le monde réel...on ne sait jamais...peut être que San Francisco se fera envahir par des entités Dreamlandiennes...et il n'avait pas envie que son créateur se fasse tuer pendant son sommeil.
Jules stoppa la table avec ses pattes et regarda Dakota qui ne semblait pas enclin à vouloir descendre.

- Tu descends ou bien il faut que je te portes comme une gosse ?

Ce qu'elle était bien évidemment, mais son cerveau de fierté d'elle même et de froideur était loin d'être celle d'une gamine de 13 ans. Même si à cet âge là peu de parents les portaient encore. Il avait juste hâte de finir rapidement cette mission qui commençait à le faire chier à être bizarre et glauque, alors pas question de se faire retarder par une phobophobe.

Alors que la horde de poupées venaient d’être mise en déroute, le tic-tac perpétuel qui jusque là se déroulait en toile de fond s’intensifia petit à petit. Bientôt, il envahit tout l’espace sonore, ou bien n’était-ce qu’une illusion affectant l’esprit des voyageurs ?! Arrivant alors de ce qui semblait être nulle part, un lapin blanc vêtu d’une veste en queue de pie rouge et or, ainsi que d’un chapeau haut-de-forme assorti, s’approcha de Dakota et Jules à environ deux mètres. Aussi irréel que cela puisse paraître, il sautait « sur » l’eau sans s’y enfoncer et dans la surface brillante qui renvoyait la lumière du ciel violet, il n’avait pas de reflet.

Dans sa poche, une montre à gousset dorée semblait être à l’origine du leitmotiv de cliquetis impossible à ignorer. La petite chainette dépassait avec élégance, parfaitement assortie à l’ensemble farfelu porté par l’animal. Ce dernier ne dit pas un mot – pas sûr qu’il sache parler d’ailleurs – il se contenta de renifler les intrus, le museau tendu vers eux, puis leur tourna le dos pour sauter en direction de la tour. En restant dans son sillage, l’édifice semblait enfin se rapprocher ; les voyageurs cesseraient d’avoir l’impression de faire du surplace dans un monde onirique inachevé. Toutefois, rien ne garantissait qu’il faille suivre le rongeur impérativement, ce dernier se contentait d’avancer, sans jamais jeter un regard en arrière.

Une chose était sûre, les minauderies lointaines et autres bruissements inquiétants s’étaient arrêtés depuis l’arrivé du Lapin blanc, comme si plus aucune créature n’osait se manifester dans les parages. Si l’on pouvait distinguer quoique ce soit du ciel, on croirait presque qu’une éclairci venait de se faire et mettant en stand by les intempéries incongrues.


HRP : qui avait dit au début du job qu'il ne manquait plus que le Lapin blanc ? lol. Voilà, donc je le répète, vous êtes totalement libres ; il n'y a aucune obligation à le suivre, ou ne pas le suivre, ou lui faire autre chose (qu'on ne m'accuse pas des conséquences de votre choix lol), faites absolument ce que vous sentez/voulez. Juste, pour l'instant, ne postez qu'une fois chacun. En fonction de votre réaction, il se pourrait que j'ai besoin de refaire un tour de MJ avant de vous laisser continuer, donc il faut me laisser ce délai. Si je n'en ai pas besoin bah... je vous informerai tout de suite hrp.
Voilà, voilà =)

La remarque de Jules piquait au vif sa fierté mais il en fallait plus pour convaincre Dakota de quitter sa table. Après tout mourir par excès d’orgueil aurait vraiment été l’épisode le plus pathétique de sa vie, aussi se contenta-t-elle de lancer au Pedobear le regard le plus méprisant qu’elle avait en réserve. Qu’il lui prouve qu’elle ne risquait plus rien et elle descendrait avec plaisir et d’ici là… et bien l’idée du porteur n’était pas si mauvaise. La surdouée laissa son regard voguer jusque Mary et secoua la tête. Non, c’était aussi inconcevable de se faire porter par son invocation que par l’ami imaginaire de James. Elle se trouvait dans un cul-de-sac dont la seule issue était de descendre de son radeau improvisé. Enfer et damnation.

- C’est bon, je descends, grommela-t-elle entre ses dents.

Malgré ses paroles elle n’avait pas encore esquissé un geste lorsque le tic-tac entêtant atteignit soudain un niveau sonore à la limite du supportable. La phobophobe avait l’impression qu’un sociopathe s’attaquait à ses tympans au marteau-piqueur et se plaqua alors les mains sur les oreilles, réflexe humain quoiqu’inutile. Elle tenta bien de parler pour s’enquérir de la situation, savoir si Jules voyait la raison de ce vacarme mais le son de sa propre voix ne lui parvenait même plus. Elle ne put pas rater le lapin par contre.

Il bondissait sur la surface de l’eau comme s’il n’avait pas été plus lourd que l’air lui-même, aussi dépourvu de reflet que Dakota l’était d’ombre. La similitude avec Alice au pays des merveilles fit tiquer l’œil de la gamine qui ne pouvait s’empêcher de repenser à la conversation qu’elle avait eu plus tôt avec James : ils auraient eu du mal à évaluer plus exactement la tournure que prenaient les choses.

Avec l’arrivée du lapin costumé ne persistait plus que le son de l’horloge. Les rires, la pluie de chocolat, les objets inanimés habités d’un instinct fourbe… tout semblait se figer et mourir sous l’effet de la mélodie mécanique. Et où partait cet animal étrange avec le don d’apaiser ce monde de folie ? Vers la tour pardi. Il leur ouvrait le chemin tel un guide touristique même s’il se soucia plus d’eux après les avoir reniflé quelques secondes. Pas besoin de mots ou de cartons d’invitation sur papier doré pour que Dakota prenne sa décision cela dit. C’était le suivre ou moisir sur sa table. Le choix était vite fait.

Non sans grimacer Dakota quitta son embarcation de fortune avant d’emboiter le pas à leur invité surprise. Il allait bien plus vite qu’elle aussi la phobophobe fut forcée de tourner vers Mary un regard gêné après une centaine de mètres. Ça lui faisait mal de dépendre autant d’un être dont elle doutait de l’existence même, mais il fallait parfois savoir prendre sur soi.

- Mary, est-ce que tu pourrais…

- Ouais, ouais c’est bon,. Je crois que j’ai saisi l’idée, la coupa la revenante avec mauvaise humeur.

La main glacée du fantôme se referma sur le poignet fin de l’adolescente qui ne put réprimer un frisson. Cette proximité lui mettait sous les yeux toute l’horreur de son pouvoir, du touché gelé aux croûtes de sang coagulé en passant par ses ongles brisés, comme piétinés. Elle ferma les yeux juste avant que ses pieds ne s’extirpent de l’eau opaque et sentit plus qu’elle ne vit Jules la rejoindre dans son vol. Ils pendouillaient comme deux pantins à quelques mètres du sol, escorte comique de la revenante qui filait droit dans le sillage du lapin blanc.

Régulièrement les flancs de la phobophobe allaient heurter ceux rembourrés de l’ours d’occasion, lui tirant des exclamations de douleur. Si elle arrivait à s’en sortir sans bleus aux hanches ce serait bien un miracle. Le seul point positif était que lorsqu’elle ouvrit les yeux elle put constater que la tour se rapprochait doucement mais sûrement. A croire que cette bestiole de roman avait débloqué la suite de l’aventure comme dans l’un de ces jeux vidéo auxquels elle n’avait jamais joué de peur d’en avoir peur.

- Combien de temps dure ta transformation ? hurla-t-elle à l’adresse de Jules pour couvrir le bruit assourdissant de la montre-gousset.

C’était bien le genre d’artifices dont ils risquaient d’avoir besoin et il n’était pas dit qu’ils auraient la possibilité de relancer ce pouvoir de sitôt. Se retrouver démunis d’un avantage aussi énorme faisait peser une pression insoutenable sur les frêles épaules de la blondinette, mais bien moins que l’hypothèse de devoir se passer de Mary sous peu…

Jules attendait avec patience que Dakota descende, ce qui était un exploit car il était tout sauf patient. Mais il ne pouvait pas prendre la gamine et la jeter dans l'eau comme une malpropre alors qu'elle flippait. Enfin, il commençait quand même à en avoir assez et son thermomètre de patience se remplissait rapidement.
Un bruit de montre se fit alors entendre dans tout l'espace, insupportable et Jules mourrait d'envie de tuer celui qui faisait tic-tac. Comme un dessin animé avec ce mec en vert qui volait, la possibilité que cela soit un crocodile n'était pas à exclure vu où ils étaient tombés.
Non en fait il s'agissait juste d'un lapin blanc...C'était donc bien un remix d'Alice. la chose positive c'est qu'il semblait que là où l'animal passait les rires, les clapotis se taisait. L'histoire disait clairement qu'il ne fallait pas suivre ce lapin blanc mais là...ce dernier se dirigeait vers la tour.

Heureusement leur "guide" ne semblait pas doué de parole puisqu'il n'avait fait que les renifler un moment avant de repartir. Dakota finit par descendre et Jules suivit la conversation trop muette pour qu'il comprenne. Enfin...ça sembla logique lorsque Mary attrapa sa maîtresse par le poignet. Jules n'avait nullement envie de se laisser trainer par un fantôme...mais c'est pas comme si il avait le choix.

Trio assez comique entre un esprit, une enfant et un ours. Ce dernier du tendre l'oreille pour comprendre la question qu'on lui posait. Qu'est ce qu'il en savait franchement ? On lui avait pas filé le mode d'emploi avec son pouvoir.

- Je crois que ça finit en même temps que je rend à James son corps...!

D'ailleurs en parlant de ça, le temps d'écoulement de la transformation des corps fut passé. Adieu l'ours et place à un adolescent complètement perdue. Un cri s'échappa de ses lèvres lorsqu'il vit qu'il volait avant de se rendre compte que c'était Bloody Mary qui les soulevaient du sol, ou plutôt de l'eau. Sa stupeur n'était pas fini lorsque droit devant son regard tomba sur un lapin blanc, ses oreilles faisant alors attention au bruit mécanique d'une montre. Il espérait qu'il n'y aurait pas de chat violet qui pouvait se rendre invisible...Enfin pour l'instant il y avait un blanc à combler dans sa mémoire, encore une fois.

- Qu'est ce qui s'est passé ? Où sont les poupées ?

Dans le sillage du lapin blanc, les deux voyageurs portés par Bloody Mary voyaient la grande tour se rapprocher. Evaluer la distance ? Impossible ! Il semblerait qu’elle se rapprochait à une vitesse variable. Parfois ils avaient presque l’impression d’avoir bondit en avant de plusieurs mètres et ensuite… ensuite ils progressaient si lentement qu’on croirait que le sur-place avait repris. Leur guide ne disait toujours rien. Parfois il consultait sa montre, s’arrêtait quelques secondes pour humer l’air, puis reprenait comme si de rien était.

Finalement, ils y arrivaient. Le bâtiment ressemblait à la tour Eiffel, à la différence qu’il était plein, noir, et qu’il ne possédait que 3 pieds. Ceux-ci étaient disposés sur les bords d’un précipice où l’eau pourtant stagnante se déversait à l’infini dans un gouffre aux couleurs distordues. Sous la tour on voyait également pendre dans le vide des chaines accrochées dieu sait où dans le néant. Elles étaient assez fines pour que des humains puissent s’y accrocher et grimper mais les plus proches se trouvaient à au moins sept mètres du bord de l’abysse.

De solides ponts de singes étaient paresseusement étendus au-dessus du vide pour courir droit vers… des murs ? En tout cas, on ne distinguait aucune porte, mais en faisant attention, on pouvait voir les silhouettes épaisses de gardiens tout en muscles, et tout de noir vêtus, se détacher de la paroi. Cinq ponts, un par pont, ils devaient bien garder quelque chose ?! En tout cas, même s’ils voyaient les visiteurs en contrebas, ils n’avaient pas l’air de vouloir se déranger pour si peu. Par contre, accrochée sur l’une des cordes d’un des ponts, une écharpe à l’effigie d’un nounours dansait comme un drapeau, bizarrement étrangère dans ce décor, comme si elle n’était pas de ce monde.

Ici, il n’y avait plus de débris de quoi que ce soit dans les eaux inertes qui ne reflétait que le ciel violet qui avait viré au rouge sang. Un silence sourd enveloppait même les voyageurs. Seulement de temps à autre, des petits clapotis se faisaient entendre : ils venaient de divers endroits où des cercles de gouttelettes se soulevaient brusquement, comme brises dans un courant ascendant. En levant les yeux avec l’espoir de voir où ce dernier pouvait bien mener, on ne trouvait pas réponse à la question, mais on apercevait de grandes fenêtres en haut de la tour, taillées inégalement, comme griffées dans l’étrange métal qui constituait la bâtisse.

Le lapin quant à lui ? Il consulta une ultime fois sa montre à gousset, posa son chapeau à l'envers sur la surface de l'eau et sauta dedans. Il disparut immédiatement, ne laissant aucune autre trace que son haut-de-forme, comme une invitation ou une provocation, allez savoir.


A Dreamland, Gregory arrivait en retard devant les agents de la SSMP. Après l’avoir dévisagé d’un air impassible qui semblait pourtant lourd de reproche, ils lui réexpliquèrent ce qui avait été dit à Dakota et James avant de l’inviter à appuyer sur le bouton d’une petite télécommande. C’était en fait un téléporteur, censé l’envoyer directement auprès de la balise principale que possédaient déjà la phobophobe et le psychotique. Le même modèle que ceux qu’utiliserait le commando de secours en cas de besoin… restait à espérer qu’il fonctionne dans un monde qui n’était pas Dreamland. Fort heureusement, ce fût le cas et le jeune homme arriva pile à côté de la balise… c’est-à-dire dans les airs puisque Bloody Mary portait toujours les deux adolescents. Il devrait in-extremis à quelqu’un s’il ne voulait pas tomber.      


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HRP : l'équipe est au complet. Bon courage ! Et n'hésitez pas à me solliciter par MP